La religion de combat par labbé Joseph Lémann Livre premier Le rassemblement des enfants de lumière Chapitre deuxième Appel à un rassemblement général des enfants de lumière I. La fameuse allégorie de Platon: les prisonniers de la caverne; elle servira à faire comprendre le bonheur des enfants de lumière, lhorreur des sociétés secrètes, et la captivité auprès des fausses religions. II. Comme quoi les catholiques sont vraiment les enfants du jour, en dehors de la caverne: splendeurs délicieuses dont ils sont environnés. Mais il y a des non-catholiques qui sont destinés à devenir aussi enfants du jour: quels sont ceux-là. III. Adeptes des sociétés secrètes, leurs chaînes; létat de ces malheureux est le même que celui des prisonniers de la caverne, avec aggravation. Peinture de Dante jointe à celle de Platon, pour exprimer leur affreux sort. IV. Troisième catégorie dhommes: les captifs des ombres dans la caverne, mais sans quils soient enchaînés; ils sont libres de sortir. Qui sont-ils? Pauvres idolâtres; pauvres israélites; pauvres musulmans. Explication sur Abraham: il na été que lombre projetée en avant de Celui qui devait venir. V. Lhumanité tendant à se diviser en deux camps immenses: pour le Christ, contre le Christ, que les fils de lumière se rassemblent, et que les captifs des ombres se joignent à eux! I LÉvangile de saint Jean contient cette déclaration: Jésus devait mourir pour la nation juive, et non seulement pour cette nation, mais aussi pour rassembler en un les enfants de Dieu qui étaient dispersés. Les enfants de Dieu ont été rassemblés en un dans lÉglise catholique. Le rassemblement est donc aussi ancien que la mort de Jésus et que létablissement de lÉglise. Cependant, après tant dattaques furieuses qui ont eu pour objet de chercher à les disperser comme des troupeaux de brebis effrayées, et en face de la plus formidable de toutes les attaques, nest-il pas utile, nécessaire, sinon de provoquer, du moins de rappeler ce rassemblement, et de le rendre plus complet, partant plus délicieux; Et je rends grâce au ciel qui nous a rassemblés! De quelle manière ce complément sobtiendra-t-il? Les événements, dont nous avons dit au chapitre précédent «quils étaient les anges de Dieu», en détermineront, sans doute, le mode et la célérité. Le saluant de nos désirs, nous voudrions aider, de notre humble place, à sa consolante réalisation. Une célèbre allégorie de Platon nous servira: lallégorie des prisonniers de la caverne. Le grand philosophe expose lobscurcissement et laveuglement où les hommes sont plongés ici-bas, sous limage de malheureux relégués dans les profondeurs dune caverne, et dans les conditions suivantes; lexposé a la forme piquante du dialogue. I. Description de la caverne. Illusions des prisonniers qui prennent des ombres pour la réalité. Socrate. Figure-toi que, relativement à la science et à lignorance, la nature humaine soit dans une situation pareille à celle que je vais te représenter. Imagine des hommes dans une caverne souterraine dont louverture, tournée vers la lumière, est aussi large que la caverne tout entière est profonde. Depuis leur enfance, ces hommes ont les jambes et le cou attachés par des chaînes qui les empêchent de bouger et de regarder autre chose que ce quils ont en face; ils ne peuvent tourner la tête; la lumière leur vient dun feu allumé assez loin, en haut et derrière eux. Entre ce feu et les prisonniers, il y a un chemin dont le niveau est plus élevé, et le long duquel on a construit un petit mur semblable à ces cloisons que les charlatans dressent devant les spectateurs et par-dessus lesquelles ils montrent leurs merveilles. Glaucon. Je vois tout cela. S. Imagine encore que le long de ce mur passent des hommes portant des objets de toute espèce, qui apparaissent ainsi au-dessus du mur; ces objets sont des statues ou des représentations danimaux en pierre, en bois, de formes et de fabrication très diverses; et comme il doit arriver parmi ces hommes, les uns parlent, les autres se taisent. G. Étrange tableau, étranges prisonniers! S. Nous leur ressemblons. Penses-tu dabord que, dans une telle situation, nos captifs puissent voir autre chose deux-me leurs compagnons, que les ombres projetées, grâce à la lueur du feu, sur le côté de la caverne vers lequel sont tournés leurs regards? G. Non, puisque pendant toute leur vie ils sont contraints de tenir la tête immobile. S. - Et quant aux objets que lon promène, nest-il pas vrai, de même, quils nen verront que les ombres? G. Assurément. S. Et en supposant quils sentretiennent ensemble, ne penses-tu pas quils désigneront ces ombres quils voient passer, comme sils étaient convaincus que ce sont les objets eux-mêmes? G. - Nécessairement. S. - Et de plus, si la prison avait un écho, toutes les fois que lun de ceux qui passent derrière eux viendrait à parler, ne simagineraient-ils pas que cest lombre mobile qui parle? G. Oui, certes. S. - Par conséquent, nos prisonniers ne prendraient absolument pour vraies que les ombres de ces objets fabriqués. G. Il nen peut être autrement. II. Délivrance dun des prisonniers. Il est traîné de force au grand jour. Impressions quil reçoit de la vue des objets et de la lumière. Socrate. Considère maintenant ce que serait pour eux la délivrance, et la guérison de leur erreur, si pareil bonheur pouvait leur arriver; suppose quon détache un de ces hommes; quon le force de se lever sur-le-champ, de tourner la tête, de marcher, de regarder du côté de la lumière; il ne pourra faire tout cela sans souffrances; léblouissement lempêchera de voir les objets dont il ne contemplait que les ombres. Que penses-tu quil répondrait, si quelquun venait lui dire quauparavant il ne voyait que des fantômes trompeurs; que maintenant placé dans la réalité, il voit plus juste? Ne crois-tu pas que notre homme ne saurait que répondre, et quil jugerait que ce quil voyait auparavant était plus vrai que ce quon lui montre. Glaucon. Certainement. S. Et si on le forçait à regarder le feu, ses yeux nen seraient-ils pas douloureusement affectés? ne les détournerait-il pas pour les reporter sur ces ombres quil peut contempler sans souffrance? ne jugerait-il pas quelles sont réellement plus visibles que les objets quon lui montre? G. Oui. S. Et si maintenant on le traîne malgré lui par ce chemin rude et escarpé qui monte vers la lumière du soleil, sans le lâcher avant quil ne soit arrivé au grand jour, cette violence ne provoquera-t-elle pas ses plaintes et son indignation? Et léclat du soleil éblouissant ses yeux, ne sera-t-il pas incapable de rien distinguer dans cette immense clarté nouvelle pour lui? G. Il ne pourra rien voir, du moins à ce premier moment. S. Il faudra, nest-ce pas, que ses yeux shabituent lentement et graduellement à contempler les objets. Ce quil verra dabord plus facilement, ce sont les ombres, ensuite les images adoucies des objets qui se reflètent dans le miroir des eaux, plus tard ces objets eux-mêmes. Ensuite il pourra tourner ses regards vers les corps célestes, contempler les cieux voilés par la nuit, les constellations et la lune dont la lumière tempérée léblouira moins que le soleil et les feux du jour. G. Sans aucun doute. S. À la fin, je pense, il sera capable non seulement de voir le soleil dans les eaux et partout où son image radieuse se réfléchit, mais de le regarder où il est, de le contempler en lui-même, et de ladmirer sur son trône des airs. G. - Il en doit être ainsi. III. La pitié du prisonnier délivré pour ses compagnons restés dans la caverne. Socrate. Eh quoi! se rappelant alors sa première demeure, la science quon y pouvait avoir, ses compagnons de chaînes, ne sestimera-t-il pas heureux de son changement? ne prendra-t-il pas en pitié les autres? Que ten semble? Glaucon. Cela est certain. S. Et sil y avait dans la caverne des honneurs, des louanges, des récompenses établies entre les captifs pour celui qui observe avec le plus de pénétration les ombres à leur passage, qui se rappelle le mieux celles qui dhabitude précèdent, celles qui suivent, celles qui vont ensemble, et qui, par cette connaissance, est le plus capable de prévoir lavenir, crois-tu que notre homme pût désirer encore pareils honneurs et pareille autorité, et porter envie à ceux des prisonniers qui les obtiennent? Ne préférera-t-il pas cent fois, comme lAchille dHomère, être un garçon de charrue au service dun homme pauvre, et souffrir tout au monde plutôt que de reprendre ses opinions et son existence dautrefois? G. Je crois quil préférera tout souffrir, plutôt que de retourner vivre dans la caverne. Telle est, en majeure partie, cette fameuse allégorie des prisonniers de la caverne. Elle suffirait, à elle seule, pour mériter à son auteur cet éloge quon a prononcé de lui: que les écrits de Platon ont formé la préface humaine de lÉvangile. II Cette merveilleuse allégorie nous servira pour reconnaître tout dabord les enfants de lumière, les féliciter, et appeler dans leurs rangs ceux qui gémissent ailleurs. Y a-t-il ici-bas, par opposition à la caverne des ombres, un royaume de lumière et de clartés incontestables? Oui, et cest lÉglise catholique. LÉglise catholique, en effet, nest-elle pas lopposé de la caverne, cest-à-dire la région de la vérité, la patrie de la certitude et de lair libre, la réalisation brillante du beau et du bien? Ce nest plus la caverne sombre et étouffée, comme au temps du paganisme: cest la cité tout au haut de la montagne, aperçue de lunivers entier, et dont les avenues sont ouvertes à tous les peuples. Na-t-elle pas justifié sous nos yeux, dans les événements que nous avons rappelés au chapitre précédent, les annonces réjouissantes des prophètes: Dans les derniers temps, la montagne sur laquelle sera bâtie la maison du Seigneur, dépassera le haut des monts; elle sélèvera au-dessus de toutes les collines, et toutes les nations y accourront en foule. Lève-toi et sois illuminée, Jérusalem, parce que la lumière est venue et que la gloire du Seigneur sest avancée sur toi. Les nations marcheront à la lueur de ta lumière, et les rois, à la splendeur de ton lever. LÉglise, la véritable Église, est donc bien lopposé de la caverne: qui ne voit lÉglise? Mais à cette justification du dehors vient sadjoindre la justification encore plus saisissante du dedans: Jésus-Christ qui, dans cette Église, dans cette immense cité, est adoré du levant au couchant, nest-il pas le soleil de justice, le roi du jour? Il sétait présenté ainsi en Judée: Je suis la lumière du monde; or, quel autre que Jésus-Christ occupe lhorizon depuis dix-neuf siècles, comme roi du jour? Les âmes le savent bien. Cest vers lui quelles sinclinent. Cest lui qui les fait tressaillir, lui quelles adorent; elles sont heureuses sous ses bénis rayons. Une des plus magnifiques expressions de Platon sest réalisée à la lettre; il disait du prisonnier délivré: il ose enfin admirer le soleil sur son trône des airs. Trône des airs: ah! lorsque Jésus-Christ sort de son tabernacle, comme le soleil, de son crépuscule du matin, et lorsque, par lexposition du Très Saint Sacrement, il monte glorieusement dans lespace, nest-ce pas alors ce trône des airs que Platon a salué sans le savoir, trône des airs, vers lequel notre amour envoie le double hommage de lencens et de ladoration? La très sainte Vierge Marie, à son tour, nest-elle pas létoile du matin, la douce aurore qui adoucit et tempère léclat de la Divinité: éclat souvent trop vif pour des yeux malades, pour des yeux pécheurs! On nosait pas regarder le Souverain Maître, on ose regarder sa mère! Platon avait dit encore du prisonnier délivré: il contemplera dabord plus volontiers les cieux voilés par la nuit, les constellations, dont la lumière tempérée léblouira moins que le soleil et les feux du jour. Oh! comme Platon eût tressailli de bonheur en voyant, dans la très sainte Vierge Marie, son noble espoir réalisé! Comme il aurait, le premier, béni et accepté ce miséricordieux secours de Marie, dont il avait, peut-être, rêvé la douce médiation! Comme il aurait répété avec nous les paroles de la belle prière que lÉglise semble avoir empruntée à son allégorie: Solve vincla reis; Profer lumen ccis Iter para tutum, Ut videntes Jesum, Semper collætemur! «Brise les fers aux condamnés; fais arriver la lumière aux aveugles; fraye-nous une route assurée, pour que voyant Jésus, éternellement nous nous réjouissions!» Oui, Marie la douce Vierge est bien la lumière tempérée qui conduit à léclat du jour. Elle est lastre bénin et souriant qui attire les yeux encore tremblants: en se levant vers elle, nos paupières ne sont pas obligées de se refermer! Les sacrements dans lÉglise, ne sont-ils pas des fontaines limpides, où le chrétien trouve un rafraîchissement et une force en rapport avec les besoins de son être? «Les regards du prisonnier de la caverne en montant à la lumière du jour, avait dit également Platon, sarrêteront plus volontiers sur le miroir des eaux qui représente limage des objets
» Nest-ce pas le rôle des sacrements? Fontaines où se reflète le ciel, ils nous apportent la paix de lInfini accommodée aux battements de notre cur, à la faiblesse de notre amour. Enfin, tout ce qui se fait dans lÉglise catholique ne saccomplit-il pas au grand jour, dans la plus large publicité, sans craindre ni éviter les regards? Tout est public dans lÉglise: tout, excepté laveu des fautes dans le sein de la miséricorde! Quoique très rapide, cette esquisse du royaume de la lumière est bien suffisante pour nous permettre de répondre maintenant, sans difficulté, à cette question: qui sont ici-bas les enfants de lumière? Ce sont ceux qui font partie de la visible Église catholique. Ils lui sont nés par le baptême. Un baptême est une sortie de la caverne. On entre, par la porte du baptême, dans le royaume de la lumière. Quand nous venons au monde, nous sommes fils de la nuit. Notre première naissance est ténébreuse. Job na-t-il pas pleuré de la sorte: Périsse le jour auquel je suis né, et la nuit en laquelle il a été dit: Un homme est conçu. Plainte lugubre, confirmée par ce mot du Nouveau Testament: Nous naissons fils de colère. Mais pour la renaissance par le baptême, lÉglise chante: Chaste génération accompagnée de clarté! Sa mémoire est immortelle, elle est en honneur auprès de Dieu et auprès des hommes! Aussi toutes les fois que doit se faire un baptême, lÉglise met-elle en branle les joyeuses sonneries de ses cloches. Elle fait du bruit pour appeler auprès de lenfant qui va renaître, tous les regards. Le ciel et la terre sont, en quelque sorte, invités. Leau coule sur le front du petit enfant, leau la plus pure, vraies gouttes de lumière, puisque la grâce sanctifiante y est unie. La joie est peinte sur tous les visages, et lheureuse mère à qui on rapporte son enfant régénéré, presse contre son cur un ange, un enfant beau comme le jour. Ce nest pas une exagération, ni une hyperbole. Car saint Paul, laustère saint Paul, ravi de cette renaissance de lhomme au grand jour, adressait aux premiers chrétiens, et, en eux, à tous les baptisés, cette parole de félicitation: «Vous êtes tous les fils de la lumière et les fils du jour.» Cest la noblesse des chrétiens, ils sont les fils du jour! Dans les temps incertains et ténébreux qui sont les nôtres, jaime à me représenter lÉglise sous les traits dune de ces mères chrétiennes des premiers siècles, réfugiées dans les catacombes. Elle est entourée dune blanche troupe denfants, et, tout à la fois pensive et souriante au sein de ces sombres corridors, elle échange avec sa jeune troupe, à la pâle lueur des flambeaux, le colloque suivant, composé des pensées de saint Paul. LÉglise leur dit avec une certaine anxiété grave et solennelle: «Écoutez-moi, mes enfants. Bien que vous soyez nés dans ces catacombes, vous êtes des enfants de lumière. Dieu vous a donnés à moi, non dans les ténèbres, mais dans la belle clarté. Accomplissez donc des uvres de lumière.» Et ses enfants linterrogent: «Mère, quest-ce quune oeuvre de lumière?» « Une uvre de lumière, mes enfants, cest nimporte quelle action de la vie accomplie dans lesprit de Jésus-Christ votre Dieu et votre père. «Voilà pourquoi, mes enfants, il y a, ici-bas, pour lhomme une marche dans la lumière à travers tous les sentiers où il passe; des fruits de lumière, pour la nourriture de de son âme; et des armes de lumière pour les combats quil doit livrer. «Sa marche est lumineuse, quand il suit Jésus-Christ, mettant ses pas dans la trace de ses pas divins, imitant son humilité et sa patience: marchez comme des enfants de lumière. «Les fruits de lumière, nourriture pour son âme, sont la bonté, la justice et la vérité; cest aussi laccomplissement de la volonté du Père céleste qui est dans les cieux: fruits de lumière qui ont été la nourriture de Jésus-Christ, quils forment la vôtre, ô mes enfants! «Et les armes de lumière, ce sont les armures inaltérables que Jésus-Christ a prescrites comme absolument nécessaires contre les attaques des esprits de ténèbres: la vigilance et la prière; revêtez-vous-en. «Et puis, ô mes enfants, pour ce qui regarde cette foule dactions journalières qui composent la trame de la vie, nimporte quelle action deviendra pour vous une uvre de lumière si vous laccomplissez au grand jour de la vérité, car voici la règle de conduite laissée par Jésus-Christ, votre père: Quiconque fait le mal hait la lumière; mais celui qui fait la vérité sapproche de la lumière. «De la sorte, ô mes enfants, objet de mes tendresses et de mes alarmes, vous resterez fidèles à votre noble origine.» Voilà donc les incontestables enfants de lumière: 1es catholiques. Mais sont-ils les seuls, et ny en a-t-il pas dautres dans ce vaste univers? Miséricorde divine, que tu es délicate! Ceux-là le sont aussi qui, nayant pas eu le bonheur dêtre nés catholiques, appartiennent cependant, par la bonne foi et une vie pure, à lâme de lÉglise. Lâme de lÉglise, admirable expression de la doctrine catholique, selon laquelle des enfants demeurent inconnus de leur mère, quoique portés dans ses entrailles! La surprise de leur révélation et de leur nombre est réservée au ciel. Le Père Lacordaire a écrit ces lignes aussi vraies que consolantes: «Il est des âmes qui ne peuvent pas nommer Jésus-Christ parce que Jésus-Christ ne leur fut jamais nommé. Mais une goutte de son sang les a cherchées à travers dinvisibles sillons, et mêlée au leur comme un arôme de léternelle vie, elles ont répondu par un gémissement tacite au sourd appel de sa charité.» Victimes de leur naissance, ces âmes se trouvent présentement dans une obscurité native, et leurs ailes sont, pour ainsi dire, liées par le respect que la grâce témoigne à leur naissance; mais leurs ailes sont réservées pour la lumière, et elles se déploieront! Elles sont de lÉglise, elles appartiennent à lÉglise; Elles lui ressemblent même: Chose admirable en effet, lÉglise, toutes les fois quelle est persécutée et méprisée, quelle est obscurcie et comme morte sous le linceul quétend sur elle la haine, prie ainsi: Peut-être que les ténèbres mopprimeront, ô mon Dieu! Mais les ténèbres nont point dobscurité pour vous
Voici que la nuit devient toute lumineuse: ma nuit sera illuminée comme le jour! Cest un fait que jamais les oppressions, les prisons, les peines, nont obscurifié lÉglise; elles nont servi quà son éclat: pour elle, les ténèbres nont plus dobscurité, sa nuit sest illuminée comme le jour! Or, il en sera de même de vous, chères âmes qui avez la bonne foi, le cur pur, mais qui nêtes pas encore officiellement les enfants de lÉglise; victimes de votre naissance, vous vivez dans lobscurité; prenez courage, les ténèbres ne vous opprimeront pas, votre nuit sera illuminée comme le jour! Catholiques visibles, catholiques invisibles, cest donc vous qui formez la magnifique phalange des enfants de lumière. III En regard de lÉglise royaume de la lumière, y a-t-il des hommes qui soient encore dans les ténèbres. Hélas! oui, et de deux manières. Les uns, que lon doit nommer avec lévangile les fils de ténèbres; les autres, qui continuant à sattacher après dix-neuf siècles de christianisme aux ombres, aux figures, aux fantômes, sont en quelque sorte les captifs des ombres. Dabord les fils de ténèbres: À cette heure de lhistoire du monde, une partie du genre humain se trouve sous la domination complète dune institution terrible: les sociétés secrètes, et en particulier la secte maçonnique. Or, ces sociétés et cette secte ont ramené la caverne, et même quelque chose de pire, de plus sombre. La caverne de Platon est aggravée. En effet, la structure de la société, telle que la veut la Franc-Maçonnerie, a pour point de départ un souterrain, un caveau, un antre ténébreux et ignoré. La caverne de Platon avait une large ouverture; du dehors un feu allumé lui envoyait des lueurs, et les ombres des réalités se dessinaient sur ses parois internes. Rien de semblable dans lantre de la Franc-Maçonnerie: point douverture, point de lumière venant du dehors; la salle des mystères est complètement fermée; au milieu, des lampes sépulcrales, un squelette et un poignard, comme lont révélé quelques-uns de ses adeptes. Jamais Platon, sil eût vécu à notre époque, ne fût allé chercher ses inspirations dans un semblable souterrain! Les prisonniers de son allégorie avaient le cou et les pieds enchaînés, condamnés à ne pas tourner la tête, immobiles dans leurs entraves. Cest la même captivité dans la Franc-Maçonnerie, mais avec aggravation. Dexécrables serments enchaînent les adeptes, ils ne sont plus libres, véritablement serrés dans leurs entraves. Quand un ordre leur arrive, ils ne peuvent plus tourner la tête, pas même du côté dune mère, dune sur, dun enfant, qui leur tend ses bras. Cest là laggravation! Dans cette affreuse société, on est obligé, lorsquelle lexige, de lui tout sacrifier, on ne doit plus avoir de regards pour rien. Dans la caverne de Platon, il y avait au moins des ombres qui passaient, qui intéressaient: mais ici plus dombres, plus de souvenirs, plus de patrie, plus de famille, tout est éteint: il ny a plus que le prince des ténèbres qui seul domine, imposant autour de lui lobéissance muette et passive des esclaves. Cest exécrable! Mais voici le contraste final entre la caverne de Platon et un souterrain maçonnique. Les prisonniers de Platon, lorsquils étaient délivrés, passaient graduellement des ténèbres à la lumière, dun demi-jour au plein jour; il y avait transition ménagée. Dans les loges de linfernale Maçonnerie, il y a aussi transition ménagée, des degrés, mais en sens contraire: pour passer de la lumière aux ténèbres! Un penseur profond a dit de lerreur: «Sil nexistait aucunes nuances entre lerreur et la vérité, peu dhommes seraient assez forts pour tomber dans lerreur: ils ont besoin dy descendre lentement et de se familiariser avec les ténèbres.» Se familiariser avec les ténèbres: cest là précisément lhabileté et la puissance de la terrible société maçonnique, elle a établi dans son sein des degrés, des nuances, des ménagements, afin que ses victimes puissent se familiariser avec les ténèbres. Il y a des échelons où elle consent à voir sarrêter les âmes et les instruments qui ne pourraient pas aller plus loin
Ce sont en quelque sorte des cercles descendants, exactement comme les cercles de lEnfer de Dante, à mesure quil descendait dun cercle dans un autre, Dante trouvait plus dhorreur. Quand lenfer maçonnique sempare dune ville ou dun royaume, il met tout dabord en avant son plus haut cercle, celui qui paraît toucher presque à la justice, à la raison et à la paix. Le lendemain, ce premier cercle est chassé par le second, et les cercles se succèdent vite, et descendent, en roulant, jusquà celui où lon égorge, où lon poignarde
Voilà comment se sont formés les fils de ténèbres à notre époque. Oh! sans doute, il y a eu des fils de ténèbres à toutes les époques. Il y a eu les débauchés; il y a eu les hérésiarques; il y a eu les révoltés; mais ce qui ne sétait jamais vu, cétaient les ténèbres montées des souterrains au gouvernement du monde et disposant de la direction de la société; Ce qui ne sétait jamais vu, cétait Dieu chassé de partout comme étant lui-même les ténèbres; Ce qui ne sétait jamais vu, cétait toute une race dhommes façonnés, dans les antres, à la double haine de nimporte quelle idée religieuse et de nimporte quel ordre social; Cela ne sétait jamais vu, et nous le voyons! En vérité, lauteur de lallégorie de la caverne neût-il pas fui avec épouvante tous rapports avec de pareils hommes? IV Loin de la belle lumière de lÉglise, il y a une autre catégorie dhommes que nous avons nommés les captifs des ombres. Il faut bien se garder, toutefois, de les confondre avec les fils de ténèbres. Mais quoi! après deux mille ans bientôt de christianisme, y a-t-il donc encore des infortunés épris des ombres, fascinés par des fantômes? Hélas, oui. Et qui donc sont ces infortunés? Beaucoup de pauvres idolâtres; Beaucoup de pauvres israélites; Beaucoup de pauvres musulmans; Captifs des ombres, disons-nous, et comment cela? Voici : Le prisonnier de la caverne de Platon, quand on voulait le traîner à la lumière, frémissait, si lon sen souvient, de cette violence et sécriait, en ramenant vivement ses yeux éblouis et fatigués vers les parois de la caverne où se projetaient les ombres: «Voilà, je vous assure, la réalité!» Eh bien, ils tiennent exactement le même langage, tant de pauvres idolâtres qui se prosternent encore aujourdhui, avec frénésie, devant les créatures, ombres du Créateur:. refusant leurs hommages et leurs adorations à Celui qui est la souveraine perfection. Fanatiques de la créature, ils sy cramponnent comme à la seule réalité. Idolâtres qui sont nombreux, non pas seulement dans les steppes de la Tartarie ou près des grands lacs de lintérieur de lAfrique, mais idolâtres en pleine Europe, plus épris et plus fanatiques même de la créature que les ignorants de lAfrique ou de lAsie. Cramponnés avec fureur aux biens de la terre, oubliant le souverain Bien, les idolâtres de lEurope montrent leurs champs, leurs affaires, leur or, leurs coffres, le palais de la Bourse, et ils disent: Ici seulement, est la réalité!
Captifs des ombres, des fantômes! Captifs des ombres également, beaucoup disraélites, beaucoup de musulmans. «Mais! pauvres infortunés, disait un jour un voyageur à un groupe dhébreux quil considérait pleurant le vendredi soir sur les ruines du Temple à Jérusalem, retournez la tête. Ce nest plus ici, sur des ruines, quil faut regarder; cest là-bas
» Et il leur montrait dans le lointain le lieu de la résurrection de Jésus-Christ inondé de lumière, et la Croix qui étincelait. Hélas! ils ne détournaient même pas la tête, tout entiers au passé, tout entiers aux ombres!
Le croirait-on? ce qui les trompe, eux et les populations innombrables de lAsie détournées par Mahomet, ce qui les trompe et leur est devenu le plus grand obstacle, cest le nom dAbraham: figure quon a exagérée, ombre qui les fascine et les empêche de se retourner vers Jésus-Christ. Il y a, en physique, ce phénomène: les ombres, dans leur projection et leurs dessins, sont toujours exagérées. Une ombre qui se projette a une proportion démesurée. Pareil phénomène est arrivé au rôle dAbraham auprès des israélites et des musulmans: lEsprit de mensonge a exagéré cette figure. Incontestablement, Abraham est une bien grande figure. Que na-t-on pas dit à sa louange, lÉglise, la première? «Il est le père de tous les croyants.» «Le nom dAbraham est la race sémitique ce que les obélisques sont à lÉgypte.» Et bien dautres louanges auxquelles les chrétiens applaudissent comme les israélites. Néanmoins, en regard de Jésus-Christ, Abraham nest que lombre projetée en avant: silhouette majestueuse de Celui qui devait venir; patriarche avant-coureur dUn plus grand que lui! Il est lombre: Jésus-Christ, lui, est la lumière, la réalité éblouissante. «Avant quAbraham fût, jétais,» a dit le Christ. Il était, et Abraham, en sortant de Chaldée, a été son ombre projetée ! Or, fascinés par lombre, par le grand nom dAbraham, les israélites, et avec eux les musulmans, ne se retournent pas vers la lumière, vers la réalité. Mon Dieu! quy a-t-il donc à faire pour les désabuser? Écoutez, pauvres captifs: Le prophète Isaïe a comparé les flancs dAbraham à une carrière doù le peuple dIsraël a été extrait; il disait: «Vous qui suivez la justice et qui cherchez le Seigneur, jetez les yeux sur cette roche dont vous avez été taillés et cette carrière profonde dont vous vez été tirés: jetez les yeux sur Abraham votre père!» Oh! comprenez, restes dIsraël, ces admirables paroles du prophète, si bien en harmonie avec lallégorie de Platon. Abraham a été, dit le prophète,- la carrière, la roche doù vous avez été tirés. Par conséquent, remarquez donc! Abraham nest que la roche, que la carrière profonde; Jésus-Christ, lui, est lhorizon au dehors de la carrière. Si vénérable et si vénéré que soit Abraham, il nest que la caverne dans les flancs de laquelle vous avez tous dormi; il est également, si vous le voulez, lombre projetée du Christ qui sy dessinait; mais Jésus-Christ, lui, est la lumière au dehors, il est le plein jour. Comprenez-vous, restes dIsraël. Sortez donc, oh! sortez de la caverne; passez dAbraham à Jésus-Christ! Mais nos entraves? objecterez-vous. Vos entraves: elles sont tombées! La Vérité éternelle sest montrée, qui a annoncé à tous les captifs, dans la synagogue même de Nazareth: «Vous, êtes libres, la Vérité vient vous délivrer. LEsprit du Seigneur ma envoyé pour annoncer aux captifs leur délivrance.» Examinez vos mains, palpez vos pieds, chers captifs des ombres, Israélites sincères qui attendez le Messie; à vos mains, à vos pieds, il ny a plus ni entraves du respectable, mais suranné Rituel hébraïque, ni entraves du stupide et tyrannique Talmud; rien ne vous enchaîne plus, vous pouvez vous retourner et sortir. Sortez donc! Osez, osez ce magnifique mouvement qui sappelle une conversion. Se convertir, cest, puisquon est libre, se détourner des ombres, si grandioses, si vénérées soient-elles; Sen détourner, pour se retourner vers Celui qui est la pleine clarté; Cest sélancer hors de la caverne, pour entrer dans le royaume de la lumière, et dire avec reconnaissance, en tombant aux pieds de Jésus-Christ: Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu! Oh! que la réflexion, par laquelle Platon termine sa magnifique allégorie à propos du prisonnier délivré et venu à la lumière, trouve bien sa place ici: «Socrate. - Sil y avait dns la caverne des honneurs, des louanges, des récompenses établies entre les captifs pour celui qui observe avec le plus de pénétration les ombres à leur passage, crois-tu que notre homme pût désirer encore pareils honneurs et porter envie à ceux des prisonniers qui les obtiennent? Ne préférera-t-il pas cent fois, comme lAchille dHomère, être un garçon de charrue au service dun homme pauvre, et souffrir tout au monde plutôt que de reprendre ses opinions et son existence dautrefois? «Glaucon. - Je crois quil préférera tout souffrir plutôt que de retourner vivre dans la caverne.» V Le rassemblement des enfants de lumière, tel est le but à atteindre. Lallégorie de Platon nous a servi à discerner trois catégories dhommes parfaitement distinctes: les fils de lumière, les fils de ténèbres, les captifs des ombres. Indiquons le rassemblement, en suppliant les anges de Dieu et les événements quils dirigent, de le presser, de le hâter: Le monde est arrivé à une heure de son histoire où deux termes qui ne supporteront plus dintermédiaire, commencent à se poser, ces deux termes: pour le Christ, contre le Christ. Un des plus savants évêques de lAllemagne, Mgr Emmanuel de Ketteler, donnait, il y a vingt ans, à un ouvrage politique qui fit grand bruit, cette conclusion: Christ ou Antechrist, celle antithèse renferme tout le mystère de lavenir. Et il ajoutait: Toutes les directions de temps, bonnes et mauvaises, nous poussent vers un point unique, Jésus-Christ, vers une solution unique: serons-nous avec ou contre Jésus-Christ? Il disait vrai, les idées, les passions, les progrès, les événements, la haine, lamour, nous poussent vers ces deux termes catégoriques qui diviseront désormais toute lhumanité en deux camps: Christ ou Antechrist, ceux qui seront avec le Fils de Dieu, et ceux qui seront contre lui. Plus de neutralité possible, plus dabstention, chaque homme sera contraint de se définir: Je suis à Jésus-Christ, ou bien je suis contre lui. Cela étant, quy a-t-il à faire? Groupez vos personnes, et après vos personnes, groupez vos phalanges, vous dabord, fils de lumière, enfants de lÉglise catholique royaume de la lumière: groupez vos phalanges, rassemblez-vous! Autrefois, lorsque chez lancien peuple de Dieu, il y avait danger, la trompette sonnait, et ce cri traditionnel se faisait entendre à travers les montagnes de Palestine: Que tout Israël se lève depuis Dan jusquà Bersabée. Dan était lextrémité dé la Palestine vers le nord, Bersabée était lautre extrémité vers le sud, et tout Israël, cest-à-dire tous les hommes valides, se dressaient avec un mâle courage depuis Dan jusquà Bersabée. À son tour, le peuple catholique est devenu le peuple de Dieu; à son tour il est en danger: que tous les fils de lumière se lèvent donc, depuis lextrémité où le soleil se lève jusquà lautre extrémité où il se couche; car cest la gloire du royaume catholique de navoir pas dautres limites que celles du soleil lui-même! Mais pour lhonneur de votre race ô fils de ce royaume, que le soleil ne se lève et ne se couche pas sur votre torpeur et votre inactivité! Tous debout! Tous en rangs! Voilà pour les fils de lumière. Quant aux captifs des ombres, nous leur tiendrons ce langage: Sortez du lieu des ombres et venez vous joindre à nous, chers israélites, chers protestants, chers déistes, trop épris de la figure de ce monde qui passe! Détournez-vous des ombres; prenez nos mains, les voici; donnez les vôtres, et montez dans nos rangs. Venez vous joindre à nous pour lutter, tous ensemble, contre les fils de ténèbres. Frères séparés, nous avons besoin de vous dans le triomphe définitif de lÉglise et de la Société! LÉvangile ne contient-il pas cette si consolante déclaration, début de ce chapitre: Jésus devait mourir pour la nation juive, et non seulement pour cette nation, mais pour rassembler en un les enfants de Dieu qui étaient dispersés. Ô Israël, laisse rassembler enfin tes pauvres dispersés dans le sein de la très douce Église! Et ainsi, plus dintermédiaire possible: Christ ou Antechrist. Nayons pas peur! Cest une formidable, mais magnifique démonstration du catholicisme qui est en train de se tracer. Car les fils de ténèbres ayant dessein, cette fois, de ne rien épargner de ce qui rappelle Dieu, tous les honnêtes gens comprendront que le catholicisme seul est la cité forte, civitas firma; quil est le mur et lavant-mur, murus et antemurale; quil est la Défense! «Défends-nous et défends tout», lui crie-t-on déjà de toutes parts. Aussi, comme ces soldats qui se sont avancés trop en avant, ou qui sont demeurés trop en arrière, les uns téméraires, les autres retardataires, beaucoup de protestants honnêtes, de rationalistes honnêtes, disraélites honnêtes, commencent à se replier, en pressant le pas, vers la cité forte; ils se hâtent daccourir à lombre de la grande muraille. Lintérêt de la conservation ramène les chers égarés; la reconnaissance achèvera de les établir parmi nous. Tout se réfère au catholicisme, et il sera le salut de tous les rassemblés.
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