CHAPITRE XV.
 

QUELLES SONT LES FORMES DIVERSES DONT L'ECRITURE REVÊT LES ANGES,
LES ATTRIBUTS
MATERIELS QU'ELLE LEUR DONNE,
ET LA SIGNIFICATION MYSTERIEUSE DE CES SYMBOLES.

Argument -

1. On montre que les mêmes intelligences peuvent être nommées supérieures et inférieures;
2. comment les esprits sont comparés au feu;
3. comment la forme humaine et les attributs corporels leur conviennent,
4. pourquoi on leur donne des vêtements et des ceintures, et,
5. divers instruments empruntés à nos arts;
6. pourquoi on les compare aux vents et aux nues;
7. à divers métaux;
8. aux animaux même, tels que le lion, le bœuf et l'aigle;
9. enfin à des fleuves et à des chars.

     I. Mais, si bon vous semble, enfin , donnons quelque rel‚che à notre entendement après cette contention qu'ont réclamée nos
considérations abstraites, sur les saints anges et abaissons le regard sur le riche et varié spectacle des formes nombreuses sous lesquelles apparaissent les natures angéliques, pour remonter ensuite de la grossièreté du symbole à l'intelligible et pure réalité.

   Or, avant tout, je vous ferai observer que l'interprétation mystique des figures et des emblèmes sacrés nous montrera parfois les mêmes rangs de l'armée céleste tour à tour comme supérieurs et inférieurs, les derniers comme investis du commandement, et les premiers comme soumis à des ordres, tous enfin comme ayant des puissances de triple degré, ainsi qu'on a vu. Cependant il ne faut pas croire que ces assertions impliquent aucune absurdité. Car, si nous disions que certaines natures angéliques sont gouvernées par des esprits plus nobles qu'elles régissent néanmoins, et que ceux qui ont autorité reconnaissent l'empire de leurs propres subordonnés, il y aurait vraiment là confusion de langage et contradiction flagrante. Mais si nous affirmons, non pas que les anges initient ceux-là même dont ils reçoivent l'initiation, ou réciproquement, mais bien que chacun d'eux est initié par ses supérieurs, et initie à son tour ses inférieurs, personne sans doute ne prétendra que les figures décrites dans les saintes Lettres ne puissent légitimement et proprement s'appliquer aux puissances du premier, du deuxième et du troisième ordre. Ainsi l'intention fixe de s'élever vers le parfait, l'activité constante et fidèle à se maintenir dans les vertus qui leur sont propres, cette providence secondaire par laquelle ils s'inclinent vers les natures inférieures et leur transmettent le don divin, tous les esprits célestes participent à ces qualités, mais en des proportions qu'on a déjà indiquées : les uns pleinement et avec sublimité, les autres seulement en partie et d'une façon moins éminente.

     II. Mais entrons en matière, et, au début de nos interprétations mystiques, cherchons pourquoi, parmi tous les symboles, la théologie choisit avec une sorte de prédilection le symbole du feu. Car, comme vous pouvez savoir, elle nous représente des roues ardentes, des animaux tout de flamme, des hommes qui ressemblent à de brûlants éclairs; elle nous montre les célestes essences entourées de brasiers consumants, et de fleuves qui roulent des flots de feu avec une bruyante rapidité. Dans son langage, les trônes sont de feu; les augustes séraphins sont embrasés, d'après la signification de leur nom même, et ils échauffent et dévorent comme le feu; enfin, au plus haut comme au plus bas degré de l'être, revient toujours le glorieux symbole du feu. Pour moi, j'estime que cette figure exprime une certaine conformité des anges avec la divinité; car chez les théologiens l'essence suprême, pure, et sans forme, nous est souvent dépeinte sous l'image du feu, qui a, dans ses propriétés sensibles, si on peut le dire, comme une obscure ressemblance avec la nature divine. Car le feu matériel est répandu partout, et il se mêle, sans se confondre, avec tous les éléments dont il reste toujours éminemment distingué; éclatant de sa nature, il est cependant caché, et sa présence ne se manifeste qu'autant qu'il trouve matière à son activité; violent et invisible, il dompte tout par sa force propre, et s'assimile énergiquement ce qu'il a saisi; il se communique aux objets, et les modifie, en raison directe de leur proximité; il renouvelle toutes choses par sa vivifiante chaleur, et brille d'une lumière inextinguible; toujours indompté, inaltérable, il discerne sa proie, nul changement ne l'atteint, il s'élève vers les cieux, et par la rapidité de sa fuite, semble vouloir échapper à tout asservissement; doué d'une activité constante, les choses sensibles reçoivent souvent de lui le mouvement; il enveloppe ce qu'il dévore, et ne s'en laisse point envelopper; il n'est point un accident des autres substances; ses envahissements sont lents et insensibles, et ses splendeurs éclatent dans les corps auxquels il s'est pris; il est impétueux et fort, présent à tout d'une façon inapercue ; qu'on l'abandonne à son repos, il semble anéanti; mais qu'on le réveille, pour ainsi dire, par le choc, à l'instant il se dégage de sa prison naturelle, et rayonne et se précipite dans les airs, et se communique libéralement, sans s'appauvrir jamais. On pourrait signaler encore de nombreuses propriétés du feu, lesquelles sont comme un embIème matériel des opérations divines. C'est donc en raison de ces rapports connus que la théologie désigne sous l'image du feu les natures célestes : enseignant ainsi leur ressemblance avec Dieu, et les efforts qu'elles font pour l'imiter.

    III. Les anges sont aussi représentés sous forme humaine, parce que l'homme est doué d'entendement, et qu'il peut élever le regard en haut; parce qu'il a la forme du corps droite et noble, et qu'il est née pour exercer le commandement; parce qu'enfin s'il est inférieur aux animaux sans raison pour ce qui est de l'énergie des sens, du moins il l'emporte sur eux tous par la force éminente de son esprit, par la puissance de sa raison, et par la dignité de son âme naturellement libre et invincible.

    On peut encore, à mon avis, emprunter aux diverses parties du corps humain des images qui représentent assez fidèlement les esprits angéliques Ainsi l'organe de la vue indique avec quelle profonde intelligence les habitants des cieux contemplent les secrets éternels, et avec quelle docilité, avec quelle tranquillité suave, avec quelle rapide intuition, ils reçoivent la limpidité si pure et la douce abondance des lumières divines.


     Le sens si délicat de l'odorat symbolise la faculté qu'ils ont de savourer la bonne odeur des choses qui dépassent l'entendement, de discerner avec sagacité et de fuir avec horreur tout ce qui n'exhale pas ce sublime parfum. L'ouïe rappelle qu'il leur est donné de participer avec une admirable science au bienfait de l'inspiration divine. Le goût montre qu'ils se rassasient des nourritures spirituelles et se désaltèrent dans des torrents d'ineffables délices. Le tact est l'emblème de leur habileté à distinguer ce qui leur convient naturellement de ce qui pourrait leur nuire. Les paupières et les sourcils désignent leur fidélité à garder les saintes notions qu'ils ont acquises. L'adolescence et la jeunesse figurent la vigueur toujours nouvelle de leur vie, et les dents, la puissance de diviser, pour ainsi dire, en fragments la nourriture intelligible qui leur est donnée; car tout esprit, par une sage providence, décompose la notion simple qu'il a reçue des puissances supérieures, et la transmet ainsi partagée à ses inférieurs, selon leur disposition respective à cette initiation.Les épaules, les bras et les mains marquent la force qu'ont les esprits d'agir et d'exécuter leurs entreprises. Par le cœur, il faut entendre leur vie divine qui va se communiquant avec douce effusion sur les choses confiées à leur protectrice influence; et par la poitrine, cette m‚le énergie qui faisant la garde autour du cœur maintient sa vertu invincible. Les reins sont l'emblème de la puissante fécondité des célestes intelligences. Les pieds sont l'image de leur vive agilité, et de cet impétueux et éternel mouvement qui les emporte vers les choses divines; c'est même pour cela que la théologie nous les a représentées avec des ailes aux pieds. Car les ailes sont une heureuse image de la rapide course, de cet essor céleste qui les précipite sans cesse plus haut, et les dégage si parfaitement de toute vile affection. La légèreté des ailes montre que ces sublimes natures n'ont rien de terrestre, et que nulle corruption n'appesantit leur marche vers les cieux. La nudité en général, et en particulier la nudité des pieds fait comprendre que leur activité n'est pas comprimée, qu'elles sont pleinement libres d'entraves extérieures, et qu'elles s'efforcent d'imiter la simplicité qui est en Dieu.

    IV. Mais puisque, dans l'unité de son but et la diversité de ses moyens, la divine sagesse donne des vêtements aux esprits, et arme leurs mains d'instruments divers, expliquons encore du mieux possible ce que désignent ces nouveaux emblèmes.

   Je pense donc que le vêtement radieux et tout de feu figure la conformité des anges avec la divinité, par suite de la signification symbolique du feu , et la vertu qu'ils ont d'illuminer précisément parce que leur héritage est dans les cieux, doux pays de la lumière; et enfin leur capacité de recevoir et leur faculté de transmettre la lumière purement intelligible. La robe sacerdotale enseigne qu'ils initient à la contemplation des mystères célestes, et que leur existence est tout entière consacrée à Dieu


    La ceinture signifie qu'ils veillent à la conservation de leur fécondité spirituelle, et que recueillant fidèlement en eux-mêmes leurs puissances diverses, ils les retiennent par une sorte de lien merveilleux dans un état d'identité immuable.

    V. Les baguettes qu'ils portent sont une figure de leur royale autorité, et de la rectitude avec laquelle ils exécutent toutes choses. Les lances et les haches expriment la faculté qu'ils ont de discerner les contraires, et la sagacité, la vivacité et la puissance de ce discernement.

Les instruments de géométrie et des différents arts nous montrent qu'ils savent fonder, édifier, et achever leurs œuvres, et qu'ils possèdent toutes les vertus de cette providence secondaire qui appelle et conduit à leur fin les natures inférieures. Quelquefois aussi ces objets emblématiques que portent les saintes intelligences, annoncent le Jugement de Dieu sur nous (1), soit. par exemple, les sévérités d'une utile correction, soit les vengeances de la justice; soit aussi la délivrance du péril et la fin du ch‚timent, le retour de la prospérité perdue, ou bien enfin l'accroissement à divers degrés des grâces tant corporelles que spirituelles. Certainement un esprit clairvoyant saura bien appliquer avec justesse les choses qu'il voit aux choses qu'il ne voit pas.

     VI. Quand les anges sont appelés Vents (2), c'est pour faire connaître leur extrême agilité et la rapidité de leur action, qui s'exerce, pour ainsi dire, instantanément sur toutes choses, et le mouvement par lequel ils s'abaissent et s'élèvent sans peine pour entraîner leurs subordonnés vers une plus sublime hauteur, et pour se communiquer à eux avec une providentielle bonté. On pourrait dire aussi que ce nom de vent, d'air ébranlé, désigne une certaine ressemblance des anges avec Dieu: car, ainsi que nous l'avons longuement établi dans la théologie symbolique, en interprétant les sens mystérieux des quatres éléments, l'air est un symbole bien expressif des opérations divines, parce qu'il sollicite en quelque sorte et vivifie la nature, parce qu'il va et vient d' une course rapide et indomptable et parce que nous ignorons les mystérieuses profondeurs dans lesquelles il prend et perd son mouvement, selon cette parole : Vous ne savez ni d'où il vient ni où il va (3).

    La théologie représente aussi les anges sous la forme de nuées (4);  enseignant par là que ces intelligences sont heureusement inondées d'une sainte et ineffable lumière, et qu' aprés avoir reçu avec une joie modeste la gloire de cette illumination directe, elles en laissent parvenir à leurs inférieures les rayons abondants, mais sagement tempérés et qu'enfin elles peuvent communiquer la vie, l'accroissement et la perfection, en répandant comme
une rosée spirituelle, et en fécondant le sein qui la reçoit par le miracle de cette génération sacrée.

     VII. D'autres fois les anges sont dits apparaître comme l'airain, l'électre on quelque pierre de diverses couleurs. L' électre, métal composé d'or et d'argent, figure,à raison de la première de ces substances, une splendeur incorruptible, et qui garde inaltérablement sa pureté non souillée; et à cause de la seconde, une sorte de clarté douce et céleste.
     L'airain, d'après tout ce qu'on a vu, pourrait, être assimilé soit au feu, soit à l'or même.
     La signification symbolique des pierres sera différente, selon la variété de leurs couleurs; ainsi les blanches rappellent la lumière; les rouges, le feu; les Jaunes l'éclat de l'or; les vertes, la vigueur. la jeunesse. Chaque forme aura donc son sens caché, et sera le type sensible d'une réalité mystérieuse.
     Mais je crois avoir suffisament traité ce sujet, cherchons l'explication des formes animales dont la théologie revêt parfois les célestes esprits .

     VIII. Or, par la forme de  lion, il faut entendre l'autorité et la force invincible des saintes intelligences, et le secret tout divin qui leur est donné de s'envelopper  d'une obscurité majestueuse, en dérobant saintement aux regards indiscrets les traces de leur commerce avec la  divinité (5) - ( imitant le lion qu'on dit effacer dans sa course l'empreinte de ses pas, quand il fuit le chasseur) -.

     La forme de bœuf appliquée aux anges exprime leur puissante vigueur, et qu'ils ouvrent en eux des sillons spirituels, pour y recevoir la fécondité des pluies célestes : les cornes sont le symbole de l'énergie avec laquelle ils veillent à leur  propre garde.


     la forme d'aigle  rappelle leur royale élévation et leur agilité, l'impétuosité qui les emporte sur la proie dont se nourissent leurs facultés sacrées, leur attention à la découvrir, et leur facilité à l' étreindre (6), et surtout cette puissance de regard qui leur permet de contempler hardiment et de fixer sans fatigue les splendidess et éblouissantes clartés du soleil divin.


     Le cheval est l' emblême de la docilité et de l'obéissance; sa couleur est également significative (7) : blanc, il figure cet éclat des anges qui les rapproche de la splendeur incréée; bai, il exprime l'obscurité des divins mystères;  alezan, il rappelle la dévorante ardeur du feu;
marqué de blanc et de noir, il symbolise la faculté de mettre en rapport et de concilier ensemble les extrêmes, d'incliner sagement le supérieur vers l'inférieur , et d'appeler ce qui est moins parfait à s'unir avec ce qui est plus élevé.
       Mais si nous ne cherchions une certaine sobriété de discours, nous eussions pu appliquer avec quelque bonheur aux puissances célestes toutes les qualités et les formes corporelles de ces divers animaux, par des rapprochements où la similitude éclaterait au travers de différences sensibles : comme si nous voulions voir, par exemple, dans l'irascibilité des brutes, cette mâle énergie des esprits, dont la colère n'est qu'un obscur vestige, ou bien dans la convoitise de celles-là, le divin amour de ceux-ci (8), ou, pour tout dire en un mot, dans les sens et les organes des animaux sans raison, les pensées si pures et les facultés immatérielles des anges. J'en ai assez dit pour l'homme intelligent; même l'interprétation d'un seul de ces symboles suffit bien pour guider dans la solution des questions analogues.

     IX. Considérons encore ce que veut dire la théologie, lorsque parlant des anges, elle nous décrit des fleuves, des chars et des roues. Le fleuve de feu désigne ces eaux vivifiantes qui, s'échappant du sein inépuisable de la divinité, débordent largement sur les célestes intelligences, et nourrissent leur fécondité. Les chars figurent l'égalité harmonique qui unit les esprits d'un même ordre. Les roues garnies d'ailes et courant sans écart et sans arrêt vers le but marqué, expriment l'activité puissante et l'inflexible énergie avec lesquelles l'ange, entrant dans la voie qui lui est ouverte, poursuit invariablement et sans détour sa course spirituelle dans les régions célestes.
      Mais ce symbolisme des roues est susceptible encore d'une autre interprétation; car ce nom de galgal qui lui est donné, au rapport du prophète (9), signifie en hébreu révolution et révélation. Effectivement ces roues intelligentes et enflammées ont leurs révolutions, qui les entraînent d'un mouvement éternel autour du bien immuable; elles ont aussi leurs révélations, ou manifestations des secrets divins, à savoir lorsqu'elles initient les natures inférieures, et leur font parvenir la gr‚ce des plus saintes illuininations.

      Il nous reste à expliquer enfin comment on doit comprendre l'allégresse des anges. Car n'imaginons pas qu' ils soient soumis aux accès de nos joies passionnées. En disant qu'ils se réjouissent avec Dieu de ce que sont retrouvés ceux qui étaient perdus, on exprime le divin contentement, et cette sorte de paisible délectation dont ils sont doucement enivrés, à l'occasion des ‚mes que la Providence a ramenées au salut, et aussi cet ineffable sentiment de bonheur que les saints de la terre connaissent, quand Dieu les récrée par l'effusion de son auguste lumière.


      Telles sont les explications que j'avais à donner touchant les symboles que décrit la théologie. Tout incomplet qu'il soit, je me flatte que ce travail aidera notre esprit à s'élever au-dessus de la grossièreté des images matérielles.


      Que si vous m'objectez, ô Timothée, que je n'ai pas fait mention de toutes les vertus, facultés et images que l' Ecriture attribue aux
anges, je répondrai, ce qui est véritable, qu'en certains cas il m'aurait fallu une science qui n'est pas de ce monde, que j'aurais eu besoin d'un initiateur et d'un guide; et que certaines explications que j'omets sont implicitement renfermées en ce que j'ai dit.
      Ainsi ai-je voulu à la fois et garder une juste mesure dans ce discours, et honorer par mon silence les, saintes profondeurs que je ne peux sonder




FIN DE LA HIERARCHIE CELESTE.