SIMPLICITE
Le dernier des fruits de la sainte obéissance dont je désire vous entretenir, est la simplicité, une simplicité d'enfant confiant, celle des enfants de Dieu. C'est une simplicité qui est au-delà de la complexité ; une naïveté qui dépasse la subtilité. C'est le début de la maturité spirituelle qui suit l'ge ingrat de l'activisme religieux. Mais nombreux sont ceux qui subissent un arrêt de développement au moment de l'adolescence de l'âme ! Cette vie simplifiée se révèle par une joie radieuse qui illumine le visage de ceux qui appartiennent à ce qu'on pourrait appeler la " Fraternité des Transfigurés ".
Connaissant la douleur jusqu'en ses tréfonds, ils ont cessé de se tourmenter, de se torturer, de se démener ; calmes et sereins, ils s'avancent dans le temps avec la joie et l'assurance de l'Eternité. Connaissant à fond la complexité des problèmes humains, ils vont droit à l'amour divin et s'attachent pour toujours à Dieu. On peut dire de la simplicité ce que Shakespeare, dans le Machand de Venise, dit de la Miséricorde : " C'est chez les plus puissants qu'elle est la plus puissante. Mais elle unit toutes les âmes obéissantes en une fraternité d'humilité, dans la simple adoration de Celui qui est tout en tous ".
J'ai en vue quelque chose de plus profond que la simplification de notre train de vie ou de ses agendas bourrés de rendez-vous qui nous laissent au bout de la semaine ahuris et essoufflés. Certes, la sainte obéissance simplifie ces programmes en nous apportant réellement l'équilibre et la paix qui nous manquaient, mais il existe une simplification intérieure de toute la personne ; celle-ci vous calme et vous fortifie, alors on se met à écouter le chuchotement de l'Eternité avec une confiance enfantine, et on-avance dans les ténèbres en souriant.
Cette étonnante simplification se produit quand nous nous recueillons au tréfonds de nous-mêmes(1) et que notre vie reçoit sa direction du lieu sacré où l'atmosphère tranquille de l'Eternité agit sur nous et nous amène à nous donner sans réserve à Dieu. Quelques-uns d'entre vous connaissent ce Centre récréateur, car ils y vivent nuit et jour. Quelques-uns l'entrevoient par moment, en marge de leur vie ; ils souhaitent ardemment de pouvoir atteindre ce Foyer de paix et de joie où l'âme vit familièrement avec Dieu. Cultivez fidèlement ce désir ! C'est l'éternelle Bonté qui vous appelle à rentrer au bercail, à paître dans de verts pâturages, près des eaux tranquilles, à mener, dans la paix que procure la présence du Berger, une vie sans efforts fébriles. Nous sommes, en effet, appelés à passer au-delà de l'effort, à vivre dans la paix, la joie, la puissance, l'amour et l'oubli complet de nous-mêmes. Nous sommes appelés à mettre avec confiance notre main dans celle de notre Père et à cheminer sur la route de la sainteté, sans inquiétude, nous reposant sur Lui.
Douglas Steere a fait remarquer fort justement que la vraie religion semble souvent être l'ennemie du moraliste, parce qu'elle abolit les subtiles distinctions entre les diverses vertus, pour les rassembler toutes en une qualité unique, suprême : l'Amour. La vie d'obéissance totale est dominée, unifiée, simplifiée par l'amour de Dieu ; elle se mêle aux hommes et agit parmi eux, vêtue de la flamme perpétuelle de ce rayonnant amour. Car l'homme simplifié aime Dieu " de tout son cur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toute sa force ", et il s'abandonne avec confiance à l'amour divin il peut alors aimer vraiment son prochain. Et dans cette vie sont unies les qualités de Marie et de Marthe : la " Fraternité des Mains calleuses" s'identifie à la " Fraternité des Transfigurés ".
Aujourd'hui, où les fardeaux de l'humanité pèsent si lourdement sur nous, je voudrais, non point insister sur la technique du service de Dieu, mais lancer un très sérieux appel à la vie dévote, à une vie d'humble obéissance à la Voix intérieure, à une vie comme nous osons à peine la rêver. Hâtez-vous de répondre à Celui qui vous appelle dans le silence de votre âme ! Le Limier céleste nous poursuit toujours, la voix du Berger nous appelle au bercail. Trop longtemps nous avons hésité à obéir franchement, nous n'avons pas eu le courage de nous y risquer en comptant sur son amour. Cherchez la perle de grand prix ! Dieu est " la nourriture de l'homme ". Hâtez-vous vers Celui qui joue le premier rôle dans le drame du temps et de l'Eternité. Il n'est pas trop tard pour aimer Dieu de tout votre cur, pour Lui obéir sans restriction et pour recevoir le baptême de puissance de la vie apostolique. Ecoutez les paroles de saint Augustin déplorant d'avoir tant tardé à se donner à Dieu. " Tard je t'ai aimée, ô Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je t'ai aimée ! Mais quoi ! tu étais au-dedans de moi, et j'étais, moi, en dehors de moi-même ! Et c'est au-dehors que je te cherchais ; je me ruais, dans ma laideur, sur la grâce de tes créatures. Tu étais avec moi et je n'étais pas avec toi, retenu loin de toi par ces choses qui ne seraient point, si elles n'étaient en toi. Tu m'as appelé, et ton cri a forcé ma surdité ; tu as brillé et ton éclat a chassé ma cécité ; tu as exhalé ton parfum, je l'ai respiré, et voici que pour toi je soupire ; je t'ai goûtée et j'ai faim de toi, soif de toi ; tu m'as touché, et je brûle d'ardeur pour la paix que tu donnes. Quand je te serai uni de tout moi-même, il n'y aura plus pour moi de douleur, plus de fatigues ; ma vie, toute pleine de toi, sera alors la vraie vie." (2)
(1) When we " center down ".
(2) Saint Augustin : Confessions, livre X. Trad. Pierre de Labriolle.