Réflexion de Lamennais - Livre 3, chapitre 30
Bien que les hommes sachent que la vie présente nest quun état de passage, néanmoins il y a en eux un penchant extraordinaire à se concentrer dans cette vie si courte, et à ne juger des choses que par leur rapport avec elle. Ils veulent invinciblement être heureux; mais ils veulent lêtre dès ici-bas; ils cherchent sur la terre un bonheur qui ny est point, et qui ny peut pas être, et en cela ils se trompent misérablement. Les uns le placent dans les plaisirs et les biens du monde, et après sêtre fatigués à leur poursuite, ils voient que tout est vanité et affliction desprit, et que lhomme na rien de plus de tous les travaux dont il se consume sous le soleil. Les autres, convaincus du néant de ces biens, se tournent vers Dieu; mais ils veulent aussi que le désir de félicité qui les tourmente soit satisfait dès à présent, toujours prêts à sinquiéter et à se plaindre quand Dieu leur retire les grâces sensibles, ou quil les éprouve par les souffrances et la tentation.
Ils ne comprennent pas que la nature humaine est malade, et incapable en cet état de tout bonheur réel; que les épreuves dont ils se plaignent sont les remèdes nécessaires que le céleste médecin des âmes emploie, dans sa bonté, pour les guérir, et que toute notre espérance sur la terre, toute notre paix consiste à nous abandonner entièrement à lui avec une confiance pleine damour. Et voilà pourquoi le roi-prophète revient si souvent à cette prière: Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis malade; guérissez-moi, car le mal a pénétré jusquà mes os: guérissez mon âme, vous qui guérissez toutes nos infirmités. Donc, pendant cette vie, la résignation, la patience, une tranquille soumission de la volonté, au milieu des ténèbres de lesprit et de lamertume du cur; et après, et bientôt, dans la véritable vie, le repos imperturbable, la joie immortelle, et la félicité de Dieu même, quil vous sera donné de voir tel quil est face à face.