« Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m'avez pas reçu ; un autre viendra en son nom et vous le recevrez. » (S. Jean, V, 43.) C'est sur cette parole adressée par Jésus-Christ aux Juifs, ses contemporains et ses adversaires, que cette croyance s'est établie ; et l'on peut dire qu'elle est le sentiment commun des Pères de l'Église. Nommons saint Irénée, saint Hippolyte, saint Hilaire, saint Cyrille de Jérusalem, saint Grégoire de Nazianze, saint Ephrem, saint Ambroise, Rufin, saint Jérôme, saint Chrysostome, saint Prosper, saint Cyrille d'Alexandrie, Théodoret, Victorinus, saint Grégoire le Grand, André de Césarée, le Vénérable Bède, saint Jean Damascène, Théophylacte, saint Anselme, etc. Qu'il suffise de citer les plus en renom : Saint Jérôme : « Le Seigneur parlant de l'Antéchrist dit aux Juifs : Je suis venu au nom de mon Père, et vous n'avez pas cru en moi ; un autre viendra en son nom, et vous le recevrez »... Les Juifs, après avoir méprisé la vérité en la personne de Jésus-Christ, recevront le mensonge, en recevant l'Antéchrist (1) ». Saint Chrysostome : « Qui est celui que le Sauveur annonce comme devant venir, mais pas au nom de son Père ? L'Antéchrist et il dénonce d'une manière évidente la perfidie des Juifs (2) ». Saint Ambroise : « Cela montre que les Juifs, qui n'ont pas voulu croire en Jésus-Christ, croiront à l'Antéchrist(3) ». Saint Ephrem : « C'est d'une manière exceptionnelle que l'Antéchrist entourera de faveurs la nation Juive. Mais c'est aussi d'honneurs extraordinaires que la nation déicide le couvrira et qu'elle applaudira son règne(4)». Saint Grégoire le Grand : « Les Juifs accorderont leur confiance à un homme, eux qui refusent de croire au Rédempteur, alors qu'à la fin du monde ils se donneront à l'Antéchrist(5) ». Saint Jean Damascène : « Les Juifs ont donc rejeté le Seigneur Jésus, Christ et Dieu, et Fils de Dieu ; ils recevront au contraire l'imposteur qui s'attribuera avec arrogance la divinité (6) ». Saint Hippolyte, disciple de saint Irénée et l'un des premiers qui ait écrit sur ce sujet, fait même parler les Juifs : « Ils se diront les uns les autres : « Se trouve-t-il dans notre génération un homme aussi bon et aussi juste ? » Ils iront à lui et ils lui diront : « Nous te servirons tous ; nous plaçons en toi notre confiance ; nous te reconnaissons comme le plus juste de toute la terre ; c'est de toi que nous espérons le salut. Et ils le proclameront Roi (7) ». Tout étonnement cesse devant ces commentaires et ces annonces tombant de haut, lorsque surtout on voit s'accroître chaque jour l'énorme puissance financière des Juifs, leurs intrigues, l'escalade qu'ils font des premières places dans les principaux États, leur entente d'un bout du monde à l'autre. En présence d'une telle prépondérance, on n'a plus de peine à comprendre et à admettre comment ils pourront contribuer à l'établissement de la formidable puissance de l'Antéchrist. Cette acclamation de sa personne et l'aide qu'ils lui apporteront sont donc choses probables. Mais pourquoi pas certaines ? En voici la raison : La plupart des témoignages patristiques, relatés ci-dessus, reposent sur cette parole de Jésus-Christ, adressée par lui aux Juifs : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m'avez pas reçu, un autre viendra en son nom, et vous le recevrez (8). Or, à propos de ce texte, saint Thomas d'Aquin observe que, depuis le vrai Christ, un grand nombre de faux Christs ayant déjà paru chez les Juifs et ayant été reçus par eux (9), il se pourrait que le texte, considéré en lui-même, se rapportât non à l'Antéchrist, mais à n'importe lequel de ces faux Messies, de ces faux Christs. Cependant, ajoute saint Thomas, ce texte peut être probablement reçu selon le sens relatif à l'Antéchrist, à cause de l'autorité des saints Pères qui l'ont entendu ainsi : « Locus probabilis est propter auctoritatem sanctorum Patrum (10) ». DEUXIÈME PROBABILITÉ :
Il a été dit précédemment (IIè certitude) que la puissance et la persécution de l'Antéchrist ne seraient que passagères. Cela est certain. Mais serait-il possible d'en déterminer exactement la durée ? On ne peut faire, à cet égard, qu'une réponse probable, non certaine, d'après les deux textes cités. Celui de Daniel, en effet, est mystérieux : il ne précise que trois temps et demi, sans déterminer ce qu'il faut entendre par ces expressions qui peuvent signifier une période de jours, de mois, d'années, de siècles. De nombreux commentateurs anciens (S. Ephrem, S. Jérôme, Théodoret, etc.), modernes et contemporains, supposent qu'un « temps » correspond à une année. Ils ont raison. Grâce, en effet, au texte de l'Apocalypse, celui de Daniel est éclairci. En prédisant que la domination de l'Antéchrist ne durera que quarante-deux mois, l'Apocalypse autorise à conclure qu' « un temps et des temps et la moitié d'un temps »représententtrois ans et demi, durée équivalant à quarante-deux mois(11).
- III PREMIÈRE CHOSE INDÉCISE :
1° D'abord par rapport à la race juive. Les raisons alléguées sont les suivantes, auxquelles il sera répondu au fur et à mesure.
b) Daniel, ch. XI, 2, dit : « succédera un homme méprisé, à qui on n'accordera pas les honneurs royaux ; il viendra en secret, et il s'emparera du royaume par la fraude. » Explication de saint Jérôme : (D'après nos commentateurs, cela s'accomplira à la fin du monde par l'Antéchrist, qui doit surgir d'une nation petite, c'est-à-dire du Peuple juif ; ses débuts seront si humbles et il sera si méprisé qu'on ne lui accordera pas les honneurs royaux ; mais il obtiendra le pouvoir par des intrigues et par astuce (15). » c) « Le Christ étant né des Hébreux, l'Antéchrist aura la même origine(17). » C'est la raison apportée par saint Hippolyte, martyr. d) C'est une opinion admise comme probable que les Juifs acclameront l'Antéchrist comme le Messie qu'ils attendent. Or ils ne sauraient le faire, qu'autant que l'Antéchrist sera de même race qu'eux-mêmes, c'est-à-dire d'origine juive. Tel est le raisonnement de Malvenda (18). e) L'Antéchrist doit sortir de la tribu de Dan, l'une des douze tribus d'Israël. Donc il sera d'origine juive. 2° L'Antéchrist descendra-t-il de la tribu de Dan ?À cette question, les Pères, on doit le reconnaître, répondent, et en assez grand nombre, d'une manière affirmative : L'Antéchrist sera de l'ancienne tribu juive de Dan. Ont partagé cette opinion saint Irénée, saint Hippolyte, saint Ambroise, saint Augustin, saint Prosper, Théodoret, saint Eucher, saint Anastase le Sinaïte, saint Grégoire le Grand, saint Isidore, le Vénérable Bède, saint Anselme, Rupert, Richard de Saint-Victor, saint Antonin, et de non moins nombreux exégètes. Sur quoi appuient-ils leur sentiment ? Sur les trois textes suivants des Écritures : a) Sur un passage de la fameuse prophétie de Jacob, où le patriarche mourant découvre l'avenir des douze tribus d'Israël, représentées par ses douze fils. Arrivé à Dan, il s'écrie : « Que Dan devienne comme un serpent dans le chemin, et comme un, céraste dans le sentier, qui mord le pied du cheval, afin que celui qui le monte tombe à la renverse (21) ». Le céraste ou le serpent à cornes est un reptile des plus dangereux. Il se cache dans le sable, et s'élance sur le cavalier et sur sa monture. De ces images peu favorables, les Pères susnommés ont conclu que l'Antéchrist appartiendrait à la tribu de Dan. b) Sur un texte de Jérémie, VIII, 16 : « Depuis Dan on entend le frémissement de ses coursiers ; tout le pays est ébranlé par les hennissements de ses chevaux de guerre : ils sont venus, et ils ont dévoré le pays et ce qu'il renferme, la ville et ses habitants. » c) Sur le silence que garde saint Jean par rapport à Dan dans l'énumération qu'il fait des tribus d'Israël, au chapitre VII de l'Apocalypse. On en a tiré cette conclusion : Puisque toutes les tribus d'Israël, sauf celle de Dan, fournissent leur contingent à la Jérusalem céleste décrite par saint Jean dans ce chapitre, c'est sans doute en haine de l'Antéchrist que la tribu de Dan n'est pas nommée. Bien que les trois textes scripturaires allégués pour établir l'origine danite de l'Antéchrist ne soient pas probants, néanmoins il y aurait lieu de tenir compte de l'autorité des Pères qui s'autorisent de ces textes, s'ils les faisaient reposer sur une tradition. Or, tel n'est pas le cas en cette question. Non seulement ils ne mentionnent aucune tradition positive, mais plusieurs se servent d'expressions dubitatives telles que celles-ci : « On pense (existimatur)(24).... Moi je pense (ego arbitror) (25)... Quelques-uns rapportent (nonnuli ferunt) (26)... Il est rapporté (Fertur) (27)... Quelques-uns disent (Dicunt quidam) (28)... etc. À ces expressions qui dénotent des opinions personnelles plutôt qu'une tradition, si on ajoute la non unanimité des Pères, et aussi ce fait historique et indubitable que, depuis bientôt vingt siècles, toutes les tribus d'Israël sont confondues dans un pêle-mêle inextricable et que les généalogies ont péri, on conviendra que l'opinion qui fait sortir l'Antéchrist de la tribu de Dan est bien discutable. En résumé la nationalité juive de l'Antéchrist reste indécise. Elle n'est ni certaine, ni probable, mais seulement possible : rien de plus. L'événement seul tranchera la question. DEUXIÈME CHOSE INDÉCISE :Le nom de l'Antéchrist.
Chez les anciens, et notamment chez les Hébreux, les Grecs et les Latins, on se servait des lettres de l'alphabet en guise de chiffres. Chaque lettre avait ainsi sa valeur numérale. D'où le procédé suivant : En additionnant la valeur numérique des lettres employées dans tel passage, on obtenait un chiffre, et avec les lettres qui représentaient le total, on trouvait un nom. Le nombre de la Bête étant 666, on a donc entrepris de transformer les chiffres de ce nombre en lettres et d'en composer le nom mystérieux de l'Antéchrist. On l'a tenté en grec, en hébreu et en latin. Peine inutile ! Les résultats qu'on a obtenus différent trop, entre eux, pour qu'on puisse y voir rien de précis et de définitif. Selon la valeur des lettres grecques, le nom de l'Antéchrist serait l'un des suivants : Selon la valeur des lettres hébraïques, le nom de l'Antéchrist serait Latinus (Latin) - Nero Cesar - Elion Adonai Jéhova hakados (Altissimus Dominus Jehova sanctus (d'après Malvenda) (29). Selon la valeur des lettres latines, le nom de l'Antéchrist serait : Dioclès Augustus (Dioclétien), proposé par Bossuet - Caïus César (Caligula), etc. De ces divers exemples on peut conclure combien on s'est fatigué en vain pour découvrir le nom de l'homme de péché. Il demeure chose indécise. Au reste, « il est loin d'être sûr qu'il faille chercher un nom propre d'homme, avec ou sans titre de dignité, dans le chiffre 666. Nous sommes ici en face d'une énigme dont l'apôtre saint Jean n'a peut-être jamais révélé le secret à Personne, puisque les commentateurs les plus anciens et saint Irénée lui-même, quoiqu'il eût connu des disciples de saint Jean, n'en ont proposé l'explication qu'avec hésitation et incertitude. Il faudrait des pages entières pour énumérer seulement les personnages que l'on a cru découvrir dans ce nombre. Mais peut-être appartient-il à l'avenir seulement de nous révéler le mot de l'énigme, et quand le vrai Antéchrist aura paru, ce qui est si obscur aujourd'hui sera-t-il alors comme la lumière du jour (30). » On sait que dans la secte des Francs-Maçons les nombres jouent un grand rôle (31). Chaque grade y est caractérisé par un nombre spécial. Des noms ne le sont-ils pas aussi ? Qui sait ? Ce nombre 666 indique peut-être le numéro et le nom que l'Antéchrist portera parmi les sociétés secrètes qui ne manqueront pas de se presser à sa suite. TROISIÈME CHOSE INDÉCISE :Le siège de l'empire de l'Antéchrist.Encore deux opinions : Les partisans de cette opinion se fondent : a) Sur un texte de l'Apocalypse qui dit que les deux témoins de Dieu, Enoch et Élie, adversaires de l'Antéchrist, seront mis à mort dans la grande ville où leur Seigneur a été crucifié(34). Ces mots caractérisant Jérusalem, on en conclut que si les deux témoins sont mis à mort dans cette ville, c'est que l'Antéchrist y aura le siège de son empire. b) Cette opinion se fonde encore sur des raisons de convenance. Comme ç'a été en Judée et plus spécialement à Jérusalem que le Christ, durant sa vie terrestre, a établi le siège de son empire spirituel ; comme c'est là qu'il est né, qu'il a vécu, prêché, opéré ses miracles, établi l'Évangile ; qu'il y a été crucifié, qu'il y est mort, ressuscité, monté au ciel ; qu'il y a enfanté l'Église ; en un mot, qu'il y a accompli toute l'économie divine préordonnée de toute éternité en vue du salut du genre humain : pour tous ces motifs l'Antéchrist, inspiré par Satan, reviendra, afin de réaliser pleinement sa mission infernale d'adversaire du Christ, sur toutes les étapes de la vie du Sauveur, pour les combattre, les effacer, les détruire. Dans ce but, c'est à Jérusalem qu'il fixerait aussi le siège de son empire diabolique. De plus, si l'Antéchrist agissait autrement, pourrait-il se faire accepter comme Messie par les Juifs, qui rêvent une gloire terrestre pour Jérusalem et s'imaginent que cette ville deviendra, dans l'avenir, le siège de l'empire messianique ? Cette dernière raison semble se fortifier, de nos jours, par l'apparition du Sionisme. En voici le programme : « Les temps ne sont-ils pas venus de reconstituer cette nationalité juive pour laquelle, du fond de ses synagogues et de ses ghettos, Israël n'a pas cessé de soupirer ? » Une vaste association s'est donc formée entre les Juifs croyants du monde entier, en vue de récupérer la Palestine et Jérusalem. Sept congrès se sont déjà tenus à Bâle pour en trouver les moyens. Le dernier, du 27 au 30 juillet 1905, a été particulièrement intéressant au point de vue qui nous occupe. S. M. le Sultan de Constantinople ne se montrant point favorable aux désirs des Sionistes, l'Angleterre avait gracieusement offert un vaste terrain dans l'Ouganda, à l'est de l'Afrique centrale, pour y essayer la formation d'un État juif autonome. Le Congrès, composé de plus de huit cents délégués du Judaïsme mondial, a adopté, à une forte majorité, la résolution suivante : « Le Congrès maintient fermement les principes de son programme tendant à établir une patrie pour le peuple juif en Palestine. Il refuse toute colonisation hors de la Palestine ou des pays voisins. « Le Congrès vote des remerciements au gouvernement anglais pour son offre d'un territoire en Afrique orientale (35). » 2° La deuxième opinion désigne la Rome des Papes comme siège de cet empire, et voici ses arguments.Reprenant d'abord le texte de saint Jean touchant la mort des deux témoins (36) Enoch et Élie, elle fait remarquer, et avec raison, qu'il n'est pas concluant. Il se pourrait, en effet, que ces deux témoins fussent mis à mort dans Jérusalem par ordre de l'Antéchrist, sans que celui-ci y ait alors le siège de son empire, et même sans qu'il y soit résidant. Rome, au contraire, ne semble-t-elle pas indiquée ? C'est là que, pour mieux faire opposition au vrai Christ, l'Antéchrist établirait le siège de sa puissance. Il siégerait à Rome redevenue païenne, selon une ancienne tradition (37), et, se posant en face du chef de l'Église, il ressusciterait l'empire romain ou latin. Il semble que ceux qui préparent le règne de l'Antéchrist, aient conçu et adopté ce plan. C'est contre Rome, en effet, que se coalisent, depuis des années, les efforts de toutes les sectes maçonniques. Rome redevenue païenne, ce serait l'étape préparatoire à la royauté romaine de l'Antéchrist. Une grave allocution de Léon XIII donne à réfléchir. C'est dans le Consistoire du 30 juin 1889 qu'elle a été prononcée : La douleur que Léon XIII épanchait de la sorte au sein du Sacré-Collège, il l'exprimait quelques années plus tard, le 8 décembre 1892, au peuple italien tout entier : Dans l'Encyclique Humanum genus, rappelée par l'auguste Pontife et l'une des premières de son Pontificat se trouvait déjà cet avertissement solennel : Aux deux opinions exposées, l'événement accompli donnera une solution péremptoire. Jusqu'à cette époque, elle demeure indécise. Si Jérusalem devient le siège de l'empire de l'Antéchrist, ses principaux fauteurs auront été les Juifs ; si c'est Rome, ce seront les Francs-Maçons. QUATRIÈME CHOSE INDÉCISE : Le temple où l'Antéchrist se fera adorer.
Quel sera le temple témoin de cette abomination ? a) Une première opinion désigne le temple de Jérusalem qui serait en partie ou en totalité relevé de ses ruines par l'Antéchrist, et où il se ferait rendre les honneurs divins. Elle est adoptée par saint Irénée, saint Hippolyte, saint Cyrille de Jérusalem, saint Damascène, Sever, Sulpicius et un certain nombre d'exégètes tant anciens que modernes. C'est selon son sens propre et littéral qu'il faut, disent-ils, prendre le mot temple. Car, au temps de saint Paul, auteur de cette épître aux Thessaloniciens, c'était le temple de Jérusalem qui portait le nom de Temple par antonomase ; on le désignait simplement par ce nom, comme cela ressort de saint Luc (Act. III et V) et d'autres textes. Alors il n'existait pas encore de temples chrétiens, et seul le temple de Jérusalem était appelé Temple de Dieu. Il est donc plus vraisemblable, dit Suarez, que c'est de lui qu'a parlé saint Paul, (41). b) À l'encontre de ce sentiment, une seconde opinion répond qu'il n'est point démontré que saint Paul, en prédisant que l'Antéchrist s'assiéra dans le Temple de Dieu, ait eu en vue celui de Jérusalem. En effet, saint Jérôme, expliquant les paroles de l'Apôtre, dit : « Il s'assiéra dans le Temple de Dieu, c'est-à-dire ou dans Jérusalem, comme quelques-uns le pensent, ou dans l'Église, ce qui nous paraît plus vrai (42). » Saint Chrysostome dit aussi : « Non dans le temple de Jérusalem, mais dans le temple de l'Église (43). » Mais comment l'Antéchrist s'assiérait-il dans le temple de l'Église ? Théodoret l'explique : « Ce que l'Apôtre appelle le Temple de Dieu, ce sont les églises dans lesquelles cet impie prendra le premier rang, la première place, s'efforçant de se faire reconnaître pour Dieu (44). » Théophylacte l'explique encore plus clairement : « Non pas dans le temple de Jérusalem, mais simplement dans les églises, dans tout temple consacré à Dieu (45). » C'est aussi le sentiment de saint Hilaire, de Cajetan, Villalpand, Estius, etc. Devant ce partage d'opinions, saint Augustin a jugé la question indécise : « Quel est le Temple de Dieu où l'Antéchrist doit s'asseoir ? Sera-ce sur les ruines du Temple que Salomon avait fait bâtir ? Sera-ce dans l'Église de Dieu ? Cela est incertain(46) ». Il faut se mettre à la suite de l'évêque d'Hippone et convenir que cette question, comme celle relative au siège de l'empire de l'Antéchrist, reste indécise.
- IV CHOSES FANTAISISTES Ce principe de loyale et respectueuse exégèse établi, on peut se demander ce qui a déterminé et tracé pour plusieurs cette voie de fantaisie. La réponse ressort elle-même de leurs pages : ce sont les attraits du figurisme : On sait que l'Église a toujours enseigné l'existence d'un sens figuré dans la sainte Écriture, et cette existence repose sur l'affirmation de la parole de Dieu elle-même : Ces choses leur arrivaient en figure, dit saint Paul, rappelant plusieurs traits du séjour des Israélites dans le désert(47). Notre-Seigneur lui-même a établi l'existence du sens figuré en nous montrant dans Jonas, enseveli pendant trois jours dans le ventre d'un poisson, l'image allégorique de son séjour au tombeau (48). Mais si certains passages de l'Écriture présentent un sens figuré en sus du sens littéral, il y a un danger à éviter, qui consiste soit à rechercher ce sens figuré dans chaque passage de l'Écriture, soit à le multiplier outre mesure. On tombe alors dans l'erreur du figurisme. Mais comment l'Antéchrist a-t-il pu devenir le point de mire d'études figuristes et occasionner les choses fantaisistes qui vont être énumérées ? Voici comment : Il y a dans le livre de Daniel un chapitre, le XIè, tout particulièrement consacré à Antiochus Épiphane et à ses gestes (du vers. 21 au vers. 45). Son nom n'est point mentionné ; il est uniquement désigné par l'appellation de roi du Nord ou de l'Aquilon. La plupart des interprètes, anciens et modernes, n'ont pas hésité à le reconnaître, tant les événements, décrits d'avance, se rapportent exactement à son règne. Il y a plus : on admet encore généralement qu'Antiochus est la figure de l'Antéchrist. Mais là commencent les divergences et aussi l'occasion des abus. Selon quelques-uns, le morceau entier (vers. 2l-45) ne se rapporterait qu'à l'Antéchrist. Selon d'autres (surtout au temps de S. Jérôme), il se rapporterait littéralement à Antiochus ; au figuré, à l'Antéchrist. D'autres pensent qu'il n'est question de l'Antéchrist qu'à partir du verset 36. D'autres enfin que certains traits seulement lui sont consacrés. Ce sont les partisans des trois premières opinions, notamment des deux premières, qui ont peut-être exagéré les rapports entre Antiochus et l'Antéchrist. En quoi les auraient-ils exagérés ? En ce qu'ils se sont emparés de chaque verset de cette page biblique pour en composer, comme s'ils étaient des documents historiques, une vie anticipée et détaillée de l'Antéchrist. Assurément Antiochus Épiphane doit être considéré comme le type le plus complet, le plus achevé, de l'Antéchrist. Nous-même, en cet écrit, avons plus d'une fois signalé les rapports existants entre ces deux adversaires du vrai Dieu. Mais ces rapports doivent être établis avec modération. Il ne faut pas perdre de vue cette vérité essentielle, à savoir que les personnages devenus, par une permission divine, des types de l'avenir, forma futuri (49), ne le sont point ordinairement dans la totalité de leur vie, c'est-à-dire dans chacun de leurs actes. Nous n'entendons point assurément limiter l'action de l'Esprit-Saint, mais constater un fait général. C'est seulement par tels ou tels traits de leur existence que les personnages figuratifs ont annoncé l'avenir. Par rapport au vrai Christ, Melchisédec ne l'a figuré que dans son double caractère de Roi et de Pontife ; Isaac, dans sa patience et son sacrifice ; Jacob, dans sa vie voyagère et ses rudes labeurs ; Joseph, dans les persécutions que lui firent subir ses frères et dans son élévation. Or il en est de même de la personne et de la vie de l'Antéchrist. Elles n'ont été figurées que sous tel ou tel aspect par divers personnages, Néron, Galère, Julien l'Apostat, Mahomet, Antiochus Épiphane, jamais en totalité. Ce serait donc par un abus du sens figuratif qu'on a cru pouvoir tracer d'avance la vie de l'Antéchrist en la calquant sur celle d'Antiochus, d'après tous les versets et tous les détails du chapitre XI de Daniel. S'il y a eu excès, les auteurs engagés dans cette voie l'auraient évité, en éclairant leur marche de cette règle spéciale du sens mystique : « Il ne faut jamais attribuer à l'Écriture un sens mystique qui ne soit confirmé par quelque autre passage de l'Écriture entendu dans un sens littéral, autrement on attribuerait aux Livres saints une doctrine qu'ils n'enseignent point (50). » C'est en dehors de cette règle qu'il a donc été annoncé, peut-être avec danger d'erreur : Cet ensemble de détails ne constitue-t-il pas comme une vie de l'Antéchrist vécue d'avance ? Doit-on les mépriser et les écarter comme inventions fausses et imaginaires ? Non, car dans le domaine du mal tout est possible, Satan devant être l'auxiliaire de l'Antéchrist. Mais des points d'interrogation doivent cependant être placés à la suite de chacun d'eux. Tous ces détails, en effet, ne sauraient être admis ni comme certains, ni comme probables, ni même comme indécis, l'indécision supposant, elle aussi, un point de repère. Or, ni les uns ni les autres de ces détails ne se trouvent confirmés par des textes précis de l'Écriture entendus dans leur sens littéral, pas plus qu'ils ne reposent sur une indéniable tradition. Cette tradition fait défaut, puisque, des choses avancées, les unes ne sont émises que par des Pères isolés, les autres par des Pères en plus grand nombre sans doute, mais dont le chiffre ne suffit pas à constituer le consentement unanime, base d'une tradition indiscutable. Les dires de ces Pères ne sont que des opinions personnelles, dignes d'attention et de respect, mais en dehors des anneaux formant la chaîne traditionnelle. De plus, point de textes scripturaires évidents. C'est principalement sur le chapitre XI de Daniel, entendu selon le sens figuré ou mystique, que ces opinions reposent. Mais, pour présenter de la valeur, elles devraient avoir également l'appui de quelque autre passage de l'Écriture entendu dans son sens littéral. Or, cet appui, c'est en vain qu'on le cherche pour elles. Aucun des trois portraits de l'Antéchrist, contenus aux chapitres VII de Daniel, XIII de l'Apocalypse, II de la IIè épître aux Thessaloniciens, étudiés dans leur sens littéral, ne confirme ces diverses allégations relatives à la vie de l'Antéchrist. Encore une fois, nous ne les rejetons point, pas plus que nous ne les admettons. Plusieurs d'entre elles peuvent être vraies, comme elles peuvent être fausses. Jusqu'à ce que l'avenir en décide, elles ne doivent être regardées et acceptées que comme des fantaisies, des suppositions. Mais en voilà assez de cet horizon noir, tout rempli de l'homme du péché, de celui que saint Irénée a appelé « le résumé de l'universelle iniquité(52) ». Portons nos regards d'un autre côté, là où des vaillances entourées de lumière se dessinent. Ce sont les champions des Vérités chrétiennes qui vont apparaître. Ils auront la mission de combattre, contre l'Antéchrist, les combats du Seigneur.
(1) Hieron., Epist. 151, ad Algasiam, quest. II. - Comm. in Dan., II, 24 ; - in Abdiam, XVIII ; - in Zachar., II, 17. « L'édifice que les FF... sont en voie d'élever dans le monde ne pourra être regardé comme arrivé à bon point tant que les FF... d'Italie n'auront pas fait don à l'humanité des décombres de la destruction du grand ennemi. |