La religion de combat par labbé Joseph Lémann Livre deuxième Chapitre Sixième Une voie lactée dans l’Église de Dieu, comme au firmament. - I. Sors de ta tente et considère le ciel! Cette invitation de Dieu à Abraham est entendue des âmes méditatives. Magnificence du firmament, sa voie lactée.
Sortons un moment dans la nuit, comme Dieu fit sortir Abraham de son pavillon pour considérer le ciel. Regardez le firmament, lui dit Dieu, et comptez les étoiles, si vous pouvez. C’est une salutaire pratique que de contempler le firmament par une nuit sereine. Bien souvent, lorsqu’on sent le besoin d’agrandir les vues de son âme et de surmonter les tristesses du temps, on y réussit par cette contemplation. Le spectacle du firmament purifie la pensée et remonte le cœur. Dabord, on aperçoit, dans sa lueur douce et pleine de charmes, lastre des nuits: il répand sur la nature entière je ne sais quelle mystérieuse beauté. Le commun des hommes ne connaît de la nuit que le repos quelle amène, que le sommeil qui les enveloppe et les confond avec les animaux. «La lune, cette humble soeur du jour, nexiste pas pour eux, parce quils nexistent pas pour elle, et ils soffenseraient avec mépris des appels qui leur seraient faits de venir la contempler. Mais il est des esprits délicats, des âmes tendres et méditatives pour lesquels le spectacle de la nuit a des charmes ravissants, des harmonies secrètes, et sillumine de mystérieux reflets. Dans la contemplation silencieuse de cette beauté voilée qui répond si bien à la nature humble et à la fois élevée de leurs sentiments, ils puisent une disposition méditative qui se prolonge pendant le jour, et qui, les soutenant au-dessus des impressions de la terre, les porte à lever des regards exercés vers le ciel.» Ensuite, on est émerveillé et ravi par le scintillement et le cortège de ces étoiles vives et brillantes, qui, de distance en distance, et chacune à son rang, se tiennent autour de leur reine, semblables à des perles sur le vêtement de la nuit. Ces étoiles radieuses sont innombrables, mais pourtant distinctes, et comme les fleurs dune vaste prairie, elles ont par leur nature même une immense variété de couleurs. Dans le langage de la Liturgie et des Docteurs, lÉglise catholique est très justement comparée à lastre des nuits. La lune, en effet, au disque changeant, courrière inégale, représente admirablement les diverses phases de lÉglise ici-bas, selon que Dieu lui envoie des jours prospères ou des épreuves. Mais quelles que soient les inégalités de lastre des nuits, il nen a pas moins cette pudique et mystérieuse beauté qui est aussi celle de lÉglise, lépouse bien-aimée du Sauveur, dont il, est écrit aux Cantiques quelle est belle comme la lune. Le brillant cortège des étoiles distinctes a aussi sa signification. Il figure ceux et celles des enfants de lÉglise qui lui font le plus dhonneur en ce monde, soit par léclat de leur grande position, soit par leur sainteté reconnue. Mais la contemplation du firmament nest pas finie. Quapercevons-nous encore, par une nuit sereine, dans les détails de cette voûte dor? Une grande trace de lumière blanche et diffuse qui traverse presque toute la sphère céleste; ce sont comme des bandes irrégulières qui se développent et flottent en forme de ceintures, elles ont une lueur blanche comme le lait, et quand on les regarde au télescope, on y distingue des amas détoiles tellement pressées quon peut à peine les énumérer. Ces bandes lumineuses composent la voie lactée. Cette voie est donc produite par un nombre prodigieux détoiles: gouttes de lumière, gouttes de lait sur lazur des cieux. Admirons-la, interrogeons-la, comme symbole consolant qui va compléter nos études sur la physionomie et le nombre des enfants de lumière. En effet, nous avons, dans les chapitres qui précèdent, célébré et décrit les vrais maîtres et guides sûrs, les apôtres, les missionnaires au loin, les séraphins de la terre: autant de splendides étoiles distinctes dans le firmament de lÉglise. Mais tout le monde ne peut être docteur, ni apôtre, ni missionnaire au loin, ni séraphin de la terre. Heureusement que la bonté créatrice, qui a orné la voûte des cieux dune voie lactée, en a tracé une autre dans son Église: multitude dâmes humbles, petites, inaperçues, semblable aux bandes pressées détoiles! Il sera donc consolant détudier parallèlement la voie lactée du firmament et celle de lÉglise. II Ce qui frappe et saisit, en premier, dans le spectacle de la voie lactée, cest léloignement et la profusion des étoiles qui la composent. Elles sont tellement éloignées dans les profondeurs du firmament quelles en deviennent presque imperceptibles, et tellement nombreuses et pressées quelles y forment les traînées blanches à perte de vue. Les profondeurs du firmament! Leurs milliards de lieux donnent le vertige à la pensée. Elles ne sont dépassées que par les profondeurs de la foi et celles des conseils de Dieu. Massillon disait: Vous ne connaissez pas les objets que vous avez sous lil, et vous voulez voir clair dans les profondeurs de la foi. À légard des profondeurs des conseils de Dieu, saint Paul sest écrié avec une sorte deffroi: Ô profondeur des trésors de la sagesse de Dieu! que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables! Et le Livre de lEcclésiastique demande à propos des profondeurs du firmament: Qui a compté les gouttes de la pluie, et qui a mesuré la hauteur du Ciel? Ces étoiles se meuvent donc dans des profondeurs incommensurables. Voici comment le souverain Ordonnateur les y a placées: Le Livre de la Genèse expliquant la manière dont sest allumé le firmament, dit: Dieu fit deux grands corps de lumière, lun plus grand, pour présider au jour, et lautre moindre, pour présider à la nuit; il fit aussi les étoiles, et stellas! Il nappartient quà Dieu de parler avec cette indifférence du plus étonnant spectacle dont il ait orné lunivers: et aussi les étoiles, et stellas! il dit en un seul mot ce qui ne lui a coûté quune parole. Or, cette sublime indifférence de langage, comme elle se trouve vérifiée et traduite dans le spectacle de la voie lactée! Il y a là des milliards détoiles, des traînées de poussière dont chaque grain est, cependant, un monde. Déjà celles qui, distinctes et radieuses, luisent, chacune à leur rang, dans le cortège de lastre des nuits, sont innombrables et défient tout calcul: mais ne dirait-on pas quavec la voie lactée Et maintenant, si des hauteurs des cieux, je ramène mon regard sur lÉglise militante, là aussi, japerçois une voie lactée. Où donc est-elle? Y a-t-il, comme pour celle du firmament, des profondeurs qui la contiennent et où elle se déploie? Oui, et ce sont les profondeurs de la miséricorde. Les profondeurs de la miséricorde! Elles ne sont pas moins insondables que celles du firmament, que celles de la foi, que celles des conseils de Dieu. Elles ont été creusées par le sang de Jésus-Christ, et une seule goutte de ce sang pénètre à une telle profondeur dans les abîmes de la bonté et de la pitié que le cur humain doit renoncer à latteindre. Saint Paul na-t-il pas dit: Les trésors incompréhensibles de lamour que Jésus-Christ a eus pour nous! Or, cest dans ces profondeurs de la miséricorde que se meuvent des milliers et des milliers denfants de Dieu, denfants de lumière, mêlés, confus, presque inaperçus dans leur lumière de grâce, comme les étoiles de la voie lactée sont presque imperceptibles dans leur clarté. Faut-il nommer quelques-unes de ces bandes denfants de Dieu? Ce sont dabord beaucoup denfants destinés à mourir dans lâge tendre, beaucoup dâmes pures dont le Livre sacré définit ainsi lheureux sort: Le Seigneur la enlevé, de peur que la vanité ne séduisît son âme. «Dieu a fait un pacte avec la mort, et lui donnant une précocité divine, il la chargée de moissonner avant lâge du mal la troisième partie du genre humain. Lange exterminateur est donc devenu le bras droit du Christ; il choisit parmi nous linnocence avant que la raison en ait terni le premier éclat, et il conduit au ciel des multitudes à qui léternité ne coûte que davoir passé ici-bas pour y sourire à leur Mère.» Mais en passant, heureux petits enfants, quelle voie lactée, tout à la fois douce et mystérieuse, vous tracez: des bras de vos mères, vous arrivez dans le sein de Dieu! Ce sont, ensuite, à lautre extrémité de la vie, auprès de pauvres vieillards réunis par groupes, ces bandes angéliques quon appelle les Petites Surs des pauvres. Discrètes et charmantes petites surs, elles ressemblent à des perles de lumière dans le soir de ces pauvres vieillards, où tout devient sombre. Qui les connaît par leurs noms? Personne. Elles étaient peut-être de souche illustre dans le monde, un brillant avenir les attendait. Elles se sont enfoncées et perdues dans les profondeurs de la miséricorde, pour elles-mêmes et pour leurs bons vieux. Sous leurs voiles amples et sombres, elles sont devenues imperceptibles comme les étoiles de la voie lactée. Mais voici dautres bandes denfants de lumière, non moins confuses, non moins pressées: tant de travailleurs honnêtes qui aiment Dieu à la sueur de leur front, tant dindigents qui endurent, mais qui regardent le ciel et espèrent, tant daffligés qui pleurent en secret, la tête inclinée sur le crucifix, tant dopprimés qui ont faim et soif de la justice. Bienheureux êtes-vous dans vos souffrances inaperçues, ô vous tous! dans votre petitesse, vous faites partie de la voie lactée. Cest de vous que le Christ a dit avec action de grâces: Je vous rends grâces, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux savants, pour les révéler aux petits. Tout ce que nous avons essayé de discerner nest rien en comparaison de ce qui demeure contenu et caché dans les profondeurs de la miséricorde. Temps des pâques, époques des jubilés, quelles bandes immenses de nébuleuses ne jetez-vous pas dans ces divines profondeurs? Voici un enfant de lumière, puis à côté deux autres, et encore à côté vingt autres. Les annales ecclésiastiques racontent quun chrétien demanda à être joint à des prisonniers que lon conduisait au martyre. Les païens cédèrent à ses instances, et comme son nom est resté inconnu, lÉglise lhonore sous le nom de saint Adjoint, Ajouté, Adauctus. Que de frères inattendus se joignent aux bandes denfants de lumière dans les temps de pâques et de jubilés! Leurs noms, ne cherchez pas à les connaître: ils sappellent adjoints, Adaucti. Sommes-nous au bout des merveilles de notre voie lactée? Ah! qui na entendu parler de lâme de lÉglise, cette insondable profondeur de la miséricorde? Il y a, de par le monde, des protestants de bonne foi et parfaitement honnêtes, des israélites de bonne foi et qui, attardés sur la route des siècles, attendent le Libérateur; il y a aussi, dans la vaste étendue des missions catholiques, des païens qui ont le baptême de désir, mais que dinvincibles obstacles empêchent daller au delà; à légard de tous ces curs droits, lespérance catholique exprime cette ardente prière: «Mon Dieu, faites quils appartiennent à lâme de lÉglise; faites que la robe nuptiale ou la grâce sanctifiante leur soit secrètement apportée, au besoin par un ange; et quils soient du nombre de ces enfants inconnus de leur mère, quoique portés dans ses entrailles!» Dieu les lui fera connaître dans les surprises de la consommation finale, quand il exposera aux regards de sa sainte épouse les fruits de sa brillante fécondité: et ce sera un motif de plus à son bonheur et à son action de grâces. En attendant, ils sont confus et perdus dans les profondeurs de la miséricorde, comme une de ces traînées blanchâtres dans le firmament étoilé! Et telle est la voie lactée de lÉglise catholique! Dans une de ces nuits étincelantes dont le ciel dOrient a le privilège, le Seigneur faisait donc sortir Abraham de sa tente et lui disait: Levez les yeux au ciel, et comptez les étoiles, si vous pouvez. Et le Seigneur ajouta: Ainsi se multipliera votre postérité. En raison de cette promesse divine, la postérité dAbraham a reçu, dans les Écritures, le nom denfants de la promesse. Mais les Écritures ont bien soin de préciser que les enfants de la promesse sont moins ceux qui continuent le sang dAbraham que ceux qui continuent sa foi. Sont compris parmi les enfants de la promesse tous ceux qui, à travers la succession des siècles, ont obéi à Moïse, puis aux Prophètes, puis au Fils de Dieu fait homme, puis à ses Apôtres, et maintenant à son Église. Elle est donc nombreuse, très nombreuse, la belle postérité des enfants de la promesse. Dieu soit béni! Comptez, si vous pouvez, les étoiles: on pourrait, à la rigueur, se mettre à compter les étoiles distinctes et radieuses, et bientôt le vertige arrêterait le calcul: mais les immenses quantités détoiles agglomérées dans les voies lactées, qui les compterait? Pareillement, ô mon Dieu, limpossibilité du calcul sapplique aux innombrables enfants de lumière, tant ceux qui sont apparents que ceux qui sont cachés dans les profondeurs de votre miséricorde; heureuse impossibilité, qui est la réalisation de votre promesse au patriarche: ainsi se multipliera votre postérité. Ô Seigneur, vous êtes Celui qui sappelle le Fidèle et le Véritable. III Quand on considère ce prodigieux entassement détoiles qui forment la voie lactée, un pourquoi respectueux se présente à lesprit qui admire et adore: Pourquoi Dieu a-t-il fait ces étoiles si imperceptibles et si multipliées? Nest-ce pas afin dinscrire, pour lhomme, au firmament, cette leçon: combien sa Providence est bonne et attentive dans ses soins. Il y a, au 146e psaume, cette parole: Le Seigneur compte la multitude des étoiles, et il les appelle, chacune, par leur nom. Le témoignage dintérêt le plus réel que lon puisse donner à un être, cest de savoir son nom, et de le retenir: car il semble quon ne soit rien quand on na point de nom! Cest aussi une preuve de sollicitude, de tendresse. On ne nomme pas ce que lon méprise ou ce que lon déteste. Au jour des rétributions, le Christ ne dira-t-il pas aux réprouvés: Je ne vous connais pas, je ne sais pas vos noms, nescio vos! En nous assurant donc, par le Chantre royal, que ces étoiles si imperceptibles et si multipliées sont, cependant, connues de lui, comptées par lui, et appelées, chacune, par leur nom, le Seigneur a voulu nous inculquer cette leçon si douce: combien sa Providence est attentive, soigneuse, amoureuse autour des plus petits êtres, et que, nonobstant le nombre prodigieux de ces étoiles perdues en quelque sorte dans leur agglomération, il nest pas embarrassé pour reconnaître chacune, la nommer et en avoir soin. Leçon divine! qui trouve son achèvement dans lÉglise catholique. Là, en effet, la petitesse est devenue le vrai moyen damour entre lâme humaine et son Dieu. Plus on se fait petit, et plus on est aimé de lui; plus on se fait petit, et plus on est sûr de laimer. Sous cette persuasion, sest formée, dans le firmament de lÉglise, cette immense voie lactée composée de milliards de petites énergies damour: petits offices, petites vertus, petites croix. Petits offices: les hauts emplois sont dangereux, et souvent le coeur sy refroidit. Au contraire, dans un emploi rabaissé, dans un office humble et obscur, quelle sécurité! quelle paix! et surtout, lorsquon sy tient avec fidélité et persévérance, quel paradis où Dieu parle! quelles profondeurs de délices inénarrables! Petites vertus: elles sont ces vertus usuelles, dont lusage fréquent, quotidien, est commun à tous les états, à toutes les conditions de la vie: laffabilité, la condescendance, la simplicité, la mansuétude, la douceur dans le regard, dans les actions, dans les manières, dans les paroles. Lacte de ces vertus se fait en un clin dil, il est rapide comme le geste, comme la parole. Véritables nébuleuses, elles sont imperceptibles, tant elles sexercent en secret, dans lobscurité: mais quelle sérénité, quelle unité, quel calme semblable à celui dune nuit sereine, ne dénotent-elles pas dans la vie des familles et des communautés? Petites croix: lorgueil de la nature peut demander, rechercher, et même choisir et embrasser les croix visibles, éclatantes; mais de choisir et de bien joyeusement porter les croix petites et obscures, ce ne peut être que leffet dune grande grâce et dune grande fidélité à Dieu. À la moindre petite traverse qui arrive, dire: Dieu soit béni! mon Dieu, je vous remercie; puis cacher dans la mémoire de Dieu, où rien ne se perd, la croix que lon vient daccepter, et ne plus sen souvenir que pour répéter toujours: Merci, mon Dieu! cest un exercice de lâme qui dépasse en profit et en douceur tout ce quon peut exprimer. IV Profondeurs du firmament, et en parallèle, profondeurs de la miséricorde dans lÉglise; bandes pressées détoiles presque imperceptibles: bandes innombrables denfants de lumière presque inaperçues; providence de Dieu attentive à chacune de ces petites étoiles: complaisance particulière et infinie de Dieu pour les moindres petits témoignages damour de la part de ses enfants; voilà bien les diverses harmonies que nous avons constatées et contemplées entre luvre de la création sur nos têtes et loeuvre de la grâce au milieu de nous. Mais il en reste une dernière: Que signifie cette voie lactée dans le firmament? Et quy a-t-il en correspondance dans lÉglise de Dieu? Voie lactée: cest donc une voie, un chemin, et qui dit chemin dit implicitement terme, but à atteindre; ces étoiles sont en chemin, en route, elles vont à un but. Cest encore limportante leçon de ces brillantes voies lactées, mais leçon, hélas! bien peu comprise. Les hommes ne donnent pas une attention suffisante à la grande loi du terme, que tout, cependant, leur rappelle. Ainsi, qui comprend bien le sens de la carrière du soleil? Avec quelle pompe et avec quelle profusion de lumière il commence sa course; de quelle couleur il embellit la nature; de quelle magnificence il est lui-même revêtu en sélevant sur lhorizon, comme lépoux que le ciel et la terre attendent, et dont il fait les délices; cet astre, disent les Saintes Lettres, semblable à un époux qui sort de sa chambre nuptiale; mais elles ont bien soin dajouter: il part, plein dardeur, pour courir, comme un géant dans sa carrière; à la majesté et aux grâces dun époux, le soleil allie donc la course rapide dun géant qui songe moins à plaire quà porter partout la nouvelle de larrivée du Prince qui lenvoie. Pareille est la mission de ces traînées détoiles qui forment les voies lactées, et elles aussi sen acquittent fidèlement. Routes créées dans les champs de lazur, elles semblent dire à la terre: nous sommes en marche pour le terme, imitez-nous! Et en effet, dessinées dans le ciel en traînées prodigieuses, elles se suivent comme des hommes en marche. On croirait voir une grande armée entrer, par toutes les portes, dans une capitale pour une fête: la ville est remplie de soldats, pendant que dautres arrivent, et que lon voit encore au loin dans la campagne leurs lignes immenses! Mais le terme que toutes ces voies lactées rappellent, quel sera-t-il pour elles-mêmes? En supposant que, après lavoir rappelé, leurs feux viendraient à séteindre et sévanouiraient pour toujours, elles auraient amplement rempli leur mission. Mais lÉcriture dit: Le Seigneur a voulu régner: il sest revêtu de beauté, il sest enveloppé de forces et sest fait une ceinture. Il est remarquable que ces traînées détoiles, dans lazur des nuits sereines, se développent toutes en forme de ceintures. Lors donc que Celui dont le soleil, infatigable coureur, annonce quotidiennement la venue, apparaîtra et se découvrira dans sa beauté, qui empêche de croire que toutes ces bandes viendront former autour de Dieu et de son trône la merveilleuse ceinture annoncée? Je vais créer de nouveaux cieux et de nouvelles terres, a dit le Seigneur. Les étoiles ne seront pas oubliées dans ce renouvellement universel des mondes. Si la Sagesse, quand elle sest montrée créatrice, a fait, avec ces perles de lumière, des merveilles dans la voûte du firmament, que ne fera-t-elle pas, avec ces perles devenues, par le renouvellement, plus pures et plus éblouissantes, quand elle se montrera triomphatrice? Telle est la leçon du terme inscrite dans les voies lactées. Que trouvons-nous, maintenant, en correspondance dans lÉglise de Dieu? LÉglise est en marche vers le terme, vers le triomphe, elle est elle-même un chemin triomphal. Quel est lesprit initié aux choses de lÉglise qui na admiré ce transport prophétique, cette ode sublime de laigle des prophètes, dIsaïe, où lon dirait que la langue humaine a été insuffisante quand il la prononcée: Lève-toi, illumine-toi, Jérusalem, ta lumière savance, et la splendeur de Jéhovah se lève sur toi; Les ténèbres couvrent la terre, et lobscurité, les nations; mais Jéhovah paraît et sa gloire tillumine. Des Nations marcheront à ta lumière, et des rois, à la splendeur de ton lever. Lève les yeux, regarde de tous côtés: les peuples sassemblent, ils viennent à toi Les dromadaires de Madian et dEpha tinondent, ceux de Saba accourent; ils apportent lor et lencens. Tous publient les louanges de Jéhovah. Les troupeaux de Cédar sont rassemblés pour toi, les béliers de Nabaïoth sont employés à ton service; ils montent sur mon autel, victimes agréables, et je remplis de gloire la maison de ma majesté. Qui sont ceux-ci qui sont emportés en lair comme des nuées, et qui volent comme des colombes lorsquelles retournent à leurs colombiers? Car les îles mattendent, et il y a déjà longtemps que les vaisseaux sont prêts sur la mer pour faire venir tes enfants de loin Tes portes seront toujours ouvertes, ni jour ni nuit elles ne seront fermées, afin que te soient apportées les richesses des Nations Ils tappelleront la cité du Seigneur, la Sion du Saint dIsraël Parce que tu as été abandonnée et exposée à la haine, et quil ny avait personne qui passât jusquà toi, je tétablirai dans une gloire qui ne finira jamais, dans une joie qui durera dans la succession des âges Ton soleil ne se couchera plus, et la lune ne souffrira plus de diminution, parce que le Seigneur sera ton flambeau éternel, et que les jours de tes larmes seront finis. De cette sublime prophétie, il y a eu plusieurs accomplissements; car souvent les prophètes dIsraël apercevaient, de leurs regards inspirés, des horizons davenir successifs, où il y avait un premier plan et un arrière-plan, et, dans leurs prédictions et descriptions, ils passaient de lun à lautre (cest ce qui explique les magnificences, et aussi les difficultés de leurs prophéties). Cette prophétie, au point de vue littéral, na reçu quun accomplissement très imparfait; jamais, en effet, le peuple de Dieu na revu la splendeur du règne de Salomon, alors que la ville de Jérusalem, bâtie après le Temple, étincelait de portiques de marbre et de faîtes dor, et, attirant à elle ladmiration des peuples les plus lointains, regorgeait de la foule des étrangers et des longues files de dromadaires fléchissant sous le poids des pierres précieuses et des aromates; Au point de vue spirituel, elle sest accomplie exactement avec létablissement de la sainte Église catholique, nouvelle et plus admirable Jérusalem. Les peuples accourent à sa lumière; rois et sujets lui apportent leurs présents. À mesure que les siècles et les espaces se développent, quelles longues files denfants entrent dans son sein, les grandes nations, les petites peuplades, les îles: semblables à des nuées lumineuses ou à des colombes qui retournent à leurs colombiers! Elle na ni portes ni murailles, afin que son accès soit facile à tous. Et comblée de gloire au milieu même de ses épreuves, elle rayonne, enveloppée de lumière et comme centre de lumière, tandis que les ombres et les ténèbres descendent sur le reste du monde. Mais certaines expressions du prophète sont tellement magnifiques (ton soleil ne se couchera plus, ta lune ne souffrira plus de diminution), elles dépassent tellement tout événement terrestre, quil reste de la prophétie, un autre accomplissement: celui du terme ou de la Jérusalem des cieux. Or, cest à ce dernier accomplissement que, pieusement, sentrelace la vision des voies lactées. Ces chemins détoiles, jetés dans lazur des nuits sereines, me semblent le plus beau commentaire du cantique dIsaïe. Regardez attentivement ces groupes détoiles, ces traînées lumineuses et blanches qui se prolongent et se croisent dans le firmament, ne ressemblent-elles pas à autant de caravanes en marche, comme pour faire leur entrée dans la Jérusalem des cieux? Les dromadaires de Madian et dEpha tinondent, les caravanes de Saba accourent, apportant lor et lencens; longue file de dromadaires dans la Jérusalem de Salomon; longue file de peuples dans la Jérusalem de lÉglise; mais surtout longue file délus dans la Jérusalem des cieux: voies lactées du firmament, vous aurez symbolisé ces différentes caravanes! Lève-toi, illumine-toi, Jérusalem, ta lumière savance: céleste Jérusalem, ô patrie des cieux, oui, ta lumière savance. Chaque année, à un jour déterminé, à la fête de la Toussaint, lÉglise ne fait-elle pas avancer sur nos têtes et ne découvre-t-elle pas devant nos regards cette grande nuée de témoins dont parle saint Paul: la multitude de tous les saints, heureuses caravanes déjà arrivées, parvenues au terme, voie lactée par excellence, éblouissante de blancheur et dor, innombrable dans ses rangs pressés délus, vision fortifiante où se trouve réalisée la parole du Prophète: «Ton soleil, ô Jérusalem, ne se couchera plus, et ta lune ne souffrira plus de diminution, parce que le Seigneur sera ton flambeau éternel, et que les jours de tes larmes seront finis! V Dans cette nuée de témoins couronnés, entre toutes ces figures souriantes que lÉglise nous fait admirer et nous presse dimiter, il est une figure qui sest détachée des autres durant cette partie de notre travail consacré aux enfants de lumière; elle nous encourageait et semblait nous bénir: cest la jeune sainte Agnès: Tout le monde catholique connaît les particularités exquises de sa noble origine, de sa virginité et de son martyre à treize ans. LÉglise sest plu à lui consacrer deux fêtes. La seconde honore une apparition de lenfant de lumière à ses parents, au lendemain de son entrée dans la béatitude. Les Actes des saints racontent ce qui suit: |