LUMEN CHRISTI

« Je suis la lumière du monde ;
celui qui me suit ne marchera pas
dans les ténèbres, mais Il aura la
lumière de la vie. »
(Jean, VIII, 12).


 


     La Liturgie, si riche en enseignements pour qui dévoile ses symboles, veut qu'aux cérémonies du Samedi-saint le diacre porte processionnellement à travers l'Église un cierge triangulaire et que s'avançant vers l'autel, il allume successivement les trois branches, en criant chaque fois d'une voix de plus en plus haute : Lumen Christi. Lumière du Christ, qui porte en lui la lumière du Verbe divin ; Lumière du Christ, qui rayonne à travers son humanité sainte, à la fois dans son âme et dans son corps ; Lumière du Christ, qui éclaire tous les hommes, les vivants et ceux qu'on appelle les morts. Lumière qui ne s'éteint point, parce qu'elle est un reflet « de la face de Dieu » (Ps. IV, 7) ; Lumière qui est venue dans le monde, « afin qu'aucun de ceux qui croiront ne demeure dans les ténèbres » (Jean, XII, 46) ; Lumière qui est la vie et donne la vie, de sorte que tous ceux qui l'auront reçue seront « les fils de la Lumière , (1 Thess, V, 5) et « marcheront dans la lumière du Seigneur ». (Ps. 88, 15).

I

     « Dieu est lumière, dit Saint-Jean et il n'y a point en Lui de ténèbres. » (1° Ep. I, 5). Tout ce qui participe de la nature divine est donc, par essence, pure lumière, lumière parfaite. Parce que le Christ est le Verbe incarné, sa nature humaine n'est pas seulement unie à la nature divine, d'une union indéfectible et permanente , elle n'a elle-même de subsistance que par la personne du Verbe qui l'a assimilée à l'instant de sa conception dans le sein de la Vierge par l'opération de l'Esprit-Saint. Ainsi le Christ est à la fois homme et Dieu et, en tant qu'il est Dieu, dans la Subsistance de la seconde Personne de la Trinité, « il est la lumière et il n'y a point en lui de ténèbres. »

     « je suis venu dans le monde comme une lumière, crie Jésus aux juifs qui le repoussent, afin qu'aucun de ceux qui croient en moi ne demeure dans les ténèbres. » (Jean, XII, 46). La guérison de l'aveugle né, à qui Jésus a rendu la vue, « afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui », marque bien que le message de l'Envoyé de Dieu est avant tout une annonce de la lumière qui est descendu d'en haut pour être « révélée aux nations » (Luc., II, 32), afin d'éclairer « ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort ». (Luc.,I, 79). Aussi, après le miracle de la guérison, le Maître a-t-il soin d'expliquer son geste par cet enseignement : « Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde ». (Jean, IX, 5). Et, lorsqu'il annoncera à la foule surprise que l'heure est proche où il va être « élevé de terre », il lui jettent ce suprême appel : « la lumière n'est plus que pour un temps au milieu de vous. Marchez, puisque Vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous surprennent. Celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va. Puisque vous avez la lumière, croyez en la lumière afin que vous soyez des enfants de lumière ». (Jean, XII, 35-36).

     Saint-Jean, dont l'âme ardente était toute illuminée de l'amour de son Maître, avait bien compris de quelle nature il était, lorsqu'il déclarait au début de son Évangile : « en Lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas reçue... Il était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant dans ce monde ». (Jean,I, 4-5 ; 9). Et l'Apôtre ne se lassera pas, au cours de sa prédication, de répéter à ses fidèles qu'ils doivent avant tout demeurer dans la lumière du Christ : « Si nous disons que nous sommes en communion avec Lui et que nous marchons dans les ténèbres nous mentons et nous ne pratiquons pas la vérité. Mais, si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres et le sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péché ». (1°Ep.I, 6-7).
 


II

     « C'est dans la lumière de Dieu, remarquait déjà le Psalmiste, que nous voyons la lumière ». (Ps. XXXV, 9). A quel homme cette vérité pourrait-elle s'appliquer plus justement qu'à Celui qui fût l'Homme-Dieu ? Parce que sa nature humaine n'a pas cessé un seul instant d'être unie à la nature divine, le Christ occupe dans l'échelle des êtres le point le plus élevé qu'une créature pût atteindre : il touche à la Divinité elle-même par toute sa nature humaine, à la fois dans son âme et dans son corps. Comment dès lors ne pas retrouver dans la nature humaine du Christ, mieux qu'un reflet de la lumière divine, un rayon même de cette lumière ?

     L'immaculée conception de Marie a exempté son fils de la tache originelle ; il n'y a donc dans l'âme de Jésus aucune trace du péché adamique et, par conséquent, aucune souillure, aucune obscurité, aucune ombre. Toute pureté, son âme est aussi toute clarté. Pleinement translucide à elle-même, elle se connaît toute entière et absolument, telle qu'elle a été façonnée par le Créateur. Donc en elle point de repli ou de tréfonds qui se dérobe aux investigations du regard intérieur ; pas même de subconscience qui enveloppe d'une pénombre plus ou moins épaisse le centre éclairé de la conscience ; encore moins d'inconscient où puissent se dissimuler ces instinct,; de l'animal humain qui n'affleurent le plus souvent à la surface du psychisme que dans les images désordonnées du rêve.

     Parce qu'elle se connaît telle qu'elle est véritablement dans la pensée divine, l'âme de Jésus aperçoit immédiatement et sans confusion son état de créature et sa dépendance à l'égard du créateur ; de là son attitude d'adoration envers le Père, qui est faite d'humilité, de reconnaissance et d'amour. Et non seulement elle sait qui elle est et d'où elle vient, mais encore pourquoi elle est venue dans le monde ; et ainsi sa mission lui a été rendue manifeste dès le premier jour. Donc point de science qui lui soit étrangère ; point d'être ou de chose qui échappe à son jugement. L'univers lui est transparent comme un cristal sans défaut et elle sait toutes choses comme elle se sait elle-même. A cette science infuse, totale, universelle, s'ajoute une prérogative plus excellente encore : elle possède dès sa vie terrestre la vision béatifique, de sorte que Dieu ne cesse à aucun moment de lui être aussi présent qu'elle l'est à elle-même. Elle est, elle vit, elle se ment dans la lumière de Dieu comme en son milieu naturel et le rayonnement de la gloire divine l'enveloppe tout entière, la pénétrant jusqu'à la moelle de son essence et dirigeant toutes ses activités « la gloire de Dieu, dit Saint Paul, resplendit sur la face du Christ. » (II. Cor., IV, 6).

III


 


     Transfigurée dans son âme par la lumière de Dieu, se pourrait-il que l'humanité du Christ ne fût pas aussi transfigurée dans son corps par cette même lumière ? Ce qui s'est passé au Thabor, où le visage de Jésus « resplendit comme le soleil » (Matt., XVII, 2), est déjà assez significatif. Mais relisons les Évangiles et demandons-nous comment le fils de Marie a pu échapper à ses ennemis qui, à Nazareth, l'entraînèrent au bord du précipice pour le jeter dans l'abîme ; comment, dans le temple de Jérusalem, il disparut à plusieurs reprises du milieu de la foule qui l'entourait pour le lapider. Demandons-nous comment il marcha sur la mer pour rejoindre ses disciples qui l'avaient quitté après la multiplication des pains, et comment, dès qu'il fut monté dans la barque, celle-ci, qui était éloignée du rivage, atterrit aussitôt. Et, lorsqu'après sa résurrection, il apparaîtra à ses Apôtres enfermés dans le Cénacle, est-ce qu'il se manifestera à eux sous un autre aspect que celui tout au moins dans sa forme visible, fait de chair et d'os (cf. Luc., XXIV,39-44), à ce point que ceux qui le rencontreront sur le chemin d'Emmaüs le prendront pour un étranger ? Et c'est cependant avec ce corps fait de chair et d'os qu'il entrera dans le Cénacle, toutes portes et fenêtres closes.

     Dira-t-on que, si le Christ avait possédé avant la résurrection son corps de gloire, les juifs n'auraient pu le faire souffrir et le crucifier, puisque le Corps de gloire a pour dot l'impassibilité ?

     On admet pourtant qu'après la Résurrection le Christ fut mis en possession de son corps de gloire et que cependant ce corps de gloire, sous lequel il se manifesta à ses Apôtres, portait les cicatrices de la Passion. Observons, en outre, que, selon les théologiens, du fait que le Christ est monté au Ciel, il ne lui a rien été ajouté quant aux choses qui sont de l'essence de la gloire, soit au point de vue de l'âme, soit au point de vue du corps. Le corps du Christ a donc possédé sur la terre, dès sa résurrection, tous les attributs de la gloire. Concluons qu'il les possédait déjà avant sa Passion. « Les dons que posséderont les corps glorieux après la résurrection, dit très bien RUYSBROEK, le Christ les a déjà manifestés en son corps mortel. Il a montré sa clarté lors de la transfiguration ; son impassibilité, lorsque le jeudi-saint il s'est donné lui-même en nourriture, ,avec des paroles de grande tendresse sans avoir nullement à souffrir ; sa subtilité en sa naissance, qui laissa intacte la virginité de sa mère ; son agilité, enfin, lorsqu'il marcha sur les eaux ». (Le Livre du Royaume des Ainants de Dieu, ch. XXXVIII).

     C'est précisément parce que le Christ a possédé pendant tout le cours de sa vie terrestre, dès sa naissance; un corps glorieux que l'Épître aux Hébreux peut dire de ce corps « qu'il n'a pas été construit de main d'homme, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas, à cette création » (IX, 11). Quelqu'ait été le corps d'Adam au moment même où il fut formé par Dieu, il est certain que la faute originelle a eu pour effet de le dégrader en un corps de péché, de ténèbres et de mort (Rom. VII, 24). Comment le corps du nouvel Adam, de celui qui fut exempt de tout péché, ne serait-il pas, de droit, un corps de lumière et de vie ? « S'il y a un corps animal, dit l'Apôtre, il y a aussi un corps spirituel ». C'est en ce sens qu'il est écrit : « le premier homme, Adam, a été doué d'une âme vivante » ; le dernier Adam. l'a été d'un esprit vivifiant. Mais ce qui est spirituel n'est pas le premier, c'est ce qui est animal ; ce qui est spirituel vient ensuite. Le premier homme, tiré de la terre, est terrestre ; le second, venu du ciel,. est céleste. »(I. Cor., XV, 44-48).

     Comprend-on maintenant pourquoi, si le Christ est né de la Vierge Marie, il fuit conçu, non pas « ex sanguiffibus et voluntate carnis » (Jean, I., 13), mais bien « de Spiritu Sancto », comme le Symbole des Apôtres, afin qu'il n'y eût rien en lui, dans sa chair comme dans son âme, qui ne fût pureté, clarté, lumière ? Seule, la résurrection qui doit intervenir à la fin des temps, et qui sera pour chacun des élus comme une nouvelle naissance, revêtira de son manteau de gloire notre chair, « transformée » (I. Cor., XV, 52) à l'image de la chair du Christ, de sorte que notre corps, « semé corps animal, ressuscitera corps spirituel » (I. Cor., XV, 44). Le Christ, lui, parce qu'il est né de Dieu, a reçu sans délai, dès le premier instant de sa vie ,terrestre, le corps de lumière et de vie qui convenait à son âme toute illuminée des clartés d'En-Haut.

      Lumière par sa divinité, lumière dans son humanité sainte, le Christ, qui s'est incarné pour notre salut, ne devait-il pas « nous appeler à son admirable lumière » ? (I. Pet.II, 9). « Dieu qui a fait jaillir la lumière des ténèbres, répond Saint Paul, .a fait luire sa lumière dans nos coeurs » (II, Cor, IV, 6). « Rendons grâces à Dieu le Père, dit encore l'Apôtre des Gentils, de nous avoir rendus dignes de prendre part à l'héritage des Saints dans la lumière, en nous délivrant de la puissance des ténèbres, pour nous transporter dans le royaume du Fils de son amour, en qui nous avons la rédemption par son sang, la rémission des péchés ». (Coloss., 1, 12).

     Si, en effet, « la lumière est venue dans le monde » (Jean, IV, 19), c'est « afin qu'aucun de ceux qui croient ne demeure dans les ténèbres » (Jean, XII, 46) et que nous marchions « comme des enfants de la lumière » (Ephes, V, 8). Le Grand-Prêtre CAIPHE n'avait-il pas prophétisé, quand il avait dit que Jésus devait mourir pour la nation, « et non seulement pour la nation, mais afin de réunir en un seul corps les enfants de Dieu qui sont dispersés ? » (Jean, XI, 52). C'est bien de ces « enfants de Dieu », éclairés par l'Esprit du Christ et réunis en un seul corps qui est son Église, qu'il est vrai de dire qu'ils composent « la communauté de la lumière ».

     Sans doute, tous ceux qui font partie de cette « communatité » ne sont-ils pas des Parfaits, mais tous ils doivent tendre à la perfection, selon la volonté du Divin Maître (Matth., V, 48), par la pratique fidèle et persévérante, non seulement de ses préceptes, mais encore de ses conseils. Celui qui, aime ne ménage pas le don de son amour ; et quel plus beau témoignage pourrions-nous offrir à Dieu de notre amour, que de garder sa parole et d'obéir à ses commandements ? « Celui qui a mes commandements, dit Jésus, et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime. » (Jean, XIV, 21).

     Certes, l'oeuvre est difficile, car le serviteur n'est pas plus grand que son maître : « Vous aurez des tribulations dans le monde ; mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde ». (Jean, XVI, 33). Le Prince de ce monde a été jugé et jeté dehors ; la Puissance des ténèbres a perdu son empire. La route est libre désormais ; ouverte par le Crucifié du Calvaire, elle monte vers les sommets d'où l'on découvre la nouvelle Jérusalem, « dont l'Agneau est le flambeau (Apoc., XXI, 23) ; il suffit de prendre sa croix et de le suivre pour s'élever par Lui, avec Lui, en Lui vers la lumière qui ne s'éteint point, dans la communion des vivants et des morts.

Gabriel HUAN.