RETOUR À L'ÉVANGILE

« J'ai examiné mes voies et j'ai ramené mes pas
dans le sentier de Tes enseignements ».
(Psaume 119, 59).

I

     « Sache, écrit saint Paul à son disciple Timothée, sache que les derniers jours il y aura des circonstances difficiles ; car les hommes seront égoïstes, cupides, fanfarons, hautains, blasphémateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, irréligieux, sans affection, sans loyauté, calomniateurs, intempérants, cruels, ennemis des gens de bien, traîtres, emportés, enflés d'orgueil, aimant le plaisir plus que Dieu, ayant l'apparence de la piété sans en avoir la réalité... apprenant toujours sans pouvoir jamais arriver à la connaissance de la vérité. » (II, Tim., III, 1 et suiv.).

     Ne suffit-il pas de regarder autour de soi et de considérer la conduite des hommes dans leur vie privée comme dans leur vie publique pour se demander si, vraiment, les temps annoncés par l'apôtre ne sont pas arrivés ? Les individus n'ont plus aujourd'hui d'autre préoccupation que d'assurer leur bonheur personnel sur la terre, c'est-à-dire un bonheur qui leur appartienne en propre, quoiqu'il advienne par ailleurs de l'Univers, et un bonheur qui se satisfasse pleinement dans la seule jouissance des choses de ce monde. La poursuite d'intérêts particuliers, exclusivement limités à la possession de biens matériels, a pris sur la recherche des valeurs morales et spirituelles une telle prépondérance que, dans tous les domaines où s'exerce son activité, l'homme ne sait plus attacher son coeur qu'à des formes qui n'ont du vrai bien que l'apparence et ne sont au fond que poussière et vanité. De là cet état de désarroi et de déséquilibre qui caractérise le malaise contemporain. Ainsi le monde va lentement à sa perte et la question est de savoir s'il est encore un remède au mal profond qui désagrégé peu à peu toutes les forces vives de l'humanité.

     Selon certains, tous les choix sont faits et les dés sont jetés, de sorte qu'il n'y aurait plus de salut pour ceux qui se sont détournés de la voie droite et suivent désormais, sans espoir de retour, le chemin qui les conduit à la perdition. Mais n'est-il pas dit qu'il ne faut pas éteindre le lumignon qui fume encore ? Doit-on pousser à l'abîme ceux qui trébuchent et vont tomber ? La partie est-elle jouée pour tous et n'est-il plus d'autre attitude possible que l'attente de la fin qui approche ? Non, à ceux qui sont assis à « l'ombre de la mort », il est encore temps d'administrer des recettes qui procurent la vie ; à ceux qui se sont égarés dans les ténèbres, il est encore temps d'enseigner les voies qui mènent à la lumière ; à ceux qui souffrent et n'ont plus d'espérance, il est encore temps d'apporter les paroles qui donnent la paix et qui consolent ; à tous ceux qui sont d'en-bas, il est encore temps de révéler les choses qui sont d'en-haut. Là où le péché a abondé, la grâce surabondera ; personne n'est condamné avant qu'il soit trop tard et pour personne il n'est déjà trop tard.

     Mais, s'il est vrai que le salut est encore offert à tous les hommes de bonne volonté, ce salut n'est possible qu'à une condition : le retour à l'Évangile , à ses préceptes, à ses commandements. Car l'Évangile, seul, possède les paroles de la Vérité et de la Vie ; et quiconque entend ses paroles et les met en pratique, ne peut plus mourir ; il porte désormais en lui les semences de la vie éternelle. Retour à l'Évangile, tel doit être, aux heures graves que nous traversons, le mot d'ordre de tous ceux qui ont à coeur le salut de leurs frères.
 


II

     Que sert en effet, à l'homme « de gagner le monde, s'il vient à perdre son âme ? » (Matth., XVI, 26). Mais que devons-nous faire pour sauver notre âme ? « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ », répond saint Paul (Rom., XIII, 14). Il est la Vie, Il est la Lumière, Il est la Paix, Il est la Liberté. C'est « en Lui que toutes choses ont été créées » (Coloss.,I, 16) ; c'est en Lui que toutes choses doivent être « instaurées » (Ephès.,I, 10). « Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure attaché au cep, avait déjà dit le Divin Maître, ainsi vous ne le pouvez pas non plus, si vous ne demeurez en moi. Je suis la vigne et vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et moi en lui porte beaucoup de fruit, car sans moi, vous ne pouvez rien faire ». (Jean, XV, 4-6).

     On se doute bien que l'habitation du Christ en nous exige et suppose une ascèse préalable qui transforme toute notre substance humaine. Si nous voulons que sa Parole demeure en nous, afin que nous demeurions en Lui, il faut, en effet que par une conversion totale, un « retournement » de notre être, nous ayons tout d'abord « dépouillé le vieil homme », avec ses convoitises, « convoitise de la chair, convoitise des yeux, orgueil de la vie » (1, Jean,II, 16), et « revêtu l'homme nouveau », façonné « à l'image de son Créateur » (Coloss.,III, 9), « dans une justice et une sainteté véritables » (Ephès., IV, .24). Ce « renouvellement » de tout l'homme intérieur, « dans l'esprit de notre intelligence », « pour .la connaissance », est en vérité une « régénération ». Jésus, dans son entretien avec Nicodème, l'assimile à une « renaissance » : « ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est esprit. Ne t'étonne pas de ce que je t'ai dit : il faut que vous naissiez de nouveau... Aucun homme, s'il ne naît de nouveau, ne peut voir le royaume de Dieu » (Jean, III, 3-8).

     On comprend dès lors ce que signifie la parole : « redevenez comme de petits enfants » (Matth., XVIII, 3). C'est avec une âme toute neuve, un coeur rajeuni, une intelligence dépouillée que celui qui veut avoir accès au royaume de Dieu doit s'approcher de l'Évangile pour en recevoir la leçon, docilement, naïvement, humblement, à l'exemple de l'enfant qui croit en la vérité de ce que le Maître lui enseigne, parce qu'il a confiance en son Maître qui l'aime et ne peut le tromper. L'humilité est ainsi la vertu primordiale du chrétien, le fondement sur lequel est construit tout l'édifice de sa vie morale et spirituelle. Parce qu'il a sondé les profondeurs de Dieu, le chrétien a entrevu l'abîme qui sépare le fini de l'Infini, le relatif de l'Absolu, l'imparfait du Parfait ; et, comprenant que sa raison est impuissante à saisir l'Insaisissable, il accepte de donner son adhésion et sa foi aux vérités que Dieu lui a révélées et dont le mystère demeure impénétrable à son entendement : il est humble dans son intelligence. Parce que, s'étant replié sur lui-même, il est descendu dans l'intimité de son âme, le chrétien a pris conscience de son état de créature, qui, née dans le péché et toujours portée au péché, ne fait pas ce qu'elle veut et fait ce qu'elle ne veut pas ; et, dans le sentiment de son incapacité totale à bien agir sans le secours de la Grâce, il accepte d'enchaîner sa liberté à la Loi divine qui lui montre le chemin de la Vie : il est humble dans sa volonté. Enfin, parce qu'il a reconnu la vanité de tout de ce qui fait partie de ce monde, le chrétien a renoncé à porter son désir sur des biens éphémères, à rechercher des jouissances qui n'ont pas de lendemain ; et, n'attachant désormais de prix qu'à la possession de trésors que la rouille ne saurait ronger ou les voleurs dérober, il accepte de se donner tout entier à Celui qui exige que l'on prenne sa Croix pour devenir son disciple : il est humble dans son coeur. Ainsi il n'est pour le chrétien, dans toute la conduite de sa vie, qu'une attitude : l'humilité, et cette humilité est faite de sagesse, d'obéissance et d'amour.


III

     « Quiconque s'élève sera humilié et quiconque s'humilie sera élevé » (Luc, XIV, 11). Le chrétien qui s'est humilié dans la loyauté de son intelligence et la sincérité de son coeur est prêt désormais à toutes les effusions de la grâce divine, il est apte à toutes les élévations comme à toutes les illuminations. A lui il est donné d'entendre les paroles qui sont « esprit et Vie » (Jean, VI, 64), de « comprendre le mystère du royaume de Dieu » (Luc,VIII, 10), ce mystère dont saint Paul nous apprend que, « caché de toute éternité et dans tous les âges, il est maintenant manifesté aux Saints, à savoir : « Christ en nous ». (Coloss.,I, 26-28). Christ en nous, c'est l'influx de vie profonde, surnaturelle qui, revêtant tout notre être d'une nouvelle jeunesse, s'affirme comme le principe et le gage de notre résurrection ; c'est l'affranchissement des servitudes de la chair dans la liberté reconquise des enfants de Dieu c'est la lumière qui brille au fond de nos ténèbres la paix qui s'installe définitivement dans nos coeurs inquiets et douloureux. Paix, Lumière, Liberté, Vie : tels sont les modes selon lesquels se réalise en notre âme, « renouvelée pour la connaissance », cette parole de l'Évangile : « le royaume de Dieu est au dedans de nous » (Luc, XVII, 21).

     Comment connaissons-nous que Christ demeure en nous ? « par l'Esprit qu'il nous a donné » (I, Jean, III, 21). « Celui qui ne possède pas l'Esprit du Christ, dit saint Paul, n'est pas de Lui » (Rom., VIII, 17). Et cet Esprit est avant tout un esprit de Lumière et de vie. « En lui est la Vie, dit l'Apôtre Jean, et cette Vie est la Lumière des hommes » (Jean,I, 5). Le Verbe de Dieu, en effet, a la vie en soi, « comme le Père a la vie en soi » (Jean, V, 26). « Je suis la lumière du monde, dit Jésus, et celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie » (Jean, VIII, 12). « Si Dieu a envoyé sa lumière dans le Monde, c'est afin que tout homme qui croit en son Fils ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle » (Jean,III, 16). « Je suis venu, répète le Divin Pasteur pour que mes brebis aient la vie et qu'elles l'aient avec surabondance » (Jean, X, 10). Et, « de même que le Père ressuscite les morts et donne la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut » (Jean, V, 21). « Je suis la résurrection et la Vie, celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra point pour toujours » (Jean, XI, 26). Et « cette vie est la Lumière des hommes ». Le Psalmiste n'avait-il pas déjà écrit : « En Lui se trouve la source de la Vie ; à sa Lumière s'allument nos lumières » (Psaume, 36, 10) ? Le Psalmiste dit encore que « nous portons sur nos fronts la lumière de sa Face » (Psaume, 4, 7). Si le péché n'était venu envelopper notre âme de ténèbres, nous n'aurions jamais cessé de « marcher dans la lumière du Seigneur » (Psaume, 88, 15), car nous sommes, dès le principe, dans la pensée de Dieu, « des fils de la Lumière » (I, Thess., V, 5). Mais, ajoute l'Apôtre des Gentils, « rendons grâce à Dieu le Père de nous avoir rendu dignes de prendre part à l'héritage des Saints dans la Lumière, en nous délivrant de la puissance des ténèbres, pour nous transporter dans le royaume du Fils de son amour, en qui nous avons la rédemption par son sang » (Coloss., I, 12). C'est qu'en effet, « la Lumière est venue dans le monde » (Jean, III, 19), « afin qu'aucun de ceux qui croiront au Christ ne demeure dans les ténèbres » (Jean, XII, 46). Sans doute, « les ténèbres n'ont pas accepté la Lumière » (Jean,I, 5) et combien d'hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Mais « Celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que ses oeuvres soient manifestées, parce qu'elles sont faites en Dieu » (Jean, III, 19, 21). Ceux qui sont de Dieu entendent la parole de Dieu et, parce que « Dieu les a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (la Pétri., II , 9), ils sont à présent « lumière dans le Seigneur » et ils marchent « comme des enfants de lumière » (Ephès., V, 8).

     Esprit de vie et de lumière, l'Esprit du Christ est aussi un Esprit de liberté et de paix. « Là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté » (II, Cor.,III, 17). « Aussi bien, écrit l'Apôtre aux Romains, vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour être encore dans la crainte, mais vous avez reçu l'esprit d'adoption par lequel nous crions : Abba ! Père ! L'Esprit lui-même rend témoignage que nous sommes enfants de Dieu » (Rom., VIII, 15). Et, parce que « ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu » (Rom.,VIII, 14), ils sont « délivrés de la servitude de la corruption et admis à prendre part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu » (Rom., VIII, 21). « C'est pour la liberté que le Christ nous a affranchis... frères, vous avez été appelés à la liberté ». (Gal., V, 1-3). Prenons garde, toutefois, que cette liberté ne doit pas être une « occasion de vivre selon la chair » : « si nous avons été affranchis en Jésus-Christ de la loi du péché et de la mort » (Rom.,VIII, 2), c'est afin que, délivrés de toutes les convoitises de ce monde, et désormais « devenus les esclaves de Dieu, nous ayons pour fruits la sanctification et pour la fin la vie éternelle ». (Rom.,VI, 22). Ceux, en effet, qui vivent selon l'Esprit, ne peuvent plus attacher leur pensée et leur coeur qu'aux choses de l'Esprit : « je dis donc, conclut l'Apôtre : n'accomplissez point les désirs de la chair et marchez selon l'Esprit... et le fruit de l'Esprit c'est l'amour, la joie, la paix ». (Gal., V, 16-22).

     La Paix ! « je vous laisse la Paix, avait dit Jésus, à ses Apôtres avant de les quitter ; je vous donne ma Paix ; mais je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre coeur ne se trouble point » (Jean, XIV, 27). Et lorsque, après sa résurrection, il se présentera de nouveau à eux, il les saluera de ce mot : « la Paix soit avec vous ; c'est moi ; ne craignez point. » (Luc, XXIV, 36). C'est qu'en effet, remarque saint Paul, « le royaume de Dieu ne consiste pas dans le manger et dans le boire, mais dans la justice, la paix et la joie par l'Esprit Saint » (Rom.,XIV, 17). Et de qui pourrions-nous recevoir cette Paix de Dieu, « qui surpasse toute intelligence » (Phil., IV, 75), si ce n'est de Celui qui est « notre Paix » (Ephès.,II, 14), parce qu'il a plu à Dieu « de réconcilier en Lui toutes choses, aussi bien celles qui sont sur la terre que celles qui sont dans les cieux, ayant fait la paix par le sang de sa Croix » (Coloss.,I, 20). Recherchons donc « les choses qui sont d'en haut » et « la paix du Christ régnera dans nos coeurs » (Coloss.,III, 15).

     Sans doute, parce que le chrétien est « d'en haut », le monde, qui est « d'en-bas », ne cessera de le haïr et de le persécuter : « Si le monde vous hait, avait déjà dit le divin Maître, sachez qu'il m'a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais, parce que vous n'êtes pas du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, c'est à cause de cela que le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : le serviteur n'est pas plus grand que son maître ». (Jean ' XV, 18-20). Ne soyons donc pas surpris s'il nous faut un jour, pour suivre le Christ, renoncer à tout ce qui nous était cher ici-bas et prendre sa Croix. Mais, aussi, nous devons avoir confiance et prendre courage : « Il a vaincu le monde » (Jean,XVI, 33). « Vous êtes de Dieu et vous avez vaincu, écrit saint Jean aux chrétiens de l'Église d'Éphèse, parce que Celui qui est en vous est plus grand que Celui qui est dans le monde » (I, Jean, IV, 4). Gardons en nous sa Paix, afin que nous ayons aussi en nous « la plénitude de sa joie ». (Jean, XVII, 14).

Retour à l'Évangile - Christ en Nous - Vie, Lumière, Liberté, Paix, joie - Plénitude du Royaume de Dieu sur la terre pour tous les hommes de bonne volonté.

Gabriel HUAN.