BIENHEUREUX JEAN D'AVILA

 

SERMONS SUR LE SAINT-ESPRIT.*

 

27. Dans l'attente de l'Hôte divin. *

Dimanche de l'octave de l'ascension.* dans un couvent de religieuse (1596)

Exorde : Cette semaine est une Semaine sainte. *

Dispositions pour recevoir le Saint-Esprit. *

Il ne viendra pas si tu ne le désires pas. *

Prépare-lui une maison propre. *

Prépare le repas pour l'Hôte. *

Sachons maîtriser nos sens. *

Le Saint-Esprit nous consolera et nous donnera de la force. *

Le Saint-Esprit nous est donné par les mérites du Christ. *

 

28. Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ *  n'appartient pas au Christ. *

Evangile du jour. *

Promesse du Consolateur.*

Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ n'appartient pas au Christ. *

Il ne suffit pas de vivre par la chair ou par son propre esprit. *

Il faut posséder l'Esprit-Saint.*

Comment tu dois écouter la parole de Dieu. *

Comment saurai-je si j'ai l'Esprit du Christ ? *

Préparation pour recevoir le Paraclet. *

 

29. Le Saint-Esprit fait des merveilles *

Dans l'Eglise.*

Exorde : *

C'est en lui que nous ferons notre demeure, dit Jésus-Christ. *

Dommages que le péché d'Adam causa dans l'homme. *

Jésus-Christ portera remède à tant de maux en nous donnant son Esprit.*

Que fait le Saint-Esprit dans les âmes ? *

Le Saint-Esprit est celui qui pousse à embrasser l'état religieux. *

Péroraison : Heureuse jeune fille qui laisses la terre pour le ciel. *

 

30. Est-il venu à toi ce Consolateur ? *

Exorde : *

Si nous aimons le Christ, la Trinité demeurera en nous. *

Le Consolateur sera tel, qu'ils ne regretteront pas le Christ. *

Ce que fait le souffle du Saint-Esprit. *

Il console, il encourage, il réjouit. *

Il enseigne. *

Qui le veut? Qui le veut?*

Si tu attends ou si tu possèdes déjà cet Hôte... *

Appelle-le au nom de Jésus-Christ.*

31. Dieu sauve le monde par le Saint-Esprit. *

Exorde : *

Entretien du Seigneur avec Nicodème. *

L'homme créé dans l'honneur, ne le comprit pas. *





SERMONS SUR LE SAINT-ESPRIT.

27. Dans l'attente de l'Hôte divin.

dimanche de l'octave de l'ascension.

dans un couvent de religieuses.

(Ed. 1596, II, ff. I-24).




Exorde : Cette semaine est une Semaine sainte.

 

Pour ce sermon que je dois faire, il n'y aura pour moi d'autre thème que de nous préparer à devenir la demeure du Saint-Esprit, de lui demander avec beaucoup d'énergie de bien vouloir descendre en nous et de le lui demander avec obstination. Et nous ferons beaucoup si nous nous préparons, comme la raison nous le demande, à recevoir un tel Hôte.

Vous devez savoir, mes frères, que, si, pour l'histoire, la venue de Dieu sur la terre est terminée, la vertu de ses souffrances ne l'est pas.

Croyez-vous que ce serait bon pour nous si la vertu des souffrances de Jésus-Christ s'était éteinte avec ses souffrances mêmes ? Qu'en serait-il de nous si, après plus de mille ans, elle ne durait point? Elle durera toujours jusqu'à la fin du monde. Au sujet de la fête du Saint-Esprit, tu dois reconnaître, que malgré tant d'années passées, le Saint-Esprit produira aujourd'hui le même effet dans ton âme qu'au temps des apôtres; vois si tu le désires. Oh! qui n'aurait vu Notre Seigneur Jésus-Christ sans lui demander de grâces quand il souffrait en ce monde pour nous!

Si, quand il était en ce monde, tu étais tombé à ses pieds et si tu tiens pour certain qu'il ne t'aurait pas refusé en raison de sa pitié, de son infinie charité, les grâces demandées - toi mon frère, tu crois bien cela ? - crois aussi qu'aujourd'hui encore il est disposé à t'accorder, d'aussi bon gré, les grâces, étant au ciel, que lors de sa présence parmi nous.

Si tu te prépares en ce moment pour que le Saint-Esprit descende en toi, fais le nécessaire et de sa part je te dis qu'il viendra dans ton âme apporter sa grâce comme le jour où il apparut aux apôtres durant sa vie dans le monde. Oh ! quel temps, celui qui s'écoule de ce jour jusqu'à cette si sainte Pâque ! C'est une Semaine sainte (1) : l'Avent de l'Esprit-Saint.

Cette période sainte rappelle le moment où les apôtres, après l'Ascension de Notre-Seigneur au ciel, attendaient la promesse qu'il leur avait faite en leur disant : Moi je m'en vais, mais je vous enverrai le Saint-Esprit qui vous consolera; je vous enverrai le Consolateur pour qu'il vous console de la douleur que vous avez de mon départ.

Comme ils avaient entendu cette parole, ils attendaient ce qui allait se passer, les yeux levés vers le ciel.

Ils disaient : " Notre Maître nous a dit qu'il nous enverrait un Consolateur qui nous ferait oublier notre amour pour lui. "

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(1) En espagnol, comme en français d'ailleurs, mais plus nettement encore, le mot Pâque au singulier surtout, signifie toute grande solennité de la vie du Christ. Ici c'est de la Pâque du Saint-Esprit (Pâque des rosés disons-nous) qu'il s'agit.
 
 

Les apôtres aimaient extrêmement notre Seigneur et Rédempteur : II était le Consolateur de leurs tristesses, le Père dans le besoin, le Maître dans leur ignorance; ils le considéraient comme un miroir dans lequel ils se regardaient : ils étaient tous subjugués par leur Maître et faits à son image. " Doit-il en venir un autre qui sera si grand, si puissant, si sage, si bon qu'il nous fera oublier notre Maître ? Qui sera-t-il ?"

Ils élevaient leurs pensées vers le ciel, poussaient des cris et disaient : " Seigneur, nous vous désirons et nous ne vous connaissons pas; nous voudrions que vous veniez et nous ne savons pas qui vous êtes. Par votre miséricorde, veuillez venir consoler nos coeurs; venez Seigneur, car, en attendant votre venue nous sommes dans l'affliction. "

Tels étaient les saints apôtres du Seigneur en cette époque sainte; et, mes frères, la raison nous commande d'être comme eux parce que nous ne formons qu'un avec eux, nous formons une seule Eglise et une union en Jésus-Christ. Tous ceux qui servent Jésus-Christ, tous ceux qui sont à son service, ne font qu'un, l'Eglise de Dieu et la congrégation des chrétiens. Dieu parle à son Eglise et dit : Tu es mon amie, tu es ma colombe. (2)

II est donc raisonnable qu'en cette période sainte, nous préparions, nous désirions, avec les saints apôtres, la venue du Saint-Esprit. Que nos coeurs s'élèvent vers le ciel; demandons avec nos larmes : Consolateur de mon âme, viens, console la! et durant toute cette période ne faisons rien d'autre que de désirer la venue du Saint-Esprit dans nos âmes.

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(2) Cant. 6, 8. La traduction de Crampon dit : " Une seule est ma colombe, mon immaculée ".
 
 

Dispositions pour recevoir le Saint-Esprit.

Pour que le Saint-Esprit descende dans nos âmes, la première condition est d'avoir un très grand regret de son absence et d'avoir foi en sa puissance. Il suffit à consoler une âme affligée, à enrichir celle qui est pauvre, à réchauffer celle qui est tiède, à fortifier celle qui est faible, à enflammer d'une dévotion très ardente celle qui n'est pas dévote. Quel est le moyen pour faire venir le Saint-Esprit ? Avoir un extrême regret de son absence. Et c'est ainsi qu'en parlant du Saint-Esprit on dit : le pouvoir de Dieu est très grand et il n'est honoré que par les humbles.

La seconde condition pour que le Saint-Esprit veuille bien venir dans nos coeurs, pour qu'il ne nous rejette pas et ne nous tienne pas en peu d'estime, est de brûler d'un grand désir de le recevoir, de l'avoir pour invité et d'en avoir un très grand souci, un très ferme et anxieux désir : " Oh ! si le Saint-Esprit venait ! Oh si ce Consolateur venait visiter et consoler mon âme !"

Sachez, mes frères, que les nécessités de la chair sont un très grand obstacle à ce souci. Sur ce point les religieux ont sur nous un avantage; qu'ils soient dans le choeur, au réfectoire, dans la solitude, ils sont partout au service de Dieu, travaillant pour leur âme, louant Jésus-Christ à tout moment, lui rendant grâce. S'ils mangent ce n'est que pour louer Dieu, s'ils boivent, il en est de même, et il en est ainsi dans toutes leurs opérations humaines. (3)

Les gens mariés ont certainement une trop grande confiance en eux. La femme qui se marie pense dès le lever du jour qu'il suffit de prendre sa mante, venir au sermon et choisir une bonne place dans l'église; son mari arrive pour manger et il ne trouve point le repas prêt; il s'emporte et offense Dieu. Il aurait mieux valu, ma soeur, qu'avant de venir vous laissiez la maison en ordre et une fois tout en place veniez au sermon; même si tu dois arriver en retard, il n'est pas nécessaire de tant te presser, car un mot entendu par hasard te profitera plus que tout le sermon, et malgré tout tu peux accomplir ton devoir; si tu ne peux pas venir, mieux vaut faire ce que Dieu t'ordonne, puisque tu t'es mariée. (4)

Je ne le disais pas pour cela, mais parce que ceux qui se marient ont beaucoup d'audace, en se contraignant à de grandes obligations : pourvoir aux besoins de la maison, à l'existence des enfants, s'efforcer de les rendre vertueux; la femme doit les élever et leur donner de bonnes habitudes. Cela est bien peu; et le souci de l'âme, le souci d'accomplir le service de Dieu ? On peut tout faire; mais les obligations terrestres sont prenantes et il est difficile de s'en détacher. Voilà pourquoi on considère comme malaisé que l'homme marié, assailli de tant de soucis, puisse prendre soin de son âme comme il le doit.

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(3) On saisit ici tout ce qui sépare la pensée d'Avila du " Monachatus non est pietas " d'Erasme

(4) Le réalisme, plein de santé, d'Avila ne nous échappera pas.
 
 Prends garde, mon frère, à ta façon de vivre; toi, mari, à ne pas en venir à aimer ta femme à un tel point que, pour lui offrir des cadeaux, tu en arrives à offenser Dieu comme Adam : " J'aime beaucoup ma femme, je dois lui donner un bijou, je sais que je ne dois pas le faire, mais je le lui donnerai quand même ."

Et toi, femme, n'en viens pas à aimer ton mari à un tel point que tu oublies Dieu pour lui et à cause de l'amour que tu lui portes, négliges de faire ce qui convient à ton âme et ce que Dieu ordonne.

Oh ! combien celui qui se marie devrait, avant le mariage, s'être appliqué à suivre la religion; combien l'homme devrait être saint, et la femme sainte ! Avant de s'unir ils devraient avoir passé de nombreuses années au service de Dieu; savoir être chastes, humbles, patients, miséricordieux, savoir garder les commandements de Notre-Seigneur et ne se marier qu'après, afin que, si, plus tard, ils ont beaucoup de soucis, s'ils ont de multiples obstacles, d'un coup d'-il, d'un retour dans leur conscience sur leurs habitudes premières, tout soit apaisé et calmé.

Comme le domestique si bien stylé, si soumis (5), qui au seul regard de son maître, et sans plus, reprend l'attitude imposée pour le servir. Mais l'homme marié ne comprend pas le mariage et la femme mariée encore moins; ils s'unissent et tous deux le traînent dans la boue. Vous devez beaucoup vous instruire.

- Comment pourrai-je, Père, mener à bien les deux, mon foyer et Dieu ?

- C'est très difficile. Saint Paul dit : Celui qui a une femme, celui qui est marié, est très angoissé et affairé pour savoir comment lui faire plaisir et la contenter, il est très soucieux pour cela des choses de ce monde et se trouve partagé entre les deux. Mais la femme qui ne veut pas se marier et la jeune fille pensent aux choses spirituelles, pour être saintes de corps et d'esprit.
 
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(5) La phrase du centurion : " Va et il va ", " Viens et il vient " (Mat. 8. 5-13; Luc 8 i-io) est certainement ici dans la pensée d'Avila.
 

Il ne viendra pas si tu ne le désires pas.

Mesdames, employons cette fête à chercher comment plaire à Notre-Seigneur. De même que les jeunes mariées ont grand soin de leur coiffure et de leur toilette, emportent avec elles une glace au cas où elles auraient quelque chose de mal arrangé, de même les mères, les religieuses et les novices doivent avoir grand soin de ne rien présenter de déshonnête, elles doivent se regarder en Jésus-Christ, se voyant comme dans un miroir, n'avoir aucune tache sur le visage, n'avoir aucun péché dans l'âme, aucune impureté, afin que leur Epoux ne les rejette pas.

Mes frères, soyez pleins d'attention et soucieux du service de Jésus-Christ, et soyez dans l'attente du Saint-Esprit, ne vous occupant pas des choses abjectes et viles d'ici-bas. Le Saint-Esprit est très susceptible pour nous consoler, un rien l'en empêche, et il ne compatit pas aux choses de ce monde. " La consolation divine est susceptible et très subtile, dit saint Bernard, ceux qui admettent des consolations humaines ne la reçoivent pas. " Toute âme se détachera des consolations humaines si elle veut que le Saint-Esprit la console et posséder toujours en elle la consolation du Saint-Esprit; en effet, comme nous le disions, le Saint-Esprit veut qu'on le désire très fortement. Ecoutez donc : si un homme refuse d'aller chez un autre, sans y être désiré, que fera alors le Saint-Esprit qui, lui, veut être ardemment désiré par l'homme qui le souhaite et veut aussi se laisser désirer ?

Oh ! combien fut désiré notre Rédempteur avant sa venue au monde ! Adam le désira, Noé le désira, Abraham, Isaac, Jacob le désirèrent; les prophètes et les patriarches, tous souhaitèrent sa venue : Versez du haut des deux, une abondante ondée et que les nuages se résolvent en pluie; que la terre s'ouvre et enfante le Sauveur !

Le prophète Aggée disait : D'ici peu, dit le Dieu des armées, je bouleverserai le ciel, la mer, et la terre, je bouleverserai tout, alors viendra le Désiré de tout le monde, et l'ange du Testament que vous voulez.

Jésus-Christ fut extrêmement désiré. Plût au ciel, Seigneur, que fendant les nues vous descendiez sur la terre! Jésus-Christ fut très désiré, extrêmement désiré, et le Saint-Esprit veut l'être de la même façon. Il convient parfaitement qu'il soit bien désiré avant son arrivée; une nourriture bonne par elle-même, est mal venue chez celui qui n'a pas faim. On tue une poule ou une perdrix, qui semblent appétissantes. Le malade à qui on les donne dit : " Otez-les moi, car j'ai perdu le goût et l'appétit, cela ne me plaît point." Très mauvais signe; vous n'avez pas envie de manger ? C'est un signe de mort.

L'Esprit-Saint ne viendra pas à toi, si tu n'as pas faim de lui, si tu ne le désires pas. Les désirs de Dieu, que tu as, sont des indices que Dieu va élire domicile en toi et si tu le désires, c'est le signe qu'il viendra bientôt en toi. Ne te lasse pas de souhaiter sa venue, car, bien qu'il semble que tu l'espères sans qu'il vienne, que tu l'appelles sans qu'il te réponde, persévère toujours dans le désir et il ne te fera pas défaut.

Mon frère, aie confiance en lui, même s'il ne vient pas lorsque tu l'appelles; il viendra lorsqu'il verra que c'est le moment pour toi.

Mon frère, n'oublie jamais que si, étant affligé, tu appelles le Saint-Esprit et il ne vient pas, c'est que ton désir de recevoir un tel Hôte n'est pas encore suffisant. S'il ne vient pas, ce n'est pas parce qu'il ne veut pas venir, ce n'est pas oubli, mais pour que tu persévères dans ce désir et qu'en persévérant tu te rendes digne de lui, pour faire grandir et augmenter ta confiance, car de sa part, je te certifie que personne n'a jamais recours à lui sans être consolé.

Comme le roi prophète, David, l'exprime bien par ces mots : Dieu n'a pas méprisé le désir du pauvre, le Seigneur l'a entendu.

Qui est pauvre ? Est pauvre celui qui doute de lui-même et ne se confie qu'à Dieu; est pauvre celui qui se défie de sa personne, de ses forces, de sa richesse, de son savoir, de son pouvoir; est pauvre celui qui connaît sa bassesse, l'immensité de sa petitesse, qui a conscience d'être un ver, une pourriture et en vertu de tout cela ne se place que sous la protection de Dieu et s'en remet à la grandeur de sa miséricorde qui ne la laissera pas dans la désolation. Dieu entend les désirs de tels hommes.
 

Prépare-lui une maison propre.

Prends garde, il ne suffit pas au Saint-Esprit de te voir occupé à le désirer; mon frère, lorsque tu l'attends, tu ne fais pas tout ce qu'il faut en le désirant seulement, des oeuvres sont nécessaires. En veux-tu la preuve ? Considère ce qui a été dit aux apôtres quand, le jour de l'Ascension du Seigneur, ils regardaient tout interdits vers le ciel. Leur attention était fixée sur lui, ils désiraient et attendaient le Saint-Esprit dont leur Maître leur avait parlé en termes élogieux; ils ne songeaient pas à eux en regardant Jésus-Christ Notre-Seigneur monter au ciel. Béni soit celui qui, si attentif à notre bien, en eut tant de souci que, non seulement il ne se contenta pas de prendre soin de nous, mais encore, une fois au ciel, se préoccupa tant des siens qu'il envoya deux anges vêtus de robes blanches pour leur dire : Hommes de Galilée, que regardez-vous au ciel? Ce même Jésus-Christ que vous venez de voir monter au ciel reviendra tel que vous l'avez vu, avec une aussi grande majesté.

Ils leur dirent d'aller au Cénacle, car c'est là que le Saint-Esprit devait descendre sur eux. Il ne faut pas passer votre temps à regarder le ciel; toute la journée ne doit pas consister à prier et contempler; va au Cénacle, mon frère, ne t'occupe pas et ne t'arrête pas à la pensée de la présence corporelle du Christ.

Je vous ai déjà dit maintes fois que, si le Saint-Esprit n'était pas descendu sur les apôtres, quand Jésus-Christ était ici-bas, c'était parce qu'ils se trouvaient subjugués par la présence de leur Maître et cela seul les contentait; malgré la sainteté et le bienfait de la présence de Notre-Seigneur, elle était un obstacle à la perfection des apôtres et voici pourquoi Jésus-Christ voulut partir : " Chers disciples, vous avez pour moi une grande affection, vous m'aimez beaucoup. Je sais que vous êtes heureux près de moi, mais je vous aime davantage et pour vous le prouver, je veux m'en aller afin qu'avec la venue du Saint-Esprit, vous soyez plus parfaits et éleviez plus haut vos pensées. "

Ne vous étonnez-vous pas que la présence de Jésus-Christ soit un obstacle à la venue du Saint-Esprit ?

Le Saint-Esprit est très jaloux; ne pensez pas qu'il est tel que vous le voulez. " Je suis Yahweh, ton Dieu " (6), a dit Dieu à Mo?se, pour te faire comprendre, mon frère, que le Saint-Esprit ne viendra pas tant que tu ne perdras pas l'amour exagéré des créatures, toi qui as donné ton estime au confesseur, même bon, et qui as les yeux fixés sur le prédicateur qui te donne de bons conseils et te prodigue des consolations. Le Saint-Esprit veut être seul en toi.

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(6) Ex. 20. a.
 
  - Oh, Père, vous, qui êtes un saint, qui me guidez sur le chemin de Dieu et m'encouragez dans les souffrances ! (7) - Plus saint encore était Jésus-Christ et pourtant il fut un obstacle pour le Saint-Esprit. Les esclaves de Dieu, le confesseur et le prédicateur ne doivent pas te faire obstacle pour le Saint-Esprit, mais être un escalier pour monter vers Dieu.

L'amour exagéré - même s'il n'est pas coupable - est un obstacle, il ne te ferait pas de mal si tu savais t'en servir; ce que tu aimes chez le confesseur et le prédicateur, que ce soit pour Dieu et en Dieu.

- A quoi verrai-je, Père, qu'il s'agit bien d'amour de Dieu ? - Si Dieu t'enlève ou permet que s'éloigne de toi quelqu'un que tu aimes beaucoup, si alors l'amour n'est pas assez puissant pour te faire oublier tes devoirs envers Dieu, je veux dire, pour que tu ne souffres pas tellement de son départ que ton coeur perde sa quiétude et devienne tumultueux au point de t'arracher à tes pieux exercices, si cela ne se produit pas, tu as l'amour de Dieu. Une peine légère est naturelle, mais une grande peine est mauvaise. Si ces petits riens sont un obstacle pour le Saint-Esprit, que seront les pensées impures, les injures et autres fautes de même sorte ? Où en sommes-nous arrivés ? Que faut-il pour que le Saint-Esprit vienne dans nos âmes ? Non seulement le désirer mais encore nettoyer la maison. Si vous le faites quand vous recevez un hôte, à plus forte raison votre âme ne doit-elle pas être pure, sans mauvaises pensées, sans mauvaises paroles, ni mauvaises actions, ornée de vertus parce que l'Hôte que vous attendez est la pureté même ?

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(7) Exemple du dialogue supposé entre Avila et ses auditeurs.

Prépare le repas pour l'Hôte.

Considérez qu'il est une chose plus nécessaire encore que d'appeler le Saint-Esprit, plus nécessaire que d'arranger la demeure, c'est de préparer le repas. Vous devez mettre la main à la bourse, vous devez beaucoup dépenser et n'en point souffrir. Vous devez être généreux et très libéral. Lorsque vous avez un hôte, vous ne vous permettez pas de ne prendre que le nécessaire, mais vous achetez largement. Il le faut, mon frère; vous attendez cet Hôte très saint; puisqu'il est libéral à l'extrême envers vous, soyez-le envers lui; mettez la main à la bourse et ne donnez pas des sommes infimes; donnez une généreuse aumône, donnez à manger à l'affamé, habillez l'orphelin et la veuve, tenez lieu de père à tous les pauvres. Considère que tu es le père des pauvres et la consolation des affligés. Le saint Job remplissait bien cet office quand il disait : Ma bouchée était petite, Seigneur, mais nous l'avons mangée à deux. Et il disait ailleurs : Je suis le pied pour le boiteux et la main pour le manchot. Donne à manger au Saint-Esprit et offre-lui ton coeur; car il mange de la chair; mais de la chair mortifiée, sache-le.

Que serait-ce si tu offrais à ton invité une volaille vivante ? " Quoi ? - te dirait-il, - enlève cela, cette volaille n'est pas bonne à manger ". Elève maintes fois ce coeur au ciel et supplie le Saint-Esprit de l'embraser du feu de l'amour. Ta chair doit être morte et attendrie, châtiée et mortifiée, domptée par les jeûnes et la discipline; tu dois être mort au monde, tiens ton coeur en éveil, tes pensées et tes désirs élevés vers Dieu.

Dans ces pensées et dans ces exercices vole comme un aigle, ne prends aucun repos avant d'avoir agrippé le Saint-Esprit; ne te base pas sur les choses mortes et viles et n'y arrête pas tes pensées.

Vois ce qu'a fait la colombe qu'ils envoyèrent de l'arche de Noé; ils la lancèrent dehors, elle s'envola (quand elle sortit, le déluge avait cessé), sur la terre gisaient de nombreux cadavres, elle ne voulut se poser sur aucun d'eux ni même se reposer entre eux, mais se dirigea vers un olivier, cueillit de son bec un rameau et le ramena à l'arche. C'est ce que doit faire l'âme du chrétien, ne se poser sur aucun cadavre; tu ne dois pas tourner tes pensées vers des choses mortes, périssables, fétides, mais tu dois les diriger vers le ciel. Que ton coeur soit là où se trouve Jésus-Christ, ton trésor, en particulier durant cette fête.
 
 

Sachons maîtriser nos sens.

Sois très recueilli cette semaine pour recevoir le Saint-Esprit. Sois très appliqué. Prends exemple sur ces serviteurs qui attendent leur maître revenant des noces. Ne sois pas comme ces vierges folles et sottes, ne sois pas endormi, ni enivré par les choses de ce monde, mais imite les vierges sages en ayant le souci de te parer et d'avoir de l'huile de miséricorde pour toi d'abord, en prenant grand soin de ton âme et de transformer ton coeur.

Cherche, ces jours-ci, un lieu de retraite et restes-y. Pense à la Très Sainte Vierge et aux saints apôtres réunis dans le Cénacle. Que feraient-ils, eux ? Quelles larmes verseraient-ils au souvenir des souffrances de Jésus-Christ, au souvenir de son absence ! Quels soupirs lanceraient-ils vers le ciel en brûlant de désir pour leur Consolateur et Rédempteur ! Corrige tous tes désirs, aie les yeux baissés d'une personne mortifiée, ne regarde rien que tu puisses regretter ensuite, car s'il regarde mal, l'-il pleure. David vit un mauvais spectacle, il eût été préférable pour lui d'être aveugle que de voir ce qu'il a vu, car son -il, s'il s'est réjoui à le regarder, pleura beaucoup ensuite, et pleura tant que, dit-on, David avait dans son visage des sillons creusés par les larmes.
 
 

Le Saint-Esprit nous consolera et nous donnera de la force.

Il est nécessaire de célébrer cette fête avec grand soin, comme je vous l'ai dit, puisque ce que nous attendons est si grand.

Te rends-tu compte, mon frère, de l'importance de ces jours et quelle perte tu fais si le Saint-Esprit ne vient pas demeurer dans ta maison ? Ni l'Incarnation de Jésus-Christ, qui est la principale fête de l'année, ni sa sainte Naissance, ni sa Passion, ni sa Rédemption, ni son Ascension ne te profiteront en rien, si tu ne tires avantage de cette fête; si tu perds cela tu perds tout ce que Jésus-Christ a gagné pour toi. S'il est vrai que, par la mort de Jésus-Christ le ciel se soit ouvert et l'enfer fermé, à quoi cela te servira-t-il si tu ne reçois pas le Saint-Esprit ? Dis-moi quel profit tu peux tirer de tout le reste sans la grâce de Dieu; si tu reçois le Saint-Esprit dans ton coeur, tout te sera profitable et te consolera. Le Saint-Esprit seul suffira à te consoler et à donner de la force à ta faiblesse, de la joie à ta tristesse, et comme il sait le faire !

J'ai appris que le Saint-Esprit voulut se communiquer à une personne et que celle-ci est sortie comme folle dans les rues en poussant des cris. Voulez-vous voir un cas analogue ? Observez-le chez les apôtres qui, avant la venue du Saint-Esprit étaient si apeurés, si craintifs, qu'ils n'osaient pas sortir et restaient enfermés dans le Cénacle. Dès que le Saint-Esprit fut descendu en eux, ils ouvrent les portes en grand, sortent par les places, et commencent à prêcher Jésus-Christ.

Saint Athanase - grand saint qui écrivit contre l'hérésie des ariens - disait en songeant aux scrupules qu'avaient certains, " Suis-je vraiment baptisé, ou ne suis-je pas vraiment baptisé ?" : " Sais-tu à quoi tu le verras ? Si tu sens remuer le Saint-Esprit comme la femme enceinte sent remuer l'enfant. " - Mais, Père, moi je suis un homme. - Moi je ne suis pas mariée. Je ne sais pas ce que c'est qu'un enfant qui remue, comment le sentirai-je ? - Je te donne ce signe, mon frère : C'est lorsque tu sentiras brûler dans ton coeur un feu de charité, un amour très ferme en Dieu que tu sentiras le Saint-Esprit, car le Saint-Esprit est un feu et tu le sens tressaillir dans tout ton être. - Comment cela se peut-il, Père ? D'après saint Jean, Jésus-Christ lui-même parlant à la Samaritaine a dit : Celui qui boira de mon eau. Quelle propriété a cette eau, Seigneur ? On en fera - dit notre Rédempteur - une source d'eau vive qui jaillira jusqu'à la vie éternelle. - Tu vois ici le signe qu'a donné le Christ pour savoir à quel moment le Saint-Esprit est venu en toi, car l'Esprit-Saint a ce caractère de ne pouvoir rester inaperçu et de témoigner lui-même de la présence en toi de Jésus-Christ. Jésus-Christ dit dans l'évangile ce que l'on dit à la messe : Lorsque le Paraclet viendra, quand le Saint-Esprit viendra, l'Esprit de vérité qui procède de mon Père, celui-là vous rendra témoignage de moi, celui-là vous parlera de moi.

Ce qui signifie qu'il vous consolera, vous éclairera, vous réjouira, et vous guidera dans votre chemin.

Le Saint-Esprit est Consolateur, mes frères. Comme il doit savoir consoler, puisque par sa grandeur même il s'appelle Consolateur !

Que cherchons-nous en cette vie ? Où allons-nous ? Nous ne travaillons que pour chercher quelque consolation, quelque contentement. Pourquoi donc ne travaillons-nous pas pour posséder un Consolateur qui apaise nos tourments et qui enrichisse notre pauvreté ? Oh si je pouvais vous communiquer la dévotion au Saint-Esprit ! Que par sa miséricorde infinie il veuille bien vous la communiquer.

Quand tu seras affligé, sois assuré que le Saint-Esprit, si tu le possèdes dans ton âme, te consolera de cette affliction.

L'apôtre saint Paul dit : On pense parfois : " Qui pourra suffire à consoler ma tristesse, mon découragement, qui me viendra en aide ? "

Le corps soutient un combat, l'âme est remplie de grandes craintes, mais celui qui habituellement console les humbles, nous a consolés.

Le rôle du Saint-Esprit est de consoler ceux qui sont affligés. Ce Consolateur est proclamé comme tel dans toute l'Eglise de Jésus-Christ, Notre-Seigneur; il est proclamé et publiquement connu comme Consolateur de nos peines. Le malade cherche le médecin pour ses maladies, le plaideur cherche un bon avocat qui l'aide, il va trouver le juge et lui dit : " Rendez-moi justice " (8).

Puisque nous sommes tous tristes, il nous faut recourir à celui qui console notre tristesse. Nous sommes tous tristes : les méchants, pour les péchés commis; les justes ont aussi le regret de leurs péchés et ils éprouvent une très grande tristesse en redoutant d'offenser Dieu, de perdre Dieu. Tous nous sommes tristes, nous avons besoin d'une consolation. Le Saint-Esprit a pour rôle de nous consoler tous; demandons-lui qu'il veuille bien venir dans nos coeurs et nous consoler.

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(8) " Ce Consolateur ou cet avocat (car le mot grec Paraclet signifie l'un et l'autre) était devenu nécessaire après le départ du Christ " (Saint AUGUSTIN. Tract. 94 in Joann).
 
 

Le Saint-Esprit nous est donné par les mérites du Christ.

Une âme traquée, craintive, chargée de tant de péchés, pourra dire : " Père, ce Saint-Esprit qui, dites-vous, est Dieu, est un Dieu tout-puissant, un Dieu terrible, et moi je suis un ver, une fourmi; comment ce Saint-Esprit voudra-t-il venir dans ma maison si mal préparée à le recevoir ? Je crains qu'il ne veuille pas venir. "

S'il s'agit de toi, tu as certainement raison de croire que le Saint-Esprit ne voudra pas venir; mais sais-tu ce que tu dois faire ? Mettre entre toi et lui, Jésus-Christ et ses mérites et le Saint-Esprit en voyant ce que Jésus-Christ a souffert pour toi viendra tout de suite par amour pour lui.

Quand il s'en est trouvé un qui s'est désolé pour que tu te consoles, un qui s'est attristé pour que tu te réjouisses, un qui a supporté la fatigue pour que tu te reposes, un qui est mort pour que tu vives, tu dois être sans crainte si tu sais pleurer tes péchés et faire une digne pénitence.

Béni soit Jésus-Christ et que les anges le bénissent ! Amen !

J'ai cherché un consolateur, dit notre Rédempteur, et je ne l'ai pas trouvé. On m'a donné du fiel en nourriture et quand j'avais soif on m'a donné à boire du vinaigre.

Notre Rédempteur n'a trouvé aucun consolateur. Notre Rédempteur fut profondément rempli de tristesse, profondément désolé; il ne trouva aucune consolation, il était si intensément affligé en son âme et en son corps qu'il a dit lui-même : " Mon âme est triste jusqu'à la mort " (9). Ce qui signifie que notre Rédempteur avait une tristesse mortelle. Il ne s'agit pas de l'âme supérieure car elle jouissait de Dieu, je ne parle que de la partie sensitive dans laquelle régnait la plus extrême affliction. Que de fatigues, de faim, de soif, de sueur dans ces chemins ! Et quand vint le moment de la souffrance, il avait tant de douleur en y pensant qu'il disait : Père, s'il est possible, faites que je ne boive pas ce calice, cette coupe d'amertume. Le Christ, notre Rédempteur voyant que Dieu le laissait souffrir et voyant les tourments qu'il supportait en son corps, dit aussi : " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?" (10) Mes frères, les souffrances que Notre-Seigneur endura furent si nombreuses et si extrêmes; ils furent si nombreux les supplices qu'il supporta, les coups de fouet, la couronne d'épines, les soufflets qu'on donna sur son divin visage qu'il en vint à dire : Vous tous qui passez dans le chemin, vous tous qui vivez dans le monde, voyez s'il existe une douleur semblable à la mienne (n). Soyez béni, mon Rédempteur, à jamais !

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(9) Mt. 26, 38.

(10) Mt. 27, 46.

(11) Thren. 1, 12.
 
 

Quelle est la cause de tant de douleurs, Seigneur? Les douleurs, les tourments, ne sont-ils pas la punition des péchés et le châtiment des méchants ? Le châtiment convient à ceux qui font le mal; mais vous, Seigneur, quel mal avez-vous fait pour devoir supporter tant de tourments ? Pourquoi tant de douleurs ?

- Quelle dette ont-ils ? dit notre Rédempteur Jésus-Christ - Seigneur, ils ont beaucoup péché. - Eh bien, je veux, dit Jésus-Christ, que le châtiment retombe sur moi, pour qu'ils obtiennent le repos du ciel; que la tristesse retombe sur moi, pour qu'ils aient la joie. Je veux qu'on me donne du fiel pour qu'on leur donne du miel; qu'on m'inflige des supplices pour qu'on leur donne le repos; qu'on me donne la mort, pour qu'on leur donne la vie.

Aie donc confiance, mon frère, dans les mérites de Jésus-Christ. Ne crois pas que muette est la voix que tu as au ciel pour te défendre; les mérites de Jésus-Christ plaident pour toi là-haut. Ce n'est pas non plus une voix qui est muette, si tu supplies pour que le Saint-Esprit vienne. Sois sans défiance, car si tu offres les mérites de Jésus-Christ, pour eux on te donnera le Saint-Esprit. Ce que tu donnes vaut autant que ce qu'on te donne. Si on te donne Dieu, tu donnes à Dieu et bien que Jésus-Christ notre Rédempteur n'ait pas souffert en ce qu'il a de divin, en fin de compte, on dit que celui qui était Dieu a souffert. Pour le fiel qu'il a bu sur la croix, on te donnera le miel du Saint-Esprit.

Tes pensées, tes paroles, tes actions appelleront le Saint-Esprit, de sorte qu'il surviendra en toi, sans que tu saches comment ni de quelle manière, sans que tu le sentes ni que tu saches par où il est entré et tu le trouveras en toi, logé dans ton coeur; tu découvriras au fond de ton âme une grande joie, une réjouissance si admirable, si totale qu'elle te fera sortir de toi-même. Le saint roi David disait : Tu procureras, Seigneur, joie et allégresse à mon oreille et mes os mortifiés se réjouiront. Le coeur qui était triste, l'âme qui était très angoissée, seront remplis de joie et se réjouiront; tu entendras le Saint-Esprit te parler à l'oreille, et t'indiquer tout ce que tu dois faire.

Celui qui a la charge de consoler est aussi celui qui a la charge d'exhorter; celui qui te console est aussi celui qui te blâme : " Homme lâche, sans grand courage, veux-tu ne pas craindre comme un enfant, aie le courage d'un homme ! " Le Saint-Esprit lui-même qui vient te consoler, te réprimandera, pour supprimer les obstacles à ta consolation. Paracletus veut dire Consolateur. Et puisque tu vois, mon frère, que par suite des mérites de Jésus-Christ, se donne le Saint-Esprit, ne cesse pas de le demander, ne cesse pas de le désirer avec une grande ferveur, en regrettant son absence, de sorte qu'il viendra dans ton âme et sera une si grande consolation pour toi que personne ne pourra te l'enlever.

Arrange ta demeure, prépare le repas pour cet Hôte, puisqu'il le mérite tant et que tu as envers lui tant d'obligations; faisons beaucoup d'aumônes aux pauvres; pardonnons à notre prochain; abstenons-nous de tout péché et de toute faute pendant cette sainte Semaine; soyons maîtres de nos sens, et ayons tous vraiment confiance, que par sa miséricorde il viendra en feu d'amour, fortifier nos coeurs et nous apporter ses dons.
 
 

28. Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ n'appartient pas au Christ.
   

Dimanche de l'octave de l'ascension,   29 mai 1552.

(Valencia, Bibl. Col. Patriarca, Ms 1049,      ff. 88. r-98v; ed. 1596, II, pp. 25-53).
 
 

Lorsque viendra l'Intercesseur, que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage de moi. (Jo. 15, 26).

Exorde :

Tous ont en vue leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ (i), dit l'apôtre saint Paul, se plaignant des coutumes des hommes. Il dit en parlant de Jésus-Christ : " Car le Christ n'a pas eu de complaisance pour lui-même; mais selon qu'il est écrit : " Les outrages de ceux qui t'outragent sont tombés sur moi. " (2) Tous recherchent ce qui leur convient, et non ce qui convient à Jésus-Christ; mais le Christ, oublieux de ce qui lui convient - pour se souvenir de ce qui nous convient - n'a pas eu de complaisance pour lui-même." Il n'accepta pas de vivre pour la satisfaction des choses matérielles, mais tout au contraire se fatigua maintes fois dans les chemins, répandit d'abondantes larmes, souffrit maintes insultes et, enfin, subit la mort, pour faire comprendre aux hommes qu'au lieu de vivre en paix, il oubliait son repos pour le leur donner. Seigneur, si vous aviez été comme nous, quels auraient été nos maux !

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(1) Cf. Phil, 2, 21.

(2) Rom. 15, 3.
 

Combien de fois avez-vous poursuivi Notre-Seigneur en lui demandant quelque faveur, en l'importunant par des prières, des larmes, des aumônes, des pénitences et lorsqu'il vous l'a accordée, comme un mauvais payeur, vous oubliez Dieu ? Dans l'adversité vous vous tournez vers le Seigneur, dans la prospérité vous l'oubliez. C'est mal agir. S'il était comme nous, qu'adviendrait-il de nous ? A présent il est au ciel, à présent rien ne lui manque pour son repos; s'il nous oubliait dans la prospérité, qu'adviendrait-il de nous ? Bénie soit sa miséricorde. Jésus-Christ alla au ciel, dit saint Paul, pour paraître devant son Père, lui offrir sa souffrance et à force de prières obtenir pour nous le Saint-Esprit.

Par Jésus-Christ nous serons délivrés car par lui nous recevrons le Saint-Esprit. Madame, serons-nous délivrés par vous ? Rachel eut deux enfants; la Très Sainte Vierge a deux enfants, l'un qui est sorti de son sein et l'autre qu'elle a adopté. Le Fils de son sein est à présent au ciel, règne, est en sûreté. Elle n'a rien à demander pour lui. Il lui reste à obtenir pour nous, qui sommes des enfants adoptifs, la grâce de bien parler, de bien agir, et de bien finir. Et pour qu'elle le fasse, disons-lui : Ave, Maria.
 
 

Evangile du jour.

Lorsque viendra l'Intercesseur, etc. Nous sommes encore dans la semaine de la fête du Saint-Esprit. Qu'il descende dans vos coeurs, pour que vous passiez de bonnes fêtes.

Jésus-Christ au chapitre 15 de saint Jean dit : Quand viendra le Consolateur, que je vous enverrai de la part du Père et qui est Esprit de vérité, il rendra témoignage de moi et vous aussi me rendrez témoignage parce que vous avez été des témoins oculaires, et que depuis le début de mes prédications, vous êtes avec moi. Préparez-vous car de mauvais jours viendront; ils vous mettront à la porte des églises et vous persécuteront; votre seul repos possible sera de penser que vous vous reposerez le jour où ils cesseront de vous persécuter; même ce jour-là vous fera défaut, parce qu'ils ne cesseront jamais, croyant qu'en vous persécutant et vous tuant, ils servent Dieu. Consolez-vous parce que ce sont des gens ignorants qui ne connaissent pas le Père et ne me connaissent pas, et qui vous poursuivent par amour pour moi sans en avoir le mérite. Je vous le dis avant que cela arrive, pour que vous vous souveniez, lorsque cela se produira, que je vous ai dit le meilleur et le pire qui devait vous advenir. Vous constaterez la vérité de mes paroles dans l'un et l'autre cas. Ainsi dit l'Evangile qui est très court.
 
 

Promesse du Consolateur.

Je vous ai déjà dit plusieurs fois que si nous laissions faire ce que le coeur du Seigneur veut pour nous, ce ne serait que pardon car le propre du Seigneur est de pardonner, s'il châtie, il châtie par force, et contrairement à son caractère : En effet ce n'est pas de bon coeur qu'il humilie et abaisse les enfants des hommes. (3) Lorsque Dieu humilie quelqu'un, il ne le fait pas de gaîté de coeur, mais par force; comme un père qui voit son fils se montrer méchant, le châtie par amour et le fils agit de telle sorte qu'il le met dans l'obligation de le châtier. " Dieu est doux de nature, dit saint Jérôme, mais, nous, nous agissons de telle manière qu'il nous châtie. " II s'ensuit qu'en punissant, il cherche aussitôt la consolation : Parce que s'il abaisse plus encore, il a pitié en raison de l'immensité de ses miséricordes. (4)

Combien furent désolés les apôtres lorsqu'il leur dit qu'il voulait partir ! Parce que je vous ai dit cela, la tristesse a rempli votre coeur. (5)

Ils aimaient tant Jésus-Christ, qu'ils ne pouvaient pas supporter sans impatience de l'entendre dire : " Je m'en vais ". Vous qui aimez tant consoler, quelle consolation réserverez-vous aux apôtres plongés dans l'affliction, par amour pour vous ?

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(3) Thren. 3, 33-

(4) Thren. 3, 32-

(5) Cf. Jo. 16, 6.
 

Il leur en donne deux : Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez. (6) Ne subordonnez pas mon bonheur à votre contentement. Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de me voir régner. Et parce que cette consolation est le propre des hommes parfaits, qui vivent dans la souffrance et ont pour consolation l'accomplissement en eux de la volonté de Dieu, il leur en donne une autre qui est tout à leur avantage : Vous êtes tristes parce que je m'en vais; mais moi je vous dis qu'il convient pour vous que je m'en aille. Concevez quelle foi il faut avoir pour croire à une telle parole.

Moi, je vous le dis, en vérité, mon départ vous convient. Vous pensez qu'en partant je vous abandonne et que les Juifs et tous les hommes vous poursuivront. Pensez-vous rester comme des enfants, que le loup mangera dès que leur mère s'éloignera d'eux ?

- Si vous disiez, Seigneur, que cela vous convenait, ce serait bien; mais comment est-ce possible que cela nous convienne à nous ? - // est avantageux pour vous que je parte, car, si je ne pars pas, l'Intercesseur ne viendra pas vers vous; mais, si je m'en vais, je l'enverrai vers vous; (7) c'est pour cela qu'il vous convient que je m'en aille. - Seigneur, consolateur pour consolateur, n'êtes-vous pas, vous, un bon consolateur ? Que voulait donc le Seigneur en faisant la louange de ce Consolateur ? Diminuer par la venue du Saint-Esprit le chagrin ressenti par son départ.

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(6) Jo. 14, 28.

(7) Jo. 16, 7.
 

  " Je vous enverrai quelqu'un qui se nomme Consolateur. Il vous apprendra non seulement les choses présentes, mais encore les choses à venir; il vous dira qui je suis, car vous ne me connaissez pas bien encore; il sera Esprit, il vous instruira, sans que des oreilles soient nécessaires pour l'entendre ni des yeux pour le voir; il ne vous abandonnera jamais, au contraire il sera avec vous quand vous mangerez et dormirez, quand vous serez à l'église et dans votre maison, il sera tellement votre compagnon que jamais il ne s'écartera de vous. A présent, considérez mon départ comme un bienfait, afin que ce Maître vienne à vous. Tout ce dont je vous ai parlé, il vous le rappellera. Il sera votre Maître, votre Précepteur, votre Consolateur, pour que vous vous consoliez avec lui; tenez mon départ pour un bien." - Grande est la majesté du Saint-Esprit, qui a eu pour prédicateur Jésus-Christ lui-même. Qui a annoncé Jésus-Christ? C'est le Saint-Esprit lui-même par la bouche des prophètes, mais c'est Jésus-Christ lui-même, Dieu et homme, par sa propre bouche, qui a annoncé le Saint-Esprit et a dit tant de bien de lui pour que les apôtres attendent sans impatience son départ.

- Seigneur, consolateur pour consolateur, pourquoi ne restez-vous pas, vous ? Nous sommes heureux avec vous; il n'y a pas de chagrin qui avec vous ne s'évanouisse! - Restez avec nous, Seigneur! Vous avez tort. - Cette Incarnation de Jésus-Christ qu'ils voyaient n'était pas aussi bonne que le Saint-Esprit, parce que l'Incarnation était une chose créée, et le Saint-Esprit était Dieu. La divinité de Jésus-Christ ne s'en allait pas, elle n'est pas descendue du ciel; la divinité non plus n'est pas montée à présent au ciel; ce qui disparaissait c'était l'âme et le corps, et ils n'avaient pas la même valeur que le Saint-Esprit. Vous avez donc tort de dire qu'il ne parte pas, pour que lui vienne. Quand ce Maître viendra, il vous dira, qui je suis; et lorsque vous m'aurez connu et parce que vous aurez appris à me connaître vous considérerez mon départ comme un bienfait.
 
 

Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ n'appartient pas au Christ.

Nous voici arrivés là où je le désirais (8). Que chacun ait sa préférence; la mienne est bien misérable certainement, mais une des périodes où mon âme est consolée et où elle espère recevoir de Dieu les plus grandes faveurs, c'est, cette semaine avant cette Pâque, véritablement appelée Semaine sainte.

Par respect pour Dieu, faites-moi cette faveur, rendez à Dieu ce service; et à votre âme faites ce bien si grand, de servir vraiment Dieu cette semaine si à un autre moment vous avez été ce que vous ne deviez pas; et moi au nom du Seigneur, que je représente, quoique indigne, je vous donne ma parole qu'il vous récompensera de ce service que vous lui rendez.

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(8) Expression de pure humilité.
 
 

Celui qui participe à cette semaine, participe à toutes les autres fêtes de l'année, celui qui ne participe pas à cette semaine, ne participe pas à sa naissance, ni à son jeûne, ni à sa prière, ni à ses coups de fouet, ni à sa mort, ni à sa résurrection, ni à son ascension; il ne participe pas à tout ce qu'il a fait ou fera, s'il ne participe pas à cette semaine.

Vous semble-t-il que c'est attacher trop d'importance à cette fête ? C'est pour que les hommes participent à cette fête, qu'il a fait tout ce qu'il a fait : Afin de nous rendre participants à sa divinité. (9) Voici ce qui est chanté à l'église ces jours-ci. - Qu'est-ce que participer à sa divinité ? C'est bien célébrer cette Pâque, recevoir le Saint-Esprit, qui est Dieu lui-même; c'est pour cela que Jésus-Christ travaille tant, afin que nous jouissions de cette fête. - Et quelle est cette fête? La fête du Saint-Esprit. - Et ne pourrai-je bien vivre sans le Saint-Esprit ? - Non, assurément, et malheur à celui qui n'aura pas le Saint-Esprit ! - Ne sera-t-il pas suffisant de vivre dans ma chair ou tout au moins dans mon esprit ? - Non. ?coutez saint Paul : Pour vous, vous ne vivez point dans la chair, mais dans l'Esprit. Si quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. (10) Que personne ne se décourage.

" Vous ne vives: pas dans la chair, dit saint Paul, vous ne vivez pas par votre jugement, vous ne vous dirigez pas par votre volonté et votre instinct ".

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(9) Cf. Praet. de Ascens. Domini.

(10) Cf. Rom. 8, 9.
 
 

Ah ! quel est le grand prédicateur, qui pourra vous dire avec vérité : Vous ne vivez pas dans la chair, mais dans l'Esprit,si tamen ou si quidem (11), comme dit une autre version, l'Esprit de Dieu habite en vous... parce que certainement l'Esprit de Dieu demeure en vous ! Et pour que vous compreniez votre bonheur qui est d'avoir pour hôte le Saint-Esprit, sachez que, si quelqu'un ne possède pas l'Esprit du Christ, il n'appartient pas au Christ. Il était nécessaire de le dire et de le répéter mille autres fois: s'il n'appartient pas au Christ, à qui peut-il appartenir ? Toute ma richesse, ô mon Roi, consiste à vous appartenir; à cette condition : Pourvu qu'il appartienne à Dieu, Dieu donne les richesses au chrétien.

Tout est à vous; et Paul, et Apollos, et Cephas, et le monde, et la vie, et la mort, et les choses présentes, et les choses à venir, tout est à vous; mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu. (12) Ne vous considérez pas comme pauvre, car toutes les choses sont à vous. Paul est à vous, car il travaille et souffre pour vous; Cephas qui veut dire Pierre, est à vous parce que lui aussi peine beaucoup, s'épuise au travail, devenu votre esclave; Apollos aussi, le prédicateur est à vous, puisqu'il vous prêche; la vie vous appartient, puisque vous la vivez pour Dieu; la mort vous appartient, puisque par la mort vous allez à Dieu; le présent, l'avenir, vous appartiennent puisque vous usez du présent comme Dieu le veut, l'avenir vous est réservé. Toutes les choses vous appartiennent et vous, vous appartenez au Christ. (13) Dans ces conditions tout est à vous, pourvu que vous apparteniez au Christ. Si tu n'appartiens pas au Christ, à qui appartiendras-tu ? " La colère de Dieu reste sur celui qui ne croit pas au Fils de Dieu " (14) et n'est pas son ami.

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(11) Nous laissons en latin ce " si cependant ", ce " si du moins " dont Avila farcit son discours; mélange de latin et d'espagnol, preuve d'érudition, selon un procédé que l'art oratoire postérieur ne tardera pas à rejeter.

Rappelons-nous l'Intimé, des Plaideurs : " Celui contre lequel je parle, autem, plumé ".

(12) 1 Cor. 3, 23.
 
(13) Autre procédé : Avila cite en latin toute une phrase de saint Paul qu'il débite ensuite et commente par le détail.

(14) Jo. 3, 36.

C'est par Adam qu'elle débuta, et par Adam nous naissons tous enfants de la colère; c'est par Jésus-Christ que commença la grâce, et tous ceux qui n'appartiendront pas au Christ, la colère de Dieu restera sur eux. En Adam est le péché, en Jésus-Christ la justice; en Adam la disgrâce, en Jésus-Christ la grâce; en Adam l'enfer, en Jésus-Christ le ciel. Si tu n'appartiens pas au Christ, si tu n'es pas en accord avec le Christ, la colère de Dieu est sur toi. Ainsi la justice de Dieu considère avec colère les pécheurs. Dès qu'un homme commet un péché mortel, il meurt aussitôt pour Dieu, et Dieu pose sur lui des yeux irrités. Qui tendra la main à Dieu ? Qui te défendra de Lui ? - De son dos il te couvrira (15) - Qui te délivrera de la colère de Dieu ? - Dieu de douceur. - Qui te défendra du Dieu sévère ? - Dieu agneau. Dieu envoya son Fils pour que le fouet et le châtiment retombent sur lui, innocent, et que le coupable demeure libre; pour que de son dos il te fasse ombre (16) et que la justice de Dieu ne t'embrase pas.

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 (15) ps. XCL (Vulg. XC), 4.
 
  Mets-toi derrière lui, car sur lui a frappé l'ardeur du soleil, sur lui la colère de Dieu s'est déchargée, derrière lui il y a l'ombre; là tu trouveras la fraîcheur. Or qu'adviendrait-il de moi si je ne résidais pas en lui ? Si le sarment ne demeure pas sur la vigne, il n'échappera pas au feu;
et toi si tu ne résides pas en Jésus-Christ, tu n'échapperas pas à l'enfer. Seul monte au ciel Jésus-Christ qui en est descendu. Personne n'entrera au paradis s'il n'a la grâce, s'il n'est aimé du Père, et il n'est de grâce ni d'amour pour personne, si ce n'est en Jésus-Christ. Celui qui ne se met pas sous la protection de Jésus-Christ, sera damné pour toujours. Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ ne lui appartient pas; malheur à lui ! - Privez-moi, Seigneur, de tout ce qu'il y a dans le ciel et sur la terre mais ne me privez pas de vous appartenir. Si je vous appartiens, votre bonté me dirigera, votre humilité me dirigera, votre mansuétude me dirigera. - Si je ne vous appartiens pas, je serai dirigé par la colère, je serai dirigé par la chair, je serai dirigé par la passion. Considérez quels maîtres ils sont pour vous gouverner, puisqu'ils sont eux-mêmes des passions ! Considérez comment ils pourraient diriger sans passion.

Il n'est pas de paroles plus dures que celle-ci : Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ, celui-là ne lui appartient pas. Voyez que je dois m'adresser aujourd'hui à vos coeurs, et c'est vous-mêmes que je dois prendre pour témoins.

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(16) Avila cite selon la Vulgate.

A Sion, les pécheurs ont été frappés d'épouvanté, le tremblement s'est emparé des hypocrites. (17) - Pourquoi ? - Parce que celui qui n'a pas l'Esprit du Christ, celui-là ne lui appartient pas. - Oh quelle dure parole ! Prenez garde de ne pas vous décourager si vite.
 
 

Il ne suffit pas de vivre par la chair ou par son propre esprit.

Il ne suffit pas, mon ami, de vivre par la chair, il ne suffit pas non plus de vivre par ton esprit. Ne pense pas qu'il suffise de mettre la main à la bourse et de faire l'aumône, si tu ne le fais pas en esprit. Dieu est esprit et aime ses semblables, il veut que tu l'adores et le serves en esprit. Si en toi il n'y a pas d'esprit de charité, faire l'aumône ici-bas, autour de toi, ne sert à rien. A quoi te sert d'égrener et d'égrener le chapelet si en toi ne prie pas l'esprit ? Ce peuple m'honore des lèvres, tandis qu'il tient son coeur éloigné de moi. (18) A quoi sert le surplis blanc, qui signifie la chasteté, si, ni l'esprit, ni le corps, ne sont chastes ? A quoi sert d'avoir les genoux fléchis et l'âme endurcie et résolue à ne pas s'abaisser à obéir à Dieu ni à ses saints commandements ? Il est nécessaire de le servir extérieurement et intérieurement. Se contentera-t-il que nous le servions avec le corps et avec l'esprit ? Non. Que personne ne se décourage, je vous viendrai en aide quand vous vous découragerez.

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(17) Is. 33, 14.

(18) Cf. Is. 29, 13.
 
  Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ, n'appartient pas au Christ.
Ton propre esprit ne te suffit pas. - Je ne comprends pas cela. - Tant mieux. Il ne suffit pas qu'un homme vive suivant sa raison et qu'il ait ses passions réfrénées et réglées par son esprit; non, cela ne suffit pas. Saint Jean dit : // donna le pouvoir de devenir enfants de Dieu à ceux qui croient en son nom: qui sont nés, non du sang, ni du désir de la chair, ni du désir de l'homme, mais de Dieu. (19) Oh ! comme vous avez bien dit cela, Aigle de Dieu ! Ceux qui sont enfants de Dieu, naissent, non des hommes, non du sang, ni du désir de la chair ni de la volonté de l'homme mais de Dieu même. Il ne suffit pas pour être enfants de Dieu et monter au ciel, que tu sois né du sang, il ne sert à rien que tu sois fils de comte, ni de duc, ni que tu sois de sang royal. C'est peu, cela. Le plus grand séraphin qui est au ciel, s'il n'avait pas l'esprit du Christ, ne serait pas bienheureux. On ne donne pas le ciel en considérant le rang social, non du sang, ni du désir de la chair; ils ne naissent pas avec une volonté en accord avec leur chair, ils ne naissent pas avec la volonté portée vers la chair. Et s'il naît avec la volonté portée vers la raison, celui-là dans les saintes Ecritures est appelé un homme; car celui qui vit en se soumettant à la chair, ne mérite pas le nom d'homme. Rien de cela ne suffit pour posséder le ciel, il ne suffit pas de n'être qu'un homme : Ce qui est né de la chair est chair. (20)

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(19) Jo. 1, 12-13.
(20) Cf. Jo. 3, 6.

Il faut posséder l'Esprit-Saint.

Personne n'est monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme. (21) II ne suffit pas que tu sois homme, il faut que tu sois dans le Christ, pour qu'en lui tu montes au ciel. Si tu es seulement homme tu hériteras de ton père, mais tu n'hériteras pas de Dieu. Ceux qui doivent monter au ciel ne naissent pas de la terre : Mais ils sont nés de Dieu; ils doivent naître de Dieu. - Expliquez-le moi. - Nul, s'il ne renaît de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. (22) II est le vrai fils de Dieu celui qui est né de l'eau et du Saint-Esprit; celui qui ne naîtra pas de l'eau et du Saint-Esprit, n'entrera pas au ciel. Voici ce que saint Paul a dit : Celui qui n'a pas l'esprit de Dieu, celui-là n'appartient pas à Dieu; ne le possédant pas il ne sera pas fils de Dieu, et ne se sauvera pas.

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 (21) Jo. 3, 13.

(22) Jo. 3, 5.

- C'est une dure vérité. - Mais attendez un peu, car je n'ai pas encore terminé. Combien êtes-vous ici à qui cette doctrine semblera aussi nouvelle que si vous n'étiez pas chrétiens, et ayant la preuve de la parole de Jésus-Christ vous retournerez chez vous doutant de la véracité de ce qu'on a dit ! Dieu dit à Isa?e : Proclame à grands cris, Isole, que toute chair est foin et que tout ce qu'on honore le plus dans la chair est comme fleur de foin. Le foin s'est séché et la fleur est tombée, parce que l'esprit de Dieu a soufflé sur lui. (23) II lui demande de le proclamer à grands cris; car il peut se trouver là quelque garçon ou fille qui s'imagineront être d'importants personnages, être un homme noble ou une gente dame, qui s'imagineront être honorés et respectés, ou être à la fleur de l'âge; disleur qu'ils se trompent, que tout est comme la fleurette de foin, qu'un léger souffle d'air fait choir, dès qu'il survient. Un faible souffle du Seigneur arrive et renverse tout. Qui comprendra cela : Toute chair est foin? Que veut dire chair ? Et le Verbe s'est fait chair. Saint Augustin, dans le livre 12 De civitate Dei dit que " par chair on entend l'homme tout entier, prenant la partie pour le tout ". Il ne veut pas dire cette partie charnelle, mais l'homme tout entier. Proclame-le à grands cris, il s'en trouvera peut-être quelques-uns qui, même s'ils ne placent pas leur gloire en vêtements, en ornements, en jouissances de la chair, seront peut-être plus dans l'erreur que ceux qui vont clairement à leur perte. Prêche que tout homme dans sa partie sensitive et dans sa partie intellective n'est que foin et que toute sa gloire est comme la fleur du foin. - En quoi consiste l'honneur et la gloire de la chair ? - Voyez le philosophe dont les oeuvres, quand on les lit, semblent célestes; vous y trouverez tant de clarté d'esprit, d'horreur du vice, et d'amour de la vertu.

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(23) Cf. Is. 40, 6-7.
 
 

C'est l'honneur et la gloire; voici le meilleur de l'homme; meilleur que les richesses; meilleur que l'honneur. Eh bien dis-leur que cette gloire est comme la fleur du foin. Combien seront-ils parmi vous - voici venu le moment du découragement - qui s'imagineront se trouver devant Dieu dans une bonne situation et quand vous serez appelés au jugement vous ne pourrez vous tenir debout parce que le souffle du Seigneur viendra ! Ce jugement si mesquin, cette recherche de Jérusalem à la chandelle, cet examen non seulement des péchés mais aussi des bonnes oeuvres; l'aumône que tu as faite, le Pater Noster, Y Ave Maria que tu as récités, la messe que vous avez dite ou entendue, l'intention que vous avez eue de faire de bonnes oeuvres, tout cela vous semblait constituer un refuge à l'heure de la mort. Dis leur que toute chair est foin. Un jour viendra où l'Esprit du Seigneur soufflera sur tout cela et ils ne pourront pas rester debout, parce qu'ils seront sans force. Pourquoi ne pourront-ils pas rester debout ? Qui te défendra du jugement de Dieu ? Penses-tu, toi, que tu pourras te défendre ? Dieu seul peut te défendre de Dieu. Le souffle de Dieu abat la fleur, ce qui veut dire que si tu as fait l'aumône, si tu as pardonné l'injure, si tu as dit ou entendu la messe, il n'y a aucun profit pour toi si cela provient de toi seul. - Je ne comprends pas. - Eh bien ! que les prêtres écoutent et soient dans la crainte. Les fils d'Aaron disent : " Encensons Dieu, qui est irrité, pour qu'il apaise son courroux ". Vous faites bien. Ils prennent les encensoirs et ils mettent du feu d'ici-bas et non du feu du ciel; ils commencent à encenser et non seulement Dieu ne l'accepta pas mais il les fit mourir lui-même à cet endroit-là. A cause du feu qu'ils avaient allumé on les retira morts avec leurs nappes d'autels et leurs surplis. Dieu leur avait ordonné de ne pas faire le sacrifice avec le feu ordinaire mais avec celui qu'il envoyait. Ils désobéissent et reçoivent le châtiment de leur délit. Malheur au prêtre qui dit la messe ou va aux enterrements avec du feu de la terre, avec du feu de cupidité ou de vanité et non avec du feu d'amour divin ! Malheur à lui car on lui dira : De quel coeur est-il sorti ce bien que tu as fait ici-bas ? Vient-il de ton coeur ou de mon coeur ? Dieu refusera tout ce qui ne proviendra pas du feu de l'amour divin. Je ne viens pas de discuter ici, si les oeuvres indifférentes ou bonnes moralement qui n'ont pas leur origine dans la charité seront méritoires; il suffit de savoir que Dieu repoussera tout ce qui sera fait sans l'Esprit du Seigneur. Qu'il s'agisse de miracles, qu'il s'agisse de répandre le sang, si le Saint-Esprit n'est pas présent, tout est perdu. Oh ! Vierge Marie, combien découvriront ce jour-là leur erreur !

Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ, n'appartient pas au Christ. Que ressentez-vous lorsque vous entendez cela ? Ecoutez. Cette sentence est la sentence de Dieu. C'est par rapport à elle que vos coeurs seront jugés. Ce jugement est une représentation de ce qui se passera au Jugement dernier. Dieu dit : Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ, n'appartient pas au Christ.
 
 

Comment tu dois écouter la parole de Dieu.

Attendez, n'avez-vous pas dit que c'était de saint Paul ? - Ce qu'a prêché Dieu incarné n'est-il pas plus vrai que les écrits de saint Paul? - N'existe-t-il pas de différence entre Dieu et saint Paul? Si saint Paul parlait comme saint Paul, ce serait bien. Mais de saint Paul est la langue et la gorge, de saint Paul est la voix, la parole est celle du Christ. Augustin dit : Celui qui va semer porte un sac. Ce sac peut être maculé de boue mais le blé qui s'y trouve est très beau. Le blé du sac n'est-il pas bon parce qu'il est dans le sac? Saint Paul, Isa?e, Jérémie, savez-vous ce qu'ils sont? Des sacs de semence de la parole de Dieu. Ne méprisez pas la semence si le sac est vil. Le Concile de Trente, qui, me dit-on, est dissous à cause de nos grands péchés, approuva comme conformes aux canons de l'Eglise tous les livres de la Bible à l'exception du troisième et du quatrième de Esdras, Ce que saint Paul dit dans ses épîtres est aussi vrai que ce que le Christ dit dans son évangile, car c'est un même Esprit qui dit tout.

Quels sentiments fera naître en vous le jour du Jugement ? Les uns se réjouiront et les autres gémiront. Que ressentez-vous en entendant cette parole : Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ, n'appartient pas au Christ? En entendant cette parole, certains béniront Dieu, parce qu'ils ont confiance de posséder l'Esprit du Christ grâce à sa miséricorde; d'autres souffriront dans leur coeur, en particulier ceux qui entendant nommer l'Esprit croient qu'ils entendent nommer le diable, comme les gentils qui ne pouvaient pas entendre dire qu'il y avait un Dieu. Les Juifs admettent bien l'existence d'un Dieu, mais lorsqu'ils entendent dire que ce Dieu a un Fils, qui est égal au Père, aussitôt le démon s'empare d'eux et ils disent : Cet homme, qui s'est fait Fils de Dieu, a blasphémé. Les chrétiens, proclament qu'il existe un Dieu et qu'il a un Fils égal à son Père. Mais, dès que nous parlons de l'Esprit, certains ressentent dans le coeur une douleur. Ne devons-nous pas parler comme parlent Dieu et l'Ecriture? Des gens sont si ennemis de l'Esprit qu'ils ne veulent même pas l'entendre nommer. D'où cela provient-il ? De la corruption du coeur. Que faites-vous lorsque vous entendez une parole qui vous fait de la peine et que l'on vous dit : " Dieu l'a dite " ? Que dit Achab ? " Ce Michée ne me prophétise jamais rien qui me plaise ". Moi je suis crieur public, quelle est ma faute ? C'est Dieu qui vous envoie le dire.

La parole qui, prononcée en chaire, ne bouleverse pas l'âme du méchant n'est pas considérée comme parole de Dieu, ni reçue comme parole de Dieu. Seigneur, vous êtes mon Dieu, je chanterai i>os louanges. Louer la parole de Dieu c'est louer Dieu lui-même. Je louerai votre nom, parce que vous avez fait des choses merveilleuses et transformé en oeuvres les pensées anciennes et ce que de toute éternité vous avez pensé. - Et maintenant, dites-vous, que veut dire : Car vous avez fait de la ville un monceau de pierres, et de la cité fortifiée une ruine; la citadelle des barbares n'est plus une ville, elle ne sera jamais rebâtie: c'est pourquoi un peuple puissant vous glorifiera; la cité des nations terribles vous révérera. (24) Comment ne vous louerai-je pas, mon Dieu, pour avoir bouleversé la ville, pour avoir bouleversé cette ville où les coeurs vivaient en paix dans le vice; ne vous louerai-je pas pour avoir transformé le coeur qui était débordant de péchés et vivait paisiblement ? Il n'y a pas de rhubarbe et de phytolaque qui remuent autant l'estomac que la parole de Dieu. Que personne n'espère la consolation divine s'il n'est d'abord attristé. Pour être consolé, tu dois éprouver de la douleur et des craintes, tu dois être bouleversé, faute de quoi la parole que tu as entendue n'est pas une parole divine.

- Malheureux que je suis, car on me dit que ni le fornicateur, ni l'avare, ni le médisant n'entreront au ciel !

- Allez, ajoute un autre, ce ne sera pas aussi terrible qu'on le dit car Dieu est miséricordieux. - Vous cherchez des prétextes sinon pour annihiler la parole de Dieu, à tout le moins pour la tronquer et l'affaiblir, comme ces ouvriers de la vigne qui, mêlés aux serviteurs du Seigneur, tuèrent les uns et blessèrent les autres. Il annihile la parole du Seigneur celui qui dit : " N'en parlez pas. Cela ne me concerne pas "; il l'affaiblit celui qui dit : " Quand je serai vieux, je serai bon ". Vous cherchez des prétextes pour ne pas sortir affligés du sermon, car ils sortent du sermon inconsolables et au bout de peu de temps, ils se consolent de nouveau et oublient ce qu'ils ont entendu. Voici le pourquoi de la condamnation : " La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière ". (25)

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(24) Is. 25, 1-3.  

(25) Jo. 3, 19.

Pourquoi agissent-ils ainsi ? La lumière est venue dans le monde. Que Dieu soit béni pour cela ! Qui est la lumière ? Jésus-Christ; la parole de Dieu est la lumière avec laquelle vous devez regarder si votre âme est bonne ou mauvaise; et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière. Que Dieu vous préserve de l'homme que vous réveillez quand il dort, car dormir lui est nocif, vous lui mettez un flambeau devant les yeux et il l'éteint pour dormir plus à son aise. - Pourquoi détestes-tu la parole de Dieu ? - Parce qu'elle trouble le sommeil où tu tiens à te plonger. On te dit : Si tu ne pardonnes pas à ton prochain ses péchés, Dieu ne te pardonnera pas les tiens.

Que ressentira dans son coeur celui qui a des ennemis ? Il nous dit : Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume de Dieu. Que ressentira l'homme sceptique ? Que ressentira celui qui possède le bien d'autrui quand il entendra dire : " Si quelqu'un possède le bien d'autrui, il est la proie du diable " ? Que doit-il faire ? Eteindre la lumière pour dormir à son aise ? Souviens-toi que le sommeil te tue; considère que tu vas à toute allure en enfer. T'éloigner du péché ne te fait-il pas souffrir et pour ne pas dire " La parole de Dieu n'est pas vraie ", ne préfères-tu pas l'étouffer et l'oublier ? Les hommes préfèrent les ténèbres (qui sont les péchés) à la lumière.

- Comment devez-vous faire ? - Lorsque la parole de Dieu vous afflige, ne l'oubliez pas. Car vous avez l'emplâtre posé sur la plaie, ne l'ôtez pas et il vous guérira. Dieu vous dit une parole qui vous blesse, mettez-la sur la plaie.

- Oh ! comme elle m'afflige ! - Qu'elle vous afflige, qu'elle vous fasse pleurer, qu'elle agisse. - Oh ! quel chagrin elle me donne ! - Avec cela, mon frère, vous guérirez et vous verrez quelle grande consolation elle vous apportera ensuite. Dès que cette parole : Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ n'appartient pas au Christ, vous fait souffrir, pensez-y bien, méditez. Que ressentez-vous ? Que vous êtes découragé !

Celui qui ne vit pas par l'esprit d'un autre (26), celui-là n'appartient pas au Christ.

Tu ne dois pas vivre, mon frère, par ton esprit ni par ta volonté, ni par ton jugement; tu dois vivre par l'Esprit du Christ. Tu dois posséder l'Esprit du Christ. - Que veut dire Esprit du Christ ? - Coeur du Christ. Celui qui n'a pas le coeur du Christ n'appartient pas au Christ. - A l'épouse, Jésus-Christ dit, Mets-moi comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras: car l'amour est fort comme la mort. (27) Eglise, chrétiens, vous devez être marqués de mon fer, scellés de mon sceau ! Je dois être moi-même le sceau; amollissez vos coeurs comme de la cire, et mettez mon cachet en eux, mettez-moi comme signe sur votre bras.

- Que signifie cela ? - Que les prédestinés doivent, comme dit saint Paul être semblables à Jésus-Christ.

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(26) L'esprit de cet autre que nous, qui est le Saint-Esprit, l'esprit du Christ l'Hôte divin, thème de tout le sermon.

(27) Cf. Gant. 8, 6.
 
 

En quoi doivent-ils être semblables ? - Marchez dans la charité, à l'exemple du Christ, qui nous a aimés. (28) - Donnez-moi, Seigneur, votre coeur, et tout de suite j'aimerai ce que vous aimez, je détesterai ce que vous détestez.
 
 

Comment saurai-je si j'ai l'Esprit du Christ ?

Celui qui ne possède pas le coeur du Christ, n'appartient pas au Christ. - C'est une rude vérité. - Ce n'est pas fatalement si rude. Oh ! mes frères, combien de sermons avez-vous entendus et vous n'en finissez pas de comprendre ce qui est votre devoir ! - Nous sommes inconsolables, Père. - C'est ce que je veux, mes frères, et c'est ce que Dieu veut. - Quel est le remède ? Comment serai-je consolé ? Qu'en sais-je, moi, si je suis en grâce ? Qu'en sais-je, moi, si j'ai l'Esprit du Christ ? - Nous voilà bien, vraiment ! Qu'en savez-vous ? Je parle à des moines, des prêtres, et des personnes qui vivent dans la retraite et dégagées des besognes matérielles. Si vous me dites que vous le savez par une science certaine, si vous me parlez d'articles de foi, vous dites bien que vous ignorez si vous êtes en grâce. Mais nous parlons d'une connaissance par conjectures et par signes; du repos et de la tranquillité d'un coeur débordant d'affection.

Malheur à celui - je ne veux pas l'appeler damné mais châtié - qui n'a pas en lui cette consolation, cette confiance, cette parole " Je dois me sauver " !

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(28) Eph. 5, 2.
 
 

Il n'y a pas lieu de s'étonner que les marchands, ceux qui négocient, les personnes mariées et ceux qui sont occupés aux affaires temporelles n'aient pas cette consolation du Saint-Esprit; mais celui qui est en relation avec Dieu, celui qui parle à Dieu et à qui Dieu parle - car lorsque nous lisons c'est Dieu qui nous parle, et quand nous prions c'est nous qui lui parlons - celui qui est dans l'intimité de Dieu et vit dans l'affliction, celui-là est dans une très grande désolation et grand est son malheur !

Que nous montions à l'autel et que nous nous mettions un morceau de sucre dans la bouche et n'en sentions pas la douceur, que nous mettions un grand feu en notre sein et n'en sentions pas la chaleur ! C'est là une grande peine, une grande désolation ! Celui qui se verra ainsi pourra se considérer comme malheureux. Si vous demandiez à une épouse : " Dites, madame, quel est le caractère de votre époux, est-il doux ou est-il brutal ? " et qu'elle vous répondît " En vérité je ne le sais pas ", vous diriez : Alors qui le saura? Si vous demandez à un prêtre qui traite avec Dieu : Qu'est-ce que Dieu ? et qu'il dise qu'il ne le sait pas, à qui le demanderez-vous ? Cet Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit, que nous sommes enfants de Dieu (29). L'Esprit-Saint lui-même, avec sa consolation, avec sa flamme, nous apporte l'assurance que nous sommes fils de Dieu. Vous voyez ici comment on connaît par conjectures que quelqu'un est ami de Dieu. Etes-vous désolé ? Gardez-moi cette désolation

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(29) Cf. Rom. 8, 16.
 
 

pour le moment venu : Quand viendra le Consolateur, dit le Christ, il rendra témoignage de moi. Tu es désolé ? Les apôtres l'étaient aussi : eux parce que Jésus-Christ les quittait et toi aussi parce que Jésus-Christ t'a quitté à cause du péché que tu as commis. - Pourquoi es-tu triste ? - Parce que j'ai offensé Dieu; parce que j'ai été ingrat envers lui et que je l'ai souffleté. - Tu es triste ? A la bonne heure; attends quelque peu, d'ici huit jours un Consolateur viendra et te consolera. Avant même de vous le dire, je voudrais déjà vous avoir demandé mon cadeau de bonne nouvelle. (30)

Vous allez trouver le confesseur ou le prédicateur :

- Père, consolez-moi.-Voulez-vous que je vous laisse un Consolateur qui vous console dans votre lit et que vous n'ayez pas besoin d'aller chercher quelqu'un pour vous consoler ? Eh bien! c'est le Saint-Esprit, qui aime beaucoup la veuve et l'orphelin et ceux qui sont dans la tristesse. Voulez-vous le recevoir? ætes-vous triste parce que Jésus-Christ vous a quitté ? De la part de Jésus-Christ je vous promets qu'il viendra en vous; je m'en irai dormir cette nuit bien tranquille si vous me traitez de menteur.

- Père, comment consolera-t-il telle grande peine?

- Vous verrez en cela qu'il est Dieu. Si le Saint-Esprit n'avait pas été plus grand que Jésus-Christ fait homme, il n'aurait pas pu les consoler de la tristesse de son départ, il n'aurait pas pu remplir le vide qu'il laissa par son absence. Considérez l'affliction qu'avaient les apôtres en l'absence du Christ fait homme, la consolation qu'ils ont reçu du Saint-Esprit est plus grande.

Il n'y a pas de tristesse, si grande qu'elle soit, que le Saint-Esprit ne console.

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(30) " Pedir AJbricias " : demander des étrennes. La coutume espagnole était de demander une récompense - des étrennes - quand on annonçait à quelqu'un de bonnes nouvelles.
 
 

Préparation pour recevoir le Paraclet.

Mon frère, ce Consolateur viendra. Pour le recevoir il faut que vous fassiez quelques apprêts. Celui qui n'a pas l'Esprit de Dieu, que fera-t-il pour le posséder ? Voici ce dont nous devons nous occuper cette semaine; laissez les affaires temporelles pour recevoir dans vos coeurs l'Esprit du Christ. On dit c l'Esprit de Jésus-Christ " parce qu'il procède de lui en tant que Dieu et parce qu'il demeure en lui en tant qu'homme.

- Père, voudra-t-il me le donner ? - Ce n'est pas bien que ce soit moi qui vous le dise; que celui qui doit vous le donner vous le dise. Jésus-Christ se trouvait à Jérusalem un jour de la fête des Tabernacles - qui tombait en septembre - et il prêchait dans le temple. Il était en train de prêcher, une très grande ferveur s'empare de lui et il commence à s'enflammer, tonner et élever la voix avec cette ferveur qu'il avait pour sauver les âmes.

Ah ! si j'avais pu t'entendre crier, mon Roi, car tu t'appelles bien voix et clameur du Père, car sa voix ne put jamais être plus forte que lorsqu'il t'engendra ! Ah ! si j'avais pu l'entendre crier et voir, ce visage enflammé ! Parlez, Seigneur, il y a longtemps que vous n'avez prêché et pourtant nous vous entendons bien à présent car vous le dites pour ceux d'alors et ceux qui leur succéderont.

Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. (31)

II se trouvait dans le temple, et c'était un jour de fête; le dernier jour, le plus solennel de tous, il disait, non comme à son habitude, mais à grands cris : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Des rivières d'eau vive couleront de l'estomac de celui qui croit en moi. Qu'il pénètre vos coeurs de ce qu'il voulut bien prêcher ici-bas ouvertement.

Mes frères, pourquoi vous laissez-vous mourir de faim et de soif ? Pourquoi dépenser de l'argent pour ce qui n'est pas du pain, votre travail pour ce qui ne rassasie pas? (32) Pourquoi avez-vous des coeurs insatiables comme l'enfer ? Quelles sont vos angoisses ? Venez à lui et il vous guérira; si vous avez soif, il vous désaltérera : Une perdrix couve des oeufs qu'elle n'a pas pondus. (33) Une perdrix pond des oeufs; une autre perdrix passe près du nid et se place sur les oeufs qui ne lui appartiennent pas. Celle qui les a pondus revient et l'autre ne la laisse pas approcher, enfin elle tire de l'oeuf les petits perdreaux et Dieu a créé chez eux un tel instinct qu'à la venue de la véritable mère, ils abandonnent la fausse et s'en vont avec la vraie mère. Oh ! méchant animal, voleur du bien d'autrui, oh ! démon, pourquoi couves-tu les oeufs que Dieu a mis ? Oh ! luxure, oh ! mauvais vouloir ! Pourquoi usurper une

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(31) Jo. 7, 38.

(32) Cf. Is. 55, 2.

(33) Jer. 17, 11.
 
 

âme que Jésus-Christ a créée et rachetée ? Vous ayant dérobés à la véritable mère, il vous donne un peu de chaleur et vous couve. Vous êtes enfants de Dieu, le ciel est pour vous. Allons, donc, chrétiens, rachetés par Jésus-Christ, écoutez la voix de votre mère véritable; écoutez la voix de Jésus-Christ, qui sur la croix, avec de grandes douleurs, vous donne la vie; reconnais la voix de ta mère qui t'appelle : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et boive. Venez à moi, je vous rendrai heureux et je vous rassasierai. Si l'homme est raisonnable il dira : " Voici mon Rédempteur, voici celui qui a donné son sang pour moi, je veux partir avec lui ". Il te donnera à boire son esprit; tu en seras si heureux et si rassasié que de ton estomac sortiront des sources d'eau vive. Non seulement il y aura de l'eau et de la joie pour toi mais aussi pour les autres. Il désire nous communiquer son Esprit; il fait le plus possible pour te donner ce dont tu as besoin; n'en doutes pas, il donnera sans retenue. - Eh bien, que vais-je faire cette semaine pour être prêt à le recevoir ? - Fais ce que les apôtres ont fait. Que désirez-vous ? Le Saint-Esprit ? Sachez qu'il n'est pas ami de la chair. Les saints docteurs disent qu'une des principales raisons du départ de Jésus-Christ fut le grand amour qu'on portait à l'Homme-Dieu. - Qu'il parte, dit le Saint-Esprit, et je viendrai aussitôt. - Vous êtes jaloux, Saint-Esprit. Et de qui ? Est-ce de la chair très pure qui fut conçue par vous-même ?

Que les amants sortent de leur erreur, et que ceux qui sont portés vers la chair sortent de leur erreur, car le Saint-Esprit ne descendra en aucun d'eux. La colombe qui est sortie de l'arche de Noé saisit un petit rameau vert d'olivier, et ne voulut pas poser ses pattes sur un cadavre; et pure elle retourna à l'arche. Au corbeau de manger la chair morte, à la colombe de la détester. La colombe est le symbole de l'Esprit, et le Saint-Esprit ne touche pas à la chair morte : Purifiez vos coeurs des désirs charnels. Que jeûnent cette semaine ceux qui en ont la force, car s'il veut de la chair, ce doit être de la chair mortifiée et amaigrie par les jeûnes. En récompense et en grâce je vous demande de balayer votre maison par une confession très dévote car votre Hôte doit venir et il ne serait pas bien qu'il trouve la maison sale.

- Que faut-il encore ? - La nourriture; considérez que vous avez des gens avec vous et que vous devez donner à manger à vos serviteurs; considérez les pauvres de votre quartier et donnez-leur cette fête de la nourriture. (34) Puisque Dieu se donne à vous, donnez-lui au moins un peu d'aumône. Considérez que la charité est le premier fruit du Saint-Esprit; donnez à manger à celui qui a faim; donnez la robe à celle qui est nue; donnez la chemise à celui qui en a besoin; tirez des geôles les prisonniers.

- Je n'ai pas de quoi faire l'aumône. - Pardonnez les injures, priez Dieu pour ceux qui vous persécutent, pleurez avec ceux qui pleurent, tombez avec celui qui est tombé, faites vôtres les maux des autres, c'est là la vraie miséricorde.

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(34) " Pascua de comer ". Ici Pascua prend le sens très général de fête que le chrétien donnera à ceux qui souffrent de cette faim matérielle, dont nous voyons tant de gens torturés dans la littérature contemporaine d'Avila.
 
 

- Peut-on faire plus ? On ne peut rien faire de plus si ce n'est de lui demander instamment de venir dès que la maison sera balayée et parée. Ne faites pas comme ces mal-élevés qui disent : " Seigneur, venez chez moi " sans que la maison soit prête et la table mise. Préparez d'abord la maison et ensuite pour qu'il vienne, faites cette prière : " Seigneur, par le sang que vous avez versé, envoyez-nous le Saint-Esprit que vous nous avez promis. " Récitez sept fois le Pater Noster, et l'Ave Maria en l'honneur des sept dons du Saint-Esprit. Je vous dis peu de choses; efforcez-vous de faire plus. Tout au moins d'ici à cette Pâque récitez cela chaque jour; priez avec les lèvres et avec l'esprit; importunez-le pour qu'il vienne, et il vous donnera sa grâce en ce monde, et ensuite sa gloire, à laquelle il veuille bien nous conduire. Amen.
 
 

29. Le Saint-Esprit fait des merveilles dans l'Eglise.

dimanche de pentecôte

pour la prise de voile d'une religieuse.  (Ed. 1596, II, pp. 132-159).

 

Nous irons à lui et nous établirons notre demeure près de lui. Jo. 14, 23.
 
 

Exorde :

Parler et entendre parler de Dieu est une grande affaire qui doit demander beaucoup de soin, aussi bien pour celui qui écoute pour les écouter, que pour celui qui parle pour en parler; celui qui sait parler des choses du ciel doit venir du ciel pour en parler tant elles sont des choses élevées et profondes, si loin de tout entendement humain. N'allez pas penser que ce fut en vain que Jésus-Christ ordonna aux saints apôtres de ne pas prêcher son évangile par le monde avant d'avoir reçu le Saint-Esprit.

Isa?e était rempli d'orgueil, ignorant sa propre bassesse; il disait qu'il était le prophète de Dieu. Dieu vint et lui dit : " Attendez donc, je vous ferai prendre conscience de vous-même, et vous serez éclairé. " Dieu lui montra, en se faisant connaître un peu, ce qu'il était et le mal qu'Isa?e ressentit en lui-même fut si grand en voyant sa petitesse et sa misère, qu'il n'osait pas parler et ne trouvait pas la force de prophétiser. Il dit : Malheur à moi, car je suis un homme aux lèvres souillées ! ( i ) Malheureux que je suis ! dit Isa•e. - Qu'y a-t-il, prophète, qu'avez-vous ? - Comment puis-je parler, mes lèvres sont impures, elles ne sont pas dignes de parler des choses de Dieu ! - Lorsque Dieu le vit dans cet état, il envoya un séraphin qui plongea dans le feu de l'autel des mouchettes qui se trouvaient là. Le séraphin prit un charbon ardent de ce feu, en toucha les lèvres d'Isa?e et aussitôt elles devinrent très pures.

J'ignore, mes frères, quel est l'état de vos oreilles; si elles sont pures ou non, je l'ignore. Si mes lèvres sont souillées, je ne l'ignore point et elles ne sont pas dignes de parler du ciel si le Seigneur n'envoie pas du feu céleste pour me les purifier; supplions-le qu'il le fasse.
 
 

C'est en lui que nous ferons notre demeure, dit Jésus-Christ.

Nous irons à lui, et, en lui, nous ferons notre demeure: nous habiterons en lui. Ces paroles sont sorties de la bouche de Jésus-Christ, il les a dites aux saints apôtres et non seulement pour eux mais pour ceux qui sont et seront.

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(1) It.6,5.
 

Notre Rédempteur dit : Si quelqu'un m'aime bien qu'il observe mes commandements. Si quelqu'un m'aime bien ! Malheureux celui qui ne vous aime pas bien, Seigneur ! Si quelqu'un m'aime il gardera mes paroles. Si vous avez un ami qui fait grand cas de votre amitié, vous lui dites : " Monsieur, m'aimez-vous ? Je vous prie de garder cette parole, de faire cela pour moi ". Si l'autre pense qu'en ne le faisant pas il risque de perdre votre amitié, il le fait pour ne pas la perdre. Ainsi notre Rédempteur ordonna à ses saints apôtres d'observer beaucoup de choses sous peine de perdre son amitié; et ceci est si vrai que celui qui n'observe pas ce que le Christ ordonne, est perdu sans rémission. Parce que les disciples ne considéraient peut-être pas autant les paroles du Christ, du moment qu'elles étaient de lui, que si elles venaient de Dieu, il leur dit : " Pour que vous ne pensiez pas que ces paroles sont de moi, et que ce que je dis vient de moi, les paroles que je vous ai dites, et que vous avez entendues ne sont pas les miennes mais sont celles de mon Père, qui m'a envoyé (2); ayez pour elles un grand respect et une grande vénération, et observez-les, puisque vous savez de qui elles sont.

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(2) Cf. Jo. 7, 16.

Si quelqu'un m'aime bien qu'il garde mes paroles. Aimer Jésus-Christ, quel amour largement récompensé ! Béni soit le Seigneur ! Faut-il aimer pour rien ? Que devez-vous nous donner pour que nous vous aimions ? Le Christ notre Rédempteur dit que nous viendrons à lui, et nous demeurerons en lui, que nous le prendrons pour demeure. Quels sont ceux qui viendront ? Le Père, le Fils et le Saint Esprit; car partout où vont les deux premiers, va le Saint-Esprit : ensemble vont les personnes de la Très Sainte Trinité; cela vous paraît-il peu de chose ! Nous ne nous en irons pas ensuite - dit notre Rédempteur - nous demeurerons en lui, nous établirons notre demeure. Soyez béni pour toujours, et que la bouche qui prononça de telles paroles et apporta une si grande consolation soit bénie ! Ne vous l'ai-je pas dit que nous attendions trois hôtes ? Nous viendrons à lui et nous demeurerons en lui. Quel est notre effroi, mes frères, en voyant avec quel soin et avec quel immense amour, la Très Sainte Trinité accompagne l'homme.

Ah! si quelqu'un lui demandait : "Qu'avez-vous vu, Seigneur, en cet homme pour l'aimer tant, car vous semblez mourir d'amour pour lui" ? Si nous voyions un vermisseau, un petit homme d'entre nous aussi diligent et épris de la Très Sainte Trinité qu'elle l'est de l'homme en l'accompagnant, nous en serions assurément remplis d'effroi. - Qu'avez-vous trouvé dans l'homme qui vous ait plu tant ? Quel intérêt avez-vous à aimer l'homme ? Est-ce parce qu'il est sage ? Parce qu'il est bon ? parce qu'il est riche ? - Tout cela lui fait défaut. - Pourquoi alors mourez-vous d'amour pour les hommes ? Pourquoi, Seigneur, voulez-vous demeurer en eux ? - Je vais vous le dire : Parce que Dieu demeurait dans l'homme, et Dieu cessant d'y demeurer, l'homme fut perdu; voilà pourquoi, afin de racheter l'homme il veut revivre en lui là où Dieu vivait d'abord.
 
 

Dommages que le péché d'Adam causa dans l'homme.

Dieu créa le premier homme, il prit un peu de terre, fit ainsi une forme, et ensuite de son souffle lui donna une âme, il souffla dans ses narines un souffle de vie (3) : Dieu souffla dans ce corps un souffle de vie; pour les Hébreux l'âme se trouve dans ses narines, car c'est par le nez que Dieu donna une âme à Adam. Saint-Paul le dit ainsi : Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante.(4)

Au commencement du monde, Dieu créa les cieux et la terre, les étoiles, la mer, le sable, les poissons, l'herbe et tous les animaux. Il créa le monde tout entier; il fit, en un jour, une chose, en un autre jour, une autre chose, et ainsi Dieu inventa au fur et à mesure. Quand tout fut fait, Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance (5). Créons l'homme. Comme dit un bon père de famille qui a préparé une maison très bien ornée avec beaucoup d'objets précieux et tout ce qui est nécessaire : " A présent il ne manque plus que la venue de mon fils pour qu'il jouisse de sa maison ". De même Dieu avait créé tout l'univers, pour demeure, au service de l'homme; Dieu dit : " Il est absurde de faire ces choses et qu'il n'y ait personne pour en jouir. Créons l'homme à notre image et ressemblance."

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(3) Cf. Gen. 2, 7.

(4) Cf. 1 Cor. 15, 45.

(5) Gen. 1, 26.

Dieu créa l'homme, et si vous y réfléchissez, vous saurez pourquoi : Pour qu'il aime Dieu, et en l'aimant, qu'il le possède, et, en le possédant, qu'il en jouisse, et, en jouissant de lui, qu'il soit bienheureux. Les hommes furent créés pour arriver à la béatitude et l'atteindre en acceptant d'employer les moyens que Dieu leur avait donnés. Ils ne voulurent pas attendre; ils voulurent sauter par-dessus les clôtures et les haies, par les fenêtres; ils ne voulurent pas entrer par les portes, ils se perdirent, péchèrent et furent malheureux. Dieu demeurait en eux quand ils étaient en état de grâce; ils péchèrent, Dieu ne voulut pas demeurer en eux. Privé de Dieu, vous voyez ici ce que l'homme est devenu. Créons l'homme à notre image et ressemblance. L'âme est semblable à Dieu en deux points. Le premier, l'immortalité, parce qu'elle n'est pas mortelle; de même que Dieu n'a pas de fin, elle non plus n'en aura pas; de même que Dieu est immortel, l'âme est immortelle. Le deuxième point de ressemblance réside dans l'immatérialité et le fait d'être spirituel car de même que Dieu est esprit, l'âme l'est également; grâce à cela elle a pu connaître Dieu; mais pas à la façon des autres êtres sans raison, qui ne connaissent pas Dieu, et n'en ont pas même conscience.

L'homme doit connaître Dieu. Saint Jean le dit : Or voici la vie éternelle: qu'ils vous reconnaissent, vous le seul vrai Dieu (6). Ainsi étaient nos premiers parents.

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(6) Cf. Jo. 17, 13.
 
 

Comme ils connaissaient Dieu, étant en état de grâce, la vivacité de leur entendement leur permettait de comprendre Dieu, leur volonté était assujettie à n'aimer que Dieu seul. Ils réalisaient bien cette parole divine : Que votre volonté soit faite. Leur chair était si soumise, qu'elle ne voulait que ce qu'ils voulaient; la chair était comme une très humble esclave, obéissante au goût de son maître; elle n'était pas rebelle, elle ne lançait pas de ruades.

Dès que l'homme eut péché, dès qu'il eut enfreint le commandement de Dieu, il perdit aussitôt l'état de grâce qu'il possédait et ce qui resplendissait en lui fut entièrement détruit; l'entendement devint aveugle, il perdit la connaissance qu'il avait de Dieu, sa volonté devint hésitante, cette volonté que Dieu avait donnée à l'homme pour n'aimer que lui et lui consacrer tout ce qu'il aime; à présent l'homme ne sait pas aimer Dieu uniquement pour Dieu, mais il l'aime pour ses intérêts. S'il aime son prochain ce n'est pas pour Dieu, mais pour son plaisir. Si auparavant la chair était mortifiée et soumise, à présent elle est rebelle et lance des ruades.

Lorsque Dieu abandonna les hommes, ces malheureux furent dans un tel état qu'il est pitoyable d'y penser; la clarté s'en allant, ils furent dans les ténèbres. Demandez de grâce aux lettrés, à ceux qui se considèrent comme des savants s'ils comprennent sans Dieu, s'ils savent quelque chose sans Dieu. Ils peuvent bien savoir d'autres choses mais, sans Dieu, ils ne peuvent connaître la véritable science. D'autre part :

Si le savoir de quelqu'un est tel qu'il est considéré parmi les hommes comme très savant, et qu'il n'ait pas en lui la sagesse de Dieu mais qu'elle en soit éloignée, il sera compté pour rien (7). Les aveugles guéris par le Christ en sont un exemple. C'est ainsi que tout ce que l'homme avait de bon fut détruit; l'entendement devint aveugle, la volonté hésitante, la chair rebelle et combien rebelle !

Il n'existe pas de cheval qui se laisse aller autant à la paresse que cette chair. N'est-ce pas vrai ? Que chacun interroge sa conscience et il verra qu'il en est ainsi. Pas besoin de le prouver par de longues pages. Le rôle de la chair n'est que de ruer contre la raison. Ne vous est-il pas arrivé parfois de vouloir faire quelque bonne oeuvre et d'en être empêché par votre chair ? Combien et combien de fois cela arrive-t-il ! Si vous voulez jeûner, la chair veut manger; si la raison veut se soumettre à Dieu, la chair l'en empêche. Si l'homme veut prier ou pratiquer d'autres exercices, s'il veut discipliner la chair, celle-ci l'en empêche et contrecarre son action. Si l'esprit est prêt à servir Dieu, la chair rebelle crie : " Ne le fais pas ". Notre Rédempteur l'a dit ainsi de sa bouche : L'esprit est ardent mais la chair est faible (8). L'esprit est préparé, est soumis à la souffrance, mais la chair est malade et rebelle, et comme elle refuse le combat !

Avec le péché tout fut perdu.

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(7) Cf. Sap. 9, 6.

(8) Mt. 26, 41.

Vous voyez maintenant qui nous sommes; regardons-nous dans ce miroir, nous verrons ce que nous sommes, mais non pas ce que nous pourrions être. Oh ! mes frères, que serions-nous si la main de Dieu nous abandonnait un tant soit peu ! Nous serions pires que des démons; nous ferions des choses plus abominables encore. Si Dieu vous permettait de comprendre ce que nous pourrions être, que verriez-vous, quelles effroyables laideurs, quels spectacles d'abomination pires que tout ! J'ai connu une personne qui pria souvent Dieu de lui montrer ce qu'elle pouvait être. Dieu lui ouvrit un peu les yeux et cela devait lui coûter cher. Elle se vit si effroyablement laide, si malodorante, si sale, si abominable, qu'à grands cris elle disait : " Seigneur, par votre miséricorde, ôtez ce miroir de ma vue, je ne veux pas voir plus longtemps mon image ."

Mes frères, nous sommes une misérable pincée de terre, un peu de malpropreté; nous sommes un esprit du mal qui a les apparences du Saint-Esprit et n'est que mauvais et hypocrite, rempli de duplicité et de méchanceté pour tromper.

Lorsque Judas vint le jeudi de la Cène avec cette troupe de gens pour vendre et faire arrêter Jésus-Christ, il portait des lumières; mais parce qu'il venait, animé d'une mauvaise intention, pour arrêter Jésus-Christ, elles ne l'éclairèrent pas, et il demeura dans l'obscurité.

Oh ! combien parmi ceux qui vivent dans les monastères, contents et très bons religieux, servant Dieu, ont pensé qu'ils seraient plus recueillis et plus solitaires s'ils allaient au désert; ils se donneraient plus à Dieu et leur conscience en tirerait plus de profit qu'au monastère où ils ne font que manger, se rendre au choeur, et perdent leur temps sans profit. Cette pensée leur fait une telle guerre, pensée qui paraît sainte tandis qu'elle est mauvaise, qu'elle les fait partir de leur monastère et gagner la solitude pour mieux servir Dieu.

Un homme marié entre dans un monastère et, en voyant les religieux, tout lui semble si bien que sa vie, sa femme, ses enfants et toutes les choses d'ici-bas lui déplaisent. Il déteste et nomme enfer les choses d'ici-bas et le travail - et encore celui-ci est-il fait peut-être pour subvenir aux besoins de sa maison. Il dit qu'il n'existe pas d'autre vie pour servir Dieu que celle des religieux et qu'il voudrait divorcer et entrer au monastère. Il le désire et tente d'y parvenir. Cela est faux, car il ne le fait que par paresse afin de ne pas travailler. Puisque Dieu vous a placé dans cet état, c'est dans celui-ci que vous vous sauverez; ayez soin de faire tout ce que vous devez car c'est dans cet état qu'il vous donnera sa grâce qui vous conduira au ciel; le démon ne vous donne pas de satisfaction de cette vie sainte et ne vous donne du mécontentement de votre propre vie que pour vous faire perdre la paix et le contentement que vous deviez avoir dans votre état, en vous faisant espérer et désirer ce qui ne peut être, et ce qu'il est impossible d'atteindre.

N'ayez confiance en rien, considérez combien vous pouvez facilement vous tromper même si vous recevez des révélations et des inspirations; ne vous précipitez pas, car tout esprit doit avoir fait ses preuves; ceux-ci sont des voleurs et de la fausse lumière, ce qui est pire que des ténèbres. Il y a un certain nombre de voleurs qui sont vêtus et parés d'habits de soie, de sorte que personne, à les voir, ne pense qu'une telle méchanceté puisse habiter chez des hommes qui semblent si honorables (9), jusqu'à ce qu'ils les prennent en flagrant délit; alors ils s'épouvantent que ce soient des voleurs et disent : " Qui l'eût cru ? " Ils te laissaient sans âme et tu ne le sentais pas; ils t'emportaient tous tes biens et tu ne t'en apercevais pas. Avant moi tous étaient des voleurs. Jérémie : Si les voleurs viennent de nuit... (10). Lorsque les voleurs de biens matériels viennent te voler, ils t'emportent une partie de ta fortune, et t'en laissent un peu, ou bien ce qu'ils ne peuvent pas emporter, ou bien ce qu'ils ont oublié; mais les voleurs de biens spirituels, qu'ils viennent de jour ou de nuit ou furtivement, te volent tout ce que tu as, ils te volent ta fortune et tout ton bien. Ton corps est resté en bonne santé, mais ton coeur et ton âme sont très corrompus. Ils ont fouillé toute la maison, tous les recoins, et le coeur; il ne te reste aucun bien, ils t'enlèvent tout et ils te laissent accablé de tous les maux. Tes ennemis ont semé la ruine en toi, les soldats t'ont blessé, ils t'ont fait ce que le loup fait à la brebis; tu restes pauvre. Si quelque chose demeure en toi, c'est la foi, encore est- elle décapitée, parce que tu ne la possèdes pas avec la charité mais morte.

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(9) L'escroquerie " à l'homme du monde " était bien connue dans la société contemporaine d'Avila. La littérature picaresque ne tarit pas sur ce chapitre.

(10) Avila fait allusion, en un texte hâtif, à Jérémie. : Jer. I, 9-10 et Jo. 10, 8.
 
 

Jésus-Christ portera remède à tant de maux en nous donnant son Esprit.

- Qui portera remède à ceci ? Qui portera remède à tant de maux ? - II n'y a pas de vie sans Jésus-Christ. Sans lui tout fait mourir, tout trompe. Qui pourra donner de la vie à ces âmes qui sont mortes ?

- A quoi verrai-je, Père, que je suis mort ? - Par la vie que mène ton âme; quand elle est vivante, elle aime et connaît Dieu, elle emploie toutes ses forces à son service. Il y a trois sortes de morts : la mort par l'oubli, la mort par l'erreur, la mort par les passions. L'âme qui n'aime pas Dieu, mortes sont sa volonté, son intelligence et sa mémoire; elle est morte, et ne fait rien de bon.

Jésus-Christ dit : Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance. Jésus-Christ est venu pour que nous vivions. Qu'il soit béni pour toujours, car c'est avec sa mort qu'il a acheté notre vie ! Le Très-Haut, le Tout-Puissant est venu, il s'est abaissé et s'est uni à l'enfant. Quelle douleur de voir Jésus-Christ sur une croix, tenu pour un scélérat, déshonoré et tourmenté, insulté! Tel il est sur la croix, telle est ton âme. Il est là comme un scélérat, ton âme est mauvaise et malade; il est enlaidi par les tourments, ton âme est ainsi, laide et tachée par les fautes; il est entouré de bourreaux et de larrons, ton âme est ainsi, entourée de péchés et de démons.

Soyez béni et glorifié, Seigneur, qui avez voulu, tellement à vos dépens, me porter secours de telle sorte que, en simulant ma mort, vous m'avez donné la vie. Que mes mains aient péché et que les mains de Jésus-Christ aient payé leur méfait ! Que mes pieds aillent de péché en péché et que les vôtres soient cloués sur la croix ! Que mon coeur pèche et vous offense et que le vôtre soit ouvert et déchiré pour moi ! Finalement tous les péchés que mes mains, mes pieds, et mon coeur ont commis envers Dieu, les mains, les pieds et le coeur cloués et déchirés les payèrent pour moi sur la croix; avec son corps béni il a payé tous les péchés et les offenses que j'ai faites, moi qui suis méchant.

Dieu créa le premier homme et il lui souffla sur le visage, il lui donna le souffle et l'esprit de vie et il vécut. Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante; le dernier Adam a été fait esprit vivifiant, (11)

Jésus-Christ fut le second Adam créé; et non seulement on lui donna et il eut de l'esprit pour lui comme le premier Adam mais encore il en eut pour beaucoup d'autres. Le Christ a de l'esprit qui vivifie, de l'esprit qui donne la vie, qui ressuscite ceux qui désirent vivre. Allons au Christ, car il possède le souffle de vie. Même si tu es méchant, même si tu es perdu, même si tu es troublé, si tu vas à lui, si tu le cherches, il te rendra bon, il te gagnera, te redressera, et te guérira : Ceux qui sont venus avant moi, sont des voleurs. C'est pour cela que je suis venu, pour que ceux qui viennent à moi, ceux qui me cherchent, ceux qui m'appellent, possèdent la vie, reçoivent la vie et ressuscitent.

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(11) Cf. 1 Cor. 15, 45.
 

- Père, comment Jésus-Christ donne-t-il la vie ? - Lui-même a dit : En vérité, en vérité, je vous le dis : Je suis la porte; celui qui n'entre pas par moi est un voleur. Je suis la porte. - Si Jésus-Christ est la porte on ne peut parvenir ensuite au Père que par Jésus-Christ. Je suis la porte: si quelqu'un entre par moi il sera sauvé, il ira et viendra, et il trouvera des pâturages (12).

- Si Jésus-Christ est une porte, où cette porte nous conduira-t-elle ? - Où ? chez le Saint-Esprit. Je suis la porte : celui qui entre par moi trouvera le Saint-Esprit. La loi de l'Esprit de vie m'a affranchi en Jésus-Christ. (13) La loi met l'esprit de vie en Jésus-Christ. Dès que Dieu le mit en lui, Adam fut vivant, il eut l'esprit; de même Jésus-Christ a mis en toi son Esprit qui vivifie; il t'apportera la vie. Il convient ainsi que le grand Elisée se penche sur le petit enfant mort, qu'il se courbe et s'abaisse sur lui, qu'il veuille bien lui donner de son haleine le souffle de vie.

- Celui qui n'a pas le souffle du Christ, même s'il est riche, même s'il est puissant, même s'il possède tous les autres biens en abondance, est pauvre, faible, misérable, il ne possède pas le Christ. La vigne et les sarments se nourrissent d'une même sève, la tête et le corps sont soutenus par une même force; l'Esprit du Christ et celui de ceux qui sont incorporés en lui ne font qu'un. Il est la vigne et ses membres sont les sarments. Je suis la porte: Que celui qui veut l'Esprit-Saint entre par moi.

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(12) Cf. Jo. 10, 9. (13) Rom. 8, z.
 
 - Comment entrerons-nous ? Où est cette porte ? - Ne connaissez-vous pas encore la porte ? Quelle belle porte et comme elle est bien ornée ! Comme ses pierres sont bien travaillées et bien taillées en imitant les pierres rustiques ! La pierre d'en-haut est plus ouvragée et d'un travail plus rustique encore que toutes les autres. Jésus-Christ et ses serviteurs furent ainsi façonnés par les peines et les persécutions de ce monde et méritèrent ainsi une place avec le Christ.

- S'il est la porte, comment entrerons-nous par lui ? Que celui qui veut le Saint-Esprit, aime Jésus-Christ, lui obéisse, le désire pour toujours. Le Père lui-même vous aime, parce que vous m'avez aimé (14). Crois-tu que l'amour du Père pour vous soit sans importance ? Il n'y a pas de chaînes plus fortes pour retenir le Saint-Esprit que d'aimer Jésus-Christ. Parce que vous m'aimez - dit Jésus-Christ - parce que vous m'avez bien aimé le Père vous aime. Bon échange, assurément, celui de Dieu, qui est de donner le Saint-Esprit à celui qui aime et affectionne bien Jésus-Christ ! Et parce que les apôtres ont tant aimé Jésus-Christ, aujourd'hui on leur envoie, on leur donne le Saint-Esprit. Ce souffle fut supérieur à celui que reçut le premier homme quand on le créa.

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(14) Cf. Jo. 16, 27.
 
 

Les apôtres étaient semblables à des hommes lâches et faibles. Dieu souffla du ciel ce jour-là et comme il créa Adam du limon de la terre, de même il régénéra ces apôtres insignifiants, éplorés, troublés, craintifs. Pense à Jésus-Christ, obéis-lui, aime-le du plus profond de ton coeur, car le Saint-Esprit entre par là. En effet Jésus-Christ a dit ceci : Je suis le chemin, la vérité et la vie. (15)

Par le Christ nous passons au Saint-Esprit. La sainteté qui ne passe pas par Jésus-Christ n'est pas sûre, et je ne la tiens pas pour sûre. Celui qui se moque des pénitences, celui qui estime peu ces signes et ces oeuvres extérieures de dévotion n'a pas le Saint-Esprit. D'où proviennent ces esprits faux? D'où proviennent ces esprits d'erreurs ? Du fait de croire qu'il y a un autre moyen de sainteté que celui de Jésus-Christ. Prenez bien garde de ne pas vous tromper : pour qu'une chose soit sainte, bonne et solide, c'est cette voie qu'elle doit suivre et si elle ne suit pas cette voie, tout n'est rien. Il est le chemin.
 
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(15) Jo. 14, 6.

Que fait le Saint-Esprit dans les âmes ?

Après sa venue, que fit le Saint-Esprit pour l'Eglise ? Qu'a-t-il fait dans le coeur des croyants chez qui il est venu ? Il leur a donné la vie, il leur a donné des dons infinis, il leur a donné du courage, il les a beaucoup améliorés. Les bienheureux apôtres avaient en eux la grâce, mais ils étaient encore pleins de faiblesse, ils n'osaient pas confesser publiquement la vérité de Jésus-Christ, ils avaient de la crainte; mais une fois venu ce souffle saint du Saint-Esprit, remplis de grâce et devenus forts, sans aucune crainte, ils se mettent à prêcher aux hommes les mystères de notre rédemption, opérés par la mort et la résurrection sacrée de Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme. Il imprima dans leur coeur de toujours se souvenir de Dieu et d'avoir un grand respect de Dieu, la source d'où proviennent tous les biens et miséricordes.

Vous qui êtes mariés, dites-moi, seriez-vous jaloux de quelqu'un qui aurait tant de force qu'il prendrait un quintal de plomb et le lancerait jusqu'au ciel, une barre de fer et relèverait plus haut que les cieux ? Vous allez, inconsolables et tristes alors que vous pouvez tirer de vos souffrances des mérites pour le ciel. Soyez patients pour supporter les souffrances de votre ménage, transformez tout en bien, offrez tout au ciel; ayez de la force pour lancer ces quintaux de plomb au-delà des cieux.

N'importe quelle petite souffrance que vous ayez et supportiez chez vous, n'importe quelle importunité, n'importe quelle peine, le mauvais caractère de votre femme, ou de votre mari, ou de votre maître, ou de ceux qui sont en votre compagnie, le travail que vous endurez pour vous nourrir vous et vos enfants, dites : " Par amour pour vous, Seigneur, je me réjouis de le supporter ". Levez les yeux et élevez votre coeur à Dieu, recommandez-vous à lui, offrez-lui vos souffrances, car moi, je vous le dis, en vérité, pour tout vous recevrez récompense. Le sommeil que vous prenez, la nourriture que vous mangez, et ce que vous buvez, tout cela, élevez-le vers le ciel, envoyez-le au ciel, en le faisant et en le supportant pour Dieu; en le lui recommandant et en le lui offrant, vous le lancez au ciel. Faites ainsi, et de cette manière, ce qui est pesant, deviendra léger; vous ferez monter au ciel le plomb et la terre. Et de cette façon il est possible que vous gagniez plus en une seule année qu'un autre en dix. Cela est dû à l'amour avec lequel vous les faites et au fait de savoir l'acheminer vers le but comme on doit le faire parce qu'on vous a mis, dans toutes vos oeuvres, le souvenir de Dieu et le respect de sa sainte présence.

- " Le Saint-Esprit est un animateur - dit le Christ - que le Père vous enverra; et il s'appelle Paraclet, Consolateur et Exhortateur ." Consolateur, parce que même s'il gronde parfois, il ne s'en va pas sans consoler l'âme qu'il réprimande. Parfois ce Consolateur blâme et gronde les âmes en disant par exemple : " A quoi prêtes-tu attention ? Que fais-tu ? Pourquoi négliges-tu tes devoirs ? Fais attention, cela va mal. Considère qu'il faut faire ceci avant de faire cela, quitter telle compagnie, rechercher cette autre, entrer en relation avec telles personnes. Prends garde, la vie passe; fais le bien que tu peux, les aumônes que tu peux; mets en oeuvre ce que l'on t'a enseigné. Que la vie ne s'écoule pas seulement en bons désirs et bonnes pensées, et sans aucune oeuvre. Considère que la vie passe; et tu ignores si Dieu notre Seigneur ne t'appellera pas au milieu de ta jeunesse. Veille à ne pas être surpris. " Et d'autres choses du même ordre. Si de cette semonce et de cette exhortation votre âme est sortie bouleversée, inconsolable et remplie de crainte, ce n'était pas le Saint-Esprit. Il ne gronde que pour consoler, il ne gronde que pour amender et pour qu'on parte joyeux avec ses avertissements. Si après la semonce, après ce trouble, les larmes et la honte que vous avez d'avoir travaillé contre le Seigneur, vous demeurez joyeux, rempli de confiance dans le Seigneur, qui ne vous abandonnera pas, qui vous aidera à être meilleur et vous amendera, cela provient du Saint-Esprit. Le Consolateur est entré dans votre coeur : il vous a grondé, II vient vous consoler : il a coutume de faire ainsi, apporter la tranquillité après l'orage, et l'amour après la crainte. L'Animateur, l'Exhortateur, le Consolateur, le Maître, lui t'enseignera à commander et guider ton navire et tout ce qu'il y aura à faire. Il fera que, contre vents et marées, grâce à son seul conseil et à son adresse tu arrives à bon port.

D'où vient que, dans l'Eglise primitive, les croyants ne pouvaient supporter la fortune, ni les possessions, ni l'argent, ni rien de ce qu'ils avaient gagné ? Ils vendaient tout ce qu'ils possédaient, ils prenaient l'argent et se jetaient avec lui aux pieds des apôtres : " Prenez ce fumier ". Le grand amour qu'ils avaient dans leurs coeurs et leurs entrailles pour Jésus-Christ et sa sainte pauvreté leur faisait mépriser tous les biens visibles.

- Qui leur communiqua cet amour ? - Qui ? Le Saint-Esprit, qui en abondance, était venu dans leurs coeurs. - Qui changea le caractère de tel homme ? Qui lui donna tant de patience ? Il était d'ordinaire très emporté, personne ne pouvait s'en garantir; à présent c'est un saint Jérôme, il a le coeur d'un ange, devant tout il reste muet, tolère tout. - C'est le Saint-Esprit qui fait tout cela, et plus encore, car il encourage l'âme où il demeure, la console, et lui donne des biens et des miséricordes innombrables. Tout provient d'en-haut; il en descend; il n'existe pas ici-bas, sur la terre, de pouvoir capable de faire de telles choses; il n'y a personne qui transforme les coeurs. Si forte que soit ta chair pour le mal, plus fort est le Saint-Esprit pour le bien; si sain que tu sois, il te fait languir; si frais que tu sois, il fanera ta beauté, si sauvage que tu sois, il te domptera; si grand que tu sois, il te renverse, et il tue en toi et supprime tout ce qu'il y a d'extérieur et de contraire à Dieu; il élève, augmente et ressuscite tout ce qui plaît à Dieu. Quelle diligence il t'inspire pour chercher la façon de plaire à Dieu, quel amour pour le prochain car ses souffrances et ses nécessités lui font mal comme les siennes propres et davantage encore ! Il te donne des pieds légers comme ceux du cerf pour courir sur le chemin du Seigneur.
 
 

Le Saint-Esprit est celui qui pousse à embrasser l'état religieux.

Qui pourra dire les mystères, les merveilles, les changements que ce Saint-Esprit, ce Consolateur et Exhortateur a faits dans l'Eglise primitive! Nous pourrions avoir de nombreux témoignages de ce temps-là mais puisque nous en avons d'autres près de nous, prenons ce que nous avons entre les mains, Grâce à qui beaucoup méprisent-ils le monde, apprécient-ils peu les vêtements, les parures, les plaisirs, les fêtes, la pompe et les réjouissances profanes, ne veulent-ils pas voir ni entendre les choses du monde, les jeux de lutte, les joutes, les tournois, ne veulent-ils pas être vus, ne veulent-ils pas voir, car même par force ils n'iront pas, dans la mesure du possible, pour ne pas aller dans les rues et rencontrer quelque chose qui trouble leurs âmes même pour un moment ? Ces serviteurs de Jésus-Christ abandonnent les plaisirs et vont chercher les souffrances; ils vont se faire esclaves alors qu'ils étaient libres. Faut-il des livres entiers pour l'expliquer ?

Le Saint-Esprit le montre, c'est son enseignement; ils veulent fuir les choses d'ici-bas pour aller avec Jésus-Christ, ils aiment mieux pleurer et gémir là que rire dans le monde. La chair et le sang ne peuvent y parvenir, ils n'en ont pas la force; par exemple demandez-le à une dame : elle ne le fera pas, car le sang ne peut le faire; et parce que c'est un don et une grâce du Saint-Esprit et le Saint-Esprit les envoie au Christ. Qui fait ces merveilles ? Si vous voyez quelqu'un qui fait ainsi, ne considérez pas tant ses actes que son coeur; car il est certain qu'il abandonnerait plus s'il possédait plus. Il ne regrette pas ce qu'il laisse mais regrette seulement de n'avoir pas beaucoup à laisser par amour pour Jésus-Christ; s'il possédait mille mondes, il les laisserait pour venir aux pieds du Christ. Il aime mieux lui plaire et le servir que d'être seigneur de la terre entière.

Or pourquoi fait-il cela ? Pourquoi choisit-il cet état ? Pourquoi veut-il s'enfermer ? Seul celui qui le comprend peut le dire.

Le souci du serviteur de Dieu qui veut lui plaire est si grand, le souci de celui qui veut se garder en toute pureté est si grand qu'il ne tient pas pour certain ce qui l'est, même ce qui est bon, il le tient pour suspect.

Etre marié et avoir un foyer n'est pas mauvais, mais parce qu'on ignore si ce qui est bon à présent ne sera pas une cause de chute plus tard, il considère pour plus sûr cet autre état. Qui sait si elle ne se noiera pas dans les tourbillons du mari, du foyer, et de la famille ? C'est comparable à cette proposition faite à quelqu'un : entrez dans cette rivière, sur le bord elle n'est pas profonde, vous ne pouvez pas vous noyer. - Je ne veux pas - dit-il - car si je mets les pieds dans l'eau j'ignore si, après les avoir plongés, je n'aurai pas envie d'y entrer davantage, et ensuite davantage encore, et je tomberai dans la partie la plus profonde d'où je ne pourrai sortir et me noierai. Je préfère ne pas commencer à y entrer, peut-être ensuite ne sera-t-il pas en mon pouvoir de sortir quand je le voudrai.

- Pourquoi a-t-il voulu cet état ? - On lui a montré le sang de Jésus-Christ, on lui a montré les souffrances de Jésus-Christ, on lui a fait comprendre tout ce que Jésus-Christ a fait pour lui, combien il l'aime, combien il doit être aimé et servi et voilà pourquoi il a voulu embrasser cet état. Qui a fait cela ? Qui l'a ordonné ? - Dieu; non pas le sang ni la chair.

Il n'y a pas de force dans le sang, ni dans la chair pour faire ce bien. Qui l'a ordonné ? - Je l'ignore, mais Dieu le sait.

Dieu, dans l'ancienne Loi, ordonnait qu'on lui offrît des prémices; Après elle, des vierges, ses compagnes, te sont amenées (16). La pureté de Notre-Dame la Vierge plut tellement à Dieu que, dans ce vers, Jésus-Christ promettait qu'elles seraient semblables à Notre-Dame.

Il arrivait de nombreuses jeunes filles, qui s'offraient à ce Roi céleste, Jésus-Christ, et abandonnaient de très bon gré tout ce qui fleurit dans le monde, le choisissaient et étaient plus contentes de le posséder que d'être épouses de rois et de princes de la terre : " Les prémices, dit saint Cyprien, ce sont les vierges, la pureté la plus pure qui soit au ciel parce qu'elle possède la pureté du corps et de l'âme. Elle représente ici-bas ce que nous devons être et ce que nous serons au ciel. Nous devons y entrer incorruptibles, purs d'âme et de corps. Ainsi sont les vierges qui vivent ici-bas sur la terre, de chair, elles ne vivent pas selon

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(16) Cf. ps. 45, 15.
 
 

la chair." Elles sont pour Dieu les meilleures demeures parmi les hommes. Il se repose dans les coeurs purs, préservés de la corruption et du péché. Saint Jérôme dit : " Celui qui, tout en étant un être de chair, garde dans sa chair la virginité et la pureté est plus qu'un ange, parce que l'un, qui est l'ange, travaille et agit par don naturel, l'autre, par la grâce. Ce sont des vierges et elles ont cette vertu. On les appelle anges puisqu'elles gardent dans la chair faible et corruptible, par le don de la grâce, la nature des anges ".

Cette dignité et cet état ne doivent pas être choisis parce qu'on ne peut pas faire plus. Il doit être choisi pour l'amour de Dieu, avec le seul désir de lui plaire et de le servir. Celle qui le choisit, pour cette raison-là, celle qui au milieu de la vanité foule au pied le monde et méprise ses faveurs, celle-là est la meilleure.

Ceux qui ont tourné le dos au monde alors qu'ils pouvaient en jouir dans la jeunesse, au moment où ils avaient la beauté et en avaient les moyens sont les serviteurs de Dieu. Ce sont les prémices et les épis mûrs. - Qui vous a mis dans un tel état ? - "Le soleil m'a décolorée; l'amour du soleil me tient dans cet état; je suis un épi brûlé, à l'intérieur je suis belle, à l'extérieur brûlée et noircie par l'amour de Jésus-Christ ". Que les belles ne se glorifient pas de leur beauté, si cette beauté n'est qu'extérieure, parce que à l'extérieur elles paraissent belles et à l'intérieur elles sont l'enfer. Epouses du Christ, ne vous scandalisez pas car si vous avez perdu, pour l'amour du Christ, votre beauté, on vous rendra de la splendeur.

Tout ce que vous avez laissé pour le Christ, tout vous sera rendu en plus grande abondance. Réjouissez-vous et dites lorsque vous serez angoissées au souvenir de ce que vous avez quitté : " Seigneur si j'ai quitté quelque chose pour vous, tout cela est peu de chose car vous méritez beaucoup plus et que je devrais faire encore plus ."

Saint Paul dit aux Hébreux (17) : Si le sang des boucs et des taureaux et les cendres de la génisse que l'on répand pour la sanctification de la chair, sanctifient les impurs, combien le sang du Christ qui s'offrit pur à Dieu par le Saint-Esprit n'a-t-il pas sanctifié plus encore nos consciences des oeuvres mortes pour servir Dieu?

Que possède ce sang béni ? Ce sang qui nettoie nos taches lave-t-il nos délits ? Ah ! si je demandais à Jésus-Christ : Qui vous conduit, Seigneur, à souffrir tant ? Qui pousse ce coeur pour qu'il souffre tant ? Le sang du Christ, qui fut répandu par le Saint-Esprit; ce fut l'Esprit qui l'a fait et l'a poussé à le répandre de si bon gré. C'est lui qui lui disait : " Si vous ne mourez pas, personne n'entrera au ciel; mourez; sinon personne ne sera sauvé ".
 
 

Péroraison : Heureuse jeune fille qui laisses la terre pour le ciel.

Ne vous effrayez pas que le Saint-Esprit vous ait amené aujourd'hui à vous mettre en croix car il a fait une oeuvre plus grande, celle d'obtenir que le Christ renonce à ses plaisirs, qu'il soit obéissant, pauvre,

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(17) Hebr. 9, 13-14.
 
 

rejeté. Celui qui a poussé Jésus-Christ à se mettre en croix, a poussé votre coeur à suivre le Christ, après avoir quitté et oublié tous les plaisirs. Ne vous repentez pas, ne vous découragez pas de ce qui vous arrive, car je vous fais savoir que, plus votre oeuvre est grande, d'autant plus grandes seront les tentations du démon. Le monastère vous semblera un enfer, le choeur une arène, la cellule une prison, les messes des tourments, il vous semblera que vous mangez peu et qu'on vous traite mal. Vous vous direz : " Ceci, je l'avais lorsque j'étais dans le monde. J'ai quitté beaucoup de choses. J'aurais bien pu me sauver en possédant tout cela et en en jouissant. " D'infinies tentations s'empareront de vous pour vous abattre. Soyez averties. Que Dieu vous fasse comprendre combien ce que vous laissez est peu de chose, combien ce que l'on vous donnera est immense. Que le monde ne vous trompe pas, jeune fille, car derrière ces plaisirs, combien y a-t-il d'angoisses et de chagrins, de douleurs et de soucis ! Celui qui considère bien la chose, dira qu'il est bienheureux celui qui en est exempt. Que Dieu vous le fasse comprendre, afin que vous voyiez clairement que ce n'est pas une perte mais un gain; ce n'est pas là une erreur de votre part, c'est un succès.

David, pour échapper à ces dangers, ne demandait-il pas : Détournez mes regards, Seigneur, pour qu'ils ne voient pas la vanité (18). Il a voulu dire, que les yeux qui devaient voir Dieu, ne devaient pas servir à voir des vanités. Ce que nous aimons beaucoup, gardons-le

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(18) ps. 118, 37.
 
 

bien. Que vos yeux s'abstiennent de voir des vanités puisqu'ils espèrent voir Dieu; car vous ne pourrez pas voir Dieu avec les yeux qui voient des vanités. Mettez vos pieds dans le piège de la clôture, et votre cou sous le joug de l'obéissance; faites-vous captifs pour le Christ, enchaînez-vous pour son amour, et tenez fermement car vous trouverez plus de liberté que dans tout le monde.

A quoi vous sert la liberté si votre âme est soumise à la privation ? Supportez de bon gré et fidèlement les souffrances qui peuvent venir pour lui plaire, car il vous en récompensera et vous fera comprendre les mille biens que vous obtiendrez en agissant de la sorte. Malheur à celui qui n'a pas un tel coeur. N'ayons pas de regret en quittant argent, père, frères, maisons, et plaisirs pour Dieu; agir ainsi est un honneur suprême.

Je voudrais plus, si on me donnait à choisir, et les souffrances et les affronts que saint Paul a endurés en ce monde pour Jésus-Christ ont davantage de valeur que ses consolations et ses révélations.

Bienheureuse jeune fille, vous qui quittez la terre pour que l'on vous donne le ciel, vous perdez pour gagner davantage ! Que dirons-nous ? Vous entrez pour le servir et c'est lui qui vous servira. Mettez vos pieds dans le piège et mettez votre cou dans le collier d'or; même si vos pieds sont dans la douleur et la souffrance, levez vos yeux vers l'honneur qui vous est préparé; regardez votre couronne, regardez votre récompense.

Dans la Vie des Pères on raconte qu'un moine vit une procession de saints et quelques-uns portaient de très beaux colliers d'or à leur cou; on lui dit qu'ils jouissaient de cet honneur de porter ces colliers parce qu'en ce monde ils avaient humilié leur nuque sous le joug de l'obéissance.

Obéissez, jeune fille, humiliez-vous, servez, balayez, faites tout ce que vous pourrez. Plus vous aurez de travail ici-bas, plus votre collier au ciel sera riche et digne de gloire. Perdez ici et vous gagnerez là-bas.

Si en ce monde vous souffrez de la solitude, vous serez ensuite la compagne de ceux qui jouissent de Dieu; si ici-bas vous fermez les yeux, au ciel ils verront Dieu; si vous travaillez en ce monde, dans l'autre, vous vous reposerez dans la gloire à jamais.
 
 

30. Est-il venu à toi ce Consolateur ?

dimanche de pentecôte   (Ed. 1596, II, pp. 99-131).

 

Le Saint-Esprit Consolateur   (Jo. 14, 26).

 

Exorde :

Celui qui appartient à la terre a un langage terrestre; celui qui vient du ciel, est au-dessus de tous, a dit saint Jean-Baptiste à ses disciples. Ils furent un peu jaloux, parce que la foule suivait davantage Jésus-Christ que saint Jean et, pour les apaiser, l'apôtre leur dit ces mots : " Personne ne peut prendre plus que la part qui lui vient du ciel, que celle qui lui est envoyée par le ciel. Celui qui est de la terre, (1) etc... // appartient à la terre celui qui a un langage terrestre.

Que fera la terre, si on lui demande de monter au ciel ? Que fera-t-elle ? Comment pourra-t-elle monter ? Que fera l'homme à qui on demande de parler du ciel ? C'est une entreprise impossible, qu'il ne peut pas faire de lui-même, entreprise aussi irréalisable que pour la terre de monter au ciel. Celui qui est de la terre, son langage est terrestre.

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(1) Cf. Jo. 3, 31. Avila suppose que ses auditeurs connaissent le texte cité.
 

Si nous devions parler de choses matérielles, si nous devions parler de choses d'ici-bas, nous en parlerions avec précision, mais parler du Saint-Esprit, parler de chose si élevée, parler du ciel, que ferons-nous, nous qui sommes plus bas que la terre elle-même ? Que ferons-nous pour bien parler ? La grâce du Saint-Esprit est tout à fait nécessaire. Pour parler elle ne fut pas donnée en vain aux apôtres : Nous les entendons dire dans nos langues les merveilles de Dieu. (2)

Les bienheureux apôtres furent remplis et totalement remplis par le feu du Saint-Esprit; ils furent remplis de cette grâce céleste, pour faire comprendre que personne ne doit prêcher ni parler du Saint-Esprit s'il n'est rempli et totalement rempli de ce don céleste et de ce feu sacré. Les saints apôtres avaient le coeur enflammé et plein de la grâce que Notre-Seigneur leur envoya pour conter les merveilles et les grandeurs qu'ils ont contées et dites de Dieu, et qu'ils ont publiées par toute la terre. Il vint sous la forme de langues de feu, pour nous faire entendre que la langue de ceux qui parlent de Dieu et de ses merveilles, doit être enflammée du feu, enflammée d'amour. La langue qui doit parler du ciel et de ses merveilles, ne doit pas être faite d'eau, ne doit pas être faite de vent, ne doit pas être faite de terre.

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(2) Cf. Act. 2, 11.
 
 Nous venons entendre les paroles de Dieu, nous venons entendre ses sermons et nous venons comme on va au théâtre, sans plus d'amour ni de respect. Je vous dis, en vérité, que nous tous qui entendons des sermons courons un grand risque; nous courons un grand danger si nous n'écoutons pas comme nous devons écouter. Nous devrions venir l'entendre avec le coeur enflammé, avec les entrailles embrasées. Nous nous sommes réunis pour écouter et parler du Saint-Esprit; pour une si grande affaire, nous avons besoin de la grâce, nous avons besoin du Saint-Esprit lui-même, nous avons besoin qu'il pénètre dans nos coeurs, qu'il les adoucisse et qu'il les embrase du feu saint de ses dons divins. Saint Paul dit que le Saint-Esprit prie pour nous avec des gémissements ineffables. La prière qui n'est pas inspirée par le Saint-Esprit a peu de valeur; celle qui ne se fait pas selon lui, celle qu'il n'inspire pas et n'ordonne pas, porte très peu de fruit, profite peu. Le Christ a dit à ses apôtres : Vous êtes tristes parce que je veux m'en aller: le Consolateur viendra, car le Père l'enverra en mon nom, et il vous consolera; il vous enseignera toutes les choses; il vous remettra en mémoire tout ce que je vous ai dit; il ouvrira vos oreilles pour que vous entendiez et votre entendement pour que vous compreniez; il vous enseignera à prier et il vous enseignera tout ce que vous aurez à faire pour réussir en tout.

Nous avons un besoin extrême de ce Consolateur, de ce Docteur, de ce Conseiller et de ce Maître.

- Quel remède ? - Nous tourner vers la Très Sainte Vierge. Elle est près du coeur, très près du coeur du Saint-Esprit et le coeur du Saint-Esprit est près du sien. Ses entrailles ont abrité l'incompréhensible. Il abaissa sa grandeur, sa puissance et s'est fait temporel étant éternel, le riche s'est fait pauvre et le Très-Haut s'est abaissé et tout cela par l'oeuvre du Saint-Esprit, par son habileté, son ordre et son savoir. L'ange saint Gabriel dit à la Vierge: Le Saint-Esprit, Madame, descendra en vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. (3) Le Saint-Esprit connaît très bien le coeur de la Vierge; il connaît très bien son coeur si totalement pur, il connaît très bien ce palais où il élabora tant de mystères et de si grands mystères. La Vierge ne fit rien, ne pensa rien, ne dit rien qui pût déplaire en un seul point au Saint-Esprit. Elle lui plut en tout, en tout elle fit sa sainte volonté. Par les supplications de cette glorieuse Vierge, par les gémissements, les désirs et les prières, il apporta le Verbe Eternel et le mit dans ses entrailles.

Supplions-la, puisqu'elle est si près du Saint-Esprit, de nous communiquer sa grâce pour parler d'un Hôte si grand.
 
 

Si nous aimons le Christ, la Trinité demeurera en nous.

Avez-vous reçu le Saint-Esprit quand vous avez embrassé la foi? (4) a dit un jour saint Paul à quelques-uns. Avez-vous reçu le Saint-Esprit ?

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(3) Lc. 1, 35.

(4) Act. 19, 2.
 
  L'avez-vous dans vos entrailles ? Bienheureuse l'âme qui a reçu un tel don; bienheureux celui qui a reçu un tel Hôte en devenant croyant car c'est par la foi qu'il se donne ! Ils répondirent : Nous n'avons même pas entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit -
et à plus forte raison nous ne savons pas si nous l'avons reçu. On ne le leur avait pas donné; et peut-être même y en a-t-il ici qui l'ignorent. Oh ! si vous disiez vrai ! L'avez-vous reçu ? L'aimez-vous ? L'avez-vous servi ? Le désirez-vous ? Souhaitez-vous ardemment qu'il pénètre dans vos coeurs ? Vous n'avez même pas entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit. Le désirer ne sert à rien, lui demander de venir, vouloir le recevoir ne suffisent pas; tout cela ne sert à rien si les oeuvres dignes de mériter sa venue font défaut. Mais par leurs actes ils le nient. (5) Les oeuvres doivent s'accorder avec les paroles et les désirs pour que cet Hôte si grand veuille venir et habiter dans votre âme.

Le Saint-Esprit a tant de prédicateurs, tant de prophètes qui ont parlé de lui avant la création du monde. L'Ecriture dit que "l'Esprit du Seigneur se mouvait au-dessus des eaux " (6). Tous les prophètes ont vu et ont conté de grands secrets et de grands mystères du Saint-Esprit. Entre tous et plus que tous, Jésus-Christ Notre-Seigneur a donné de telles preuves de son existence, et a rapporté sur lui de telles choses qu'ils étaient tous stupéfiés d'entendre les merveilles qu'il en a dites. Jésus-Christ a dit à ses apôtres : N'ayez pas de peine, ne souffrez pas parce que je m'en vais. Mais au contraire, Seigneur, c'est pour cela qu'ils ont de la peine. Quelles sont ces nouvelles preuves d'amour, Seigneur ? Quelles nouvelles façons de se comporter avec ceux qui vous aiment ? Vous partez et vous dites que vous nous aimez plus que la prunelle de vos yeux; vous voulez vous en aller et pour nous consoler de votre départ vous dites : N'ayez pas de peine parce que je m'en vais? Au contraire c'est pour cela qu'ils ont de la peine et la pensée, Seigneur, que vous devez vous en aller est la raison de tout leur chagrin et de toute leur affliction.

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(5) Tit. 1. 16.

(6) Gen. 1, 2.
 
  - Personne ne peut le comprendre ni parvenir à le comprendre sinon celui qui possède le Saint-Esprit. " Avec moi vous avez été consolés; avec ma présence vous avez été réjouis; vous avez été instruits de ma doctrine; vous avez été forts grâce à ma présence. Moi je m'en vais et je prierai mon Père de vous envoyer un autre Consolateur en mon nom.
Jusqu'à présent c'est moi qui vous ai consolés; je m'en irai et en m'en allant, je vous enverrai un autre Consolateur, une autre personne ." - Oh ! Dieu puissant ! Qui est ce Consolateur que vous devez envoyer ? - Un Esprit de vérité qui demeurera en vous, qui vous enseignera des vérités, non pas des opinions, non pas des erreurs.

Seigneur, que les cieux et la terre vous bénissent ! Dieu le Père ne se contenta pas de nous donner son Fils très aimé et unique, Notre-Seigneur Jésus-Christ pour qu'il meure pour nous mais il se donna lui-même.

Jésus-Christ dit : Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. (7)

Qu'il étudie, pense et repense ses paroles, qu'il les accomplisse et les garde; il vous les donne pour preuve et gage de son amour. Dites-moi, mon frère, que ressentez-vous lorsque vous entendez la parole du Christ ? Vous réjouissez-vous quand on vous parle de lui ? Votre coeur est-il rempli de joie quand vous l'entendez nommer, lorsqu'on prêche de lui, lorsqu'on le loue, le bénit, le glorifie en chaire ? Vous vous réjouissez davantage des découvertes, des nouveautés; vous vous y intéressez plus volontiers.

Celui qui garde ma parole, celui-là m'aime. - Que signifie cela ? Comment dois-je garder ses paroles ? Comment dois-je l'aimer ? - Vous devez l'aimer et vous montrerez que vous l'aimez véritablement, si pour cela vous oubliez et abandonnez tout ce qui vous empêche de l'aimer et de le servir véritablement : si votre -il droit - si ce que vous aimez comme vos yeux - vous scandalise, si votre main droite - si quelque chose encore de grande utilité - vous écartent de ce but sacré, coupez-les.

- C'est là un devoir bien pénible, Père ! - Vous devez avoir un couteau si affilé que même si on vous oppose père et mère, frères, parents et amis et tout ce qu'on peut imaginer, si cela vous éloigne de l'amour de Jésus-Christ, coupez-le, ne le laissez pas, foulez-le aux pieds, passez dessus; si cela semble être un acte de cruauté, c'est pourtant une grande preuve de piété. Si pour des raisons d'argent, ou de fortune, si à cause d'un parent ou d'un ami, si pour des raisons de déshonneur ou d'honneur, à cause de la faveur ou de l'appui, à cause de la mort ou de la vie tu viens à pécher, détourne-toi d'eux.

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(7) Jo. 14, 23.
 
  - Bien pénible devoir ! Dois-je ne pas désirer la femme d'autrui ? Non seulement ne pas prendre la fortune d'autrui mais encore avoir à donner la mienne ? Non seulement ne faire de mal à personne mais encore faire tout le bien possible ? C'est une dure et pénible obligation; un peu de sucre, Seigneur, s'il vous plaît ! Car je peine et transpire pour faire cela et avec toutes mes forces n'y parviens qu'un peu; apportez-nous quelque consolation, donnez-nous quelque récompense.

- Cela me plaît. Mon père l'aimera; mon Père le chérira bien - dit Jésus-Christ - et la récompense qu'il lui donnera pour obéir à mes paroles et observer mes commandements (et cela repaiera ses souffrances) c'est que le Père éternel abaissera ses regards sur lui, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. Nous ne viendrons pas en passant car nous nous arrêterons pour fixer notre résidence et séjourner.

- Qui pourra entendre cette parole sans bénir et louer le Père, le Fils et le Saint-Esprit, car le Père et le Fils viendront et ils établiront leur demeure en lui.

Désirez-vous plus ? Etes-vous contents ? A présent continuerez-vous à poursuivre les chimères, à chercher de l'argent, les honneurs, à désirer vous élever plus haut, vous faire valoir et rechercher des charges ?

Voulez-vous davantage ? Saint Bernard dit : " Oh ! coeurs endurcis que ne blesse pas un tel couteau, que n'enflamme pas un tel feu, que n'émeut pas, n'adoucit pas, et n'attendrit pas une telle bonté ! " Quand le Fils et le Père viennent, le Saint-Esprit vient aussi. Ne te considère pas comme orphelin dorénavant parce que le monde te refuse les honneurs, parce que le monde ne t'accorde pas de faveurs, parce que tu n'as ni prospérités, ni richesses ici-bas.

- Vous reste-t-il quelque chose, Seigneur, vous reste-t-il quelque chose à donner ? Je prierai le Père et il vous enverra un autre Consolateur.
 
 

Le Consolateur sera tel, qu'ils ne regretteront pas le Christ.

Voilà ce qui me stupéfie le plus. Les disciples attendaient ce Consolateur. Ils le désiraient beaucoup tout en ignorant qui était ce Consolateur ou quelle était sa puissance. Les apôtres l'aimaient avant sa venue et désiraient beaucoup qu'il vînt à eux. Je prier ai le Père et il vous enverra un autre Consolateur.

- Que dites-vous, Seigneur ? Quelles paroles sublimes sortent de votre bouche ? Combien doit être

grand le Consolateur pour que sa venue console de votre douloureuse absence; pour qu'il console, pour qu'il enseigne et pour qu'il fasse tout ce que vous faisiez.

Pourrez-vous vous imaginer et pourrez-vous dire l'immense consolation que le Christ apportait à ses apôtres, combien sa vue et sa présence leur donnaient de joie ? Rien que de le voir, toutes leurs souffrances s'évanouissaient. Nulle mère n'aime autant ses enfants et les comble d'aussi nombreux présents que Jésus-Christ n'aimait et comblait ses apôtres de présents; il n'existe pas d'oiseau qui prenne autant de soin de ses petits, les défende et les abrite sous ses ailes que ne le faisait Jésus-Christ avec les siens. Il les aimait du plus profond de son coeur, il leur parlait, il les instruisait, il leur prodiguait mille consolations, il les préservait des défaillances, il les encourageait, il leur faisait beaucoup de bien. Eux l'aimaient tellement qu'ils abandonnèrent leur richesse et leur fortune, les filets avec lesquels ils gagnaient leur vie, des maris quittèrent leurs femmes, des enfants leurs parents, et quelques femmes leurs maris. Il était si affectueux pour eux, sa conversation si affable et si pleine d'amour, qu'ils auraient donné mille mondes s'ils les avaient possédés, afin de jouir de sa présence une seule heure. Comme ils étaient pleins d'assurance, comme ils étaient joyeux, comme ils étaient heureux avec le Christ ! On peut les considérer comme riches et heureux, et ils l'étaient, ceux qui voyaient Jésus-Christ de leurs yeux et entendaient de leurs oreilles ses très saintes paroles.

Jésus-Christ, le jeudi de la Cène, leur dit : Vous êtes tristes parce que je vous ai dit que je veux partir. Ces bienheureux étaient si heureux avec Jésus-Christ qu'il leur semblait impossible qu'après son départ, quelque chose put venir consoler leur coeur, et ils pensaient que personne au monde ne pourrait remplir le vide causé par son absence. Ils étaient stupéfiés, ravis par ce corps très saint et par sa présence; ils ne croyaient pas qu'ils pouvaient être consolés une fois que le Christ les aurait quittés. Qui consolera ces affligés ? Qui portera remède à une si grande perte ? Qui guérira cette plaie que l'absence du Christ a causée dans le coeur de ses apôtres ? C'est une grande plaie d'amour, elle a besoin de grand remède et de grand soin.

- Si je m'en vais un autre Consolateur viendra qui vous consolera. Quel Consolateur peut venir, qui les empêche de regretter Jésus-Christ ? Il leur dit qu'il veut s'en aller et pour adoucir leur peine et leur tristesse il leur promet de leur envoyer un autre Consolateur. Et il sera tel, que vous ne souffrirez pas de mon départ; un autre Consolateur aussi bon que moi, un autre qui vous consolera et vous fera plus de présents que moi.

Seul Dieu pouvait guérir cette plaie; et voici un argument très important pour croire que le Saint-Esprit est Dieu, parce que, s'il était moins que Dieu, il n'aurait pas pu consoler, il n'aurait pas pu guérir la plaie que le Christ avait faite par son absence. Jésus-Christ est Dieu; si le Consolateur qu'il devait envoyer avait été moins que Jésus-Christ, il n'aurait pas pu guérir la plaie faite par le départ du Christ. Donc, il est clair que, devant être Consolateur comme le Christ l'a dit, puisqu'il devait consoler les apôtres de la peine qu'ils avaient du départ du Christ, il devait être aussi Dieu que Jésus-Christ et aussi puissant pour consoler que l'était le Christ. Seul le Saint-Esprit qui est Dieu comme Jésus-Christ sera capable de le faire réellement. C'est pourquoi, vous devez être tout à fait consolés, parce que, si vous l'appelez, il vous secourera dans toutes vos difficultés. Peut-être dites-vous : " On m'a calomnié, j'ignore ce qu'on a dit de moi, j'ai perdu ma fortune, mon mari est parti, je souffre beaucoup et suis très malade, mon père est mort, mon ami m'a manqué de parole, je suis affligé, j'ai de grandes tentations, j'éprouve une grande sécheresse dans mon coeur, je ne sais pas ce que j'ai, je suis toujours aux prises avec la souffrance et en danger de mort ". Ayez de la patience, ne vivez pas dans l'affliction; ne vous laissez pas abattre, appelez ce Consolateur qui vous consolera et vous instruira; car puisqu'il a suffi à combler, à guérir et à consoler la désolation que le Christ a causée à ses apôtres, il vous consolera aussi; car ce fut une perte plus grande et une affliction plus grande que toutes celles que vous pouvez avoir, si grandes et si pénibles soient-elles. Compare ton affliction et ta plaie avec celles des apôtres, et tu verras comment celui qui a guéri et consolé celles là, alors qu'elles étaient si grandes consolera et guérira les tiennes aussi bien et encore mieux.
 
 

Ce que fait le souffle du Saint-Esprit.

Ce Consolateur est-il venu à vous ? Cet Hôte est-il venu à vous ? Ce grand jour pour votre maison est-il arrivé ? - Père, je ne sais pas ce qui m'arrive; ce qui me réjouissait beaucoup auparavant, m'importune à présent; les joies qu'offre le monde m'attristent, les plaisirs me font de la peine; les jeux, les passe-temps, les joies et toutes les jouissances du monde me sont fastidieux; tout me procure de l'ennui.

- Si ce jour est arrivé pour vous, si ce sentiment s'est emparé de votre coeur, si vous l'avez reçu, sachez-en remercier le Seigneur, et sachez-lui en rendre grâce. Celui qui reçoit cet Hôte, celui qui reçoit ce Consolateur, n'a que mépris et peu d'attention pour tout ce qui fleurit dans le monde, et tout ce que les mondains tiennent pour quelque chose, tout cela lui donne du dégoût, tout le rebute, tout l'ennuie et lui fait de la peine.

Sais-tu l'appeler ce Consolateur, tâche de lui plaire et de le contenter; parce que celui qui possède un tel Hôte ne doit pas s'en distraire, car un si grand Hôte demande un grand soin. Dis-lui : " Seigneur, c'est avec vous seul que je suis content, vous seul suffisez à me rassasier; sans vous je n'aime personne, et avec vous je possède tout; soyez, vous seul, avec moi et peu importe que tous les autres m'abandonnent; vous, consolez-moi, peu m'importe que tout le monde me remplisse de désolation; soyez, vous seul avec moi et peu m'importe que tout le reste soit contre moi."

- Où est la sagesse ? Où la trouverons-nous ? Elle est dans le coeur de Dieu. Eh bien dites-moi : après son départ restons-nous orphelins, restons-nous seuls, restons-nous sans conseil, sans appui ? Comment restons-nous ?

Nous a-t-il laissé ici-bas un autre à sa place ? Qu'il vous le prêche celui qui le sait et qu'il vous le fasse comprendre par sa miséricorde.

Oh ! grâces immenses de Dieu ! Oh ! grandes merveilles de Dieu !

Qui pourrait vous faire comprendre ce que vous perdez et aussi qui pourrait vous faire comprendre comme vous pourriez vite le regagner ! C'est un grand mal et un grand dommage, de ne pas connaître une telle perte. C'est un dommage plus grand encore de ne pas lui porter remède lorsqu'on le peut. Dieu t'aime bien; il veut te faire des faveurs, il veut t'envoyer son Saint-Esprit; il veut te remplir de ses dons et de ses grâces, et je ne sais pas pourquoi tu perds un tel Hôte. Pourquoi consens-tu à une telle chose ? Pourquoi le laisses-tu passer ? Pourquoi ne te plains-tu pas ? Pourquoi ne pousses-tu pas de cris ?

Mais comment appellerons-nous cette union que le Saint-Esprit veut faire et fait avec ton âme ? Incarnation ? Non; toutefois l'âme est jointe à Dieu avec une telle force et forme une union si puissante et si pacifique que cela ressemble beaucoup à une incarnation bien que par ailleurs les différences soient grandes. L'incarnation fut une union si haute du Verbe divin

à sa nature humaine très sainte, qu'elle l'éleva à une unité de personne, ce qui n'est ici-bas qu'une unité de grâce; et comme on dit d'une part incarnation du Verbe, on dit ici-bas spiritualisation (8) du Saint-Esprit. De même que Jésus-Christ prêchait, le Saint-Esprit prêche à présent; de même qu'il enseignait, le Saint-Esprit enseigne, de même que le Christ consolait, le Saint-Esprit console et réjouit. Que demandes-tu ? Que cherches-tu ? Que veux-tu de plus ? Avoir en toi un conseiller, un précepteur, un administrateur, quelqu'un qui te guide, qui te conseille, qui t'encourage, qui t'achemine, qui t'accompagne en tout et pour tout ! Finalement, si tu ne perds pas la grâce, il sera tellement à ton côté, que tu ne pourras rien faire, ni dire, ni penser qui ne passe par sa main et son saint conseil. Il sera pour toi un ami fidèle et véritable; il ne t'abandonnera jamais si tu ne l'abandonnes pas.

De même que le Christ pendant cette vie mortelle opérait de grandes guérisons et répandait sa miséricorde dans le corps de ceux qui avaient besoin de lui et l'appelaient, de même ce Maître et Consolateur opère ces oeuvres spirituelles dans les âmes où il demeure et se trouve en union de grâce. Il guérit les boiteux, il fait que les sourds entendent, il donne la vue aux aveugles, il ramène les égarés, il enseigne aux ignorants, il console les affligés, il encourage les faibles. De même que le Christ faisait ces oeuvres si saintes parmi les hommes, et de même qu'il n'aurait pas pu faire ces oeuvres s'il n'avait pas été Dieu, il les fit avec cette nature humaine qu'il avait assumée, et nous les appelons oeuvres qui furent faites par un Dieu homme, de même ces autres oeuvres que fait ici-bas le Saint-Esprit dans le coeur où il demeure, nous les appelons oeuvres du Saint-Esprit avec l'homme, considéré comme élément secondaire.

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(8) Le mot espirituaci—n n'existe pas comme tel en espagnol. C'est un de ces néologismes frappants qui sont bien dans le genre de Jean d'Avila. N'ayant pas d'autre mot que spiritualisation pour le traduire en français, il convient de donner à celui-ci le sens fort qu'entendait lui donner Avila, c'est-à-dire : union intime du Saint-Esprit et de l'homme, conçue par analogie - sans plus - avec l'union de la divinité et de l'humanité dans l'Incarnation.

Ne peut-on considérer comme malheureux et infortuné celui qui ne possède pas cette union, celui qui ne possède pas un tel hôte dans sa maison, celui qui n'a pas un tel conseiller, celui qui n'a pas un tel guide, un tel soutien, un tel précepteur, consolateur et gardien ? Et parce que vous ne le possédez pas, vous êtes tels que vous êtes, remplis de misère. Dites-moi, l'avez-vous reçu ? L'avez-vous appelé ? L'avez-vous importuné pour qu'il vienne ? Combien de larmes vous en coûte-t-il ? Combien de soupirs ? Combien de jeûnes ? Quels actes de dévotion avez-vous faits ? Que Dieu soit avec nous ! Je ne sais pas comment vous avez la patience ni comment vous pouvez être privés d'un si grand bien. Voyez tous les biens, toutes les grâces et les miséricordes que le Christ est venu faire aux hommes, ce Consolateur les répand toutes dans nos âmes; il te prêche, te guérit, te rend la santé, t'enseigne et te fait mille millions de biens.
 
 

Il console, il encourage, il réjouit.

Ne vous est-il pas arrivé de sentir votre âme desséchée, sans fraîcheur, mécontente, remplie de découragement, affligée, dégoûtée, ne goûtant vraiment rien de ce qui est bon ? Alors qu'elle se trouve dans cet état de mécontentement, et parfois d'abandon, survient une brise sainte, un souffle saint, un rafraîchissement qui t'apporte la vie, t'encourage, t'anime, te fait revenir à toi, te donne de nouveaux désirs, un amour vif, des satisfactions très grandes et très saintes et te fait prononcer des paroles et oeuvrer à tel point que tu t'en étonnes toi-même. C'est le Saint-Esprit; c'est le Consolateur; aussitôt que son souffle est arrivé, dès sa venue, vous vous trouverez attiré comme par une pierre d'aimant, avec un courage nouveau, des oeuvres, des paroles et des désirs nouveaux; car auparavant vous ne trouviez de valeur à rien, tout vous importunait; à présent vous trouverez de la saveur en tout et beaucoup de satisfaction, tout vous réjouit, tout vous instruit. Une petite herbe, que vous regardez avec attention vous fait louer mille fois Dieu, Notre-Seigneur, et vous fait connaître l'Auteur et le Créateur merveilleux de toutes choses, met en votre coeur des sentiments de dévotion et de reconnaissance au Seigneur tout-puissant, et d'autres encore; s'il vous était permis de parler, vous proclameriez les merveilles et la grandeur de ce que le Seigneur fait connaître de tout ce qui est créé.

Oh ! joyeux Consolateur ! Oh ! souffle bienheureux qui conduit les vaisseaux au ciel ! Cette mer où nous naviguons est très dangereuse; mais avec ce vent et avec un tel pilote nous voguerons en toute sécurité. Combien de navires se perdent ! Combien soufflent de vents contraires et combien y a-t-il de grands dangers ! Mais dès que souffle ce Consolateur compatissant, il les fait rentrer dans un havre sûr. Qui pourra compter les biens qu'il nous faits et les maux dont il nous préserve ? C'est du ciel que vient le vent, du Père et du Fils, et c'est vers eux qu'il retourne; c'est de là que ceux-ci l'exhalent, et c'est de là qu'il l'envoie à ses amis. (9) II les guide vers le terme; il les y conduit; c'est là qu'il veut les mener.

- Avant la venue de ce Consolateur, avant que souffle ce vent du Saint-Esprit, nous sommes assis, nous sommes lourds, notre âme doit peser beaucoup, tout lui paraît difficile, tout lui semble impossible, il ne lui semble pas qu'il existe un chemin pour le ciel, elle trouve partout de la gêne, et elle marche alourdie par une arrobe de plomb, que dis-je arrobe ! cent quintaux de plomb. Comment les ossements des morts auront-ils la vie ? Comment, desséchés, se couvriront-ils de chair et ressusciteront-ils ? Il est évident que par eux-mêmes et seulement par eux-mêmes, ils ne pourront rien; mais Dieu qui peut tout, peut les couvrir de chair, et leur donner l'esprit de vie, et les ressusciter et leur donner mouvement et existence.

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(9) " L'Esprit de vérité... ne tirera pas de son propre fonds ce qu'il vous dira, mais il vous répétera ce qu'il a entendu". (Jo. 15, 13).
 

Dieu appela le prophète Ezéchiel et lui dit : Fils de l'homme, pour toi, ces os que tu vois ici pourront-ils avoir la vie et être couverts de chair et de nerfs? Ezéchiel répondit : Seigneur, ce que vous me demandez, vous le savez. Dieu dit : Dis-leur ceci: " Os desséchés, je jetterai sur vous de l'esprit de vie, et je vous couvrirai de nerfs et je ferai pousser de la chair sur vous, et je vous donnerai de la vie, et vous saurez que je suis le Seigneur ."

Un os sec, dur, sans humeurs liquides, ni vertu, voilà tout homme qui se trouve privé du Saint-Esprit; un os mort. Mais quand le prophète eut appelé le vent pour qu'il soufflât sur les morts, les os eurent la vie; tout change, ce qui est lourd devient léger et ce qui est mort revit. Tu étais malade, lourd, privé du feu de charité, mort, et tu n'avais pas la plus petite miséricorde pour personne ni n'avais de tendresse; tu étais découragé par la faiblesse, sans espoir de pouvoir réaliser une oeuvre qui soit bonne et aussi pesant qu'un mort. Dans cet état Dieu te dit : " Homme, ne perds pas courage, penses-tu que tu ne pourras pas ressusciter ? Reprends courage, car moi je suis plus puissant pour te sauver, pour te ressusciter, te donner vie et te réjouir que tous les maux pour t'abattre, te perdre, te tuer et t'attrister. Ma bonté est plus grande pour te rendre bon, que ta méchanceté pour te damner et te rendre méchant."

Seigneur Dieu tout-puissant que les cieux et la terre vous bénissent ! Combien verrons-nous de témoins le jour du jugement dernier, dont les navires couraient déjà à leur perte, allaient se briser en morceaux, allaient sombrer et qui en recevant ton souffle furent sauvés et rentrèrent tranquillement au port et en toute sécurité ! Combien son Esprit ressuscita-t-il de gens qui avaient perdu toute espérance de vie et leur donna une nouvelle vie et des désirs nouveaux, les réjouit et les confirma dans une espérance nouvelle ! Qui fait tout cela ? Le Saint-Esprit qui a soufflé et a conduit sans résistance vers Dieu.

Que fait-il de plus ? Qui le dira ? Qui pourra le dire ? On jette les apôtres en prison, on les fouette et on leur ordonne de ne plus prêcher, eux sortent en riant, joyeux, éprouvant le sentiment d'être des bienheureux, parce qu'ils ont été dignes d'endurer des souffrances et des affronts pour le Christ notre Rédempteur. Sinon, considère que par peur d'une simple femme saint Pierre nie et renie trois fois Jésus-Christ, et dit : Je ne connais pas cet homme, et après la venue en son coeur de ce Consolateur, de ce souffle, ni les menaces, ni la prison, ni les chaînes, ni les coups de fouet, ni la mort même ne sont suffisants pour l'empêcher de prêcher et de confesser le saint nom de Jésus-Christ; saint Paul mis dans les fers et jeté en prison disait : " Ne croyez pas que je sois affligé parce que je suis dans cette prison; sachez qu'ici, dans cette prison où je suis, j'ai de la consolation pour moi et pour vous, et que d'ici je console tout le monde ."

Jésus-Christ dit dans son saint évangile : Que celui qui a soif, vienne. Que voulez-vous dire, Seigneur ? Quelle eau avez-vous pour apaiser la soif de ceux qui viendront à vous ? Il n'y a pas d'eau, ni de sources plus fraîches pour apaiser ainsi la soif et rafraîchir ceux qui sont altérés que le Saint-Esprit du Christ. Avec lui, les convoitises et la soif de ce monde s'apaisent et le feu ardent qu'allument en nous les désirs d'aimer et de convoiter les choses de la terre s'éteint. C'est pourquoi le Christ Notre-Seigneur dit : Que celui qui a soif vienne à moi. En venant à lui, en buvant de l'eau de son Saint-Esprit, en recevant ce Consolateur, ce souffle du Saint-Esprit, il sera rassasié, consolé, instruit, plein d'abondance et guidé sans erreur et hors de doute.
 
 

Il enseigne.

Saint Bernard dit qu'il t'enseignera toutes choses; quelquefois de lui à toi, quelquefois par la bouche d'un autre homme, il te prévient, t'enseigne, te console, t'aide et t'encourage, car il le veut ainsi; si beaucoup de disciples désiraient être marqués de cette doctrine, désiraient entendre et suivre les cours dans cette école, ils jouiraient de cet Esprit doux, source de sagesse. Dans les autres écoles, même si un homme est mauvais, il peut en sortir savant en sa matière et maître en quelques disciplines; mais ici ses disciples jouiront du Saint-Esprit et ils en sortiront ablactatos a lacte, avulsos ab uberibus (10), sevrés et éloignés du sein de leurs mères. C'est à ceux-ci que le Saint-Esprit enseigne qu'il se communique, qu'il se donne. Mes frères, osez vous sevrer pour Dieu, osez vous éloigner du sein de vos mères pour que vous soyiez des disciples et soyiez instruits à l'école du Saint-Esprit.

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(10) Nous laissons ici les mots latins intercalés par Avila dans son texte. Le lecteur comprendra mieux, une fois de plus, sa méthode et ses procédés.

Sevrez-vous de votre volonté, de votre opinion; sortez et éloignez-vous de vous-mêmes, sortez de votre naturel et de vos jugements. Mon Seigneur et mon Dieu, si vous n'êtes pas mon ami, si vous ne m'aidez pas, si votre puissante main ne me favorise pas, comment pourrai-je y pourvoir moi-même ? Comment pourrai-je me séparer, me sevrer et m'écarter des choses d'ici-bas ? Si vous m'aidez, je pourrai tout, je ferai tout; rien ne m'arrêtera; j'oublierai tout, je mépriserai tout et je chasserai tout de moi. Je préfère, Seigneur, être triste à cause de vous que joyeux dans le monde; j'aime mieux pleurer que rire puisque Jésus-Christ, notre Rédempteur a promis une si grande récompense, en disant de sa bouche inestimable : Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés (11).

Lorsqu'on les sevré, quelques enfants parfois en meurent. Les uns mettent leur consolation dans leurs enfants, dans leurs trésors et leurs richesses, d'autres dans l'honneur, d'autres dans les charges et l'autorité, d'autres dans les faveurs, d'autres dans leur femme ou leur mari; et ainsi chacun se repaît et se réjouit selon son caractère de ce qui lui donne le plus de contentement. Quitte tout, mon frère; sevré ce coeur qui est le tien, écarte-le du sein où il a placé son amour. Parmi ceux qui sont sevrés quelques-uns reviennent parfois en arrière. Ose, mon frère, et si une chose te plaît,

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(11) Mt. 5. 5.

sacrifie-la pour Notre-Seigneur Dieu et dis : " Pour votre amour, je veux perdre cette joie, cette consolation, ceci qui me plaisait et cela qui me donne du contentement. Seigneur et mon Dieu, tout ce que vous voudrez que j'oublie, que j'écarte, que je refuse, que je fasse, je ferai tout et je m'éloignerai de tout; aidez-moi, mon Seigneur et ma consolation; donnez-moi du courage, donnez-moi votre grâce ." Faites briller la lumière en nos esprits, versez l'amour en nos coeurs; soutenant la faiblesse de notre corps par votre constante vigueur. (12)

Eclairez, Seigneur des rayons de votre lumière et de votre clarté éternelle, les ténèbres de mon entendement, pour que je puisse avec clarté et certitude ne choisir que vous pour mon bien éternel et que j'oublie et estime peu toutes ces autres choses, car elles sont des ombres fausses et des apparences trompeuses. Et en vous connaissant mieux, faites, Seigneur et mon Dieu, que mon coeur (et toute ma volonté) s'enflamme de votre amour et de désir pour vous, pour que je n'aime que vous, je ne veuille que vous, je ne me mette que sous votre protection, je ne tourne mes regards que vers vous et que vous ne permettiez pas que je m'éloigne jamais de votre amour. Et parce que la faiblesse de nos corps empêche de le faire aussi librement que le demande la raison, fortifiez, Seigneur, avec votre force la faiblesse de mon corps, la bassesse de ma sensualité et de mes aptitudes, afin que tout ce qu'il y a en moi vous contente et vous plaise, vous comprenne, vous aime et vous serve.

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(12) Hymne " Veni Creator ". Même procédé qu'au sermon 28.
 
  - Père, puisque j'ai entendu tant de biens de ce Consolateur, de cet Hôte, que nous devons recevoir dans nos âmes, sachons pourquoi il vient, ce qu'il fait dans nos âmes.

- C'est un long compte que vous me demandez; qui vous pourra compter les grâces qu'il répand là où il vient ? Combien de dons il laisse ! Que de miséricordes il apporte à l'âme qui se donne tout entière à lui ! Le Christ, notre Rédempteur, faisait des miracles, il guérissait des malades, ressuscitait des morts, prêchait. Qui pourra raconter tous les biens que Jésus-Christ Notre-Seigneur fit aux hommes ? Or le Saint-Esprit fait dans les âmes tout ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ faisait : il guérit des malades, ressuscite des morts, donne une langue aux muets pour proclamer la grandeur de Dieu Nôtre-Seigneur. Qui veut emporter cet Hôte ? Qui veut ce Conseiller, ce Consolateur ?
 
 

Qui le veut? Qui le veut?

- Eh bien, voudra-t-il venir ? - Ecoutez : O vous tous qui avez soif, venez aux eaux. Vous-mêmes qui n'avez-pas d'argent, approchez-vous vite et mangez. Venez, achetez, sans argent, et sans rien donner en échange, du vin et du lait. (13)

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(13) Cf. Is. 55, 1.

D'abord il dit eau, et ensuite vin et lait. Eau parce qu'elle apaise la soif et rafraîchit l'ardeur du corps et repose les membres fatigués et nettoie tout ce qui est sale. Vin parce qu'il te fait perdre ta raison et prendre celle du Christ; il t'enlève ton opinion et ta volonté et te donne l'opinion, la volonté et les intentions de Jésus-Christ notre Seigneur et Rédempteur. Qui veut le recevoir car il se donne gratuitement ? Vin, parce qu'il donne de la force et du courage pour souffrir et endurer des souffrances pour le Christ, il réjouit le coeur et donne de la satisfaction dans l'adversité. Lait aussi, parce que le Saint-Esprit traite l'âme de celui qui le possède comme s'il s'agissait d'un enfant qui est au sein de sa mère et il le dirige, le gouverne et lui fait des présents comme pour un enfant; c'est ainsi notre précepteur, notre défenseur, le pédagogue de notre enfance.

Qui le veut ? Qui le veut, mes frères ? Qui le désire et se trouve en même temps plongé dans le péché ? Qui le demande avec le coeur occupé à d'autres choses ? Le glorieux apôtre saint Paul dit aux Ephésiens : C'est en lui que vous avez cru et que vous avez été marqués du sceau du Saint-Esprit, qui avait été promis, et qui est une arrhe de notre héritage. (14). A quoi me sert d'être baptisé et de croire en Jésus-Christ si je n'ai pas le Saint-Esprit ? Si je n'ai pas ce gage de l'héritage céleste promis, à quoi me servent ces autres biens même si j'en ai beaucoup ? Sans cela être baptisé et m'appeler chrétien n'est rien. De même que la circoncision était un signe pour le Juif, de même le baptême est un signe extérieur pour le Chrétien; rien ne sert pour te sauver, si tu n'as pas le Saint-Esprit. Le signe par lequel quelqu'un doit se sauver et atteindre les promesses du Christ notre Rédempteur, n'est pas de m'appeler chrétien, ce n'est pas seulement d'être baptisé. Parce que bien qu'il y ait ceci, s'il manque la présence du Saint-Esprit, ceci ne suffira pas; les baptisés sont des enfants, mais ce ne sont pas des enfants légitimes, ce sont des bâtards; ce sont des enfants, mais ils n'héritent pas de leur Père parce que les bâtards ne sont pas des enfants qui héritent; leur Père peut leur donner des dons, mais il ne leur donnera pas le patrimoine. Celui qui est baptisé et n'obéit pas à Dieu, Notre-Seigneur, n'est pas un fils légitime; celui qui est baptisé et ne possède pas le Saint-Esprit n'est pas légitime; il est bâtard, car il n'a pas le signe qui rend les enfants légitimes et héritiers des biens de leur Père, qui est le Saint-Esprit. C'est en lui que vous avez cru et que vous avez été marqués. Lorsqu'on t'a marqué avec le signe extérieur de chrétien et quand on t'a donné le Saint-Esprit, on t'a fait brebis du Christ et on t'a marqué comme étant sa brebis et de son troupeau. Si nous n'avons pas le Saint-Esprit, nous ne possédons pas l'harmonie éternelle, que Dieu promet par Isa?e : J'ai conclu avec vous un pacte éternel, vous accordant les grâces assurées à David. (15)

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(14) Cf. Eph. 1, 13.

(15) Cf. Is. 55, 3.
 

Qui le veut ? Qui le veut ? Oh ! envoyez-nous des crieurs qui publient la bonne nouvelle ! Qui veut cet Hôte ? Qui veut ce Consolateur ? Il ne sera pas donné à tous de recevoir ce Consolateur, il ne sera pas donné à tous de recevoir un Hôte, à plus forte raison si on vous dit que c'est une personne très sensée et sage. Un jeune homme dit : " Je dois rester devant lui comme saint Jérôme; je ne dois pas bouger, je ne dois pas parler ni me promener, aller aux jeux, ni aux fêtes, ni où je veux; je dois toujours me tenir dans les justes limites; voilà un grand ennui, qui le pourrait supporter ? " Ah ! Seigneur, que signifie cela ? Ils vous prient et ne vous veulent pas ! Vous vous donnez gratuitement à eux et ils ne vous apprécient pas. Eh bien! Seigneur, vous savez ce qu'il nous faut et ce que nous perdons si nous ne vous recevons pas, dites-le nous et faites-le nous comprendre.
 
 

Si tu attends ou si tu possèdes déjà cet Hôte...

La femme enceinte ne saute pas, ne fait pas non plus de travaux excessifs pour ne pas risquer de perdre ce qu'elle porte en son sein; la jeune femme follette qui n'est pas enceinte, saute et danse, joue sans crainte parce que rien n'est en péril en elle. Voulez-vous voir de quel péril il s'agit et quel est ce bien qui ne vous manque pas ? Regardez : Si vous voyez des personnes inconséquentes ou si vous l'êtes vous-même car vous allez où vous voulez, vous parlez, riez, jouez sans crainte, c'est le signe certain que vous n'avez rien à perdre; ou nous pourrons vous prédire que vous le perdrez vite, puisque l'amour vous fait défaut. C'est un signe certain que nous avons quelque chose à perdre si nous avons le souci de le garder et la crainte de le perdre; ainsi lorsqu'on vous dit : Regardez cela. Vous répondez : Je n'ose pas. - Allons par là. - Je n'ose pas. - Réjouissons-nous un peu. - Je ne peux pas. - Allons nous distraire. - Je n'oserai pas. - Que se passe-t-il ? Qui vous a ravi votre volonté ? Qui vous a pris votre liberté ? La sainte crainte et le respect de l'Hôte que j'ai en moi, tiennent enchaînés mes pieds, mes mains, mes désirs et mon coeur. Il me tient tout entier attaché si bien que je ne peux faire ni ne veux faire plus que ce qu'il désire et que ce qui est sa volonté.

Celui qui attend ou qui possède cet hôte, accepte ces liens, soit pour le recevoir mieux ou avec de meilleurs préparatifs, soit, s'il est venu, pour le garder afin qu'il ne s'en aille pas. - Pourquoi ne partez-vous pas par là ? Pourquoi ne faites-vous pas comme les autres ? Pourquoi êtes-vous si ennuyeux ? Sortez de vous-même, existez pour quelque chose ! Si vous voyez quelqu'un agir de la sorte, et qui a souci de lui-même, et ne sait pas répondre par lui-même, ne sait pas se défendre, celui-là le possède dans son coeur; chez lui habite cet Hôte; ce sont des signes de la présence du Saint-Esprit : N'attristez pas le Saint-Esprit (16). Surveille ta manière de vivre, afin de ne pas attrister le Saint-Esprit qui demeure en nous. Sois soucieux comme celui qui a pour hôte un grand seigneur, et n'ose pas aller aux fêtes ni aux jeux. Il se souvient immédiatement de son hôte et dit : " Qui le servira ?

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(16) Eph. 4, 30.
 

Qui lui préparera le repas? Qui veillera sur lui? Je veux rentrer chez moi, de peur qu'il ait besoin de moi, que je lui manque, que je lui fasse défaut ". Si tu n'as pas ce souci, cette crainte et ce respect du Saint-Esprit qui est ton hôte, avec quelle liberté tu agis ! Tu cours, joues, te moques, manges, et bois sans crainte de le perdre et sans aucun souci de l'attendre et de le recevoir. Oh ! quelle douleur ! Si tu attends, si tu veux, si tu désires qu'il vienne, quel souci en prends-tu ?

Il n'y a personne, si pauvre soit-il, qui, prévenu que le roi doit venir chez lui, ne cherche sous forme de prêt ou de toute autre façon quelque chose à suspendre et des parures pour orner sa maison. " Oh ! on me dit que le roi doit venir chez moi ! Que ferai-je ? Prêtez-moi quelque chose à suspendre en ornement; prêtez-moi quelques draperies avec lesquelles j'embellisse et orne ma maison. Bien que je sois pauvre, ce n'est pas une raison pour que le roi venant dans ma maison, la trouve sans parure, sale et mal arrangée. "

Lorsqu'on t'incitera à quelque péché, à quelque tentation mauvaise, réponds aussitôt: "J'attends la pureté, pourquoi me souillerai-je ? J'attends mon Seigneur, comment quitterai-je ma maison ?" Mon esprit ne demeurera pas toujours dans l'homme, car l'homme n'est que chair (17). Saint Paul dit aussi : Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit (18)? N'ignorez-vous pas que vos yeux, vos mains et votre bouche, sont le temple du Saint-Esprit; ne souillez pas la maison du grand seigneur. Tu recherches les joies de la chair, aussitôt le Saint-Esprit s'en va. Le Saint-Esprit ne peut se supporter d'aucune manière dans un esprit souillé; ils ne peuvent vivre ensemble. Il n'est point de moyen terme, il faut choisir l'un ou l'autre. Si tu choisis le Saint-Esprit, tu dois rejeter tout péché et souillure; et si tu veux conserver quelque péché, le Saint-Esprit s'en ira.

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(17) Cf. Gen. 6, 3.

(18) 1 Cor. 6, 19.
 
Considère donc, à présent, ce qui vaut plus, avoir dans ton coeur le Saint-Esprit Consolateur avec la pureté ou perdre un si grand bien pour un plaisir charnel que les bêtes des champs connaissent. Ce n'est pas beaucoup, ce n'est pas beaucoup certainement, de risquer et de perdre ce qui est faux pour choisir ce qui est vrai; de perdre l'incertain pour le certain. Pour une affaire si claire, pour une affaire qui te convient tant, il n'est pas nécessaire de prendre conseil.

Qui le veut ? Considérez qu'il se donne gratuitement, qu'il ne vous demandera pas beaucoup de choses. Pour révérer le Saint-Esprit, qui est venu aujourd'hui remplir le coeur des apôtres, dorénavant ayez de la vénération et du respect pour cet Hôte, servez-le avec beaucoup de soin; même si vous avez de la peine, travaillez à le contenter; même si vous, vous dormez sur le sol, donnez-lui votre lit; et même si vous en souffrez, contentez-le. Je vous demande par révérence et amour pour lui, d'avoir pour lui du respect. Ne vous donnez pas à l'esprit du mal; n'échangez ce Consolateur avec personne. Ne pensez pas pouvoir vivre sans le Saint-Esprit ou sans l'esprit du mal, car c'est l'un ou l'autre.

Nous faisons le signe de la croix lorsque nous entendons parler du démon ou lorsque nous l'entendons nommer et ne nous signerons-nous pas si nous l'avons dans le coeur, comme nous l'avons quand, par quelque péché mortel, nous sommes ennemis de Dieu et fâchés avec lui ?
 
 

Appelle-le au nom de Jésus-Christ.

Si nous avions un peu d'attention et considérions les apôtres qui l'attendaient avec foi ! Les bienheureux attendaient le Consolateur. Sois ainsi dans les oeuvres de miséricorde en faisant du bien à tous ceux que tu pourras.

Les apôtres étaient enfermés en compagnie de la Très Sainte Vierge Marie; appelle-le; force-le comme la veuve dont je vous ai parlé, qui insista et contraignit Elisée.

Je pensais que s'il est venu chez ceux qui ont crucifié le Christ, il viendra, à présent, aussi, chez ceux qui l'appelleront avec dévotion.

Sa douceur et son amour étonnent véritablement, lui qui est entré en eux par la prédication et la prière des apôtres. Saint Pierre prêche ceci : " Mes frères, vous avez péché, connaissez vos péchés et repentez-vous en, car le Seigneur vous pardonnera aussitôt, et vous enverra un don. Préparez vos coeurs pour le recevoir ." Dieu ouvre leur coeur, leurs entrailles et ils connaissent leur mal; et alors retentit cette voix-là, qui est connaître son péché et le pleurer, et qui résonne plus que l'orgue et répand une odeur plus forte que la civette; ils appellent du fond du coeur Notre-Seigneur Jésus-Christ; et, dès qu'ils le font, le Saint-Esprit descend en eux. Voulez-vous que le Saint-Esprit vienne à vous ? Appelez-le au nom de Jésus-Christ. Le Saint-Esprit aime tant Jésus-Christ, que, si vous l'appelez en son nom pour qu'il vienne à vous, il viendra aussitôt.

- Il est pur; comment viendra-t-il à moi qui ne le suis pas ?

- Voici la raison. Pourquoi le Saint-Esprit a-t-il tant aimé Jésus-Christ? Parce que Jésus-Christ s'est mis sur la croix de très bon gré en obéissant au Père éternel et au Saint-Esprit; c'est pourquoi il viendra à vous en son nom, et n'aura pas de dégoût de votre misère; il ne manquera pas de venir; il ne se bouchera pas le nez à cause de toi. - Qui à la vase a uni l'or, la pureté à l'impureté, la richesse à l'extrême pauvreté, la grandeur à la bassesse, un si grand bien à tant de faiblesse et de petitesse ?

- Il est donc vrai que l'homme n'est pas un lieu fait pour le Saint-Esprit, ni la croix n'était un lieu fait pour mettre notre Rédempteur Jésus-Christ; mais c'est à cause de cette union de Dieu avec la croix qu'il y a cette autre union du Saint-Esprit avec l'homme. Le Saint-Esprit inspira Jésus-Christ et l'avertit d'avoir à se mettre dans ce lieu si bas et si infect de la croix, voilà pourquoi le Saint-Esprit vient dans cet autre lieu si indigne et si bas : l'homme. Demandez-le lui instamment, importunez-le, appelez-le au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur, il viendra certainement et se donnera à vous avec tous ses dons, il éclairera votre entendement; il enflammera votre volonté par son amour et il vous donnera ses grâces et sa gloire.
 
 

31. Dieu sauve le monde par le Saint-Esprit.  

Lundi De Pentecôte

(O–a, Ms; est; 8, plut; 4, n. 55 bis, ff. 58 r-61 r.)

 

Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.

(Jo. 3, 17)

Exorde :

C'est un grand stimulant pour celui qui veut entreprendre quelque ouvrage d'en comprendre le but et d'avoir confiance d'y parvenir. Quand nous désespérons d'atteindre quelque chose, nous n'en cherchons pas les moyens et nous ne les mettons pas en oeuvre, etc.

Je me demande perfois pourquoi si peu d'hommes cherchent le Saint-Esprit et comment ils peuvent vivre si peu soucieux de savoir si moi je le possède. Ils mangent, ils rient, ils font des affaires, et les charmes d'une jolie femme les mènent à la perdition alors que la beauté du Saint-Esprit a si peu d'amis qui perdent le sommeil pour elle...

Combien d'heures de sommeil vous a enlevées cette angoisse du Saint-Esprit ? Il est étonnant de voir le petit nombre de ceux qui aiment et désirent ce Seigneur. Lui qui paie de retour mieux que le monde. Il y a des hommes qui pour un real perdent l'honneur, le sommeil, et qui feront un faux serment, etc.; et des richesses du Saint-Esprit rien ne vous importe. Pour quelle raison ne les poursuivons-nous pas ?

Dieu a dit par la bouche de Mo?se : " Ne dis pas : Cette loi est loin de nous, qui l'accomplira ? Qui montera au ciel pour aller la chercher ou qui descendra en enfer pour l'en retirer ? " Tu vois comment il te l'a envoyé dire verbalement : elle est tout près de toi, en ta présence. Saint Paul l'explique. Ne dis pas : Qui montera au ciel pour chercher Jésus-Christ ? Qui descendra en enfer? " Ce qui signifie faire remonter le Christ d'entre les morts ". " Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur. C'est la parole de la foi que nous prêchons " (1). Il ajoute encore : Ne sois pas soucieux en disant : Qui montera au ciel pour nous en apporter le salut, c'est-à-dire, Jésus-Christ ? Qui descendra en enfer pour l'en retirer ? Qui pourra être près de lui pour jouir de lui et recevoir son salut ? Ne dis pas cela - ajoute saint Paul - parce que dans ta bouche, dans ton coeur, tout près, contre toi c'est là qu'il se trouve. Si tu as la foi, tu seras sauvé. (1)

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(1) Cf. Rom. 10, 6-10.
 

Revenons à notre sujet. Y aura-t-il quelqu'un ici désireux de voir le Saint-Esprit ? Quelqu'un n'a-t-il pas dit : " Ne jouierais-je pas, moi, de lui, car les apôtres étaient si désireux de voir le Saint-Esprit à cause de ce qu'il leur avait dit de lui, qu'ils en mouraient de désir ? " Ne dites pas : " Ne verrais-je pas un si grand bien ? Peut-être suis-je en train de soupirer pour ce que je ne peux atteindre ! J'ai placé mon amour dans une chose si haute, qui est plus propice au désespoir qu'à la réussite. Lui véridique, moi menteur; lui pur, moi souillé; lui grand, moi si petit; comment m'aimerait-il ? " Ne vous tourmentez pas, ne vous désespérez pas, attachez-y vos soins, votre désir, car le reste lui s'en préoccupera, etc.

Daniel vit un fleuve de feu qui descendait. Comment cela se fait-il ? Sa nature n'est-elle pas de monter ? Que dit l'Apôtre ? Qu'il convenait que le Christ, après avoir souffert pour nous, montât aux cieux et s'assit à la droite du Père, afin de se tenir désormais pour nous présent devant la face de Dieu? (2), etc. Qu'est-ce que cela, Seigneur ? Il vous restait à faire ceci pour nous : vous mettre devant les yeux du Père et lui présenter vos plaies et vos souffrances, et lui dire : " Père Eternel, si vous m'aimez bien, aimez bien ceux-ci que j'ai enfantés et pour lesquels j'ai souffert ". Car c'est de cette face et de ce visage de Jésus-Christ, de ses mérites (car il est le visage de Dieu; et l'on dit visage, parce qu'il nous en donne la représentation et nous met devant les yeux la divinité de Dieu, comme visage, comme image de Dieu : Ce fils qui est le rayonnement

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(2) Cf. Hebr. 9. 24.
 

de sa gloire, l'empreinte de sa substance " (3), c'est de la face et des mérites de Jésus-Christ qu'il vient. Qu'est-ce que venir, sinon couler vers le bas ? N'est-il pas venu du ciel à la terre ? N'est-ce pas cela descendre ? Il coule, il descend vers la bassesse des hommes le fleuve de feu qu'est le Saint-Esprit.

Aujourd'hui il entre dans ces coeurs et il les allume et les enflamme. Ne crains pas, car si le Christ a accumulé les mérites, il l'a fait pour cela, et à cause de ses mérites il te le donnera. Et de même que, quand il vint et se fit homme et s'enferma dans les entrailles d'une femme, la Très Sainte Vierge, elle le pria, et ainsi prié il vint; à ses supplications, il vint et entra dans son sein et le sanctifia et le purifia, ainsi fera-t-il avec nous, etc.
 
 

Entretien du Seigneur avec Nicodème.

Dieu donne à vos seigneuries de très bonnes fêtes et la grâce du Saint-Esprit abondamment. Il nous appartient aujourd'hui de prêcher quelques paroles que le Saint-Esprit a dites par la bouche de l'évangéliste saint Jean. On les a chantées à l'évangile de la messe, etc. Ce sont des paroles douces, et plus encore parce qu'elles sont dans la bouche du Christ. Il veut dire : Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour le juger et le condamner mais pour que le monde soit sauvé par lui. Il doit en avoir bien envie, puisqu'il envoie un tel gage; il a envie de ce joyau, puisqu'il donne un

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(3) Cf. Hebr. 1, 3.
 
 

tel prix pour lui. Je vous en conjure, vous qui savez le latin lisez ce chapitre. Il me semble que ce sont les paroles les plus douces qu'il y ait dans l'évangile.

Voyez comment le Seigneur s'entretient avec Nicodème. C'était un homme bon et savant, etc. Parmi tout ce que vous pouvez y lire, il lui dit : Vois, si l'homme ne naît de nouveau, il ne peut être sauvé. Il lui répondit : Comment un homme déjà vieux peut-il naître de nouveau? Peut-il par hasard rentrer dans le sein de sa mère?, etc. - Toi, maître et docteur en Israël, tu ignores ces choses? Tu es très savant peut-être, pour te sauver tu es ignorant. Ne sais-tu pas ce que signifie naître de nouveau ? C'est qu'on ne peut voir le royaume de Dieu. Voir et entrer vont de pair, etc. Saint Augustin dit : Celui qui n'est pas né ne peut voir les choses d'ici-bas, les choses du monde; et tu ne peux voir les choses de Dieu si tu ne viens à renaître, etc. Et tu ne sais pas cela? Ne l'as-tu pas lu dans la Loi, dans les Nombres, que les enfants d'Israël ayant murmuré contre Mo?se, Dieu envoya des serpents qui les tuaient, et comment celui même contre qui ils murmuraient intercéda auprès de Dieu pour eux, pour qu'il leur enlevât cette plaie, et Dieu lui ordonna d'ériger un serpent, etc. ? Voici la réalité de cette figure et le corps de cette ombre. Il convient que je sois élevé sur la croix, pour que tous ceux qui me regarderont et avec foi lèveront les yeux sur moi, aient la vie. Et si tu t'étonnes de savoir pourquoi j'apporte tant de soin au salut, ce n'est pas à cause de leurs mérites. Sais-tu d'où cela provient? Dieu a tellement aimé le monde, (4) etc.

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(4) Jo. 3, 16.
 
 

Que ressentent vos oreilles quand vous entendez dire : Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, et en sachant que ce qu'il avait à faire pour le monde allait lui coûter la vie ? Que je sois moi aimé de Dieu ! Que mon âme soit si agréable à Dieu, qu'elle lui soit si précieuse que, pour qu'elle ne se perde pas, il envoie son Fils unique afin de mourir pour elle !

Seigneur, qui donc s'honore de sa race, qui s'honore de ses biens, de sa condition, de sa beauté, etc. ? Ayez honte des honneurs et estimez-vous parce que vous êtes si aimés, si chéris de Dieu, qu'un Fils, etc. Il ne suffit pas de l'entendre, etc. On vous l'aurait envoyé pour qu'il nous perdît ? Pouviez-vous avoir un plus grand bonheur, pouvez-vous avoir une plus grande raison de suivre celui qui vous aime tant ? etc. La plupart de ceux qui ne servent pas Dieu c'est parce qu'ils ne savent pas combien Dieu les aime, ils ignorent les bienfaits de celui qui a donné son Fils pour toi, etc. Qu'il pleure, lui, pour que toi tu sois heureux et en paix! etc. (5) Ne te réjouis-tu pas beaucoup d'entendre ces paroles, que Dieu t'a aimé tellement ? Et c'était lui qui les disait, etc. // ne l'a pas envoyé pour condamner le monde, il ne l'a pas envoyé pour le juger; car s'il était venu pour cela, qui aurait échappé ? Qui n'aurait été condamné ? Il est venu seulement pour que le monde soit sauvé.

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(5) " Je vous dis pourtant la vérité : votre bien exige que je m'en aille " (Jo. 16, 7).
 
 

L'homme créé dans l'honneur, ne le comprit pas.
 

- Il semble, d'après cela, que le monde était perdu avant qu'il ne vînt. - Oui, et avant qu'il ne vienne à l'âme elle est perdue. - Comment le monde s'est-il perdu ? - Sachons-le, parce que peut-être par là verrons-nous comment il doit être sauvé. Alors que l'homme possédait l'honneur, il ne le comprit pas, il fut comparé aux bêtes, il leur devint semblable (6). Dieu créa le monde, il l'orna d'arbres, d'herbes, d'animaux. Il créa l'homme et la femme. Il les fit seigneurs de tout, il leur donna le commandement et l'honneur. Le plus grand honneur qu'il leur donna fut de les créer à son image et à sa ressemblance et il les mit sous son obédience.

Etant ainsi honoré, il n'en comprit pas la valeur, il ne sut pas se maintenir tel, car il faut davantage de vertu pour ne pas tomber quand on possède l'honneur et la prospérité qu'il n'en faut dans les épreuves; il faut plus de lumière pour ne pas tomber quand on possède l'honneur que pour ne pas succomber sous les épreuves. Il ne connut pas ce qu'il avait, il voulut monter plus haut, et parce qu'il voulut ce qui était au-dessus de cet honneur, il perdit ce qui lui était destiné, et perdit cet honneur lui-même; non seulement il perdit Dieu en l'abandonnant, mais il perdit ce que... (7)

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(6) ps. 48, 21.

(7) N'oublions pas que beaucoup de ces sermons sont faits de notes souvent incomplètes, sur lesquelles le prédicateur improvisait.
 
 

Celui qui est en état de péché est moins qu'un homme. Le voici perdu, changé en bête, dès qu'il rejette la grâce et l'obéissance à Dieu. Dès que tu pèches, aussitôt tu suis ce que veut ton appétit et ce que ta chair te demande, etc. N'est-ce pas un homme celui qui vit selon la raison, etc., celui qui se gouverne par la lumière naturelle ? Qu'est-ce qu'un chevalier vêtu de brocart et de soie si à l'intérieur il n'est qu'une bête ? etc. De quoi a l'air celui qui semble gouverner les autres quand lui-même est guidé et gouverné par une bête ? Il n'y a pas de plus grand déshonneur que d'être en état de péché. C'est pour un homme être transformé en bête, etc. Il ne comprit pas, etc. et il ne savait pas quel poids c'était d'être une bête, ni ce qu'étaient les souffrances, ni les fatigues, etc. A cause des péchés ces espèces entrèrent dans le monde. De là vinrent la convoitise, l'orgueil, les majorais (8), etc.

Vous souvenez-vous d'un fou qui avait édifié une grande ville pour se fortifier dans son royaume contre Dieu, pour qu'il ne pût l'en rejeter ? Nabuchodonosor : Qui pourra - dit-il - m'enlever mon commandement et mon pouvoir ? Il attend donc, II entend une voix du ciel : On va te jeter hors de ton royaume et de ta maison, et pendant sept années tu iras vivre comme une bête parmi les bêtes, passant comme elles, et sept années passeront sur toi, jusqu'à ce que tu confesses que le pouvoir et la force sont dans le ciel et non dans

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(8) Le majorât (mayorazgo) est une institution de droit civil et qui avait pour objet de perpétuer dans la famille la propriété de certains biens sous certaines conditions. Le majorât était constitué sur la tête de l'un des membres de la famille, ordinairement l'aîné.
 
 

les villes, non dans les briques, ni dans les pierres, etc. Qu'un coeur de bête lui soit donné (9), il lui semblait à lui qu'il était une bête. Il sort de son palais et s'en va dans la campagne avec les bêtes, et il y passe sept années. Que signifie cela ? Que sept époques passeront sur toi, jusqu'à ce que tu reconnaisses que la force et le pouvoir appartiennent au ciel, et non aux villes, aux briques, etc. Puisque tu as enlevé à Dieu l'honneur, que l'on t'enlève non seulement le royaume, mais que l'on t'enlève le coeur; qu'on te fasse homme et qu'il semble que tu ne l'es pas, etc. C'est ainsi que, puisque tu abandonnes Dieu, que non seulement on t'enlève la grâce et les vertus, etc., mais qu'il te semble être une bête, etc. Allons.

Quoi ? Ceci ne se passe-t-il pas tous les jours parmi nous ? Parce que vous vous êtes trouvé un certain temps dévot et porté à la prière et à la contemplation, et que toutes les tentations ne vous effleuraient pas, vous vous êtes enorgueilli, vous avez eu confiance en vos forces. Qu'on vous enlève le royaume, que vous ne sachiez pas ce que c'est que la dévotion ni la prière, ni ce qu'est Dieu, mais que vous deveniez semblable à une bête, pour reconnaître que ce qu'il vous donnait était une grande grâce et qu'il ne vous le devait pas; que maintenant paroles de Dieu et bonnes actions n'aient plus un goût agréable pour vous. Connaissez-vous, etc. Le lion connaît celui qui lui donne à manger. Et n'importe quel animal aussi. Et vous, vous ne le connaissez pas ? Que l'on vous donne un coeur de bête; que vous perdiez la miséricorde, etc. C'est ce que Job pleurait au nom du pécheur, en disant : Ce que mon âme autrefois ha•ssait, maintenant elle le mange. Tel est le péché d'Adam et Eve et tous leurs descendants naissent avec le péché.

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(9) Cf. Dan. 4, 13.
 

Dieu dit : " Laissez ces fous, car moi je ferai passer sept années sur eux; je leur ferai comprendre leur peu de valeur sans moi ", etc. Saint Augustin dit : " Pour que les hommes éprouvent bien leurs forces et connaissent leur faiblesse, etc., et appellent le secours de Dieu, etc., il fait chercher le remède ". Vient la loi naturelle; ils font le contraire. Ils la comprenaient; mais ils ne l'accomplissaient pas. Connaissant ce qui était le bien, ils ne le suivaient pas; ce qui était le mal, ils ne s'en écartaient pas. Ils avaient là une loi dans leur âme, non pour la garder, mais pour connaître leur infirmité, etc. Ils disaient : " S'il y avait une loi et quelqu'un qui ordonne, il n'y aurait personne qui ne l'accomplirait ". Dieu leur donna sept cent soixante-dix commandements, pour qu'ils ne se plaignissent pas qu'il ne les commandait pas, et eux non seulement ne furent pas bons, mais furent pires qu'avant sous la loi. La loi est intervenue pour faire abonder la faute.(10) Non parce qu'elle était mauvaise, mais à cause de la méchanceté et de la faiblesse humaines, etc. Soyez dès lors libérés de cette opinion, tenez-vous pour faibles et méchants, etc.

Oh ! combien de fois disons-nous : " Je suis absorbé maintenant par une affaire, il n'est pas question que j'aille me confesser ni m'occuper de ma conscience; demain, cette affaire terminée, je le ferai ." Et après, non seulement vous ne vous débarrassez pas de ces mauvaises actions que vous avez entre les mains, mais vous en ajoutez tout autant, etc. (11)

Cette folie et cette présomption, cette confiance en nos forces nous perd. Finalement l'homme s'est perdu par désir d'honneur, et il est tombé plus bas que la bête. Et dans le septième âge, depuis que les hommes étaient traités comme des bêtes à cause des péchés, Dieu envoie le Sauveur de ceux qui sont perdus, non pour qu'il les juge et les châtie - car Dieu ri a pas envoyé son Fils, etc. - mais pour que le monde soit sauvé par lui, pour qu'il lui porte remède.
 
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(10) Cf. Rom. 5, 20.

(11) Nous sommes ici en face d'une de ces notes jetées par Avila sur le papier avant de parler.

 

Aujourd'hui Dieu sauve le monde par le Saint-Esprit.

Nous voici maintenant le jour de la fête. Comment le sauvera-t-il ? L'homme était au-dessous de la condition de bête et encore plus bas que la bête. Comment peut-on y remédier ? Qu'on lui enlève le coeur de bête et qu'on lui donne un coeur. De qui ? D'homme non, mais de Dieu. Par le péché il a perdu son coeur d'homme. Qu'on lui enlève maintenant le coeur de bête, et qu'on lui donne celui d'un homme. Ote de notre chair le coeur de pierre (12) C'est aujourd'hui ce jour de la création nouvelle de l'homme, de sa rénovation, quand on enlève au monde un coeur de bête et qu'on lui donne celui de Dieu, etc. Autrefois on ne baptisait qu'à Pâques et à la Pentecôte, pour donner à entendre que le baptême est une nouvelle résurrection de l'âme, et aujourd'hui aussi, parce que c'est aujourd'hui le jour où les hommes reçoivent des coeurs nouveaux de Dieu, etc. Ceux qui sont déjà enfants des hommes, aujourd'hui sont des enfants adoptifs de Dieu. C'est aujourd'hui ce jour.

Ecoutez-moi attentivement. Comment Jésus-Christ les a-t-il sauvés ? Voyez-vous ce combat qu'il soutint durant toute sa vie, luttant avec le Père, le priant pour nous, s'offrant pour nous, etc. ? Il lutta avec nous pour que nous le connaissions et que nous croyions en lui et lui obéissions, etc., et il se battit et négocia mieux avec le Père notre pardon qu'avec nous notre foi, etc. Pendant tout ce temps il réunit douze apôtres, choisis parmi tous les hommes qu'il y avait dans le monde.

Eh bien ! comment le sauva-t-il ? Comment obtint-il son rachat ? Aujourd'hui c'est le jour du Seigneur, qui vient aux hommes. Semblable à l'autre jour est celui-ci. Autrefois Dieu est venu par union, maintenant Dieu vient par union non hypostatique, mais d'opération et de régénération. Bienheureux jour ! Qui ne s'émerveille ? Aujourd'hui la lumière descend parmi les hommes, aujourd'hui descend la personne même de Dieu, le Saint-Esprit, et il entre dans le coeur des hommes.

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 (12) Cf. Ep. 11, 10; 36, 26.
 
 

Quel beau jour et quel mariage harmonieux ! Aujourd'hui Dieu sauve le monde par le Saint-Esprit. Eh bien! pourquoi dit-on Jésus-Christ Sauveur ? C'est ainsi, parce qu'il l'est, parce que par ses prières le Saint-Esprit est venu aux hommes, etc., guérir les coeurs abominables des hommes, si mal enclins, etc. Dieu se plaint par la bouche de Jérémie : Israël est-il un esclave, est-il né d'un esclave dans la maison? Pourquoi donc est-il traité comme un butin? Pourquoi les lions rugissent-ils contre lui? (13) Par hasard es-tu esclave? Pourquoi t'es-tu laissé prendre par le péché ? Pourquoi es-tu devenu la proie et la victime des péchés ? Pourquoi a-t-il été fait captif du démon ? Pourquoi es-tu esclave, chrétien ? Pourquoi consens-tu à ce que les lions rugissent contre lui, à ce qu'ils se réjouissent sur lui, comme des vautours sur les cadavres ? Pourquoi consens-tu à ce qu'on l'amène au moulin pour l'écraser ? Dis : Pourquoi suis-je pécheur, esclave du démon ? Lève les yeux vers le ciel, comme Nabuchodonosor, au bout des sept années, et dis : Seigneur, à toi est le royaume et tu le donneras à qui tu voudras. C'est ainsi, ainsi que je vous assagirai.

En toi est la force; dans ta main est le salut, et si j'ai été fou et mauvais, et si le coeur se brise, s'il sent sa faiblesse, sa dureté, et se rompt et que vous lui faites de nombreuses incisions, le salut est proche. Vous n'êtes pas éloignés de quitter votre coeur de bête, dit Dieu. Que le Saint-Esprit vienne et vous enlève ce coeur cruel, dur, etc., et qu'on vous en donne un autre qui soit bon (14), De même qu'il guérit ce qui est à l'intérieur, il guérit ce qui est à l'extérieur, et aussitôt à l'intérieur il guérit l'extérieur.

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(13) Jer. 2, 14-15.

(14) On pense en lisant cette phrase hardie, à une page admirable de Péguy dans sa Note conjointe "On a vu les jeux incroyables de la grâce et les grâces incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n'a pas vu mouiller ce qui était verni, on n'a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n'a pas vu tremper ce qui était habitué. Les cures et les réussites et les sauvetages de la grâce sont merveilleux et on a vu gagner et on a vu sauver ce qui était (comme) perdu ". Charles Péguy " Note conjointe ", page 95, édition de la Nouvelle Revue. On remarquera que le mot habitué, sous la plume de Péguy, signifie tout autre chose que le mot " habitudes " (habites), que nous trouvons plusieurs fois ici sous celle d'Avila.

Lorsque les prêtres entrent dans l'eau avec l'arche, (15) elle cesse de couler. Lorsqu'entrent dans l'âme les bonnes pensées, qui sont représentées par les prêtres, parce qu'ils nous portent Dieu, lorsqu'ils entrent dans l'âme, lorsqu'y entre la grâce, l'arche, aussitôt s'arrêtent les vices et les mauvaises coutumes, aussitôt les hommes sont changés, etc. L'Esprit-Saint commence à agir. On dit : " Cela suffit; c'est assez car j'ai offensé Dieu jusqu'à présent ". Suffit-il pour ne pas être mauvais de ne pas pécher? Cela les philosophes l'ont senti. Socrate, Platon, Pythagore. Vous savez qui ? Si vous voyez un homme vertueux, qui vit selon la raison, s'il n'y a que cela, il n'entrera pas dans le royaume des cieux, parce que nous n'y entrerons pas à cause de notre naissance, mais parce que nous sommes nés de nouveau; ce ne sont pas des hommes qui entreront, mais des enfants de Dieu : foi, grâce, espérance, obéissance. Si tu te gouvernes seulement par la raison, tu n'entreras pas là-haut, non, homme, car du ciel doit venir ton salut, etc. Tu ne nais pas de nouveau, même si on te donne de la force pour bien agir, ce chemin n'est pas encore bon pour le salut; il n'est pas tout à fait bon tant qu'il n'y a pas toutes les habitudes (16) des vertus.

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 (15) Allusion au passage de la Mer Rouge par les Hébreux.
 
(16) Habitudes, nous rendons le mot espagnol h‡bitos par celui de habitude, n'oubliant pas pourtant que " le mot habitude ne traduit pas exactement l'expression latine habitus " à laquelle Avila fait ici appel, (cf. art. de A. Michel, dictionnaire de théologie catholique, fascicules CXLVI-CXLVII, art. Vertu), mais alors que habitas pouvait être compris des auditeurs de Jean d'Avila, habitus ne le serait pas d'un auditeur français moyen. Nous prenons donc le mot habitude en le restreignant à la conception que saint Thomas s'en est faite a comme une chose dont on est maître, qui fait qu'on est maître chez soi ".
 
 

Tu dois avoir un amour infus, qui t'inspire. La foi et la charité sont communiquées à l'âme, et cela ne suffit pas. Bien que tu sois sain, etc., sans la main de Dieu il n'y a pas de véritable salut. Que Dieu vous communique ces vertus que les théologiens appellent habitudes. Il y en a de certains, etc. Il en est de même lorsqu'on habille une belle mariée, bien qu'elle soit belle, on lui met de nombreux bracelets et bijoux. Et ainsi saint Jérôme dit que ces richesses de la Loi antique figuraient les grandeurs qui allaient être données dans la Loi de grâce. Et ainsi Dieu donne des dons, des dons grâce auxquels vous agissez mieux, etc. L'Esprit-Saint ne se contente pas de ce que tu sois beau de l'extérieur, mais il veut que tu sois beau intérieurement; non seulement dans ton oeuvre, mais dans ce qui te fait agir. Et si tu voyais la beauté que le Saint-Esprit met dans l'âme où il demeure, tu la poursuivrais de toutes tes forces; toutes les richesses d'ici-bas te seraient indifférentes. Celui qui a créé le soleil, étant dans l'âme, comment sera-t-elle ? Ainsi doit être l'épouse du Saint-Esprit; ainsi dit l'Epoux dans les Cantiques : Oui, tu es belle, mon amie; oui tu es belle!... 17(Cant. 4, 1.)

Soyez attentifs. Oh ! si je pouvais être assez puissant pour mettre dans vos entrailles un amour qui vous fît aimer éperdument le Saint-Esprit ! Puisque vous dites, quand ces dons sont dans l'âme, que là est le Saint-Esprit, comment saint Jean peut-il dire que l'Esprit- Saint n'était pas encore donné, parce que Jésus-Christ n'était pas glorifié?

- Voici : avez-vous vu quand un maître forme un élève qui en sait autant que lui ? Il lui dit : " Va et agis selon ta science; te voilà un bon médecin; observe et guéris ". Il quitte son maître et il agit par lui-même. C'est là ce que j'ai dit jusqu'à maintenant. Le Saint-Esprit met en toi foi et charité, etc., et mille vertus, et il te laisse agir, comme lorsqu'un médecin guérit, et que le malade une fois guéri il lui dit : " Allez, mangez de tout, parce que maintenant vous êtes guéri; gouvernez-vous comme quelqu'un de bien portant ". " Puisque vous êtes savant, vivez comme un savant" II en est de même lorsque le Seigneur vient dans l'âme et te donne des dispositions pour bien agir, éclaire ton entendement, guérit ta volonté, l'enflamme de l'amour de Dieu et te donne la force de l'aimer.

- Eh bien, pourquoi faut-il plus ? - C'est là justement la question. Saint Thomas a dit ceci mieux que tous, et il l'a tiré de saint Augustin, ou pour mieux dire, de Jésus-Christ. Il dit que toutes les vertus et les grâces qui te sont données ne suffisent pas pour te sauver et te faire agir, il faut encore que la main du Seigneur soit sur toi; non que tu ne puisses, toi, aimer Dieu et croire avec ces dons, mais pour que tu en uses bien, il faut que la main de Dieu soit toujours sur toi car sans elle tu ne peux bien en user. Celui qui est de Dieu ne pèche point... (18) Si on te demandait : Pourquoi quelqu'un qui est en état de grâce pèche-t-il, puisqu'il a cette force et ce secours ? - Parce que nous avons le libre-arbitre, pour autant de dons que nous ayons reçus, tu peux cesser d'agir selon ces vertus et pécher parce que tu n'agis pas conformément à elles; et pour cette raison, pour te servir toujours d'elles, la main du Saint-Esprit vient sur l'âme, non sur le don, cela n'est pas nécessaire, mais sur le libre-arbitre pour que tu ne t'éloignes pas de la grâce, etc., bien que tu puisses t'en éloigner, mais pour que tu sois toujours ferme. Eh bien! tel est le rôle du Saint-Esprit, que, bien que vous puissiez pécher parce que vous êtes libres, vous ne péchiez pas; pour cela il faut le Saint-Esprit, et sans Lui personne, quels que soient ses dons, ne peut se sauver. C'est ce que dit David : Apprends-moi à faire ton bon plaisir (19). Aussi bien pourvu que soit un navire de voiles et de tous instruments, s'il n'a pas de pilote qui le gouverne, il se perdra; ainsi si tu n'as pas ce Saint-Esprit, même si tu as beaucoup de dons, tu te perdras, etc. Soyez béni Seigneur, qui ne vous êtes pas contenté de nous donner votre Fils pour qu'il mourût, etc., mais votre Saint-Esprit pour qu'il fût notre guide !

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(18) Jo. 3, 6; 5, 18.

(19) Cf. Ps. 143, 10.
 
  - Où est la différence ? - Les saints de l'Ancien Testament, n'avaient-ils pas le Saint-Esprit ? - Si. La différence la voici : En ces temps-là il se donnait peu et ainsi agissait peu; maintenant, depuis que le Saint-Esprit est venu, il est à chaque pas et presque dans toutes les oeuvres des saints apôtres.

Voici la fête d'aujourd'hui. Considérez, c'est une chose d'agir comme un homme bon, même favorisé de Dieu; c'en est une autre que le Saint-Esprit soit l'auteur et le promoteur, et que l'homme ne soit presque rien de plus qu'un instrument. C'est beaucoup que vous fassiez une bonne oeuvre et que, avec la vertu et les habitudes, vous vous efforciez et pensiez à ce que vous avez choisi, etc.; c'en est une autre que vous fassiez une grande oeuvre, que vous n'avez ni pensée ni choisie, pour laquelle vous n'aviez ni force ni vertu, pour laquelle ni la foi ordinaire ni la charité ne suffisaient, mais comme l'enfant, dont vous estimez que ce qu'il dit n'est pas de lui. C'est comme si un grand peintre tenait la main de quelqu'un qui ne sait pas peindre et faisait avec celle-ci un très beau tableau; celui qui le fait nous disons que c'est le peintre, mais l'instrument c'est la main de l'autre. Il en est de même ici-bas. Dans les oeuvres excellentes que l'homme fait avec l'aide des vertus et de Dieu, l'homme agit aidé de Dieu, Dieu agit en le guidant, l'homme est l'instrument du Saint-Esprit; mais si vous lui dites : " Qui t'a dit cela ? Quand l'as-tu pensé ? Pourquoi l'as-tu fait ?", il n'en saura pas la cause, mais saura qu'il l'a trouvé fait. C'est comme le vent dont vous ne savez d'où il est venu ni où il va; et le Saint-Esprit vous meut. L'oeuvre est tellement au-dessus de votre propre force que vous vous étonnez de la voir faite.

Je vais l'expliquer. Combien de fois vous acharnez-vous pour avoir de la dévotion, et vous l'avez très faible; parce que celle-ci est conforme à la sainteté qui est en vous, et ne vous est-il pas arrivé d'autres fois, sans y penser, etc., d'avoir un feu si grand, qui vous embrase les entrailles, que vous dites : " Je n'ai jamais pensé de la sorte " ? Ceci ne vient pas de vous ni de la grâce ni des vertus. Qu'est-ce donc ? C'est l'oeuvre du Saint-Esprit. Comme Dieu, il vous a poussé à faire une chose pour laquelle votre force ne suffisait pas. Quand tu verras en toi quelque chose de pareil, dis : " Je ne l'ai pas imaginé moi-même "; c'est le Saint-Esprit qui demeure en vous. Quand tu as une grande contrition, il fait appeler Père! Père! Il fait en sorte que tu ne te négliges pas, mais que tu sois toujours au côté de Dieu. Ce Seigneur est celui qui se donne à nous pour cela et pour d'autres choses, etc.