IV. - Deuil

 

22 janvier

DOULOUREUSES CONSTATATIONS

 

Depuis deux jours, nous constatons avec une pénible surprise dans l'état de Don Bosco une tendance à une nouvelle aggravation.

Le matin, vers 10 heures, on introduit dans sa chambre l'Archevêque de Cologne et l'Évêque de Trèves, accompagnés de plusieurs ecclésiastiques. Le cher malade parle avec une sérieuse difficulté. Il trouve cependant la force de recommander à ses illustres visiteurs ses pauvres orphelins ; puis les prie de demander pour lui la bénédiction du Pape.

 

*

 

23 janvier

LE SECRÉTAIRE

 

Don Rua se trouve auprès du lit avec le prêtre qui ne quitte point Don Bosco : le malade dit à son infirmier :

— Je te confie à Don Rua : donne-lui, plus tard, les soins dont tu m'entoures.

 

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24 janvier

L'ARCHEVÊQUE DE PARIS

 

Ce matin, à 11 heures, visite de Mgr. Richard, archevêque de Paris. Don Bosco lui demande sa bénédiction : le Prélat satisfait ce pieux désir ; mais il se jette aussitôt à genoux pour recevoir celle de Don Bosco.

— Oui, répond le bon Père, je bénis votre Grandeur, je bénis Paris.

— Et moi, s'écria l'Archevêque,  je dirai à Paris que j'apporte la bénédiction de Don Bosco !

La journée est bien mauvaise. Les médecins affirment que tout le chemin gagné depuis un mois est perdu : la situation est redevenue très grave.

Don Bosco envoie chercher un jeune religieux de la Maison, et lui fait dire par le secrétaire de prier Jésus et Marie, pendant tous ses moments libres, afin d'obtenir à son Père une grande vivacité de foi à l'approche des derniers moments. Le malade, très ému, répéta lui-même cette recommandation à ce religieux, puis le bénit.

Dans la soirée, Don Bosco est soulagé :

— Je le dois, dit-il à Don Lemoyne, aux prières de ce cher enfant.

 

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25 janvier

DÉLIRE

 

D. Bosco baisse toujours plus. II demande en grâce qu'on lui suggère de ferventes oraisons jaculatoires.

Ce soir, il ne parle qu'à grand peine.

Don Sala lui présente une potion :

— Cherchez donc, dit-il, le moyen de me procurer un peu de repos.

 

Un instant après, il paraît s'être endormi : mais il s'éveille tout à coup, en battant des mains et criant :

— Accourez ; accourez ! Vite, sauvez ces enfants !... Très Sainte Vierge Marie, aidez les... Mère !... Mère !...

Don Sala s'approche et lui demande ce qu'il désire.

— Où sommes-nous en ce moment ? dit le pauvre malade.

— Nous sommes à l'Oratoire de Turin.

— Et les enfants, que font-ils ?

— Ils sont à l'église, au salut du Saint-Sacrement : ils prient pour vous.

 

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27 janvier

« SAUVEZ BEAUCOUP D’ÂMES DANS LES MISSIONS. »

 

Mgr. Cagliero est de retour. Il court aussitôt au chevet de Don Bosco qui à ce moment se trouve bien mal : il ne peut que dire d'une voix défaillante : — Sauvez beaucoup d'âmes dans les Missions.

 

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27 janvier

LES SALÉSIENS ET MARIE AUXILIATRICE

 

L'Évêque Salésien doit se rendre à Rome ; il voudrait toutefois en obtenir la permission : — Tu iras, répond Don Bosco, mais après.

— Alors, Don Bosco, dites-moi si en y allant après la fête de St. François de Sales je puis être tranquille. Il faut aussi que je me rende en Sicile

— Oui, tu iras, tu feras beaucoup de bien, mais après, seulement.

On comprend ce que signifiait cet après.

Le vénéré malade ajouta :

— Ta venue en ces circonstances est très opportune et très avantageuse pour la Congrégation.

 

On l'exhortait à penser, au milieu de ses douleurs, que Jésus en croix souffrait sans pouvoir faire un mouvement : — Oui, dit-il, c'est ce que je fais toujours.

Au sujet de la Congrégation, il disait à Monseigneur Cagliero : — La Congrégation n'a rien à craindre ; elle a des hommes formés.

 

Ce soir, Don Sala se trouvant seul dans la chambre de Don Bosco, saisit le moment où il parait avoir la respiration plus libre pour lui demander : — Vous vous sentez mal, n'est-ce pas ?

— Eh oui ! mais tout passera, et cela passera aussi.

— Et que puis-je faire pour vous soulager un peu ?

— Prier !

Et joignant les mains, il se mit lui-même à prier.

Après l'avoir laissé reposer un instant, Don Sala reprit :

— Don Bosco, maintenant vous êtes heureux de penser qu'après une vie de si constants efforts et de si pénibles fatigues, vous avez réussi à fonder des Maisons dans le monde entier, et à asseoir la Congrégation Salésienne.

— Oui, répondit Don Bosco. Ce que j'ai fait, je l'ai fait pour le bon Dieu ; et on aurait pu faire davantage... mes fils le feront... Il reprit haleine et poursuivit : Notre Congrégation est conduite de Dieu et protégée par Marie Auxiliatrice.

 

À 8 heures, il réussissait difficilement à se faire comprendre et à prouver qu'il comprenait lui-même.

Autour de son lit on parlait de l'inscription à mettre sur la tombe du comte Colle, son excellent ami et insigne bienfaiteur, décédé le 1er janvier.

Don Rua proposait ce texte : – Orphano tu eris adjutor. Tu seras l'appui de l'orphelin ; Mgr. Cagliero aurait préféré : – Beatus qui intelligit super egenum et pauperem : Bienheureux celui qui sait secourir le pauvre et l'abandonné.

Don Bosco, qui paraissait ne prêter aucune attention à l'entretien, ouvrit les yeux et parvint à dire d'une voix assez intelligible : Vous graverez : Pater meus et mater mea dereliquerunt me, Dominus autem assumpsit me.

Mon père et ma mère m'ont abandonné ; mais le Seigneur m'a adopté.

 

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28 janvier

L'HEURE APPROCHE - DEMAIN

 

Don Bosco décline considérablement. Il continue toutefois à entendre tous les jours la Messe et à faire la sainte Communion.

Aujourd'hui, pendant le Saint Sacrifice, il avait auprès de lui Don Lazzero à qui ce ministère à été réservé bien souvent. Comme de pénibles oppressions succédaient à de fréquents assoupissements, Don Lazzero lui demanda, à l'Agnus Dei :

— Don Bosco, faites-vous la Communion ce matin ?

Et Don Bosco, se parlant à lui-même : — C'est bientôt la fin... puis, se tournant vers Don Lazzero, fit un signe d'assentiment et dit à haute voix :

— Je compte faire la sainte Communion.

Et ôtant son bonnet, il joignit les mains.

Toutes les fois qu'il reçoit Nôtre Seigneur, son visage prend un air de profond recueillement qui suffirait à inspirer la foi.

Il est souvent dans le délire.

Plusieurs fois on lui a entendu dire : — Ils sont embarrassés !

Puis : — Courage ! En avant !... en avant toujours !...

Il appelle aussi des absents.

 

Ce matin il a dit, au moins à vingt reprises : — Mère ! Mère !

Depuis plusieurs heures, il répète, les mains jointes : — Oh Marie ! Oh Marie ! Oh Marie ! Don Berto lui passe au cou un scapulaire neuf du Carmel : il le reçoit avec bonheur. Le même religieux lui met ensuite dans les mains un crucifix béni par Pie IX et Léon XIII et enrichi d'une indulgence plénière in articulo mortis : Don Bosco le garda constamment et ne cessa de le baiser pieusement, jusqu'au dernier soupir.

 

À tous ceux qui s'approchent de son lit, il dit : — Au revoir en Paradis ! Faites prier pour moi ; dites aux enfants de faire la sainte Communion.

À Don Bonetti : — Dis aux enfants que je les attends tous en Paradis. Dans tes conversations et du haut de la chaire, insiste sur la fréquente Communion, et sur la dévotion à la Très Sainte Vierge.

Don Bonetti lui ayant présenté une image de Marie Auxiliatrice, il la regarda en s'écriant : — J'ai toujours mis toute ma confiance en Marie Auxiliatrice.

Les médecins trouvent aujourd'hui l'état absolument grave, plus le moindre espoir de guérison. Le docteur Fissure lui disait : — Courage, Don Bosco... on peut espérer que cela ira mieux demain... C'est déjà arrivé d'autres fois... Le mauvais temps influe –  Le malade se mit à sourire et menaçant le docteur de son doigt levé :

—.Docteur, dit-il, vous voulez faire ressusciter les morts ! Demain ?... Demain ?... Je ferai un voyage autrement long.

 

Après la consultation médicale il est épuisé et souffre plus que d'ordinaire. Il répète à deux reprises : Aidez-moi, aidez-moi !

Don Lazzero et Don Viglietti lui répondent : — Bien volontiers, Don Bosco ! que désirez-vous qu'on fasse ?

Et le bon Père, en souriant : — Aidez-moi... à respirer !

 

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29 janvier

DERNIÈRE COMMUNION

« QUE VOTRE VOLONTÉ SOIT FAITE. »

 

Fête de St. François de Sales ! Au dehors, joyeux carillons, musique grandiose, office Pontifical : dans tous les Cœurs, les plus terribles angoisses.

Ce matin on hésitait à donner la sainte Communion au malade qui est dans un délire presque continuel ; le secrétaire insiste, dans la pensée que la présence de Notre-Seigneur aura de salutaires effets.

On célèbre donc la Messe dans l'oratoire privé qu'une porte met en communication avec la pièce où se trouve le lit. Après l'élévation, Don Bosco demande à Don Sala :

— Et si après la Communion les vomissements venaient à se produire ?... Don Sala le rassure. Quand le prêtre se présente à son chevet, le malade est profondément assoupi ; le secrétaire élevant alors la voix : Corpus Domini nostri Jesu Christi... À ces mots Don Bosco tressaille, ouvre les yeux, regarde un instant la sainte Hostie, joint les mains et communie ; puis il répète lentement et avec onction les paroles d'actions de grâces que lui suggère Don Sala.

Ce fut sa dernière Communion.

 

Il retomba ensuite dans une insensibilité mêlée de délire, qui dura jusqu'à 5 heures.

Un mois à l'avance, il avait prévu cet état. Il était au lit depuis deux jours à peine, quand Don Rua vint lui demander dispense d'une certaine obligation ; il répondit :

— Je te la donne jusqu'au jour de Saint François de Sales. Si tu en as encore besoin après, tu iras te la faire renouveler par ton confrère ***.

 

Nous avons employé le mot délire pour exprimer des apparences ; mais nous avons des indices certains que l'extrême faiblesse n'avait pas ôté à notre bien-aimé Père sa lucidité d'esprit.

Vers 10 heures du matin, il interrogea Don Durando en pleine connaissance ; apprenant qu'on célébrait la fête de Saint François de Sales, il témoigna une véritable joie. Il s'entretint aussi avec les médecins le plus, naturellement du monde. Mais quand ils furent partis, il retomba dans un assoupissement assez court, d'où il sortit, pour demander à Don Durando :

— Qui sont ces messieurs qui viennent de s'en aller ?

— Vous ne les avez point reconnus ? C'étaient les docteurs Albertotti, Fissore et Vignolo.

– Oh si ! Insiste donc auprès d'eux pour qu'ils restent aujourd'hui avec nous...

Il voulait ajouter : à dîner, mais ne put prononcer un mot de plus.

Le sentiment de la gratitude n'avait rien perdu de sa vivacité dans ce pauvre vieillard brisé par deux mois de cruelles souffrances. Il prononçait souvent, avec un ton de singulière tendresse, le nom des principaux bienfaiteurs de ses Œuvres. Un de ceux-ci avait son fils gravement malade : Eh bien, lui dit-il, j'entends que toutes les prières faite actuellement pour moi soient appliquées à votre fils pour lui obtenir la santé.

 

Le 15 janvier, veille de la fête du jeune malade, sans avoir pu consulter un calendrier, il dit tout à coup : — C'est demain St.-Marcel : envoie à Marcel un peu de ce raisin dont on nous a fait cadeau.

Ce soir il reconnaît encore et bénit M. le comte Incisa, général en retraite, prieur de la fête de St :-François de Sales, et Mgr. Rosaz, évêque de Suse, qui avait prêché le panégyrique de notre bienheureux Patriarche.

Dans la journée il avait dit au secrétaire :

— Quand je ne pourrai plus parler et que quelqu'un viendra demander ma bénédiction, tu élèveras ma main et tu lui feras faire le signe de la croix, en prononçant la formule. Moi, je mettrai l'intention.

 

Lorsqu'il est assoupi, il parait ne comprendre que si on lui parle du Paradis et des choses de l'âme, et alors il incline la tête ou achève la prière commencée. Ainsi, tandis que Don Bonetti lui dit : Maria Mater gratiœ, tu nos ab hoste protege. :... le malade poursuit : Et mortis hora suscipe.

Toute la, journée nous lui entendons répéter : Mère ! Mère ! : :.. Demain ! Demain !

 

Et vers 6 heures du soir, à voix basse : Jésus... ! Jésus... ! Marie... ! Marie.. : ! Jésus et Marie, je vous donne mon cœur et mon âme... In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum... Oh Mère... Mère... ! ouvrez-moi les portes du Paradis ! Souvent il joint les mains et récite lentement les maximes de la Sainte Écriture qui lui servirent de règle durant sa vie entière : Diligite :.. diligite inimicos vestros... Benefacite his qui vos persequuntur... Quaerite regnum Dei... Et a peccato meo... peccato meo... munda.... munda me.

 

L'Angélus du soir sonne : Don Bonetti invite le malade à saluer la T. S. Vierge en disant : Vive Marie ! Don Bosco répéta : Vive Marie ! avec une pieuse émotion : Un peu plus tard il se tourne vers Enria, un des anciens de sa famille religieuse, qui depuis deux mois passait toutes les nuits auprès de notre bien-aimé Père, et murmure d'une voix faible : Dis... comme s'il voulait adresser quelques mots à son fidèle ami ; puis, sentant son impuissance à rien articuler, il ajoute : mais... mais... je te salue.

Il récita ensuite l'acte de contrition en l'accompagnant de l'invocation répétée : Miserere nostri, Domine.

 

Pendant quelques heures, il éleva fréquemment les bras vers le ciel en disant, les mains jointes : — Que votre sainte volonté soit faite !

À mesure que la paralysie gagnait peu à peu tout le côté droit, le pauvre malade continuait avec le bras gauche son geste de résignation, en répétant autant qu'il le pouvait : — Que votre volonté soit faite !

Il avait complètement perdu l'usage de la parole ; mais pour renouveler le plus souvent possible le sacrifice de sa vie, pendant tout le jour et toute la nuit suivante, il employait le peu des forces qui lui restaient encore, à lever constamment sa main gauche. Cette offrande muette était un spectacle de profonde édification.

 

*

 

30 janvier

L'ADIEU DES FILS

 

Don Bosco ne parle plus : il semble n'avoir plus conscience de son être. La respiration, très pénible, est un gémissement. Vers 10 heures du matin, Mgr. Cagliero récite les Litanies des agonisants et donne au bien-aimé malade la bénédiction des Confrères du Carmel, en présence de plusieurs Supérieurs des Maisons Salésiennes de divers pays.

Ils dominent leur douleur pour suggérer au mourant quelques oraisons jaculatoires.

Don Berto, premier secrétaire de Don Bosco pendant de longues années, et son appui dans les conjonctures lés plus critiques, réclama une place privilégiée au chevet de bon Père, qui les jours précédents lui avait dit à plusieurs reprises : — Tu seras toujours mon cher Don Berto.

Don Sala étendit sur les épaules de Don Bosco une chemise ayant appartenu à Pie IX de sainte mémoire, et que notre Père conservait comme un trésor. Ces deux cœurs étaient si bien faits l'un pour l'autre et s'aimaient tant !

Les médecins annoncent que le soir même, ou le lendemain matin au plus tard, avant le lever du soleil, tout sera fini.

La nouvelle de l'état de Don Bosco et de son prochain départ de ce monde se répand à travers l'Oratoire et y produit une explosion de douleur.

Les confrères demandent à voir une dernière fois leur bien-aimé Supérieur et Père. Don Rua leur permet à tous d'aller lui baiser la main. Ils se réunissent en groupes silencieux dans l'oratoire privé, et pénètrent successivement dans la chambre où Don Bosco agonise. Il est là, sur son lit, la tête un peu inclinée sur l'épaule droite et maintenue haute par trois oreillers. Le visage est calme, point décharné ; les yeux à demi-clos, les mains posées sur la couverture. Il a sur la poitrine un crucifix, et aux pieds du lit on a placé l'étole, insigne de la dignité sacerdotale.

 

Les fils, profondément remués à cette apparition déchirante, marchent sur la pointe des pieds, s'agenouillent au chevet du mourant et déposent un baiser de vénération sur cette main qui leur fut si secourable, et qui se leva tant de fois pour les bénir. C'est par centaines qu'ils défilent dans la petite chambre, car ils sont accourus de tous les points. Puis vient le tour des deux classes supérieures, et des plus anciens parmi les apprentis. Cette scène de filiale tendresse dure toute la journée. Et tous voulaient lui faire toucher des objets pieux, pour les garder ensuite comme enrichis d'une précieuse bénédiction. Cependant, on reçoit de la République de l'Équateur un télégramme annonçant l'heureuse arrivée à Guyaquil de nos missionnaires partis de St.-Nazaire le 10 décembre. Le voici : – Bosco, Turin (Italia) - Llegamos bien. Calcagno, presidente.

 

Don Rua se hâte de communiquer à Don Bosco l'heureuse nouvelle : il parut comprendre : en effet il ouvrit les yeux, et les leva vers le ciel comme pour rendre grâces.

À 3 h. 1/4, le secrétaire et Buzzetti Joseph étaient restés seuls auprès de notre bien-aimé Père qui ouvrit les yeux, jeta un long regard sur son secrétaire, puis lui mit la main gauche sur la tête.

Notre confrère Buzzetti, à la vue de ce mouvement, fondit en larmes en disant : Ce sont les derniers adieux : je ne l'ai jamais vu regarder de cette façon ces jours-ci. Et ce privilège devait vous être réservé à juste titre. C'est le dernier salut à son confident et sa dernière bénédiction.

 

Don Bosco était retombé dans son insensibilité première, et Don Viglietti continuait à lui suggérer des oraisons jaculatoires : Mgr. Cagliero, Mgr. Leto et d'autres Salésiens lui rendent aussi ce pieux service. On entend surtout répéter :

— Jesu spes mea, miserere mei ; Maria Auxilium Christianorum, ora pro nobis.

 

Vers 4 heures du soir, le vénéré malade reçoit la visite de deux insignes bienfaiteurs de l'Oratoire, M. le comte Prosper Balbo et M. le comte Radicati. À 8 heures,  arrive le confesseur de Don Bosco, M. l'abbé Giacomelli,  qui prend l'étole et récite quelques prières du rituel. Un peu plus tard le péril ne paraissant pas imminent, quelques-uns des Supérieurs se retirèrent ; mais Don Rua resta, et plusieurs autres avec lui.

 

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31 janvier

ORPHELINS !

 

À 1 heure 3/4 du matin Don Bosco entre en agonie. Don Rua, son Vicaire, prend l'étole et continue les prières des agonisants, déjà commencées et suspendues vers minuit.

On appelle en toute hâte les Supérieurs majeurs, et bientôt, dans la petite cellule du mourant, se trouvent réunis une trentaine de Salésiens, prêtres, clercs et laïques, agenouillés autour du lit.

À l'arrivée de Mgr. Cagliero, Don Rua lui cède l'étole et passe à la droite de Don Bosco. Alors, se penchant à l'oreille du bien-aimé Père :

— Don Bosco, lui dit-il d'une voix étranglée par la douleur, nous sommes là, nous, vos fils. Nous vous prions de nous pardonner toute la peine que nous avons pu, vous causer ; en signe de pardon et de paternelle bienveillance, donnez-nous une fois encore votre bénédiction. Je vous conduirai la main et je prononcerai la formule.

Quelle scène de déchirante émotion ! Tous les fronts se courbent jusqu'à terre et Don Rua, rassemblant toutes les forces que lui laisse l'angoisse du moment, prononce les paroles de la bénédiction, en même temps qu'il élève la main déjà paralysée de Don Bosco pour appeler la protection de Notre-Dame Auxiliatrice sur les Salésiens présents et sur ceux qui sont dispersés sur tous les points du globe.

Vers trois heures, on recevait de Rome la dépêche suivante :

— Saint-Père donne du fond du cœur la bénédiction apostolique à Don Bosco gravement malade. Card. Rampolla.

 

Monseigneur avait déjà lu le Proficiscere.

À 4 heures et demie, à notre église de Notre-Dame Auxiliatrice, sonne l'Angélus que tous les assistants récitent autour du lit. Puis Don Bonetti suggère au vénéré malade une oraison jaculatoire qu'il avait répétée bien de fois les jours précédents : — Vive Marie !

Tout à coup, le faible râle qui durait depuis une heure et demie, cessa ; et, pour un instant, la respiration redevint régulière et tranquille. L'instant fut bien court : ce dernier souffle s'éteignait :

— Don Bosco meurt ! s'écria Don Belmonte.

Ceux que la lassitude avait jetés sur une chaise, accoururent aussitôt : Mgr. Cagliero disait la prière suprême : Jésus, Marie, Joseph, je vous donne mon cœur et mon âme !... Jésus, Marie, Joseph, assistez-moi dans ma dernière agonie !... Jésus, Marie, Joseph, que mon âme expire en paix avec vous !

Le moribond pousse trois soupirs à peine perceptibles : DON BOSCO ÉTAIT MORT ! Il comptait 72 ans, 5 mois et 15 jours.

 

La pendule marquait 4 h 45 du matin. D. Rua, prenant alors la parole, trouva dans sa filiale vénération pour D. Bosco la force de montrer aux assistants, en quelques mots entrecoupés, les sublimes enseignements de cette mort, couronnant une telle vie. Mgr. Cagliero à son tour, d'une voix aussi peu assurée, entonna le Subvenite sancti Dei, puis bénit la vénérable dépouille, en demandant pour l'âme qui venait de la quitter, le repos éternel. Il ôta ensuite son étole et en revêtit le défunt, à qui on joignit les mains pour y faire tenir le crucifix où s'étaient posées tant de fois, et avec une indicible ferveur, les lèvres du mourant.

Le De Profundis, récité à genoux, ne fut qu'un long sanglot.