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GEMMA GALGANI



DEUXIÈME DISSERTATION



LES FAITS EXTRAORDINAIRES OBSERVÉS EN GEMMA NE PEUVENT PAS

S'EXPLIQUER PAR L'HYPNOTISME




Il existe une proche parenté entre l'hypnose ou hypnotisme et l'hystérie argument vainqueur, entre les mains des incrédules contemporains, pour prouver l'origine naturelle des faits regardés dans le passé comme surnaturels. En quoi consiste cette nouvelle découverte de la science ? les enfants eux-mêmes le savent, tant on en parle partout aujourd'hui. Mais je m'exprime mal en parlant de découverte nouvelle ; car les anciens l'ont connue sous les noms d'enchantement et de magie.

Maintenant que la science a grandi et fait pénétrer sa lumière jusqu'à la moëlle des os de tout homme, on considère l'hypnotisme comme « une des plus belles et des plus intéressantes conquêtes de la science moderne. » Ainsi le proclame même le docteur Lapponi, un des plus chrétiens parmi les médecins contemporains. Quoi qu'il en soit, je ne me propose pas d'entrer dans le fond de la question ; ce serait superflu. Je ferai remarquer seulement, en passant, un fait assez suggestif : c'est que les inventeurs et les premiers propagateurs de cette doctrine, et une bonne partie de leurs disciples furent et sont encore l'écume du matérialisme et de la libre pensée. D'où il semble que le démon ait donné crédit cette découverte - bonne ou mauvaise en soi, peu importe - pour contrebalancer les miracles opérés par Dieu dans la nature par l'intermédiaire de ses saints. De la sorte, ces prodiges divins seraient revendiqués par la science comme un produit des seules forces de la nature ; Dieu serait écarté du monde comme un embarras, et les rationalistes, grâce à l'hypnose, auraient atteint leur but.

Heureusement, il y a beaucoup de distinctions à faire entre les prodiges de l'hypnose et ceux des saints. Nous sommes en droit de les confronter les uns avec les autres dans un sérieux examen, pour appliquer le résultat de cette comparaison au cas qui nous occupe, celui de la vierge de Lucques, Gemma Galgani. Je vais m'appliquer à démontrer, en suivant toujours la même méthode : 1° Que cette jeune fille ne fut jamais hypnotique. 2° Que l'hypnotisme n'a rien à voir avec les merveilles de sa vie.



I



Les principaux phénomènes de l'hypnose sont la léthargie, la catalepsie et le somnambulisme. La léthargie, au dire du docteur Tamburini, « est la plus constante et la plus caractéristique des manifestations hypnotiques ; » c'est aussi la plus facile à faire naître. Après les provocations spéciales faites sur la personne à hypnotiser, on remarque en elle un léger mouvement de déglutition, accompagné d'un bruit sourd ou gémissement du larynx ; la bouche commence à rejeter de l'écume ; les yeux se ferment tout à fait ou à demi, et le patient tombe dans une espèce de sommeil qui est la léthargie proprement dite. Celle-ci, selon le docteur Liébault, peut être légère ou profonde. Dans le premier cas, le dormeur remarque tout ce qui se passe autour de lui ; dans le second, il ne remarque rien, et, une fois réveillé, ne se rappelle pas ce qu'il a pu rêver, Dans la léthargie simple, le patient gît immobile, les membres inertes et pesants ; il a la peau froide et couverte d'une légère moiteur : la respiration et le pouls, très lents et peu perceptibles ; la sensibilité, presque entièrement conservée ; la faculté motrice, complètement suspendue, sauf celle des centres viscéraux ; en retour, l'activité psychique reste parfaitement libre. Dans la léthargie profonde, qui est la plus commune dans l'hypnose, les membres sont, mous, flasques, pendants, et lorsqu'on les a soulevés, si on les laisse à eux-mêmes, ils retombent pesamment. La sensibilité cutanée est totalement abolie ; mais les organes des cinq sens conservent un certain degré d'activité dont l'hypnotisé a plus ou moins conscience. L'inertie de l'esprit est si grande que l'hypnotiseur peut difficilement communiquer une idée au patient pour le faire penser. Ainsi parle le docteur Lapponi dans son ouvrage : Ipnotismo e Spiritismo, pag. 58-62.

Arrêtons-nous un instant pour faire une première application des phénomènes pathologiques énoncés, à l'extatique de Lucques. Il faut observer avant tout que les conditions physiques dc la vie se trouvaient chez elle, au temps de ses extases, en excellent état. Le système cérébro-spinal, de même que le grand sympathique, n'accusaient pas la moindre altération morbide, comme on l'a vu dans la dissertation précédente. Son imagination était entièrement calme, et toutes ses fonctions parfaitement normales. En conséquence, ni la force des provocations ni les impressions spontanées ne pouvaient alors produire l'hypnose. D'ailleurs, par une exception bien singulière, Gemma n'y fut jamais sujette, comme le démontre avec évidence l'absence chez elle du premier symptôme qui dénote un tel état, c'est-à-dire de la léthargie. En vérité, Gemma n'en connut jamais l'ombre, à moins qu'on ne veuille appeler léthargie le sommeil ordinaire. Jamais elle ne gisait immobile durant l'extase. Jamais ses membres n'étaient inertes et pesants ; pas d'épiderme froid, pas de moiteur ni de respiration lente, pas de pouls anormal. Par suite de son insensibilité cutanée elle ne réagissait alors ni à une piqûre ni à une brûlure ; mais elle se mouvait librement, comme une personne éveillée.

Son esprit et son imagination, profondément absorbés par la contemplation des choses célestes, étaient incapables de rien percevoir d'extérieur. Elle entrait en extase d'elle-même et comme d'un seul jet, sans y avoir été aucunement excitée par des passes magnétiques, par des paroles, etc. On ne remarquait aucun mouvement des muscles de la déglutition, aucun bruit de larynx, aucune écume sur les lèvres. En un mot, pas un de ces prodromes de la léthargie légère ou simple ne se vérifiait chez Gemma Galgani, c'était plutôt tout le contraire. On peut en dire autant pour la léthargie profonde. Les membres de l'extatique, je l'ai déjà dit, conservaient leurs conditions normales. Une insensibilité complète gagnait, non seulement la peau, mais les organes des sens, comme il ressort d'expériences soigneusement conduites. Il devenait alors plus que difficile, il devenait impossible de lui suggérer la moindre idée, et cependant sa pensée, en pleine activité, s'élevait aux plus hautes contemplations divines.

On réveille un hypnotisé, de sa léthargie profonde ou simple, en lui soufflant au visage, ou encore en comprimant les points hystérogènes. Pour Gemma, si Dieu lui-même qui la ravissait ne l’avait laissée reprendre les sens, ou si son père spirituel ne lui en avait donné l'ordre, ne fût-ce que mentalement, ni le souffle de l'aquilon, ni l'ébranlement de tout son organisme ne l'eussent réveillée. Nous devons donc conclure à l'absence de toute ombre de léthargie hypnotique chez cette jeune fille.



II



Un autre effet de l'hypnose, avons-nous vu, est la catalepsie. Ce trouble artificiel, compliqué ou non de léthargie, a pour caractéristique les sept phénomènes suivants, suffisamment connus :

1° Le patient conserve pendant un temps notable l'attitude qu'on lui a fait prendre. pour si incommode qu'elle soit. Par exemple, il tiendra un bras levé perpendiculairement ou horizontalement au tronc, et cela sans remuer, pendant un quart d'heure environ. 2° La respiration est très lente et extraordinairement superficielle. 3° Les facultés mentales accusent une grande inertie, moins absolue cependant que dans la léthargie. 4° Les sens externes, c'est-à-dire le goût, la vue, l'odorat, l'ouïe et le tact de résistance conservent dans une certaine mesure leur activité. 5° En vertu de l'activité des sens externes et des muscles, et du peu qui reste de l'activité des sens internes, il est facile d'entrer en quelque relation avec le patient et de le faire agir. Il tient ses regards fixés sur ceux de l'expérimentateur. Quand celui-ci marche, lève les yeux, ouvre la bouche, le cataleptique en hypnose fait exactement la même chose. L'épreuve peut se répéter cent fois et de cent manières différentes il suffit que le patient aperçoive les gestes de l'expérimentateur. 6° En dehors des cas susdits, le visage du cataleptique laissé à lui-même et à ses impressions fantastiques n'éprouve aucune altération ; il garde l'expression apathique et immobile, propre à cet état. La surface du corps est froide et colorée ; les membres ont une grande flexibilité, à moins qu'il ne se produise passagèrement quelque contraction tonique particulière. Finalement, comme dans la léthargie hypnotique, il suffit d'un léger souffle sur le visage de ce malheureux pour que la catalepsie disparaisse. (Lapponi, op. cit. pag. 67-73).

Maintenant, s'étonnera-t-on si j'affirme qu'aucun des symptômes exposés n'a été vérifié dans la vierge de Lucques ? Il en est pourtant ainsi. L'expérience de l'indifférence des membres à une position quelconque a été tentée cent fois sur elle, et toujours en vain. Les bras, les jambes, le buste retournaient immédiatement et d'eux-mêmes à leur attitude naturelle. L'esprit de la sainte enfant ne manifestait jamais autant d'activié que dans l'extase, et pendant ce temps son imagination restait fermée à tout objet étranger à celui qui la ravissait. Cela ressort des paroles qu'elle prononçait alors, et qui toutes avaient trait aux choses célestes entrevues dans une vive lumière, sans jamais diverger vers un autre objet. L'activité des sens et la sensibilité des muscles étaient tout à fait éteints. On a fait sur ce point sur notre extatique de multiples expériences très concluantes, de même d'ailleurs qu'au sujet de l'imitation machinale indiquée plus haut comme étant le cinquième des sept phènomènes caractéristiques de la catalepsie. Notre extatique avait à penser à bien autre chose, dans les hauteurs de ses contemplations, qu'à divertir les spectateurs par une mimique de théâtre. Pour ce qui regarde l'expression de sa physionomie, à peine la jeune vierge entrait-elle en extase que son visage cessait, pourrais-je dire, d'être humain, pour prendre la ressemblance d'un ange incarné. Comme je l'ai déjà remarqué, il ne se produisait aucun refroidissement à la surface de son corps, aucun changement dans son teint, aucune contraction dans ses membres. On sait comment elle retournait à la vie ordinaire des sens. Je m'abstiens de signaler d'autres particularités. Ce que j'ai rapporté suffit jusqu'à l'exubérance à prouver que Gemma Galgani n'a jamais été le moins du monde en catalepsie, au sens hypnotique, pas plus qu'en léthargie. Passons an troisième phénomène de l'hypnose : le somnambulisme.



III



Le somnambulisme est le principal et le plus curieux des phénomènes hypnotiques. C'est un sommeil morbide, dans lequel on fait tomber l'hypnotisé, et qui diffère beaucoup de la léthargie. Celle-ci abat le corps, le rend pesant et immobile, tandis que le somnambulisme excite et accroît outre mesure les forces musculaires et l'acuité des sens, en particulier, quoique d’une manière étrange, l'acuité de la vue. Ainsi le somnambule n'a d'yeux, d'oreilles, d'odorat que pour les objets qui entrent dans le cercle des idées suscitées par son imagination. Il demeure insensible à toutes les autres impressions externes, qu'il reçoit tout au plus comme de simples impressions indéfinissables. La plus grande partie de ses facultés cérébrales demeurent dans un état de torpeur plus ou moins grave, bien que l'une d'entr'elles puisse atteindre un degré extraordinaire de vivacité, au point de rendre possibles des opérations mentales très difficiles. À la fin de la crise la vivacité de l'esprit s'éteint, et il ne reste au somnambule aucun souvenir de ce qu'il a fait, dit, pensé, vu ou senti pendant son sommeil. C'est l'imagination qui travaille le plus dans le somnambulisme, comme il est aisé dc le comprendre. Par son intermédiaire et grâce à certains procédés bien connus des hypnotiseurs, on peut insinuer au patient n'importe quelle idée. Celui-ci la saisit avec une vivacité et une force merveilleuses, la fait sienne, et agit immanquablement suivant sa direction. C'est la suggestion. (Auteur cité, pag. 78-82).

Je n'ai pas besoin de m'étendre beaucoup pour démontrer que Gemma Galgani n'était point une somnambule. On ne peut en effet lui appliquer aucun des symptômes décrits. Ses très douces extases n'avaient rien d'anormal, en dehors des caractères, déjà indiqués, des véritables extases. Pas d'exagération des forces musculaires, pas de diminution ni d'augmentation des facultés mentales. L'activité des cinq sens, non seulement ne dépassait pas le degré naturel, mais se trouvait absolument suspendue et sans la moindre communication avec les personnes et les choses extérieures. Ce que la jeune fille avait vu et entendu de surnaturel dans son ravissement, elle se le rappelait très bien et le racontait en toute simplicité lorsque ceux qui avaient autorité sur elle le lui ordonnaient. Et une preuve évidente de la véracité de sa relation, c'est qu'on lui avait entendu proférer dans l'extase les mêmes paroles qu'elle rapportait ensuite. Donc, Gemma ne fut jamais somnambule.

Et puisqu'on n'a vérifié en elle aucun des phénomènes hypnotiques, il n'existe aucune raison de leur attribuer ses extases et ses ravissements.



IV



Lorsque les phénomènes de l'hypnose manquent, c'est que les causes qui seules les produisent manquent également. En vérité, personne n'a jamais essayé d'hypnotiser la pudique jeune fille, directement ou indirectement, de près ou de loin, au moyen de passes magnétiques, de suggestions, de commandements, etc.

Il n'y a pas lieu, non plus, de songer à l'autohypnotisme, c'est-à-dire à la possibilité pour Gemma de s'être hypnotisée elle-même par l'un de ces moyens volontaires on inconscients communément indiqués par les hypnotiseurs, tels que : la lassitude de la pensée trop lontemps arrêtée sur un objet déterminé ; la fixation continuelle du regard ou de l'imagination sur un point brillant ; la monotonie d'un son lent ; certaines pressions ou frottements légers sur le corps, par exemple sur lesglobes oculaires ; en un mot, tout ce qui est capable d'opérer quelque modification dans les conditions de l'imagination, dans l'état du cerveau on dans l'activité des nerfs dits sensoriels de la périphérie du corps. Dès qu'une semblable modification psychique se produit, une personne délicate et facilement hypnotisable peut être prise subitement d'attaques léthargiques ou cataleptiques qui finiraient, prétend-on, en hypnose complète.

Si vraiment l'hypnose complète pouvait être amenée de la sorte, du moment que l'état hypnotique est un véritable trouble physiologique nous serions fous, en nos temps d'émotions et de commotions, et en vertu de l'autohypnotisme, affligés de cette maladie ; comme d'ailleurs, pour la même raison, au dire de ces messieurs, nous sommes fous hystériques. S'endormir par lassitude, par ennui ou pour toute autre cause indiquée plus haut, tout le monde comprend cela. Mais que ce sommeil, sans être modifié par l'intervention d'autres causes naturelles ou diaboliques, produise seul les terribles troubles de l'hypnose, je ne le crois pas encore démontré. Cependant, pour n'avoir de querelle avec personne, supposons - sans l'admettre - qu'il en soit réellement ainsi, nous n'aurons rien à craindre, car une telle théorie ne peut en aucune manière s'appliquer à notre cas.

Pour soutenir que la vierge de Lucques s'hypnotisait d'elle-même ou par une cause spontanée, il faudrait avoir constaté en elle les symptômes caractéristiques de la léthargie ou de la catalepsie qui sont, selon les cas, les premiers et les immédiats effets de l'autohypnotisme. Or, il est absolument certain que l'on n'a jamais vu chez elle de pareils symptômes durant ses extases ni même en aucun temps, ni sous aucune forme. N'étant pas en état léthargique ou cataleptique, elle ne pouvait par conséquent se trouver en état d'hypnose.



V



Ou peut en dire autant de l'autosuggestion en général, avec ou sans intervention de l'hypnotisme. Le docteur Ottolenghi a écrit récemment un gros volume intitulé : « La suggestion et les facultés psychiques occultes ». Je l'ai lu deux fois d'un bout à l'autre et mot à mot, avec l'espoir d'y trouver sur la question qui nous occupe matière à discussion. Or, bien que l'auteur ait épuisé son sujet, ne laissant rien échapper de ce qu'ont dit les autres écrivains - et il n'en cite pas moins de 565 au cours de son ouvrage j'avoue n'y avoir pas rencontré une phrase qui pût se rapporter de près ou de loin aux faits merveilleux de la vie de Gemma. Ce livre est dans le commerce ; on peut se le procurer pour vérifier la véracité de mon dire.

Quand on lit Ottolenghi, on voit avec quelle légèreté ces hommes, savants à la moderne, traitent les points les plus graves du dogme chrétien, avec quelle téméraire désinvolture ils passent sur des arguments de grande valeur qui ont coûté bien des sueurs et de profondes études à des hommes éminents, dont les oeuvres remarquables devraient faire rougir tous ces gens-là Je dis légèreté et témérité, car ils ne fournissent, et Ottolenghi avec eux, aucune preuve à l'appui de leurs assertions, lesquelles sont toutes basées sur la possibilité d'une force indéfinie de la matière, force mystérieuse, « facultés psychiques occultes », « vertu inconsciente de l'homme » « force x que nous ne connaissons pas encore ». Et c'est au moyen d'une force x, dont ils ne peuvent eux-mêmes se rendre compte, qu'ils essayent de se débarrasser du surnaturel et de l'action de l'Auteur de la nature sur le monde ? Insensés !

Du reste, pour leur fermer la bouche à tous sur le point particulier qui fait l'objet de ce paragraphe, il suffit de leur m'appeler ce que j'ai démontré, savoir que Gemma Galgani ne fut jamais un sujet hypnotisable, une hystérique, une névropathe, une neurasthénique. La jeune fille jouissait, au contraire, sauf seulement la dernière année de sa vie, d'une constitution saine et robuste et d'une grande régularité dans les fonctions physiologiques. On connaît son insensibilité aux impressions extérieures. Or, si au dire de tous les neurologues, les dispositions maladives que je viens de mentionner sont les conditions nécessaires de la suggestion, on est forcé de conclure que Gemma n'était pas un sujet hypnotisable. Encore moins l'était-elle dans le degré éminent requis pour obtenir des phénomènes extraordinaires comparables à ceux que l'on admire dans sa vie.



VI



De l'aveu des plus grands praticiens, le trouble de l'hypnose est l'un des plus dangereux, quand on le provoque trop souvent chez les pauvres patients. « Il est à craindre, écrit le docteur Richet, que l'état de désordre mental propre à l'hypnotisme ne persiste après plusieurs expériences (d'hypnotisation) et ne devienne permanent. » Et le docteur Grasset, clinicien et neurologue remarquable : « Si on prend un individu de bonne santé ayant des dispositions pour l'hypnotisme, et qu'on l'endorme une série de fois, d'un simple nerveux on fera un névropathe, puis un hystérique, et assez souvent un aliéné. » Le professeur Zanardelli, fameux hypnotiseur dans les théâtres publics de l'Europe, a composé un ouvrage intitulé : La vérité sur l'hypnotisme. Dans un chapitre où il énumère les dangers de l'hypnotisme, il parle de congestions à la tête et au cœur, de perte de la voix et de la vue, d'anémie, de contractions, de paralysie, d'eczéma et même de cas assez fréquents de mort foudroyante.

Or, s'il était vrai que Gemma Galgani s'hypnotisât d'elle-même, comme l'état anormal constitué par ses ravissements se produisait très souvent et, à certaines périodes, tous les jours et plusieurs fois par jour, elle aurait certainement dû, sinon se briser et mourir tout d'un coup, du moins éprouver des troubles graves du genre de ceux décrits plus hauts, car l'hypnose répétée est funeste dans tous les cas, même pour les bien portants.

Cependant aucune altération ne se remarquait dans la santé de la jeune fille. Telle on la voyait avant l'extase, telle on la voyait aussitôt après. Ce qu'elle était la première fois à l'âge de dix-huit ans, elle l'était encore la dernière fois, dans sa vingt-cinquième année, après une si longue et si extraordinaire fréquence de ravissements. Blanche et rose de visage, agile, éveillée, gaie, spirituelle, jamais triste ou mélancolique, toujours sereine et en parfaite égalité d'humeur, lucide d'esprit et pleinement maîtresse d'elle-même, telles furent ses qualités les plus constantes. Bien que ses pensées et ses sentiments eussent toujours Dieu pour objet, elle pouvait s'appliquer avec la plus grande ponctualité à toute sorte de travaux. À n'importe quel moment de la journée, si une personne de la maison s'approchait pour lui parler, fût-elle, dans une profonde oraison, elle levait aussitôt les yeux pour voir qui la cherchait, et elle avait toujours pour première réponse un angélique sourire. De quelle persistance de sommeil, de quelle impression, fixation d'idée on aliénation me parlerait-on ici comme preuves diverses d'un prétendu état d'hypnotisme ? Gemma sortait de l'extase ni plus ni moins spontanément que l'un d'entre nous qui, ayant fini de réciter une prière on de lire une page d'un livre, retournerait avec la même ardeur à ses occupations habituelles à tel point que les familiers qui ne l'avaient pas vue dans le ravissement, ne s'apercevaient pas qu'elle venait d'en sortir.

Et durant la période extatique elle-même, que l'on voudrait nous faire croire magnétique et naturelle, aucun signe de suffocation, aucune convulsion, aucune congestion. Une seule chose : le cœur palpitait d'une manière insolite, et avec une telle force que si ses battements contre les parois de la poitrine n'eussent été l'effet d'un miracle, ils auraient suffi à briser un corps d'acier. Mais quoi ? À peine l'extase terminée, le cœur se calmait, les côtes qui avaient fléchi pour lui faire place reprenaient leur forme naturelle, sans laisser à la jeune fille une ombre de malaise ou de lassitude.

Certes, messieurs, si Gemma fut hypnotique, vous devez créer de nouvelles lois, établir de nouveaux critériums, assigner à votre hypnotisme des symptômes nouveaux, et non seulement nouveaux mais entièrement opposés à ceux que jusqu'à ce jour, à force d'études, d'expériences et de patience, vous avez réussi à réunir. Mais tant que l'hypnotisme restera tel que vous nous l'avez fait connaître, nous sommes en droit de soutenir que Gemma n'a jamais été hypnotique ni par son fait ni par l'art d'autrui. C'est la première partie de ma thèse. Traitons maintenant la seconde, savoir que les faits merveilleux de la vie de Gemma ne pourraient s'expliquer par l'hypnotisme.



VII



Pour ce qui regarde l'extase, j'ai peu de choses à dire ici, ayant déjà fait connaître de quelle nature étaient celles de Gemma. S'il s'agissait d'une simple excitation de l'esprit ou de l'imagination, avec sommeil plus on moins léthargique, l'hypnotisme pourrait bien la produire, et il la produit en réalité tout aussi bien que l'hystérie. Et plût à Dieu que nos magnétiseurs se bornassent là, sans jamais aller plus loin ! Mais il y avait bien davantage dans l'extatique de Lucques. Pour ne pas me répéter, j'invite seulement le lecteur à confronter les extases de Gemma avec celles de l'hypnotisme, de la manière que nous l'avons fait plus haut avec celles de l'hystérie. Quelque multiples et variées qu'elles puissent être, toutes tes extases de l'hypnotisme se ramènent à l'une des trois formes suivantes : apathie stupide, hallucination extravagante, folle agitation. La première ne dit rien ni au cœur ni à l'esprit des spectateurs ; elle provoque plutôt le dégoût. La deuxième, après avoir satisfait un instant la curiosité, fait naître un sentiment de compassion pour l'infortuné patient. La troisième finit par exciter l'épouvante et parfois même devient un sujet de scandale. Voilà tout. Et cela est si vrai que plusieurs gouvernements ont interdit, dès le début, les séances publiques d'hypnotisme, comme dangereuses pour les patients et pour les assistants, au physique et au moral. C'est tout, je le répète. L'hypnotisme ne saurait rien produire de mieux, parce que, non moins que l'hystérie, il est un trouble prenant racine dans les nerfs détraqués du cerveau. Seulement l'hystérie constitue un état plus ou moins permanent, tandis que l'hypnotisme. tout artificiel, est passager. Or, du trouble du cerveau que peut-il sortir, sinon désordre et incohérence ?

Toutefois, dira-t-on, à l'exception de ce que l'hypnose a d'exagéré. il faut bien reconnaître quelque analogie entre l'extase hypnotique et l'extase religieuse. Je l'admets certes, mais dans le sens expliqué plus haut. Dans le cas de Gemma, la cause immédiate de la perte des sens était bien, comme dans l'hypnotisme spontané ou volontaire, une impression, une fixation de l'esprit, une forte attirance vers un objet grandement désiré. L'organisme des personnes saintes ne diffère pas de celui des autres. Ainsi, en présence d'une beauté infinie qui se révèle, d'une lumière céleste qui brille soudain, et sous l'empire de sentiments sublimes, l'âme s'élance nécessairement, et le corps, comme abandonné, tombe en défaillance. Il y a toutefois cette différence que le sommeil magnétique est une chose très naturelle et qui peut être provoqué à volonté, tandis que le sommeil extatique est surnaturel. Je dis surnaturel, car il ne peut être naturel à l'homme mortel d'entrer par le ravissement en directe et intime communication avec la divine Majesté, de s'élever au-dessus de tout le créé dans les hautes régions de l'infini : usque ad tertium cœlum (jusqu'au troisième ciel, suivant l'expression de saint Paul) pour entendre arcana verba, quœ non licet homini lo qui (des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à l'homme de rapporter.) Cela, Dieu seul peut le faire. Certes, si l'extase religieuse consistait uniquement dans la perte des sens, dans un simple sommeil, il y aurait lieu de la discuter ; mais elle offre plus et mieux, comme je viens de le dire. Aussi, par le fait même que le sommeil extatique vient de Dieu, il est doux et suave, il se manifeste sans aucun trouble des nerfs ou de l'imagination, sans contraction des muscles et sans tout ce cortège de phénomènes effrayants qui sont le propre du sommeil magnétique.

Mantegazza, qui a voulu soutenir la théorie des Extases humaines, s'efforce de démontrer que, grâce à son activité naturelle, un homme peut fixer son esprit dans la contemplation des choses célestes, au point de se perdre dans un ravissement. Mais d'abord, que peut-il comprendre aux choses célestes cet auteur qui ne croit pas en Dieu ? Ne sortons pas de la question et retournons à la distinction déjà faite. II y aurait là tout ou plus un sommeil naturel, bien qu'anormal ; jamais une véritable extase. J'ai dit tout au plus, car il est difficile de concéder qu'il existe dans l'homme une puissance d'abstraction capable de lui faire perdre l'usage des sens, et de simuler l'extase chrétienne. Si cette puissance existait vraiment, on devrait la voir agir non seulement dans le cas des impressions religieuses, mais dans tout autre cas où les impressions sont aussi profondes. Or, qui ignore la force de certaines passions humaines la colère, l'orgueil, la luxure, l'amour chez la plupart des hommes ? C'est bien autre chose que la pensée naturelle des choses invisibles chez une simple femme ! Ainsi donc la majeure partie des hommes, à chaque élan impétueux des passions, devraient tomber en extase. Pourtant, jamais cela n'arrive. Des distractions et des absences, des troubles, de la stupeur et parfois des fureurs de forcené, je le veux bien ; des extases, jamais. Tel est le raisonnement du docteur Lefebvre dans ses études sur l'extatique de Bois-d'Haine, Louise Lateau.

Si donc une telle vertu d'entrer en extase naturellement par la seule force de tension de l'imagination ne peut se soutenir, il convient d'abandonner les théories arbitraires de Mantegazza et de revenir à l'hypnose. Et sur ce terrain on peut tout au plus concéder ceci : Une jeune fille de cerveau faible et de constitution débile arriverait, par la méditation religieuse et par son amour ascétique, à s'hypnotiser spontanément, aussi bien que par toute autre préoccupation morale, puis tomberait en catalepsie, en hallucination, etc. Mais alors elle sera une des victimes vulgaires de la suggestion hypnotique, et non une extatique dans le sens chrétien. Pour la faire revenir à elle, appelez le médecin, qui lui soufflera sur le visage ou emploiera tout autre moyen. Son confesseur n'a pas à la rappeler au nom de Dieu à la vie des sens, ou par un ordre mentalement donné. Or, il est démontré que les extases de Gemma Galgani portent un tout autre caractère. L'hypnotisme n'a donc rien à voir chez elle.



VIII



Et maintenant, que dirons-nous des autres faits merveilleux qui, outre l'extase, se manifestèrent chez cette pieuse vierge, et en particulier des stigmates. Les partisans de l'hypnose affirment avec la plus grande désinvolture que l'explication est de leur compétence. La force de l'imagination, disent-ils, concentrée en elle-même et excitée par la suggestion hypnotique est si grande qu'elle peut causer la rupture de vaisseaux capillaires sur des parties déterminées du corps, et produire des douleurs, des hémorragies et même des plaies et de profondes blessures. Lorsqu'on demande à ces messieurs d'appuyer cette assertion par quelques preuves, leur embarras est grand. Ils se contentent de dire en général ce que nous savions déjà, savoir que, même en dehors de l'hypnose, une femme, un homme peut susciter dans son organisme des phénomènes douloureux, des sécrétions et des épanchements sanguins, grâce à une pression extraordinaire exercée sur les parois des vaisseaux par les nerfs vaso-moteurs. De fait, ajoutent-ils, combien ne voyons-nous pas de malades imaginaires qui éprouvent en réalité, par le seul effet de leur imagination, les incommodités de la maladie dont ils se plaignent ? - C'est bien. Mais nous voulons des faits positifs qui nous montrent le sang coulant de ses vaisseaux naturels par la force de l'hypnotisme, des faits semblables à ceux que l'on a constatés chez Gemma et chez tant d'autres mystiques chrétiens et qui sont enregistrés par l'hagiographie. Les hypnotiseurs se sont donné beaucoup de peine pour obtenir un fait positif, surtout depuis l'apparition des stigmates chez Louise Lateau en Belgique, et depuis les célèbres expériences du docteur Bourru dans la clinique de Rochefort, expériences qui firent le tour du monde, il y a vingt-cinq ans environ. Le moindre d'entr'eux demande du sang et des plaies à ses pauvres clients, mais le succès ne répond pas à leurs efforts. Toute l'expérience du docteur Bourru consistait à faire jaillir quelques gouttes de sang des narines d'un jeune malade atteint d'hémiplégie et d'hémianesthésie, et à obtenir un afflux sanguin sous-cutané au bras gauche (paralysé et insensible), d'où on voyait alors transsuder plusieurs gouttelettes de sang.

Mettons qu'un jour ou l'autre des mains plus habiles rendent très faciles ces exemples d'afflux et de transsudation ; comment obtiendra-t-on, par la voie de l'imagination et l'empire dc la volonté, la rupture des vaisseaux capillaires et des tissus, jusqu'à former une plaie large et profonde aux deux côtés de chaque main et de chaque pied, comme étaient les stigmates de Gemma ? Comment réussira-t-on à faire croître en pleine paume de chaque main un morceau de chair en forme de gros clou ? (1)

Les blessures se cicatrisaient le jour suivant. Comme dans toute autre lacération dc la peau, il s'y formait alors une croûte, mais qui tombait en peu d'heures, laissant à sa place une cicatrice blanchâtre de la même grandeur que la blessure. Ces cicatrices persistaient même après la cessation définitive de la stigmatisation, et on pouvait encore les observer sur le corps de la jeune fille après sa mort.

Les piqûres de la couronne d'épines étaient, comme celles de Louise Lateau, si petites, qu'on pouvait difficilement les apercevoir à l'œil nu ; d'autant plus qu'elles disparaissaient le plus souvent sous la masse des cheveux. Le sang en découlait en grande abondance. Je puis attester qu'ayant moi-même fait laver et essuyer le front et la tête de la jeune fille pendant une de ses extases, et m'étant mis en observation, je vis, au bout de peu d'instants, je vis de mes propres yeux ces trous imperceptibles se rouvrir et laisser échapper un beau sang rouge et vif, qui se répandit rapidement sur les joues et inonda les vêtements. Qui ne condamnerait ici la très grande légèreté de certains de nos contradicteurs qui, après un simple regard et sans vouloir rien examiner, se croient en mesure et en droit dc rendre d'infaillibles sentences sur des faits très sérieux. Et nous devrions nous en tenir à leur jugement ?

En général, les plus consciencieux d'entr'eux se trouvent très embarrassés en présence de faits d'hémorragie avec rupture de la peau. Ils reconnaissent l'impuissance de l'hypnotisme à les produire. Mais dans leur obstination à ne vouloir pas les attribuer à une cause surnaturelle, ils se hâtent de recourir à l'accusation de fraude et de tromperie. Ils se donnent même la peine de montrer pratiquement qu'il est chose facile de se percer la peau avec l'ongle, jusqu'à traverser les mains et les pieds. Mais, et la blessure du côté, qui était chez Gemma, large, profonde et aux bords déchirés, comment la réussir avec l'ongle ? Comment réussir aussi de la sorte les piqûres de la couronne d'épines ? On le peut à l'aide d'une épingle, me dira-t-on peut-être. Mais les piqûres d'une épingle ne peuvent faire jaillir des ruisseaux de sang dans cette partie du corps ; si bien que les médecins, lorsqu'ils veulent tirer à un malade du sang de la tête, sont contraints d'employer un instrument spécial.

Le docteur Charbonnier lui-même trouve trop naïve une telle explication, et en connaisseur merveilleux des choses ascétiques et mystiques, il a recours à l'influence du jeûne, combiné avec le sentiment intime de compassion qu'éprouve l'âme pour Jésus Crucifié. « Par l'abstinence, dit-il, l'âme concentre les forces organiques en deux seuls organes ; par la contemplation, elle recueille le sentiment douloureux épars dans tout le corps pour le fixer sur quelques points qu'elle voit, admire et aime en Jésus-Christ. Après un temps d'ordinaire très long, et après des efforts immenses, continus, accumulés sans trêve, le mouvement histologique se produit. Le flux sanguin, conduit jusqu'à la peau par cette excessive activité, finit par suivre l'influx nerveux constamment dirigé vers un même point ; et la stigmatisation est faite. »

Mais pour que cette influence fût ou pût être la véritable cause des stigmates de Gemma Galgani, elle devrait au moins rester en harmonie avec son effet. Celui-ci, comme la logique l'enseigne et comme tout le monde le comprend, devrait croître, diminuer, ou se modifier de quelque manière, suivant que celle-là décroîtrait, diminuerait, se modifierait. Cependant il n'en était pas ainsi. Et pour commencer par l'abstinence, les stigmates se manifestèrent chez la pieuse jeune fille à l'époque de sa meilleure santé. Les organes de la digestion, loin d'être altérés par la diète, comme le supposerait le docteur Charbonnier, se trouvaient tous dans un état très normal. On le remarquait aisément à la fraîcheur du teint et à la belle coloration rosée du visage. Gemma, il est vrai, ne prit jamais beaucoup de nourriture, cependant on ne peut dire qu'elle se livrât à des abstinences extraordinaires, que ses directeurs lui défendirent toujours. Dans les deux dernières années de sa vie seulement, elle se nourrissait extrêmement peu, et c'était miracle qu'elle vécût. Mais précisément alors le phénomène de la stigmatisation avait disparu, en dépit de toutes les thèses insensées des docteurs antichrétiens. Et puis, si l'altération des organes de la digestion avait eu réellement pour effet la formation des stigmates, comment expliquer que, sur une simple défense faite par moi-même à la jeune fille, ils disparurent pour ne revenir, et seulement en partie, que lorsque la défense fut levée ? Comment expliquer encore que, sur un ordre contraire donné mentalement (notez-le mentalement) bien avant moi par un autre directeur, le phénomène se produisit même à un jour inaccoutumé, c'est-à-dire le mardi, ce qui n'était jamais arrivé auparavant et n'arriva jamais dans la suite. La stigmatisation en effet, avait lieu constamment et seulement du jeudi soir ad vendredi. En vérité, mécréants et athées de profession, vous voulez nous contraindre à nier l'évidence des faits pour vous croire, les yeux fermés, vous qui, avec une si grande mauvaise foi et la haine de Dieu au cœur, venez vous poser comme nos maîtres.

Quant à la seconde des prétendues causes de stigmatisation, alléguées par le docteur Charbonnier, on peut dire en général que la fixation de l'esprit sur Jésus Crucifié, et le désir de lui ressembler sont une bonne préparation au don des stigmates, car les âmes d'élite qui s'en sont rendues dignes ont toujours commencé par là : Christo confixus sum cruci ; cependant on ne doit pas chercher la cause efficiente du prodigieux phénomène dans ce désir ardent, ni dans la profonde contemplation de l'objet aimé. Ce qui revient à dire qu'il n'est pas et ne pent être un effet naturel de l'énergie psychique. En effet, toute qualité, toute vertu attribuée à la nature doit être l'apanage de tous les hommes, ou du moins de la plus grande partie de ceux qui réalisent les conditions requises par la nature elle-même. Exemples à la vue, et même à la simple pensée d'une nourriture ou d'une boisson acide, qui ne sent l'eau lui venir à la bouche ? Toute personne fortement agitée par la colère sent, à la seule vue de son ennemi, n'apparût-il qu'en peinture, le sang lui monter à la tête sous une violente impulsion du cœur ; et ses yeux lancent des flammes. Vice versa, dans tout accès subit de peur, le sang est refoulé vers le cœur par les nerfs vasomoteurs, le visage pâlit et les extrémités des membres se glacent. Or, si les seules impressions religieuses suffisent à produire les stigmates, comment en trouve-t-on à peine un ou deux exemples tous les cent ans sur tant de millions de chrétiens ?

Dans le cours de dix-neuf siècles, le nombre des stigmatisés connus dépasse de peu la trentaine (2). Est-il possible que parmi tant de grandes âmes qui ont fleuri dans l'Église de Dieu, ce petit nombre seulement ait eu le cœur assez enflammé de l'amour divin pour donner le degré voulu par la nature pour la production des stigmates ? et l'organisme suffisamment disposé pour céder à certains élans du cœur et laisser échapper des veines un sang vif ? L'amour de saint Paul de la Croix pour Jésus Crucifié dépasse tout ce que nous lisons dans la vie des autres saints, et il n'eut jamais les stigmates. Sainte Thérèse fut par excellence un séraphin d'amour, elle eut le cœur transpercé dans la poitrine par la main d'un ange, et cependant aucun de ces impétueux élans d'amour ne fit paraître au dehors des plaies ou du sang. Sainte Claire de Montefalco portait dans son cœur la vive image de Jésus Crucifié avec tous les instruments de la Passion ; et ces glorieuses impressions, formées en relief avec la chair même de ce viscère, restent encore aujourd'hui visibles et palpables, comme pour attester l'amour ardent de cette âme pour l'adorable mystère de notre rédemption. Mais à l'extérieur rien n'apparaissait. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi, Saint Louis de Gouzague et beaucoup d'autres saints, renommés dans les annales de l'Église non moins pour leur incroyable abstinence que pour la hauteur de leurs contemplations, se virent transformés en Jésus Crucifié par la vertu de leur très ardent amour, qui les faisait s'écrier avec l'apôtre saint Paul : Mihi vivere Christus est nisi Christum, et hune crucifixum ! Et en eux pourtant pas le moindre stigmate ! Comment donc ? Comment donc ? Ah, c'est que Dieu n'est pas soumis aux lois de la physiologie, ni aux règles de la pathologie, formulées par certains médecins modernes. Il opère dans ses créatures ce qu'il veut bien, et confond l'orgueil de ceux qui voudraient insolemment poser des bornes à sa puissance infinie.

Pour revenir à la stigmatisée de Lucques, elle ne cessa point d'être un foyer d'amour céleste dont les flammes s'accroissaient en proportion des lumières divines reçues dans ses sublimes contemplations ; et, à la fin de ses jours, son cœur paraissait devoir en être incendié. Alors les stigmates, loin d'augmenter en intensité ou en fréquence, cessèrent complètement.



IX



Outre les cinq plaies des mains, des pieds et du côté, et les piqûres de la couronne d'épines à la tête, Gemma eut les plaies de la flagellation au dos, aux bras et aux jambes, la plaie creusée par le poids de la croix sur l'épaule gauche, et les blessures faites aux deux genoux par les trois chûtes sur la route du Calvaire. Toutes étaient larges et profondes, et plusieurs atteignaient pour ainsi dire jusqu'aux os. Les premières avaient la forme de sillons aux bords livides et laissaient couler le sang goutte à goutte. Les autres ressemblaient à celles que les sculpteurs reproduisent aujourd'hui sur les crucifix en relief. Les personnes qui ont pu examiner attentivement cette innocente créature dans un état si émouvant n'avaient ensuite, pour s'en refaire exactement l'idée, qu'à regarder le grand crucifix de la maison, devant lequel Gemma avait l'habitude de prier. Et combien les plaies de ce crucifix inspirent la compassion ! La premiere fois que le douloureux phénomène se manifesta, la pieuse bienfaitrice chez qui Gemma habitait, ne sachant que penser. voulut soigner une de ces plaies et l'entourer de bandes. Mais quoi ? Le jour suivant toutes les plaies étaient parfaitement fermées et couvertes d'une croûte solide, l'exception de celle qu'on avait voulu essayer de guérir. Et maintenant, allez expliquer ces faits si singuliers par les théories de l'hypnotisme, par l'imagination ou par la préoccupation religieuse !

On remarqua aussi chez Gemma des sueurs et des larmes de sang : phénomènes extraordinaires dont le Christ a donné le premier exemple. L'Évangile atteste en effet qu'au jardin de Gethsémani le Seigneur Jésus, dans l'excès de sa douleur morale, sua du sang par tout le corps, au point d'en baigner la terre et plusieurs saints contemplatifs nous disent que du haut de la croix il pleura nos péchés avec des larmes de sang. Chez Gemma la sueur sanglante était pareillement abondante et paraissait sortir de tout le corps. Elle se produisait en dehors de l'extase et avait pour cause l'horreur du péché maudit, et parfois un blasphème qui, de la rue, venait frapper son oreille. Certes je doute que, pour des motifs semblables, pareille chose soit jamais arrivée depuis que le monde est monde. La suggestion des plus puissantes baguettes de nos magnétiseurs n'a jamais pu obtenir rien d'approchant, et, encore moins, du sang coulant des yeux avec abondance.

Dans l'organe de l'œil, il n'existe pas de vaisseaux sanguins importants, excepté ceux de la troisième membrane qui l'enveloppe, appelée choroïde, et ceux du corps ciliaire. Lorsque le sang afflue à ces membranes, le premier phénomène qui apparaît, c'est une inflammation qui rend l'œil entier rouge de feu. Il en est de même si le sang congestionne les veines capillaires des parties voisines de l'œil ; mais en aucun cas il ne rompt les vaisseaux pour s'échapper en ruisselets. Comment donc le sang pouvait-il sortir en si grande abondance des yeux de Gemma ? Pour moi, je ne trouve pas d'explication naturelle à ce phénomène. Les hypnotistes en indiqueront peut-être plusieurs, mais en théorie seulement, puisque jusqu'à ce jour ils n'ont point réussi à tirer du sang de la tête d'aucune de leurs victimes, ni à le faire pleuvoir des yeux sous l'étreinte de cruelles douleurs. Quant à l'inflammation dont je viens de parler, jamais on n'en vit la moindre trace chez Gemma, ni avant, ni pendant, ni après le phénomène. Le sang coulait de ses yeux si purs non par gouttes, mais, comme je l'ai déjà dit, par ruisseaux qui trempaient les vêtements sur la poitrine ; il se coagulait dans les fosses lacrymales, et ce n'est pas sans émotion qu'on l'en sortait avec les doigts par morceaux. Avec cela, je le répète, le globe de l'œil et les membranes voisines restaient sains et il suffisait de les essuyer avec un linge mouillé pour les voir apparaître dans leur plus parfait état naturel.



X



Que dirai-je maintenant des phénomènes extraordinaires du cœur chez la vierge de Lucques ? Je sais que les hypnotistes, parmi les effets de leur sommeil magnétique placent les palpitations de cœur ; il doit en être ainsi, du moment que cette maladie artificielle altère profondément tout l'organisme de leurs malheureuses victimes et par conséquent le cœur, principal organe de la vie. Serait-ce là une des analogies qu'ils veulent voir entre les extases vraies et les extases hypnotiques ? Que personne n'admette leur prétention. Chez l'extatique de Lucques ce n'était pas des palpitations, une accélération du mouvement de systole et de diastole, mais bien une certaine expansion de l'organe qui, trop à l'étroit dans sa cavité naturelle, heurtait les parois de la poitrine comme pour se faire place ; et les chocs atteignaient une telle violence que, si l'on essayait de les comprimer avec le poing fermé, le poing était repoussé avec le bras, quelque effort que l'on fît pour résister à l'impulsion.

Cependant l'extatique restait debout ou à genoux, assise sur une chaise ou étendue dans son lit, sans donner aucun signe d'incommodité, absolument comme si ces mouvements violents n'eussent pas existé ; et tandis que la chaise ou le lit tremblait, comme je puis l'attester moi-même, elle se tenait immobile, dans un état tout-à-fait normal, et, chose plus merveilleuse, sans une ombre d'angoisse, sans oppression, méfie sans accélération du pouls. Selon son habitude dans l'extase, elle parlait à son Dieu sans aucune fatigue ni difficulté, mais d'une voix ferme et forte. Les paroles qui sortaient de sa bouche étaient de feu. Et il n'en pouvait être autrement, car son cœur ne battait pas seulement, il brûlait, tel un charbon ardent. On ne pouvait en approcher la main sans ressentir une sensation de brûlure. Parfois cette ardeur devenait si intense qu'il se formait sur toute la partie extérieure une large plaie semblable à la brûlure que produirait sur la peau l'application d'une plaque de métal rougie au feu. Cette plaie se fermait à la fin de l'extase, mais la cicatrice persislait des semaines entières. Le supplice du cœur littéralement en feu, qui eût mis hors d'eux-mêmes les plus forts et les plus courageux, n'arrachait à Gemma aucun gémissement, ne provoquait en elle aucun soubresaut. Pendant que ce feu, disait-elle, martyrisait son corps, il faisait descendre dans son âme les délices du Paradis. Et voulant faire goûter ce bonheur aux personnes présentes, elle leur faisait, avec les mains, des signes pressants de s'approcher de l'incendie qui le produisait.

J'ai dit que le cœur battait fortement comme pour se faire place. « Jésus est trop grand, disait-elle dans l'extase, et mon cœur trop petit pour le contenir. Qu'il se dilate donc, qu'il se dilate ce cœur pour que Jésus y soit à l'aise ». Or ce cœur se dilata en réalité, et il donna de tels chocs aux côtes de la poitrine qu'il en souleva trois, en les courbant d'une façon surprenante. Ce prodige dura assez longtemps chez la bienheureuse jeune fille. Je ne voulus point le faire constater par des médecins, parce que toute personne, même la plus vulgaire, peut vérifier l'état anormal d'une partie du corps si connue et distinguer en cet endroit un os déplacé et considérablement courbé, d'une excroissance quelconque de chair. À l'exception d'une fois, où le prodige persista longtemps, le soulèvement des côtes cessait tout d'un coup avec l'extase, comme cessaient également les battements violents du cœur, qui revenait à l'instant même à son état naturel. Si, après un court intervalle de temps, le ravissement recommençait, ce qui arrivait souvent, le cœur se remettait à battre avec force et à soulever les côtes ; en sorte qu'en tenant la main à l'endroit du cœur on reconnaissait à ce signe, sans avoir besoin de regarder le visage, que la sainte jeune fille était rentrée dans l'extase.

Pour conclure cette dissertation je dirai : il est démontré que chez Gemma Galgani les symptômes caractéristiques de l'hypnose manquent totalement, savoir : la léthargie, la catalepsie et le somnambulisme avec tous leurs phénomènes annexes et connexes ; manque le caractère propre de l'hypnose avec toutes ses manifestations ; manque la cause même de l'hypnose, c'est-à-dire la suggestion interne ou externe, spontanée ou provoquée avec toutes ses propriétés. Bien plus, on ne voit rien dans cette jeune fille qui ne soit en opposition directe avec les théories de l'hypnotisme. Elle n'était donc pas sujette à l'hypnose. J'ai prouvé, en outre, que le magnétisme est, de lui-même, incapable de produire les phénomènes merveilleux, tels qu'on les a constatés en cette servante de Dieu, et surtout les stigmates. Donc, ni les extases, ni les visions, ni les plaies et le sang qui en découlait, ne peuvent s'attribuer à la vertu du magnétisme ou de l'hypnotisme.



XI



Un doute pourrait peut-être surgir dans l'esprit de quelques-uns la possibilité d'une intervention diabolique. Certes il est au pouvoir du démon d'opérer des effets de ce genre, et souvent il en opère. Toutefois comme les personnes qui se laissent abuser de cette façon par le malin esprit sont manifestement le jouet de l'illusion, pour donner dans notre cas quelque valeur au doute, il conviendrait d'admettre que Gemma fut une illusionnée et rien de plus. Alors les grandes vertus que nous l'avons vu pratiquer seraient de pures illusions. Et comme l'illusion, poussée jusqu'à ce point, dénote de l'orgueil et de l'hypocrisie en celui qui est la victime, tout serait orgueil et hypocrisie chez Gemma : et cette angélique pureté que nous avons admirée et cette simplicité si rare ; et cette humilité sans exemple ; et cet extraordinaire amour de la souffrance ; et ce calme céleste au milieu des plus cruelles afflictions ; et cette force d'âme, cette constance dans ses résolutions, qui la maintinrent toujours égale à elle-même jusqu'au dernier soupir ; et cette hauteur dc contemplation qui la plaçait plus près du ciel que de la terre, répandant dans son âme les lumières d'une ineffable sagesse céleste ; en un mot, tout ce cortège de vertus et de dons extraordinaires, qui rend cette heureuse enfant l'égale des plus grandes âmes en honneur dans l'Église serait un fruit d'orgueil, une hypocrisie bien jouée. Trompée elle-même par le démon, elle aurait réussi à tromper pendant tant d'années et confesseurs et directeurs. Il ne se trouvera certainement personne pour le croire. Si donc les vertus dc Gemma ne sont pas des fictions et des tromperies, les phénomènes extraordinaires dont nous nous occupons ne peuvent être non plus des effets diaboliques.

Tant qu'il s'agit de vexations, de tentations et même parfois de véritables obsessions, Dieu permet à l'esprit infernal de molester ses élus. Nous le constatons dans la vie de presque tous les saints, et Gemma n'a pas fait exception à la règle. À la suite des auteurs mystiques, j'ai expliqué en son lieu ce mystère. Mais que le Seigneur permette au démon de réussir à tromper les justes jusqu'au point d'en faire ses jouets, de ruiner tout l'édifice de leur sainteté, de rendre vains tous les dons du ciel, et d'abuser le monde chrétien pendant une longue suite d'années par de faux prodiges, cela ne se peut supposer. Dieu se mettrait en contradiction avec lui-même et se montrerait injuste, lui qui affirme garder ses élus comme la prunelle de ses yeux.

De plus, pour rendre croyable un si effroyable malheur, il faudrait supposer un terrible châtiment infligé par la divine justice pour quelque grave infidélité. Il est écrit, nous le savons, que les colonnes du firmament peuvent aussi se renverser sur la terre. Mais une telle supposition ne peut avoir lieu dans notre cas, parce que les éminentes vertus de Gemma et son innocence baptismale maintenue intacte jusqu'à sa mort sont des faits démontrés, comme est démontré aussi le grand amour qu'eut toujours le Seigneur pour cette angélique créature. Force nous est donc de conclure que si le démon a pu concourir à purifier l'âme de Gemma par une guerre acharnée qui dura toute sa vie, il ne lui a pas été donné de gâter en elle l'œuvre de Dieu, en la rendant un objet d'illusion pour elle-même et pour les autres.




(1) Pour être exact, je rappelle que ce dernier phénomène se produisit rarement, et seulement aux paumes des mains. Jamais au dos des pieds. De même, les stigmates saignaient quelquefois sans qu'on aperçut de lacération du derme. D'ordinaire cependant ils étaient constitués par des plaies profondes.

(2) Le Docteur A. Imbert Gourbeyres cite 94 cas de stigmatisation proprement dite ou externe. « Il y a eu, dit-il, seize blessures du cœur, cinq fois l'impression des instruments de la Passion dans cet organe, et deux cas de stigmatisation plastique. Vingt-cinq fois la stigmatisation a été complète, quatorze fois avec les cinq plaies sans couronne, cinq fois avec la couronne seule. Elle a été treize fois latérale. Cinq fois la stigmatisation a été bornée aux pieds ou à un seul pied. » (Note du traducteur.)