LE TEMOIGNAGE DU SANG


« Vous aussi, tenez-vous prêts »
(Luc, XII, 40)
I


     « C'est lui, Jésus-Christ, qui est venu avec l'eau et le sang non pas avec l'eau seulement, mais avec l'eau et avec le sang ; et c'est l'Esprit qui en rend témoignage, parce que l'Esprit est la vérité. Car il y en a trois qui rendent témoignage : l'Esprit, l'eau et le sang ; et ces trois ne font qu'un ». (I Jean V, 6-9) (1). Et pour quoi est-il venu ? Précisément pour rendre témoignage à la Vérité : « je suis né et je suis vieilli dans le monde afin de rendre témoignage à la Vérité » (Jean, XVIII, 37). Les Apôtres se portent garants de la parole du Maître : « Le Christ Jésus a rendu témoignage sous Ponce-Pilate » (I Tim, VI, 13). Le Christ, ainsi, n'est pas seulement le Sauveur annoncé par les prophètes ; il est encore « le témoin fidèle » (Apoc. I, 5 et III, 14) tel que l'avait prédit Isaïe : « Vous êtes mes témoins, dit l'Éternel, vous et mon Serviteur que j'ai choisi, afin que vous reconnaissiez, que vous croyiez et que vous compreniez que c'est moi qui suis l'Éternel. »(Isaïe, 43, 10-11).

     C'est bien, en effet, comme le « Témoin » de Dieu son Père que le Verbe incarné se présente aux juifs et qu'il définit devant eux sa mission. « je ne suis pas venu de moi-même, leur dit-il, mais c'est Dieu qui m'a envoyé »(Jean, VIII, 42). Et pourquoi a-t-il été envoyé ? Pour faire la volonté de son Père : « je ne puis rien faire de moi-même ; je juge d'après ce que j'entends ; et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m'a envoyé » (Jean V, 30). Et quelle est la volonté de Celui qui l'a envoyé ? « Voici la volonté de mon Père : c'est que quiconque contemple le Fils et croit en lui ait la vie éternelle »(Jean, VI, 40). C'est en effet, la vie éternelle « de connaître le vrai Dieu et Celui qu'il a envoyé » (Jean, XVII, 3). Aussi tout son enseignement n'est-il au fond, qu'un témoignage rendu au vrai Dieu : « ma doctrine n'est pas de moi, mais de Celui qui m'a envoyé. Si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu, il connaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de mon chef. Celui qui parle de son chef cherche sa propre gloire ; mais celui qui cherche la gloire de Celui qui l'a envoyé est digne de foi et il n'y a point d'injustice en lui ». (Jean, VII, 16-18).

     « Tu te rends témoignage à toi-même, répliquent les juifs, ton témoignage n'est pas digne de foi ». « Quoique je me rende témoignage à moi-même, répond Jésus, mon témoignage est digne de foi, car je sais d'où je suis venu et où je vais... Mon juge ment est conforme à la vérité, car je ne suis pas seul, mais le Père qui m'a envoyé est avec moi » (Jean, VIII, 13-18). Et comme les juifs refusent de croire en sa parole, il fait appel au témoignage de ses oeuvres : « Si je ne fais pas les oeuvres de mon Père, ne me croyez pas ; mais, si je les fais, quand même vous ne me croiriez pas, croyez à mes oeuvres, afin que vous appreniez et que vous sachiez que le Père est en moi et que je suis dans le Père » (Jean X, 38).

     Mais les juifs, endurcis dans leur incrédulité, n'acceptent ni le témoignage de sa parole ni le témoignage de ses oeuvres. Et Jésus de s'irriter : « Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ? C'est parce que vous ne pouvez
écouter ma parole. Le Père dont vous êtes issus, c'est le Diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père... Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Celui qui est issu de Dieu écoute les paroles de Dieu. C'est pourquoi vous n'écoutez pas, parce que vous n'êtes pas de Dieu. » (Jean, VIII, 44-47) ? Il a beau répéter, insister « Celui qui m'a envoyé est véridique, et ce que j'ai appris
de Lui, je le dis au monde » (Jean, VIII, 26) « les oeuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage pourquoi ne me croyez-vous pas ? » (Jean X, 26) ni les guérisons, ni les miracles, ni même la résurrection de Lazare ne réussissent à convaincre les juifs. Dès lors que lui reste-t-il à faire, sinon à donner le suprême témoignage, celui de son Sang ?

     C'est, en effet, la volonté de son Père « qu'il ne perde aucun de ceux qu'Il lui a donnés » (Jean VI, 39). Or, « il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean, XV, 13). Afin que ceux qui l'ont suivi « demeurent dans sa parole et connaissent la Vérité qui les affranchira » (Jean, VIII, 31), il scellera de son propre sang le témoignage qu'il a rendu à son Père par sa parole et par ses oeuvres. Mais sa mort sur la Croix n'apportera pas seulement le salut à ceux qui auront cru en Lui ; elle manifestera à tous les hommes le caractère divin de sa mission sur la terre : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous reconnaîtrez ce que je suis et que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ce que mon Père m'a enseigné » (Jean, VIII, 28). Et, au soir de sa vie, avant de monter au Sacrifice, il pourra se rendre ce témoignage à lui-même : « Père, l'heure est venue... je t'ai glorifié sur la terre ; j'ai achevé l'oeuvre que tu m'avais donnée à faire... J'ai manifesté ton nom aux hommes. »(Jean, XVIII, 2-8).
 
 

II


 


     « Les serviteurs ne sont pas plus grands que le Maître »(Jean, XIII, 16). Il a été, jusqu'à l'effusion du sang, le « témoin fidèle et véritable » ; les disciples doivent être, eux aussi, jusqu'à l'effusion du sang, des « témoins fidèles et véritables » : « quand l'Esprit de vérité sera venu, dit Jésus à ses apôtres avant de les quitter pour subir sa passion, il rendra témoignage de moi ; et vous aussi, vous me rendrez témoignage, vous qui êtes avec moi dès le commencement » (Jean, XV, 26, 27). Et au moment de se séparer d'eux pour remonter vers son Père, il leur confirme une dernière foi leur mission : « Vous serez mes témoins, tant à Jérusalem que dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre « (Actes, 1, 8).

     Aussi la prédication des Apôtres prend-elle toujours et partout le caractère d'un témoignage rendu aux actions et à la vie de Celui qui fût leur Maître. Aux juifs qui leur défendent de parler au nom de Jésus, Pierre et Jean répliquent avec vivacité : « Nous ne pouvons pas ne pas parler, taire ce que nous avons vu et entendu » (Actes, IV, 20). « Ce que nous avons entendu, écrit St Jean aux fidèles d'Éphèse, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché du Verbe de vie... c'est cela que nous vous annonçons » (I Jean, 1, 1-2). St Paul parle le même langage : « Il y a un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ,. homme qui s'est donné lui-même en rançon pour tous. Tel est le témoignage qui a été rendu en son temps et pour lequel j'ai été établi prédicateur, apôtre et docteur des Nations, afin de les instruire dans la foi et dans la vérité ». (I Tim. 11, 7).

     Sans doute, la prédication est-elle déjà par elle-même un témoignage, ainsi que l'a, voulu le divin Maître : « Cet Évangile du Royaume sera prêché dans le monde entier pour servir de témoignage à toutes les nations » (Matth. XXIV, 14). Mais demeurer fidèle à sa parole ne consiste pas simplement à la prêcher ; il faut encore y conformer ses actes et, par conséquent, obéir aux commandements. Celui-là surtout qui fait la volonté de son maître, témoigne de son amour pour lui. « Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements... Celui qui a mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime. Et celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; et je l'aimerai et je me ferai connaître à lui » (Jean, XIV, 15-21). « Voici en quoi consiste l'amour de Dieu, répète l'Apôtre à ses fidèles d'Éphèse, c'est que nous gardions ses commandements » (I Jean, V, 3).

     Et celui qui porte ainsi dans son coeur l'amour de Dieu et de son Christ peut-il à son tour se satisfaire de la simple observance des commandements ? N'éprouve-t-il pas l'impérieux besoin de manifester publiquement son amour et sa foi ? Confesser le Christ devant les hommes, n'est-ce pas le devoir même du disciple, un devoir inscrit d'ailleurs dans la loi de l'Évangile ? « Celui, dit le Maître, qui m'aura confessé devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans les Cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai, moi aussi, devant mon Père qui est dans les Cieux ». (Matth. X, 32). « Si nous le renions, répète St Paul, lui aussi nous reniera. » (II Tim., 11,12)
     Mais le chrétien n'est-il pas dans le monde comme « l'agneau au milieu des loups » (Luc X, 3) ? « S'ils m'ont persécuté, dit Jésus à ses apôtres, ils vous persécuteront... Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais, parce que vous n'êtes pas du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, c'est à cause de cela que le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite,, : le serviteur n'est pas plus grand que son Maître. » (Jean, XV, 19-20). Le monde a haï le Christ jusqu'à le faire mourir : comment ne haïrait-il pas ceux qui parlent en son Nom et font ses œuvres ? « On mettra la main sur vous, annonce Jésus à ses apôtres, on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues, on vous mettra en prison ; et vous serez traînés devant les rois et devant les gouverneurs à cause de mon nom. Cela vous arrivera pour que vous rendiez témoignage » (Luc, XXI, 12-14). Et cette prédiction de Jésus : « vous serez haïs de tous à cause de mon nom, » (Luc, XXI, 17), le Voyant de l'Apocalypse nous la décrit se réalisant à travers l'Histoire : « Le Dragon, furieux contre la Femme, s'en alla faire la guerre au reste de ses enfants, qui observent les commandements de Dieu et qui gardent le témoignage de Jésus ». (Apoc., XII 17).
 

     Pouvez-vous boire, la coupe que je bois et être baptisé du baptême dont je suis baptisé » ? (Marc, X, 38)., Cette question que le Christ a posée à ses apôtres avant de subir sa passion, chacun de nous doit se la poser à lui-même. Et si nous voulons y répondre dans toute la sincérité de notre coeur, nous devons savoir tout d'abord que, « pour vivre avec Lui, il nous faut aussi mourir avec Lui » (II, Tim.,11, 12) « Celui qui cherche à sauver sa vie la perdra, dit le Maître ; mais celui qui la perdra, la retrouvera » (Luc, XVII, 33). C'est donc jusqu'au témoignage du sang que nous devons rester fidèles à Celui qui nous a été fidèle jusqu'à la mort. Chrétiens ! Êtes-vous prêts ?

     Sans doute, vous avez déjà lavé vos âmes et vos corps dans les Eaux de la pénitence ; sans doute, vous portez sur votre visage la lumière de l'Esprit. Vous êtes « le sel de la terre » et « la lumière du monde » (Matth. V, 13-14). Vous n'êtes pas de ceux qui, indifférents à la venue du Fils de l'homme, mangent, boivent et se marient ; vous savez que le Maître se présentera à l'heure où on ne s'y attend pas et que cette heure sera pour vous celle où il réclamera de votre amour le témoignage que doit rendre un fidèle serviteur (Matth., XXIV, 36-51). Mais prenez garde : voici que vient le jour, « le grand et terrible jour de l'Éternel et il n'y aura de sauvés que ceux qui auront invoqué le nom de l'Éternel sur la montagne de Sion » (Joël, II, 31-32). Chrétiens, qui avez été purifiés dans l'Eau de son baptême et illuminés par le rayonnement de son Esprit, pouvez-vous aussi rendre témoignage au divin Maître jusqu'à l'effusion de votre sang ? Prenez garde : « déjà, la cognée est mise à la racine de l'arbre » (Luc, III, 9) et « l'arbre restera du côté où il est tombé » (Ecclésiaste, XI, 3). De quel côté tomberez-vous ? Chrétiens, soyez prêts.

     On n'est prêt qu'à la condition de s'être préparé et la préparation dont il s'agit ici, c'est en vérité une préparation à la mort. Certes le Chrétien doit toujours être prêt à mourir. « Veillez, car vous ne savez pas à quelle heure Notre Seigneur doit venir. » (Matth., XXIV, 42). Mais dans les conjonctures présentes cette obligation est plus impérative que jamais. Comment donc se préparer à la mort ? Écoutons l'auteur de l'Imitation (Livre I, ch. XXIII) :

     « Bienheureux celui qui tient toujours ses yeux fixés sur l'heure de sa mort et se prépare chaque jour à mourir ! Si tu as vu quelquefois un homme mourir, pense que, toi aussi, tu passeras par le même chemin. Quand vient le matin, pense que tu pourrais ne pas vivre jusqu'au soir. Le soir venu, n'ose pas te promettre de vivre jusqu'au matin. Sois toujours et vis de telle sorte que la mort ne puisse à aucun moment te prendre au dépourvu...

     « Qu'il est heureux et sage, celui qui s'applique à être pendant sa vie tel qu'il désire être à l'heure de sa mort ! En effet, ce qui donne une grande confiance de bien mourir, c'est le mépris du monde, l'ardent désir d'avancer dans la vertu, l'amour de la règle, le labeur de la pénitence, la promptitude de l'obéissance, l'abnégation de soi et la patience à supporter toutes les adversités pour l'amour de Jésus-Christ. Ne remets pas ton salut à plus tard. Mieux vaut, maintenant qu'il est encore temps, pourvoir à ton salut et te faire précéder par de bonnes œuvres...

     « Applique-toi donc dès maintenant à vivre de telle sorte qu'à l'heure de la mort tu aies plus sujet de te réjouir que de trembler. Apprends maintenant à mourir au monde, afin de commencer alors à vivre avec le Christ. Apprends maintenant à tout mépriser pour pouvoir alors être libre d'aller à Jésus-Christ. Châtie maintenant ton corps par la pénitence pour pouvoir alors avoir une entière confiance...

     « insensé, comment penses-tu à une longue vie puisque tu n'es pas sûr d'avoir encore un seul jour ? Combien d'âmes ont été trompées et inopinément arrachées à leur corps ! La fin de tout est la mort, et la vie de l'homme passe rapide comme l'ombre. Fais maintenant ce que tu peux, car tu ne sais pas quand tu mourras. Pendant que tu en as le temps, ne pense qu'à ton salut ; ne te préoccupe que des choses de Dieu ; en toutes choses regarde la fin ; tu n'es sur la terre qu'un voyageur et un étranger... »

     Retenons de cette pénétrante méditation qu'il n'y a pas de meilleure préparation à la mort que le mépris de ce monde, parce que ce mépris rend plus facile et plus léger le détachement de tout ce qui n'est pas de Dieu ou à Dieu. Si nous sommes bien persuadés qu'une seule chose est nécessaire : la vie éternelle et le chemin qui mène à la vie éternelle, comment pourrions-nous encore nous soucier de ce qui n'a pas de valeur sub specie aeterni, quel que soit le prix qu'y attachent les hommes ? Ne nous préoccupons donc ni du vivre, ni du vêtement, ni des richesses, ni des honneurs, ni même du sort de notre vie ici-bas. Qu'importe ce que sera demain ! Chrétiens, qui portons en nous l'Esprit du Christ nous savons que par Lui, avec Lui, en Lui nous possédons dès maintenant la vie éternelle et qu'aucune ,puissance en ce monde ne peut prévaloir contre le Christ et ceux qui lui appartiennent. Le Prince de ce monde « n'est-il pas déjà jugé ? (Jean, XVI, 11). Que peuvent donc les hommes et même Satan contre nous ? « Les âmes des justes sont dans la main de Dieu et les angoisses de la mort ne les atteindront pas. Ils ont paru mourir , aux yeux des insensés mais ils sont en paix »..(Sagesse, 3) « Rassemblez-moi mes Saints qui ont fait alliance avec moi par le sacrifice, » dit le Seigneur (Psaume 50, 5), afin qu'ils entrent « dans la joie de leur Maître » (Matth., XXV, 2 1).
 


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     « Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu Vivant, qui, par la volonté du Père et la coopération du Saint-Esprit, avez donné par votre mort la vie au monde, délivrez-nous, par la vertu sanctifiante de votre sang, de nos iniquités et de toute adversité ; faites que nous restions toujours étroitement attachés à vos commandements et ne permettez pas que nous soyons jamais séparés de vous, qui, par votre divinité, vivez et régnez avec le Père et le Saint-Esprit éternellement. » (Liturgie romaine).
 

Gabriel HUAN.
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(1) A son premier Repas (Jean, II, 1-2) Jésus change l'eau en vin, en ce vin de la Vigne mystique, qui donne l'ivresse de l'Esprit (Actes, II, 5-18) et fait « germer les vierges »(Zacharie, IX, 17) ; à son dernier Repas (Marc, XIV, 24) il change le vin en son sang, le sang de la nouvelle Alliance, qui doit être répandu pour la rémission des péchés.