CHAPITRE XIII.

POURQUOI IL EST DIT QUE LE PROPHETE ISAÏE
FUT PURIFIÉ
PAR UN SÉRAPHIN

Argument.-

1. On recherche pourquoi il est dit qu' Isaïe fut purifié par un Ange de premier, et non pas de dernier ordre.
2. On répond que cet Ange ne fut sans doute pas un séraphin, mais que ce titre lui fut donné, à cause de la fonction qu'il remplissait.
3. On rapporte un autre sentiment: c'est que l'envoyé céleste appartenait effectivement au dernier rang de la hiérarchie céleste; mais comme il tenait sa fonction des esprits supérieurs, elle leur fut attribuée légitimement, de même qu'on peut bien dire qu'un pontife confère les ordres par le ministère des évêques, et le baptême par le ministère des prêtres, quand, ils tiennent de lui leur pouvoir respectif.
4. On décrit la vision d' Isaie, où le seigneur apparait sur son trône, et environné des Séraphins, et l'on explique comment Isaïe fut purifié, et les autres mystères de cette vision.

 

    I. Appliquons-nous encore à considérer pourquoi il est dit qu'un séraphin fut envoyé à l'un de nos théologiens; car on demande avec raison comment il se fait que ce soit une des plus sublimes intelligences, et non pas un des esprits inférieurs qui purifie le prophète (1).

    Il. Quelques-uns, pour lever la difficulté, invoquent en principe cette analogie intime qui règne, comme nous avons vu, entre toutes les célestes natures : d'après cela, l'Ecriture n'indiquerait pas qu'une intelligence du premier ordre fit descendue pour purifier Isaïe, mais seulement qu'un des anges qui président à notre hiérarchie reçut, en ce cas, la dénomination de séraphin, précisément à raison de la fonction qu'il venait remplir, et parce qu'il devait enlever par le feu l' iniquité du prophète, et ressusciter dans son âme purifiée le courage d'une sainte obéissance. Ainsi nos oracles parleraient ici , non pas de l'un des séraphins qui entourent le trône de Dieu, mais de l'une de ces vertus purifiantes qui sont immédiatement au-dessus de nous.

     III. Un autre me donna touchant la présente difficulté une solution qui n'est pas du tout dénuée de sens. Selon lui, quelle qu'elle fit d'ailleurs, la sublime intelligence, qui par cette vision symbolique initie le prophète aux secrets divins, rapporta d'abord à Dieu, puis à la première hiérarchie, le glorieux office qui lui était échu de communiquer la pureté en cette rencontre. Or ce sentiment est-il vrai ? Celui qui m'en instruisit le développait de cette sorte : La vertu divine atteint et pénètre intimement toutes choses par sa libre énergie, quoiqu'en cela elle échappe à tous nos regards, tant par la sublimité inaccessible de sa pure substance, qu'à raison des voies mystérieuses par lesquelles s'exerce sa providentielle activité. Ce n'est pas à dire toutefois qu'elle ne se manifeste point aux natures intelligentes au degré où elles en sont capables; car confiant la grâce de la lumière aux esprits supérieurs, par eux elle la transmet aux esprits inférieurs avec parfaite harmonie, et en la mesure que comportent la condition et l'ordre de chacun d'eux.

Expliquons-nous plus clairement par le moyen d'exemples qui conviennent mal à la suprême excellence de Dieu, mais qui aideront notre débile entendement : le rayon du soleil pénètre aisément cette matière limpide et légère qu'il rencontre d'abord, et d'où il sort plein d'éclat et de splendeur; mais s'il vient à tomber sur des corps plus denses, par l'obstacle même qu'opposent naturellement ces milieux à la diffusion de la lumière, il ne brille plus que d'une lueur terne et sombre, et même s'affaiblissant par degrés, il devient presque insensible. Egalement sa chaleur se transmet avec plus d'intensité aux objets qui sont plus susceptibles de la recevoir, et qui se laissent plus volontiers assimiler par le feu; puis son action apparaît comme nulle ou presque nulle dans certaines substances qui lui sont opposées ou contraires; enfin, ce qui est admirable, elle atteint, par le moyen des matières inflammables, celles qui ne le sont pas; tellement qu'en des circonstances données, elle envahira d'abord les corps qui ont quelque affinité avec elle, et par eux se communiquera médiatement soit à l'eau , soit à tout autre élément qui semble la repousser.

Or cette loi du monde physique se retrouve dans le monde supérieur. Là, l'auteur souverain de toute belle ordonnance tant visible qu'invisible fait éclater d'abord sur les plus sublimes intelligences les splendeurs de sa douce lumière; et ensuite les saints et précieux rayonnements passent médiatement aux intelligences subordonnées. Ainsi celles qui les premières sont appelées à connaître Dieu, et nourrissent le brulant désir de participer à sa vertu, s'élèvent aussi les premières à l'honneur de retracer véritablement en elles cette auguste image, autant que le peut la créature; puis elles s'appliquent avec amour à attirer vers le mérite but les natures inférieures, leur faisant parvenir les riches trésors de la sainte lumière, que celles-ci continuent à transmettre ultérieurement. De la sorte, chacune, d'elles communique le don divin à celle qui la suit, et toutes participent à leur manière aux largesses de la Providence. Dieu est donc, à proprement parler, réellement et par nature, le principe suprême de toute illumination , parcequ'il est l'essence même de la lumière, et que l'être et la vision viennent de lui; mais à son imitation et par ses décrets, chaque nature supérieure est, en un certain sens, principe d'illumination pour la nature inférieure, puisque, comme un canal, elle laisse dériver jusqu' à celle-ci les flots de la lumière divine. C'est pourquoi tous les rangs des anges regardent à juste titre le premier ordre de l'armée céleste comme étant, après Dieu, le principe de toute connaissance sacrée et pieux perfectionnement, puisqu'il envoie au reste des esprits bienheureux, et à nous ensuite, les rayons de l'éternelle splendeur : de là vient que, s'ils rapportent leurs fonctions augustes et leur sainteté à Dieu comme à celui qui est leur créateur, d'un autre côté, ils les rapportent aussi aux plus élevées des pures intelligences qui sont appelées les premières à les remplir et à les enseigner aux autres. Le premier rang des hiérarchies célestes possède donc à un plus haut degré que tous les autres et une dévorante ardeur, et une large part dans les trésors de la sagesse infinie , et la savante et sublime expérience des mystères sacrés, et cette propriété des trônes (2) qui annonce une intelligence toujours préparée aux visites de la divinité. Les rangs inférieurs participent, il est vrai, à l'amour, à la sagesse, à la science, à l'honneur de recevoir Dieu : mais ces grâces ne leur viennent qu'à un degré plus faible et d'une façon subalterne, et ils ne s'élèvent vers Dieu que par le ministère des anges supérieurs qui furent enrichis les premiers des bienfaits célestes. Voila pourquoi les natures moins sublimes réconnaissent pour leurs initiateurs ces esprits plus nobles, rapportant à Dieu d'abord, et à eux ensuite, les fonctions, qu'elles ont l'honneur de remplir.

    IV. Notre maître disait donc que la vision avait été manifestée au théologien Isaïe par un des saints et bienheureux anges qui président à notre hiérarchie; et que le prophète, illuminé et conduit de la sorte, avait joui de cette contemplation sublime, où, pour parler un langage symbolique, lui apparurent et les plus hautes intelligences siégeant immédiatement au-dessous de Dieu., et environnant son trône, et au milieu du cortège la souveraine majesté dans la splendeur de son essence ineffable, s'élevant par delà ces vertus si parfaites. Dans ces visions, le prophète apprit que, par la supériorité infinie de sa nature, la divinité l'emporte sans comparaison sur toute puissance soit visible, soit invisible, et qu'elle est absolument séparée du reste des êtres, et n'a rien de semblable même aux plus nobles substances; il apprit que Dieu est le principe et la cause de toutes les créatures, et la base inébranlable de leur permanente durée, et que de lui procède l'être et le bien-être des créatures même les plus augustes; il apprit encore quelles sont les vertus toutes divines des séraphins dont le nom mystérieux exprime si bien l'ardeur enflammée, ainsi que nous le dirons un peu plus loin, autant qu'il nous sera possible d'expliquer comment l'ordre séraphique s'élève,vers son adorable modèle. Le libre et sublime essor par lequel les esprits dirigent vers Dieu leur triple faculté est symbolisé par les six ailes dont ils semblaient revêtus aux yeux du prophète. De même ces pieds et ces visages sans nombre, que la vision faisait passer sous son regard, lui étaient un enseignement, aussi bien que ces ailes qui voilaient les pieds, et celles qui voilaient le visage, et celles qui soutenaient le vol constant des anges; car, pénétrant le sens mystérieux de ce spectacle, il comprenait dgequelle vivacité et puissance d'intuition sont douées ces nobles intelligences, et avec quel religieux respect elles s'abstenirent de porter une téméraire et audacieuse présomption dans la recherche des profonds et inaccessibles secrets de Dieu, et comment elles s'appliquent à imiter la divinité par un infatigable effort , et dans un harmonieux concert. Il entendait cet hymne de gloire si pompeux et tant répété, l'ange lui communiquant la science, autant que c'était possible , en même temps qu'il lui mettait la vision sous les yeux.

Enfin son céleste instituteur lui faisait connaître que la pureté des esprits, quelle qu'elle soit, consiste en la participation à la lumière et à la sainteté non souillée.

Or c'est Dieu même qui pour d'ineffables motifs, et par une incompréhensible opération, communique cette pureté à toutes créatures spirituelles; mais elle est départie plus abondamment, et d'une façon plus évidente, à ces vertus suprêmes qui entourent de plus près la divinité : pour ce qui regarde et les rangs subalternes de la hiérarchie angélique, et la hiérarcliie humaine tout entière, autant chaque intelligence est éloignée de son auguste principe, autant vis-à-vis d'elle le don divin affaiblit son éclat, et s'enveloppe dans le mystère de son unité impénétrable. Il rayonne sur les natures inférieures au travers des natures supérieures, et pour tout dire en un mot, c'est par le ministère des puissances plus élevées qu'il sort du fond de son adorable obscurité.
Ainsi Isaïe, saintement éclairé par un ange, vit que la vertu purifiante et toutes les divines opérations reçues d'abord par les esprits plus sublimes, s'abaissent ensuite sur tous les autres, selon la capacité qu'elles trouvent en chacun d'eux: c'est pourquoi le séraphin lui apparut comme l'auteur, après Dieu, de la purification qu'il raconte. Il n'est donc pas hors de raison d'affirmer que ce fut un séraphin qui purifia le prophète. Car comme Dieu purifie toute intelligence, précisément parce qu'il est le principe de toute pureté; ou bien, pour me servir d'un exemple familier, comme notre pontife, quand il purifie ou illumine par le ministère de ses diacres ou de ses prêtres, est justement dit purifier et illuminer, ceux qu'il a élevés aux ordres sacrés lui rapportant leurs nobles fonctions; de même l'ange qui fut choisi pour purifier le prophète, rapporta et la science et la vertu de son ministère à Dieu d'abord comme à leur cause suprême , et puis au séraphin, comme au premier initiateur créé.
On peut donc se figurer l'ange comme instruisant Isaïe par ces pieuses paroles :" Le principe suprême, l'essence, la cause créatrice de cette purification que j'opère en toi, c'est celui qui a donné l'être  aux plus nobles substances, qui conserve leur nature immuable, et leur volonté pure, et qui les  attire à entrer les premières en participation de sa  providentielle sollicitude. " (Car c'est ce que signifie l'ambassade du séraphin vers le prophète, d'après le sentiment de celui qui m'expliquait cette opinion.) ." Or ces esprits sublimes, nos pontifes et nos maîtres, après Dieu, dans les choses saintes, qui  m'ont appris à communiquer la divine pureté, ce  sont eux, c'est cet ordre auguste qui par moi te purifie, et dont l'auteur bienfaisant de toute purification emploie le ministère, pour tirer de son secret, et envoyer les dons de son active providence."  Voilà ce que m'apprit mon maître; et moi je vous le transmets , ô Timothée. Maintenant je laisse à votre science et à votre discernement, ou bien de résoudre la difficulté par l'une ou l'autre des raisons proposées, et de préférer la seconde comme raisonnable et bien imaginée, peut-étre comme plus exacte; ou de découvrir par vos propres investigations quelque chose de plus conforme à la vérité; ou enfin, avec la gràce de Dieu, qui donne la lumière, et des anges qui nous la transmettent, d'apprendre de quelque autre une meilleure solution. En ce cas, faites-moi part de votre bonne fortune; car mon amour pour les saints anges se réjouirait de posséder sur cette question des données plus claires.

(1) Isaie, 6. -(2) voir chapître 7 l'explication du trône.