LA SIMPLIFICATION DE LA VIE

    Le problème qui se pose à nous aujourd'hui peut se formuler brièvement. La vie dans une ville moderne devient par trop compliquée et encombrée. Les obligations auxquelles il nous est absolument impossible de nous soustraire se multiplient de jour en jour : elles poussent comme des champignons. Nous n'avons pas eu le temps de nous retourner que nous voilà écrasés de fardeaux, accablés de comités, tendus, haletants, toujours bousculés, courant sans arrêt d'un rendez-vous à l'autre. Trop occupés même pour être de bons époux, pour créer un chaud foyer domestique, pour partager la vie de nos enfants, pour nous dévouer à nos amis, nous n'avons pas une minute à consacrer aux isolés privés d'amitié. Si nous renonçons à une besogne d'utilité publique pour passer quelques heures paisibles au sein de notre famille, voici que notre conscience de citoyen nous tracasse et murmure à notre oreille des appels troublants. Les écoles que fréquentent nos enfants réclament notre sollicitude, les problèmes civiques de notre localité revendiquent notre attention, les questions d'une portée plus vaste qui se posent à notre patrie et au monde entier, pèsent sur nous de tout leur poids. Les exigences de notre profession, nos obligations sociales, nos devoirs de membres de telle ou telle organisation très importante nous harcèlent. Tourmentés par notre désir d'être fidèles à notre devoir, nous nous efforçons de satisfaire au moins à un minimum incompressible d'exigences. Mais nous sommes las et essoufflés. Nous sentons avec désespoir que la vie s'écoule et que nous n'avons que bien peu goûté la paix, la joie et la sérénité qui nous semblaient devoir être l'apanage d'une âme bien née. Les moments que nous pouvons consacrer aux profonds silences du cœur sont rares. A regret, avec remords, nous renvoyons à la semaine prochaine la vie profonde de calme inaltérable en la sainte Présence, où en toute sincérité nous savons bien qu'est notre véritable demeure ; cette semaine-ci est décidément trop chargée.

    Mais à quoi bon perdre un temps précieux à exposer le problème ? Bien que nous prenions tous plaisir à nous apitoyer sur nous-mêmes, nous ne nous attarderons pas non plus à déplorer la pauvreté de notre vie, causée par la trop grande abondance des occasions d'agir qui s'offrent à nous. Nous n'allons pas davantage nous précipiter sur une solution, afin d'avoir, pour une fois, des résultats à montrer en justification du temps passé à réfléchir à notre problème. Elaguer, émonder ? Oui, il le faut, mais non avec hâte, ou d'un couteau trop complaisant ; non sans avoir bien examiné l'arbre que nous avons à tailler, et songé au milieu où il vit et à la sève qui le nourrit.

    Tout d'abord, je prétends que nous donnons une, fausse explication de la complexité de notre vie. Nous l'attribuons à la complexité du milieu. Si notre vie est compliquée, affirmons-nous, c'est que le monde où nous vivons est compliqué, avec sa radio et ses automobiles qui nous procurent plus de sensations en une heure que n'en éprouvaient nos grand' mères de toute une journée. Cette explication d'ordre extérieur nous pousse à souhaiter parfois de pouvoir vivre tranquilles sur une île du Pacifique, ou à regretter le bon vieux temps où nos arrière-grands-parents s'en allaient, au tintement des grelots, sur la neige qui craque, passer la journée à la ferme de leurs grands-parents. J'ai moi-même mené durant toute une année, sur une île du Pacifique, l'existence langoureuse, au rythme lent, des tropiques. J'y ai découvert que les Américains transportent avec eux dans ce monde-là la vie trépidante et fébrile de leur continent. Non, quelque envie que nous en ayons, nous ne pouvons pas attribuer la complexité de notre programme à celle du milieu, et une simplification de ce dernier n'amènerait pas nécessairement une simplification de la vie. Je suis obligé de convenir que j'ai rongé mon frein durant cette année à Hawaï, parce que le milieu me paraissait trop simple à maints égards !

    Nous autres, Occidentaux, croyons volontiers que nos problèmes sérieux sont des problèmes extérieurs, nés de l'ambiance. Nous n'avons pas l'habitude de la vie intérieure, où se trouvent réellement les racines du problème que nous examinons. J'estime que la vraie explication de la complexité de notre programme de vie est en nous, et non en dehors de nous. La dispersion extérieure de nos intérêts reflète l'absence d'unité intérieure de notre propre vie. Nous nous efforçons d'être à la fois plusieurs " moi " différents, et ces " moi " ne sont pas coordonnés par une Vie unique, qui les domine. Chacun de nous tend à être non point un seul individu, mais tout un comité d'individus : il y a le citoyen, le père de famille, l'homme d'affaires, l'homme du métier, l'homme d'église, l'homme de société, l'homme de lettres. Et, tour à tour, chacun de ces " moi " se comporte en individualiste forcené : il ne consent pas à collaborer avec les autres, mais lorsque vient l'heure de voter il vote bruyamment pour lui-même. Trop souvent, nous suivons une méthode très répandue en Amérique de trancher rapidement les conflits d'intérêts qui nous divisent, celle du vote à la majorité des voix. C'est comme si nous avions un président du comité des nombreux " moi " en nous, qui n'essaie même pas d'obtenir l'unité, mais à chaque décision se borne à dénombrer les voix, créant ainsi des minorités mécontentes. Chacun des " moi " continue de réclamer. Si nous acceptons de faire partie d'une société pour l'éducation des Nègres, nous regrettons en même temps de ne pouvoir nous charger d'un groupe à l'école du dimanche. Nous ne sommes pas unifiés. Nous sommes perplexes, déchirés. Très sincèrement, nous nous sentons tiraillés entre beaucoup d'obligations différentes, et nous nous efforçons de nous acquitter de toutes.

    Nous sommes malheureux, inquiets, tendus, oppressés, et nous avons peur d'être superficiels. Car, des confins de l'existence, un murmure nous parvient comme l'appel lointain d'une vie plus riche à côté de laquelle nous passons sans la connaître. Tourmentés par le rythme affolant des obligations extérieures, nous le sommes aussi par un malaise intérieur, parce que nous soupçonnons qu'il y a une manière de vivre infiniment plus pleine et plus profonde que cette existence trépidante : une vie de tranquille sérénité, de paix, de force. Ah ! si nous savions en trouver le secret ! Si seulement nous pouvions découvrir le Silence qui est la source du son ! Nous connaissons des personnes qui paraissent avoir trouvé le Centre profond de la vie, où les exigences lancinantes de l'existence s'ordonnent, où il devient possible de dire non - ou oui ! avec conviction. Nous connaissons des vies unifiées, calmes en face des multiples décisions à prendre, jamais pressées, joyeuses, libres, assurées. Ceux qui en font la démonstration ne sont ni des oisifs langoureux, ni des songe-creux perdus dans leurs rêveries : ce sont des gens occupés, qui portent comme nous une lourde charge, mais le fardeau ne meurtrit pas leurs épaules, ils sont heureux et leur démarche est vive. Pour eux, les bagatelles de la vie quotidienne baignent dans une atmosphère de paix infinie, de force et de joie. Nous sommes tourmentés et tendus ; eux, équilibrés et paisibles.

    Si la Société des Amis a quelque chose à dire au monde, c'est surtout dans ce domaine-là. La vie est faite pour être vécue en rayonnant d'un Centre, d'un Centre divin. Chacun de nous peut mener cette vie de force, de paix et de sérénité extraordinaire - une vie unifiée, confiante, multiple, et cependant simplifiée - mais à une condition : celle de le vouloir vraiment. Il y a un Abîme divin, un Centre infini et saint, un Cœur, une Vie qui parle en nous, et par notre intermédiaire au monde. Chacun de nous a perçu ce saint Murmure de temps en temps. Parfois nous lui avons obéi et il en est résulté une vie étonnamment équilibrée et d'un " rendement " extraordinaire. Mais beaucoup d'entre nous n'ont obéi à la Voix qu'à de rares instants. Nous ne nous sommes soumis à sa sainte direction que par intermittence. Nous n'avons pas estimé que cette Chose sainte en nous fût la chose la plus précieuse du monde. Nous n'avons pas renoncé à tout le reste afin de n'être plus attentifs qu'à elle et à elle seulement.

    C'est là, cependant, ce que fit un John Woolman lorsqu'il résolut d'ordonner ses affaires de façon à pouvoir être, à tout moment, attentif à cette voix. Il simplifia sa vie en la réglant sur sa relation avec le Centre divin. Pour lui, en vérité, rien ne comptait autant que de prêter attention à cette Source de toute vie qu'il trouvait au fond de lui-même. Et voilà précisément la découverte des Quakers : c'est qu'il s'élève en nous comme un murmure léger attestant une présence, une direction, un amour divins, plus précieux que ciel ou terre. John Woolman ne permit jamais aux exigences de ses affaires de dépasser ses besoins réels.

    Lorsque les clients devenaient trop nombreux, il les envoyait ailleurs, chez des commerçants et des tailleurs moins prospères. Sa vie extérieure se simplifia en fonction d'une unification intérieure. Il fit l'expérience que nous pouvons être dirigés du Ciel et il s'abandonna complètement, sans réserve, à cette bienheureuse direction ; il se tint tout près du " Centre ", dans le rayonnement de sa chaleur.

    J'ai dit que sa vie se simplifia et c'est à dessein que je n'ai pas employé la forme active du verbe. Pour la simplifier il n'eut pas à lutter, à se sacrifier, à faire effort ; il s'abandonna au Centre et sa vie fut simplifiée. Il put voir les choses de haut, les embrasser d'un coup d'oeil, d'une vue claire. " Si ton oeil est en bon état, tout ton corps sera éclairé " Tous ses " moi " se fondirent en un seul - le véritable - dont le but unique était de marcher humblement dans la Présence de Dieu, de faire sa volonté, d'obéir à sa direction. Il n'y eut pas une majorité de ses " moi " imposant bruyamment leur volonté à une minorité récalcitrante. Il semblait qu'il y eût en lui un président de séance qui, dans le solennel silence intérieur, pressentait la volonté générale de l'assemblée(1). Car j'estime que la façon dont les Quakers dirigent leurs réunions d'affaires peut s'appliquer aussi en nous-mêmes, à la conduite de la vie individuelle. Dans la vie intérieure de John Woolman, le Très-Saint était présent, comme Jésus lorsqu'Il se tenait près du tronc du Temple et regardait ceux qui y déposaient leur offrande.

    Que nous nous en rendions compte ou non, nous sommes tous sous le regard silencieux et attentif du Très-Saint. Et au fond de nous-mêmes, dans le saint Abîme où habite l'Eternel, la valeur de nos programmes de vie, des dons que nous Lui apportons, de l'offrande de nos devoirs accomplis, est soumise à de continuelles revisions. Un grand nombre de nos occupations nous paraissaient extrêmement importantes : elles nous avaient même paru si importantes que nous n'avions pas pu y renoncer. Mais si nous nous retirons dans la solitude intérieure, pour vivre dans ce saint Silence qui est plus précieux que la vie, et si, en entrant ,dans le sanctuaire silencieux de notre cœur, nous y apportons avec nous notre programme de vie, sans en rien réserver, prêts à agir, prêts aussi à renoncer à agir selon que nous serons conduits, alors beaucoup de nos occupations perdront pour nous leur intérêt vital. Je voudrais apporter mon témoignage sur ce point, car la grâce m'a été accordée d'en faire l'expérience personnelle : il se produit une nouvelle évaluation de bien des choses que nous faisions ou que nous essayions de faire ; elle est faite pour nous et nous reconnaissons ce que nous avons à maintenir et ce que nous avons à abandonner.

    Permettez-moi de vous parler en toute intimité, à cœur ouvert, de Celui qui est plus précieux que la vie. Désirez-vous vraiment vivre toute votre vie, chaque instant de votre vie, en sa Présence ? Aspirez-vous à Lui ? Avez-vous faim et soif de Lui ? Aimez-vous sa Présence ? Aimez-vous Dieu de tout le sang de votre cœur ? Exhalez-vous une prière ou un mot d'adoration chaque fois que vous respirez ? Vous réjouissez-vous de son amour jusqu'à en chanter et danser intérieurement ? Vous êtes-vous donné pour but de Lui appartenir, à Lui seul ; de marcher tout le temps dans la voie de la sainte obéissance ? Je sais que je m'exprime comme un évangéliste d'autrefois. Mais je n'y puis rien, je n'ose pas me contraindre pour me montrer correct et discret. Trop longtemps, nous avons été corrects et discrets. La flamme de l'amour de Dieu, de notre amour pour Lui et de son amour pour nous, est très ardente. " Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée. " Est-ce bien ainsi que nous L'aimons ? Notre amour est-il inlassablement fixé sur Dieu tout le long du jour ? Notre activité est-elle entremêlée de confiantes prières et de louanges ? Vivons-nous dans l'inaltérable paix divine, dans une paix qui inonde le tréfonds de notre âme, d'où tout effort est banni, où Dieu est déjà vainqueur du monde, vainqueur de nos faiblesses ? Cette vie, cette paix constante, durable, qui ne fait jamais défaut, cette force sereine, cette tranquille conquête conquête intérieure de nous-même, conquête extérieure du monde - tout cela, devrait être notre portion. C'est une vie libérée de tout effort laborieux, de toute angoisse et de toute hâte, car quelque chose de la Patience cosmique de Dieu passe en nous. Notre vie est-elle inébranlable, parce que nous avons creusé jusqu'au roc, pour la fonder et l'enraciner dans l'amour de Dieu ? C'est ici le premier et le plus grand commandement.

    Désirez-vous vraiment vivre dans la Présence divine, expérience si merveilleuse que la vie en est transformée et transfigurée, qu'elle est transmuée en Paix, en puissance, en gloire, bref, qu'elle devient un miracle ? Si vous le désirez vraiment, vous le pouvez. Si vous m'objectez que vous n'avez pas le temps de vous plonger dans les silences qui nous recréent, je ne puis vous dire qu'une chose : " Alors, vous ne le désirez pas réellement ; vous n'aimez pas encore Dieu par-dessus tout au monde, de tout votre cœur, de toute votre âme, de toute votre force et de toute votre pensée ". Car, à moins qu'il n'y ait des malades dans la famille, ou des enfants en bas ‚ge, et que nous ne soyons terriblement surmenés, nous trouvons toujours le temps de faire ce que nous prenons réellement à cœur.

    Je voudrais être impitoyable envers ce qu'il pourrait y avoir de faux dans la prétention d'être entièrement consacré à la sainte Présence intérieure, d'aimer Dieu sans réserve. Mais je dois reconnaître que cela ne demande pas de temps et ne complique pas la vie. Je constate que l'on peut, tout le long du jour, exhaler de petits mots d'adoration, de louange, de prière, de consécration. Dans une journée extérieurement très remplie, il est possible de se tenir, cependant, constamment en la sainte Présence. Il est vrai que nous avons besoin d'une demi-heure ou d'une heure de tranquille lecture, de détente et de méditation. Mais je constate qu'on peut observer intérieurement, sans interruption, les silences qui recréent. Je me délecte à la lecture de La Pratique de la présence de Dieu, du Frère Laurent (2). A la fin du quatrième Entretien, il est dit de lui : " On ne le voyait jamais agir en hâte ; mais avec une juste modération, il donnait à chaque chose le temps qu'il lui fallait, conservant toujours son air modeste et tranquille, travaillant sans lenteur et sans précipitation, demeurant dans une même égalité d'esprit et dans une paix inaltérable. " Le temps de l'action, disait-il, n'est point différent de celui de l'oraison, je possède Dieu aussi tranuillement dans le tracas de ma cuisine, où quelquefois plusieurs personnes me demandent en même temps des choses différentes, que si j'étais à genoux devant le Saint-Sacrement. "

    Si nous ne parvenons pas à nous recueillir, ce n'est point faute de temps ; pour la plupart d'entre nous, c'est plutôt, j'en ai peur, faute de joyeuse et enthousiaste délectation en Dieu, faute d'éprouver pour Lui un amour profond qui aspire à sa Présence à toute heure du jour et de la nuit.

    Il est clair, n'est-il pas vrai, que je décris ici une manière de vivre absolument révolutionnaire ? La religion n'est pas un devoir à surajouter à tous les autres pour nous compliquer encore la vie. Vivre avec Dieu, c'est le centre même de la vie, grâce auquel tout le reste est transformé et unifié. Cela permet de n'avoir qu'un but unique. Ce qui importe le plus, ce n'est pas de distribuer sans cesse des verres d'eau fraîche à un monde altéré. A force de peiner pour observer le deuxième des grands commandements " Tu aimeras ton prochain comme toi-même", on risque d'arrêter en soi le développement d'un ardent amour de Dieu. On doit aimer Dieu en même temps que son prochain. " C'est là ce qu'il eût fallu pratiquer, sans négliger les autres choses. "

    Il est donc possible de mener une vie si complètement cachée avec Christ en Dieu qu'on élève son âme, au milieu de la besogne quotidienne, vers Celui qui est en nous et hors de nous, par de courtes prières, de brèves louanges, de rapides élans d'adoration et de dilection. Il n'est pas nécessaire que les autres s'en doutent. Si je vous en parle, c'est parce que c'est un dépôt sacré, qui ne m'appartient pas en propre, mais qui doit être transmis à d'autres. On peut vivre dans un état presque ininterrompu de prière intérieure, qui s'élève à Dieu, et se reporte sur les personnes et les entreprises qui nous tiennent à cœur. C'est une vie exempte de précipitation, une vie de bonheur ineffable, une vie pleine de gloire, un monde intérieur rayonnant de splendeur, que nous pouvons habiter malgré notre indignité. Quelques-uns d'entre vous le connaissent, car ils y demeurent ; peut-être que d'autres aspirent ardemment à le connaître : vous pouvez tous le posséder.

    Or, c'est de ce Centre sacré que proviennent les obligations de notre vie. C'est de notre communion avec Dieu que naît notre angoisse pour le monde. Nous ne pouvons pas garder l'amour de Dieu pour nous seuls. Il déborde. Il nous presse. Il nous fait voir les besoins du monde sous un jour nouveau. Parce que nous aimons nos semblables, nous souffrons de constater qu'ils sont aveugles tandis qu'ils pourraient voir ; qu'ils sont endormis dans le confort et le luxe tandis qu'ils devraient être éveillés et mener une vie de consécration ; nous souffrons de les voir accepter les biens de ce monde comme leur droit et non comme un dépôt à eux confié provisoirement. Nous nous sentons poussés à devenir l'instrument de leur réveil, parce que, dans ce Centre sacré, nous apprenons à aimer notre prochain autrement, car nous l'aimons maintenant comme nous-même. Les besoins les plus pressants des hommes ne sont point la nourriture, un abri, le vêtement, quelque importants que soient tous ceux-ci : c'est de Dieu qu'ils ont besoin avant tout. Nous nous sommes mépris sur la nature de leur détresse, nous avons cru qu'il s'agissait de misère économique. Non, il s'agit de détresse de l'âme, de la privation de l'amour divin qui pourrait les recréer, et de la paix de Dieu ! Sondez leur détresse, et demandez-vous si, dans nos projets de réforme, nous répondons vraiment à leurs besoins les plus profonds. Ces projets sont importants, mais ils ont leur place plus loin sur la route ; ce sont des degrés secondaires dans la reconstruction du monde. Le premier pas, c'est une vie sanctifiée, transformée et radieuse, reflétant la gloire de Dieu.

    Cet Amour de notre prochain est presque aussi étonnant que l'amour de Dieu. Est-ce parce que nous avons pitié des autres que nous désirons les aider, ou parce que nous les aimons sincèrement ? Le monde a besoin de quelque chose de plus profond que la pitié : il réclame l'amour. (Comme ceci paraît banal et cependant comme c'est vrai !) Mais notre amour du prochain doit-il nous pousser à nous agiter ? Devons-nous embrasser fébrilement toutes les tâches et tous les êtres dans une sollicitude personnelle ? Non, c'est là la fonction de Dieu. Mais Lui, travaillant en nous, morcelle ses vastes projets et Il assigne à chacun de nous notre part, qui devient notre tâche. Vivre en rayonnant du Centre, c'est mener une vie dirigée du Ciel.

    Nous acceptons une foule d'obligations uniquement parce que nous ne savons pas dire non. Nous avons estimé que telle ou telle tâche devait s'accomplir et nous ne connaissions personne qui fut prêt à s'en charger. Ayant évalué l'importance du besoin auquel elle répondait et supputé le temps à notre disposition, nous avons décidé que nous pourrions peut-être trouver moyen de faire une petite place à cette nouvelle tâche. Mais c'est dans notre cerveau que cette décision fut prise et non dans le sanctuaire de notre âme. Or, si c'est en vertu d'une décision de notre intelligence que nous répondons oui, ou non, à un appel, nous avons à en fournir les raisons, pour notre satisfaction personnelle et pour celle des autres. Mais si c'est en vertu d'une direction intérieure - de suggestions et d'encouragements venus du Centre de notre vie, ou, au contraire, de l'absence d'un afflux de Vie divine nous apportant l'encouragement nécessaire - nous n'avons pas à donner de raison, sauf une seule : la volonté de Dieu, telle que nous la discernons. Alors nous nous rendons compte que nous avons commencé à nous laisser conduire par Dieu. Et j'ai constaté que jamais Il ne nous conduit à l'intolérable essoufflement d'une activité fébrile. La Patience cosmique devient un peu notre patience, car - après tout - Dieu est à l'œuvre dans le monde. Nous ne sommes pas seuls à travailler ; nous n'avons pas à nous affoler pour terminer une œuvre que nous offrirons ensuite à Dieu.

    La vie qui a sa source dans le " Centre " est une vie de paix, de calme puissance. Elle est simple. Elle est sereine. Elle est merveilleuse. Elle est triomphale. Elle est rayonnante. Elle ne demande pas de temps, mais elle nous occupe tout le temps. Elle nous propose un nouveau programme, de nouvelles victoires. Nous n'avons pas besoin de nous affoler. Dieu est au gouvernail. Et lorsque notre brève journée touche à sa fin, nous pouvons nous coucher tranquilles, en paix, car tout est bien.



(1) Took the sense of the meeting.
(2) Voir  note, P. 35. (N. d. T.)