La religion de combat par l’abbé Joseph Lémann

Livre Troisième

Chapitre Quatrième


Inutilité de l’assaut livré à l’œuvre de Dieu

- I. l’entreprise insensée des hommes de mal d’arracher de l’humanité les racines de l’oeuvre de Dieu. Énergique comparaison biblique qui se moque d’eux: le tas de pierres d’où l’on arrache une mauvaise herbe.
– II. Quatre côtés par lesquels l’œuvre de Dieu est indéracinable et brave tout assaut. Le firmament étoilé ne peut être escaladé. Les feux d’un camp militaire qui luit là-haut.
– III. La parole de Dieu est entourée de ces remparts inexpugnables: les pages de la Bible, les lèvres du prêtre, la garde austère du peuple juif.
– IV. La Croix est inabolissable d’une triple manière: par le Christ qu’elle porte, le texte des bras du nageur; par le bois qui la compose, tous les arbres des forêts prêts à lui fournir leur bois; par le chrétien qui la tient, geste de son corps qui forme la croix.
– V. L’Église est indestructible, à cause du mode d’architecture employé pour elle par le Galiléen. Parallèle et contraste avec la Synagogue, dont le mode d’architecture a rendu possible la ruine irrémédiable.
– VI. Conclusion: l’œuvre de Dieu a la configuration et la solidité de la pierre carrée.


I

Les fils de ténèbres ont engagé contre l’oeuvre catholique de Dieu une lutte à mort: voilà pourquoi cette lutte s’appelle de son vrai nom le radicalisme. «Cette lutte n’épargne rien, a dit Léon XIII; elle essaie d’ébranler et, s’il était possible, de détruire jusque dans ses fondements l’œuvre de Dieu.»

Il faut reconnaître que cette fois le génie du mal s’est posé en antagoniste franc, déclarant où il en veut venir. Radicalisme, en effet, signifie, selon l’énergie du mot, une entreprise dont le but est de parvenir jusqu’aux racines, radix, racine: rechercher l’œuvre de Dieu jusque dans ses racines, se saisir d’elle là, l’arracher et en débarrasser le monde.

Déraciner l’œuvre de Dieu, voilà, certes, un dessein qui surpasse en audace tous ceux qui l’ont précédé. Le Paganisme, au début, avait ramassé toutes ses forces pour l’empêcher de s’implanter dans le monde.

Ensuite les hérésies avaient fait l’impossible pour l’altérer, après qu’elle s’était implantée et avait grandi. Le Protestantisme s’était flatté de la couper en deux, en séparant, de l’Église, la moitié de l’Europe.

Mais le Radicalisme, lui, se montre plus décidé: ce sont les racines de la grande plante qu’il entreprend d’extirper. Il a raisonné juste, lorsqu’il a pensé que s’il réussit à les arracher, il emportera du coup tout ce que Dieu a planté, fait fleurir et épanouir dans le monde. Telle est l’entreprise radicale.

Les païens s’étaient opposés, Les hérésiarques avaient altéré, Les protestants s’étaient séparés, Les radicaux, en vrai fils de ténèbres, veulent arracher. La lutte est donc vraiment profonde, fondamentale, et, à voir les moyens formidables dont dispose la sinistre entreprise, on se demande avec inquiétude s’ils ne vont pas réussir. Ils le disent. Rassurons-nous. Le livre de Job contient cette comparaison: «L’impie est semblable à une herbe qui a quelque fraîcheur avant le lever du soleil. Ses racines se multiplient, dans un tas de pierres, et se développent au milieu des cailloux. Si on l’arrache de sa place, le lieu même où il était le renoncera, et lui dira: «Je ne t’ai point connu.»

Au jugement de M. de Chateaubriand, qui était bon connaisseur, cette comparaison est une des plus admirables et des plus saisissantes dont la Bible se soit servi; elle dépasse toutes celles d’Homère. Ce tas de pierres auquel est comparée la société des mauvais, ces cailloux qui prennent une voix pour renoncer l’impie, forment un tableau où l’on sent que l’Esprit-Saint se joue de ses adversaires. Vous avez résolu de poursuivre jusque dans ses racines l’œuvre de Dieu, insensés radicaux: votre projet ressemblera à quelque tas de pierres oublié dans un coin. Lorsque, vous-mêmes, vous aurez été, ainsi que des herbes, arrachés de votre place, les cailloux s’animeront pour vous renoncer et vous dire: «Nous ne vous avons point connus!» Mauvaise herbe arrachée d’entre les pierres, qui est-ce qui pense à toi? Les tiens, eux-mêmes, t’ont reniée!

II

En regard de ce tas de pierres oublié dans un coin, contemplons l’oeuvre catholique et imperturbable de Dieu. Qui ne s’est arrêté parfois devant la configuration d’une pierre de taille carrée? La pierre carrée est la pierre solide par excellence. Égale sur ses quatre faces, elle ne vacille pas, ne bouge pas là où elle est placée, nette et majestueuse. Elle exprime la construction fière et de durée. Aussi, quand l’ange de l’Apocalypse décrit à saint Jean la forme de la Jérusalem céleste, il lui dit qu’elle est bâtie en carré.

Bâtie en carré, en quadrature: telle m’a apparu également l’oeuvre de Dieu dans le monde. En effet, l’œuvre universelle ou catholique de Dieu présente quatre faces, quatre côtés par lesquels elle est solide, majestueuse, indéracinable, défiant le radicalisme. Les fils de ténèbres prétendent effacer jusqu’aux vestiges de la Divinité: eh bien, il y a quatre côtés dont ils ne viendront jamais à bout. Présentons-les successivement.

Le premier côté par lequel l’œuvre de Dieu défie tout assaut est le firmament. Le firmament! Les saints et les poètes l’ont célébré et chanté. Mais nul n’a égalé David. Le chantre royal et inspiré a prononcé cette strophe immortelle, – et tout regard qui s’est levé en haut, l’a répétée après lui:

Les cieux racontent la gloire de Dieu, Et le firmament publie les œuvres de ses mains. Le jour annonce au jour cette vérité, Et la nuit en donne connaissance à la nuit…

Les cieux racontent… le firmament publie… que c’est beau, que c’est vrai! Le firmament a une voix éloquente. Nuit et jour, il redit la gloire de son auteur; et quiconque regarde en haut – pourvu que le coeur soit pur – comprend et savoure les leçons de cette facile et brillante théologie. Eh bien, puisque l’impiété se flatte d’effacer du milieu des hommes tout ce qui publie Dieu, tout ce qui le raconte, qu’elle aille donc s’en prendre au firmament, qu’elle y aille! Car quelle intarissable éloquence dans la voûte céleste à l’égard du Roi des rois! quel inquiétant prédicateur que le firmament: nuit et jour il redit la gloire de son auteur! Fils de ténèbres, arrêtez cette voix, faites taire le firmament!

Ceux qui rêvent la destruction du saint Nom de Dieu sur la terre pourront, peut-être, étendre et prolonger la plus vaste conspiration qui se soit encore vue. Ils pourront fermer nos églises, disperser ou dépeupler nos écoles, interdire et brûler les livres qui parlent de Dieu et de Jésus-Christ. Ils pourront profaner tout ce qu’il y a de plus beau et de plus pur dans la création, de façon que les innocents et les petits, les anges de la terre – nos enfants – n’apprennent plus à connaître Dieu dans ses œuvres: ni dans les fleurs, ni dans les lumières, ni dans les parfums d’encens, parce que toutes ces créatures, toutes ces beautés qui racontent Dieu, chacune à sa manière, seront souillées par les hommes de mal qui les feront servir à de honteux usages, à de détestables orgies, et ces créatures, épouvantées, se tairont… Mais le firmament, lui, il parlera toujours, il racontera, sans pouvoir se taire, le nom et la gloire de son auteur! Hommes de mal, essayez donc d’atteindre la voûte céleste pour en détacher le chiffre de Dieu, une seule étoile… Le firmament sourit! Ainsi que son nom l’indique, firmamentum, il est imperturbable.

Au temps de la Terreur, un féroce conventionnel disait à un paysan vendéen: «Je détruirai vos clochers pour que vous ne voyiez plus rien qui vous rappelle vos vieilles superstitions.» – «Eh! lui répliqua avec son bon sourire le brave paysan, vous ne pourrez pas nous enlever nos étoiles et on les voit de plus loin.» Nos étoiles, qui nous appartiennent comme nos clochers nous appartiennent, qui luisent de loin pour nous instruire, vous ne pourrez pas nous les enlever: c’est sublime de fierté et de bon sens. Non, on ne pourra pas effacer cet alphabet brillant qui épelle Dieu au peuple. À travers les voiles du firmament, à l’heure où la nuit vient les broder d’étoiles, le cœur du peuple comprend Dieu, le trouve et l’adore! Une dernière pensée sur ce firmament, intarissable dans sa louange, imprenable par sa position:
La Bible se sert encore de cette expression superbe: Un camp militaire luit là-haut, qui jette une splendeur étincelante. Les étoiles forment le camp militaire, les feux de garde de Celui qui commande là-haut: quelle magnificence et quelle tranquillité dans cette pensée! Radicaux, francs-maçons, misérables antechrists de ce siècle, puisque vous avez projeté de nous enlever Dieu, commencez donc par éteindre les feux de garde qui l’environnent, les étoiles: tant que vous n’aurez pas forcé son camp militaire, le Dieu des armées ne pourra être votre prisonnier! Ô David, vous avez bien chanté: les cieux racontent la gloire de Dieu!

III

Le deuxième côté par lequel l’œuvre divine ici-bas est indestructible, indéracinable, est la parole de Dieu. La parole de Dieu, on le sait, se conserve dans la Bible: la sainte Bible, magnifique recueil de ce que Dieu a dit. Ce que Dieu a dit sous la Loi ancienne forme dans la Bible l’Ancien Testament; ce que Dieu a dit sous la Loi nouvelle forme le Nouveau Testament. L’Ancien et le Nouveau Testament, réunis par la main de l’Église comme par une agrafe d’or, constituent un seul livre, recueil unique de la parole de Dieu. Cette parole toujours vivante, non seulement a eu, mais aura encore et aura toujours, pour le monde, des résultats de vie, de lumière, de rajeunissement, de progrès; car Dieu a fait ce serment à propos de la Bible ou de sa parole: «Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas.» La parole de Dieu sera la chaleur et la vie du monde, jusqu’à la fin.

Mais les hommes de ténèbres de l’heure présente ne sont nullement convaincus de cette influence et de cette durée, à en juger par ce qui a été arrêté entre eux:

Naguère, en Allemagne, dans une réunion des loges les plus avancées de la Franc-Maçonnerie, un livre était étalé sur une table; ce livre n’avait que des feuillets blancs, avec cette inscription: Dieu! Que signifiait ce livre à feuillets blancs, avec l’inscription dérisoire: Dieu?

Il signifiait que, dans les projets des sectes, la notion de Dieu est destinée à tellement s’obscurcir, que toute trace de lui et de sa parole disparaîtra. Longtemps, la Franc-Maçonnerie avait bien consenti à se servir de la Bible falsifiée, arme de guerre du Protestantisme. Désormais, quand il sera question de Dieu et de sa parole, la réponse sera: un livre à feuillets blancs.

Or, leur projet réussira-t-il? Vers le déclin des siècles, la parole de Dieu va-t-elle diminuer comme un vent du soir qui tombe et s’évanouit? La Bible va-t-elle devenir des feuillets blancs? Eh non! Les impies, eux, deviendront des feuilles mortes, mais jamais la Bible ne deviendra des feuillets blancs.

Quoi! ils ont la naïveté de croire et d’espérer que la Bible, et particulièrement l’Évangile, pourrait, si leur conspiration est bien menée, s’effacer, disparaître! Mais c’est impossible. Pour trois raisons: Première raison. – Depuis qu’il a été dit: L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, l’Évangile est devenu tellement la nourriture de l’humanité, mais tellement, que les épis pourraient manquer à nos champs avant que nos cœurs manquent à l’Évangile! Nous ne nous séparerons jamais de lui. On connaît l’attachement des premiers chrétiens à ces feuillets sacrés: Lorsque l’archéologie, science du passé, descendant dans les cimetières de l’antiquité chrétienne, a ouvert respectueusement les tombeaux, plus d’une fois elle s’est arrêtée émue devant le tombeau qu’elle venait d’ouvrir: sur la poitrine de celui ou de celle qui dormait, il y avait l’Évangile. Nous avons hérité de cet attachement de nos ancêtres à la parole de Dieu. Le nôtre, à l’occasion, ne serait ni moins vif ni moins vainqueur, toutefois avec une différence. La voici, cette différence: Si à l’aurore du christianisme, durant les siècles de persécution, la première retraite de sûreté pour l’Évangile a dû être les tombeaux, après dix-neuf siècles de services éclatants du christianisme, la persécution repaissant, la retraite de sûreté pour l’Évangile ne serait plus les tombeaux; elle serait nos poitrines vivantes, avec ce cri qui en sortirait: Vive la liberté de l’Évangile, puisque la liberté est fille de l’Évangile!

Deuxième raison. – La parole de Dieu a pour premier siège d’honneur et pour rempart les pages de la Bible; mais elle a encore comme siège d’honneur et rempart les lèvres du prêtre. Tout le monde ne peut pas lire la Bible. On a dit justement et magnifiquement: Le poids de gloire de ce livre est trop pesant pour bien des âmes.

Qu’a donc décidé Notre-Seigneur Jésus-Christ?

Celui qui vous écoute, m’écoute, a-t-il déclaré à ses ministres. D’après cette disposition, une phrase, un mot des Écritures, commenté par une bouche sacerdotale, est suffisant pour que ce soit encore la parole de Dieu: le Roi des rois fait cet honneur aux lèvres de l’homme consacré de s’en servir pour sa propre parole. Mais aussi il s’en suivra cette sublime réciprocité que, après les pages indestructibles de la Bible, la parole de Dieu aura encore pour rempart les lèvres du prêtre. L’airain de ses lèvres! nulle force n’a jamais été capable d’en venir à bout. Tandis que, des appartements de son superbe palais d’or, Néron lançait les premiers décrets de proscription contre les chrétiens, dans les souterrains mêmes du palais, les apôtres Pierre et Paul prêchaient paisiblement l’Évangile. Enfermé, peu après, dans un cachot, saint Paul prêchait encore à son geôlier, et gravait sur les parois de sa prison ces mots devenus célèbres: «Verbum Dei non est alligatum, la parole de Dieu n’est pas liée…. Moi Paul, je suis lié, mais la parole de Dieu ne l’est pas!» Et depuis lors, toutes les fois qu’un persécuteur a demandé en face à un évêque, à un apôtre, à des lèvres sacerdotales, de ne plus prêcher l’Évangile, sait-on ce qu’on lui a répondu: «Perdez, perdez l’espoir de nous faire taire, il n’est pas plus facile d’enchaîner la parole d’un évêque que d’enchaîner un rayon de soleil.» C’est la réponse de saint Basile, évêque de Césarée, à l’empereur Valens. Il ne s’est jamais rencontré quelqu’un d’assez fou pour tenter d’enchaîner un rayon de soleil. On ne réussirait pas mieux a enchaîner la parole de vérité. Troisième raison. – Faisons une supposition, allons au pire. Des mesures de coercition et de terreur inconnues jusqu’ici ont été prises: tous les prêtres ont été obligés de faire silence, toutes les lèvres sacerdotales sont fermées. La parole de Dieu a-t-elle cédé et disparu, la Bible est-elle devenue les feuillets blancs?

Eh non! encore; eh non! toujours: parce que, dans ses mesures de proscription, le Radicalisme a oublié un gardien de la Bible et de la parole de Dieu, gardien austère et formidable: il a oublié le vieux peuple de la Judée.

Sait-on bien pourquoi ce peuple subsiste malgré l’épouvantable forfait du Golgotha, se conserve opiniâtrement, et ira jusqu’à la consommation finale, pourquoi? Parce qu’il a été constitué porteur des Écritures. À ce peuple, déclare Paul, ont été confiés les entretiens sortis de la bouche de Dieu. Un Père de l’Église disait éloquemment des juifs: Ce sont les notaires de Dieu, entre leurs mains se trouve le dépôt des Écritures. Un autre docteur, faisant allusion à leur incrédulité, complétait la pensée précédente par cette pittoresque figure: Ils sont les pupitres sur lesquels nous lisons les Livres saints et l’accomplissement des Prophéties. Dans leur soin jaloux des Écritures, afin que personne n’y pût toucher, ces gardiens sont allés jusqu’à compter toutes les lettres de la Bible, et, ce qui est plus fort comme calcul, jusqu’à compter combien de fois la même lettre se trouve répétée dans toute l’étendue de la Bible, combien de fois telle lettre, combien de fois telle autre, conservateurs du dépôt jusqu’à un iota. – Eh bien donc, pour en revenir à ma supposition lugubre et pessimiste, toutes les lèvres sacerdotales sont fermées, la Terreur a fait disparaître les prêtres, un silence de mort a pris possession des églises, la parole de Dieu a vécu, c’est le triomphe, ce semble, de la franc-maçonnerie et des feuillets blancs. Attendez, attendez un peu… Voici qu’un peuple tout entier se lève, et se dresse, pour défendre les Écritures, avec la colère du lion de Juda. «Nous ne sommes plus avec vous,» diront tout à coup les fils d’Israël désabusés aux destructeurs sauvages de la parole de Dieu. – «Pourquoi?» leur demande le Radicalisme irrité. – «Parce que Dieu a parlé à nos pères, ils l’ont entendu au Sinaï, et l’écho de sa parole est resté dans notre tête dure, et dans nos mains sanglantes, mais gardiennes!» Sept millions de fils d’Israël, la main posée sur le dépôt des Écritures, montant la garde autour de leurs parchemins bibliques, sept millions: ils forment la réserve du Dieu des armées!…

Ô ennemis de Dieu, votre force est celle des enfants. Vous n’êtes que le brin de paille, jouet des vents, à côté de la pyramide imperturbable. Disparaissez, vous êtes des feuilles mortes, et la Bible ne disparaît pas. Non, non, elle ne deviendra jamais les feuillets blancs!

IV

L’oeuvre catholique de Dieu est donc déjà deux fois indestructible, indéracinable, par deux côtés le firmament et la parole de Dieu ou la Bible. Elle l’est également par un troisième côté: La Croix du Rédempteur.

La Croix! Elle aussi, la haine maçonnique l’a condamnée à disparaître du monde. Le signal en a été donné, lorsqu’en janvier 1874, dans l’endroit le plus vénérable après le Calvaire, au Colisée de Rome – en cet endroit où un million de martyrs, noblesse de toutes les nations, étaient tombés pour la cause de Dieu – l’antique croix de bois qui était là, ombrageant depuis des siècles cette terre sainte, fut abattue, et le chemin de croix qui s’y faisait tous les vendredis, officiellement défendu, et aboli. Cette nouvelle fut accueillie par un douloureux frémissement des âmes chrétiennes, et parut un triste présage de nouveaux attentats. Depuis lors, en effet, sur les grandes routes, la croix a été souvent profanée, sans que l’autorité civile se soit beaucoup inquiétée de ces profanations. Et maintenant, la secte maçonnique en est venue à ce degré d’audace et de puissance qu’elle exige que des murailles des écoles, des prétoires de la justice, des hôpitaux, des établissements de l’État, le crucifix soit partout descendu: il faut absolument, dit-elle, que ce bois odieux soit oublié, avec Celui qu’il présente au monde. La croix a donc été condamnée, et va-t-elle disparaître?

Pas plus que la voûte du firmament et la parole de Dieu. En effet:

On peut considérer, dans le crucifix, trois choses: le Christ qui y est étendu, le bois qui le porte, le chrétien qui le tient; Sous ce triple aspect, le crucifix est indestructible, inabolissable. Le Christ qui y est étendu défie tous les efforts. Il y a, dans le prophète Isaïe, un texte fort beau, le texte du nageur; il contient cette déclaration: «La puissance du Seigneur se reposera sur cette montagne… Il étendra ses mains contre Moab, comme un homme qui les étend pour nager. Il déploiera toute la force de son bras pour briser son orgueil.»

Voici l’interprétation: Cette montagne, sur laquelle se reposera à jamais la puissance du Seigneur, c’est le Calvaire. De là, le Christ étend ses mains et déploie ses bras, comme fait le nageur: et contre la force de ces mains et de ces bras, le courant d’orgueil, qui se précipite de Moab, vient se briser. Moab est nommé par le prophète pour désigner tous les ennemis du Christ.

Tu as comploté de déraciner et d’emporter la croix, courant d’orgueil du xixe siècle, torrent débordé et furieux: ta fureur est vaine, le nageur est plus fort que toi. Vois donc: ses bras étendus ont tenu contre le mugissement de toutes les passions et de toutes les tempêtes, ils ne se sont jamais repliés! Indestructible par son Christ, la croix ne l’est pas moins dans le bois qui la compose. Chose admirable, de tous les objets matériels de ce monde, la croix est celui qui s’exécute et se façonne le plus rapidement, sans difficulté aucune. Deux morceaux de bois placés en travers l’un de l’autre, et la croix est faite! Un prêtre la bénit, et l’on peut se prosterner devant le signe d’amour du Rédempteur. Vous avez décrété que la croix disparaîtrait, ô fils de ténèbres: tous les arbres des forêts sont debout contre votre décret; à l’envi, ils tendent et tendront leurs branches, pour remplacer et multiplier les croix partout où vous les abattrez!

Le chrétien qui la tient en mains et la presse contre son cœur contribue aussi à la rendre indestructible. On se flatte de la lui enlever et de la retrancher de ses usages mais c’est impossible, c’est absurde: car l’homme, quand il étend ses bras, est lui-même une croix. Cette remarque sublime est du curé d’Ars: Notre créateur nous a façonnés en croix. L’homme n’a qu’à étendre ses bras, et la croix apparaît. Voici des chrétiens qui, sous le coup d’une persécution, se sont jetés à genoux, ils ont étendu leurs bras pour supplier le ciel de ne pas les abandonner et de venir à leur secours; regardez ces bras étendus, ô persécuteurs: dans ce geste de supplication, la croix apparaît! Vous ne la déracinez donc pas, vous ne l’ébranlez pas; bien au contraire, vous la consolidez. Un juste qui souffre pour la justice rappelle le Calvaire et maintient la croix. Et ainsi, sous le triple aspect du Christ, du bois, du chrétien, par toutes ces racines, l’arbre de la Rédemption se maintient debout, fixe, majestueux. Les vieilles chroniques rapportent que, dans les armoiries des Chartreux, au-dessus d’un globe surmonté d’une croix, se lisait cette fière et calme inscription: Stat Crux dum volvitur orbis, la croix demeure pendant que le monde tourne. Que c’est vrai! la croix demeure alors que, tout ce qui est vivant respire un instant et s’évanouit. Une génération naît, passe devant la croix, et disparaît. La croix sourit à ceux qui l’adorent, elle plaint ceux qui la blasphèment. À l’heure du réveil général, elle dominera toutes les générations rassemblées.

V

Enfin, l’oeuvre de Dieu est indestructible par un quatrième côté: l’Église catholique. Sublime synthèse, l’Église catholique récapitule et embrasse toute l’œuvre de Dieu. Elle est le firmament de la société. Elle est dépositaire et organe de la parole de Dieu. Elle tient la croix. Et de plus, elle est l’Église, cité de Dieu. La haine maçonnique a commandé à tous ses bataillons l’assaut de cette divine cité. L’assaut est public, général, habilement mené, vigoureux. La haine espère bien prouver victorieusement, cette fois, que le Galiléen s’est beaucoup trop avancé quand il affirmait de l’Église, au moment où il la fondait, que les portes de l’enfer ne prévaudraient jamais contre elle. Nous prévalons! s’écrie déjà, avec une joie sauvage, la haine: nous prévalons!

Rassurons-nous, enfants de l’Église: le Galiléen est un architecte qu’on ne peut pas prendre en défaut.

Un parallèle va faire comprendre et admirer son procédé d’architecture. Lorsque, dans une réflexion approfondie, on recherche ce qui est cause que la Synagogue juive a pu être détruite, et ce qui est cause que l’Église catholique ne peut pas l’être, on aboutit à ce point capital: une différence essentielle dans les deux modes d’architecture de la Synagogue et de l’Église.

La Synagogue juive avait un centre matériel indispensable qui était le temple de Jérusalem. Le Temple, je le répète, centre matériel, était indispensable à la Synagogue. Jéhovah en avait fait la condition de durée de la religion juive, tellement que le Temple venant à disparaître, forcément la Synagogue croulerait. On raconte que, lorsque les légions de Titus eurent mis le feu à ce somptueux édifice, il s’éleva de la colline de Sion, d’où un grand nombre de juifs agglomérés apercevaient l’incendie, une clameur de consternation telle, que le vent qui soufflait dans la direction du Jourdain en apporta les échos jusque dans le voisinage de la mer Morte. Cet immense cri de consternation était significatif, on avait conscience qu’avec la ruine du Temple, c’était la fin de la Synagogue. Depuis lors, en effet, il y a bien, de par le monde, les restes du peuple juif et des édifices dénommés synagogues, mais la Synagogue officielle n’existe plus. Les destinées de l’Église sont complètement différentes, elle ne saurait ni crouler, ni disparaître. Pourquoi? d’abord, parce que Dieu l’a promis, et ensuite, parce qu’en rapport, précisément, avec cette promesse, l’architecture dont Jésus-Christ s’est servi à l’égard de l’Église catholique est une architecture, avant tout, spirituelle: l’Église catholique n’a ni portes, ni murailles, à la grande différence de la Synagogue dont l’existence était liée aux murailles de son Temple. On objectera: mais les églises catholiques ont bien des murailles? – Oui, sans doute, les églises ou temples catholiques ont des murailles, les cathédrales ont des murailles, Saint-Pierre de Rome a des murailles, et néanmoins la grande Église catholique n’en a pas. Cela vient de ce que sa constitution étant, avant tout, spirituelle, elle use de la pierre, de la chaux, du bois, du marbre, et des autres choses du temps, mais sans en dépendre: tandis que la Synagogue en dépendait. Que s’ensuit-il? Cette splendide et irréfutable conséquence: que l’Église catholique défie les persécuteurs. Qu’ils aillent donc en effet détruire une construction, une architecture, qui est, avant tout, spirituelle? Mais c’est impossible! Ils peuvent abattre des églises, mais ils ne pourront abattre l’Église catholique, elle n’a pas de murailles! Ils peuvent poser leurs scellés sur des portes de chapelles ou de cathédrales, mais ils ne pourront poser les scellés sur l’Église catholique, elle n’a pas de portes! Les apologistes contemporains ont cité bien des fois cette comparaison célèbre qui se trouve aux premières pages du livre de l’Indifférence en matière de religion. «Un Arabe vagabond arrive, sur le soir, devant les antiques monuments de l’Égypte. Il plante, à l’abri de leur masse immobile, la tente qu’il enlèvera le matin. Il essaie de détacher en passant quelques pierres, et bientôt fatigué d’un travail sans fruit, il s’enfonce et disparaît dans des solitudes inconnues.» C’est une comparaison magnifique une des plus belles, sans contredit, qu’on ait employées pour exprimer la solidité de l’Église catholique. Je n’hésite pas, toutefois, à faire remarquer qu’elle est défectueuse, parce qu’elle s’appuie sur ce qui est matériel. En effet, au bout de cinquante mille ou de cent mille ans, si le monde devait durer ce nombre de siècles, les pyramides auraient certainement souffert, ou du temps, ou des révolutions, ou de la dynamite, ou des tremblements de terre: mais l’Église catholique, elle, n’aurait nullement souffert, ni du temps, ni des révolutions, ni de la dynamite, ni des tremblements de terre, ni de rien, parce que sa constitution étant, avant tout, essentiellement spirituelle, elle domine tout, et ne craint rien! Voici, cependant, que les francs-maçons persécuteurs commencent à dire bien haut que, cette fois, les portes de l’Enfer prévaudront. L’Enfer vous a trompés, malheureux! Le Galiléen est un architecte qu’on ne peut pas prendre en défaut. N’a-t-il pas annoncé qu’il ne resterait pas pierre sur pierre de notre Temple? et il n’en reste pas pierre sur pierre! N’a-t-il pas annoncé que, contre l’Église qu’il fondait, les portes de l’Enfer seraient impuissantes à prévaloir: et il y a dix-neuf siècles que la mystique architecture se montre irréprochable, supérieure à toutes les ruses, à tous les assauts, à toutes les violences, à toutes les tempêtes!

VI

Résumé et conclusion: L’œuvre universelle et catholique de Dieu est indestructible par quatre côtés: Indestructible par le côté du firmament, Indestructible par le côté de la Bible ou de la parole de Dieu, Indestructible par le côté de la Croix, Indestructible par le côté de l’Église. Le firmament proclame le Dieu créateur; La Bible proclame le Fils de Dieu promis et devenu fils de l’homme; La Croix proclame le Dieu rédempteur: L’Église proclame le Dieu conquérant et triomphateur. Indestructible par ces quatre côtés égaux en splendeur et en force éblouissantes, l’oeuvre universelle et catholique de Dieu a vraiment la configuration et la solidité majestueuse de la pierre carrée: la cité de Dieu est bâtie en carré. Soyons tranquilles: dans la voûte étoilée, dans les feuillets de la Bible, dans les bras de la croix, dans l’architecture de l’Élise, resplendit la définition calme et fière que l’Éternel a donnée de lui-même: Je suis Celui qui suis. Je suis, je ne change pas; tout le reste change, mais pas moi; je suis Celui qui suis ! Il faut donc en prendre votre parti, ô fils de ténèbres; vous n’effacez rien des vestiges de Dieu, vos complots et vos coups sont inutiles.

La cité de Dieu est bâtie en carré. Cette parole dite à saint Jean par un ange, nous avons cherché, en balbutiant, à la commenter par rapport à l’oeuvre de Dieu dans le temps. Mais l’ange l’a surtout prononcée par rapport à l’œuvre de Dieu dans l’éternité. Saint-Jean raconte: L’ange me transporta en esprit sur une grande et vaste montagne; et il me montra la ville, la sainte Jérusalem qui descendait du ciel, venant de Dieu; Illuminée de la clarté de Dieu et la lumière qui l’éclairait était semblable à une pierre précieuse; à une pierre de jaspe transparente comme du cristal… Les douze portes étaient douze perles, et chaque porte était faite de l’une de ces perles, et la place de la ville était d’un or pur comme du verre transparent. Or la ville est bâtie en carré, et elle est aussi longue que large. La cité éternelle est comparée à un carré parfait, parce que le carré est le symbole de la perfection, et parce que la pierre carrée a cet avantage qu’elle ne tombe jamais, de quelque côté qu’on la retourne: n’ayant rien d’oblique, rien de vacillant, elle se tient et retient tout ce qu’elle porte dans une unité vivante et majestueuse. Avancée, déjà, là-haut, dans ses exactes proportions, la cité éternelle achève de se construire ici-bas. La terre lui envoie les pierres vivantes qui entrent dans la structure. Tout sert à la taille de ces pierres, et particulièrement les coups des méchants. Leur rôle se borne à celui des tailleurs de pierres. Lorsqu’à la fin des siècles, l’œuvre divine étant achevée se découvrira, et apparaîtra étincelante, comme ces perles et pierres précieuses que saint Jean a entrevues; étincelante, grâce, précisément, aux coups et aux invectives des persécuteurs: une immense clameur se soulèvera des rangs du mal, cette clameur «Erravimus, nous nous sommes trompés!» Dans tous nos complots, dans toutes nos entreprises, d’un bout des siècles à l’autre, nous nous sommes trompés! Ce sera le cri de la déception éternelle. Malheureux! vous vous épuisez à préparer et à polir les matériaux de la cité des Cieux et ne voulez pas y entrer!

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