Le Témoignage de l'Église
« Là, où deux ou trois sont assem-
blés en mon Nom, je suis au milieu 
d'eux. »(Matth., XVIII, 20).


     Dans une étude sur le Témoignage des Saints, nous avons essayé de montrer que, bien loin de n'être plus qu'un souvenir qui s'effacerait peu à peu de la mémoire des hommes, le Christ demeurait toujours vivant parmi les siens, non seulement par son esprit, mais par sa personne tout entière, à la fois dans sa nature divine et dans sa nature humaine. Mais nous disions déjà qu'à côté du témoignage des Saints il y avait aussi le témoignage de son Église, pour nous garantir que notre foi n'est pas vaine. C'est ce témoignage que nous voudrions invoquer aujourd'hui.

I

     « Si, par la faute d'un seul, dit Saint Paul, la mort a régné par ce seul homme, à plus forte raison ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce et du. don de la Justice régneront-ils dans la vie par le seul Jésus-Christ. Ainsi donc, comme par la faute d'un seul la condamnation est venue sur tous les hommes, ainsi par la justice d'un seul, vient à tous les hommes, la justification qui donne la vie. » (Rom.,V, 17-18). « Comme tous meurent en Adam, écrit encore le grand Apôtre, de même tous revivront dans le Christ » (1 Cor. XV. 22). De sorte que toute l'histoire religieuse de l'humanité peut être ramenée à celle de deux hommes : le premier et le nouvel Adam, l'un qui nous a tous perdus en lui, l'autre qui nous a tous sauvés en lui ; car, de même que le premier homme contenait en lui toute l'humanité, le second aussi a contenu en lui toute l'humanité : « personne, dit Saint Augustin, ne naît à la mort si ce n'est par Adam ; personne ne naît à la vie, si ce n'est par le Christ. » (1).

     Mais pour naître à la vie par le Christ il faut « revêtir le Christ » (Galat., III, 27) ; et quiconque a revêtu le Christ est devenu, en lui, une « nouvelle créature » (II. Cor., V, 17). Il faut mourir avec lui au péché pour ressusciter avec lui dans la justice de Dieu. « Nous sommes héritiers avec le Christ, si toutefois nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui. » (Rom., VIII, 29). Car c'est seulement, « si nous sommes morts avec lui que nous vivrons avec lui ». (II Tim., 11, 12). « je suis con-crucifié au Christ, s'écrie Saint Paul, et je vis... Mais alors ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi ». (Galat., II, 19-20).

     Nous ne pourrons vivre, en effet, dans le Christ qu'à la condition qu'il vive en nous, comme le fondement de tout notre édifice spirituel, comme la racine à laquelle s'attache tout notre être pour y puiser la sève qui nourrit et féconde, comme l'organisme qui relie tous les membres et une synergie où s'affirme l'unité de tout le corps vivant. » C'est dans le Christ, dit Saint Paul, que tout l'édifice bien ordonné s'élève pour former un temple saint dans le Seigneur » (Ephès, 11, 21). « Comme vous avez reçu le Christ-Jésus, le Seigneur, écrit l'Apôtre aux fidèles de Colosses, ainsi marchez en lui, étant enracinés en lui. » (Coloss., II, 6-7) ; car, si la racine est sainte, les branches le sont aussi ». (Rom, XI, 16). Et, pour finir, ce texte capital : « comme le corps est un et a plusieurs membres, et, comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu'un seul corps, ainsi le Christ. » (l. Cor., XII, 12)

II

     Le Christ, qui est « l'éternel vivant », (Apoc., 1, 18) et qui renferme en lui toute l'humanité, nouvel Adam, non plus « tiré de la terre », mais « venu du Ciel » (I. Cor, XV, 47), nous apparaît ainsi comme le corps immense dont tous les Chrétiens forment les membres : « vous êtes le corps du Christ et membres les uns des autres. » (I. Cor., XII, 27) ; « nous qui sommes plusieurs, nous ne faisons qu'un seul corps en Christ, et, chacun en particulier, nous sommes membres les uns des autres. » (Rom. XII, 5). Aussi quelle n'est pas la dignité du chrétien, non seulement dans son âme, mais même dans son corps : « Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? » (I. Cor, VI, 15).. Celui qui s'attache au Seigneur ne fait pas seulement « un seul esprit avec lui », (I. Cor., VI, 17), mais aussi un seul corps avec lui, et il cesse vraiment tout entier de s'appartenir.
 

     Une première conséquence de cette incorporation de tous les :chrétiens dans le Christ, c'est l'abolition de tous les séparatismes, de toutes les distinctions de nationalité, de classe ou de sexe : « il n'y a plus ni juif, ni grec ; il n'y a plus ni esclave ni homme. libre ; il n'y a plus ni homme ni femme ; car, tous vous ne formez qu'une personne en Jésus-Christ. » (Galat., III, 28). « Vous avez revêtu l'homme nouveau, écrit pareillement l'Apôtre aux Colossiens, qui, se renouvelant sans cesse, à l'image de celui qu'il a créé, atteint la science parfaite. Dans ce renouvellement il n'y a plus ni grec, ni juif, ni circoncis, ni incirconcis, ni barbare, ni scythe, ni esclave, ni homme libre, mais Christ, tout en tous ». (Coloss., III, 9-11).
 

     Un nouvel ordre de grâce est ainsi constitué, qui appelle tous les hommes « à la communion de Jésus-Christ, Notre Seigneur » (1. Cor., 1-9). Et par cette communion au Christ tous les hommes à leur tour entrent « en. communion les uns avec les autres ». (1. Jean, 1. 7) : « Tous, nous avons été baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps, soit juifs, soit grecs, soit esclaves, soit libres ». (I. Cor., XII, 13). « Il y a, écrit l'Apôtre aux Ephésiens, un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. (Ephès., IV, 4-5). C'est plus particulièrement dans la communion au corps et au sang du Christ que réside et se manifeste l'union de tous les chrétiens dans le Sauveur : « le calice de bénédiction que nous bénissons n'est-il pas une communion au sang du Christ ? Et le pain que nous rompons n'est-il pas une communion au corps du Christ ? Puisqu'il y a un seul pain, nous formons un seul corps tout en étant plusieurs, car nous participons tous à un même pain. » (I. Cor., X, 16-17). « Moi en. eux et toi en moi, afin qu'ils soient consommés dans l'unité » (Jean, XVII, 23) : cette unité de tous les Chrétiens dans le Christ et par le Christ dans le Père, c'est proprement l'Église.

III

     Non pas que, dès à présent, elle soit déjà cette Église «glorieuse, n'ayant ni tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et irrépréhensible » (Ephès., V, 27) que le Christ doit présenter à son Père lorsque, à la fin des temps, il remettra toutes choses entre ses mains. Dans le champ où le Seigneur n'avait semé que du bon grain, l'ennemi a jeté l'ivraie et, tant que l'heure de la moisson ne sera pas arrivée, il serait imprudent de vouloir séparer l'ivraie du froment (Matth., XIII, 29 et suiv.). Ainsi l'Église n'est pas, en ce monde, exclusivement composée de justes et de parfaits et le mélange doit durer jusqu'au vannage définitif.
 

     En attendant le jugement qui doit intervenir et qui est confié au Fils de l'homme, le devoir des bons et des justes est de supporter sans amertume un fâcheux voisinage. « Ne t'irrite pas, dit le Psalmiste, au sujet des méchants ; ne t'indigne pas à propos de ceux qui font le mal. » (Ps., 36). Serait-il convenable de se détacher de l'unité, pour le motif, qu'il y a beaucoup de loups dans la bergerie ? Cette unité est d'ailleurs beaucoup plus vaste et compréhensive que ne pourraient le faire supposer les apparences. Non seulement nous n'avons le droit de juger personne ; mais de plus est-il certain qu'il y a beaucoup de brebis qui errent encore au dehors du bercail : « selon la prescience de Dieu, dit Saint Augustin, beaucoup de ceux qui semblent en dehors sont au dedans et beaucoup qui paraissent au dedans sont en dehors. » (2).
 

     Du moins, est-il permis d'affirmer que l'Église est et demeurera jusqu'à la fin des siècles un corps en croissance et en lutte, mais qui marche vers sa glorification sous la conduite de son chef, le Christ « c'est lui, dit Saint Paul, qui a fait les uns apôtres, d'autres prophètes, d'autres évangélistes, d'autres pasteurs et docteurs, en vue du perfectionnement des saints, pour l'oeuvre du ministère, pour l'édification du corps du Christ, jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité de la foi, à l'entière connaissance du Fils de Dieu, faisant tous ensemble un homme de pleine taille, grand de la stature qui sied à la plénitude du Christ. » (Ephès. IV, 11-14). L'Église est le corps du Christ et la tête de ce corps, c'est le Christ lui-même : « il est la tête du corps de l'Église, lui qui est le principe, le premier-né d'entre les morts, afin qu'en toutes choses il tienne, lui, la première place, car il a plu à Dieu que toute plénitude habitat en lui ». (Coloss., I, 18-19) « Dieu, dit encore l'Apôtre aux Ephésiens, a tout mis sous ses pieds et il l'a donné pour chef suprême à toute l'Église qui est son corps, plénitude de celui qui remplit tout en tous. » (Ephès., I. 22-23).
 

     Et, parce que toute plénitude réside en lui, « c'est de lui aussi, continue Saint Paul, que tout le corps, bien coordonné et uni ensemble, grâce au secours mutuel des membres qui opèrent chacun selon sa mesure, produit l'accroissement de lui-même pour son propre agrandissement dans la charité. » (Ephès., IV, 16). L'Église est un corps en croissance ; mais ce n'est pas d'elle-même, de si seule substance qu'elle tire son développement et construit son édifice ; c'est de la tête, du Christ qui la dirige, l'inspire et l'anime tout entière : « c'est du chef que tout le corps, disposé et solidement assemblé au moyen des nerfs et des jointures, tire l'accroissement que Dieu lui donne ». (Ephès., II , 19). La croissance du corps témoigne ainsi de l'action vivifiante de la tête qui, parce qu'elle possède la vie en soi, est apte à la répandre dans tout le corps, de façon à le conduire au terme de son développement.
 


IV

     Ce terme, c'est précisément l'édification de l'Église à la stature du Christ total, la plénitude du Christ, son achèvement définitif. Parce que l'Église continue le Christ, prolonge sur cette terre son Incarnation en développant toutes les virtualités de grâce et de sanctification qui y sont contenues, de sorte que tout ce qui est en puissance dans le Christ s'actualise et s'explicite dans les membres de son Église, il est vrai de dire que sans cette Église le Christ serait incomplet. Tête et corps, voilà tout le Christ : « Le Christ, dit Saint Augustin, ce n'est pas seulement la tête, c'est aussi le corps. » (3)..Pour avoir le Christ tout entier, il faut donc le prendre dans l'Église qui est son corps et dont il est la tête. » Qu'est-ce que l'Église ? demande Saint Augustin, le corps du Christ. Ajoutez-lui la tête et cela fait un seul homme, car la tête et le corps ne font qu'un homme. La tête, qui est-elle ? Celui qui est né, de la Vierge Marie. Son corps, qui est-il ? son, épouse, c'est-à-dire l'Église... Et le Père a voulu que les deux ne fassent qu'un seul homme : le Christ-Dieu et l'Église. » (4). Parce qu'elle est nécessaire à sa consommation, dans l'Église est contenue la plénitude du Christ, son « plérôme » : « si les justes ne ressuscitaient pas tous jusqu'au dernier, le corps du Christ demeurerait incomplet. » (5).

     Mais gardons-nous d'oublier que cette plénitude ne vient pas au Christ par les membres de son Église et qu'elle est tout entière issue de lui-même, de ses mérites infinis, de ses vertus surnaturelles de grâce et de sanctification, dont l'application à son corps mystique fait toute la vie et l'activité des siens. Sans lui, en effet, nous ne pouvons rien .; mais nous pouvons tout en lui qui nous fortifie (Phil. IV, 13). En toutes choses il demeure le principe et l'origine, la source et le fondement : « tout a été créé par lui et pour lui ; il est lui, avant toutes choses, et toutes choses subsistent en lui » (Coloss., I, 16-17) ; car « il a plu à Dieu que toute plénitude habitât en lui et de réconcilier par lui toutes choses avec lui-même, soit celles qui sont sur la terre, soit celles qui sont dans les Cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. » (Coloss.,I, 19-20).

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     « Demeurez en moi et moi. en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure dans la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi. je suis la vigne, vous les sarments. Celui qui demeure en moi et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; parce que sans moi . vous ne pouvez rien faire. »(Jean, XV, 4-6).

Gabriel HUAN.
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(1) Sermon CCXCIII.
(2) De bapt., V. 27.
(3) In Psalm LVIII
(4). Serm. X.LV.
(5) S. BRUNO, ln Ephésios, 1.