LA LUMIÈRE DANS LES TÉNÈBRES

« Les ténèbres se sont dissipées 
et voici que maintenant luit la vraie 
lumière. » (I, Jean, III, 8).

     Je suis venu dans le monde comme une lumière, dit Jésus, afin que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (Jean, XII, 46). Et qui donc ne demeure pas dans les ténèbres tant que n'a pas lui dans son âme la lumière de Celui qui est « la véritable lumière » (Jean, I, 9) et en qui « il n'y a point de ténèbres » (I, Jean, I, 6) ? Ténèbres de la connaissance : « l'oeil est la lampe du corps. Si ton oeil est sain, tout ton corps sera dans la lumière ; mais, si ton oeil est mauvais, tout ton corps sera dans les ténèbres. Si donc, la lumière qui est en toi n'est que ténèbres, combien seront grandes ces ténèbres ! » (Matth., VI, 22). Ténèbres du coeur : « où est ton trésor, là aussi sera ton coeur » (Matth., VI, 21) ; « l'homme de bien tirera le bien du bon trésor de son coeur, mais le méchant tirera le mal de son mauvais trésor, car de l'abondance du coeur la bouche parle » (Luc, VI, 45) ; ainsi « c'est du coeur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les impudicités, les vols, les meurtres, les adultères, la cupidité, les méchancetés, la fraude, la débauche, le regard envieux, la calomnie, l'orgueil, le dérèglement de l'esprit et toutes les mauvaises passions » (Marc, VII, 21). Ténèbres enfin de la volonté : « Moi, je suis charnel, vendu et asservi au péché, car je ne comprends pas ce que je fais : je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais... Ainsi, j'ai la volonté de faire le bien, mais je n'ai pas le pouvoir de l'accomplir : je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. » (Rom., VII, 14,20). Quel soleil viendra d'en haut « pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres, à l'ombre de la mort » ? (Luc, I, 79). je suis venu dans le monde comme une lumière, dit Jésus, afin que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres ». (Jean,.XII, 46).
 

I

     Nous avons sur l'état moral et spirituel des païens au temps de Jésus, un témoignage fidèle et vivant, celui de l'Apôtre des Gentils, qui, dans ses courses à travers le monde gréco-romain, se trouva en contact avec des hommes de toutes les classes de la société. Et voici le jugement qu'il porte sur l'impiété et l'immoralité de ses contemporains : « Tout en connaissant Dieu, dit-il des païens, ils ne lui ont pas donné la gloire qui appartient à Dieu et ils ne lui ont pas rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements et leur coeur sans intelligence a été rempli de ténèbres. Se disant sages, ils sont devenus fous ; ils ont remplacé la gloire du Dieu incorruptible par des images qui représentent l'homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes, des reptiles. C'est pourquoi Dieu les a livrés à l'impureté suivant les convoitises de leur coeur.. Ils sont remplis de toute espèce d'injustice, de perversité, de cupidité, de méchanceté ; pleins d'envie, de meurtre, de dispute, de tromperie, de malignité ; délateurs, médisants, impies, insolents, arrogants, vaniteux, ingénieux à faire le mal, désobéissants envers leurs parents, sans intelligence, sans loyauté, sans affection naturelle, sans pitié ». La corruption des moeurs est telle « qu'ils déshonorent eux-mêmes leur propre corps, eux qui ont changé la vérité de Dieu en mensonge et qui ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur. C'est pour cela que Dieu les a livrés à des passions honteuses ». (Rom., I, 18-32).
 

     Aussi n'a-t-il cessé de mettre ses frères, venus du paganisme, en garde contre leurs anciens errements : , «Voici ce que je vous déclare au nom du Seigneur : c'est que vous ne devez pas vous conduire comme des Païens, qui suivent la vanité de leurs pensées, ayant l'intelligence obscurcie, étant étrangers à la vie de Dieu, à cause de l'ignorance qui est en eux, par suite de l'endurcissement de leur coeur. Ils ont perdu tout sentiment et ils se sont abandonnés à une vie de désordre, pour commettre toute espèce d'impureté avec une ardeur insatiable. Mais, vous, on vous a enseigné à vous dépouiller de ce qui concerne votre vie passée, du vieil homme corrompu par les convoitises trompeuses. Ainsi donc que chacun de vous, renonçant au mensonge, parle avec vérité à son prochain. Si vous vous mettez en colère, ne péchez point ; que le soleil ne se couche pas sur votre colère et ne donnez aucune prise au Diable. Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais qu'il s'applique plutôt à faire de ses propres mains quelque travail honnête, pour avoir de quoi donner à celui qui est dans le besoin. Qu'aucune mauvaise parole ne sorte de votre bouche, mais, s'il y a lieu, dites quelque bonne parole qui serve à l'édification et fasse du bien à ceux qui l'entendent ». (Ephès., IV, 17, 30). « La volonté de Dieu, écrit l'Apôtre aux Thessaloniciens, c'est votre sanctification : il veut que vous vous absteniez de l'impureté et que chacun de vous sache posséder son corps dans la sainteté et dans l'honnêteté, sans jamais vous livrer à des passions déréglées, comme font les païens qui ne connaissent pas Dieu ». (I, Thessal., IV, 3-6).
 

     N'est-ce pas parce que le grand péché du paganisme fut l'impureté, que l'Apôtre insiste si souvent auprès des nouveaux chrétiens pour qu'ils se gardent de toute souillure ? « Le corps n'est point pour l'impudicité, il est pour le Seigneur et le Seigneur pour le corps. Ne voyez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ ? Prendrais-je donc les membres du Christ pour en faire les membres d'une prostituée ?... Fuyez l'impudicité ! Quelque péché que l'homme commette, ce péché est hors du corps ; mais celui qui se livre à l'impudicité pèche contre son propre corps ». (I, Cor., VII, 13-19).

     « C'est bien assez, dit pareillement saint Pierre, d'avoir dans le passé accompli la volonté des païens, en vivant dans le dérèglement, les convoitises, l'ivrognerie, les excès de table, les orgies et les idolâtries criminelles... Ne vivez plus suivant les convoitises des hommes, mais selon la volonté de Dieu » (I, .Pet., IV, 2). « La colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu, écrit saint Jacques ; rejetez donc toute souillure et tout reste de méchanceté et recevez avec douceur la parole qui a été plantée en vous et qui peut sauver vos âmes ». (Jacq., I, 21).
 

II

      Esclavage du Péché ! servitude de la chair et du sang ! Comprend-on maintenant cet appel de l'Apôtre à la délivrance : « qui me débarrassera de ce corps de mort ! » (Rom., VII, 24) et, en réponse, cette exclamation aux Galates : « frères, vous avez été appelés à la liberté ». (Galat., V, 13). « C'est pour la liberté que le Christ vous a affranchis ; demeurez donc fermes et ne vous remettez pas de nouveau sous le joug de la servitude » (Gal., V, 1). Servitude des mauvaises passions et des convoitises charnelles qui sont révolte contre l'Esprit, inimitié envers Dieu, amour du monde, domination de Satan. Selon la juste remarque d'un théologien, la chair au sens évangélique, n'est pas tant une réalité matérielle que « la tendance de l'homme déchu à donner plus de valeur,à accorder, plus de crédit aux choses, visibles, tangibles, terrestres qu'aux choses invisibles, spirituelles, célestes » (1). C'est l'attachement à tout ce qui est dans le monde : « convoitise de la chair, convoitise des yeux et orgueil de la vie » (I, Jean, II, 16). Mais « celui qui sème pour la chair, moissonnera la corruption » (Galat., VII, 8), et « la corruption n'hérite point l'incorruptibilité : la chair et le sang ne peuvent donc hériter le royaume de Dieu » (I, Cor., XV, 50). C'est pourquoi « les sentiments que fait naître la chair produisent la mort » (Rom., VIII, 6). Le monde est asservi à la Puissance des ténèbres, de sorte que ceux qui vivent selon la chair sont voués aux oeuvres stériles des ténèbres et de la mort.
 

     Celui qui ne sème pas pour la chair, mais pour Esprit, celui-là « moissonnera de l'Esprit la vie éternelle » (Galat., VI, 8) ; car « les sentiments que fait naître l'Esprit produisent la vie et la paix » (Rom., VIII, 6). « La chair ne sert de rien ; c'est l'Esprit qui vivifie » (Jean, VI, 63). Si « le corps est mort à cause du péché, l'esprit est vivant à cause de la justification » (Rom., VIII, 10). Esprit de vérité, il renouvelle notre intelligence pour « la pleine connaissance » (Coloss., III,10). Esprit de sagesse et de révélation, il nous dicte les paroles « qu'enseigne l'Esprit, exposant les choses spirituelles dans un langage spirituel » (I, Cor.,II, 13). Esprit de sanctification, il nous affranchit « de la, servitude de la corruption pour nous donner part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu » (Rom., VIII, 21). « Ne vivez donc pas selon la chair, mais selon l'Esprit, écrit l'Apôtre aux Romains ; en effet, si vous vivez selon la chair, vous devez mourir, mais, si par l'Esprit vous faites mourir les oeuvres du corps, vous vivrez » (Rom., VIII, 9-14). Et de même que « ceux qui vivent selon la chair, s'attachent aux choses de la chair, ceux qui vivent selon l'Esprit s'attachent aux choses de l'Esprit » (Rom., VIII, 5), c'est-à-dire, non plus « aux choses qui sont de la terre, mais à celles qui sont d'en-haut » (Coloss., III, 2), à savoir « l'amour, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance » (Galat., V, 22). Tels sont les « fruits de l'Esprit » : ils confèrent à notre âme la sainteté dans la justice ; ils font passer ceux qui s'en nourrissent, de la mort à la vie qui ne finit point.
 

     Ceux, en effet, qui sont conduits par le Christ, sont fils de Dieu ; car le Seigneur est l'Esprit ; et, là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté » (II, Cor, III, 17). « Dieu nous a donné dans nos coeurs les arrhes de l'Esprit » (II, Cor., I, 22) et « l'Esprit rend lui-même témoignage à notre esprit que nous. sommes enfants de Dieu ». Il n'est donc pas, comme « l'esprit du monde », un « esprit de servitude », qui nous garde dans la crainte, mais un « esprit d'adoption par lequel nous crions : Abba, c'est-à-dire Père » (Rom., VII, 15-17). Et l'Esprit du Père, « qui habite en nous » (I, Cor., III, 16)i le monde ne l'a pas connu ; mais celui que le Père a envoyé dans le monde l'a révélé à ceux qui lui ont été donnés par le Père : « j'ai manifesté ton nom aux hommes que tu m'as donnés du milieu du monde, s'écrie Jésus dans la prière qu'il adresse au Père avant de subir sa passion ; ils étaient à toi et tu me les a donnés et ils ont gardé ta parole » (Jean, XVII, 6). « La, grâce et la vérité, en effet, sont venues par Jésus-Christ » (Jean, I, 17) ; c'est en Jésus-Christ, dit saint Paul, que la loi de l'Esprit de vie nous a « affranchis de la loi du péché et de la mort » (Rom., VIII, 2).
 

     Le monde, sans doute, n'a pas reçu « Celui qui est venu dans le monde comme une lumière » (Jean, XII, 46) ; car le monde a « mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que ses oeuvres étaient mauvaises » (Jean, III, 19). Mais à tous ceux qui l'ont reçu et qui ont cru en son nom , parce qu'ils ne sont pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, « il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jean, I, 12, 13). Et « ceux qui sont de Dieu écoutent la parole de Dieu », (Jean, VIII, 47). Ils ont compris que « Dieu les appelait des ténèbres à son admirable lumière » (I, Petr., 11, 9), et ils ont cru en la parole de Celui qu'il a envoyé et qui a dit : « Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde... Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie... Marchez pendant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous surprennent ; celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va. Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière afin que vous deveniez des enfants de lumière » (Jean, .IX, 5 ; VIII, 12 ; XII, 35). Saint Paul fait écho à l'enseignement du divin Maître : « Autrefois vous étiez ténèbres, écrit-il aux Éphésiens, mais à présent, vous êtes lumière dans le Seigneur. Marchez comme des enfants de lumière, car le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité » (Ephès., V, 8-9). « Vous frères, écrit-il pareillement aux Thessaloniciens, vous n'êtes pas dans les ténèbres vous êtes tous enfants de la .lumière et du jour; nous ne sommes pas les enfants de la nuit, ni des ténèbres » (Thess., V, 4-5). Saint Jean tient le même langage dans sa lettre aux fidèles d'Ephèse : « Voici le message que vous avez entendu de lui, c'est que Dieu est lumière et qu'il n'y a pas en lui de ténèbres... Si nous marchons dans la lumière comme il est lui-même dans la lumière, le sang de Jésus, son Fils, nous purifiera de tout péché » (I, Jean, I, 5-7).

     C'est qu'en effet la lumière qui a été envoyée dans le monde est la lumière de la vie : « dans le Verbe était la vie, écrit saint Jean, et la vie était la lumière des hommes » (Jean, I, 5). « je suis la résurrection et la vie », disait Jésus ; « mes paroles sont esprit et vie » (Jean, XI, 25 ; VI, 64). Non point la vie telle que le monde la donne et qui passe avec sa convoitise ; mais la vie éternelle. « Celui, répète Jésus, qui refuse de croire au Fils ne verra point la vie ; mais celui qui croit au Fils a la vie éternelle... Celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m'a envoyé a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. Car, comme, le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils , d'avoir la vie en lui-même... Mes brebis entendent ma voix et. elles me suivent : je leur donne la vie éternelle » (Jean, III, 36 ; V, 24-26 ; X,, 28). Il ne s'agit pas ici d'une promesse ou d'une espérance ; ceux qui croient au Fils « possèdent » dès à présent la vie éternelle. La parole de Jésus est formelle ; « en vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle » (Jean, VI, 46) ; c'est comme une « source d'eau vive qui jaillit en lui » (Jean, IV, 14) : « si quelqu'un a soif, s'écrie Jésus dans le Temple, qu'il vienne à moi et qu'il boive» (Jean, VII, 37). La vie éternelle, tel est le don que Dieu, dans son amour, nous a fait par Jésus-Christ, alors que « nous étions morts par nos fautes » (Ephès., I, 5) : « le salaire du péché c'est la mort, dit l'Apôtre, mais le don de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus-Christ, Notre Seigneur » (Rom., VI, 23).
 

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        « Réveille-toi, toi qui dors ; relève-toi d'entre les morts et le Christ t'illuminera » (Ephès., V, 14).

Gabriel HUAN.

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(1) R. P. Valentin M. BRETON, Renaître, retraite fondamentale, Paris 1938, p. 170.