LE MINISTÈRE DE L'HOMME-ESPRIT.

SECONDE PARTIE.

De l'Homme.

Pour comprendre la sublimité de nos droits, il faut remonter jusqu'à notre origine. Mais avant de considérer la nature de l'Homme-Esprit, nous observerons ce qu'en général on peut appeler l'Esprit, dans quelque genre que ce soit ; nous exposerons les sources radicales d'où dérive cette expression, et nous prendrons d'abord ce mot esprit dans les différents sens sous lesquels il peut être envisagé dans nos langues.

On peut regarder l'esprit d'une chose comme étant l'engendrement actuel, soit partiel, soit complet des puissances de son ordre.

C'est ainsi que la musique ne nous fait connaître ce qu'elle est, que par l'émission actuelle des sons par lesquels elle se transmet à nos oreilles, et qui ne sont que l'expression effective ou l'esprit actif des plans ou des tableaux qu'elle veut nous peindre.

C'est ainsi que le vent est l'émission actuelle de l'air comprimé par les nuages ou les puissances de l'atmosphère. Aussi quant à l'ordre élémentaire, dès qu'il n'y a plus de compression, il n'y a plus de vent : or, l'on sait que les langues anciennes employaient le même mot pour exprimer le vent, le souffle et l'esprit.

 

C'est ainsi que l'haleine de l'Homme et des autres animaux, est l'émission actuelle de ce qui résulte en eux de l'union de l'air avec leurs forces vitales ; aussi quand leurs forces vitales cessent, l'haleine ou l'esprit et l'expression de la vie cessent aussitôt.
C'est ainsi que le jaillissement de nos pensées, et de ce que le monde appelle de l'esprit dans l'Homme, est l'émission actuelle de ce qu'une fermentation secrète a développé dans les puissances de notre entendement, et ce jaillissement est par conséquent le fruit de leur actuel engendrement : aussi quand cette fermentation secrète se suspend en nous, nous sommes comme n'ayant plus de pensée, comme n'ayant plus de ce que nous appelons de l'esprit, quoique nous ayons toujours en nous les germes qui peuvent en produire.

D'après cet exposé nous ne devons pas craindre de regarder comme esprit le fruit provenant perpétuellement des éternelles puissances suprêmes, ou de leur unité universelle, puisque par l'engendrement actuel dont ce fruit provient sans interruption, il doit porter par-dessus toutes les autres émissions, le nom d'esprit que nous donnons à tout ce qui nous offre le caractère d'une émission ou d'une expression actuelle.

Et ici nous sommes obligés de rappeler que les éternelles puissances génératrices de cet Être universel reposent, comme tout ce qui existe, sur deux bases fondamentales que dans l'esprit des choses, nous avons indiquées sous les noms de la force et de la résistance ; et que Jacob Boehme, en les appliquant à la Divinité, représente sous les noms du double désir qu'elle a de rester dans son propre centre, et d'y développer cependant ses universelles splendeurs ; sous les noms d'âpreté et de douceur ; de ténèbres et de lumière ; et même sous les noms d'angoisses et de délices, de colère et d'amour, quoiqu'il dise sans cesse que dans Dieu, il n'y a ni âpreté, ni ténèbres, ni angoisses, ni colère, et qu'il ne se serve de ces expressions que pour désigner des puissances qui sont diverses, mais qui, agissant simultanément, offrent, et offriront éternellement la plus parfaite unité, non seulement avec elles-mêmes, mais encore avec cet universel et éternel esprit, qu'elles n'ont jamais cessé et qu'elles ne cesseront jamais d'engendrer.

 

Il me semble aussi que ce n'est point une notion infructueuse et indifférente que celle que nous acquérons ici du caractère de ce fruit perpétuel de l'actuel engendrement de l'universelle unité dont les puissances sont continuellement dans la nécessaire et exclusive dépendance d'elles-mêmes ; et si les observateurs avaient ainsi considéré cette unité productrice dans son caractère d'émission actuelle et nécessaire, ils auraient retiré de plus grands avantages de leurs recherches sur l'Être divin et universel qui en résulte, qu'en voulant scruter de prime abord la nature de cet Être, comme ils le font, et cela en détournant avec soin leurs regards de son action, pendant que son action est peut-être toute sa nature : aussi c'est par une suite de leur fausse tactique que non seulement ils n'ont point trouvé cet Être universel qu'ils cherchaient mal, mais que même ils en sont venus à se persuader que ce qu'ils n'avaient point trouvé n'existait pas.

Voici un des principaux avantages que nous aurions retirés si nous avions considérés sous son vrai caractère l'Être universel, ou le fruit spirituel, divin et actuel des puissances de l'éternelle unité.

De même que le fruit de toutes les générations qui sont soumises à notre vue, répète et représente tout ce qui constitue ses puissances génératrices ; de même ce que nous appelons esprit dans l'acte générateur de l'éternelle unité, ne peut être autre chose que l'expression actuelle et manifeste de tout ce qui appartient sans exception, à cette éternelle unité : ainsi c'est à cet esprit universel à nous la faire connaître, à nous la retracer dans son entier, comme l'Homme nous retrace temporellement toutes les propriétés de ses père et mère dont il est l'entière et vivante image.

 

Oui, en fixant la vue de notre entendement sur ce fruit actuel et perpétuel de l'éternelle unité, nous sentons que puisque les puissances de cette éternelle unité sont perpétuellement dans la nécessaire et exclusive dépendance d'elles-mêmes, et que le fruit de leur union est un engendrement actuel et sans terme comme sans limite, il faut que ce fruit soit réellement l'expression actuelle et complète de leur mutuelle union ; il faut qu'il ait en lui, et qu'il peigne actuellement et universellement, tout ce qui peut servir de base au mutuel attrait de ces puissances les unes pour les autres.

Il faut ainsi, que le fruit de cet engendrement, ou que cet Être universel nous dévoile et nous offre sans cesse et dans tous les points une telle abondance et une telle continuité d'amour, de vie, de force, de puissance, de beauté, de justesse, d'harmonie, de mesure, d'ordre, et de toute autre sorte de qualités quelconques, que partout notre pensée rencontre le vivant effet de leur plénitude et ne puisse jamais manquer des moyens de reconnaître la suprématie de leur universelle unité ; il faut surtout que ce fruit qu'elle engendre ne puisse sans doute également faire qu'un avec elle, puisqu'il doit avoir, et être tout ce que cette unité renferme, et puisque ne pouvant admettre d'intervalle entre l'amour de ces puissances, et l'acte de leur engendrement, ni de diversité dans les degrés de cet amour et de cet engendrement, il n'est pas possible non plus d'apercevoir de différence dans leur être essentiel et dans leur nature constitutive.

Mais aussi ce n'est qu'à cet Être universel, ou à cette émission actuelle et perpétuelle de l'éternelle unité à nous offrir cette connaissance, comme ce n'est qu'au fruit de toutes nos générations visibles à nous offrir celle de leurs puissances génératrices.
Voilà pourquoi ceux qui ont méconnu cet Être nécessaire, ou ce fruit actuel et perpétuel de l’engendrement de l'éternelle unité ont dû finir naturellement par ne plus reconnaître l'éternelle unité elle-même, puisqu'il n'y avait absolument que ce fruit actuel qui pût la leur représenter avec toutes les qualités et propriétés qui la constituent ; c'est ainsi qu'en détournant nos yeux des fruits de la terre, nous perdrions bientôt la connaissance des qualités virtuelles, et génératrices de la nature. C'est ainsi qu'en ne considérant l'Homme que dans l'immobilité et dans le mutisme, nous perdrions bientôt l'idée de l'étonnante agilité de son corps, et de la vaste étendue de son intelligence et de sa pensée.

Si les puissances de l'éternelle unité sont nécessairement unes dans leur engendrement, si l’Être universel ou le fruit qui provient de leur engendrement fait aussi nécessairement un avec elles, c'est sans doute une raison fondamentale pour que sa génération nous soit cachée, puisque nous ne pouvons le considérer séparé de ses sources génératrices.

Mais si d'un autre côté il est nécessaire qu'il y ait une union progressive et graduelle de l'universelle unité tout entière, avec toutes les productions possibles que nous voyons paraître sous nos yeux, nous ne devons plus être étonnés de ce que nous n'avons jamais pu percer dans la génération des êtres, puisque non seulement dans ces générations partielles, les puissances génératrices suivent aussi la loi d'une unité selon leur classe, mais même que leur fruit ne fait également qu'un avec elles à l'instar de l'universelle unité, et cela au moins en racine, et dans l'acte générateur, quoique ensuite ce fruit se détache de ses sources génératrices, comme appartenant à la région de ce qui est successif.

Qui craindrait de s'arrêter ici pour contempler combien c'est une chose admirable, et qui imprime une sorte de respect religieux : que cette loi profonde par laquelle l'origine de tout ce qui se produit est cachée et inconnue, ceux même qui reçoivent cette origine ! C'est sous ce voile impénétrable que les racines de tous les engendrements s'anastomosent avec la source universelle. Ce n'est que quand cette secrète anastomose s'est faite, et quand la racine des êtres a reçu dans le mystère sa vivifiante préparation, que la substantialisation commence, et que les choses prennent ostensiblement des formes, des couleurs et des propriétés. Cette anastomose est insensible même dans le temps, et elle va se perdre dans l'immensité, dans l'éternel et le permanent, comme pour nous apprendre que le temps n'est que la région de l'action visible des êtres, mais que la région de leur action invisible est l'infini.

 

Oui, l'éternelle sagesse et l’éternel amour soignent à la fois leur gloire et notre intelligence ; ils semblent craindre de nous laisser croire que rien ait commencé, et qu'il y ait autre chose que l'éternel, puisque véritablement nul être, et particulièrement nul homme n'a pour son propre compte l'idée d'un commencement, si ce n'est pour son corps ; et encore est-ce autant d'après l'ennui que ce corps occasionne à son esprit, que d'après les exemples journaliers de sa reproduction, que lui vient cette connaissance ; car en effet il n'y a que le mal et le désordre qui puissent avoir un commencement. Aussi, comme l'homme tient à l'unité ou au centre qui est le milieu de toutes choses, il a beau vieillir corporellement, il ne s'en croit pas moins au milieu de ses jours.

Ainsi l'origine cachée des choses est un témoignage parlant de leur éternelle et invisible source, et nous sentons qu'il n'y a que la mort et le mal qui commencent, mais que la vie, la perfection le bonheur ne pourraient être, s'ils n'avaient pas toujours été.

Et c'est là ce qui nous confirme dans les principes ci-dessus ; si dans tous les exemples particuliers que nous avons présentés, il n'y a rien qui puisse porter le nom d'esprit, qu'en nous offrant le phénomène d'une émission actuelle et toujours possible, il est bien sûr que l'Être universel ne peut avoir que ce même caractère, et que dès lors il développe à notre entendement l'actuelle et nécessaire plénitude d'une existence sans interruption comme sans principe.

 

Heureux celui qui élèvera sa pensée jusqu'à ce haut terme et qui pourra s'y maintenir ? Il parviendra par ce moyen à tellement clarifier son intelligence, que la base de ce qui existe dans l'ordre des choses invisibles, ainsi que dans l'ordre des choses visibles, lui paraîtra simple, active, permanente, et pour ainsi dire diaphane attendu que l’Être universel, par son actualité vivante et continuelle, doit porter par tout la lumière et la limpidité dont il est le foyer perpétuel.

Mais si nous pouvons considérer ainsi l'actualité vivante et continuelle de ce suprême et universel foyer dans tous les êtres visibles ou invisibles, que sera-ce donc lorsque nous la considérerons dans nous-mêmes, et que nous apercevrons ce qu'elle opère dans notre être ? Car nous découvrirons à notre égard une différence saillante ; c'est que nous pouvons bien observer par la réflexion cette actualité dans tous les êtres particuliers, mais que nous pourrons réellement, et en nature la sentir en nous.

Oui, pour peu que nous plongions nos regards dans les profondeurs de notre existence intime, nous ne tarderons pas à sentir que toutes les sources divines avec leur esprit universel abondent et coulent à la fois dans la racine de notre être, que nous sommes un résultat constant et perpétuel de l'engendrement de notre principe générateur, qu'il est continuellement dans son actualité en nous, et qu'ainsi d'après la définition de l'esprit que nous avons donnée ci-dessus, nous pouvons aisément reconnaître comment un être qui est susceptible de sentir bouillonner sans cesse en lui la source divine, a le droit de porter le nom de l'Homme-Esprit.

Nous pouvons donc maintenant avoir une idée fixe sur l'origine de l'homme. L'homme est né, et naît toujours dans la source éternelle qui est sans cesse dans l'enivrement de ses propres merveilles et de ses propres délices. Voilà pourquoi nous avons dit si souvent que l’âme de l’homme ne pouvait vivre que d'admiration, puisque selon l'auteur allemand que nous avons cité, nul être ne peut se nourrir que de la substance ou des fruits de sa mère.

Mais l'homme est né aussi dans la source du désir ; car Dieu est un éternel désir et une éternelle volonté d'être manifesté, pour que son magisme ou la douce impression de son existence se propage et s'étende à tout ce qui est susceptible de la recevoir et de la sentir. L'homme doit donc vivre aussi de ce désir et de cette volonté et il est chargé d'entretenir en lui ces affections sublimes ; car dans Dieu le désir est toujours volonté, au lieu que dans l'homme le désir vient rarement jusqu'à ce terme complet, sans lequel rien ne s'opère. Et c'est par ce pouvoir donné à l'homme d'amener son désir jusqu'au caractère de volonté, qu'il devait être réellement une image de Dieu.

En effet, il peut obtenir que la volonté divine elle-même vienne se joindre en lui à son désir, et qu'alors il travaille et agisse de concert avec la divinité, qui daigne ainsi en quelque sorte partager avec lui son œuvre, ses propriétés et ses puissances ; et si en lui donnant le désir qui est comme la racine de la plante, elle s'est cependant réservé la volonté qui est comme le bourgeon ou la fleur, ce n'est pas dans la vue qu'il demeure privé de cette volonté divine, et qu'il ne la connaisse pas. Mais au contraire son vœu serait qu'il la demandât, qu'il la connût et qu'il l'opérât lui-même ; car si l'homme est la plante, Dieu est la sève ou la vie. Or, que peut devenir l'arbre tant que la sève ne coule pas dans ses canaux ?

C'est dans ces bases profondes, mais justes et naturelles de l'émanation de l'homme, que se trouve le contrat divin qui lie la source suprême avec lui ; contrat par lequel cette source suprême, en transmettant dans l'homme tous les germes sacrés qui sont en elle, n'a pu les semer en lui qu'avec toutes les lois fondamentales et irréfragables qui constituent sa propre essence éternelle et créatrice, et dont elle ne pourrait pas s'écarter elle-même sans cesser d'être. Aussi ce contrat ne se change point, comme les nôtres, selon la volonté des deux parties.

 

En formant l'homme, la source suprême est censée lui avoir dit : C'est avec les bases éternelles de mon être, et avec les lois qui leur sont éternellement inhérentes, que je te constitue homme. Je n'ai point à te prescrire d'autres règles que celles d'où résulte naturellement mon éternelle harmonie ; je n'ai pas besoin même de t'imposer des peines, si tu les enfreins : toutes les clauses de notre contrat sont dans les bases qui te caractérisent ; si tu ne remplis pas ces clauses, tu opéreras toi-même ton jugement et ta punition ; car dès l'instant tu ne seras plus homme.

Et ce principe, on peut l'étendre à toute la chaîne des êtres, où l'on verra que toutes les productions quelconques sont liées, chacune selon leur classe, par un pacte tacite avec leur source génératrice, que c'est de là qu'elles tiennent toutes leurs lois, et que, par le seul fait, elles tombent dans la désharmonie, dès que sont enfreintes ces lois qu'elles portent dans leurs essences, et qu'elles reçoivent de leur source génératrice, à l'instant où elle leur transmet la vie.

En faisant attention aux lois régulières et fixes par lesquelles la nature produit et gouverne tous ses ouvrages, et en suivant pas à pas et soigneusement les traces qu'elle laisse partout après elle, nous reconnaissons partout un poids, un nombre et une mesure qui sont ses ministres inséparables, et qui annoncent que ce poids, ce nombre et cette mesure existent primitivement dans la source supérieure, et constituent cet éternel trinaire dont nous retrouvons l'image en nous-mêmes, et sur lequel repose le contrat divin.

L'on voit, en outre, que ces trois bases intérieures suffisent à la puissance suprême pour fonder tous les ouvrages de la nature, et pour caractériser extérieurement toutes les diversités de ses productions dans cette même nature, ou ces développements extérieurs de la forme, des couleurs, de la durée, des odeurs, des propriétés essentielles, des qualités, etc., toutes choses qui ne sont pas des nombres, quoiqu'elles aient aussi des nombres pour signe et pour indice.

 

C'est avec ces moyens que le trinaire universel se varie à l'infini, et qu'il multiplie tellement ses opérations, qu'il les tient toujours comme agissant dans l'infini dont elles dépendent, et que par conséquent l'homme ne pourra jamais ni les nombrer, ni s'en emparer : et, en effet, il lui suffit d'en avoir l'usage ; il lui est défendu d'en posséder la propriété, puisque, par cette multiplicité de moyens qu'a la sagesse suprême de varier les manifestations de son trinaire universel, elle s'assure à elle seule la propriété de cet acte générateur, tout en ne cessant de manifester hors d'elle cet infini pour qu'on l'admire.

Sans la puissance contraire qui a apporté le désordre dans l'univers, la nature ne connaîtrait jamais la dysharmonie, et elle ne s'écarterait point de ces lois qui lui sont prescrites par les plans éternels ; mais, malgré son désordre, dès que nous regarderons la nature comme étant composée d'autant d'instruments divers, et d'autant d'organes qui servent de canaux à la vie universellement répandue, nous apercevrons dans ses œuvres une gradation qui nous remplira d'admiration, en voyant la bienfaisante sagesse qui dirige le cours harmonique des choses.

Nous remarquerons, en effet, que dans la série des œuvres de la nature, chaque être sert d'échelon, non pas seulement pour arriver au degré suivant, mais pour arriver à son degré supérieur.

Le jeu et l'harmonie des phénomènes de la nature conduit à la connaissance de ses bases et de ses éléments constitutifs.

La connaissance de ses éléments constitutifs conduit à la connaissance des puissances temporelles immatérielles qui les opèrent.

La connaissance de ces puissances temporelles immatérielles conduit à l'Esprit, puisque par elles-mêmes, elles n'ont point la clef du plan général.

 

La connaissance de l'Esprit conduit à la connaissance de la communication de notre pensée avec lui, puisque nous nous trouvons dès lors en commerce avec lui, et que tout commerce ne peut avoir lieu entre un être seul, mais seulement entre plusieurs êtres analogues.

La connaissance de la communication de notre pensée avec l'Esprit nous conduit à la connaissance de la lumière de Dieu, puisque cette lumière peut seule être le point central et générateur de tout ce qui est lumière et action.

La connaissance de la lumière de Dieu nous conduit à la connaissance de notre propre misère, par l'énorme privation où nous nous trouvons de cette lumière qui seule peut être notre vie.

La connaissance de notre misère nous conduit à la connaissance de la nécessité d'une puissance restauratrice, puisque l'amour qui est l'ordre éternel et l'éternel désir de l'ordre, ne peut cesser de nous présenter cet ordre et cet amour pour nous en faire jouir.

La connaissance d'une puissance restauratrice nous conduit au recouvrement de la sainteté de notre essence et de notre origine, puisqu'il nous ramène dans le sein de notre primitive source génératrice, ou dans notre éternel trinaire. C'est ainsi que tout dans la nature physique, comme dans la nature spirituelle, a un objet d'accroissement et d'amélioration qui pourrait nous servir de fil dans notre labyrinthe, et nous aider à faire valoir les droits de notre contrat divin ; car, indépendamment de ce que nous trouverions dans ce contrat divin un nouvel aliment à cet insatiable besoin que nous avons de l'admiration, nous y trouverions, en outre, à remplir une des plus nobles fonctions du ministère da l'Homme-Esprit, celle de pouvoir partager ce suprême bonheur avec nos semblables.

D'après cela, lorsque, depuis la chute nous demandons l'accomplissement de la volonté divine, cette demande a un sens très profond et en même temps très naturel, puisque c'est demander que le contrat divin reprenne toute sa valeur, que tout ce qui est désir et volonté provenant de Dieu vienne à son terme ; et, par cette raison, c'est demander que l’âme de l'homme refleurisse de nouveau dans son désir vrai, et dans sa volonté originelle qui la ferait participer au développement du désir et de la volonté de Dieu, de façon que nous ne pouvons demander à l'Agent suprême que sa volonté arrive, sans demander par cette prière, que toutes les âmes des hommes soient remises dans la jouissance de leur primitif élément, et en état d'être réintégrées dans le ministère de l'Homme-Esprit.

 

Remarquons ici que dans les prières que Dieu a conseillées aux hommes, il ne leur dit point de lui demander des choses qui ne puissent être accordées à tous ; il a soin, au contraire, de ne leur promettre que ce qui est compatible avec son universelle munificence, laquelle à son tour se rapporte toujours à leurs universels besoins, et à son universelle gloire. Lorsque nous demandons à Dieu des choses particulières, et qui ne peuvent pas être données également à tous nos semblables, comme les biens, les emplois, les dignités, nous manquons essentiellement à la loi.

Cela prouve que nous ne devons jamais rien lui demander des choses de ce monde, parce que tout y est borné et compté, de manière qu'il est impossible que nous y ayons tous une part avantageuse ; et que si quelqu'un se trouve pourvu d'une de ces parts avantageuses, il faudra nécessairement qu'un autre en soit privé ; ce qui nous ferait voir combien les propriétés sont étrangères au code primitif, et que le précepte de l'évangile sur le dénuement des biens est intimement lié aux bases exactes et fondamentales de la véritable justice.

Au contraire, cela prouve que nous devons sans cesse lui demander les choses du monde réel et infini où nous sommes nés, parce qu'il ne peut rien venir de ce monde-là sur un seul homme, que la voie ne s'ouvre par là pour en faire venir autant sur tous les autres.

 

Dans ces mêmes prières que Dieu a recommandées aux hommes, la première chose qu'on y demande ne regarde que Dieu et son règne ; ce n'est qu'après avoir sollicité la venue de ce règne que l'on songe à l'homme.

Ce qu'on demande pour cet homme ne tient en rien aux choses terrestres ; car ce pain quotidien, dont on y parle, n'est pas notre pain élémentaire, puisque chaque homme a ses bras et la terre pour la labourer, et puisqu'il nous est défendu de nous inquiéter des besoins de notre corps comme font les païens ; ce pain quotidien, et qu'on doit gagner à la sueur de son front, est le pain de vie que Dieu distribue chaque jour à tous ses enfants, et qui seul peut servir à avancer l'œuvre.

Enfin, on y demande le pardon de nos fautes, et la préservation de la tentation.

Tout est esprit, tout est charité divine dans cette prière, parce qu'elle a généralement pour objet ce contrat divin, au maintien duquel nous devrions contribuer tous.

Aussi quand on nous dit dans l'évangile : chercher d'abord le royaume de Dieu et la justice, le reste vous sera donné par-dessus, on peut bien croire qu'en effet les secours temporels dont nous avons besoin ne nous manqueront pas, si nous savons établir notre demeure dans les trésors spirituels ; mais cela va, encore plus loin, car cela signifie aussi que nous devons chercher d'abord le royaume divin, et que le royaume spirituel nous sera donné pardessus, c'est-à-dire, que si nous savons établir notre demeure dans Dieu, il n'y aura rien dans les lumières et les puissants dons de l'esprit qui nous soit refusé.

Voilà pourquoi ceux qui ne cherchent que dans les sciences de l'esprit, et ne vont pas directement à Dieu, prennent le chemin le plus long, et s'égarent souvent. Voilà pourquoi enfin il est dit qu'il n'y a qu'une chose de nécessaire, parce qu'elle embrasse toutes les autres. C'est en effet une loi indispensable qu'une région embrasse, domine, possède et dispose de ce qui est après elle et dans un rang inférieur à elle. Ainsi la région divine étant au-dessus de toutes les régions, il n'est pas étonnant qu'en l'atteignant, on atteigne la suprématie sur toutes choses. Cherchons donc Dieu, et ne cherchons que cela si nous voulons avoir tout ; car c'est pour cela que nous avons pris naissance dans la source de l'éternel désir et de l'universel ESPRIT.

 

Les animaux et les autres êtres de la nature ont aussi un désir, mais la volonté qui couronne ce désir leur est totalement étrangère et séparée d'eux ; voilà pourquoi ils n'ont point à prier, comme l'homme, et pourquoi ils n'ont qu'à agir.

Mais ce n'est pas seulement dans la source de l’admiration, et dans la source du désir et de la volonté que l'homme a puisé son origine, c'est aussi dans la source de la lumière, et par conséquent cette lumière formait aussi pour lui une des bases du contrat divin.

C'est pour cela que l'homme est le premier terme des rapports qui se trouvent entre lui et tous les objets naturels et spirituels qui l'environnent. C'est pour cela que s'il ne sait pas se rendre compte de sa propre existence, il ne se rendra jamais compte de l'existence d'aucun autre être produit et émané.

En effet, s'il a puisé son origine dans la source réelle de l'admiration, du désir, de la volonté et de la lumière, en un mot, dans la source de la réalité, il devient en qualité d'être réel, l'échelle de tous les objets et de tous les êtres qui l'approchent, et ce n'est que sur leurs différences d'avec lui qu'il peut mesurer leur existence, leurs lois et leur action : vérité profonde et importante., dont beaucoup de gens paraissent se défier, mais qu'ils ne rejettent que par paresse, lorsqu'ils croient ne la rejeter que par modestie.

D'ailleurs, cette vérité se prouve par l'expérience journalière de ce qui se passe parmi les hommes. Car comment les hommes deviennent-ils juges et arbitres dans les sciences, dans les lois, dans l'art militaire, dans toutes leurs institutions, dans tous les arts, enfin dans tout ce qui remplit leur vie passagère ? N'est ce pas en commençant par se former, autant qu'il leur est possible, à la connaissance des principes relatifs à ces divers objets de leur jugement ou de leur intelligence ? Et quand ils se sont pénétrés de ces principes, et qu'ils se les sont rendus propres et personnels, c'est alors qu'ils les prennent pour base de confrontation avec tout ce qui se présente à leur examen ; plus ils se sont remplis de la connaissance de ces divers principes fondamentaux, plus ils sont censés pouvoir juger avec justesse, et déterminer avec précision la valeur et la nature des objets qui sont soumis à leur tribunal.

La race sainte de l'homme qui avait été engendrée dans la source de l'admiration et dans la source du désir et de l'intelligence, avait donc été établie dans la région de l'immensité temporelle comme un astre brillant, afin qu'elle y répandit une céleste lumière ; enfin, l'homme était cet être qui avait été placé entre la Divinité et l'ancien prévaricateur et qui à son gré pouvait produire dans la région de l'esprit, les traits imposants de la foudre et des éclairs, et la sérénité des plus douces températures, couvrir de chaînes les coupables et les plonger dans les ténèbres, ou graver sur les régions paisibles les signes de l'amour et des consolations.

Car l'homme et Dieu, voilà les deux extrêmes de la chaîne des êtres. Aussi l'homme devrait-il avoir encore même ici-bas la parole exécutive ; mais Dieu seul, au haut de son trône, a la parole créatrice. Tout ce qui est entre ces deux êtres leur est soumis ; à Dieu comme produit ; à l'Homme comme sujet. Aussi tout plierait et tremblerait devant nous, si nous laissions un libre accès dans notre être à la substance divine : premièrement, la nature parce qu'elle n'a jamais connu cette substance divine, et qu'elle ne la connaîtra jamais ; secondement, notre implacable ennemi, parce qu'il ne la connaît plus que par la terreur de ses invincibles puissances.

 

C'était bien pour pénétrer dans les merveilles et les ouvrages de Dieu, et pour contenir la désharmonie que l'homme avait reçu la naissance ; mais c'était aussi pour demeurer toujours près de lui, et porter de là sans cesse un coup d'œil d'inspection et d'autorité sur tout le cercle des choses et y verser les richesses divines sous l'œil de la sagesse elle-même ; et nous le sentons, en ce que nous ne nous trouvons réellement en repos et en mesure, que lorsque nous parvenons à ce poste sublime, quoique ce ne soit ici bas que par intervalle.

Homme, pense donc à la sainteté de ta destination ; tu as la gloire d'avoir été choisi pour être en quelque sorte le siège, le sanctuaire et le ministre des bénédictions de notre Dieu, et ton cœur peut se remplir encore de ces délicieux trésors, en même temps qu'il peut les répandre dans l’âme de ses semblables ; mais plus ton ministère est important, plus c'est une chose juste que tu répondes de ton administration.

Lorsque les cieux visibles envoient à la terre leurs substances d'opérations journalières pour qu'elle les amène à leur terme de production, ils sont censés lui dire : tels sont nos plans, tels sont nos désirs pour l'entretien des êtres, aussi bien que pour l'expansion des merveilles de la nature : tu nous dois un compte exact de tout ce que nous confions à ton œuvre. Qu'il n'y ait pas une seule de tes essences qui ne se mette en activité et qui ne concoure avec nous pour faire disparaître la mort universelle dont l'existence des choses est dévorée.

La terre alors pour se délivrer de sa propre mort, fomente et couve les vertus que les cieux viennent de semer en elle : elle développe ses forces resserrées et comme coagulées, elle les accroît par celles qu'elle aspire dans ses élans ; puis elle apporte à sa surface ce compte fidèle de tout ce qui lui a été remis, avec les incommensurables accroissements qu'elle y a joints, par les pouvoirs et le concours de ses propres facultés.

 

Homme-Esprit, la même loi t'est tracée pour l'administration de ton emploi dans les domaines de la vérité. Tu es la terre de Dieu, tu es un fonctionnaire divin dans l'univers. Dieu t'envoie chaque jour, peut-être chaque moment, ou au moins chaque saison spirituelle, la tâche qu'il te destine, selon les conseils de sa sagesse, et selon ton âge et tes forces. Il t'envoie cette tâche, en désirant que tu ne t'épargnes point dans les soins que tu te donneras pour la remplir et en te prévenant qu'il exigera rigoureusement sa rétribution, qui n'est rien moins que le rétablissement de l'ordre, de la paix et de la vie dans la portion de son domaine qu'il abandonne à ton travail.

Ce désir qu'il te montre et cet avertissement qu'il te donne, ne doivent point te paraître étrangers ; tu n'y dois voir autre chose que la soif que Dieu même a pour la justice et pour l'annihilation du désordre ; et lorsqu'il envoie ainsi son désir ou sa soif en toi, il fait plus que de t'admettre à son conseil, puisqu'il fait au contraire entrer son conseil en toi ; qu'il t'insinue les vues suprêmes et douces de sa sagesse ; qu'il te pénètre et t'imprègne des mêmes rapports où il se trouve avec ce qui est défectueux et qu'il te fournit lui-même de quoi travailler à en opérer la rectification ; c'est-à-dire qu'il te fournit les fonds de sa propre gloire et cherche à exciter ton zèle par l'espoir qu'il te laisse d'en partager avec lui tous les fruits.

Cette œuvre est le complément de l'œuvre de la prière puisque c'est l'action même, pour ne pas dire la génération vive de l'ordre divin qui veut bien passer en toi. Cette œuvre est bien au-delà des opérations théurgiques, par lesquelles il arrive que l'Esprit s'attache à nous, veille sur nous, prie même pour nous, et exerce la sagesse et les vertus pour nous, sans que nous soyons ni sages ni vertueux puisque cet esprit alors ne nous est uni qu'extérieurement, et opère souvent même ces choses à notre insu, ce qui nous entretient dans l'orgueil et dans une fausse sécurité, plus dangereuse, peut-être, que nos faiblesses et nos écarts qui nous ramènent à l'humilité.

 

Ici, au contraire, tout doit commencer par le centre, et nous sommes vivifiés avant que nos œuvres ne sortent de nous, de façon que nous sommes trop occupés à jouir pour que la grandeur de ces œuvres nous entraîne hors de nous-mêmes et laisse des places en nous au néant et à la vanité ; et quand un homme est fait pour être vraiment serviteur de Dieu, il faut que cette manière d'être, ou ce sublime état lui paraisse si simple et si naturel, que sa pensée ne puisse pas même en concevoir un autre.

Car quel peut être le but de l'action, si ce n'est de faire que ceux qui s'y livrent, puissent se lier à l'action universelle ? Aussi c'est en agissant que nous nous unissons enfin à l'action, et que nous finissons par n'être plus que les organes de l'action constante et continue ; et alors tout ce qui n'est pas cette action est comme nul pour nous et il n'y a plus que cette action qui nous paraisse naturelle.

L'homme est un être chargé de continuer Dieu là où Dieu ne se fait plus connaître par lui-même. Il ne continue point Dieu dans son ordre radical et divin, ou dans son imperméable origine, parce que là Dieu ne cesse jamais de se faire connaître par lui-même, puisque c'est là où il opère sa secrète et éternelle génération. Mais il le continue dans l'ordre des manifestations et émanations, parce que là Dieu ne se fait connaître que par ses images et ses représentants.

Il le continue, ou si l'on veut, il le recommence comme un bourgeon ou un germe recommence un arbre, en naissait immédiatement de cet arbre et sans intermède.

Il le recommence comme un héritier recommence son devancier, ou comme un fils recommence son père, c'est-à-dire, en possédant tout ce qui appartient à ce devancier ou à ce père, sans quoi il ne pourrait pas les représenter ; avec cette différence que dans l'ordre de l'esprit, la vie reste à la source qui la transmet, parce que cette source est simple ; au lieu que dans l'ordre de la matière, la vie ne reste pas dans la source qui engendre, attendu que cette source est mixte, et ne peut engendrer qu'en se divisant. Aussi dans l'ordre de la matière et particulièrement dans les végétations, le fruit qui est la vie ou le germe, et la graine qui est la mort, se trouvent-ils liés l'un avec l'autre. Dans la graine, la vie est cachée dans la mort ; dans le fruit, la mort est cachée dans la vie.

 

Je n'ai peint l'homme ici que relativement à son état originel. Si je le veux peindre relativement à l’usage faux et coupable qu'il a fait de ses droits, ce beau privilège qu'il avait de recommencer Dieu, va s'évanouir ; et au contraire il nous faudra dire que depuis cette funeste époque, Dieu a été obligé de recommencer l'homme, et qu'il le recommence tous les jours.

Car ce n'est pas seulement à l'instant de sa chute que Dieu a été obligé de recommencer l'homme, ou de renouveler son contrat divin avec lui, c'est encore à toutes les époques des lois de restauration qu'il nous a envoyées, et qui chacune devenant comme inutile par le peu de respect que nous portions à ses présents et par le peu de fruits que nous en tirions, avait besoin d'être remplacée par une autre époque plus importante encore que la précédente ; mais qui ne voyait naître de notre part que de nouvelles profanations, et qui par là nous retardait d'autant, au lieu de nous avancer, et sollicitait de nouveau l'amour divin de nous recommencer.

Sans cela cet univers visible dans lequel nous sommes emprisonnés, serait depuis longtemps enseveli de nouveau dans l’abîme d’où l'amour suprême l'avait tiré.

Du crime, l'Homme avait passé dans les ténèbres. Des ténèbres, la bonté suprême le fit passer dans la nature. De la nature, elle l'a fait passer sous le ministère de la loi. Du ministère de la loi, elle l’a fait passer sous le ministère de a prière, ou de la loi de grâce qui aurait pu tout rétablir pour lui.

Mais comme le sacerdoce humain a souillé cette voie, ou l’a rendue nulle, il faut qu’elle soit suspendue à son tour et que l’action vive et violente la remplace, comme la prière ou la loi de grâce a remplacé la loi dont les Juifs avaient abusé ; et c’est dans cet esprit de sagesse et toujours bien faisant, que l’amour suprême dirige ou laisse arriver tous ces événements lamentables dont l’homme terrestre murmure en oubliant que ce sont ses propres crimes qui les occasionnent, et qui bouleversent la terre, tandis qu’il était né pour tout pacifier et tout améliorer.

 

La Révolution Française a eu probablement pour objet de la part de la Providence, d'émonder, sinon de suspendre ce ministère de la prière, comme le ministère de la prière, lors de son origine, avait eu pour objet de suspendre le ministère de la loi Juive.
Sous ce rapport, les Français pourraient être regardés comme le peuple de la nouvelle loi, ainsi que les Hébreux étaient le peuple de la loi ancienne. Il ne faudrait pas s'étonner de cette élection malgré nos crimes et nos brigandages. Les Juifs qui ont été choisis dans leur temps ne valaient pas mieux que les Français.

Il y a en outre un rapport de fait qui peut se remarquer ; c’est que le temple de Jérusalem a été détruit et brûlé deux fois, l'une par Nabuchodonosor, l'autre par Titus ; et que les jours où ces deux événements arrivèrent étaient les mêmes que celui où le sceptre temporel de la France a été brisé ; c'est-à-dire le août. (Voyez Flavius Joseph, guerre des Romains Livre ch. . Traduction d'Arnaud d'Andilly) : Lorsque Tite se fut retiré dans l'Antonia, il résolut d'attaquer le lendemain matin, dixième d'août, le temple, avec toute son armée, et ainsi on était à la veille de ce jour fatal, auquel Dieu avait depuis si longtemps condamné ce lieu saint à être brûlé après une longue révolution d’années, comme il l'avait été autrefois en même jour par Nabuchodonosor, roi de Babylone.

Cette action vive, qui, selon toute apparence, doit remplacer le ministère de la prière, n'aura encore que des triomphes partiels en comparaison du grand nombre qui ne la mettra pas à profit, vu cette propension à abuser que l'homme a manifestée depuis l'origine des choses.

 

Voilà pourquoi Dieu sera encore obligé de recommencer l'homme par le jugement dernier, ou la fin des temps ; mais comme alors le cercle entier sera parcouru, l’œuvre sera accomplie sans retour, c'est-à-dire, sans crainte qu'il y ait alors de nouveaux écarts de la part de l'homme, et par conséquent sans que Dieu soit obligé alors de recommencer l'homme une autre fois.

Au contraire, ce sera l'homme qui alors aura recouvré le droit sublime de recommencer Dieu, comme il l'eût dû dès son origine.

Voici cependant une légère différence. Dans l'origine, l'homme n'était que sous les yeux de l'alliance, aussi pouvait-il se conduire à son gré : lors du complément il sera dans l'alliance ; ainsi il ne pourra plus choisir, parce qu'il sera emporté par le souverain et éternel courant divin.

Dans le passage terrestre auquel nous sommes condamnés, et dans les divers sentiers spirituels que l'homme peut parcourir pendant ce passage, nous avons tous une porte particulière par laquelle la vérité cherche à entrer en nous, et par laquelle seule elle y peut entrer. Cette porte est indépendante et distincte de la porte générale de notre origine par laquelle la vie radicale descend en nous, et nous constitue esprit ; puisque cette porte générale est commune à nous et à l'être pervers également.

Mais la porte qui nous est particulière a pour objet de nous faire revivifier par la fontaine de la vie, et par l'éternelle lumière de l'amour, et c'est cette porte-là qui n'est point donnée à l'être pervers.

Elle est tellement désignée pour nous faire recouvrer les sources de l'amour et de la lumière, que sans elle, en vain nous passons nos jours à de vaines sciences, et peut-être même à des sciences vraies et à des combats ; tant que la fontaine de la vie ne rencontre point en nous cette porte ouverte, elle attend dehors que nous l'ouvrions.

 

Cette porte est la seule par laquelle nous puissions obtenir notre subsistance ; si nous manquons de l'ouvrir, nous restons entièrement au dépourvu ; si nous l'ouvrons, elle nous procure de la nourriture en abondance ; et si nous étions sages, nous ne nous livrerions à aucune œuvre que nous n'eussions acquitté notre dette journalière, c'est-à-dire, sans que nous eussions ouvert cette porte et rempli l'espèce de tâche où elle nous conduit.

Mais aussi comme cette porte est ordonnée par Dieu pour nous faire entrer dans notre ministère, quand nous sommes au nombre de ceux qui sont appelés à l'œuvre, il arrive que les tempêtes et les orages ont beau nous tourmenter pour retarder cette œuvre, la fontaine de la vie finit par rencontrer cette porte dans ceux qui sont propres à être employés, et la gloire de Dieu triomphe en eux à leur grande satisfaction.

Quoique Dieu ouvre cette porte dans ceux qui sont employés, il ne faut pas que ceux qui n'auraient pas d'emploi, s'appuient sur une prétendue impossibilité, s'il ne s'ouvrait point de porte en eux, parce qu'il y a dans tous les hommes une porte pour le désir et pour la justice ; et cette porte, nous sommes tous obligés de l’ouvrir nous-mêmes, et nous le pouvons si nous sommes persévérants.

Quant à l'autre porte qui n'a rapport qu'à l'œuvre, il est juste que Dieu seul la puisse ouvrir ; mais aussi cette porte ne prouve rien pour notre avancement, si l'autre reste fermée par notre indolence et notre paresse. L'on peut chasser les démons en son nom, et cependant n'être pas connu de lui.

Quant à la raison pour laquelle les choses acquises par des voies externes ont tant de peine à nous être vraiment utiles, c'est qu'elles se combattent avec celles qui devraient entrer et sortir par notre véritable porte. C'est comme une plante greffée dont les sucs combattent la sève de l'arbre sur lequel est posée la greffe ; et ce combat dure jusqu'à ce que la sève de l'arbre sur lequel est posée la greffe, ait pris sa direction naturelle, et entraîne les nouveaux sucs dans son cours. Mais aussi quelquefois c’est la sève du sauvageon qui l'emporte.

 

Quelle est la véritable sève qui doit tout entraîner dans son cours ? Tu ne l'ignores pas, ô toi qui aspires à être admis au rang des ouvriers du Seigneur !

Tu sais qu'elle doit animer ta propre essence, et qu'elle découle de l'éternelle génération divine.

Tu sais qu'elle ne peut circuler en toi, sans y retracer cette même éternelle génération divine.

Tu sais que les moindres rameaux de ton être peuvent être vivifiés par cette sève.

Tu sais qu’elle vivifie et régit par sa puissance toutes les régions spirituelles, ainsi que les astres, les animaux, les plantes, tous les éléments visibles et invisibles.

Tu sais que tout ce qu'elle opère sur tous ces êtres, elle a le droit de l'opérer sur toi si tu ne t'y opposais pas.

Présente-toi donc au principe éternel de cette sève fécondante, et dis-lui : «Suprême auteur des choses, ne laisse pas plus longtemps ton image dans l'abjection et le néant. Toute la nature éprouve constamment et directement les effets de ta puissante sève, et elle n'est pas un seul instant privée de ta vivifiante action. Ne permets pas que l'homme, ton image, soit traité moins favorablement que la nature et que tous les êtres qui sont sortis de tes mains. Fais-le participer aux faveurs que tu leur distribues. Permets qu'il soit réconcilié avec ton universelle unité et dès lors il ne pourra comme toi se mouvoir, qu'en même temps tout l'univers visible et invisible ne se meuve avec lui ; il ne marchera jamais qu'environné de nombreux agents qui le rendront participant de ta gloire et de ta puissance».

Homme de désir, voilà le but auquel doivent tendre tous tes efforts. Tu as en toi la porte par où cette sève doit entrer. Si tu aperçois que, soit de la part des secours spirituels humains, soit de la part des circonstances et de la destinée, toutes les portes te soient fermées, réjouis-toi, car ce sera une preuve que le Père souverain veut par là forcer tes regards à se tourner vers cette porte sacrée où il t'attend, et par laquelle il veut te donner accès aux merveilles qu'il te destine.

 

Or, ces merveilles n'embrassent rien moins que le cercle universel des choses qui servit de siège autrefois à ton empire ; et une preuve que toutes les puissances visibles et invisibles ont été présentes à notre primitive naissance, c'est qu'elles sont sensiblement présentes à notre régénération, et qu'elles en opèrent chacune une partie. Ainsi donc, si Dieu veut que tout ce qui est secret pénètre dans l'homme, quels secrets pourrons-nous ignorer ? Dès que nous voudrons regarder le Dieu qui est en nous, nous verrons en lui toutes les régions.

Dieu sait sans doute notre manière d'être intérieure, et il connaît toutes les substances corrosives et infectes que nous portons et accumulons journellement en nous-mêmes ; cependant il nous laisse aller, ou même il nous conduit dans des circonstances qui réalisent sensiblement cette manière d'être, et qui nous font manifester de dedans en dehors toutes ces substances nuisibles.

En laissant ainsi ces influences fausses accomplir en nous leur cercle en entier, sans doute sa gloire divine n'en paraît que plus grande, parce que ce cercle d'influences fausses à beau s'accomplir, il finit cependant par être rien, et l'élu qui a subi cette épreuve dans toute son étendue, n'en est que plus ferme et plus en garde contre l'ennemi.

C'est encore plus pour notre purification que pour sa gloire, qu'il nous laisse arriver à ces degrés douloureux et humiliants ; c'est pour que l'hypocrisie cesse un jour d'avoir lieu, car elle a ici bas un règne universel.

 

Si l'homme était attentif à ses voies, il pourrait parvenir à produire le même effet, ou à sortir de lui d'une autre manière ; ce serait lorsqu'il se sentirait poussé au faux, de tâcher de ne pas oublier que le vrai ne cesse pas pour cela d'exister ; ce serait de dire à Dieu dans le fond de son être, qu'il y a encore quelque chose à faire pour l'amélioration de la nature et de l'âme humaine, et pour l'avancement de l'œuvre divine, de la souveraine sagesse. Ce serait de lui représenter combien cette œuvre est urgente, de lui demander de l'y employer, et de ne pas le laisser oisif ni abandonné à aucune autre œuvre, que la tâche en question ne fût remplie.

Il est sûr que l'homme se préserverait grandement par là. Mais cette salutaire précaution ne peut être pour lui que le fruit d'un long travail et d'une grande habitude ; ce ne peut être pour ainsi dire que la récompense de sa sagesse. Il faudrait auparavant qu'il eût chassé de lui tout le mal et toute la difformité ; car tant qu'il en reste le moindre vestige, l'hypocrisie est à côté et toujours prête à couvrir cette difformité : voilà pourquoi, pour se préserver de toute hypocrisie, il n'a qu'un seul moyen, c'est de se préserver de toute iniquité.

Au contraire, en se préservant de toute iniquité, l'homme met son huile sainte à même de se développer. Or, quand l'huile sainte qui est en nous se développe, elle s'approche du feu, et en s'approchant du feu, elle ne peut manquer de s'enflammer. Dès lors toutes nos voies sont éclairées, et l'hypocrisie n'a plus de place.

Malheureusement il n'est que trop vrai que l'homme peut, par des actes mal dirigés, et en s'ouvrant à de fausses contemplations, allumer en lui un feu qui soit à la fois préjudiciable et à lui-même et à toutes les régions où il doit exercer son ministère ; car tout est puissance, et c'est la force respective de ces diverses puissances qui fait le danger, la souffrance, et l'épouvantable résistance de tous les êtres qui se combattent ici-bas.

D'abord, dès que nous cessons de vivre de notre véritable vie, c'est-à-dire, dès que nous négligeons de nous reposer sur la base fondamentale de notre contrat primitif, nous éprouvons aussitôt l'existence d'une espèce d'enfer passif, que nous pourrions appeler cependant un enfer divin, puisqu'il est pour nous comme l'opposition de la vie réelle, contre l'inertie ou la nullité dans laquelle nous descendons par notre indolence.

 

Mais si nous allons plus loin, et qu'au lieu de nous reposer sur la base fondamentale de notre contrat primitif, nous nous unissions à des bases désordonnées et vicieuses, nous atteignons bientôt un enfer plus actif, et qui a deux degrés. L'un dans lequel il faut ranger toutes les passions qui nous lient plus ou moins au service de notre ennemi ; l'autre qui est la mesure et la situation du démon lui-même, ainsi que de ceux qui s'identifient avec lui.

Le premier degré de cet enfer actif embrasse, pour ainsi dire, toute la famille humaine, et sous ce rapport, il n'est peut-être pas un seul homme qui ne fasse journellement le service d'un démon, et peut-être de plusieurs démons à la fois, quoique dans ce degré-là les hommes fassent ce service sans s'en douter, et à leur insu. Car ce n'est pas une médiocre adresse de la part de ce démon, que de tenir ainsi tous les hommes à son service, de les faire jouer à sa volonté tous les rôles qui lui conviennent, et cependant de savoir tellement feindre, que tout en les faisant agir à son gré, il ait l'art, en se tenant derrière la toile, de leur persuader lui-même qu'il n'existe pas.

Cet ennemi qui est esprit, ôte même à l'homme l'idée d'une fin, en le promenant dans ses illusions, parce qu'il travaille l'homme dans l'esprit, tout en n'ayant l'air que de le travailler dans l'ordre des choses passagères, et parce que l'homme qui est esprit porte naturellement la couleur de son existence illimitée sur tout ce qu'il éprouve, et sur tout ce qu'il approche.

Voilà pourquoi cet ennemi, dont il fait aveuglément le service, le conduit jusqu'au tombeau avec des projets et des passions qui lui semblent ne devoir jamais trouver de terme ; voilà pourquoi, il le trompe ainsi dans son être réel et dans son être passager ; voilà pourquoi enfin l'éternelle sagesse avec laquelle nous aurions dû toujours habiter, est obligée de se retirer si loin du séjour infect de l'homme.

 

Comment, en effet, cette sagesse pourrait-elle habiter parmi eux ? Elle voit comment ils se conduisent en faisant aveuglément le service d'un maître qu'ils ne connaissent pas, et auquel ils ne croient pas. Elle voit que dans cet aveuglement où ils sont, ils se jugent, ils se corrompent, ils se volent, ils se battent, ils se tuent. Tous ces mouvements turbulents la remplissent. d'épouvante, elle qui n'est préposée que pour veiller et habiter avec l'harmonie, l'ordre et la paix.

Dans le second degré de l'enfer actif, les hommes font aussi le service du démon, mais ils ne le font pas à leur insu comme dans le degré précédent ; aussi ne sont-ils pas dans le doute et l'ignorance de son existence, et ils participent sciemment et activement à ses iniquités. Heureusement que cette classe de prévaricateurs est la moins nombreuse, sans quoi l'univers aurait succombé depuis longtemps sous le poids des abominations de son ennemi.

L'enfer divin ou l'enfer passif est composé de toutes les régions douloureuses, excepté de celte de l'iniquité. Voilà pourquoi toutes les angoisses s'y succèdent comme les vagues de l'eau. Mais là, en même temps, une vague assoupit l'autre, pour qu'aucune n'ait l'universelle domination. C'est ce qui fait que l'espérance même paraît encore de temps en temps dans cet enfer.

Dans le premier degré de l'enfer actif, il n'y a d'abord spirituellement ni angoisse, ni espérance ; il n'y a qu'illusion, mais l'abîme est sous cette illusion, et bientôt il la trouble en lui faisant sentir les pointes aiguës de ses traits amers.

Dans le second degré de cet enfer actif, il n'y a ni espérance, ni illusion ; il n'y a qu'iniquité, et l'unité du mal s'y trouve sans interruption.

 

Quoique le séjour dans les voies pénibles de l'enfer divin soit si douloureux, c'est néanmoins une attention de la sagesse divine d'y laisser un peu séjourner ceux des hommes qui s'y précipitent. Si elle les y retenait moins longtemps, ils ignoreraient ou ils oublieraient bientôt que ce sont aussi là des puissances divines. Oui, cet enfer-là devient une des sources de notre salut, en nous apprenant à trembler devant la puissance de Dieu, et à nous réjouir d'autant plus quand nous venons à la comparer avec son amour.

La sagesse suprême permet aussi que rien de ce qui concerne cet enfer, et même de ce qui concerne les deux degrés de l'enfer actif, ne sait cacher à l'homme de désir, puisqu'il doit s'instruire dans toutes les branches qui appartiennent à son ministère. C'est à lui ensuite à venir au secours des autres hommes, et même de ceux, qui, quoique vivants encore, se seraient plongés et comme naturalisés d'avance avec cet abîme ou cet enfer actif.

Car l'existence de ces associés ambulants du démon est aussi au nombre de ces épouvantables horreurs que l'ouvrier du Seigneur doit connaître, puisqu'il doit les combattre ; et c'est là la plus douloureuse partie de son ministère. Mais pour que le prophète soit installé, ne faut-il pas qu'il avale, comme Ezéchiel, le livre écrit en dedans et jusque sur la couverture, c'est-à-dire, tout rempli, et débordant même de lamentations ? Oui, Dieu laisse même éprouver les prophètes par le pervers, afin qu'ils s'attendrissent sur le sort de leurs frères en captivité, et qu'ils redoublent d'ardeur pour la promulgation de la loi.

Ainsi, pour que l'ouvrier du Seigneur remplisse sa destination qui l'appelle à être utile spirituellement à ses semblables, il faut à plus forte raison qu'il se préserve sans cesse du danger de descendre dans l'enfer actif ; mais il faut, en outre, qu'il travaille à sortir de l'enfer passif ou de l’enfer divin, s'il avait eu la négligence d'en approcher, parce que tant qu'il y séjournerait, il ne pourrait être employé en rien à l'avancement de l’œuvre.

 

Ce n'est qu'à mesure qu'il se délivre de cet enfer passif que les trésors du contrat divin pénètrent en lui, et sortent de lui pour aller vivifier les autres hommes, soit vivants, soit morts. C'est par là que l'homme devient non seulement l'organe, mais encore en quelque sorte l'objet de l'admiration en manifestant ces inépuisables merveilles dont son cœur peut se remplir et se gonfler ; qui peuvent en effet sortir de lui, et qui nous sont représentés par ces brillants prodiges que la lumière nous fait découvrir à mesure qu'elle s'élance hors de sa source de feu.

Toutefois, que cet homme ait assez de courage et de persévérance pour ne se pas concentrer dans une simple élection de purification, mais qu'il aspire jusqu'à obtenir une élection de vocation et d'instruction, afin que de là il parvienne à une élection d'intention et de volonté, laquelle élection d'intention ne doit pas encore être le dernier terme de l'homme, puisque l'homme n'est encore rien, s'il n'est entraîné dans une élection d'action et d'opération ; et enfin, puisque cette élection d'action et d'opération elle-même ne doit, pour ainsi dire, se compter que lorsqu'elle est devenue continue comme le TOUJOURS.

Car le TOUJOURS est la dénomination la plus propre à caractériser celui qui est, attendu qu'elle le peint dans l'imperturbable activité de son action ; au lieu que le titre de celui qui est, le peint dans son existence.

Or, son existence est plus loin de nous que son action, et c'est son action qui lui sert d'intermède. Aussi nous ne sommes rien, et nous tombons dans l'anéantissement, si le mouvement divin et l'action divine ne sont pas constants et universels en nous.

Ne voyons-nous pas que notre sang dissout, purifie, et subtilise continuellement tous les aliments, toutes les matières grossières dont nous l'accablons ? Sans cela, leur poids et leur corruption termineraient bientôt notre vie ? Ne voyons-nous pas que si la nature n'avait en elle une base vive, et qui remplit à son égard la fonction de notre sang, elle aurait succombé depuis longtemps à la contraction des forces corrosives qui la contrarient et qui l'infectent ?

 

Ainsi, dans l'ordre de notre région spirituelle, il faut qu'il y ait un foyer actif et vivificateur, qui décompose et rectifie sans cesse toutes les substances fausses et vénéneuses dont nous nous remplissons journellement, soit par nous-mêmes, soit par notre fréquentation avec nos semblables. Sans cela, nous serions tous depuis longtemps dans la mort complète spirituelle.

C'est là ce principe universel de la vie réelle et éternelle de l'homme, qui renouvelle sans cesse en nous le contrat divin ; c'est là celui qui ne nous laisse jamais orphelins, quand nous acceptons ses présents ; mais c'est là aussi cette puissance vivifiante que nous méconnaissons à tous les instants, quoiqu'elle fasse sans cesse une société intime avec nous. Et elle pourrait dire d'elle-même à notre égard ce qui est dit dans saint Jean ( : .) : Celui qui mange du pain avec moi, lève le pied contre moi.

Ainsi donc notre jonction avec cette action vivante et vivifiante est un besoin radical de notre être ; mais, en outre, cette même action vivante et vivifiante est encore la seule qui puisse satisfaire ce même besoin dont elle nous presse ; elle est ainsi celle qui contribue le plus amplement à nos véritables jouissances, en nous mettant dans le cas de faire naître autour de nous comme autant de sagesses qui nous réfléchissent les fruits de nos œuvres, et nous donnent, comme le fait l'éternelle sagesse envers Dieu, la joie de voir qu'elles sont bonnes.

Car tous les êtres spirituels et divins même ont besoin de ces sagesses qui servent de miroir à leur propre esprit, comme ils en servent à l'esprit de la divinité ; et il n'y a que la classe animale et matérielle qui n'a pas besoin de ces miroirs, puisqu'elle n'a point d'œuvre de sagesse à produire.

 

Or, les pouvoirs de l’action divine et vivante en nous ne s'étendent à rien moins qu'à nous faire ouvrir le centre intime de l'âme de tous nos frères passés, présents et à venir, pour signer tous ensemble le contrat divin ; enfin qu'à nous faire ouvrir le centre intérieur de tous les trésors spirituels et naturels répandus dans toutes les régions, et qu'à nous rendre, comme elle, pour ainsi dire, l'action des choses. Voilà pourquoi il y a tant d'hommes sans intelligence dans ce monde ; car il n'y en a point qui travaillent à devenir réellement l'action des choses : non est usque ad unum qui faciat bonum.

C'est par l'irruption de l'esprit en nous, et par l'élan de notre propre esprit, que nous pouvons parvenir à devenir l'action des choses, parce que c'est par cet élan que nous dégageons chaque principe de ses enveloppes, et que nous lui faisons manifester ses propriétés : élan qui opère en nous ce que le souffle opère dans les animaux, ou ce que l'air opère dans la nature.

Aussi l'on peut dire, à la rigueur, que tout s'opère par l’esprit et par l’air dans tous les détails de l’ordre universel des choses ; aussi n'y a-t-il dans la nature élémentaire que l'air qui soit ouvert, et qui ouvre tout, comme dans la nature spirituelle, il n'y a ici-bas que l'esprit de l'homme qui ait ce double privilège ; et c'est parce que l'air est ouvert, que la voix de l'Homme-Esprit a de si grands droits sur toutes les régions.

Car, dans ses concerts où il s'efforce de développer toutes les merveilles de la musique, les accompagnements représentent le jeu de toutes les correspondances naturelles, spirituelles, célestes, infernales, avec la voix de l'homme qui a droit de mouvoir toutes ces régions à sa volonté, et de leur faire partager ses affections.

Mais aussi, comme l'esprit de l'homme pénètre jusqu'au centre universel, il ne faut pas être surpris de voir les hommes si ravis et si entraînés par les différents dons et les différents talents et occupations auxquelles ils s'attachent. Toutes ces choses conduisent à un terme final qui est le même, savoir, au magisme de la chose divine qui embrasse tout, qui remplit tout, et qui perce partout.

 

Pour peu que les hommes dirigent leur élan, avec quelque constance, vers une des voies quelconques où ce magisme se plaît, et qui sont innombrables, tant les sources divines sont fécondes, soit dans le spirituel, soit dans le naturel, ils ne tardent pas à arriver à l'une de ces sources qui n'ont que le même magisme pour principe, et bientôt ils se sentent enivrer de délices qui les transportent, et qui ont toutes pour base le même Dieu, quoiqu'elles aient toutes des canaux divers.

Voilà pourquoi les hommes seraient tous frères dans l'unité de leurs enthousiasmes, s’ils portaient les yeux sur l'unité de ce fondement, et de ce terme de leurs jouissances, qui n'est autre chose que le mouvement en eux de l'éternelle vie et de l'éternelle lumière, et ils éloigneraient bientôt toutes ces rivalités, toutes ces jalousies, toutes ces préférences qui ne tiennent qu'à la forme et au monde par où ces jouissances leur arrivent.

C'est là ce même principe auquel sans le savoir, les littérateurs ont essayé de ramener tous les beaux-arts, et c'est à ce même principe qu'on doit ramener toutes les sciences, toutes les découvertes, toutes les inventions, tous les secrets, toutes les sublimités des génies des hommes, ainsi que tous les charmes et toutes les joies que nous pouvons tous recevoir par ces moyens-là dans ce bas monde ; parce que, si l'esprit du Seigneur remplit toute la terre, nous ne pouvons nous remuer, que nous ne touchions à l'esprit du Seigneur.

Or, pour peu que nous approchions de l'esprit du Seigneur, ne sommes-nous pas imprégnés de félicités ? Et s'il n'y a qu'un seul esprit du Seigneur, toutes nos félicités ne reposent-elles pas sur le même siège et ne sont-elles pas radicalement les mêmes ?

L'ennemi a aussi l'élan de son propre esprit, ou un souffle, par le moyen duquel il cherche à nous soumettre à sa fausse puissance, bien loin de nous faire triompher. Mais ce souffle de l'ennemi, son esprit enfin n'est pas ouvert comme celui de l'homme. Voilà pourquoi, quand nous sommes surveillants, il ne peut rien dans l'ordre de l'esprit, ni même dans l'ordre de la nature, attendu qu'alors il n'a plus d'accès dans l'air qui, quoique ouvert, demeure néanmoins fermé pour lui.

 

C'est ce qui fait que le faux et le figuratif qu'il emploie peut bien aussi nous peindre les principes ou les plans, et nous les montrer : mais il ne peut nous les donner, parce qu'il ne les a pas ; ni les réaliser, parce qu'il n'a que la puissance de destruction, et n'a pas celle de génération.

Toutefois cet ennemi nous prouve par là que son crime primitif a été sûrement de vouloir s'emparer de la racine des choses et de la pensée de Dieu, puisqu'il veut sans cesse s'emparer de l’âme de l'homme, qui est la pensée de Dieu.

Monstre altéré de sang, comment as-tu pu devenir l'ennemi de la pensée de Dieu ! .... Mais toi-même, homme, n'étais-tu pas une pensée du Seigneur ? Et cependant tu as pu pécher. C'est ici que l'homme de désir s'écrie : Ô douleur ! ô mes larmes ! Inondez-moi, couvrez-moi, dérobez-moi à la face du Seigneur, jusqu'à ce que j'aie pu obtenir de voir clarifier l'homme qui est la pensée du Seigneur.

Notre esprit est scellé de sept sceaux, et les hommes, par leur réaction mutuelle, se servent bien réciproquement de clefs, par le moyen desquelles ils s'ouvrent leurs sceaux spirituels les uns aux autres ; mais il faut que ce soit Dieu lui-même qui clarifie notre pensée pour qu'elle soit pure, puisque nous ne pouvons vivre que de notre mère.

Aussi, lorsque Dieu admet un homme au premier rang dans le ministère de l'Homme-Esprit, c'est pour le transformer en un agent pénétrant, vif, et dont l'action soit universelle et permanente ; car la voie de Dieu ne se manifeste pas ainsi pour des œuvres indifférentes et passagères. Aussi tous les univers rassemblés ne devraient pas balancer à nos yeux le prix d'une semblable élection, si nous avions le bonheur qu'elle nous fût offerte, puisque nous pourrions alors travailler utilement au soulagement de l'âme humaine.

 

Tout est esprit dans l'œuvre divine. C'est pourquoi les tribulations corporelles de ce bas monde, les guerres, les fléaux de la nature, qui ne sont pas envoyés directement par Dieu, n'occupent pas sa vigilance autant que le soin des âmes ; et même, tandis que les hommes du torrent se massacrent, et qu'ils sont corporellement les victimes des catastrophes de la nature, il est sensible principalement aux maux de leurs âmes, tant son ardeur et son action tombent sur cette pensée qui lui est chère.

Ce n'est qu'à l'homme mûr, c'est-à-dire, à l'homme de l'Esprit ; enfin, ce n'est qu'à ses ministres et à ses élus qu'il a dit que tous leurs cheveux étaient comptés, et qu'il n'en tomberait pas un seul de leur tête sans sa permission.

Ceux qui ne sont que dans les régions des puissances spirituelles inférieures, il les laisse régir par ces puissances spirituelles inférieures.

Ceux qui sont encore plus bas, et dans les simples régions de la matière, tombent dans la classe des bœufs ; et, selon Paul, Dieu ne se mêle pas des bœufs, quoique l'esprit s'en soit mêlé lors du Lévitisme, et par rapport aux Juifs qui alors étaient les apôtres figuratifs. Mais cet esprit ne s'en mêlait point pour les autres peuples qui ne suivaient que des esprits d'abomination dans leurs sacrifices.

Ajoutons que souvent mêmes pour ses élus, Dieu ne change point la marche pénible et désastreuse des choses d'ici-bas ; mais seulement il leur donne la force d'y résister : ce qui n'empêche pas que, dans tous les cas, et dans quelques mesures où les hommes se trouvent, Dieu ne s'occupe de leur âme et de leur esprit avec un soin que notre faible intelligence ne pourrait comprendre, et que nos langues ne pourraient exprimer tant il cherche à nous préserver des seuls et véritables dangers qui nous environnent, et que nous devions craindre ; et tant il voudrait nous voir réaliser le contrat divin qui accompagne notre origine, comme nous l'observerons dans un instant.

Je ne puis me dispenser de m'arrêter un moment ici pour considérer l'homme dans un âge où il ne nous découvre encore aucun de ces tableaux lamentables que nous venons d'apercevoir en lui, ni aucun de ces rayons radieux, dont nous l'avons annoncé comme devant être à la fois le réceptacle et l'organe.

Comment, en effet, en voyant les joies douces et simples des enfants, pourrait-on imaginer toute l'étendue des vertus et des vices que l'homme fait est susceptible de manifester, et qui se trouvent encore cachés et resserrés sous cette enveloppe enfantine ?

Cet être qu'une poupée transporte de joie, qu'une babiole lancée en l'air fait rire jusqu'aux éclats, et que cette même babiole, quand on l'en prive, va jeter dans la douleur et dans les larmes ; cet être, dis-je, peut un jour se développer assez pour élever sa pensée dans les cieux, pour pencher sa tête sur l'abîme, et y lire par l'intelligence le juste accomplissement des décrets suprêmes sur la famille des prévaricateurs ; pour donner au monde le témoignage vivant de l'existence du modèle divin ; pour offrir aux yeux des hommes la plus grande pénétration dans les sciences, et le plus grand héroïsme dans les vertus ; enfin, pour montrer à l'univers un modèle accompli dans tous les genres.

Mais malheureusement ce même être peut offrir le modèle inverse, s'enfoncer dans l'ignorance et dans les crimes, être l'ennemi du principe même qui l'a formé, et devenir le foyer actif de toutes les dépravations et de toutes les abominations réunies.

Ce contraste est si déchirant qu'on ne peut, sans s'affliger, en contempler la perspective dans ces tendres et innocentes créatures, qui sous un dehors si intéressant, recèlent peut-être pour l'avenir toutes les altérations et toutes les honteuses dégradations de l’âme, du cœur et de l'esprit ; qui dans leurs faibles rameaux nourrissent peut-être une sève pestilentielle, dont l'explosion n'en sera que plus meurtrière pour être plus tardive, et différée à un autre temps ; enfin, qui portent peut-être dans leurs essences un suc actuellement doux et bienfaisant, mais qui peut devenir un jour le poison le plus amer et le plus corrosif.

 

Comment soutenir cette idée, que l'ingénuité de cet être pour qui la moindre chose est une jouissance innocente, arrive un jour à la férocité des tigres, qu'il devienne le persécuteur de ses semblables, et soit, en un mot, la victime et le jouet de cet ennemi, dont j'ai cru pouvoir dire précédemment que nous étions tous ici-bas les serviteurs ?
Mais ce qui peut tempérer, sinon guérir les douleurs que l’homme de désir éprouve sur cette lamentable perspective, et ce qui peut en même temps lui donner de consolantes espérances pour l'avenir, c'est que le contrat divin est aussi écrit de nouveau dans les essences de cette faible plante, et que ce contrat divin porte avec soi un spécifique, qui non seulement pourra contenir en elle les germes désharmonisés dont elle est peut-être déjà infectée, mais faire fleurir en elle les germes féconds et divins, dont, à plus forte raison, elle est également dépositaire par les droits de son origine.

Oui, on ne saurait trop admirer la sagesse suprême en voyant avec quelle progression douce elle s'efforce continuellement de conduire l'homme au terme supérieur pour lequel il a reçu l’être et la vie ; et si des yeux intelligents et amis du bien veillaient avec soin sur l'enfance de l'homme, et concouraient, avec le pouvoir supérieur, à faire fructifier dans cette jeune plante les trésors dont le contrat divin l'a enrichie, il n'y a pas de délices et de ravissements auxquels elle ne pût prétendre, à toutes les époques de son existence.

Tous les pas de cet homme seraient paisibles, tous ses mouvements seraient liés, tous ses progrès seraient unis insensiblement les uns aux autres, et la joie divine les accompagnerait tous, parce qu'elle en doit être le terme comme elle en a été le principe ; enfin, il arriverait presque sans peine et sans trouble, comme sans efforts, à cette hauteur de perspicacité, d'intelligence, de sagesse, de vertus et de puissances dont il paraît tellement éloigné dans son bas-âge, qu'on a besoin de se recueillir pour croire qu'un jour il puisse en être susceptible.

 

Néanmoins il serait bon d'apprendre à cette jeune plante une vérité bien instructive, quoiqu'elle soit d'une couleur plus sombre. C'est qu'il faut malheureusement que la sagesse, qui par elle-même devait autrefois nous procurer tant de joie, se couvre pour nous ici-bas des vêtements du deuil et de la tristesse ; il faut que nous mettions aujourd'hui notre sagesse à souffrir au lieu de nous réjouir, parce que le crime a tout partagé, et a fait qu'il y a deux sagesses. La seconde ou la dernière de ces sagesses n'est pas la vie, mais elle rassemble la vie en nous, et nous met par là en état de recevoir la vie ou la sagesse primitive, et source de toute joie ; aussi c'est cette sublime sagesse primitive qui entretient tout et qui crée tout. Voilà pourquoi elle est toujours jeune.

Il faudrait aussi lui apprendre à cette jeune plante, à mesure qu'elle avance dans sa croissance, que si la sagesse suprême ne peut pas se permettre de nous montrer ici-bas la Jérusalem céleste elle-même, telle qu'elle exista autrefois dans l'âme de l'homme, au moins elle veut bien quelquefois nous en laisser parcourir les plans, et que cela est suffisant pour nous remplir des plus douces consolations.

Il serait bon de lui apprendre et de l'engager à se convaincre, par sa propre expérience, que la prière doit être une alliance spirituelle continuelle, car nous ne devons prier qu'avec Dieu, et notre prière ne mérite ce nom qu'autant que Dieu prie en nous, puisque ce n'est qu'ainsi qu'on prie dans le royaume de Dieu.

Il serait bon de lui apprendre que les médecins sont censés connaître toutes les propriétés et la nature des substances médicinales dont ils se servent pour la guérison des maladies ; qu'ils sont censés avoir pénétré toutes les vertus des remèdes, et par conséquent être en état de pouvoir guérir tous les maux ; que cette simple observation peut lui suffire pour lui faire ouvrir les yeux sur la destination originelle de l'homme ; qu'ainsi cette destination devait s'étendre sans doute jusqu'au pouvoir de réparer tous les désordres ; qu'elle devait s'étendre sans doute jusqu'au pouvoir de guérir tous les maux ; enfin, qu'elle devait s'étendre sans doute jusqu'au pouvoir de connaître les propriétés des substances de toute la nature et de toutes les régions, puisque toute la nature et toutes les régions étaient soumises à l'homme.

 

Il serait bon de lui montrer, d'après cela, quelle honteuse dégradation cet homme a subie.

Il serait bon de lui dire que l'homme de vérité ne doit point entrer en rapports avec les hommes du torrent, qu'il perdrait trop à la confrontation, et que d'ailleurs ce qu'il s'expose à perdre n'est pas à lui, mais à son maître.

Il serait bon de lui dire que l'homme qui n'est pas sur ses gardes, est plus en danger parmi les hommes égarés, qu'il ne le serait parmi les démons, parce que les hommes réunissent aujourd'hui deux puissances dont ils abusent à leur gré, en les travestissant l'une dans l'autre, au lieu que le démon n'en a plus qu'une ; d'ailleurs le démon n'a point de forme à lui, il est obligé de s'en créer à tout moment pour servir de réceptacles à sa puissance ; mais l'homme porte partout avec lui une forme qui est à la fois le réceptacle et l'instrument de ses deux puissances.

Il serait bon de lui dire à ce sujet qu'il y a nombre d'esprits errants qui cherchent à se vêtir de nous, tandis que nous-mêmes, nous sommes presque nus malgré notre corps, et que nous n'avons autre chose à faire ici-bas que de chercher à nous vêtir de notre premier corps qui est celui dans lequel la divinité peut habiter.

Il serait bon de lui dire que la chasteté comprend à la fois la pureté du corps, la justesse de l'esprit, la chaleur du cœur, l'activité de l'âme et de l'amour ; car elle s'étend généralement sur tout ce qui est vertu, et elle est l'absence de tout vice.

 

Il serait bon de lui dire que les vertus que nous cultivons, que les intelligences que nous acquérons, sont autant de lampes que nous allumons autour de nous, et qui brûlent près de nous pendant notre sommeil.

Il serait bon de lui dire que tous les types se répètent et se tiennent les uns aux autres, parce que n'y ayant qu'une action, elle doit se renouveler sans cesse et montrer partout son unité ; mais que comme ces types s'opèrent dans le temps, ils doivent suivre la loi du temps et de toutes les choses successives, qui est que plus elles descendent et se multiplient, plus elles deviennent sensibles et substantielles ; que c'est pour cela que ces types devenant plus semblables et plus analogues, ils deviennent aussi plus confus et plus difficiles à discerner ; que c'est pour cette raison que les meilleures choses finissent par s'obscurcir et s'anéantir entre les mains des hommes, parce qu'ils n'en distinguent pas les nuances ; enfin, que c'est pour cela que la matière ignore ce que c'est que le péché ; car par elle-même étant toujours dans les analogues ténébreux, elle ne peut point reconnaître de différence.

II serait bon de lui dire qu'il n'y a presque que des types d'humiliation pour l'homme dans tous les êtres de la nature, qu'ils sont tous actifs, vigilants, réguliers, et que lui seul est passif, indifférent, lâche, et en quelque sorte une espèce d'être monstrueux.

Il serait bon de lui dire que Dieu est tellement distinct des choses sensibles, quoiqu'il les gouverne, que notre nature terrestre, ni les hommes matérialisés, ne peuvent rien connaître à la manière dont nous devons le faire remarquer des nations, puisque même notre parole spirituelle est inintelligible à nos sens. Aussi devons-nous être entièrement renouvelés des sens et des choses figuratives, si nous voulons devenir les témoins spirituels de la parole, et entrer dans le ministère de l'Homme-Esprit.

 

Il serait bon de lui dire que depuis le commencement des choses, les fleuves vont de leur source à leur terme, sans savoir s'ils traversent des villes opulentes ou des hameaux, des lieux arides ou des contrées fertiles et embellies par la nature et la main des hommes ; et que c'est ainsi que l'homme de désir doit tendre au but qui l'attend, sans s'informer de ce qui borde sa route terrestre tant doit être vive l'ardeur qui le presse.

Il serait bon de lui dire que quand l'homme de désir travaille sur soi, il travaille réellement pour les autres hommes, puisqu'il s'efforce et concourt par là à leur montrer dans sa pureté l'image et la ressemblance de Dieu, et que c'est la connaissance de cette image et de cette ressemblance dont ils ont exclusivement besoin.

Il serait bon de lui dire que quand les déistes reconnaissent l'existence d'un Être suprême, et que cependant ils ne veulent pas qu'il s’occupe du gouvernement de ce monde, ni des hommes qui l'habitent, leur erreur ne vient que de ce qu’ils se sont fait matière et brutes ; qu'en effet Dieu ne se mêle pas de la matière ni des brutes, mais qu'il les fait diriger par ses puissances ; que d'un autre côté les déistes assoupissent leur âme de manière que Dieu ne l'approche plus et ne la mène plus, puisqu'il ne peut se plaire que dans son image et ne se mêler que de son image, et que c'est pour cela qu'ils disent que Dieu ne se mêle pas du gouvernement de l'espèce humaine, parce que véritablement dans l'état de dégradation et de ténèbres où les déistes se laissent descendre, il ne se mêle pas d'eux.

Il serait bon de lui dire que c'est en vain que les hommes du torrent essaient de suppléer à leur éloignement de l'intellectuel, en se rejetant sur le sensible ; que ce sont leurs faux systèmes qui les ont conduits à cette conséquence et à cette hypocrite doctrine ; qu'ils ne célèbrent si hautement ce qu'ils appellent l'humanité, que parce qu'ils prennent le bien-être du corps, pour le bien-être du véritable homme, qui n'est autre chose que l'Homme-Esprit régénéré ; qu’ils font usage de cette prétendue vertu, même envers les bêtes, et qu'ils croient satisfaire par-là à tout ce qui leur est imposé ; qu'enfin ils ne feraient pas un cas si exclusif de tout ce qui concerne l’ordre animal et matériel, s'ils ne se croyaient pas de la même nature.

 

Il serait bon de lui dire que la preuve que la pensée vraie ne vient pas de nous, c'est que si nous en étions créateurs, nous ne serions plus dans la dépendance de Dieu ; que la pensée fausse ne vient pas de nous non plus ; que nous sommes simplement placés entre l'une et l'autre, pour faire le discernement de la source divine avec la source infernale ; qu'il faut remarquer que les hommes ne peuvent rien se communiquer entre eux, qu'en rendant sensibles leurs pensées par la parole ou par des signes équivalents ; qu'il en résulte que toute pensée nous venant du dehors, est sensible dès qu'elle se communique à nous, et ainsi est nécessairement prononcée, quoique nous ne l'entendions pas toujours sensiblement ou matériellement ; qu'ici les enfants nous servent d'exemple ; que nous ne pouvons nier qu'ils n'aient des sens, mais qu'en vain voudrions-nous leur communiquer nos pensées par la parole, parce que nous sommes sûrs qu'ils n'en entendraient pas même les sons ; que dans un âge plus avancé, ils en entendent les sons et n'en comprennent pas le sens ; enfin que dans un état plus parfait, ils en entendent les sons, et le sens, et que par conséquent ils reçoivent la communication intime de nos pensées ; que dans le vrai, on parle moins que l’on n'agit autour des enfants en bas âge ; mais que certainement ils ne voient ni n'entendent ; que nos mouvements et le bruit sont perdus pour eux ; qu'ils ne sont affectés d'abord que par les sens les plus grossiers ; savoir, le tact passif, l'odorat et le goût ; .qu'à cet état borné succède l'usage de la vue et de l'ouïe, puis enfin la parole, laquelle parole est encore assujettie à une progression très lente, attendu qu'elle ne commence que par des cris, et que c'est là où l'homme peut s'humilier et apprendre sa leçon.

 

Il serait bon de lui dire que les grandes et magnifiques idées que Dieu nous envoie si souvent dans le cours de notre pénible expiation, sont autant de témoignages dont on peut se servir avec lui quand on l'implore ; et que si nous voulons le remplir de joie, nous n'avons qu'à les employer, et lui rappeler par là ses promesses et ses consolantes faveurs.

Il serait bon de lui dire que Dieu ayant été seul quand il a formé l'homme, ce Dieu veut aussi être seul à l'instruire et à le faire pénétrer dans ses profondeurs divines.

Il serait bon de lui dire combien il doit se conduire avec prudence dans l'administration des trésors divins qui peuvent lui être confiés par la suprême munificence, puisqu'il ne lui faudra pas marcher longtemps dans la carrière de la vérité, pour sentir qu'il y a des choses qu'on ne peut pas dire, même à l'esprit puisqu'elles sont au-dessus de lui.

Il serait bon de lui dire qu'il y a une ligne et un ordre d'instruction dont il ne doit jamais s'écarter, quand il essaie de diriger l'intelligence de ses semblables, et cet ordre d'instruction, le voici : distinction de deux substances dans l'homme ; notre pensée, miroir divin ; existence de l’être supérieur, prouvée par ce miroir quand il est net et pur ; notre privation prouvant une justice ; cette justice prouvant une altération libre et volontaire ; l'amour suprême se réveillant ; lois de régénération données dans les diverses alliances ; terme de retour ; vie spirituelle ; lumière ; parole ; union ; entrée dans le lien de repos : telle doit être la marche de l'enseignement, si le maître ne veut pas tromper les disciples, les égarer ou les retarder.

Il serait bon de lui dire qu'il ne doit pas se flatter de posséder jamais la sagesse par mémoire, et par la simple culture de l'entendement ; que cette sagesse est comme l’amour maternel qui ne peut se faire réellement sentir qu'après les fatigues de la gestation et les douleurs de l'enfantement.

 

Enfin, il serait bon lui dire qu'il ne suffit pas à l’homme d'acquérir le flambeau de cette sagesse ; mais qu'il faut encore le conserver ce qui est incomparablement plus difficile.

Lorsque nous tombons de quelque endroit élevé, notre tête tourne si fort pendant la chute, que nous ne nous apercevons de rien ; ce n'est qu'au moment du choc que le sentiment vif de la douleur vient nous pénétrer ; encore souvent demeurons-nous sans mouvement et sans connaissance. Telle a été l'histoire de l'âme humaine lors de la prévarication. Elle perdit de vue la région glorieuse d'où elle se précipitait par sa chute, et l'homme tout entier se trouva comme mort et privé de l'usage de toutes les facultés de son être.

Mais la marche de notre traitement curatif fut aussi la même que dans notre science médicinale humaine. De même que quand un homme fait une chute ou éprouve quelque autre accident qui le blesse grièvement, le médecin prudent le fait saigner avec abondance, pour prévenir l'inflammation ; de même après la terrible chute de la famille humaine, la sagesse divine retira à l'homme presque tout son sang c'est-à-dire, toutes ses forces et toutes ses puissances ; sans quoi, ce sang, ne trouvant plus les organes en état de concourir à son action, aurait achevé de les briser. Il est vrai que cette précaution indispensable de la part du médecin peut bien diminuer, par la suite la longueur de la vie du malade, qui, sans cela, eût peut-être été plus grande. C'est par cette même raison que Dieu a abrégé nos jours, comme il abrège la durée du monde en faveur de ce que l'on appelle les élus ; sans quoi nul homme n'aurait été sauvé.

Conformément aussi à ce régime médicinal humain, on a commencé par nous donner des eaux spiritueuses pour nous faire revenir ; puis on nous a appliqué des baumes restaurateurs, et enfin on nous a accordé des aliments substantiels et vivifiants pour nous rendre entièrement nos forces.

 

Lorsque par la tendre effusion de l'amour suprême, les premiers traitements furent employés envers l'âme humaine, le mouvement lui fut rendu, et ce mouvement la mit à même de profiter, pour son instruction, du mouvement qui régissait l'univers ; car ces deux mouvements devaient être coordonnés. En effet, nous cherchons journellement à coordonner notre pensée avec tout ce qui agit dans cet univers ; et c'était véritablement une faveur particulière accordée à l'âme humaine, que celle qui lui fournissait les moyens de contempler encore la vérité dans les images de ce monde, après qu'elle s'était bannie du séjour de la réalité.

Elle avait su pendant sa gloire, cette âme humaine, qu'elle ne devait avoir d'autre Dieu que le Dieu suprême ; et quoiqu'elle ne dût, en effet, connaître le complément de cette gloire qu'après qu'elle aurait atteint le complément de son œuvre, cependant, pour peu que dans son état primitif elle eût goûté le charme des merveilles et des douceurs divines, elle ne devait pas ignorer que rien ne pouvait être comparé à leur principe.

Néanmoins elle se laissa attendrir par le pouvoir d'un principe inférieur qui est ce monde physique universel, où les étoiles et les astres exercent un emploi si important que l'âme humaine devint corporellement soumise à leur régime. Mais quoiqu'elle fût tombée dans ce régime inférieur et qui tenait à sa dégradation, la source qui avait produit cette âme humaine, ne voulut point la perdre de vue et lui transmit, dans ce nouvel ordre de choses, le précepte fondamental de sa loi primitive.

Ainsi, dans le monde physique, le soleil est un organe matériel de cette sublime révélation qui est bien antérieure aux livres ; c'est lui qui la prophétisa dès le commencement de ce monde, comme il ne cessera de la prophétiser à tous les peuples jusqu'à la consommation des choses.

 

C'est pendant la nuit, c'est pendant l'absence de soleil que les étoiles nous transmettent leurs clartés ; c'est alors que le règne de ces Dieux des nations se manifeste ; c'est alors que malgré la lumière que les astres répandent, la terre est néanmoins dans l'obscurité, que les odeurs des fleurs se suspendent, que la végétation se ralentit, que les cris lugubres des animaux de ténèbres se font entendre, que les crimes et les vices des malfaiteurs se déploient, et que les plans injustes et les œuvres d'iniquité s'accomplissent ; c'est alors, en un mot, que dominent et triomphent ces hauts lieux sur lesquels tous les peuples de la terre ont offert des sacrifices, d'abord illusoires, et bientôt devenus iniques et abominables, par les influences infectes du prince de la perversité, comme nous le verrons tout à l'heure.

Mais dès que le jour s'annonce, la lumière de ces astres s'affaiblit pour nous ; elle s'évanouit tout à fait quand le jour a acquis son degré et sa force, et le soleil, en faisant disparaître, par sa seule présence, la vaine multiplicité de ces faux Dieux, semble dire à tout l'univers ce qui fut dit à l'âme humaine, lorsqu'elle sortit de sa glorieuse source : Vous n'aurez point d'autre Dieu devant moi.

Âme humaine, tu avais oublié cette loi supérieure, lorsque, dans ton état de splendeur, tu te laissas égarer par un faux attrait ; mais cette loi inextinguible t'a poursuivie jusque dans ton abîme terrestre, parce que le principe des choses ne peut rien produire sans imprimer partout les éloquents caractères de sa langue divine.

Cependant, malgré la puissance de ce signe si instructif, les peuples n'ont pris que la lettre de ce phénomène, au lieu d'en prendre l'esprit ; et c'est une des causes qui ont engendré le culte et l'idolâtrie du soleil.

Car l'idolâtrie du feu vient de plus loin ; elle n'a pu s'engendrer qu'autant que, par une suite des droits primitifs de l'homme, quelques mortels auront connu sensiblement l'origine du feu (ce qui n'est pas seulement voir briller des éclairs, et tomber la foudre), parce que c'est une vérité fondamentale, que chaque chose doit faire sa propre révélation, comme il n'y a rien de ce qui s'opère dans l'universalité des êtres qui n'en soit la preuve.

 

Lors donc que l'amour suprême te vit t'égarer encore par le moyen même qu'il t'avait offert pour t'aider à rectifier tes voies ; lorsqu'il te vit te blesser de nouveau par ces objets sensibles qu'il avait exposés devant toi pour te distraire de tes douleurs, il ne put s’empêcher de faire retentir à tes oreilles, par des moyens plus actifs, cette importante ordonnance : Vous n'aurez point d'autre dieu devant moi.

Comme le spectacle de la nature en harmonie ne produisait auprès de toi qu'un effet contraire à celui qu'il s’était proposé, il laissa agir sur toi les pouvoirs de cette même nature en désharmonie, pour tâcher de te ramener par des tribulations et des souffrances, à une mesure à laquelle tu n'avais pas su te tenir par ton intelligence ; et c'est là la clef de tous ces fléaux dont l'histoire des peuples fait mention dans toutes les religions de la terre.

C'est ainsi qu'une mère naturelle se conduit avec son enfant, un instituteur avec son élève, en les laissant supporter pendant un temps les suites des abus auxquels ils se sont livrés par faiblesse et par légèreté, et cela afin que l'expérience les rende plus réservés à l'avenir.

Mais quand ces épreuves ne réussissent pas, quand le danger devient trop pressant, et que le jeune imprudent, au lieu de se retirer du péril, ne fait que s'y enfoncer, jusqu'à courir le risque de la vie ; alors la mère, ou l'instituteur, s'approchent eux-mêmes de lui, et lui retracent d'une manière plus imposante les préceptes importants qu'ils lui avaient enseignés auparavant, afin d'opérer en lui, par la crainte, ce qu'ils n’avaient pas pu y produire par leur douceur ; et c'est là une raison positive et naturelle de toutes ces manifestations divines et spirituelles, dont l'histoire religieuse de l'homme, soit écrite, soit non écrite ne peut manquer de se trouver remplie.

 

Oui, âme humaine, c'est sûrement ainsi que l'amour suprême s'est conduit avec toi, lorsqu'il a vu que les grands fléaux de la nature que tu avais provoqués par tes inadvertances, ne t'avaient pas rendu plus sage. Il s'est approché de toi avec tous les traits d'un zèle inquiet, et en prenant un ton menaçant, il t'a rappelé les anciennes ordonnances sur lesquelles ton origine et le contrat divin étaient fondés ; qu'il avait prononcées devant toi après t'avoir donné l'existence ; qu'il avait fait prononcer de nouveau à la nature, après que tu t'étais assujettie à son régime figuratif, et qui pourraient à tout moment retentir dans ton être le plus intime, puisque tu es toujours originairement l'organe de l'éternelle source divine, et puisque ce qu'elle a prononcé une fois ne peut plus cesser de se prononcer sans interruption et dans la durée de toutes les éternités.

Aussi ne doutons plus que toutes les traditions des peuples ne nous offrissent des traces de cette marche attentive de l'amour suprême envers toi. Ne doutons plus que depuis l'origine des choses, il ne se soit conduit envers les nations, comme il le fait encore tous les jours envers les individus, en s'efforçant par de violents mouvements secrets, de les réveiller au milieu de leurs assoupissements, et de les arracher aux dangers où ils se sont exposés par leurs imprudences ; ne doutons pas enfin que ce ne soit dans cet esprit, et par cet esprit, que Moïse nous ait peint dans l'Exode la voix suprême proférant au milieu des éclairs et des tonnerres, devant le peuple Hébreu, cette impérieuse et exclusive ordonnance divine que les nations avaient si fort oublié : Vous n'aurez point d'autre Dieu devant moi.

Indépendamment de mille autres leçons instructives que la nature est chargée par l'amour suprême de transmettre tous les jours et physiquement à l’âme humaine, nous sommes intimement convaincus que chaque chose, pour avoir seulement un nom parmi les hommes, doit avoir fait sa propre révélation. Ainsi les pratiques religieuses que l'on voit universellement en usage parmi les hommes, ne permettent pas de douter que cet amour suprême n'ait ouvert aussi en ce genre quelque espèce de voie de réhabilitation pour l'âme humaine, quoique d'énormes amas de décombres se soient tellement accumulés sur ces sources restauratrices, qu'à peine peuvent-elles être reconnaissables.

 

Et même quand on sentira ce rigoureux principe, qu'il est nécessaire qu'une chose fasse sa propre révélation, sans quoi nous n'aurions jamais pu ni la connaître, ni la répéter, ni nous la transmettre ; nous verrons qu'il n'est pas jusqu'à la politique et à tous les établissements civils des hommes dont nous ne trouvassions le modèle hors de nous et au-dessus de nous. Oui, s'il n'y avait pas en haut des légions, des différents degrés de supériorité, des chefs, des gouvernements, nous n'aurions aucune de ces institutions-là parmi nous. Et même l'homme ici-bas marche sous l'œil et l'égide de puissances invisibles dont il tient tout, mais qu'il ne cherche guère à connaître, et auxquelles il n'est pas plus disposé à croire à force de s'enivrer de sa propre puissance ; mais s'il s'enivre ainsi de sa propre puissance, c'est qu'en effet il devait en avoir une plus réelle ; c'est qu'il devait avoir un empire et des sujets fidèles et soumis.

Quand, par exemple, un souverain, un général se trouve environné de ses armées, quand des chefs militaires font de brillantes revues de leur troupe, quand ils sentent dans ces occasions une joie secrète et glorieuse d'avoir sous les yeux tant de soldats dévoués à leurs ordres et en si magnifique tenue ; quand, enfin, ils semblent dire à tous les spectateurs : non seulement c'est de moi que dépendent toutes ces forces dont je puis disposer, mais c'est par moi qu'elles sont créées, et c'est de moi qu'elles tiennent tout ce qu'elles sont ; ces chefs ne font que répéter dans un ordre conventionnel et apparent, ce qui aurait du avoir lieu pour l'homme primitif dans un ordre positif et fixe.

Car cet homme primitif aurait eu aussi des légions sur lesquelles il aurait eu une autorité absolue, en leur communiquant son esprit, comme nous voyons qu'un général fait passer, pour ainsi dire, sa volonté dans les cent mille hommes qu'il commande, que par là il les rend uns avec lui, et leur ôte en quelque sorte leur volonté propre, pour ne leur donner que la sienne, sans quoi son empire sur eux serait une chose inexplicable et impossible.

 

Cet homme primitif aurait donc pu aussi se contempler dans ses cohortes, et recueillir par là une véritable gloire, parce qu'il aurait été pour quelque chose dans les avantages qu'elles auraient eus, dans la beauté de leur armure et dans leur invincible courage à défendre la cause de la justice, toutes merveilles qu'en effet il aurait pu faire sortir de lui, et faire naître à son gré dans ses subordonnés. Au lieu de cela, ici-bas on lui amène sous les yeux ses légions toutes préparées, toutes vêtues, toutes armées, toutes dressées ; et là, il n'a pas toujours semé lui-même tout ce qu'il recueille, puisque la plupart de ceux qu'il inspecte, il ne les a peut-être jamais vus, et ne sait pas même quels noms ils portent, espèce de connaissance qui eût fait la vraie force de l'homme primitif en présence de ses redoutables cohortes.

Or, ce que nous disons là dans l'ordre militaire, nous pouvons le dire de toutes nos autres institutions politiques et sociales, puisque nous pourrions le dire même dans l'ordre de la nature attendu que dans toutes ces classes l'homme aurait pu concourir avec toutes les régions, et avec toutes les puissances de toutes les régions, pour leur faire produire ces merveilleux tableaux, et ces ravissants spectacles, qui, dans tous les genres, auraient enchanté ses yeux, et rempli son coeur d'une gloire justement acquise et méritée, tandis que dans cette mesure bornée où il se trouve, il n'est souvent que pour bien peu de chose dans tout ce dont il s'entoure, et dans tout ce dont il se glorifie.

Mais si c'est d'en haut que l'homme a reçu et tient tout ce qu'il trouve de meilleur pour l'administration de ses semblables, il devrait donc penser que plus il lirait en haut, plus il y découvrirait d'excellentes choses pour son bien-être et celui de toute la nature humaine ; comme c'est d'en haut qu'ont dû lui venir toutes les voies restauratrices que l'amour suprême a dû lui offrir pour sa réhabilitation depuis sa chute.

 

(Sur l'objet de ces voies religieuses ouvertes à l'homme par l'amour suprême j'engagerai le lecteur à puiser, s'il le peut, dans un des ouvrages de Jacob Boehme, intitulé Mysterium magnum, le grand Mystère. Il y verra de nombreuses ramifications de l'arbre de l'alliance, que cet amour suprême a renouvelée avec l'homme depuis sa dégradation. Il y verra la sève de cet arbre se montrer d'abord dans les racines puis se développer successivement dans les différents bourgeons à mesure qu'ils s'étendent, et enfin, déployer dans les fleurs et les fruits de cet arbre toutes les propriétés contenues dans son germe et élaborées dans ses canaux ; il y verra continuellement la ligne réelle enveloppée sous la ligue figurative, et cependant une seule et unique sève parcourant simultanément ces deux différentes lignes, s'y faisant reconnaître même dans la diversité des caractères qu'elle prend, et harmonisant ainsi toutes les époques qu'elle embrasse dans son cours. Mais il y verra aussi une sève opposée circuler également sur la terre, depuis que nous y sommes emprisonnés, et offrir depuis cette première époque jusqu'à nos jours un sanctuaire d'abomination, à côté du sanctuaire de la sainteté. Les tableaux qu'il rencontrera dans cet auteur l'instruiront considérablement sur le cours de ces différentes voies religieuses qui se sont étendues sur la terre, et je me contente de lui indiquer ce dépôt, que sans cela il me faudrait traduire et transcrire presque en entier).

Parmi ces institutions religieuses établies généralement sur la terre, et dont nous avons comme absolument perdu les traces, les sacrifices des animaux et des autres productions de la nature paraissent tenir une place très importante, et mériter que nous les considérions avec quelque détail, d'autant que ni les traditions, ni les observateurs ne nous ont rien transmis de satisfaisant sur cet objet, et Jacob Boehme lui-même ne nous a rien donné de complet sur cet article, quoiqu'il nous ait présenté à cet égard de magnifique aperçus.

 

Non, on ne peut le nier, ces sacrifices généralement en usage sur le globe, nous attestent, malgré leurs abus, et peut-être par ces abus mêmes, que depuis la grande altération et depuis que l'homme coupable fut replacé dans la voie de son retour, ils doivent être au nombre de nos privilèges, et être compris parmi les secours qui nous ont été accordés par la sagesse, pour faire revivre autant que possible notre contrat divin, et comme tels, ils doivent entrer dans les connaissances relatives au ministère de l'Homme-Esprit.

Malgré les efforts réitérés de la philosophie mensongère, pour anéantir la sublime nature de l'homme, il n'est plus temps de douter qu'il ne soit né pour une destination considérable ; et l'immensité des dons qu'il peut encore découvrir en lui au milieu de sa misère, est un indice de ceux qu'il a pu posséder autrefois avec plus d'abondance.

Ne craignons donc point de nous égarer, en voyant l'homme au sein de l'univers, comme un roi coupable, livré au pouvoir de tous ses sujets, qu'il a entraînés lui-même aux désordres et à. l'anarchie par l'injustice de son gouvernement ; mais voyons-y en même temps l'éternelle raison des choses, planant au-dessus de cette mer agitée, et tendant par le poids immuable de sa sagesse à faire reprendre à toutes nos facultés désharmonisées, le calme et l'équilibre qui sont le propre de leur nature.

Peut-être même cela nous conduira-t-il à reconnaître que dans l'état primitif et avant la chute, l'homme aurait eu aussi à remplir le ministère des sacrifices, non pas, il est vrai, des sacrifices d'expiation, puisqu'il était pur, mais des sacrifices de gloire pour son principe ; non pas non plus des sacrifices sanglants, mais des sacrifices des merveilles divines renfermées dans tous les êtres, et qu'il aurait eu le pouvoir de développer devant Dieu qui lui aurait confié ce ministère, parce que l'homme était comme établi dans le centre de la création universelle.

 

Mais en ne nous occupant ici que des sacrifices en usage sur la terre, et de leur sens particulier, soit spirituel soit physique, nous verrons l'homme lié au sang qui paraît être l'organe et le repaire de tous ses ennemis ici-bas, qui paraît en un mot être le sépulcre de servitude où ce roi idolâtre est englouti tout vivant pour avoir voulu s'opposer aux décrets de la Providence et pour avoir adoré des dieux étrangers.

La loi qui condamne l'homme à cette servitude, a pour but de le tenir dans la privation, afin que cette privation le conduise au repentir ; le repentir à l'aveu de ses fautes, et l'aveu de ses fautes à la voie qui peut lui en faire obtenir le pardon ; et comme la sagesse suprême est inépuisable dans le zèle qui l'anime pour ce malheureux exilé, elle a dû lui procurer les moyens de se guérir des maux qu'il peut recevoir chaque jour de la main de ses ennemis ; elle a dû lui en procurer pour se préserver des attaques de ces mêmes ennemis ; elle a dû enfin lui en procurer, pour obtenir même des consolations dans sa misère ; et nous ferons en sorte de montrer que tel a été l'esprit de l'institution des sacrifices, quelque absurdes et quelque impies que ces cérémonies aient pu devenir sur la terre, en passant par la main des hommes, et en se dépravant par l'empire de ces mêmes ennemis qu'elles avaient pour objet d'éloigner.

Une loi positive et connue que je retrace ici aux amis de la sagesse, comme un des plus utiles flambeaux qui brillent dans leur carrière, c'est que malgré la diversité innombrable de tant d'êtres et de tant de classes qui composent l'univers, il y a des unités d'action particulières, qui embrassent des classes entières, et opèrent sur les individus de ces classes, en raison de leur analogie naturelle.

 

C'est là ce qui fait que dans toutes les productions de la nature, il y a des genres, des espèces, des failles où tout porte l'empreinte de cette unité d'action selon sa classe.

Les puissances et les facultés de notre esprit offriraient sans doute la même loi, en montrant une sorte d'uniformité dans les mouvements des pensées de l'homme, qui ramène tous ses systèmes à un nombre limité de théorèmes et d'axiomes et toutes ses institutions à des formules fondamentales qui ne varient presque pas. L'art médicinal, le moral, le politique, les assemblées délibérantes et scientifiques, enfin ce qui tient à l'ordre religieux, et si j'ose le dire, l'ordre infernal lui-même, tout viendrait en foule ici déposer en faveur de ce principe.

Par cette loi, la même action physique qui gouverne le sang de l'homme, gouverne aussi le sang des animaux, parce que le corps de l'homme est de leur classe. Mais si la même action physique gouverne le sang de l'homme et le sang des animaux, elle est exposée, sans doute, aux contractions et aux désordres qu'ils peuvent éprouver l'un et l'autre, et cette loi physique quoique n'étant pas fondée sur la liberté, comme les lois morales, peut néanmoins subir des dérangements, en raison des obstacles et des oppositions qui environnent et menacent tout ce qui existe dans la nature.

Si ces divers individus sont sujets aux mêmes lois, quant aux désordres auxquels ils sont exposés, ils jouissent aussi des perfections attachées à l'unité de l'action régulière qui les gouverne ; et si les dérangements leur sont communs, le rétablissement doit l'être également, d'où l'on peut présumer d'avance l'esprit et les divers emplois des sacrifices ; mais ce coup d'œil ne serait pas suffisant si nous ne découvrions pas comment ces sacrifices peuvent opérer, et comment les fruits qui en résultent, peuvent parvenir jusqu'à l'homme.

 

La loi des Hébreux nous annonce qu'il y a des animaux purs et des animaux impurs. Jacob Boehme en donne une raison positive dans la diversité des deux teintures en harmonie avant le crime, et subdivisées depuis la grande altération. La nature permet que cette distinction ne nous paraisse pas très étrangère, puisque parmi les animaux nous en reconnaissons de salutaires et de malfaisants. Ainsi, quand l'écriture n'aurait eu là qu'un sens physique, elle ne se serait pas éloignée de la probabilité.

Que serait-ce donc si elle avait eu là aussi un sens spirituel ? Et dans le vrai, la matière n'ayant qu'une vie de dépendances et n'ayant d'existence, de vertus et de propriétés que par les diverses actions spiritueuses qui l’engendrent, la combinent, la constituent et la caractérisent ; étant, en outre, le continuel réceptacle de puissances étrangères à l'ordre, et qui ne tendent qu’à poser partout leur sceau d'irrégularité et du confusion, il n'est pas étonnant que cette matière nous offre les types et le jeu de toutes ces actions diverses et opposées, dont notre propre esprit nous fait lire en nous-mêmes les tristes témoignages.

Ainsi, lorsque l'homme a laissé attacher sur lui quelque action désordonnée, l'animal pur pourrait donc être un moyen pour soustraire cet homme à cette action désordonnée, laquelle action désordonnée serait attirée par cette base qu'on lui présente, et sur qui cette action a des droits et des pouvoirs.

Mais pour que cette attraction opère de manière à ne pas prolonger les suites et les effets de cette action désordonnée, il faut, premièrement, que le sang de l'animal soit versé ; secondement, que cet animal, quoique pur par sa nature, reçoive de plus quelque action préservatrice, parce qu'il est composé des éléments mixtes, et qu'il est exposé à l'influence désorganisatrice de l'ennemi, comme tout ce qui est matière ; or, l’action préservatrice en question était représentée chez les Hébreux par l’imposition des mains du prêtre sur la tête de la victime, lequel prêtre lui-même doit nous représenter l'homme rétabli dans ses droits primitifs, et voici l'esprit de ces deux lois.

Par l'effusion du sang de l'animal, l'action désordonnée, attachée à la matière de l'homme, est plus fortement attirée au dehors que par le corps et la seule présence de l'animal, parce que plus on approche du principe dans chaque classe, plus les rapports quelconques sont énergiques et efficaces.

 

Mais par la préparation sacerdotale, ou celle de l'homme rétabli dans la virtualité de ses droits, ce même sang et cette même victime se trouvent hors de prise à cette action désordonnée ; de façon qu'elle abandonne la matière de l'homme, étant entraînée par l’attraction du sang de l'animal, mais de façon aussi qu'étant repoussée par la forte vertu que le prêtre attache sur le sang, elle est obligée de se précipiter et de s'engloutir dans les régions du désordre dont elle est sortie.

Voilà, ce me semble, où l'on peut puiser, en général, un aperçu touchant l'esprit de l'institution des sacrifices.

Ce même coup d'oeil peut nous guider pour découvrir l'esprit particulier, qui était censé diriger en détail toutes les espèces de sacrifices des Hébreux, tels que les sacrifices pour le péché et l'expiation, les sacrifices qui s'appelaient pacifiques, et même ceux qui avaient pour but une sainte réconciliation avec Dieu, et l'union de l'homme avec lui confirmée par les signes sensibles de leur alliance.

La simple loi de transposition dont nous venons de parler, suffit pour nous faire concevoir quel était l'esprit du sacrifice pour le péché, en précipitant les souillures dans la région du désordre, et sur l'ennemi qui les avait occasionnées.

Le sacrifice pacifique paraîtrait avoir pour but de donner des forces à l'homme pour résister à cet ennemi, et même pour en prévenir les attaques. La même loi de la préparation de la victime par l’imposition des mains du prêtre, suffit pour rendre cet effet compréhensible, puisqu'elle place un sang pur et en jonction avec des actions régulières, auprès d'un sang environné d'actions destructives et malfaisantes, et que par là elle peut lui rendre le calme et le repos.

 

Mille détails pris dans les cérémonies des sacrifices nous autoriseraient à ne pas nous défier de ces conjectures. Le sang versé autour de l'autel, et appliqué aux quatre coins, les aspersions de ce même sang, la manducation de la victime, etc. tout cela présente des rapports assez frappants, avec une oeuvre de paix et de préservation.

Quant au sacrifice perpétuel, et quant à ces sacrifices qui avaient lieu pour la consécration du prêtre, et dont le but spirituel était d'unir le pontife à Dieu, ce sera toujours la même loi qui pourra nous en faire apercevoir l'intelligence ; mais ces sortes de sacrifices ne devaient pas avoir lieu pour tous les hommes, et ils ne regardaient que ceux que Dieu appelait à lui et à son service par une élection particulière.

De pareils hommes, préparés par leur élection même, se trouvaient en rapport avec les vertus supérieures ; ces mêmes vertus supérieures embrassant tout, sont toujours unies aux actions régulières qui veillent et sont voisines de tout ce qui est sang pour en éloigner le désordre. La victime immolée après toutes ces préparations, offrait un sang sur qui ces actions régulières développaient leur force et mettaient à même les vertus supérieures de développer la leur à leur tour, parce que tout ce qui est harmonique, même parmi les animaux, participe plus ou moins aux anciennes propriétés du contrat divin.

Il n'était pas étonnant alors que ces mêmes vertus supérieures agissent sur l'homme choisi, et lui manifestassent tous les effets sensibles, dont sa privation lui fait sentir le besoin pour se diriger dans ses ténèbres, car tant qu'il n'a pas encore subi le sacrifice de son propre sang, il ne peut recevoir les témoignages de la vérité que par intermèdes.

Ce qui arriva à Abraham lors du sacrifice des animaux divisés en deux ; ce qui arriva à Aaron au bout des huit jours de sa consécration ; ce qui arriva à David dans l'aire d'Ornan, ce qui arrivait dans le temple après les sacrifices des grands prêtres, nous indique assez quel objet et quel pouvoir avaient les sacrifices vraiment sacrés et opérés par les élus du Seigneur, qui exerçaient alors, selon les mesures convenables à ces époques, le ministère de l'Homme-Esprit.

 

De ce peu d'observations qui viennent d'être présentées sur les sacrifices sanglants en général, il résulte qu'ils ont pour objet de développer différentes actions pures et régulières, qui s'unissant à l'homme, peuvent l'aider à sortir de son abîme, et le faire monter vers la région de l'ordre et de la régularité.

C'est dans un sens opposé, mais tendant toujours au même objet, qu'opérait l'interdiction ou l'anathème dont il est parlé dans le dernier chapitre du Lévitique ; tout ce qui, par cette sorte de consécration, était remis à la justice du Seigneur, semblait être le siège des actions irrégulières les plus condamnables, et qui, comme telles, pouvaient être les plus funestes au peuple choisi. Ainsi tous ces objets d'anathème devaient être exterminés, afin que les actions irrégulières qui reposaient dessus, ne trouvant plus de sièges, fussent forcées de s'éloigner, et ne fussent plus dans le cas de nuire au peuple.

C'est là où l'on peut apprendre à ne plus tant condamner le supplice d'Achan, la mort d'Agag par Samuel, la rejection de Saül, qui avait voulu conserver ce roi impie et dévoué, et même tous ces massacres de commande, rapportés dans l'écriture, qui embrassaient des villes entières avec tous leurs habitants, sans distinction, et qui par là paraissent si révoltants aux yeux peu préparés et peu familiarisés avec les profondes vérités, mais surtout aux yeux pour qui le corps matériel est tout, tandis que Dieu ne compte que les âmes.

Car ces sortes de personnes sont loin de soupçonner ce grand secret divin, dont il est parlé dans l'esprit des choses, et par lequel la Divinité permet souvent que des êtres innocents deviennent victimes de ces terribles fléaux, ainsi que des grandes catastrophes de la nature, afin qu'en étant précipités avec les coupables, ils les préservent par leur pureté d'une plus grande corruption, comme nous avons soin de couvrir de sels purificateurs les substances alimentaires que nous voulons conserver, et qui sans cela se détruiraient par la putréfaction.

 

En un mot, c'est dans cet esprit d'éloigner les bases envenimées que l’on verrait pourquoi dans la conquête de la terre promise, il fut si souvent recommandé au peuple Juif d'exterminer jusqu'aux animaux parce que dans ce cas-là la mort des animaux infectés des actions impures de ces nations en préservait le peuple choisi ; tandis que dans la pratique des sacrifices, la mort des animaux purs et purifiés attirait sur ce même peuple des actions préservatrices et salutaires.

Au contraire, la destruction trop prompte de ces mêmes nations aurait exposé le peuple d'Israël à l'action impure de toutes ces bêtes de la terre, parce que ces nations leur servaient de réceptacle et de base d'opération ; voilà pourquoi Moïse dit au peuple, (Deutéronome  :) Ce sera .Dieu lui-même qui perdra devant vous ces nations peu à peu, et par parties. Vous ne pourrez les exterminer toutes ensembles, de peur que les bêtes de la terre ne se multiplient et ne s'élèvent contre vous.

Ce n'est point dire pour cela que les vertus pures et régulières soient renfermées et ensevelies dans le sang des animaux, comme plusieurs l’ont pensé et le pensent encore, puisqu'il en est même, tels que les Indiens, qui croient que des esprits de tout genre y sont placés pour les habiter ; mais c'est faire présumer seulement que toutes ces actions pures et régulières sont attachées aux classes et aux individus de ces animaux, et qu'en rompant la base qui les fixe, elles peuvent devenir utiles à l'homme ; c'est dans ce sens qu'il faut entendre le passage de nombres (ch. : .) que le sang a été donné pour l'expiation de l'âme ; car il ne faut pas confondre l'âme de la chair, et par conséquent l’âme des animaux avec les actions régulières et extérieures qui les gouvernent.

 

Mais de cette espèce de servitude et de contrainte où se trouvent ces sortes d'actions, il résulte une autre conséquence justifiée d'avance par l'état pénible de l'homme, et par cette sorte de réprobation attachée sur lui, et qui l'annonce visiblement comme un criminel. Cette conséquence est que si l'homme a besoin que toutes ces actions soient remises en liberté, pour que lui-même commence à recouvrer la sienne, si en un mot, il est l'objet pour lequel la loi les met en œuvre, il faut qu'il ait été pour quelque chose dans la révolution qui les a assujetties.

Les connaissances que maintenant le lecteur peut avoir acquises sur l'homme, rendent cette conséquence fort naturelle. Si nous avons pu ci-dessus le regarder comme roi, s'il a puisé son origine dans la source de la lumière, si nous le reconnaissons comme étant créé à l'image et à la ressemblance de la divinité, et comme devant être son représentant dans l'univers, il a dû être supérieur à toutes ces diverses actions, occupées aujourd'hui à l'entretien des choses.

Or, si c'est de lui que ces diverses actions attendaient que son administration sage les maintint dans leur ordre et dans leur emploi primitif, c'est-à-dire, qu'il développât et manifestât en elles les merveilles divines dont elles étaient dépositaires, et qui devaient servir aux sacrifices de gloire, il faut qu'en s'étant égaré lui-même, sa chute ait pu entraîner toutes ces diverses actions ou puissances dans un état d'assujettissement et de violence pour lequel elles n'étaient pas faites, et qui est pour elles comme une espèce de mort.

C'est ainsi que nous voyons dans les traditions des Hébreux, qui étaient comme le premier né des peuples, que les prévarications et l'endurcissement de Pharaon ont forcé la justice, non seulement à le frapper lui-même, mais encore à frapper tous les premiers-nés de son empire, depuis les hommes jusqu'aux bêtes, et depuis le fils de celui qui était sur le trône, jusqu'au fils de la servante et de l'esclave.

A la suite de ce terrible exemple de vengeance exercé sur l'Égypte, nous voyons les Hébreux recevoir l'ordre de consacrer à Dieu tous leurs premiers-nés, depuis l’homme jusqu'aux bêtes. Ce rapprochement est un indice de plus en faveur de l'opinion que nous avons avancée sur le but et l'esprit des sacrifices ; car la consécration du prêtre qui semble montrer en elle-même le sens de toutes les autres consécrations, ne se faisait point sans l'immolation d'un bélier.

 

Si l'on voulait donc poursuivre ce rapprochement, on verrait que par le crime de l'homme, tous les premiers-nés, tous les principes produits dans tous les genres ont été ensevelis avec lui dans son abîme ; mais que par l'inextinguible amour de la suprême sagesse, il a reçu le pouvoir de rétablir successivement tous ces principes dans leur rang, et ensuite d'y rétablir son semblable à son tour, et de faire sabbatiser les âmes, comme il avait reçu le pouvoir de faire sabbatiser la nature.

On verrait en un mot, que les sacrifices sanglants tendaient à ce double objet, soit en rendant à leur liberté originelle toutes ces actions pures et régulières que la prévarication a fait descendre et s'attacher aux diverses classes d'animaux et d'autres êtres qui composent la nature, soit en les mettant à même par là de procurer du soulagement à l'homme, et de le délivrer des entraves où nous le voyons languir tous les jours.

Car dans l'exemple que l'on vient de citer, c'est toujours l'homme qu'il faut avoir pour objet ; seulement il faut faire attention que les doubles types qui le concernent sont partagés sur deux nations différentes, les Égyptiens et les Hébreux, dont l'une peint l'homme dans sa chute et sa réprobation, et l'autre le peint dans sa loi de délivrance et de retour vers ce poste sublime dont il est descendu.

Toutefois, nous n'employons point les lois et les cérémonies des Hébreux, comme servant de base et de fondement à la théorie que nous exposons. Cette théorie repose en premier chef sur la nature de l'homme ancien et actuel, c'est-à-dire, sur notre grandeur et sur notre misère ; quand ensuite elle trouve sur la terre des témoignages qui l'appuient et qui la soutiennent, elle s'en sert, non comme preuve, mais comme confirmation.

 

D'après cela nous n'avons pas besoin de recourir aux Écritures saintes, pour découvrir jusqu'à quel temps remonte l'origine des sacrifices. Pour les sacrifices de gloire, elle remonte à l'époque antérieure à la prévarication de l'homme ; pour les sacrifices sanglants et d'expiation, elle remonte jusqu'au moment où l'homme coupable commença à voir s’entrouvrir pour lui la voie de sa délivrance, et ce moment est celui même où il lui fut permis de venir habiter la terre, puisque auparavant enseveli comme l'enfant dans un abîme, il ne pouvait avoir à sa disposition les matières des sacrifices, n'ayant pas même l'usage de ses propres facultés.

Sa destinée première était d'être lié à toute la nature, pendant toute la durée de l'œuvre qu'il aurait eu à remplir s'il se fût maintenu dans son poste. Malgré sa chute, il se trouva toujours lié à cette même nature dont il ne pouvait pas sortir, et dont le poids douloureux était encore augmenté par l'empire que l'homme avait laissé prendre sur elle et sur lui à son ennemi. Ainsi l'homme n'était lié alors à cette nature que par le supplice qu'elle lui causait, et étant lui-même pour ainsi dire identifié avec la puissance des ténèbres. Enfin, lorsque la voie de retour lui fut ouverte, ces moyens salutaires ne pouvaient agir que par l'organe et le canal de cette nature, dans laquelle il s'était enseveli au lieu de la dominer.

Ainsi les rapports qu'il a avec les animaux sont indestructibles, tant que la nature n'aura pas achevé son cours ; mais ces rapports changent de caractère, selon les diverses époques où l'homme se trouve. Au temps de sa gloire, il régnait en souverain sur les animaux ; et si dans ce temps même la pensée peut nous faire présumer l'existence des sacrifices, ils ne pouvaient pas avoir la réhabilitation de l'homme pour objet comme nous l'avons dit, puisqu'il n'était pas coupable.

Au temps de sa chute, il devint la victime de ces mêmes animaux, ainsi que de toute la nature.

 

Au temps de sa délivrance, il eut la permission et le pouvoir de les employer à son avancement ; ce dont nous ne pouvons pas douter, d'après toutes les observations précédentes.

Or, ces bases étant ainsi posées sur un fondement solide, il est doux d'en trouver en grande partie la confirmation dans les Écritures saintes.

Le premier homme dans son état de grâce y paraît revêtu d'une entière autorité sur la nature, et particulièrement sur les animaux ; puisque même il lui fut départi le don de leur appliquer les noms essentiels et constitutifs qui leur appartenaient ; après sa chute, la terre fut maudite, et l'inimitié fut mise entre la femme et le serpent. Mais à peine est-il envoyé à la culture de la terre, et à peine sa génération commence-t-elle à s'étendre, que nous voyons les sacrifices d'animaux en usage dans sa famille, indice puissant qui nous laisse fortement présumer qu'il les a pratiqués lui-même, et qu'il a transmis cette pratique à ses enfants, d'où ensuite elle s'est répandue sur toute la terre.

Il n'est pas difficile non plus de sentir combien cette institution, si salutaire dans son principe et dans son objet, aurait procuré d'avantages à l'homme s'il l’eût suivie dans son véritable esprit ; il suffirait pour cela de jeter de nouveau les yeux sur les sacrifices rétablis du temps de Moïse, et de reconnaître qu'en les observant fidèlement, le peuple n'eût jamais été abandonné, et aurait attiré sur lui tous les biens dont il était susceptible alors, puisque les puissances et les lumières divines l’auraient toujours environné.

La première chose remarquable qui se présente dans les règlements relatifs à ces sacrifices, c'est qu'ils étaient beaucoup plus nombreux et plus considérables aux trois grandes fêtes des Hébreux ; savoir : à Pâque, à la fête des semaines ou des prémices, et à la fête des tabernacles. Ces trois époques solennelles, si instructives par les faits dont elles retraçaient le souvenir, par les temps fixes où elles se célébraient, et par la liaison qu'elles ont avec l'histoire spirituelle et la régénération de l'homme, annoncent assez de quelle importance devaient être les sacrifices qui s'y célébraient, puisqu'ils semblaient devoir concourir naturellement au développement d'aussi grands objets.

 

Pour mieux sentir le rapport de ces trois fêtes principales avec l'histoire spirituelle de la régénération de l'homme, il faut avoir sans cesse les yeux fixés sur notre propre nature, et reconnaître que comme nous sommes caractérisés spirituellement par trois règnes ou trois facultés éminentes et constitutives, qui demandent autant de développements dans chacune des trois classes terrestres, spirituelle et divine par où nous passons, il est certain que tous les moyens et toutes les lois qui coopèrent à notre régénération, doivent suivre une marche qui soit conforme à ce même nombre, et analogue à l'espèce de secours qui nous est nécessaire, selon le rapport qui se trouve entre nos divers développements et l'œuvre de leurs époques correspondantes.

Mais, pour que le mot nombre n'effraie pas le lecteur, je m'arrêterai un instant pour lui faire observer que les nombres, quoiqu'ils soient fixes dans l'ordre naturel, ne sont rien par eux-mêmes, puisqu'ils ne servent qu'à exprimer les propriétés des êtres. C'est ainsi que, dans nos langues, les mots ne servent qu'à exprimer les idées, et n'ont essentiellement en eux aucune valeur.

Néanmoins l'esprit de l'homme inattentif a cru que le nombre exprimant les propriétés de l'être renfermait réellement eu lui ces propriétés ; c'est ce qui a. donné si abusivement tant de crédit, et en même temps tant de défaveurs à la science des nombres, dans laquelle, comme dans mille autres exemples, la forme a emporté le fond ; au lieu que le nombre ne peut pas plus avoir d'existence et de valeur sans les propriétés qu'il représente, qu'un mot n'a de prix sans l'idée dont il est le signe.

 

Mais ici il y a une différence : c'est que nos idées étant variables, les mots que nous employons pour les exprimer peuvent varier aussi ; tandis que les propriétés des êtres étant fixes, les nombres ou les figures qui les indiquent, ne peuvent point être sujets à des changements.

Toutefois les mathématiques, quoiqu'elles soient loin de connaître et d'employer ces nombres fixes, nous en offrent une idée dans les nombres libres ou arbitraires dont elles font usage ; car elles appliquent sans cesse, il est vrai, ces nombres libres et arbitraires aux valeurs des objets qu'elles soumettent à leurs spéculations ; et quand elles les ont attachés à ces valeurs, ils n'en sont plus que les signes et les représentants, et s'ils s'en détachaient, ils ne seraient plus rien. Mais c'est nous qui avons inventé les mathématiques pures, ou abstraction faite de toute application.

La nature ne connaît pas cette espèce de mathématiques. La nature est l'union continuelle des lois géométriques avec des nombres fixes que nous ne connaissons pas. L'homme, dans sa pensée, peut considérer ces lois indépendamment de leurs nombres fixes ; mais la nature est l'exécution effective de ces lois, et elle est étrangère à toute abstraction.

Or, comme les savants ne s'occupent que des dimensions et du jeu externe des êtres, et qu'ils ne s'occupent pas de leurs propriétés intimes, il est bien sûr qu'ils n'ont plus besoin de s’occuper des nombres fixes qui ne sont que les signes de ces propriétés. Et, en effet, ne s'occupant que des dimensions visibles des êtres, ou même de leur pesanteur, de leur vitesse, de leur attraction approchée, il est clair que, pour atteindre leur but, ils ont assez de leur numération ordinaire.

Ce que je viens de dire sur les nombres étant suffisant pour arrêter les préventions que cet ordre de science entraîne avec elle, je reviens aux sacrifices.

 

Le premier degré de notre régénération n'est que notre appel hors de la terre d'oubli ou du royaume de la mort et des ténèbres. Cette première œuvre est indispensable pour que nous puissions marcher ensuite dans le sentier de la vie, comme il est indispensable que le grain fermente dans la terre, et lance hors de lui ses racines pour suivre ensuite le cours de sa végétation et produire ses fruits. Aussi nous voyons que la régénération du peuple Hébreu commence par l'œuvre puissante qui le fait sortir de l'Égypte, et le place dans les sentiers qui doivent le conduire à la terre promise. Mais ce qu'il y a de frappant, c'est que le temps lui-même vient apporter son tribut de correspondance à cette œuvre merveilleuse, en ce qu'elle s'est opérée dans le premier mois de l'année sainte des Hébreux, laquelle, commençant au printemps, exprimait temporellement le passage que la nature fait alors de la langueur et de la mort de l'hiver à des jours plus actifs et plus fertiles.

Les Hébreux, il est vrai, n'offrirent point alors d'holocaustes, parce qu'à l'image de l'homme dans le premier acte de sa délivrance, ils étaient encore dans l'impuissance et dans l'ignorance de leur loi qui agissait sur eux à leur insu, de la même manière qu'elle agit sur l'enfant qui vient au monde.

Néanmoins ils immolèrent un agneau dans chaque maison, et quoique ce ne fût point selon la forme des sacrifices qui furent établis depuis, il y avait cependant dans cette cérémonie une vertu efficace et initiative à tout ce qu'ils devaient opérer dans la suite ; de façon que, dans cette fameuse époque, nous voyons marcher de front quatre choses importantes ; savoir : la vocation de l'homme à la vie terrestre, la délivrance du peuple choisi, la renaissance de la nature, et l'effusion du sang des animaux ; et ces quatre choses ne pourraient concourir ensemble d'une manière aussi marquée, sans avoir une correspondance intime.

Il faut remarquer même que l'immolation de l'agneau fut l'acte préparatoire et antérieur à la délivrance des Hébreux ; et cette circonstance nous laisse présumer combien sont pures et régulières les actions attachées à cette espèce d'animal, et remises en liberté par son immolation, puisqu'elles furent respectées par l'ange exterminateur, et qu'elles devinrent le moyen de protection dont Dieu se servit pour préserver les Hébreux de tous les fléaux de sa justice.

 

Ceci nous retrace, avec assez d'évidence, ce que nous avons dit ci-dessus, savoir, que le sang est le sépulcre de l'homme, et qu'il lui faut nécessairement en être délivré pour faire le premier pas dans la grande ligne de la vie. Cela nous indique aussi que parmi tous les animaux, l'agneau est celui qui a avec la régénération ou la délivrance de l'homme, les rapports les plus vastes et les plus profitables ; et que c'est lui dont l’immolation pouvait lui procurer le plus d'avantages en le disposant lui-même, par les vertus secrètes du sacrifice, à sortir plus glorieusement et avec plus de sûreté hors de son propre sang.

On peut trouver même quelques témoignages en faveur de cette vérité dans la simple classe matérielle, où nous voyons que l'espèce du bétail à laquelle appartient l'agneau, est celle qui offre à nos corps le plus de biens et qui suffit seule à nos premiers besoins, en nous procurant la nourriture, le vêtement, et la lumière. Il n'est pas inutile non plus d'ajouter que cette espèce de bétail ne fournit cependant qu'à nos besoins passifs, qu'à ceux de nos besoins qu'on peut comparer aux besoins de l'enfance de l'homme, ou de l'homme dans la privation ; mais qu'il ne nous rend aucun des services actifs dont nous avons besoin dans un autre âge, et qui nous sont administrés par le moyen des autres espèces d'animaux.

Aussi voyons-nous là une raison pourquoi l'agneau seul fut immolé lors de la sortie d’Égypte, puisque à cette époque le peuple choisi ne faisait que naître, et retraçait temporellement l'enfance corporelle et l'enfance spirituelle de l'homme ; de même que l'époque du printemps retraçait la naissance et l'enfance de la nature.

 

Cette époque primaire présenta à la fois trois caractères ; elle fut commémorative de l'appel du premier homme à la vie terrestre ; elle fut l'appel actuel du peuple choisi à la loi de l'esprit, et elle fut l'indice prophétique de notre renaissance future dans la loi de Dieu, et ce triple caractère se trouve dans toutes les époques que nous parcourrons, parce qu'elles sont toutes liées l’une à l’autre dans l’accomplissement du nombre qu'elles représentent et parce qu'elles deviennent ainsi successivement ) commémoratives ; ) actuelles ou effectives et ) figuratives ou prophétiques.

Aussi nous voyons que cette époque primaire est suivie d'une époque seconde, dans laquelle le peuple hébreu reçoit la loi sur la montagne de Sinaï. Tous les rapports précédents vont se retrouver dans cette époque.

Après avoir été appelés à la vie terrestre, il y a un âge où l'esprit fait sa première jonction avec nous, et nous communique ses premiers rayons. Après que le premier homme fût arraché aux abîmes dans lesquels le crime l'avait plongé, et qu'il eût obtenu, par la mort d'Abel et par la pénitence, l'entrée dans les voies de la justice, il reçut des consolations qui nous sont indiquées par l'avènement de son fils Seth, lequel attira sur sa famille le premier dépôt des dons que la miséricorde suprême daigne encore accorder au genre humain.

Quand même on ignorait à quelle époque le premier homme, qui n'a point été enfant, reçut les premiers secours de la grâce, nous savons que pour l'homme particulier, c'est vers sept ans que les premiers germes de l'esprit se montrent, et qu'ainsi les fruits de ces germes pourraient naturellement se développer à des époques qui correspondissent aux multiples de ce nombre.

Aussi nous savons que la loi fut donnée au peuple Hébreu quarante-neuf jours après le passage de la mer Rouge ; nous savons que cette époque tombe à celle de la production des premiers fruits, et que la fête qui fut instituée à ce sujet, s'appelle la fête des semaines, et des prémices.

Enfin, nous savons que cette loi fut arrosée du sang des holocaustes et des victimes pacifiques, et que les victimes furent prises parmi le gros bétail, ou parmi les veaux. (Exode : ). Tous les rapprochements qui résultent de là sont faciles à faire, d'après les principes établis ci-dessus.

 

En nous rappelant ici la base universelle des sept formes de l'éternelle nature, le nombre du sept contenu dans quarante-neuf, nous retracera le jeu et l'opération des sept puissances spirituelles sur le peuple choisi pour lui ouvrir la carrière des œuvres vives, comme aussi cette opération est marquée à cette même époque par la production des premiers fruits de la terre, ou par les prémices ; et il ne doit y avoir aucun doute que cette loi n'ait agi par les pouvoirs de ce nombre sur le premier homme, comme elle fait encore sur les hommes particuliers, et le ferait sûrement d'une manière plus sensible et plus positive, si malgré les secours dont la sagesse nous a comblés depuis l'origine, nous ne nous remplissions pas journellement de fausses substances qui nous tiennent habituellement dans de fausses mesures, et empêchent les véritables d'agir sur nous.

Dans cette époque, ce fut le sang des veaux qui fut versé ; et dans la première, ce fut seulement le sang des agneaux.

Dans la première époque, qui n'était que celle de la délivrance, le sang de l'agneau servit d'organe à l'œuvre de miséricorde qui s'opérait alors sur le peuple, et qui était indiquée par la douceur dont cet animal est le symbole ; car c’est dans l’étude des caractères apparents des divers animaux que nous pouvons apercevoir quelques clartés par rapport aux actions qui les gouvernent, et aux œuvres auxquelles ils doivent concourir selon le plan de la sagesse.

Dans la seconde époque, le peuple se trouvant au milieu des déserts, et dans la voie de son retour vers sa patrie, avait besoin d'une force plus considérable pour pouvoir résister à ses ennemis ; et tout nous engage à croire que le sang du gros bétail, versé dans cette circonstance, est un indice suffisant que tel était l'objet de l'immolation de cette espèce de victimes.

 

Dans la première époque, le peuple n'eut rien à faire ; il n'eut qu'à suivre l'esprit qui faisait tout pour lui comme les mères et les nourrices font tout pour les enfants dans leur bas âge. Aussi il n'avait point encore de loi.

Dans la seconde époque, le peuple est regardé comme pouvant agir par lui-même, et c'est alors que la loi lui est donnée que tous les préceptes lui sont enseignés, afin qu'il puisse régler sa conduite sur ces préceptes pendant les pénibles voyages qui lui restent à faire.

Il était donc naturel que la même sagesse qui lui traçait des lois, lui communiquât aussi les forces nécessaires pour les observer, et c'est ce que nous indique le sacrifice des veaux, sans faire mention ici des forces spirituelles qu'il reçut par l'effet des prodiges opérés en sa présence sur la montagne, ni de celles qu'il pouvait attendre de l'ordination de ses prêtres, qui ne se fit qu'après la promulgation de la loi, et pour ainsi dire après l'émancipation du peuple, et seulement pour empiéter et consolider cette seconde époque. Car Moïse avait été ordonné directement et sans l'intervention du ministère de l'homme, puisqu'il devait être comme le Dieu de Pharaon et prendre Aaron pour son prophète (Exode .).

Il est certain que cette seconde époque est à la fois commémorative, actuelle, et figurative comme l'avait été l'époque primaire ; seulement il faut observer que chacun de ces rapports monte d'un degré, puisque la seconde époque part d'un point plus avancé d'un degré que cette époque primaire ; attention qu'il faudra avoir quand on considérera les époques suivantes, lesquelles, marchant toujours par des nuances contiguës, élèvent sans cesse leurs opérations, mais conservent leur caractère.

La troisième époque, dans le sens réduit où nous nous tenons pour le moment, ne nous est connue par aucun fait historique de l'Écriture sainte. Elle ne nous est indiquée que par la solennité de la fête qui fut ordonnée pour la célébrer, et qui est nommée la fête des tabernacles. Cette fête n'ayant point de faits actuels à consacrer, ne nous est présentée aussi dans l'écriture, (Lévitique : .) que comme étant commémorative d'un fait antérieur, c'est-à-dire pour faire ressouvenir le peuple que Dieu l'avait fait habiter sous des tentes, après qu'il l'eut délivré de la servitude des Égyptiens.

 

Mais ce ne sera point une erreur de dire que le cours de la régénération n'était point assez avancé alors, pour que cette époque présentât à l'esprit du peuple tout ce qu'elle renfermait ; et particulièrement la station que l'homme est obligé de faire pendant un temps, dans les régions médianes, entre sa primitive demeure et sa demeure actuelle, lorsqu'il quitte son enveloppe corporelle qui est pour lui sa terre d'Égypte, et où habite son sang qui est à son égard un véritable Pharaon.

Or, cette fête, la plus considérable de toutes, par la quantité des victimes qu'on y offrait, était l'expression prophétique et figurative de tous les biens qui attendaient le peuple dans les divers temps à venir, mais dont il ne pouvait avoir l'idée, puisque aucun de ces temps n'était arrivé pour lui.

Nous pouvons juger de la grandeur de ces biens par le moment de l'année où la fête se célébrait ; c'était dans le septième mois, c'était après la récolte de toutes les moissons, c'était au renouvellement de l'année civile, quoique ce fût à la moitié de l'année sainte.

On peut donc voir là avec confiance la fin du cercle des choses temporelles, l'avènement du règne de l'esprit, et l'immensité des dons et des trésors qui résultent du développement de toutes ses puissances, et cela dans toutes les époques consécutives et intermédiaires entre le moment de l'institution de cette fête, et le complément du grand cercle.

 

Je n'ai pas besoin même de rappeler pour cela les propriétés caractérisées du septénaire ; il suffit de le nommer pour être certains que la fête en question devait être beaucoup plus prophétique que commémorative pour les hommes instruits de ce temps-là, quoique pour le peuple elle fût plus commémorative que prophétique. Ajoutons seulement pour l'instruction de ceux qui ont l'intelligence ouverte sur les principes dont les nombres sont les signes que ce septénaire agit à cette troisième époque plus complètement qu'il n'a fait à la seconde, qui n'était qu'une initiation à la loi, au lieu que la troisième était l'accomplissement du temps de cette loi.

Aussi à la seconde époque, le septénaire n'agit encore, pour ainsi dire, qu'en lui-même et dans son propre cercle ; tandis qu'à la troisième il a fait pénétrer son opération dans tout le cercle des choses par le moyen des six mois lunaires, sur le cours desquels il a étendu et développé ses puissances ; ce qui retrace les six opérations primitives de la création, terminées par le sabbat, et ce qui indique la grande époque sabbatique par où le grand cercle de la durée de l'univers doit arriver à son terme, et rendre la liberté aux créatures.

Une seconde vérité fondamentale que nous pouvons exposer ici, et qui se lie avec celle que nous avons déjà exposée précédemment, c'est que pendant le règne de la loi des sacrifices, tout s'est opéré par transposition, parce que l'homme était trop loin de la vérité pour qu'elle pût s'unir à lui directement.

Le serpent d'airain, les oblations, les immolations, les voyages même du peuple Hébreu qui se transporte d'un pays à l'autre, sont des témoignages suffisants pour faire comprendre que telle était la nature de cette loi ; et d'ailleurs cette loi devient sensible lorsqu'on reconnaît que l'homme, étant lié par son crime à des actions divisées quoique analogues, ce n'était que par la réunion de ces analogues, que l'homme pouvait être délivré du joug pénible de leur division.

Mais cette loi, à mesure qu'elle procède, semble de plus en plus devenir salutaire au peuple choisi qui doit être reconnu pour type de l'homme. Aussi l’on aperçoit une progression de grâces, d'activité et de faveurs, suivre la progression des fêtes et des époques, comme nous l'avons déjà remarqué ; aussi le sacrifice perpétuel tout en offrant la commémoration de la délivrance d'Égypte, montrait cependant en même temps la continuelle surveillance de l'amour suprême sur son peuple qu'il ne veut jamais abandonner.

 

Aussi les holocaustes extraordinaires qui y étaient joints lors des trois grandes fêtes, avaient pour objet de faire descendre sur le peuple des vertus actives qui puissent correspondre au plan de ces diverses époques ; car on y voit des taureaux, des béliers, sept agneaux, indépendamment de toutes les offrandes qui se joignaient universellement aux holocaustes.

C'est par là que se semaient dans ce peuple les germes qui devaient commencer à donner leurs prémices à l'époque suivante, et qui n'avaient pu être semés en lui pendant son séjour en Égypte, parce qu'il fallait que ce peuple fût purifié auparavant, puisque le séjour de la mort n'est pas susceptible de recevoir la sentence de la vie.

Sans doute, si le voile n'était pas étendu comme il l'est, sur la nature et les propriétés des animaux, nous verrions à découvert la raison finale et positive pour laquelle les béliers, les taureaux et les agneaux étaient employés de préférence à d'autres animaux dans tous ces sacrifices. Nous justifierions par des détails particuliers ce principe fondamental et général que par leur liaison avec les actions extérieures, ces espèces de victimes devaient, par l'effusion de leur sang, faire parvenir sur le peuple les actions diverses dont elles sont l'emblème et le type, et que par là il se plaçait près de lui des puissances représentatives de celles qu'il devait recevoir un jour de la part de l'esprit même, et dont il était encore trop éloigné.

 

Mais nous n'avons plus les noms primitifs de ces animaux, et il n'y aurait que cette connaissance-là qui pourrait répandre une clarté vive et lumineuse sur les différentes espèces d'animaux admis au rang des victimes, de même que sur les diverses espèces de productions végétales qui servaient d'offrandes dans les sacrifices ; car si les nombres vrais expriment les propriétés des êtres, les noms réels les expriment encore plus exactement, puisqu'ils en sont l'organe actif. Voilà ce qui jadis caractérisait la prééminence du premier homme, et voilà ce qui doit aujourd'hui caractériser au moins partiellement, la prééminence du véritable sage ou du véritable dispensateur des choses divines pour qu'il remplisse utilement et efficacement le ministère du Seigneur.

Les mots hébraïques même sont d'un médiocre secours pour communiquer la lumière sur ce grand objet. Ils n'ont procédé d'une manière active que pour des noms d'homme, c'est-à-dire, par rapport aux générations du peuple choisi et de ses ministres, comme on le voit aux noms caractéristiques des patriarches et des prophètes, parce que c'est de l'homme dont il s'agissait principalement dans cette voie d'élection et de restauration ; au lieu que le temps de la grande réhabilitation de la nature n'étant pas encore venu, les noms des plantes et des animaux ne procèdent pas plus dans la langue hébraïque que dans les autres langues, et leurs noms vrais sont encore ensevelis dans la langue que Jacob Boehme appelle la langue de la nature, et cela jusqu'à ce que les sceaux soient levés.

On pourrait seulement répéter et étendre l'idée générale que nous avons exposée précédemment, et cette idée serait que dans l'effroyable bouleversement que la nature a éprouvé lors de l'égarement criminel des premiers prévaricateurs, il y a eu des substances et des espèces, soit de minéraux, soit de végétaux, soit d'animaux mieux conservées les unes que les autres, c'est-à-dire, qui sont restées dépositaires d'une plus grande portion des propriétés vives et puissantes de l'état primitif des choses ; et que ce seront, sans doute, ces substances-là qui auront été employées de préférence dans les sacrifices et dans toutes les autres parties cérémonielles du culte religieux, comme pouvant rendre à l'homme de plus grands services, attendu qu'elles tenaient de plus près au premier contrat. Mais cette idée demanderait d'être préparée par une plus ample connaissance de cet état primitif des choses ; aussi nous ne faisons que l'indiquer.

 

Passons à une objection qu'on peut faire sur la clef que nous avons présentée comme devant servir à expliquer les sacrifices.

Si les sacrifices opéraient en faveur de l'homme par le moyen de leur correspondance, si l'effusion du sang des victimes était le moyen établi pour remplir cet objet, comment se fait-il, pourra-t-on dire, que la circoncision n'ait pas tenu lieu de tous les sacrifices ? Car dans cette circoncision, le sang de l'homme lui-même étant versé, semblerait devoir opérer pour lui plus efficacement que toutes les autres victimes, en raison de la supériorité de ses correspondances. Voici ce que nous pouvons répondre.

Si les sacrifices sanglants agissaient par leurs correspondances, ils tiraient cependant radicalement leur vertu du désir du ministre et de celui du fidèle qui s'unissait à lui ; car alors le désir divin même venait s'allier au leur. Or, comme dans aucune circonstance ce désir, qui est la vraie foi, ne peut se passer d'une base, le sang des animaux lui en tenait lieu, et l'aidait à atteindre plus haut, en attendant que ce désir pût se reposer sur la base complète et sur le cœur divin qui dirigeait en secret tous ces sacrifices, et devait finir par les couronner.

Car on peut remarquer en passant que la nécessité d'une base pour faire reposer notre vraie foi ou notre désir, est la clef de toutes les diversités des sacrifices, soit sanglants, soit non sanglants, ainsi que des diverses idoles, et des divers cultes qui sont en honneur sur la terre : toutes choses où l'on voit que les nations ont au fond la même foi, et ne se trompent que sur la base ; mais que le choix de cette base étant si important, puisqu'elle doit tenir, par des correspondances fixes à un centre vrai, soit naturel, soit spirituel, soit divin, il n'est pas étonnant que les erreurs des nations étant si grandes en ce genre, leurs ténèbres soient si universelles.

Or, la circoncision ne pouvait servir de base à ce désir ou à la foi, puisqu'elle s'opérait dans les premiers jours de la naissance ; et elle ne fut opérée sur Abraham, dans son âge fait, que parce que ce patriarche n'aurait pas été choisi enfant pour être le chef de la race élue, et qu'en outre il devait entrer librement dans l'alliance. Aussi, il ne fit par là que représenter les premiers degrés de sa réconciliation.

Cependant, quoique l'enfant ne puisse avoir de désir ou de vraie foi, sans doute que le sang de l'homme versé dans la circoncision des enfants avait un effet ; mais cet effet se bornait, pour ainsi dire, à opérer sur eux une espèce d'ablution, comme les retranchant en quelque sorte de ce régime de sang, dans lequel le crime de l'homme nous a tous plongés ; et les initiant par là à l'œuvre active et efficace à laquelle leur désir ou leur foi devait les employer un jour volontairement. C'était aussi plutôt un effet figuratif de la grande circoncision ou de leur délivrance corporelle, qu'un effet vivificateur et régénérateur, comme l'était celui des holocaustes où la foi avait au moins une sorte d'action, où la victime pure était immolée, et où l'entier développement de toutes les correspondances d'actions régulières avait le pouvoir de rétablir l'homme dans une partie de ses droits et de ses jouissances.

D'ailleurs on a déjà vu précédemment que la mort de l'homme était le seul sacrifice sanglant qui pût le rétablir dans la plénitude de ses rapports, et dans la voie parfaite de son retour vers son principe. Aussi le principe de la vie animale n'étant point retranché par la circoncision, l'observation de cette loi ne pouvait seule faire descendre sur l'homme des actions puissantes et restauratrices ; et si le sang des animaux n'avait été substitué au sien, il serait demeuré, pendant toute sa vie, dans la même privation et la même servitude.

Toutefois, nous l'avons dit, cette circoncision n'était point inutile, puisque c'était une sorte d'initiation à des degrés dont l'homme ne pouvait jouir encore. Mais précisément parce que c'était une espèce d'initiation, il fallait qu'elle le rendît susceptible d'en recevoir les fruits progressifs, et elle opérait réellement cet effet en sa faveur, en ce qu'elle ouvrait son sang à toutes les actions régulières que les sacrifices des animaux pouvaient attirer sur lui.

 

Voilà pourquoi, lorsque le pouvoir divin consacra et fit entrer au nombre des lois saintes du peuple juif cette pratique qui peut-être était déjà en usage chez d'autres peuples, mais qui n'y était pas appliquée à son véritable objet, cette cérémonie fut si sévèrement recommandée. Voilà pourquoi tout incirconcis était exclu des sacrifices, parce que les actions régulières que ces sacrifices attiraient, ne trouvant point la voie ouverte pour pénétrer dans le principe de la vie, auraient agi avec force et violence contre les infracteurs de la loi, au lieu d'agir pour leur salut, et les eût exterminés du milieu du peuple.

Il semblerait d'après ce principe que la circoncision paraissant n'avoir eu lieu que depuis le déluge, tous les sacrifices qui se sont opérés auparavant ont été inutiles, et ne pouvaient produire aucun fruit. Premièrement, si nous n'avons point de preuves que cette pratique fût en usage avant le déluge, nous n'en avons point non plus du contraire ; secondement, en admettant qu'en effet elle fût postérieure au déluge, la difficulté disparaît dès qu'on réfléchit à la différence de l'état où s'est trouvée l'espèce humaine dans ces deux époques : ce qu'il faut appliquer également aux animaux.

Avant le déluge, l'homme jouissait de toutes les forces de sa nature animale et corporelle ; cette enveloppe passagère qui lui est donnée pour servir d'organe aux actions et vertus supérieures dont il a besoin, était plus conforme au plan de restauration qui avait été établi pour lui ; et étant par conséquent plus ouverte aux influences réparatrices, il aurait pu, selon cette probable conjecture, n'avoir pas besoin de la circoncision, pour qu'elles trouvassent accès chez lui.

D'un autre côté, les animaux jouissant d'une somme de vie plus considérable que celle dont ils ont joui depuis le déluge, devaient encore, par l'effusion d'un sang plus virtuel, fortifier l'opération, et rendre d'autant moins nécessaire le secours que cette opération a semblé attendre de la circoncision dans la seconde époque.

A cette seconde époque, tout a changé. La nature entière a été tourmentée et altérée par le fléau du déluge. L'espèce humaine dont les crimes avaient attiré ce fléau, s'est trouvée beaucoup plus resserrée dans les entraves de sa matière ; les animaux eux-mêmes ont perdu de leur virtualité, par le renouvellement qui s'est fait de leur espèce, et qui les a fait descendre au-dessous de ce qu'ils étaient avant que la justice suprême eût fait éclater sa vengeance. Enfin, que ne doit-on pas penser des énormes squelettes des mammouths ?

Si la sagesse n'eût procuré à l'homme un moyen de remédier à ces funestes suites de la justice, il serait donc resté sans aucune voie de retour vers son principe, et le plan de l'amour divin en faveur de l'espèce humaine ne se serait pas rempli, puisque la première initiation à cette voie de retour n'aurait pu avoir lieu. Or, la circoncision, d'après tout ce qu'on a vu ci-dessus, nous paraît être ce moyen salutaire qui, depuis le déluge, a suppléé aux avantages dont l'homme et les animaux jouissaient avant cette mémorable catastrophe.

Peut-être même que si les nations eussent observé avec fidélité les lois et les instructions que Noé leur a transmises, comme l'élu et le préposé du Seigneur, elles se fussent maintenues dans des rapports assez puissants pour que ce nouveau moyen leur fût inutile.

 

Mais par la prévarication de Cham et de Canaan et par les abominations commises dans les plaines de Sennaar, elles ont ajouté des chaînes à celles qu'elles avaient reçues à la suite du déluge, et ont aggravé par là les obstacles qui s'opposaient déjà à leur réunion avec leur source. Il ne serait donc pas étonnant que l'inextinguible amour qui les a créées, les eût suivies jusque dans les abîmes où elles se plongeaient, et leur eût ouvert une route nouvelle, pour se rapprocher de lui.

Rentrons ici dans nos trois époques, et observons comment elles nous sont retracées en petit dans l'historique de la circoncision des Hébreux.

C'est sous Abraham que nous entendons parler pour la première fois de la circoncision dans l'Écriture ; et c'est par là que le Seigneur confirme son alliance avec lui et avec sa postérité. Dans quelles circonstances cette circoncision est-elle ordonnée par le Seigneur ? C'est au moment où il donne à Abraham un autre nom, ainsi qu'à sa femme, en ajoutant au leur une seule lettre de ce nom sacré sous lequel il s'est fait connaître la première fois à Moïse. C'est à son âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, c'est au moment où il vient de faire alliance avec lui dans le sacrifice, et où il lui promet la possession de la terre de Chanaan ; enfin, c'est au moment où il se choisit pour la première fois un peuple, dans lequel doivent être bénies toutes les générations.

Tous ces points rassemblés nous montrent de nouveau que la circoncision avait une vertu initiatrice à tous les biens que Dieu destinait à son peuple, et que toutes ces promesses auraient été nulles, s'il ne lui eût ouvert cette voie à leur accomplissement. Abraham reçut cependant des faveurs divines avant cette cérémonie, puisqu'il fut tiré de son pays où l'iniquité s'était introduite, puisqu'il dressa des autels au Seigneur à Bethel, et à Mambré, et qu'il invoqua son nom, puisqu'il fut béni par Melchisédec, puisque dans le sacrifice sanglant qu'il offrit par ordre de Dieu, il reçut des témoignages évidents de la présence de l'esprit ; mais cela ne contredit en rien tous les principes qui ont été établis.

Abraham était l'élu du Seigneur, quoiqu'il eût pris naissance parmi des idolâtres, et quoique quelques-uns l'accusent d'avoir lui-même fait le commerce des idoles. Son cœur avait pu se conserver pur, quoique son esprit fût livré aux ténèbres qui couvraient celui de ses contemporains. Ainsi les faveurs divines pouvaient trouver accès chez lui, sans le moyen secondaire de la circoncision.

D'ailleurs il faut distinguer essentiellement les voies employées pour manifester une élection de la part de Dieu, et les voies employées pour conduire cette élection à son terme. Nous les verrons perpétuellement faire deux classes dans toutes les élections et époques subséquentes ; et nous en avons la preuve la plus positive dans l'élection d'Abraham, puisque malgré toutes les faveurs dont nous avons vu qu'il fut l'objet avant sa circoncision, ce n'est cependant que depuis cette loi accomplie sur lui et sur toute sa maison, qu'il reçoit trois anges pour hôtes, que le temps est fixé clairement pour la naissance d'Isaac, et qu'enfin au bout d'un an il reçoit ce fils de la promesse, par lequel l'alliance commencée dans Abraham devait s'accomplir et se réaliser.

Il n'en faut pas davantage pour nous convaincre que dans cette époque où nous entendons parler de la circoncision pour la première fois, elle eût pour objet d'être une voie initiatrice à tous les biens qui étaient promis par l'élection ; et comme telle, elle trouve ici de sensibles rapports avec ce que nous avons dit de la Pâque, ou de la première époque de la voie de retour du peuple Hébreu vers la terre promise.

La seconde fois où il soit fait mention de la circoncision dans l'Écriture, c'est sous Moïse (Exode : .) où il est à présumer que cette cérémonie avait été négligée, et que ce fut là la cause de la colère de l'ange, d'autant que la circoncision fut recommandée de nouveau avec toutes les autres lois et ordonnances qui furent données sur la montagne, (Lévitique : .) ce qui fait que nous regardons cette loi de la circoncision donnée sur la montagne, et la circoncision opérée sur le fils de Moïse, comme ne faisant qu'une même époque.

 

Le moment où cette loi reparaît est remarquable par sa conformité avec ce qui s'était passé sous Abraham. C'est après que Moïse a vu le buisson ardent, et qu'il a reçu de Dieu la promesse que le peuple serait délivré ; c'est après avoir été choisi lui-même pour être l'instrument de cette délivrance, et après avoir reçu les signes les plus extraordinaires de sa mission, que la vengeance divine est prête à tomber sur son fils, et que cette vengeance n'est arrêtée que par la soumission de Ziphora ; enfin, c'est au moment où Moïse retourne en Égypte pour commencer sa mission, que cette cérémonie s'accomplit sur son fils.

Ce rapprochement nous indique assez clairement que cette cérémonie devait servir d'initiation aux fruits de la promesse de la délivrance, comme elle en avait servi sous Abraham aux fruits de l'élection, et que les uns et les autres ne pouvaient se cueillir sans l'effusion du sang ; il ne faut même pas s'arrêter à cette différence, qu'ici c'est le sang du fils de l'élu qui est versé, et non le sang de l'élu lui-même. Quoique les deux individus soient distincts, on peut regarder leur sang comme ne faisant qu'un ; et d'ailleurs sous ce voile apparent, il y a mille rapports avec plusieurs autres vérités que des yeux perçants découvriront sans peine.

Ainsi, sans que j'expose moi-même ces vérités à leurs regards, ils y verront une époque médiane, une double circoncision, une commémoration du sacrifice du fils d'Abraham, et une prophétie d'un autre sacrifice dont il n'est pas encore temps de nous occuper ici. Il faut donc nous en tenir à faire remarquer que cette élection de Moïse et la circoncision qui l'accompagne, ayant pour objet les prémices des fruits vifs de la promesse faite à Abraham lors de son alliance avec Dieu, se lient assez naturellement avec la seconde époque ou la seconde fête des Hébreux, où la terre rendait ses premiers fruits et où le peuple reçut les prémices de l'esprit qui sont la loi ; parce qu'il ne faut jamais oublier dans ces rapprochements, que chaque trinaire d'époques fait un cercle, et que le cercle qui précède, est toujours d'un degré moins élevé que le cercle qui le suit.

 

Enfin, la troisième fois où l'ordonnance de la circoncision reparaît dans l'Écriture, c'est sous Josué, lorsque le peuple est près d'entrer dans la terre promise. (Josué, : . .) L'ordonnance renouvelée sur le Mont Sinaï, au sujet de la circoncision n'avait point été suivie pendant les quarante ans que le peuple avait erré dans les déserts ; et tous ceux qui avaient été circoncis en Égypte, avaient péri pendant le cours de ces longs voyages. Dieu renouvela alors son ordonnance sur tous les incirconcis qui restaient, afin que l'opprobre de l’Égypte fût ôté de dessus le peuple ; et tout le peuple fut circoncis à Galgala.

On ne peut s'empêcher de remarquer le moment où se présente cette circoncision, et les nombreuses merveilles dont elle fut suivie. Ce moment est celui de l'entrée dans la terre promise, comme le moment de la circoncision d'Abraham fut celui de l'entrée dans l'alliance ou l'élection, et comme le moment de la circoncision du fils de Moïse fut celui de l'entrée dans la voie de la loi et de l'oeuvre ; et sous ce rapport, cette époque se lie avec la troisième fête des Hébreux, qui était celle de l'abondance, de la jouissance de leurs récoltes, et du terme de tous leurs travaux.

Elle ne s'y lie cependant que dans l'ordre temporel et terrestre, et d'une manière commémorative, car elle ne peint que prophétiquement le repos futur dont le peuple devait jouir lorsqu'il aurait soumis et détruit les habitants de Canaan, parce que son entrée dans la terre promise ne faisait que l'admettre aux combats qu'il devait livrer ; et les victoires qui devaient les suivre, lui avaient été indiquées par celles remportées sur les nations du désert.

Il n'est pas inutile non plus d'observer que c'est au premier mois qu'arriva cette entrée dans la terre promise, comme c'est au premier mois qu'arriva la sortie d'Égypte ou la délivrance, parce qu'ici les deux cercles se retrouvaient au même point, quoique le second portât alors sur un ordre de choses plus vaste et plus actif que le premier.

 

Mais ce qui nous indique combien la circoncision faite lors de cet événement fut avantageuse au peuple, c'est de voir qu'après cette cérémonie, la manne cesse de tomber, que le peuple peut manger des fruits de la terre, que Josué entre sous la protection directe du prince visible de l'armée du Seigneur, que les trompettes du jubilé deviennent les armes principales du peuple, et qu'au seul son de ces trompettes, réuni à celui de la parole, les murs de Jéricho sont renversés, et chacun peut entrer librement dans la ville par l'endroit qui se trouve devant lui ; toutes figures significatives et prophétiques de ce qui était réservé à l'homme dans les époques ultérieures, et de ce qui nous attend lorsque nous serons hors de notre cercle mixte et terrestre.

C'est ici, surtout, que les sacrifices manifestèrent leur puissance et leur efficacité ; car toutes les merveilles que nous venons de retracer avaient été non seulement précédées de la circoncision, mais encore des holocaustes de la Pâque que le peuple célébra à Galgala, et probablement aussi des sacrifices que Moïse et les anciens, (Deutéronome, : -.) lui avaient recommandé d'immoler à son entrée dans la terre de promission, et dont le livre de Josué ne fait mention qu'après la conquête de Haï. (Josué : ,). Mais que l'on peut présumer avoir été offerts après le passage du Jourdain, selon que Moïse l'avait ordonné.

Nous ne repasserons point en revue tout ce que nous avons dit sur l'efficacité de ces sacrifices, confirmée par les succès merveilleux qui les suivirent ; il suffit d'avoir posé une fois en principe le rapport du sang avec les actions régulières, et celui de ces actions régulières avec les actions supérieures, pour concevoir l'utilité que l'homme, ou que le peuple choisi pouvait recevoir de ces cérémonies, relativement à sa délivrance et à son avancement progressif vers le terme de sa véritable liberté.

 

C'est avec ce même esprit qu'il faut envisager tous les sacrifices qui ont été immolés chez les Hébreux depuis leur entrée dans la terre promise jusqu'à la destruction de leur dernier temple par la puissance romaine, et il est inutile à notre plan que nous en suivions la chaîne et les époques, parce qu'elles rentrent toutes dans ce principe établi, et que c'est particulièrement du principe, ou de la clef universelle dont nous nous occupons ici, très persuadé que si elle est puisée dans la vérité, elle aidera à résoudre toutes les difficultés.

Nous allons donc passer à un autre ordre d’observation relativement aux sacrifices ; savoir, comment ces institutions se sont trouvées établies sur toute la terre, et cela d'une manière si variée, et très souvent si abusive et si criminelle.

Il est évident que ce n'est point à la religion judaïque, ni à tous les sacrifices sur lesquels elle reposait, qu'il faut attribuer l'usage de ces cérémonies chez les autres nations, parce que le peuple juif a été un peuple concentré, et comme isolé au milieu des autres peuples ; qu'il n'a point communiqué avec eux ; qu'il n'a perdu son existence que sous notre ère, et qu'il a dès lors perdu l'usage de ses cérémonies et de ses sacrifices ; d'ailleurs, les sacrifices étant pratiqués dès l'origine du monde, et lors de son renouvellement à l'issue du déluge, l'établissement des sacrifices parmi toutes les nations, n'est pas plus étonnant que la dispersion de ces nations qui auront emporté avec elles les usages et les cérémonies de leurs pères.

Ce n'est donc plus l'universalité des sacrifices qui doit nous surprendre et nous occuper, puisque leur source nous étant connue, et reposant sur des bases naturelles, tous les ruisseaux et tous les fleuves qui en découlent ne peuvent pas avoir une autre origine ; mais c'est l'altération que ces fleuves et ces ruisseaux ont subie dans leurs cours, qui doit être en ce moment l'objet de nos recherches et de nos réflexions.

 

Cette altération n'aurait jamais pu avoir lieu, si la source pure n'avait pas commencé par exister, et ceux qui n'ont attribué l'usage des sacrifices qu'à l'ignorance et à la superstition des peuples, ont confondu l'abus et les conséquences avec le principe, et par là se sont ôté le moyen de connaître et le principe et les conséquences. N'oublions jamais la malheureuse situation de l'homme dans cette terre de douleurs et de ténèbres, situation attestée par les tourments de tous les mortels, et par les larmes de tous les siècles. N'oublions jamais que si nous sommes environnés d'actions régulières dont les animaux purs sont les intermèdes, nous le sommes aussi d'actions irrégulières, qui tendent sans cesse à introduire leurs irrégularités et leurs désordres dans tout ce qui nous approche, afin de les faire parvenir jusque dans nous, et de retarder par là notre retour vers la lumière.

Cette peinture malheureusement trop vraie pour nous, le devient encore davantage en nous rappelant les préparations sacerdotales que les victimes recevaient selon la loi des Hébreux, et surtout en nous rappelant que les oiseaux venaient fondre sur les bêtes mortes lors du sacrifice d'Abraham, et que ce patriarche les en chassait.

Comment donc supposer que dans cette multitude de sacrifices opérés, tant dans la famille de Noé, que sous ses descendants qui ont peuplé la terre, il n'ait jamais rien manqué aux préparations sacerdotales, et que les oiseaux aient toujours été chassés de dessus les victimes ; comment le supposer, dis-je, en voyant l'abomination naître dans le sein même de la famille de Noé, et en voyant sa postérité se couvrir de ténèbres, au point de forcer la sagesse suprême à faire une nouvelle élection ? Il ne fallait cependant qu'une seule négligence dans ces importantes cérémonies, pour donner accès à l'action irrégulière, et à tous les désordres auxquels elle est liée et qu'elle engendre sans cesse.

 

Jugeons donc ce que cela a dû être, si le sacrificateur a joint la souillure à la négligence, l'impiété à la souillure, et des desseins criminels à l'impiété ; enfin, s'il a lui-même préparé les voies à l'action irrégulière, et qu'il s'y soit joint pour agir de concert avec elle au lieu de la combattre ? Il n'en faut assurément pas davantage pour voir naître de là des torrents d'horreurs et d'abominations qui croissant journellement dans une progression incalculable, ont dû inonder la terre de leurs eaux immondes et la couvrir d'iniquités.

L'action irrégulière à laquelle le sacrificateur aura donné accès en lui, aura pu l'égarer de plusieurs manières ; tantôt elle lui aura suggéré l'idée de changer l'espèce des victimes, et sans doute elle n'aura remplacé les victimes pures que par celles qui avaient le plus de rapport avec ses abominables plans ; d'où il n'est plus surprenant de voir sur la terre tant de différentes espèces d'animaux employés dans les sacrifices.

Tantôt en laissant au sacrificateur les victimes pures, elle l'aura pressé de diriger vers elle l'esprit et l'intention de son culte, lui faisant espérer plus d'avantages auprès d'elle, qu'auprès d'un être jaloux et sévère qui retirait toutes ses faveurs pour la moindre négligence dans les cérémonies qu'il avait instituées ; et c'est surtout en flattant ses cupidités de tous les genres, que sachant l'attacher à elle, elle aura pu l'entraîner dans les abus les plus funestes, et les abominations les plus monstrueuses.

Tantôt enfin rassemblant toutes ces iniquités à la fois, elle aura su, pour en assurer le succès, les colorer d'une apparente piété, sous l'ombre de laquelle elle aura conduit l'homme à des pratiques révoltantes et inhumaines, tout en lui persuadant que par le prix et la quantité des victimes, il se rendait d'autant plus cher à la Divinité ; d'ailleurs, étant liée à toutes les substances et à toutes les matières des sacrifices, comme l'action régulière, elle aura pu appuyer et confirmer toutes ces fausses insinuations par des manifestations visibles et d'autant plus efficaces qu'elles s'accordaient avec les sentiments intérieurs et les mouvements secrets que le sacrificateur avait déjà reçus.

 

Considérons donc la race humaine sous le joug d'un ennemi ingénieux et vigilant qui ne respire que pour la promener d'erreurs en erreurs, et qui lui a fait partout fléchir le genou devant lui, par le moyen même qu'elle avait en son pouvoir pour l'éloigner d'elle.

Nous pouvons distinguer ces erreurs en trois classes ; savoir : . Les abominations du premier genre, et dans lesquelles toutes les facultés de l'homme se sont corrompues. . Les abominations pieuses qui ont sans doute commencé pour lui comme les précédentes, c'est-à-dire par sa propre corruption ; mais qui ensuite ont eu simplement empire sur sa faiblesse. . Enfin, les simples superstitions de l'idolâtrie qui descendent des abus et des erreurs deux premiers genres, mais qui n'en ont pas les effets et les suites.

Car on pourrait croire même que les superstitions puériles, et les abus secondaires où la faiblesse et la crédulité de l'homme l'ont souvent amené, ont pu aussi le préserver et l'empêcher de commettre des crimes plus essentiels, comme cela lui arriverait s'il possédait de plus grandes lumières, et qu'il fût dépositaire de plus grandes puissances.

Et véritablement ce n'est pas tant des idoles qui ont une bouche et qui ne parlent point, dont il doit se défendre, que de celles qui ont une bouche et qui parlent ; qui ont des yeux et qui voient ; qui ont des oreilles et qui entendent, etc.

Les abominations qui tiennent à cette seconde espèce d'idoles, et qu'il faut classer dans le premier genre, sont celles qui blessant la justice au premier chef, ont attiré sur les prévaricateurs des diverses époques, nombre de fléaux connus ou inconnus. Car combien de crimes ont été plongés dans l'abîme avec ceux qui les ont commis ? Ce qui nous en est conservé dans l'histoire sainte suffit pour nous faire présumer toutes les autres abominations qu'elle nous a cachées.

 

Qu'on se rappelle la prévarication du premier homme, dont les suites ont été un changement absolu pour lui, et l'ont fait passer de la région de la lumière, à la demeure ténébreuse que nous habitons ; qu'on se rappelle les abominations de sa postérité jusqu'au déluge, et qu'on juge par l'immensité des coupables que ce déluge a engloutis, combien de crimes énormes ont été dérobés par là à notre connaissance ; qu'on se rappelle les abominations des Égyptiens et des peuples de la Palestine, qui ont attiré sur ces régions la colère de Dieu, au point de le forcer d'armer contre elles tous les éléments, toutes les puissances de la nature, et jusqu'au feu du ciel pour les exterminer.

Enfin, qu'on daigne jeter un coup d'œil sur notre globe, on n'y trouvera peut-être pas un seul point qui n'offre encore des vestiges de la vengeance céleste contre les malheureux qui ont été assez insensés et assez coupables pour s'unir avec l'adversaire de la Divinité et ce tableau du globe sera une histoire parlante, encore plus certaine que celle que les livres nous ont transmise, et nous démontrera cette universalité de crimes dont ces livres ne nous instruisent point, ou qu'ils ne nous peignent qu'en abrégé, et comme par extrait.

Depuis la manifestation de ces fléaux, les abominations du premier genre semblent aussi être devenues moindres ; et si elles n'ont pas cessé tout à fait, elles paraissent ne plus appartenir à des peuples en corps, et n'être pratiquées que par de simples individus. Mais les abominations du second genre en ont pris la place, et voici quelle a été leur origine.

Par la pratique pure des sacrifices légitimes, le fidèle opérant et son peuple recevaient des témoignages visibles de l'approbation de la souveraine puissance ; ils recevaient des instructions pour leur marche dans la carrière sainte, et des réponses à leurs questions dans ce qui regardait la sagesse et la justice ; mais dès que la négligence ou la souillure se sont introduites dans ces sacrifices, l'action irrégulière s'y est introduite en même temps ; elle s'y est montrée visiblement sous telle forme qu'il lui a plu ; elle y a fait elle-même les réponses, et s'est établie comme l'oracle, et comme la véritable arche d'alliance.

 

Combien d'opérants n'ont-ils pas été les dupes et les victimes de ces mensongères apparitions, et combien de ces opérants n'ont-ils pas gouverné les peuples par ces attrayantes séductions, après s'en être laissés gouverner eux-mêmes ? Cette action irrégulière leur communiquait des vérités, puisqu'il y en a qui lui sont connues par les imprudences de l'homme ; elle leur prédisait des faits qui arrivaient, elle répondait souvent juste à leurs questions ; cela suffisait pour qu'ils se prosternassent devant elle de bonne foi, quelle que fût la forme qu'elle empruntât, et quels que fussent les ordres qu'elle leur prescrivît.

Telle est, n'en doutons point, la source de plusieurs religions et de plusieurs cultes sur la terre, ainsi que des atrocités dont elles ont été pieusement accompagnées ; car il faut soigneusement distinguer ces abominations secondaires d'avec celles du premier rang que nous avons déjà observées, et qui attaquaient volontairement la Divinité au premier chef ; au lieu que les secondes semblent n'avoir d'autre effet que d'égarer l'homme et de le priver du fruit des plans de cette Divinité, ce qui n'est l'attaquer qu'au second chef. Mais aussi elles paraissent remplacer par leur nombre et leur immensité, ce qu'elles ont de moins dans leur importance.

Car c'est dans cette classe qu'il faut ranger tous ces professeurs de sciences occultes, auxquels le vulgaire ignorant donne indifféremment le nom d'illuminés ; tous ceux qui ont eu et qui ont des esprits de Python, qui consultent les esprits familiers et qui en reçoivent des réponses.

Il y faut ranger tous ces oracles dont les traditions mythologiques sont remplies, toutes ces réponses ambiguës des sibylles de tous les peuples, et dont les poètes ont fait la base et le nœud de leurs poèmes, tâchant d'attirer notre intérêt pour leurs héros en nous les montrant comme des victimes de la fatalité, pour ne pas dire comme des dupes d'un mot à double entente, et en les faisant jouer ainsi au propos discordant, au lieu de nous les montrer marchant sous l'égide de la véritable et lumineuse sagesse.
Il y faut ranger la plupart de ces prodiges qui s'opèrent dans l'assoupissement des sens corporels, et non par la renaissance de nos véritables sens, et qui livrent ainsi l'Homme-Esprit à toutes les régions qui se présentent, d'autant que nous avons lieu de croire que le crime de l'homme a commencé par le sommeil, et que c'est pour avoir laissé assoupir autrefois ses véritables sens, qu'il a été plongé dans l'illusion et les ténèbres.

Il y faut ranger toutes ces voies bâtardes et fausses qui se sont ouvertes dans tous les siècles, et qui, sous l'apparence de la vérité, éloignent les hommes de la seule et unique vérité qu'ils devraient prendre tous pour guide. Il faut, dis-je, ranger dans cette classe tous ces abus, parce que, malgré la cessation des sacrifices dans une grande partie de la terre, il suffit qu'ils aient pris leur origine dans l'altération ancienne de ces sacrifices, pour se propager de siècle en siècle, et pour produire même journellement de nouvelles erreurs, attendu que cette source criminelle qui les a engendrés est vive, et saisit toutes les occasions que les hommes lui fournissent d'étendre son règne et de réaliser ses desseins.

Il faut penser en outre que si la plupart des hommes vivent de bonne foi sous le joug de ces illusions et de ces iniquités, par ignorance, et faute d'instruction, il en est au moins un aussi grand nombre qui y portent leurs passions et leurs cupidités, au lieu d'y porter leur vertu, et qui, se rapprochant par là des abominations du premier genre, nous montrent combien dans tous les temps ont été et seront fondées les lamentations des prophètes.

 

Enfin, la troisième classe de ces abominations, est celle des superstitions et des idolâtries de tous les genres. Les formes de toute espèce que sut emprunter l'action irrégulière pour altérer les sacrifices et égarer l'homme, ont été les principales sources de l'idolâtrie matérielle, parce que les opérants qui recevaient ces manifestations, étaient portés, par un penchant naturel, à honorer ceux des animaux vivants, et toutes les autres substances naturelles qui avaient des rapports avec les formes sous lesquelles l'action irrégulière s'était montrée ; et c'est de là que sont venues les adorations de tant de peuples pour différents êtres et pour différents objets de leur culte.

De là à l'idolâtrie figurative ou à celle des images il n'y a qu'un pas, puisque mille circonstances ayant souvent forcé de substituer l'image de l'idole à l'idole même, la vénération du peuple a passé bien aisément de l'idole à l'image et à la statue.

L'origine des apothéoses se trouve également dans cette source, parce que l'opérant a souvent été pris pour l'être même qui était l'objet du culte. Ainsi l'on reconnaît presque parmi tous les peuples une Divinité visible et une Divinité invisible ; on trouve dans le nord deux Odin ; l'un, Dieu suprême ; l'autre, conquérant ; on trouve de même deux Jupiter chez les Grecs, deux Zoroastre chez les Perses, deux Zamolxis chez les Thraces, etc. (Edda. , p. .)

La source des superstitions populaires n'est pas plus voilée, et ce n'est pas la faute de leurs prophètes si les Juifs sont tombés dans ces idolâtries de tout genre, puisque le Dieu suprême est si clairement distingué dans leurs écritures, et particulièrement dans les psaumes, de tout ce que les hommes ont pris depuis pour Dieu. Mais en s'approchant des sacrifices, soit altérés, soit non altérés, et en s'approchant de toutes les cérémonies pratiquées dans les abominations secondaires, l'homme aura vu que dans telles et telles circonstances, avec telles ou telles préparations des victimes, enfin avec tel ou tel arrangement et disposition des substances, il est arrivé tel ou tel résultat ; il n'aura pas tardé à séparer de toutes ces formes l'esprit qui devait les diriger et leur donner toute leur valeur ; et il aura attendu de cette forme, de cette substance, de cette cérémonie isolée, ce qu'elles avaient rendu lorsqu'elles étaient animées par leur mobile.

 

On voit là comment les peuples en sont venus à consulter les entrailles des victimes jusqu'au moindre mouvement que faisait l'animal quand on l'immolait ; le vol des oiseaux ; les talismans ; les chiffres ; les amulettes ; la rencontre de tel ou tel objet ; enfin, cette multitude de signes naturels auxquels l'opinion, l'inquiétude, et la cupidité ont prêté partout une importance et une valeur qu'ils n'avaient plus.

Tous ces tristes tableaux sont suffisants pour faire voir à quels écarts l'esprit de l'homme s'expose quand il cesse de veiller contre l'action irrégulière, qui, après l'avoir égaré dans le temps de sa gloire, l'a égaré encore lors de l'institution des sacrifices établis pour sa régénération, et a propagé ses désordres de manière à ce que l'homme ne puisse plus connaître le séjour de la paix, que sa demeure ne soit absolument renouvelée.

Il faut joindre d'ailleurs à ces observations, les présents que l'on offrait toujours au voyant, à l'imitation des offrandes que l'on faisait au temple entre les mains des sacrificateurs. Ces présents et ces offrandes ont commencé par être en participation avec la vertu du sacrifice ; puis ils sont devenus des organes inférieurs de correspondance ; et enfin, de simples objets de spéculation pour l'avarice et la fourberie.

Toutes les lois données à l'homme depuis son péché, ont eu son avancement pour objet. Voilà pourquoi la loi se trouve toujours au-dessous du terme où elle doit conduire l'homme, quoiqu'elle soit supérieure au terme où elle le prend : voilà pourquoi aussi ces différentes lois auraient toujours été en croissant, si l'homme n'en avait arrêté souvent le cours par ses écarts ; mais ayant lui-même multiplié sans cesse ses chutes et ses ténèbres, il a fait descendre sur lui des lois rigoureuses, et des lois de contrainte dans les temps où il aurait dû recevoir des lois douces et remplies de consolation.

 

Après la première expiation du premier homme coupable, il reçut une loi, et sûrement elle fut plus vaste et plus lumineuse que celle qui depuis le déluge fut donnée aux Israélites ; nous en pouvons juger par la différence du nom qui a dirigé ces deux lois. C'est le nom propre de Dieu qui dirigea la première ; ce n'est que le nom représentatif qui dirigea la seconde. Voyez Paul (aux Galates : .) où il nous dit que cette loi a été donnée par les anges, par l'entremise d'un médiateur.

D'ailleurs Adam, quoique coupable, n'était plus que dans la privation de ses jouissances primitives ; il n'était plus dans la souillure du péché qui avait été lavé par le baptême de sa délivrance des mains de son ennemi, ou par ce qu'on peut appeler sa grande circoncision ou sa circoncision spirituelle.

Enfin l'enveloppe corporelle dont on l'avait revêtu, était l'extrait pur de toutes les substances les plus vives de la nature, laquelle n'avait point encore subi les catastrophes secondaires qui lui sont arrivées depuis ; il n'est donc pas étonnant que dans cette réunion de circonstances, la loi de retour qui fut donnée à Adam, eût plus de force et de vertu que la loi judaïque : nous pouvons nous contenter d'en citer un seul trait pour en faire sentir la différence.

Il fut défendu au peuple Hébreu de s'allier aux nations qu'il allait combattre dans la terre promise ; et la transgression de cette loi le conduisit seulement aux différentes servitudes particulières qu'il a subies. Quant à Adam et à sa postérité, c'est la terre entière qui leur est donnée pour la cultiver, et pour en déraciner les ronces et les épines ; et c'est, au contraire, pour l'avoir remplie d'iniquités, que le Seigneur retire son esprit de dessus les hommes, et qu'il verse le terrible fléau du déluge. Par l'étendue du crime, jugeons de l'étendue de la puissance, et par l'étendue de la puissance, jugeons de l'étendue de la loi.

Cette loi ne put point être donnée à Adam pendant qu'il était encore dans les abîmes et sous le joug absolu de celui qui l'avait séduit. Ce fut la grâce pure qui agit dans ce terrible instant pour arracher à la mort éternelle celui qui était l'image et la ressemblance du Dieu des êtres ; et l'homme alors était incapable de mettre à profit aucune loi ; mais ce premier degré étant monté, l'homme devint susceptible d'une loi restauratrice ; or, celle qu'il reçut porta, sans doute, les trois caractères que nous avons exposés plus haut ; disons-le donc, elle fut un jugement contre l'ennemi qui fut alors précipité ; elle fut un avertissement qui engagea l'homme à reconnaître les dangers qui l'environnaient, et à se préserver de nouvelles chutes ; enfin elle fut pour lui un moyen de sanctification, par les voies de retour qui lui furent tracées, et par les sacrifices que nous trouvons établis et usités chez les premiers nés, et dont il put se servir.

L'affreuse conduite de sa postérité ayant rendu nulle cette loi restauratrice, l'homme, doublement coupable, fut de nouveau précipité dans l’abîme, et un simple rejeton fut conservé. Noé était resté fidèle aux ordonnances du Seigneur, et lorsqu'on le voit après le déluge offrir un sacrifice d'agréable odeur, on ne doit pas le regarder comme fondateur de cette loi des sacrifices, mais comme le conservateur et le ministre d'une loi aussi ancienne que l'origine même des choses ; ce qui est en effet un indice en faveur des sacrifices du premier homme.

Si la postérité de Noé s'était maintenue dans la sagesse et la sainteté de ce patriarche, l'œuvre aurait continué de marcher sur cette voie, et aurait avancé vers son terme, sans qu'il eût été nécessaire d'instituer une nouvelle loi, et de faire élection d'un peuple particulier, parce que le fléau du déluge ayant retranché de la terre tous les prévaricateurs, la famille conservée et ses descendants auraient été l'image vivante du premier homme dans sa voie de retour, et dans la loi qui devait favoriser ce retour.

 

Mais cette postérité de Noé s'étant livrée à tous les crimes, a rendu nulle pour elle cette loi restauratrice, et il a fallu renouveler alors pour l'homme ce qui s'était passé au commencement, puisque toutes les langues étaient confondues, et qu'il ne restait plus, comme au temps de Noé, une seule famille qui eût conservé la langue pure.

C'est dans cet état de ténèbres universelles, qu'Abraham est élu pour être le chef d'un peuple choisi ; tout lui fut donné en principe et pour ainsi dire prophétiquement, même jusqu'à l'histoire de son propre peuple, qu'il ne voit qu'en songe. Mais rien ne lui fut donné en développement ; il ne posséda point la terre qui lui fut montrée ; il fut même obligé d'acheter la caverne d'Ephron pour servir de sépulture à Sara. Il ne vit point la postérité nombreuse qui lui avait été promise ; il vit seulement le fils de la promesse, et ne vit pas même les fils de ce fils de la promesse, puisqu'il mourut avant la naissance de Jacob et d'Esaü ; il ne fut chargé d'aucun culte cérémoniel, car le sacrifice même que Dieu lui ordonna, ne lui fut commandé que pour servir de témoignage à l'alliance, et Dieu ne le lui donna point comme institution.

En nous disant que la mesure des iniquités des Amorréens n'était pas encore remplie, l'Écriture nous donne bien une espèce de raison pourquoi Abraham ne reçut pas la loi, mais on peut en trouver une plus directe ; c'est que la loi qui devait être donnée, devait tomber sur un peuple, et non pas sur un individu, comme au temps d'Adam, et que ce peuple n'était pas encore né. Elle devait tomber sur un peuple, puisque c'étaient les peuples qui s'étaient pervertis et écartés de la loi ; puisque ces cérémonies de la loi demandaient un grand nombre de ministres ; puisque cette loi devait s'appuyer sur le nombre perdu ou sur l'ancien dénombrement des nations, pour le leur rendre ; et enfin, puisqu'il fallait à cette loi un réceptacle, qui, par ses subdivisions, pût se lier à toutes les branches de la loi, tandis que toutes ces branches avaient été rassemblées en un seul tronc lorsqu'elles furent données à Adam, qui est corporellement la racine et le tronc du genre humain.

 

L'élection faite dans Abraham ne put atteindre à son accomplissement que quand les douze enfants de Jacob eurent pu présenter par leur nombre un réceptacle susceptible de recevoir l'action réparatrice qui correspondait à ce nombre. Et même les enfants de Jacob ne reçurent encore que le principe de cette action dans les bénédictions de leur père, et ce ne fut qu'à Sinaï que les douze tribus reçurent le développement de cette loi qui leur était nécessaire, et dont leurs ancêtres avaient reçu les prémices.

Cette loi n'opéra cependant encore pour eux qu'une sorte de préparation à la loi de l'esprit qui les attendait lorsque la loi des formes et des sacrifices matériels aurait accompli son cours. Il fallait que cette loi des formes développât les bases et les essences spiritueuses qu'ils avaient en eux, pour qu'ils pussent à leur tour présenter à l'esprit un réceptacle de son genre, et sur lequel il pût venir se reposer.

Enfin cette loi de l'esprit elle-même ne devait être que préparatoire à la loi divine, la seule qui soit le vrai terme de l'homme, puisqu'il est un être divin. Or, c'est dans cette progression lente, mais douce de tous les secours envoyés par Dieu sur la terre, que l'on peut dire en général de toutes les lois, ce que Saint Paul disait de la loi des Hébreux en particulier ; (Gal. : .) savoir ; qu'elle leur a servi de conducteur pour les mener comme des enfants, etc. ; car il n'y a pas une de ces lois temporelles qui ne puisse se regarder comme un conducteur, par rapport à celle où elle nous mène, et pour laquelle nous sommes réellement des enfants, jusqu'à ce que nous y soyons admis, et que nous ayons les forces nécessaires pour la pratiquer.

Voyez quelle a été l'économie divine dans toutes ces époques. Lors du règne lévitique, ou des sacrifices sanglants, le prêtre n'étant encore que dans les régions naturelles, recevait sa subsistance du peuple, et la loi lui décernait des villes et des dîmes pour suppléer à son indigence spirituelle. Sous le règne prophétique, Dieu nourrit ses serviteurs par des voies particulières, quoique prises dans l'ordre des agents naturels, comme on le voit pour Elie et Daniel. Sous le règne de la loi de grâce, l'intention du fondateur est que les prêtres n'aient plus à s'embarrasser de rien ; et la nourriture doit leur être donnée du ciel comme à Saint Pierre, et comme le témoigne le tableau et la promesse des avantages attachés aux eaux vives.

 

Mais ce n'est que pour les enfants dociles et soumis que ces diverses lois conservent un semblable caractère, et elles nous montrent plutôt ce que l'homme pourrait être, que ce qu'il est réellement. Aussi la main qui dirige ces lois salutaires est souvent forcée de les laisser se déployer plutôt pour la punition des hommes que pour leur récompense.

Nous avons vu que telle a été la marche de la sagesse divine depuis le péché de l'homme jusqu'à la loi de Moïse, pendant que si la postérité d'Adam eût été fidèle aux secours qui lui étaient envoyés dans toutes les époques que nous avons parcourues, elle eût avancé de beaucoup son retour vers la vérité, et n'eût connu que la douceur des voies divines, au lieu d'en éprouver presque toujours les rigueurs et les amertumes.

Tel va être encore le cas du peuple hébreu, dans l'époque où nous allons le considérer, savoir dans l'époque, ou le règne des prophètes.

Si le peuple eût suivi fidèlement les ordonnances du Seigneur, confiées aux chefs de la race sacerdotale, les mêmes faveurs qui l'avaient accompagné dans le désert, ne l'auraient pas abandonné dans la terre promise, et la loi des sacrifices des animaux l'eût conduit à la loi de l'esprit, dans laquelle il eût reçu directement les secours qu'il ne recevait que par intermède sous cette loi des sacrifices.

Mais le peuple, les chefs, les prêtres n'ayant cessé d'accumuler abomination sur abomination, ayant violé toutes les lois des sacrifices, comme on en peut juger par la conduite des enfants d'Heli, ayant abandonné le gouvernement théocratique pour y substituer un gouvernement semblable à celui des autres nations, dont leur élection les avait entièrement distingués, il n'est pas étonnant que ce peuple se soit retardé dans sa marche au lieu d'avancer ; il n'est pas étonnant enfin, que, selon le langage de l'Écriture, la parole de Dieu fût devenue rare.

 

Mais si l'homme se retarde dans sa marche par ses iniquités, le temps ne se retarde point dans la sienne ; et comme l'heure de la loi de l'esprit était venue pour les Juifs, elle ne pouvait se dispenser de s'accomplir elle-même à leurs yeux, au risque de ne pas les trouver préparés. Seulement elle prit alors un double caractère, conformément au double type de miséricorde et de justice qu'elle a à opérer sur la terre ; et la lumière qui fut allumée lors de l'élection des Juifs ne pouvant s'éteindre, manifesta alors à la fois les premiers rayons de sa clarté, et les terreurs de la colère divine.

Voilà pourquoi nous distinguons clairement deux classes de prophéties, les unes effrayant le peuple coupable par des menaces, les autres annonçant aux âmes de paix les jours de consolation promis à la terre. Nous remarquons aussi combien à cette époque l'objet des prophéties s'étend et se rapproche de cette régénération de l'âme humaine qui avait toujours été le but de toutes les manifestations divines antérieures, mais qui s'était tenu enveloppé dans les ordonnances figuratives.

C'est dans les prophètes que nous voyons se déployer le caractère de l'homme choisi pour être le prêtre et le sacrificateur du Seigneur ; que nous voyons substituer les sacrifices de nos iniquités aux sacrifices des animaux ; que nous voyons la circoncision de l'esprit et du cœur recommandée comme la vraie voie de la réconciliation de l'homme avec Dieu ; que nous voyons les reproches faits aux faux prophètes et aux mauvais pasteurs, qui, après avoir trompé les âmes du peuple, leur assurent ensuite qu'elles sont vivantes ; enfin, que nous voyons percer l'aurore de ce règne divin et spirituel qui se levait alors pour ne plus cesser ; ce qui montrait déjà à l'homme, quoique par des traits épars, qu'il était né dans la région de la sainteté et de l'esprit, et qu'il ne pouvait trouver sa vraie loi et son lieu de repos que dans cette région de l'esprit et de la sainteté.

 

Nous disons que ces vérités ne lui étaient montrées que par des traits épars, parce qu'indépendamment de l'homme général que ces prophètes venaient réveiller, ils avaient aussi à agir et à prophétiser aux divers peuples particuliers qui n'étaient point encore sortis des figures et de l'ordre représentatif. Mais sous tous ces rapports le prophète se pouvait toujours regarder comme une victime, soit par la mort corporelle et violente que la plupart d'entre eux ont subie, soit plus encore par le travail de l'esprit qui les animait.

En effet, la vertu éteinte des sacrifices passa alors dans la voix des prophètes, et ils prirent aux yeux de l'esprit la place des victimes qui ne s'offraient plus que selon la forme extérieure, et sans la foi du sacrificateur. Le sang versé de ces prophètes devenait l'holocauste de propitiation, sur lequel l'action de l'esprit opérait d'une manière à la fois plus terrible et plus salutaire qu'il n'avait opéré sur le sang des animaux.

Premièrement, il opérait d'une manière plus terrible, parce que ce sang versé avec injustice était un témoin parlant des crimes et de l'aveuglement du peuple. Toutefois ce sang attirait à lui les actions spirituelles les plus irrégulières dont ce peuple égaré et criminel était souillé, et cela conformément à ces lois de transposition exposées ci-dessus.

Les esprits des prophètes portaient aussi sur eux dans leurs souffrances et dans leurs travaux les iniquités d'Israël, afin qu'en divisant toutes ces actions irrégulières attachées sur le peuple, la communication des actions régulières lui fût plus facile et plus favorable. Si le peuple avait profité de tous ces secours que la sagesse et l'amour suprême lui envoyaient, il aurait à son tour soulagé le sang et l'esprit des prophètes du poids de toutes ces actions irrégulières qui les accablait, en leur communiquant et partageant avec eux l'effet de ces vertus et de ces actions salutaires que leur sacrifice corporel et spirituel faisait descendre sur lui.

 

Mais s'enfonçant de plus en plus dans l'endurcissement, il prolongeait encore après la mort des prophètes les travaux et les douleurs qu'il leur avait occasionnés pendant leur vie ; il appesantissait par sa résistance le poids de ses propres iniquités qu'ils avaient pris sur eux par les saints mouvements de leur charité divine ; par là il accumulait sur lui-même le double reproche de n'avoir pas écouté la voix de la sagesse qui lui avait parlé, et de retenir dans de pénibles mesures ceux que cette sagesse avait pris pour ses organes ; et c'est pour cela qu'on lui demandera le sang des prophètes qui a été versé depuis Abel jusqu’à Zacharie ; car n'oublions pas que le peuple Hébreu n'est que le représentant de l'homme et de toute la postérité d'Adam.

Secondement, le sang des prophètes opérait sur le peuple d'une manière plus salutaire que le sang des victimes lévitiques, parce que le sang et la vie de l'homme servant de siège à la propre image de la Divinité, ne pouvait être versé sans faire jour aux saintes influences que les âmes des justes répandent naturellement autour d'elles ; et si les sacrifices des animaux avaient pu ouvrir au peuple Hébreu la région de l'esprit, le sang et la voix des prophètes lui ouvraient les avenues de la région divine.

C'est par ce double pouvoir que les prophètes accomplirent sur le peuple Hébreu l'acte de l'esprit qui les envoyait. Cet acte opéré, les prophéties cessèrent parmi les Hébreux, parce que le séjour mixte que nous habitons, soumet l'action même de l'esprit à des intervalles et à des opérations partielles, quoiqu'il n'y ait point de temps pour l'esprit : aussi après la captivité de Babylone qui avait confirmé, et réalisé les menaces des prophètes, l'œuvre de ces prophètes paraît terminée, et ils ne répandent plus que quelques lueurs, et qui même se bornent à presser la structure du second temple, et le peuple est remis à lui-même pour lui laisser le temps de reconnaître la justice des voies rigoureuses par lesquelles il venait de passer.

 

Mais en le livrant ainsi à lui-même, l'esprit lui laissa pour guide, et les paroles des prophètes, et la mémoire des événements qui venaient de se passer ; comme après son élection et la sortie d'Égypte on lui laissa la loi lévitique, l'histoire de sa délivrance et de ses pénibles voyages dans les déserts ; comme aussi après le déluge on avait laissé aux enfants de Noé les instructions de leur père, et les traditions de ce qui s'était passé depuis Adam jusqu'à eux ; et enfin comme on avait laissé à Adam, après sa chute, le souvenir de son crime, et du sacrifice d'amour que la bonté suprême avait bien voulu faire en sa faveur pour l'arracher aux abîmes.

C'est ainsi que depuis le premier contrat divin, et depuis la région pure où la vérité fait sa demeure, il y a une chaîne continue de miséricordes et de lumières qui s'étendent toujours jusqu'à l'homme à quelque époque qu'on le considère, et qui ne cessera de se prolonger jusqu'à la fin des siècles, c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'elle rentre dans ce séjour dont elle descend, qu'elle y ramène toutes les âmes de paix qu'elle aura rassemblées dans son cours, et qu'ainsi l'homme apprenne que c'est l'amour qui aura ouvert, dirigé et fermé le cercle des choses.

Le sang et la voix des prophètes n'avaient conduit le peuple Hébreu que jusqu'aux avenues du temple et de la région divine, parce que le terme n'était pas arrivé où l'homme pourrait entrer dans le temple même. Aussi y eut-il un grand nombre de prophètes employés à cette oeuvre préparatoire, et la main qui les conduisait leur traçait différents sentiers dans ces déserts qu'ils fréquentaient pour la première fois. C'est pourquoi, marchant chacun sur leur ligne particulière, ils ne connaissaient pas toujours le terme final vers lequel tendaient leurs prophéties, et qui ne leur était dévoilé que par parcelles et comme dans un lointain.

 

Aussi le peuple qui n'avait pas reconnu la loi de l'esprit dans les cérémonies lévitiques, quoiqu'elle y fût contenue, ne reconnut pas non plus la loi divine qui lui était annoncée dans la loi de l'esprit ou dans les prophéties, et continuant à marcher dans les ténèbres, il arriva ainsi à l'époque de l'universelle délivrance, dont non seulement les prophètes n'avaient cessé de parler chacun selon ce qu'il leur en était accordé de connaître, mais encore qui était aussi indiquée dans les livres de Moïse, particulièrement dans les bénédictions de Jacob ; car si le peuple avait réellement fait une étude soignée de ces livres, il aurait dû faire de sérieuses réflexions, lorsqu'il vit la puissance temporelle de Juda passer dans la main de l'Iduméen, nommé Hérode.

L'union intime de toutes ces lois, enveloppées les unes dans les autres, est un des plus sublimes secrets de la sainte sagesse, qui par là se montre toujours la même malgré la diversité et les intervalles qu'elle met entre ses opérations.

Le peuple juif eut l'esprit trop grossier pour pénétrer dans cette simple et profonde intelligence. Couvert d'ailleurs de toutes les iniquités dont il s'était souillé antérieurement par sa négligence à observer les lois et les ordonnances de Moïse, et par l'effusion du sang des prophètes, la loi de grâce, dont l'époque était arrivée pour le genre humain, opéra pour la réprobation du peuple qui en avait été, avec si peu de succès, le représentant ; et au lieu de se laver de ses crimes dans la foi à cette nouvelle victime qui venait s'offrir, il combla ses iniquités en la regardant comme son ennemi, et il épaissit ainsi pour lui-même le voile qui venait de se déchirer pour toute la postérité d'Adam.

Le tableau naturel, en faisant voir la nécessité d'un réparateur Dieu-homme, a montré la hauteur du mystère de ce sacrifice où la victime s'est immolée elle-même sans être suicide, et où les aveugles sacrificateurs, en croyant immoler un coupable, donnaient au monde, sans le savoir, l'Électre universel qui devait en opérer la renaissance ; l'homme de désir a montré que le sang de cette victime était esprit et vie, et qu'ainsi les Juifs en demandant qu'il retombât sur eux et sur leurs enfants, ne pouvaient séparer la miséricorde qui s'y trouvait unie avec la justice : nous ne rappelons ici qu'en passant ces consolantes et profondes vérités que l'esprit de l'homme ne saurait trop se rendre présentes.

Nous avons vu que le sang, depuis le crime, était la barrière et la prison de l'homme, et que l'effusion du sang était nécessaire pour lui rendre progressivement la liberté par le moyen des transpositions que cette effusion du sang opérait en sa faveur. Mais nous avons vu en même temps que chacune des lois qui lui fut donnée pour sa régénération, n'était qu'une sorte d'initiation à une loi supérieure qui la devait suivre : ainsi toutes ces lois préparatoires n'avaient pour but que d'amener l'homme à opérer de lui-même un sacrifice libre et volontaire, dont tous les sacrifices antérieurs ne pouvaient tenir la place, puisque sans l'effusion de son propre sang, il ne pouvait se dire réellement délivré de la prison que le sang élève autour de lui.

Or cette profonde et salutaire vérité, qu'est-ce qui pouvait la lui apprendre ? Ce n'étaient point les sacrifices des animaux, puisque ces animaux, dénués de moralité, ne lui donnaient aucune idée d'une immolation volontaire, et n'apportant à l'autel des holocaustes que leur physique corporel, ils ne pouvaient délier l'homme que de ses chaînes extérieures et corporelles comme eux.

Ce n'étaient point non plus les sacrifices et la mort des prophètes, parce qu'ils n'ont point été volontairement au supplice, quoiqu'ils aient pu y aller avec résignation ; parce que ce supplice, pour ceux qui l'ont subi, n'était qu'une suite incertaine de leur mission, et n'était point leur mission même ; parce qu'ils n'étaient envoyés que pour annoncer l'aurore du jour éternel de la délivrance de l'homme, et non point pour le remettre pleinement en liberté ; parce qu'enfin ils désiraient de pénétrer eux-mêmes dans ce grand jour qu'ils annonçaient sans le connaître, et qu'ils n'entrevoyaient que par des rayons épars, et comme par des éclairs de l'esprit.

 

Ainsi, quoique la voix et le sang des prophètes aient été plus avantageux pour l'homme que les victimes de la loi lévitique, quoiqu'ils aient pu l'amener à un degré plus élevé puisqu'ils ont pu délier son esprit, ils ne l'ont cependant point porté à cette idée sublime d'une immolation à la fois soumise et volontaire, fondée sur la connaissance de l'abîme dans lequel le sang nous retient, et sur l'espoir encourageant de notre absolue délivrance quand ce sacrifice est fait sous l'œil de la lumière, et dans les mouvements de notre éternelle nature.

Il fallait donc une autre victime qui, en réunissant en elle-même toutes les propriétés des victimes précédentes, y joignît encore celle d'instruire l'homme par le précepte et par l'exemple, du véritable sacrifice qui lui restait à opérer et à offrir pour satisfaire pleinement à l'esprit de la loi. Cette victime devait apprendre à l'homme que pour atteindre le but essentiel des sacrifices, il ne lui suffisait pas de mourir corporellement comme les béliers et les taureaux, sans aucune participation de l'esprit qui leur est refusé par leur nature ; qu'il ne lui suffisait pas même de mourir corporellement comme les prophètes immolés par les injustices, et les passions des peuples auxquels ils annonçaient la vérité, puisqu'ils croyaient, sans manquer à leur mission, pouvoir se soustraire à la violence, comme Elie, lorsqu'ils en avaient la facilité.

Mais elle devait lui apprendre qu'il lui fallait entrer de son propre mouvement, avec sa pleine science et une entière sérénité, dans cette immolation de son être physique et animal, comme la seule qui pût réellement la séparer des abîmes où il est retenu par le sang qui est pour lui l'organe et le ministre du péché ; enfin, qu'il lui fallait voler à la mort comme à une conquête qui lui assurait la possession de ses propres domaines, et le faisait sortir du rang des criminels et des esclaves.

 

Tel fut le secret sublime que le réparateur vint révéler aux mortels ; tel fut le jour lumineux qu'il leur fit découvrir dans leur âme en s'immolant volontairement pour eux, en se laissant saisir par ceux même qu'il venait de renverser par le souffle de sa parole, et en priant pour ceux qui donnaient la mort à son corps ; et ce fut l'effusion de son sang qui compléta toutes ces merveilles, parce qu'en se plongeant dans l'abîme de notre ténébreuse région, le réparateur suivit toutes les lois de transposition qui la gouvernent et qui la composent.

En effet, l'effusion du sang de la victime doit opérer en raison du rang et des propriétés de cette victime ; et si le sang des animaux ne pouvait délier que les chaînes corporelles du péché dans l'homme, puisqu'ils n'ont rien au-dessus de l'élémentaire ; si le sang des prophètes déliait les chaînes de son esprit en lui laissant entrevoir les rayons de l'étoile de Jacob, l'effusion du sang du réparateur devait délier les chaînes de notre âme divine, puisque ce réparateur était lui-même le principe de l'âme humaine, et lui dessiller assez les yeux pour qu'elle aperçût la source même où elle avait puisé la naissance, et qu'elle sentît que ce n'était que par l'immolation intérieure et volontaire de tout ce qui dans nous nage dans le sang et tient au sang, que nous pouvions satisfaire le désir et le besoin essentiel que nous avons de nous réunir à notre source divine.

Il n'est point étonnant que cette sorte de révélation ait rendu nuls tous les sacrifices et toutes les victimes, puisque celle qui s'était offerte avait placé l'homme dans le seul rang qui fût fait pour lui : aussi depuis cette époque l'Homme-Esprit est-il monté au rang de véritable sacrificateur, et il ne tient qu'à lui de rentrer dans les voies de sa régénération, et d'en atteindre, au moins par l'intelligence, le complément, même dès ce monde, s'il sait s'unir de cœur, d'esprit et d'œuvre à celui qui lui a ouvert les sentiers, et a touché le but devant lui.

Il n'est point étonnant non plus que, conformément à toutes les révélations antérieures, celle-ci nous soit parvenue par un homme, puisqu'elle avait l'homme pour objet ; mais ce qui la distingue éminemment de toutes les autres, c'est qu'elle a été prêchée, prouvée et accomplie en entier dans un homme Dieu et dans un Dieu homme, au lieu que parmi toutes les autres il n'y en a aucune qui porte cet universel caractère.

 

La mort d'Abel ne fut point volontaire ; elle put servir à l'avancement d'Adam par la transposition que l'effusion de ce sang put faire des actions irrégulières qui étaient attachées sur ce coupable père du genre humain ; mais elle ne compléta point l'œuvre de notre alliance avec Dieu, puisque Abel n'était qu'un homme conçu dans le péché et que son frère Seth fut substitué à sa place, pour transmettre aux hommes la continuation et le cours des grâces spirituelles que sa mort avait arrêtées dans ses mains.

La révélation de la justice reçue par Noé, et exercée sous ses yeux sur la postérité humaine, le plaça sans doute au rang des premiers élus du Seigneur pour l'exécution des plans de sa sagesse divine ; mais il paraît plutôt dans cette grande catastrophe comme un ange exterminateur, que comme le libérateur du genre humain ; et d'ailleurs, il n'offrit en holocauste que des victimes étrangères à lui, et qui ne pouvaient procurer à l'homme que des secours analogues à leur classe.

Abraham versa son sang par la circoncision, pour signe de son alliance avec Dieu, et comme témoignage de son élection ; mais il ne versa point le principe même de ce sang où réside la vie animale, et nous pouvons nous dispenser de rien ajouter à ce que nous avons dit précédemment de ce patriarche.

Son fils Isaac approcha du sacrifice, et ne le consomma point, parce que l'homme n'était encore qu'à l'époque des figures, et que la foi du père produisit son effet pour la consolidation de l'alliance, sans qu'il fût besoin de la souiller par l'atrocité de l'infanticide.

Moïse a servi d'organe à la loi de l'élection du peuple Hébreu ; il en a été même le ministre comme homme, et comme homme choisi pour opérer sur l'homme ou sur ses représentants ; mais comme il n'agissait que sur les représentants de l'homme général, il ne fut appelé aussi qu'à employer des sacrifices extérieurs, et des victimes figuratives, par cette constante raison que l'homme n'étant encore qu'à l'âge des figures et des images, la loi de transposition ne pouvait opérer sur lui que dans ce rapport, et ne pouvait pas s'élever plus haut.

 

Les prophètes sont venus donner leur sang et leur parole pour coopérer à la délivrance de l'homme. S'il avait été nécessaire que des hommes vinssent pour exercer les vengeances de la justice, et tracer les voies représentatives de la régénération, il fallait bien plus encore que des hommes vinssent ouvrir les premières portes des sentiers réels de l'esprit ; aussi les prophètes étaient-ils comme l'organe, la langue et la prononciation même de l'esprit, tandis que Moïse ne reçut la loi, et ne la transmit au peuple qu'écrite sur des pierres ; enfin, Moïse, en présence des magiciens de Pharaon, n'avait pris le serpent que par la queue ; il fallait un être puissant qui le prît par la tête, sans quoi la victoire n'aurait pas été complètement remportée.

Aussi tout nous montre ce qui manquait aux prophètes pour pouvoir introduire l'homme dans la révélation de sa propre grandeur ; et nous pouvons ajouter une raison simple et frappante à tout ce que nous en avons dit, c'est que ces hommes privilégiés n'étaient pas le principe de l'homme.

Nous pouvons même trouver ici en partie l'explication du passage de Saint Jean ( : .) : tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des larrons, et les brebis ne les ont point écoutés, quoique ce passage tombe bien plus directement sur les grands prêtres que sur les prophètes. Ce passage annonce bien que tous ces chefs et tous ces envoyés ne pouvaient introduire le peuple dans le royaume, puisqu'ils ne marchaient que par l'esprit, et que ce royaume est divin ; mais il annonce aussi qu'ils n'ont pas été les vrais pasteurs de ce peuple, puisqu'ils n'ont point donné volontairement leur vie pour lui, et puisque au lieu de le préserver soigneusement de la main de l'ennemi, ils ont été souvent les premiers à le livrer à sa fureur.

 

C'est ce que Dieu leur reproche si fortement dans Ezéchiel ( : -.), où, après avoir tracé les crimes des princes, et les prévarications des prophètes, il dit (v. .) : J'ai cherché un homme parmi eux qui se présentât comme une haie entre moi et eux, qui s'opposât à moi pour la défense de cette terre, afin que je ne la détruisisse point, et je n'en ai point trouvé.

Il était donc uniquement réservé à celui qui était le principe de l'homme, de remplir toutes ces conditions envers l'homme. Il n'y avait que ce principe créateur, vivant et vivifiant, qui pût en être le véritable libérateur, parce que l'effusion volontaire de son sang auquel nul sang sur la terre ne saurait se comparer, pouvait seule opérer l'entière transposition des substances étrangères qui nageaient dans le sang de l'homme.

Il n'y avait que ce principe divin qui, à la suite de cette opération, pût attirer l'âme humaine hors de ses abîmes, et s'identifier, pour ainsi dire, avec elle, afin de lui faire goûter les délices de sa vraie nature ; il n'y avait que lui qui, étant dépositaire de la clef de David, pouvait d'un côté fermer l'abîme, et de l'autre ouvrir le royaume de la lumière, et rendre à l'homme le poste qu'il aurait dû toujours occuper.

Aussi c'est ne rien connaître de ce réparateur, que de ne le considérer que sous ses couleurs extérieures et temporelles, sans remonter, par les progressions de l'intelligence, jusqu'au centre divin auquel il appartient. Puisons donc dans la diversité des caractères dont il s'est revêtu, quelques moyens d'approprier à nos faibles lumières son homification spirituelle qui a précédé de beaucoup son homification corporelle.

Il a fallu d'abord qu'étant le principe éternel de l'amour, il prît le caractère de l'homme immatériel qui était son fils ; et pour accomplir une pareille œuvre, il lui a suffi de se contempler dans le miroir de l'éternelle Vierge, ou de la SOPHIE dans laquelle sa pensée a gravé éternellement le modèle de tous les êtres.
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Après être devenu homme immatériel par le seul acte de la contemplation de sa pensée dans le miroir de l'éternelle Vierge ou SOPHIE, il a fallu qu'il se revêtît de l'élément pur, qui est ce corps glorieux englouti dans notre matière depuis le péché.
Après s'être revêtu de l'élément pur, il a fallu qu'il devînt principe de vie corporelle, en s'unissant à l'esprit du grand monde ou de l'univers.
Après être devenu principe de vie corporelle, il a fallu qu'il devînt élément terrestre, en s'unissant à la région élémentaire ; et de là il a fallu qu'il se fit chair dans le sein d'une vierge terrestre, en s'enveloppant de la chair provenue de la prévarication du premier homme, puisque c'était de la chair, des éléments, et de l'esprit du grand monde qu'il venait nous délivrer. Et sur ceci je ne puis que renvoyer à Jacob Boehme qui a répandu sur ces objets des lumières assez vastes et assez profondes pour dédommager les lecteurs de toutes les peines qu'ils pourront prendre.

On voit maintenant pourquoi le sacrifice que le réparateur a fait ainsi dans tous les degrés, depuis la hauteur d'où nous étions tombés, a dû se trouver approprié à tous nos besoins et à toutes nos douleurs.

Aussi c'est le seul sacrifice qui ait été terminé par ces paroles à la fois consolantes et terribles, consummatum est ; consolantes par la certitude qu'elles nous donnent que l'œuvre est accomplie, et que nos ennemis seront sous nos pieds, toutes les fois que nous voudrons marcher sur les traces de celui qui les a vaincus ; terribles, en ce que si nous les rendons vaines et nulles pour nous par notre ingratitude et notre tiédeur, il ne nous reste plus de ressource, parce que nous n'avons plus d'autre Dieu à attendre, ni d'autre libérateur à espérer.

Ce n'est plus le temps où nous puissions expier nos fautes, et nous laver de nos souillures par l'immolation des victimes animales, puisqu'il a chassé lui-même du temple les moutons, les bœufs et les colombes. Ce n'est plus le temps où des prophètes doivent venir nous ouvrir les sentiers de l'esprit, puisqu'ils ont laissé ces sentiers ouverts pour nous, et que cet esprit veille sans cesse sur nous, comme Jérémie, selon les Macchabées ( livre, : .) veille toujours sur le peuple d'Israël.

 

Enfin, ce n'est plus le temps où nous devions attendre que le salut des nations descende près de nous, puisqu'il y est descendu une fois, et qu'étant lui-même le principe et la fin, nous ne pourrions, sans lui faire injure, nous conduire comme s'il y avait encore après lui un autre Dieu, et ne pas donner à celui qui s'est fait connaître à nous, une foi sans borne et une confiance universelle, qui ne peut réellement et physiquement reposer que sur lui, puisque lui seul est l'universalité. Consummatum est.

Nous n'avons plus désormais d'autre œuvre ni d'autre tâche, que de nous efforcer d'entrer dans cette consommation, et d'éloigner de nous tout ce qui peut nous empêcher d'en retirer tous les avantages.
Si le réparateur, en vertu de la loi simple, mais féconde, des transpositions, a remis toutes nos essences chacune à leur place, et a fait disparaître les désordres et les ténèbres pour l'homme, en le rétablissant dans son poste, il est aisé de reconnaître que le mal n'est point un principe éternel et essentiel, opposé par sa nature nécessaire, au principe du bien, comme l'ont cru les Manichéens ; système auquel on m'a cru dévoué, tandis que j'en étais l'adversaire : il est aisé, dis-je, de sentir que la liberté étant le caractère distinctif qui place l'être moral entre Dieu et la matière, il suffit de lui laisser l'usage de cette liberté que l'auteur des choses ne peut lui donner et ôter tout à la fois, pour concevoir et l'origine du mal dans les êtres moraux, et l'infériorité de sa nature.
Il est aisé en même temps, d'après la définition de ce mal que nous montrons n'être appuyé que sur des transpositions de substances, d'apercevoir les diverses propriétés et utilités des sacrifices dont nous avons tâché d'expliquer la marche et les effets.

Enfin, il est aisé de sentir combien le sacrifice du réparateur a dû l'emporter sur tous ceux qui l'avaient précédé, puisqu'il fallait transposer jusque dans l'abîme le prince même de l'iniquité qui régnait sur l'homme, et qu'il n'y avait qu'au chef suprême et divin de la lumière, de la force et de la puissance qu'une pareille victoire pût être réservée.
Il n'est pas inutile d'observer ici en passant que les sacrifices sanglants des Juifs ont continué cependant depuis ce grand sacrifice jusqu'à la ruine de leur ville ; mais depuis longtemps ils n'en possédaient plus que la forme ; l'esprit s'en était perdu pour eux ; il s'éloigna encore davantage depuis l'immolation de la victime divine.
Voilà pourquoi ils ne pouvaient plus aller qu'en dégénérant, et cette période, à la fin de laquelle la grande vengeance éclata sur ce peuple criminel, montre à la fois la cessation de l'action protectrice de l'esprit qui les abandonnait, et les terribles effets de la justice que l'esprit vengeur exerçait sur eux ; rigoureux arrêt, qui n'aurait pas pu s'exécuter dans le moment de l'action réparatrice du régénérateur, puisqu'il n'était venu opérer que l'œuvre de l'amour et de la clémence.
Quoique le sacrifice du réparateur ait mis les hommes à portée de remplir, autant qu'il est possible ici-bas, la sublime tâche de leur régénération en s'unissant à lui, et en le servant en esprit et en vérité, il a voulu encore laisser sur la terre, en la quittant, un signe d'alliance qui pût journellement nous retracer sa manifestation et son dévouement pour nous, comme nous avons vu précédemment des signes et des témoignages demeurer après les diverses manifestations des lois de la justice, les ordonnances lévitiques, et les révélations prophétiques, qui ont été promulguées depuis le commencement du monde.

Il a voulu que ce signe d'alliance fût pour nous un développement de cette semence divine qu'il était venu répandre sur notre terre infectée et stérile ; et comme nous sommes des êtres mixtes, il a composé ce signe avec diverses substances d'opération, afin que toutes les substances qui nous constituent aujourd'hui trouvassent leur nourriture, leur préservatif et leur appui chacune selon sa classe et ses besoins. Mais il a voulu en même temps que cette institution tirât tout son prix de l'esprit qui a tout produit, et qui sanctifie tout ; et sous ce rapport, nous verrons les considérables avantages que cette institution peut nous procurer quand nous nous élevons jusqu'au sens sublime que lui a donné celui qui l'a établie.
Car, s'il est écrit qu'il faut être saint pour s'approcher de ce qui est saint, il faut aussi être esprit pour approcher de ce qui est esprit ; voilà pourquoi l'homme terrestre n'y peut jamais porter qu'un œil de ténèbres ou de profanation ; tandis que l'Homme-Esprit doit se rendre compte de tout ce qui est offert à son usage et à sa réflexion.
Aussi les administrateurs des choses saintes ont-ils fait rétrograder l'intelligence de l'homme au sujet de cette institution, en insérant, comme ils l'ont fait, dans ce qu'ils appellent les paroles sacramentales, les mots mysterium fidei entre deux parenthèses, lesquels mots ne sont point dans l'Evangile, et étaient très éloignés de l'esprit du fondateur, puisque si nous nous occupions de notre vraie régénération, comme il n'a cessé de nous y exhorter, il n'y aurait pour nous aucun mystère, et que nous sommes faits, au contraire, pour amener tous les mystères au grand jour, en qualité de ministres de l'éternelle source de la lumière.
Rappelons-nous donc que l'esprit avait reposé sur l'agneau lors de la délivrance d'Égypte, et que c'est là ce qui donna toute la valeur à ce sacrifice. Souvenons-nous ensuite que la vie divine a reposé et repose encore sur les substances du sacrifice de la nouvelle alliance, puisque l'esprit de vérité ne s'est point répandu en vain, et qu'il ne peut être trompé dans ses plans et dans ses effets ; ainsi depuis la nouvelle alliance, (et peut-être depuis l'origine des choses), nous pouvons regarder le pain et le vin comme étant marqués de l'esprit de vie qui a été répandu sur eux.

Nous n'aurions dû même dans aucun temps manger notre pain et boire notre vin sans nous rappeler ce signe sacré qui leur a été donné, au lieu de les laisser descendre uniquement sous les pouvoirs de l'élémentaire qui n'est pas saint.

Ces substances sont unies à l'élément pur, l'élément pur l'est à l'esprit, l'esprit l'est à la parole, et la parole l'est à la source primitive et éternelle, et c'est par cet ordre harmonique que l'institution de la nouvelle alliance opère utilement sur les principes qui nous composent. En effet, elle opère en esprit et en vérité sur tout notre être ; savoir le pain azyme pour la purification de notre matière ; le vin pour la purification de notre principe de vie animale ; le corps glorieux ou l'élément pur pour nous rendre le vêtement primitif que le péché nous a fait perdre ; l'esprit sur notre intelligence ; la parole sur notre verbe d'opération ; la vie sur notre essence divine ; et cela en élevant d'un degré chacune des classes de notre être sur lesquelles s'étend l'action qu'elle nous distribue.

Aussi cette institution de la nouvelle alliance a pour signes quatre grandes unités en efficacité sur nous ; savoir :
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- La double relation élémentaire qui nous est communiquée par les deux substances ;
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- Les correspondances de tous les élus, qui depuis l'origine du monde ont assisté au sacrifice ; qui sont assis à la table sainte, et font de là refluer sur notre cœur les paroles sacrées dont ils ont été les témoins, et qui sont probablement supérieures à celles connues dans la consécration ;
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- L'élément pur ou la vraie chair et le vrai sang qui corrobore toutes nos facultés d'intelligence et d'activité dans l'œuvre ;
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- Enfin, le divin agent lui-même, qui sous l'œil du père répand partout la sanctification dont il a reçu le sceau et le caractère, et qui étant à la fois l'auteur, le ministre et le fondateur de ce signe de son alliance, rétablit par là en nous le poids, le nombre et la mesure.

 

Car, pourquoi cet agent divin est-il le seul qui puisse donner ainsi ce baptême universel ? Pourquoi est-il l'agneau qui ôte les péchés du monde, si ce n'est parce que sa seule présence remet tous les principes à leur place, puisqu'il n'y a de désordre que dans la transposition ?

Mais soumis à la loi du temps qui a tout divisé pour nous, il n'a fait reposer de nouveau sa virtualité sur les signes matériels de son alliance, que d'une manière passive, et qui attend la réaction de l'homme renouvelé ; c'est ainsi que lui-même, pendant tout le cours de ses opérations sur la terre, il a attendu la réaction de la parole de son père pour développer ses puissances.

C'est pourquoi il remit l'institution entre les mains des hommes qu'il avait régénérés, tandis que lui-même est remonté vers sa source pour y boire le fruit nouveau de la vigne céleste, et prononcer sans cesse, dans le royaume invisible, des paroles de vie qui correspondent avec les paroles sacramentales. Par là les hommes régénérés qui doivent administrer cette institution, peuvent se trouver en rapport avec lui et avec son œuvre régénératrice, et lier à cette même œuvre ceux qui veulent y participer et s'y unir en esprit et en vérité.

Rappelons-nous que nous étions morts, et qu'il fallait que le réparateur entrât dans notre mort pour se rendre semblable à nous ; mais de même qu'en entrant dans notre mort, il ne cessait point d'être la vie ; de même en se rendant semblable à nous, il ne cessait pas d'être notre unique principe ; ainsi il ne pouvait mourir sans ressusciter, et sans nous ressusciter avec lui, afin de nous rendre semblables à lui ; il fallait cette résurrection pour que nous puissions goûter la vie, louer la vie, et la célébrer, ce qui fut et sera éternellement le but de l'existence de tout être spirituel formé à l'image du souverain auteur des êtres.

 

L'institution de la cène avait donc pour objet de retracer en nous cette mort et cette résurrection avant même la dissolution de nos essences corporelles, c'est-à-dire, de nous apprendre à la fois à mourir avec le réparateur et à ressusciter avec lui. Ainsi cette cérémonie religieuse, considérée dans sa sublimité, peut devenir dans nous, en réalité, une production, une émanation, une création, une régénération, ou une résurrection universelle et perpétuelle ; et elle peut, dis-je, nous transformer en royaume de Dieu, et faire que nous ne soyons plus qu'un avec Dieu.

Toutefois il serait bien essentiel que l'opérant répétât sans cesse aux fidèles ces mots de l'instituteur : la chair et le sang ne servent de rien, mes paroles sont esprit et vie ; car combien la lettre des autres paroles a-t-elle tué d'esprits ! Il faut que dans l'opérant, comme dans nous, l'idée et le mot de chair et de sang soient abolis, c'est-à-dire, il faut que nous remontions, comme le réparateur, à la région de l'élément pur qui a été notre corps primitif, et qui renferme en soi l'éternelle SOPHIE, les deux teintures, l'esprit et la parole. Ce n'est qu'à ce prix que les choses qui se passent dans le royaume de Dieu peuvent aussi se passer en nous.

Si l'on ne s'élève pas à cette sublime unité qui veut tout embrasser par notre pensée ; si l'on confond l'institution avec l'œuvre que nous devons opérer sur nous-mêmes ; et enfin, si l'on confond le terme avec le moyen, le subsidiaire avec ce qui est de rigueur, on est bien loin de remplir l'esprit de l'institution elle-même.

Car il veut, cet esprit, que nous annoncions la mort du Christ à nos iniquités, pour les chasser loin de nous ; aux hommes de Dieu de tous les âges, pour qu'ils soient présents activement dans notre œuvre ; à la Divinité, pour lui rappeler que nous sommes rachetés à la vie, puisqu'elle a mis elle-même son sceau et son caractère dans le libérateur qu'elle a choisi ; enfin, il veut que nous annoncions universellement cette mort à l'ennemi, pour le faire fuir de notre être, puisque tel a été l'objet de la mort corporelle du réparateur.

Or, l'institution de la cène ne nous est donnée que pour nous aider à travailler efficacement à cette œuvre vive que nous devons opérer tous en notre particulier. Car, c'est dans cette œuvre vive que toutes les transpositions disparaissent par rapport à nous, que chaque chose rentre dans le rang qui lui est propre, et que nous recouvrons cet élément pur ou ce corps primitif qui ne peut nous être rendu qu'autant que nous redevenons images de Dieu, parce que la vraie image de Dieu ne peut habiter que dans un pareil corps.
Et ici nous pouvons découvrir la source naturelle de toutes ces représentations anthropomorphiques qui remplissent le monde.
Si les artistes nous représentent sous des formes humaines, soit masculines, soit féminines, toutes les vertus tant célestes que terrestres ; si les poètes personnifient tous les dieux et les déesses de l'Empyrée, et toutes les puissances de la nature et des éléments ; enfin, si les sectateurs des diverses religions, et les idolâtres remplissent leurs temples de statues humaines, le principe de tous ces usages n'est point illusoire et abusif, comme le sont les résultats qui en sont provenus.
La forme humaine primitive devait en effet se montrer et dominer dans toutes les régions. L'homme étant l'image et l'extrait du centre générateur de tout ce qui existe, sa forme était le siège où toutes les puissances de toutes les régions venaient exercer et manifester leur action ; en un mot, le point où correspondaient toutes les propriétés et toutes les vertus des choses.
Ainsi toutes les représentations de lui-même qu'il se crée par son industrie, ne font que lui retracer des tableaux de ce qu'il pourrait et devrait être, et que le replacer figurativement dans les mesures où il n'est plus en réalité.

 

Car, disons-le en passant, lorsque les savants confrontent le corps de l'homme avec les corps des bêtes, et qu'ils appellent cela l'anatomie comparée, notre vrai corps n'entre pour rien dans cette anatomie comparée, qui, en effet, ne nous apprend autre chose, sinon que nous ressemblons aux autres animaux.
Ce serait donc, au contraire, notre corps supérieur et non animal, qu'il faudrait comparer avec notre corps animal, si l'on voulait avoir à notre égard la véritable anatomie comparée, parce qu'il ne suffit pas d'observer les choses dans leurs similitudes, et qu'il est aussi essentiel de les observer dans leurs différences.
C'est de cette comparaison de la forme actuelle de l'homme avec sa forme primitive, que nous retirerions des connaissances utiles sur notre destination originelle. Mais au défaut de cette importante comparaison, qui, dans le vrai, n'est pas à la portée du grand nombre, nous pourrions au moins tirer de lumineuses inductions sur notre ancien état, en considérant les prodigieuses merveilles que par notre industrie nous faisons encore sortir des organes corporels actuels de notre forme, toutes choses qui, malgré notre mesure réduite, et les ressources artificielles auxquelles nous sommes bornés, devraient nous ouvrir les yeux sur les merveilles naturelles que nous aurions dû engendrer, si nous avions conservé tous les droits attachés à notre forme corporelle primitive.

Quant aux abus de l'anthropomorphisme religieux par lequel les temples se remplissent de statues humaines qui deviennent si aisément des objets d'idolâtrie et d'adoration pour les hommes simples, ils tiennent au mouvement même qui s'est fait dans le cœur de Dieu, à l'instant de notre chute pour la restauration de l'espèce humaine, mouvement par lequel ce cœur divin s'est transmué en Homme-Esprit.

 

Or, comme cette alliance de restauration se trouve semée dans tous les hommes par leurs générations successives, ils sont toujours prêts à voir se réveiller ce germe en eux, et à regarder les idoles humaines qu'on leur présente, comme l'expression et l'accomplissement de cette alliance dont le besoin les presse, quoique ce sentiment secret qu'elle leur occasionne soit si confus. Bien plus, ils sont toujours tout prêts à se former à eux-mêmes, tant intérieurement qu'extérieurement, des modèles sensibles, par lesquels ils auraient tant de désir que ce grand œuvre s'opérât et s'accomplît pour eux.

Ainsi le besoin d'approcher d'eux le Dieu-homme, et la facilité à croire ce qu'ils désiraient, a été le principe de la création des idoles humaines, et des hommages qu'on leur a rendus. La fourberie opérant ensuite sur la faiblesse et l'ignorance, n'ont pas eu de peine à propager les superstitions, soit celles qui ne sont qu'absurdes, soit celles qui sont à la fois absurdes et criminelles, sans cependant qu'il faille exclure par là l'origine spirituelle active que peut avoir eu aussi l'anthropomorphisme, comme je l'ai indiqué ci-dessus.

Il n'y a que le renouvellement de notre être ici-bas qui nous procure réellement ce que les hommes attendent en vain de leurs superstitions et de leurs idoles ; et encore ce renouvellement n'est-il que la préparation à notre régénération parfaite qui, comme on l'a vu, n'a lieu qu'à la séparation de nos principes corporels, ou par l'effusion de notre sang. Aussi après notre mort, nous sommes comme suspendus au grand trinaire, ou au triangle universel qui s'étend depuis le premier être jusqu'à la nature, et dont chacune des trois actions tire à soi chacun de nos principes constitutifs divins, spirituels et élémentaires, pour les réintégrer si nous sommes purs, et pour rendre à notre âme la liberté de remonter vers sa source. Et c'est là ce que le Christ a laissé opérer physiquement sur lui par son supplice et dans son tombeau.
Mais si nous ne sommes pas purs, l'ennemi qui ne s'oppose pas à la séparation des parties corporelles qui ne sont que de forme, s'oppose à la réintégration des principes sur lesquels l'âme lui a laissé prendre empire ; et il retient le tout sous sa domination, au grand détriment de la malheureuse âme qui s'en est rendue la victime.

 

Or, nous ne pouvons faciliter cette réintégration des principes, qu'autant que nous avons fait renaître dans notre âme une éternelle vierge, dans qui puisse s'incorporer le fils de l'homme avec ses vertus et ses puissances, comme nous ne pouvons faire renaître en nous cette éternelle vierge, qu'en ranimant en nous notre corps primitif ou l'élément pur. Et c'est ici où nous allons observer et voir écrites dans l'homme toutes les lois des sacrifices figuratifs dont nous nous sommes occupés jusqu'à présent, et dont l'homme est l'objet, lors même qu'il paraît n'en être que l'organe et l'instrument.

L'homme étant en lui-même un petit abrégé des deux mondes physique et divin, il est certain que son corps renferme les essences de tout ce qu'il y a dans la nature, comme son âme renferme les essences de tout ce qu'il y a dans la divinité. Ainsi il doit y avoir dans son corps des correspondances avec toutes les substances de l'univers, et par conséquent avec les animaux purs et impurs, et avec tout ce qui pouvait tomber sous les règlements des sacrifices ; et quoique nous ne discernions point en nous ces essences, nous pouvons croire à la réalité de leurs correspondances avec l'extérieur, par les formes et tableaux sensibles que ces essences présentent à notre pensée, et par tous les symboles et images que les esprits bons et mauvais empruntent journellement et physiquement pour notre instruction et notre épreuve.

 

Sans qu'il soit donc nécessaire, pour procéder au sacrifice, que nous connaissions physiquement toutes ces choses, il suffit que notre intention soit pure et active, pour que ces premiers degrés de la loi matérielle s'accomplissent en nous ; il suffit que, par la rectitude de notre sens spirituel naturel, nous laissions agir le principe de vérité qui nous anime, parce qu'il a sous lui ses sacrificateurs qui immoleront en nous les animaux purs dont l'offrande nous peut être utile, et qui sépareront de nous les animaux impurs qui ne doivent point entrer dans les sacrifices.

C'est là cette loi qui s'opère, pour ainsi dire, à notre insu ; qui n'exige de nous que la pureté légale recommandée au peuple Hébreu ; mais qui n'exige pas de nous plus de connaissances qu'il n'en avait lui-même en approchant de ses cérémonies : c'est la loi de l'enfance qui doit nous conduire en sûreté à la loi pure de l'homme fait.
Ne doutons pas que l'immolation de ces animaux purs en nous, n'entrouvre pour nous des voies de correspondances salutaires, comme nous avons vu que cela arrivait pour le peuple Hébreu, lors de l'immolation de ses victimes extérieures.

L'effet même en serait plus assuré et plus positif pour chaque homme en particulier, si cet ordre n'était continuellement dérangé par les nations étrangères que nous laissons assister au sacrifice, et par les animaux impurs que nous laissons se placer sous le couteau du sacrificateur, et qui nous ouvrent des correspondances inverses de celles qui nous seraient nécessaires ; parce qu'ici tout agirait dans les principes de l'homme ; au lieu que, dans la loi figurative des Hébreux, tout agissait à l'extérieur.

Mais cette œuvre préliminaire étant au-dessus des forces de l'homme dans le premier âge, c'est à ses instituteurs et à ses guides temporels à la diriger en lui, et même à répondre de son sort lorsqu'il arrivera à l'époque suivante.
Quand il est arrivé à cette époque avec les préparations dont nous venons de parler, alors la loi spirituelle se lie en lui à la loi sensible, en attendant qu'elle en prenne entièrement la place. Cette loi spirituelle s'annonce en nous avec un éclat redoutable, comme elle s'annonça au peuple Hébreu sur la montagne de Sinaï ; elle annonce hautement en nous le premier commandement du Décalogue : Je suis le Seigneur votre Dieu qui vous ai tirés de la terre d'Égypte, de la maison de servitude ; vous n'aurez point d'autres Dieux devant moi.

 

Sa voix retentit dans tout notre être : elle en fait fuir non seulement toutes les fausses divinités qui sont renversées par la terreur de ces paroles ; mais elle en détruit aussi toutes les nations étrangères ou toutes les affections idolâtres avec lesquelles nous avions vécu chez les Chaldéens, jusqu'à ce que nous fussions appelés dans la terre de Canaan.

Elle prononce ensuite tous les autres préceptes du Décalogue, qui ne sont qu'une suite nécessaire de ce premier précepte. Or, comme elle ne prononce cette loi, à la fois salutaire et terrible, qu'à l'époque où nous sommes censés être sortis de la terre d'Égypte, et jouir de notre liberté, nous sommes dès lors engagés à la loi de l'esprit, et nous devenons chargés de notre propre conduite, sous la lumière de cette loi qui nous est tracée. Voilà pourquoi il nous est recommandé dans le Deutéronome (ch. : , etc.) de graver cette loi dans notre cœur, de l'écrire sur notre front, etc.
Dans ce nouvel état, la loi des sacrifices continue sans doute à nous être nécessaire ; mais c'est nous alors, qui devenons les lévites et les sacrificateurs, puisque l'accès de l'autel nous est ouvert, et que nous devons, suivant le rite lévitique, immoler chaque jour au Seigneur les victimes qu'il s'est choisies en nous, pour holocaustes et pour sacrifices d'agréable odeur.
Nous le devons, dis-je, pour notre propre avantage, et cela, par la raison fondamentale des correspondances ; car en faisant un saint emploi des principes qui nous constituent, nous nous unissons à des actions restauratrices qui leur sont similaires.
Nous le devons en outre continuellement, pour nous conformer à l'esprit qui s'est établi en nous, parce que l'acte de l'esprit ne doit point s'interrompre, mais toujours croître.
C'est à cette importante occupation qu'est consacré ce que nous pouvons appeler le premier âge de la loi de l'esprit ; et cette obligation est si rigoureuse pour nous, que si nous y manquons, nous retombons bientôt dans différentes servitudes analogues à nos prévarications ; mais aussi, quand accablés du joug de nos tyrans, nous réclamons la main suprême, elle suscite divers libérateurs, qui nous rétablissent dans nos sentiers.

Ces secours sont fondés sur les étincelles de vie et de lumière que notre appel à la loi de l'esprit a semés en nous, et qui ne s'y éteignant pas tout à fait malgré nos égarements, fermentent d'autant plus par la contrainte et le tourment de nos divers esclavages, et jettent par ce moyen quelques rayons que la Divinité reconnaît pour être à elle, et qui l'engagent à descendre pour venir au secours de sa misérable créature.
C'est ainsi qu'elle s'est conduite envers les Hébreux, lorsque le temps de leur délivrance d'Égypte fut arrivé, parce qu'il ne faut pas oublier qu'ils étaient les fils de la promesse, et qu'ils portaient en eux l'esprit de l'élection de leur père ; c'est ainsi qu'elle s'est conduite avec eux sous le règne des juges, où ils représentaient alors l'homme dans sa loi d'émancipation ou de liberté. Enfin, c'est ainsi que dans une alternative presque continuelle de chutes et de redressements, nous arrivons au second âge de la loi de l'esprit, ou à l'âge prophétique.

Car il faut se rappeler qu'il fut dit au père des Juifs, que toutes les nations seraient bénies en lui ; or, jusqu'à cet âge prophétique, le peuple Hébreu vit séparé de tous les peuples, et n'a de relations avec eux que pour les combattre ; sa loi lui défend de s'allier avec les étrangers, et lui ordonne d'exercer pour son seul avantage, le culte et les cérémonies dont il a été fait dépositaire ; image représentative de ce que nous avons à faire dans notre premier âge de la loi de l'esprit où nous devons nous séparer de tout ce qui nous empêcherait de croître et d'acquérir les dons nécessaires pour qu'un jour les nations soient bénies en nous.

Mais quand l'âge prophétique fut arrivé, ce fut alors que les premiers germes de la charité se semèrent dans Israël, comme l'institution des sacrifices avait semé en lui les premiers germes de l'esprit. Ce peuple qui, jusqu'à cet âge prophétique, s'était considéré seul, et avait dédaigné tous les peuples, commença à sentir par l'âme de ses prophètes, le zèle du retour des nations à la vérité.

 

C'est alors que ses prophètes se sentirent oppressés par la douleur des maux qui menaçaient non seulement Israël, mais tous les peuples prévaricateurs dont il était environné. C'est alors qu'ils furent chargés d'annoncer la colère du Seigneur à Ninive, à l'Égypte, à Babylone, et à toutes les îles des nations.

On en peut aisément apercevoir la raison ; c'était le moment où les promesses de l'alliance d'Abraham commençaient à s'accomplir ; mais le peuple Hébreu étant plus avancé dans l'accomplissement de ces promesses que les autres peuples, éprouvait alors les premières douleurs de la charité, tandis que les autres peuples n'en recevaient encore que des avertissements. C'est ainsi que l'homme particulier qui a passé le premier âge de l'esprit, commence aussi à souffrir pour les ténèbres de ses semblables, et qu'il se sent pressé du désir de les rappeler à la vérité.

Dans ce nouvel âge, l'homme continue, sans doute, à remplir la loi des sacrifices, puisqu'elle ne peut être entièrement accomplie que quand il a versé son sang ; mais il s'établit en lui une action plus forte que celle du premier âge de l'esprit, et cette action le gouverne et le domine, parce que c'est l'action divine même qui commence à faire son apparition sur la terre ; toutefois elle le laisse libre, parce que ce n'est qu'une loi initiative et d'avertissement, et non pas une loi d'opération.
Aussi avons-nous vu plusieurs prophètes résister aux ordres qu'ils avaient reçus, comme nous voyons bien des hommes dans le second âge de l'esprit ne pas faire l'usage qu'ils devraient de tous les secours qu'il leur communique, ce qui fait qu'il y a tant d'élus qui ne parviennent pas à la plénitude de leur élection.

Il n'en est pas moins vrai que c'est dans ce second âge de l'esprit, ou, si l'on veut, dans ce premier âge divin que commence à s'accomplir le véritable esprit des sacrifices, dont la charité et le bonheur des êtres fut, dès l'origine, le seul et unique terme.
Aussi l'esprit divin, en descendant sur les prophètes, et les chargeant du fardeau des nations, soulageait ces mêmes nations d'une partie du poids qui les écrasait, et il arrivait par là qu'elles pouvaient plus aisément à leur tour recevoir les premiers rayons de la clarté qui devait les ramener dans leur voie ; elles pouvaient enfin, par les douleurs et les angoisses du prophète, voir se réaliser sur elles spirituellement ce que nous avons vu s'opérer sensiblement par les sacrifices matériels.

C'est aussi là l'emploi de l'homme particulier qui arrive à ce second âge de l'esprit ; et l'on peut dire que ce n'est qu'alors que commence véritablement l'âge de l'homme, ou le vrai ministère de l'Homme-Esprit, puisque ce n'est qu'alors qu'il peut commencer à être utile à ses frères, attendu que dans les âges précédents il n'a été utile qu'à la nature et à lui seul.

Quand la grande époque du salut fut arrivée, le véritable esprit des sacrifices acquit encore plus d'extension ; il ne se borna plus, comme au premier âge de l'esprit, à l'avantage d'un peuple particulier ; il ne se borna pas même à de simples avertissements pour les autres peuples, comme au temps des prophètes ; mais il embrassa toute la famille humaine, en attirant tout à lui pour l'accomplissement de la promesse faite à Abraham, que tous les peuples seraient bénis en lui.

Aussi cette grande époque divine du réparateur place l'homme qui sait la mettre à profit, dans la voie de son véritable rétablissement, en lui procurant les moyens de délivrer les esclaves de la maison de servitude, et de manifester dans toutes les régions et dans toutes les classes, la gloire, la justice et la puissance du souverain Être, dont le saint réparateur lui transmet le sceau et le caractère.

C'est là que se dévoile le vrai sens des paroles adressées à Jérémie : ( : ). Je vous établis aujourd'hui sur les nations et sur les royaumes, pour arracher et pour détruire, pour perdre et pour dissiper, pour édifier et pour planter. Car Jérémie ne fut établi que sur les royaumes terrestres, au lieu que le règne du Christ établit l'homme sur tous les royaumes spirituels.
Lorsque l'homme entre dans la loi de l'esprit, nous avons vu qu'il reçoit le premier précepte du Décalogue ; Je suis le Seigneur ton Dieu, etc. Lorsqu'il entre dans la loi du réparateur, il reçoit un nouveau précepte, celui d'aimer son prochain comme lui-même, et ce précepte est la clef de l'œuvre du Christ ; car quel est l'homme dans la servitude qui ne ferait pas tous ses efforts pour recouvrer la liberté ? Il doit donc faire tous ses efforts pour procurer aussi la liberté à son prochain, s'il l'aime comme lui-même et s'il ne l'aime pas comme lui-même, il n'est point initié à l'esprit du réparateur, qui a porté l'amour jusqu'à se plonger avec nous dans nos abîmes pour nous en arracher avec lui.
Quoique nous ne puissions répéter que dans une mesure limitée, à l'égard de nos semblables, cette œuvre immense que le réparateur a opérée sur la famille humaine toute entière, en brisant devant elle les portes de la mort et de sa prison ; c'est néanmoins par son esprit seul que nous pouvons en exercer la portion qui nous en est réservée ; et si par les sacrifices des animaux la loi attirait sur les hommes des actions régulières temporelles, si par la voix des prophètes la sagesse envoyait sur les nations des actions régulières spirituelles, par la voix de l'amour et de la sainteté du réparateur, nous pouvons faire descendre sur nous comme sur nos frères des vertus divines mêmes, qui leur procurent la paix, l'ordre et l'harmonie sacrée selon les mesures qui nous en sont permises ici-bas.
C'est lorsque notre enveloppe passagère sera dissoute, c'est lorsque le temps sera roulé pour nous comme un livre, que nous jouirons plus pleinement de l'esprit de vie, et que nous boirons avec le réparateur le jus nouveau de la vigne éternelle qui remettra dans leur parfaite mesure nos facultés originelles, pour être employées alors aux plans qu'il lui plaira de nous prescrire.
Mais ce serait en vain que nous nous promettrions une pareille jouissance pour l'avenir, si nous n'avions par rempli fidèlement ici-bas tous nos sacrifices, tant ceux qui tiennent à notre renouvellement personnel, que ceux qui tiennent à l'offre volontaire de tout notre être terrestre et mortel, et cela par nos soins journaliers à nous rendre une victime régulière et sans tache. Car dans cette région invisible où nous entrerons au sortir de ce monde, nous ne trouverons plus de terre pour recevoir ces diverses espèces de sang qu'il nous faut nécessairement répandre pour recouvrer la liberté ; et si nous emportions avec nous la corruption dont ces diverses espèces de sang sont susceptibles, il n'y aurait plus pour nous qu'angoisse et douleur, puisque le temps et le lieu des sacrifices volontaires seraient passés.

Pensons donc à notre vraie vie. Pensons à l'œuvre active à laquelle nous devons tous nos moments, et nous n'aurons pas seulement le loisir de savoir s'il y a pour nous des angoisses futures à redouter, ou s'il n'y en a pas, tant nous serons remplis du zèle de la justice. Ce n'est que le crime qui laisse venir ces désolantes idées dans l'esprit de l'homme, et ce n'est que son inaction qui le conduit au crime, parce qu'elle le conduit au vide de l'esprit.

Aussi c'est le vide de son esprit qui le fait tomber dans le découragement, en lui faisant croire qu'on ne répare point le temps perdu. Cela peut être vrai pour les choses qui ne se font que dans le temps et par le temps ; mais en est-il de même des choses qui se font par l'esprit et pour l'esprit ? Si l'esprit n'a point de temps et ne connaît point de temps, un seul acte opéré par l'esprit et pour l'esprit, ne peut-il pas rendre à l'âme tout ce qu'elle aurait négligé d'amasser, ou même tout ce qu'elle aurait perdu par sa négligence ?

 

C'est ici, surtout, où il faut nous souvenir de la onzième heure ; mais aussi il faut voir que si celui qui y fut appelé reçut même beaucoup plus que son salaire, c'est parce qu'il avait au moins travaillé pendant cette onzième heure, sans quoi il n'aurait rien reçu du tout, et ainsi nous n'aurions rien à prétendre au salaire, si cette onzième heure qui nous reste après avoir passé en vain les autres heures, nous ne la remplissions pas en travaillant à l'œuvre de l'esprit. Depuis la chute, nous ne pouvons être tous que des ouvriers de la onzième heure, qui a commencé en effet à l'instant où nous avons été déchus de nos droits. Les dix heures qui précèdent cette époque sont restées loin de nous et comme perdues pour nous, de façon que notre vie terrestre toute entière n'est réellement pour nous que la onzième heure de notre éternelle et véritable journée, qui embrasse le cercle universel des choses. Jugeons d'après cela si nous avons un instant à perdre.

Mais aussi tout ce qui nous est nécessaire pour nous acquitter utilement et avec profit du travail de cette onzième heure, nous est fourni abondamment ; plans, matériaux, instruments, rien ne nous est refusé. Les obstacles même, et les dangers que nous rencontrons dans notre travail, et qui deviennent des croix pour nous quand nous reculons devant eux, deviennent des échelons et des moyens d'ascension quand nous les surmontons ; car la sagesse qui nous y expose n'a pas d'autre intention que de nous faire triompher.

Oui, si nous gardions fidèlement notre poste, jamais l'ennemi n'entrerait dans la place, quelque puissant qu'il fût. Mais aussi il faut en garder tous les passages avec une activité si soutenue, qu'à quelque endroit qu'il se présente, il nous trouve vigilants et en force pour lui résister. Un instant de négligence de notre part suffit à l'ennemi qui ne dort point, pour faire brèche, pour monter à l'assaut, et s'emparer de la citadelle.

 

Ranimons donc notre courage. Si notre réhabilitation spirituelle demande, dans le vrai, tous nos soins, nous pouvons aussi la regarder comme assurée, pour peu que nous nous déterminions à l'entreprendre, car la maladie de l'âme humaine, si je puis me permettre de m'exprimer ainsi, n'est qu'une espèce de transpiration arrêtée ; et la sagesse suprême ne cesse de faire passer jusque dans nous de salutaires et puissants sudorifiques qui tendent sans cesse à rétablir la circulation et l'ordre dans nos liqueurs.

La mort même qui tient aussi à notre œuvre, est dirigée et graduée avec la même sagesse qui gouverne toutes les opérations divines. Nos liens matériels se rompent progressivement, et d'une manière presque insensible. Les enfants en bas âge, étant encore entièrement sous le poids de leur matière, n'ont aucune idée de la mort, parce qu'en effet la matière ne sait ce que c'est que cette mort, attendu qu'elle ne sait pas non plus ce que c'est que la vie ou l'esprit.

Les jeunes gens, dans qui cet esprit ou la vie commence à percer au travers de leur matière, sont plus ou moins effrayés de la mort, selon qu'ils sont plus ou moins imprégnés de cet esprit, ou de la vie, et selon que le contraste de leur esprit et de leur matière se fait plus ou moins sentir en eux.

Les hommes faits et les vieillards dans qui leur esprit ou la vie a fait ses développements, et qui ont suivi fidèlement la loi de leur être, se trouvent si remplis des fruits de leur œuvre lorsque le terme de leur carrière arrive, qu'ils voient non seulement sans effroi et sans regrets, mais même avec joie, la démolition de leur enveloppe matérielle.

De son côté, cette enveloppe matérielle ayant été perpétuellement imprégnée des fruits de leur œuvre, a subi presque imperceptiblement la décomposition journalière de ses ressorts, et si les plans restaurateurs avaient été suivis, elle aurait subi communément sans douleur sa propre démolition finale. Peut-on donc concevoir rien de plus doux que toutes ces progressions que la sagesse suprême a établies pour la réhabilitation de l'homme ?

 

Mais si telles sont les jouissances que le dévouement au Ministère de l'Homme-Esprit nous présente, même ici-bas, qu'est-ce que ce dévouement ne doit donc pas promettre à l'âme humaine, lorsqu'elle a déposé sa dépouille mortelle ?

Nous voyons qu'ici-bas nos corps sont destinés à jouir de toutes leurs facultés, et à se communiquer entre eux. Lorsqu'ils ne jouissent d'aucune de leurs facultés, ils ne se communiquent rien, comme on le voit pour les enfants du premier âge.

Lorsque de tous ces corps les uns jouissent de leurs facultés, et que les autres n'en jouissent pas, ceux qui en jouissent peuvent communiquer avec ceux qui n'en jouissent pas, et les reconnaître ; tandis que ceux-ci ne connaissent rien des premiers. Appliquons ceci aux lois des âmes.

Celles qui ici-bas ne jouissent point de leurs facultés, sont respectivement dans une nullité absolue ; elles ont beau être placées les unes auprès des autres, elles demeurent ensemble sans se connaître, et sans se transmettre aucune impression. Tel est le cas de la plupart des gens du monde, pour ne pas dire peut-être de l'humanité toute entière ; car pendant notre voyage terrestre, nos âmes sont entre elles comme sont entre eux les corps des enfants au berceau, et elles ne se communiquent réellement pas davantage en comparaison de ces trésors actifs dont elles se seraient enrichies réciproquement, si elles fussent restées dans leur harmonie primitive.

Lorsque quelques-unes de ces âmes sortent de cet état d'enfance, c'est-à-dire, lorsqu'elles quittent leur corps, et qu'après s'être dévouées ici au vrai Ministère de l'Homme-Esprit, elles se trouvent, après la mort, dans la jouissance de leurs facultés, il n'est pas étonnant qu'elles puissent communiquer quelques-uns de leurs trésors aux âmes encore incorporées, quoique celles-ci ne comprennent ni la raison, ni le moyen de cette communication, tout en en ressentant les effets. C'est ainsi que le corps d'un enfant en bas âge peut sentir les impressions salutaires qu'un corps jouissant de ses facultés lui peut occasionner, quoiqu'il n'en voie pas la source, ni ne la puisse connaître.

 

Enfin, quand plusieurs de ces âmes régénérées jouissent de leurs facultés actives, après avoir quitté leurs corps, il n'est pas étonnant alors qu'elles développent entre elles réciproquement tous leurs rapports, et cela doit paraître si simple, qu'il est inutile d'en chercher des témoignages dans l'ordre physique.

Or, si malgré notre dégradation et le peu de trésors que nous pouvons nous communiquer sur la terre les uns aux autres, nous sommes cependant si transportés lorsque nous pouvons seulement entrevoir dans les vertus de nos semblables, ce que c'est que la beauté d'une âme, ce que c'est que sa sublime dignité ; enfin, lorsque nous apercevons ces faibles rameaux qu'il est permis à l'homme de manifester encore aujourd'hui, quoique ce ne soit que par intervalle, jugeons des joies qui doivent nous attendre dans la région vraie, lorsque nos âmes harmonisées et dégagées de leur corps terrestre se trouveront toutes ensemble, qu'elles se communiqueront mutuellement toutes les merveilles qu'elles auront acquises pendant leur onzième heure, et toutes celles qu'elles ne cesseront de découvrir dans la région de l'infini.

Homme qui désire entrer, dès ce monde, dans le glorieux ministère du Seigneur, peins-toi donc journellement le tableau de ces eaux restauratrices que, depuis le crime, la bonté suprême n'a cessé de répandre dans les différentes époques de la postérité humaine ; car tu as assez scruté les voies de Dieu à notre égard pour savoir qu'il s'occupe non seulement de la famille entière, mais encore de chaque homme en particulier, comme s'il n'en avait qu'un à soigner.

C'est ainsi qu'un flambeau placé au milieu d'un cercle d'hommes éclaire chaque assistant de toute sa lumière. C'est ainsi que le soleil montre sa face toute entière à tous les mortels qui se présentent à son aspect ; c'est ainsi que la source divine de l'admiration est universelle, et ne cherche qu'à pénétrer dans toutes les âmes qui veulent s'ouvrir à sa lumière.

 

Mais après avoir admiré cette source inépuisable, dont les trésors avaient été prodigués à l'homme lors de son origine, et par le contrat divin, et qui depuis sa chute se sont accumulés et s'accumulent encore continuellement autour de nous, quelle impression pénible tu éprouveras, quand, malgré ces trésors, tu verras l'homme languir dans la détresse et dans une telle privation, que sa demeure ténébreuse semble ne reposer que sur deux éléments : le désespoir et la mort !

L'homme avait abusé des dons supérieurs qui lui furent accordés dans le temps de sa gloire : après son crime, il a abusé de l'amour même qui venait le chercher dans son ignominie. Plus les faveurs se sont multipliées pour lui, plus il a multiplié ses ingratitudes ; et quand on parcourt ces vastes tableaux, on découvre les deux prodiges les plus surprenants pour l'intelligence et la sensibilité de l'homme. Le premier, c'est le miracle de l'amour de Dieu pour l'homme, malgré nos crimes et nos injustices ; le second, c'est notre insensibilité et nos dédains pour Dieu, malgré son amour et son dévouement pour nous.

Non, il n'y a rien au-dessus de ces deux miracles. Mais aussi qu'est-il résulté pour l'homme de cette incompréhensible ingratitude ? (Et c'est à tous mes malheureux frères que je puis adresser ces lamentations).

Au lieu de cette supériorité qui devrait nous appartenir dans tous les genres, et par laquelle nous pouvions aller en témoignage dans toutes les contrées des domaines divins, quel est l'état dans lequel se trouvent les différents règnes ou les différents mondes qui nous composent ?

Il n'est pas besoin de dire que depuis notre dégradation, nos corps sont la proie journalière des éléments qui les dévorent, comme le vautour ronge, sans cesse, les entrailles de Prométhée. Nous n'ignorons pas que le corps de l'homme est tout entier comme une plaie toujours en suppuration, et que ses vêtements sont un appareil chirurgical qu'il faut lever et réappliquer continuellement, si l'on ne veut pas que la plaie prenne un caractère pestilentiel.

 

Quand même cette plaie ne prendrait pas au-dehors un semblable caractère, nous n'ignorons pas que nous portons au sein des substances qui nous constituent depuis le crime, un venin corrupteur qui consume secrètement toutes nos chairs, et que ce venin, l'homme ne peut s'en délivrer ; qu'il ne peut en corriger la malignité ; qu'il ne peut arrêter un seul instant ses progrès, car ce venin lui-même est ce feu dévorant sur lequel repose aujourd'hui notre existence, et qui est reconnu des sciences humaines, au moins par ses effets, comme le principe de notre destruction, puisqu'elles avouent que notre respiration animale n'est qu'une combustion lente.

Qui ne sait donc pas que tous les individus qui errent sur cette surface, ne sont que comme autant d'instruments nécessaires de leur propre mort ; qu'ils ne peuvent jouir d'un souffle de vie, qu'en l'achetant au prix de la vie même, et qu'ils produisent par le même acte leur destruction et leur existence ? Et c'est là ce vêtement de mort que l'homme a substitué à cette forme pure et immortelle qu'il aurait pu puiser éternellement dans les trésors divins.

Il n'est pas besoin de dire non plus que pour contenir ce feu qui nous dévore, nous n'avons à notre disposition que des aliments corrosifs comme lui, et qui déposent journellement en nous leurs sédiments, et ne nous donnent la vie comme lui qu'en nous donnant la mort.

Enfin les maladies et les infirmités qui se joignent en nous à ces défectuosités naturelles, quel secours trouvent-elles dans ceux qui entreprennent de nous guérir ? Nous ne l'ignorons pas, les substances curatives qu'ils emploient, sont infectées comme notre propre corps et comme la nature. Elles ne nous sont utiles qu'autant qu'elles ont quelques degrés d'infection de moins que notre malheureux individu. Rien n'est vivant en elle ni en nous, ou au moins tout n'a là qu'une vie et une force relatives ; c'est la mort qui transige avec la mort.

 

Indépendamment de ces impérieuses calamités, l'état de nature nous fait honte, en ce que nous sommes obligés de pourvoir à nos besoins d'une manière qui n'est plus conforme à la dignité de notre être ; en ce que notre désir n'est plus suffisant pour cela, et que notre parole active ne s'y montre plus ; en ce que tous ces soins temporels, et tous les avantages passagers que nous cherchons à nous procurer sans cesse, sont le signe de notre réprobation, et en même temps de notre défiance à l'égard de notre principe dont nous ne méritons plus les secours vivifiants et créateurs, depuis la chute ; enfin, en ce que nous injurions en quelque façon par là la vérité suprême, puisque nous ne nous occupons qu'à nous passer d’elle pour le maintien de notre existence, tandis qu'il n'y a qu'en elle seule, et que par sa vive puissance, que devraient se maintenir l'existence, le mouvement et la vie de ce qu'elle a créé et fait sortir de son universel foyer générateur.

Mais ce qui est plus fâcheux, quoique cela soit moins observé, ce sont ces actions destructives et ces germes de puissances criminelles et désorganisatrices que nous laissons entrer dans nos essences par tous nos sens et par tous nos pores, et qui finissent par s'emparer de tous nos organes, et par rendre nos corps à la fois les réceptacles et les instruments de l'abomination, ce qui est le cas de la presque totalité de l'espèce humaine ; et cela est d'autant plus lamentable, que nous avons le droit et le pouvoir de nous en défendre ; au lieu que nous ne pouvons avoir le même empire sur la caducité de nos essences elles-mêmes, et que nous ne saurions les empêcher de se dissoudre et de nous donner la mort à mesure qu'elles nous donnent la vie.

 

Quelle est toutefois la cause du prestige de ces illusions qui commencent par nous séduire et qui finissent par nous plonger dans de si funestes précipices ? Elle tient malheureusement à une source qui ne nous devient si préjudiciable, que parce qu'elle aurait dû faire notre gloire si nous avions su la contenir dans ses mesures. Elle tient à ce que c'est toujours l'esprit, quoique inférieur, qui nous travaille, lorsque nous écoutons en nous la voix ou l'attrait d'une affection fausse. Cet esprit agit sur le nôtre, et lui peint sous des formes sensibles une base où nous nous flattons de rencontrer les délices qu'il nous promet. Par là il s'insinue dans nos essences, et leur occasionne des impressions qui nous enchantent et nous transportent.

Ce n'est que parce que tout est esprit dans ce commerce, que nous le trouvons si ravissant. Mais nous ne nous donnons pas le temps de discerner quel est cet esprit. Nous nous pressons de porter cette vive image dont nous sommes épris, sur un objet terrestre qui se trouve toujours prêt à s'y lier. Là l'action de l'esprit s'évanouit, celle de la nature en prend la place, et comme elle est limitée, elle nous fait bientôt sentir sa borne et son néant. On peut de là déduire trois instructions.

La première, que l'esprit inférieur nous trompe doublement, en ce qu'il nous montre spirituellement les délices que nous ne pouvons plus connaître en nature que par la matière, et en ce que cette matière nous laisse en deçà de ces délices qu'on nous montre spirituellement. Or, il n'y a que l'esprit mal ordonné qui puisse concourir à ces désharmonies et à ces disproportions. L'esprit bien ordonné nous montrerait, quoique toujours sous des images, quelle est la portion des délices qui doit appartenir à notre esprit dans nos rapports terrestres, et quelle est l'illusion des délices qui appartiennent à notre matière. Par ce moyen, nos deux êtres ne seraient point abusés, parce que l'ordre régnerait dans l'un et dans l'autre.

La seconde instruction est celle qui nous apprend pourquoi ici les hommes avancés en âge, mais qui se sont rendus le jouet de leurs sens, jouissent encore dans leur esprit dépravé de toutes les délices que leur matière ne peut plus éprouver ; car ce n'est qu'une prolongation de leur première affection, ou de cette action de l'esprit inférieur.

 

Enfin, la troisième instruction est celle qui nous apprend d'où proviennent les dégoûts qui succèdent à nos illusions ; car ce n'est point par la matière que nous devions jouir.
L'homme veut-il se considérer sous les rapports des connaissances, ou sous les rapports de son esprit ? Il rencontrera de nouveaux sujets de lamentations ; car il le verra livré à des connaissances systématiques et conjecturales ; à des efforts continuels pour chercher seulement comment il composera la nomenclature de ses sciences ; enfin à des nuages d'idées qui se combattent sans cesse et font de sa pensée une mer mille fois plus agitée et plus orageuse que ne l'est l'atmosphère au milieu des plus violentes tempêtes.

Que sera-ce donc s'il pénètre jusqu'à son être intime ? Il le trouvera non seulement enseveli dans l'enfer divin, mais souvent même dans un enfer plus actif, et n'attendant que la rupture de ses liens terrestres pour opérer sa jonction complète avec cet enfer actif dont il est visiblement l'organe et le ministre sur la terre.

Que sera-ce enfin lorsque dans cette déplorable situation, il se verra environné d'empiriques de toute espèce, qui ne lui ouvrant jamais les yeux sur la source de son mal, l'empêchent par là d'en chercher le remède ; que dis-je ! qui même annulent pour lui les remèdes les plus spécifiques, et n'y substituent que des palliatifs ou inefficaces, ou malfaisants ? Et l'homme pourrait encore être insensible à sa misère et insouciant sur les dangers qui l'environnent !

Mais quel autre sort, quelle autre récompense pourrait-il attendre, après avoir payé, par l'ingratitude comme il l'a fait, tous les dons et tous les trésors de l'éternelle munificence ?

 

Aussi cet homme qui était fait pour apaiser la colère de Dieu, est celui qui la provoque sans cesse, en substituant les ténèbres à la lumière, et mille actions fausses à la place de l'action vraie qu'il porte au-dedans de lui-même. Il n'avait pas ici-bas d'ami plus proche de lui que son être intime pour s'appuyer, pour entendre parler de Dieu et pour participer aux fruits et aux merveilles de l'admiration. Au lieu de se ménager précieusement cette ressource, il s'est rendu lui-même son plus proche et son plus mortel ennemi ; il a cru de sa sagesse de se confondre avec la bête ; de commettre toutes les atrocités qui sont la suite de ce système, et de se créer par là l'enfer actif qu'il n'aurait dû qu'apercevoir, et encore seulement pendant son temps d'épreuves.

Car, temporellement, il n'est environné que de secours ; la nature ne lui offre que l'abondance de ses récoltes ; les éléments, que leur salutaire réaction l'esprit de l'univers, que son souffle et sa lumière ; les animaux utiles, que leurs services et des bienfaits ; les animaux malfaisants et les poisons même, il a le moyen de les vaincre et de les désempester pour lui, tandis que lui-même il ne travaille qu'à s'infecter.

Te voilà donc, roi du monde, dans un état si abject et si infernal, que tu n'es pas même ton propre roi, et que de tout ce qui compose ton empire, tu n'aies à frémir que sur toi-même, et que tu ne puisses te considérer sans horreur ! Car c'est la transposition de ta volonté qui a tout renversé, et les choses universelles ne vont si mal que parce que les hommes transposent continuellement leur volonté fausse et variable, à la place de la loi vraie et éternelle, et que non seulement ils veulent gouverner à leur manière les choses universelles, mais encore les composer eux-mêmes, au lieu de se rendre simplement leur action.

Si alors un homme de désir aspirait à devenir un des ouvriers du Seigneur, quels seraient ses moyens pour venir au secours de ses semblables, dans cet état de détresse spirituelle, et dans le péril effrayant qui menace constamment leur être intime ? Il n'aurait que des pleurs à leur offrir ; il serait réduit à frissonner sur leur état lamentable, et il ne pourrait les aider que par ses sanglots.

Homme de désir, rappelle-toi que l'essence fondamentale de l'homme prononcerait naturellement un mot sublime et nourrissant pour elle, si elle était ramenée à ses éléments primitifs. Ce mot, tout à la gloire de son principe, quel est-il ? SAINT ! SAINT ! SAINT ! C'est là ce qu'elle proférerait sans interruption pendant la durée de toutes les éternités.

 

Aujourd'hui la langue de l'homme a subi, comme cet homme lui-même, une effroyable altération ; et avant de recouvrer cette langue primitive, qui était exclusivement la langue de la sainteté et du bonheur, les essences de l'homme ne peuvent plus proférer que le mot douleur, parce que c'est la principale sensation dont elles soient maintenant susceptibles. Écoute-le bien attentivement ce mot douleur, lorsqu'il se prononcera en toi ; écoute-le comme la première des voix secourables qui puissent se faire entendre aujourd'hui dans les déserts de l'homme ; recueille soigneusement ce précieux spécifique, comme le seul baume qui puisse guérir les nations.

Depuis la grande altération des choses, la vie de la nature ne repose que sur cette base. Depuis la dégradation de l'homme, nous n'avons pas d'autre moyen pour sentir notre propre existence spirituelle et divine ; nous n'en avons pas d'autre pour la faire sentir à nos semblables. Ce n'est point ici la douleur des mystiques qui ont porté l'amour jusqu'à faire leurs délices des afflictions : c'était leur propre salut, leur propre bonheur qu'ils envisageaient dans leurs souffrances. Ici tu n'auras pas même le temps de penser à ta propre sainteté, puisque tu seras constamment vexé et comme écrasé sous le poids de ce croisement de puissances, qui fait jaillir la vie dans tous les êtres.

 

Sans doute, ce simple tableau pourrait suffire pour enflammer ton courage, et pour exciter ton dévouement ; car quel plus beau mobile que celui qui porte l'homme à travailler à faire sabbatiser l'âme humaine ? Mais ce mobile deviendra bien plus pressant et plus actif, quand tu penseras que ton œuvre ne se borne pas à la postérité entière, passée, présente et future, du premier homme, et qu'elle peut s'étendre jusqu'à ce premier homme lui-même, par les rapports que cette postérité conserve avec lui ; car il a tellement souffert par le contact de l'atmosphère désharmonisée que nous habitons, qu'il n'aurait pas pu en supporter le choc jusqu'à présent, si la main suprême n'en eût tempéré les premières atteintes.

En effet, lorsque le premier homme eut laissé s'altérer et disparaître les glorieux avantages dont il aurait dû jouir éternellement par les droits de sa primitive origine, l'éternelle parole vint à son secours dans ce lieu de délices où la main suprême l'avait placé. Elle lui promit que la race de la femme écraserait la tête du serpent.

Par, cette seule promesse, elle sema dans Adam le germe de sa restauration. Elle n'a cessé d'arroser ce germe par toutes les faveurs spirituelles qu'elle a transmises au monde par le ministère de ses élus, jusqu'à ce qu'elle soit venue l'arroser elle-même de son propre sang. Mais l'arbre, ou l'homme, demeure toujours chargé de produire ses fruits par le concours de tous ses descendants. Elle ne pouvait rien de plus que de se donner elle-même pour lui, et elle ne pouvait anéantir la loi par laquelle cet arbre devait lui-même manifester librement ce qu'il avait reçu dans ses essences.

Aussi elle le laisse s'avancer chaque jour vers l'époque finale, où en supposant que tous ses rameaux eussent rempli les vues bienfaisantes de leur source réparatrice, ils eussent été destinés à montrer aux derniers temps l'arbre majestueux de l'homme tel qu'il parut dans le jardin d'Éden, et de plus, orné des brillants rameaux de toute sa postérité qui devrait le seconder de tous ses efforts, attendu que l'œuvre est commune à l'une et à l'autre, et aux enfants comme à leur père.

 

Mais au lieu de ce concours si important de la part de la postérité du premier homme, quelle est cette accumulation de crimes et de désordres qu'elle ne cesse de faire tomber sur les racines de cet arbre antique, et qui devrait être si sacré pour elle ! Avec des substances si hétérogènes et si destructives, quels progrès cette postérité du premier homme peut-elle faire dans sa croissance spirituelle ? Quels rameaux, quelles fleurs peut-elle produire ? Et quels fruits peut-on attendre d'elle lors de l'époque de la fructification ?

C'est ici, ouvriers du Seigneur, que votre désolation, quelque grande qu'elle puisse être, paraîtra toujours légitime ; mais aussi c'est là où se rassembleront en foule les motifs les plus touchants de ranimer votre zèle par la noblesse et l'importance de l'entreprise, puisqu'il ne s'agit de rien moins que de contribuer au repos du chef de toute la famille, en annonçant à tous ses enfants quelle est la sublimité du ministère de l'Homme-Esprit !

Voyez donc l'homme primitif étendu sur son lit de douleur, quoiqu'il souffre plus pour vous que pour lui ; voyez-le contempler avec les regards de la souffrance tous les membres de sa postérité passée, présente et future ; entendez-le pendant tout le cours des siècles leur demander avec de longues supplications, de ne pas au moins aggraver ses plaies par leurs crimes, s'ils ne savent pas lui aider à achever de les guérir par leurs vertus.

Tâchez de vous faire une idée de son affliction, quand vous verrez que de toute cette nombreuse postérité à laquelle il s'adresse, il n'y en a pas un qui écoute ses plaintes ; pas un qui cherche à partager l'œuvre avec lui ; non, pas un qui s'attendrisse sur l'état douloureux où il languit ; que dis-je ! pas un peut-être qui ne verse chaque jour du fiel et du venin dans ses blessures.

Oppressé par votre propre douleur, vous vous renfermerez dans vous-même ; mais du sein de votre propre asile le plus secret, votre zèle vous portera vers vos frères égarés et insensibles, soit à leurs propres maux, soit à ceux qu'ils font souffrir à la tige vénérable de la famille humaine. Là vous vous tiendrez assidûment auprès de leur être intime, comme Jérémie à la porte du temple de Jérusalem. Vous l'importunerez en ne cessant de fixer son esprit sur l'exercice de ses sublimes pouvoirs, et sur l'importance de la justice.

 

Vous direz à cet être intime, que c'est le fruit de son champ qui doit concourir à entretenir l'abondance ; que s'il reste dans la paresse, et qu'il ne fournisse pas sa portion des approvisionnements, la subsistance générale en souffrira ; que bientôt le champ abandonné à la stérilité pourra se couvrir de ronces et d'épines qui ne pourront que blesser la main lorsqu'elle voudra s'en approcher, ou de poisons qui répandront partout l'infection ; que ce champ même ne tardera pas à donner asile à des bêtes venimeuses et féroces, qui seront toujours prêtes à dévorer leur propre maître.

Vous lui direz que si le fil qui nous unissait à Dieu a été rompu, il est toujours prêt à se renouer, et à prouver que c'est dans le contrat divin seul que se trouvent la vie, la lumière et tous les trésors destinés à satisfaire cette faim que nous avons de l'admiration ; de même que c'est au principe suprême que se doivent rapporter tous les fruits, car Dieu seul peut offrir des réservoirs capables de recevoir et de contenir ses propres récoltes.

Vous lui direz qu'aussitôt que nous fûmes descendus dans les abîmes, Dieu déploya autour de nous le grand arc-en-ciel ou cette immensité d'échelles septenaires qui nous environnent et sont toujours prêtes à nous aider à remonter hors de notre précipice ; que c'est avec ces puissants secours que Dieu arme lui-même ses guerriers comme font les souverains de la terre ; mais qu'il ne les fait également servir chacun que selon leur arme, et qu'il ne les emploie que selon leurs lumières, leurs forces et leurs connaissances.

Vous l'engagerez à entrer dans l'armée du Seigneur, en lui persuadant que sa main puissante ne nous exposera jamais à plus de dangers, ni à plus de travaux que nous ne pourrons en supporter.

 

S'il vous résiste, vous redoublerez d'efforts, vous emploierez même tous les droits attachés à votre ministère pour le subjuguer, et pour éloigner de lui, au nom de votre parole, tous les ennemis qui tentent journellement de le séduire et de l'égarer ; vous ne vous donnerez point de relâche que vous n'ayez obtenu de le faire rentrer dans les voies de la justice, et que vous ne puissiez l'offrir ensuite au Souverain des êtres et à l'ami des êtres purs, comme un sacrifice d'agréable odeur.

Ce n'est donc pas pour le seul intérêt de votre frère que vous vous dévouerez ainsi à l'œuvre sacrée de faire sabbatiser les âmes ; mais ce sera aussi pour l'intérêt du Dieu suprême dont vous ambitionnez d'être les ministres.

En effet, ceux de ses serviteurs les plus chéris de lui sont ceux qui s'occupent de réintégrer dans les armées du Seigneur les âmes qui peuvent étendre sa gloire en se signalant à son service.

Ce sera en outre pour l'intérêt de la triste demeure des hommes. Car ici-bas lorsque Dieu ne trouve point d'âme humaine où il puisse se placer et par laquelle il puisse agir, c'est alors que les désordres s'engendrent et se succèdent sur la terre d'une manière déchirante pour ceux qui aiment le bien, et cela montre que le crime du premier homme fut de s'être rendu vide de Dieu, pour ne suivre que son propre esprit ténébreux. Mais ces abus auxquels sa postérité se livre, font que si l'esprit de l'homme se porte ainsi tout d'un côté, la force divine se porte de l'autre à son tour toute entière, et que par son grand poids elle se fait jour à la fin dans quelques âmes humaines d'où elle s'étend ensuite au dehors pour contenir l'excès du mal et arrêter les désordres ; sans cela, l'univers serait déjà renversé.

 

Les âmes humaines qui secondent ce zèle de la Divinité, ont alors de grands fardeaux à porter et de grands travaux à soutenir ; mais elles ont aussi de grands salaires à attendre et de grands appuis à espérer dans leur œuvre, car elles y sont soutenues par un grand mot d'ordre, qui, quand il se prononce sur elles, met en jeu et en activité toutes leurs forces et toutes leurs puissances ; c'est là ce qui devrait faire journellement le soutien, la vie et la lumière de l'homme ; comme dans le régime militaire, le mot du commandant fait la sûreté de toute son armée.

D'ailleurs ces âmes ne sont-elles pas abondamment payées par le bonheur d'avoir été en témoignage ? Car ce sont ceux qui auront été en témoignage, qui seront reconnus au temps à venir pour de fidèles serviteurs, et c'est particulièrement dans l'âme des hommes que nous devons aller en témoignage. Ces témoignages que nous aurons semés dans les âmes des hommes, ressusciteront avec elles, et serviront, à leur tour, de témoignage pour nous, afin que non seulement on oublie et on efface nos propres dettes, mais que même on nous distribue notre salaire.

Ouvriers du Seigneur, employez tous vos efforts pour que l'on vous envoie en témoignage, et pour que vous ne restiez pas sans consolations et sans espérances au temps à venir. Heureux ! Si vous pouvez vous dire chaque jour : je n'ai point perdu ma journée ; j'ai porté un témoignage dans l'âme d'un homme, (et cela dans le secret de votre être, et même sans que les yeux matériels de l'homme en aient connaissance) ; et j'ai accru par là l'état de mes futures créances !

Vous pourrez même espérer qu'en faveur de ces témoignages, Dieu vous paiera dès ce monde, non seulement par les joies qu'il versera dans votre âme, mais même par les assistances marquées qu'il vous enverra, et par les œuvres divines et merveilleuses qu'il fera sortir de vos mains, comme une sorte de récompense, ou comme un retour et un échange des services que vous lui aurez rendus d'avance dans le ministère de l'Homme-Esprit.

 

Oui, pour peu que l'homme voulût suivre courageusement la ligne du véritable ministère de l'Homme-Esprit, il reconnaîtrait bientôt qu'il aurait beaucoup moins de peine à se donner, et moins de temps à employer pour faire un miracle, que pour apprendre, dans tous ses détails, la moindre des sciences qui occupent les hommes, et auxquelles ils consacrent leurs jours et leurs sueurs. Ouvriers du Seigneur, voici ces joies et ces récompenses dont Dieu aime à nourrir votre espérance :

- Réactions mutuelles de toutes les puissances divines combinées en nous pour y opérer la pénitence ;

- Réaction en nous de ces mêmes puissances pour y opérer la résignation ;

- Réaction pour y opérer la corroboration ;

- Réaction pour y opérer la supplication, de concert avec tous les êtres passés, présents et futurs ;

- Réaction pour y opérer la conviction intime et intégrale ;

- Réaction pour y opérer la direction de toutes nos pensées, de tous nos désirs et de tous nos pas ;

- Réaction pour obtenir la gratification de la parole ;

- Réaction pour que nous osions parler à la parole, puisque la parole nous parle ;

- Réaction pour que nous puissions prier la parole de s'exaucer elle-même dans les gémissements qu'elle pousse dans le sein de toutes nos misères et de toutes nos infirmités corporelles et spirituelles particulières ;

- Réaction pour obtenir l'investiture et la distribution active et effective des forces dominantes, jugeantes, opérantes, justiciantes et justifiantes, que cette parole vivante, émue par sa propre prière, peut faire descendre dans les foyers et les sièges où elle demeure et où elle fermente.

Voilà ce que peuvent opérer les ouvriers du Seigneur qui auront été en témoignage dans l'âme de leurs semblables ; voilà comment nous pouvons faire que Dieu participe à toutes nos œuvres, et participer nous-mêmes à toutes les siennes.

 

Ouvriers du Seigneur, si vous obtenez de semblables faveurs, ce sera alors que vous pourrez, avec confiance, vous approcher du lit de douleur où est encore retenu le chef de la famille humaine, par les égarements et les souillures de sa postérité. Vous le consolerez dans son affliction, vous le soulagerez par vos œuvres sublimes et saintes ; et il se réjouira de voir quelques-uns de ses enfants prendre part à ses tendres sollicitudes.

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