La religion de combat par labbé Joseph Lémann Livre Troisième Chapitre Quatrième
- I. l’entreprise insensée des hommes de mal d’arracher de l’humanité les racines de l’oeuvre de Dieu. Énergique comparaison biblique qui se moque d’eux: le tas de pierres d’où l’on arrache une mauvaise herbe. I Les fils de ténèbres ont engagé contre loeuvre catholique de Dieu une lutte à mort: voilà pourquoi cette lutte sappelle de son vrai nom le radicalisme. «Cette lutte népargne rien, a dit Léon XIII; elle essaie débranler et, sil était possible, de détruire jusque dans ses fondements luvre de Dieu.» Il faut reconnaître que cette fois le génie du mal sest posé en antagoniste franc, déclarant où il en veut venir. Radicalisme, en effet, signifie, selon lénergie du mot, une entreprise dont le but est de parvenir jusquaux racines, radix, racine: rechercher luvre de Dieu jusque dans ses racines, se saisir delle là, larracher et en débarrasser le monde. Déraciner luvre de Dieu, voilà, certes, un dessein qui surpasse en audace tous ceux qui lont précédé. Le Paganisme, au début, avait ramassé toutes ses forces pour lempêcher de simplanter dans le monde. Ensuite les hérésies avaient fait limpossible pour laltérer, après quelle sétait implantée et avait grandi. Le Protestantisme sétait flatté de la couper en deux, en séparant, de lÉglise, la moitié de lEurope. Mais le Radicalisme, lui, se montre plus décidé: ce sont les racines de la grande plante quil entreprend dextirper. Il a raisonné juste, lorsquil a pensé que sil réussit à les arracher, il emportera du coup tout ce que Dieu a planté, fait fleurir et épanouir dans le monde. Telle est lentreprise radicale. Les païens sétaient opposés, Les hérésiarques avaient altéré, Les protestants sétaient séparés, Les radicaux, en vrai fils de ténèbres, veulent arracher. La lutte est donc vraiment profonde, fondamentale, et, à voir les moyens formidables dont dispose la sinistre entreprise, on se demande avec inquiétude sils ne vont pas réussir. Ils le disent. Rassurons-nous. Le livre de Job contient cette comparaison: «Limpie est semblable à une herbe qui a quelque fraîcheur avant le lever du soleil. Ses racines se multiplient, dans un tas de pierres, et se développent au milieu des cailloux. Si on larrache de sa place, le lieu même où il était le renoncera, et lui dira: «Je ne tai point connu.» Au jugement de M. de Chateaubriand, qui était bon connaisseur, cette comparaison est une des plus admirables et des plus saisissantes dont la Bible se soit servi; elle dépasse toutes celles dHomère. Ce tas de pierres auquel est comparée la société des mauvais, ces cailloux qui prennent une voix pour renoncer limpie, forment un tableau où lon sent que lEsprit-Saint se joue de ses adversaires. Vous avez résolu de poursuivre jusque dans ses racines luvre de Dieu, insensés radicaux: votre projet ressemblera à quelque tas de pierres oublié dans un coin. Lorsque, vous-mêmes, vous aurez été, ainsi que des herbes, arrachés de votre place, les cailloux sanimeront pour vous renoncer et vous dire: «Nous ne vous avons point connus!» Mauvaise herbe arrachée dentre les pierres, qui est-ce qui pense à toi? Les tiens, eux-mêmes, tont reniée! II En regard de ce tas de pierres oublié dans un coin, contemplons loeuvre catholique et imperturbable de Dieu. Qui ne sest arrêté parfois devant la configuration dune pierre de taille carrée? La pierre carrée est la pierre solide par excellence. Égale sur ses quatre faces, elle ne vacille pas, ne bouge pas là où elle est placée, nette et majestueuse. Elle exprime la construction fière et de durée. Aussi, quand lange de lApocalypse décrit à saint Jean la forme de la Jérusalem céleste, il lui dit quelle est bâtie en carré. Bâtie en carré, en quadrature: telle ma apparu également loeuvre de Dieu dans le monde. En effet, luvre universelle ou catholique de Dieu présente quatre faces, quatre côtés par lesquels elle est solide, majestueuse, indéracinable, défiant le radicalisme. Les fils de ténèbres prétendent effacer jusquaux vestiges de la Divinité: eh bien, il y a quatre côtés dont ils ne viendront jamais à bout. Présentons-les successivement. Le premier côté par lequel luvre de Dieu défie tout assaut est le firmament. Le firmament! Les saints et les poètes lont célébré et chanté. Mais nul na égalé David. Le chantre royal et inspiré a prononcé cette strophe immortelle, et tout regard qui sest levé en haut, la répétée après lui: Les cieux racontent la gloire de Dieu, Et le firmament publie les uvres de ses mains. Le jour annonce au jour cette vérité, Et la nuit en donne connaissance à la nuit Les cieux racontent le firmament publie que cest beau, que cest vrai! Le firmament a une voix éloquente. Nuit et jour, il redit la gloire de son auteur; et quiconque regarde en haut pourvu que le coeur soit pur comprend et savoure les leçons de cette facile et brillante théologie. Eh bien, puisque limpiété se flatte deffacer du milieu des hommes tout ce qui publie Dieu, tout ce qui le raconte, quelle aille donc sen prendre au firmament, quelle y aille! Car quelle intarissable éloquence dans la voûte céleste à légard du Roi des rois! quel inquiétant prédicateur que le firmament: nuit et jour il redit la gloire de son auteur! Fils de ténèbres, arrêtez cette voix, faites taire le firmament! Ceux qui rêvent la destruction du saint Nom de Dieu sur la terre pourront, peut-être, étendre et prolonger la plus vaste conspiration qui se soit encore vue. Ils pourront fermer nos églises, disperser ou dépeupler nos écoles, interdire et brûler les livres qui parlent de Dieu et de Jésus-Christ. Ils pourront profaner tout ce quil y a de plus beau et de plus pur dans la création, de façon que les innocents et les petits, les anges de la terre nos enfants napprennent plus à connaître Dieu dans ses uvres: ni dans les fleurs, ni dans les lumières, ni dans les parfums dencens, parce que toutes ces créatures, toutes ces beautés qui racontent Dieu, chacune à sa manière, seront souillées par les hommes de mal qui les feront servir à de honteux usages, à de détestables orgies, et ces créatures, épouvantées, se tairont Mais le firmament, lui, il parlera toujours, il racontera, sans pouvoir se taire, le nom et la gloire de son auteur! Hommes de mal, essayez donc datteindre la voûte céleste pour en détacher le chiffre de Dieu, une seule étoile Le firmament sourit! Ainsi que son nom lindique, firmamentum, il est imperturbable. Au temps de la Terreur, un féroce conventionnel disait à un paysan vendéen: «Je détruirai vos clochers pour que vous ne voyiez plus rien qui vous rappelle vos vieilles superstitions.» «Eh! lui répliqua avec son bon sourire le brave paysan, vous ne pourrez pas nous enlever nos étoiles et on les voit de plus loin.» Nos étoiles, qui nous appartiennent comme nos clochers nous appartiennent, qui luisent de loin pour nous instruire, vous ne pourrez pas nous les enlever: cest sublime de fierté et de bon sens. Non, on ne pourra pas effacer cet alphabet brillant qui épelle Dieu au peuple. À travers les voiles du firmament, à lheure où la nuit vient les broder détoiles, le cur du peuple comprend Dieu, le trouve et ladore! Une dernière pensée sur ce firmament, intarissable dans sa louange, imprenable par sa position: III Le deuxième côté par lequel luvre divine ici-bas est indestructible, indéracinable, est la parole de Dieu. La parole de Dieu, on le sait, se conserve dans la Bible: la sainte Bible, magnifique recueil de ce que Dieu a dit. Ce que Dieu a dit sous la Loi ancienne forme dans la Bible lAncien Testament; ce que Dieu a dit sous la Loi nouvelle forme le Nouveau Testament. LAncien et le Nouveau Testament, réunis par la main de lÉglise comme par une agrafe dor, constituent un seul livre, recueil unique de la parole de Dieu. Cette parole toujours vivante, non seulement a eu, mais aura encore et aura toujours, pour le monde, des résultats de vie, de lumière, de rajeunissement, de progrès; car Dieu a fait ce serment à propos de la Bible ou de sa parole: «Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas.» La parole de Dieu sera la chaleur et la vie du monde, jusquà la fin. Mais les hommes de ténèbres de lheure présente ne sont nullement convaincus de cette influence et de cette durée, à en juger par ce qui a été arrêté entre eux: Naguère, en Allemagne, dans une réunion des loges les plus avancées de la Franc-Maçonnerie, un livre était étalé sur une table; ce livre navait que des feuillets blancs, avec cette inscription: Dieu! Que signifiait ce livre à feuillets blancs, avec linscription dérisoire: Dieu? Il signifiait que, dans les projets des sectes, la notion de Dieu est destinée à tellement sobscurcir, que toute trace de lui et de sa parole disparaîtra. Longtemps, la Franc-Maçonnerie avait bien consenti à se servir de la Bible falsifiée, arme de guerre du Protestantisme. Désormais, quand il sera question de Dieu et de sa parole, la réponse sera: un livre à feuillets blancs. Or, leur projet réussira-t-il? Vers le déclin des siècles, la parole de Dieu va-t-elle diminuer comme un vent du soir qui tombe et sévanouit? La Bible va-t-elle devenir des feuillets blancs? Eh non! Les impies, eux, deviendront des feuilles mortes, mais jamais la Bible ne deviendra des feuillets blancs. Quoi! ils ont la naïveté de croire et despérer que la Bible, et particulièrement lÉvangile, pourrait, si leur conspiration est bien menée, seffacer, disparaître! Mais cest impossible. Pour trois raisons: Première raison. Depuis quil a été dit: Lhomme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, lÉvangile est devenu tellement la nourriture de lhumanité, mais tellement, que les épis pourraient manquer à nos champs avant que nos curs manquent à lÉvangile! Nous ne nous séparerons jamais de lui. On connaît lattachement des premiers chrétiens à ces feuillets sacrés: Lorsque larchéologie, science du passé, descendant dans les cimetières de lantiquité chrétienne, a ouvert respectueusement les tombeaux, plus dune fois elle sest arrêtée émue devant le tombeau quelle venait douvrir: sur la poitrine de celui ou de celle qui dormait, il y avait lÉvangile. Nous avons hérité de cet attachement de nos ancêtres à la parole de Dieu. Le nôtre, à loccasion, ne serait ni moins vif ni moins vainqueur, toutefois avec une différence. La voici, cette différence: Si à laurore du christianisme, durant les siècles de persécution, la première retraite de sûreté pour lÉvangile a dû être les tombeaux, après dix-neuf siècles de services éclatants du christianisme, la persécution repaissant, la retraite de sûreté pour lÉvangile ne serait plus les tombeaux; elle serait nos poitrines vivantes, avec ce cri qui en sortirait: Vive la liberté de lÉvangile, puisque la liberté est fille de lÉvangile! Deuxième raison. La parole de Dieu a pour premier siège dhonneur et pour rempart les pages de la Bible; mais elle a encore comme siège dhonneur et rempart les lèvres du prêtre. Tout le monde ne peut pas lire la Bible. On a dit justement et magnifiquement: Le poids de gloire de ce livre est trop pesant pour bien des âmes. Qua donc décidé Notre-Seigneur Jésus-Christ? Celui qui vous écoute, mécoute, a-t-il déclaré à ses ministres. Daprès cette disposition, une phrase, un mot des Écritures, commenté par une bouche sacerdotale, est suffisant pour que ce soit encore la parole de Dieu: le Roi des rois fait cet honneur aux lèvres de lhomme consacré de sen servir pour sa propre parole. Mais aussi il sen suivra cette sublime réciprocité que, après les pages indestructibles de la Bible, la parole de Dieu aura encore pour rempart les lèvres du prêtre. Lairain de ses lèvres! nulle force na jamais été capable den venir à bout. Tandis que, des appartements de son superbe palais dor, Néron lançait les premiers décrets de proscription contre les chrétiens, dans les souterrains mêmes du palais, les apôtres Pierre et Paul prêchaient paisiblement lÉvangile. Enfermé, peu après, dans un cachot, saint Paul prêchait encore à son geôlier, et gravait sur les parois de sa prison ces mots devenus célèbres: «Verbum Dei non est alligatum, la parole de Dieu nest pas liée . Moi Paul, je suis lié, mais la parole de Dieu ne lest pas!» Et depuis lors, toutes les fois quun persécuteur a demandé en face à un évêque, à un apôtre, à des lèvres sacerdotales, de ne plus prêcher lÉvangile, sait-on ce quon lui a répondu: «Perdez, perdez lespoir de nous faire taire, il nest pas plus facile denchaîner la parole dun évêque que denchaîner un rayon de soleil.» Cest la réponse de saint Basile, évêque de Césarée, à lempereur Valens. Il ne sest jamais rencontré quelquun dassez fou pour tenter denchaîner un rayon de soleil. On ne réussirait pas mieux a enchaîner la parole de vérité. Troisième raison. Faisons une supposition, allons au pire. Des mesures de coercition et de terreur inconnues jusquici ont été prises: tous les prêtres ont été obligés de faire silence, toutes les lèvres sacerdotales sont fermées. La parole de Dieu a-t-elle cédé et disparu, la Bible est-elle devenue les feuillets blancs? Eh non! encore; eh non! toujours: parce que, dans ses mesures de proscription, le Radicalisme a oublié un gardien de la Bible et de la parole de Dieu, gardien austère et formidable: il a oublié le vieux peuple de la Judée. Sait-on bien pourquoi ce peuple subsiste malgré lépouvantable forfait du Golgotha, se conserve opiniâtrement, et ira jusquà la consommation finale, pourquoi? Parce quil a été constitué porteur des Écritures. À ce peuple, déclare Paul, ont été confiés les entretiens sortis de la bouche de Dieu. Un Père de lÉglise disait éloquemment des juifs: Ce sont les notaires de Dieu, entre leurs mains se trouve le dépôt des Écritures. Un autre docteur, faisant allusion à leur incrédulité, complétait la pensée précédente par cette pittoresque figure: Ils sont les pupitres sur lesquels nous lisons les Livres saints et laccomplissement des Prophéties. Dans leur soin jaloux des Écritures, afin que personne ny pût toucher, ces gardiens sont allés jusquà compter toutes les lettres de la Bible, et, ce qui est plus fort comme calcul, jusquà compter combien de fois la même lettre se trouve répétée dans toute létendue de la Bible, combien de fois telle lettre, combien de fois telle autre, conservateurs du dépôt jusquà un iota. Eh bien donc, pour en revenir à ma supposition lugubre et pessimiste, toutes les lèvres sacerdotales sont fermées, la Terreur a fait disparaître les prêtres, un silence de mort a pris possession des églises, la parole de Dieu a vécu, cest le triomphe, ce semble, de la franc-maçonnerie et des feuillets blancs. Attendez, attendez un peu Voici quun peuple tout entier se lève, et se dresse, pour défendre les Écritures, avec la colère du lion de Juda. «Nous ne sommes plus avec vous,» diront tout à coup les fils dIsraël désabusés aux destructeurs sauvages de la parole de Dieu. «Pourquoi?» leur demande le Radicalisme irrité. «Parce que Dieu a parlé à nos pères, ils lont entendu au Sinaï, et lécho de sa parole est resté dans notre tête dure, et dans nos mains sanglantes, mais gardiennes!» Sept millions de fils dIsraël, la main posée sur le dépôt des Écritures, montant la garde autour de leurs parchemins bibliques, sept millions: ils forment la réserve du Dieu des armées! Ô ennemis de Dieu, votre force est celle des enfants. Vous nêtes que le brin de paille, jouet des vents, à côté de la pyramide imperturbable. Disparaissez, vous êtes des feuilles mortes, et la Bible ne disparaît pas. Non, non, elle ne deviendra jamais les feuillets blancs! IV Loeuvre catholique de Dieu est donc déjà deux fois indestructible, indéracinable, par deux côtés le firmament et la parole de Dieu ou la Bible. Elle lest également par un troisième côté: La Croix du Rédempteur. La Croix! Elle aussi, la haine maçonnique la condamnée à disparaître du monde. Le signal en a été donné, lorsquen janvier 1874, dans lendroit le plus vénérable après le Calvaire, au Colisée de Rome en cet endroit où un million de martyrs, noblesse de toutes les nations, étaient tombés pour la cause de Dieu lantique croix de bois qui était là, ombrageant depuis des siècles cette terre sainte, fut abattue, et le chemin de croix qui sy faisait tous les vendredis, officiellement défendu, et aboli. Cette nouvelle fut accueillie par un douloureux frémissement des âmes chrétiennes, et parut un triste présage de nouveaux attentats. Depuis lors, en effet, sur les grandes routes, la croix a été souvent profanée, sans que lautorité civile se soit beaucoup inquiétée de ces profanations. Et maintenant, la secte maçonnique en est venue à ce degré daudace et de puissance quelle exige que des murailles des écoles, des prétoires de la justice, des hôpitaux, des établissements de lÉtat, le crucifix soit partout descendu: il faut absolument, dit-elle, que ce bois odieux soit oublié, avec Celui quil présente au monde. La croix a donc été condamnée, et va-t-elle disparaître? Pas plus que la voûte du firmament et la parole de Dieu. En effet: On peut considérer, dans le crucifix, trois choses: le Christ qui y est étendu, le bois qui le porte, le chrétien qui le tient; Sous ce triple aspect, le crucifix est indestructible, inabolissable. Le Christ qui y est étendu défie tous les efforts. Il y a, dans le prophète Isaïe, un texte fort beau, le texte du nageur; il contient cette déclaration: «La puissance du Seigneur se reposera sur cette montagne Il étendra ses mains contre Moab, comme un homme qui les étend pour nager. Il déploiera toute la force de son bras pour briser son orgueil.» Voici linterprétation: Cette montagne, sur laquelle se reposera à jamais la puissance du Seigneur, cest le Calvaire. De là, le Christ étend ses mains et déploie ses bras, comme fait le nageur: et contre la force de ces mains et de ces bras, le courant dorgueil, qui se précipite de Moab, vient se briser. Moab est nommé par le prophète pour désigner tous les ennemis du Christ. Tu as comploté de déraciner et demporter la croix, courant dorgueil du xixe siècle, torrent débordé et furieux: ta fureur est vaine, le nageur est plus fort que toi. Vois donc: ses bras étendus ont tenu contre le mugissement de toutes les passions et de toutes les tempêtes, ils ne se sont jamais repliés! Indestructible par son Christ, la croix ne lest pas moins dans le bois qui la compose. Chose admirable, de tous les objets matériels de ce monde, la croix est celui qui sexécute et se façonne le plus rapidement, sans difficulté aucune. Deux morceaux de bois placés en travers lun de lautre, et la croix est faite! Un prêtre la bénit, et lon peut se prosterner devant le signe damour du Rédempteur. Vous avez décrété que la croix disparaîtrait, ô fils de ténèbres: tous les arbres des forêts sont debout contre votre décret; à lenvi, ils tendent et tendront leurs branches, pour remplacer et multiplier les croix partout où vous les abattrez! Le chrétien qui la tient en mains et la presse contre son cur contribue aussi à la rendre indestructible. On se flatte de la lui enlever et de la retrancher de ses usages mais cest impossible, cest absurde: car lhomme, quand il étend ses bras, est lui-même une croix. Cette remarque sublime est du curé dArs: Notre créateur nous a façonnés en croix. Lhomme na quà étendre ses bras, et la croix apparaît. Voici des chrétiens qui, sous le coup dune persécution, se sont jetés à genoux, ils ont étendu leurs bras pour supplier le ciel de ne pas les abandonner et de venir à leur secours; regardez ces bras étendus, ô persécuteurs: dans ce geste de supplication, la croix apparaît! Vous ne la déracinez donc pas, vous ne lébranlez pas; bien au contraire, vous la consolidez. Un juste qui souffre pour la justice rappelle le Calvaire et maintient la croix. Et ainsi, sous le triple aspect du Christ, du bois, du chrétien, par toutes ces racines, larbre de la Rédemption se maintient debout, fixe, majestueux. Les vieilles chroniques rapportent que, dans les armoiries des Chartreux, au-dessus dun globe surmonté dune croix, se lisait cette fière et calme inscription: Stat Crux dum volvitur orbis, la croix demeure pendant que le monde tourne. Que cest vrai! la croix demeure alors que, tout ce qui est vivant respire un instant et sévanouit. Une génération naît, passe devant la croix, et disparaît. La croix sourit à ceux qui ladorent, elle plaint ceux qui la blasphèment. À lheure du réveil général, elle dominera toutes les générations rassemblées. V Enfin, loeuvre de Dieu est indestructible par un quatrième côté: lÉglise catholique. Sublime synthèse, lÉglise catholique récapitule et embrasse toute luvre de Dieu. Elle est le firmament de la société. Elle est dépositaire et organe de la parole de Dieu. Elle tient la croix. Et de plus, elle est lÉglise, cité de Dieu. La haine maçonnique a commandé à tous ses bataillons lassaut de cette divine cité. Lassaut est public, général, habilement mené, vigoureux. La haine espère bien prouver victorieusement, cette fois, que le Galiléen sest beaucoup trop avancé quand il affirmait de lÉglise, au moment où il la fondait, que les portes de lenfer ne prévaudraient jamais contre elle. Nous prévalons! sécrie déjà, avec une joie sauvage, la haine: nous prévalons! Rassurons-nous, enfants de lÉglise: le Galiléen est un architecte quon ne peut pas prendre en défaut. Un parallèle va faire comprendre et admirer son procédé darchitecture. Lorsque, dans une réflexion approfondie, on recherche ce qui est cause que la Synagogue juive a pu être détruite, et ce qui est cause que lÉglise catholique ne peut pas lêtre, on aboutit à ce point capital: une différence essentielle dans les deux modes darchitecture de la Synagogue et de lÉglise. La Synagogue juive avait un centre matériel indispensable qui était le temple de Jérusalem. Le Temple, je le répète, centre matériel, était indispensable à la Synagogue. Jéhovah en avait fait la condition de durée de la religion juive, tellement que le Temple venant à disparaître, forcément la Synagogue croulerait. On raconte que, lorsque les légions de Titus eurent mis le feu à ce somptueux édifice, il séleva de la colline de Sion, doù un grand nombre de juifs agglomérés apercevaient lincendie, une clameur de consternation telle, que le vent qui soufflait dans la direction du Jourdain en apporta les échos jusque dans le voisinage de la mer Morte. Cet immense cri de consternation était significatif, on avait conscience quavec la ruine du Temple, cétait la fin de la Synagogue. Depuis lors, en effet, il y a bien, de par le monde, les restes du peuple juif et des édifices dénommés synagogues, mais la Synagogue officielle nexiste plus. Les destinées de lÉglise sont complètement différentes, elle ne saurait ni crouler, ni disparaître. Pourquoi? dabord, parce que Dieu la promis, et ensuite, parce quen rapport, précisément, avec cette promesse, larchitecture dont Jésus-Christ sest servi à légard de lÉglise catholique est une architecture, avant tout, spirituelle: lÉglise catholique na ni portes, ni murailles, à la grande différence de la Synagogue dont lexistence était liée aux murailles de son Temple. On objectera: mais les églises catholiques ont bien des murailles? Oui, sans doute, les églises ou temples catholiques ont des murailles, les cathédrales ont des murailles, Saint-Pierre de Rome a des murailles, et néanmoins la grande Église catholique nen a pas. Cela vient de ce que sa constitution étant, avant tout, spirituelle, elle use de la pierre, de la chaux, du bois, du marbre, et des autres choses du temps, mais sans en dépendre: tandis que la Synagogue en dépendait. Que sensuit-il? Cette splendide et irréfutable conséquence: que lÉglise catholique défie les persécuteurs. Quils aillent donc en effet détruire une construction, une architecture, qui est, avant tout, spirituelle? Mais cest impossible! Ils peuvent abattre des églises, mais ils ne pourront abattre lÉglise catholique, elle na pas de murailles! Ils peuvent poser leurs scellés sur des portes de chapelles ou de cathédrales, mais ils ne pourront poser les scellés sur lÉglise catholique, elle na pas de portes! Les apologistes contemporains ont cité bien des fois cette comparaison célèbre qui se trouve aux premières pages du livre de lIndifférence en matière de religion. «Un Arabe vagabond arrive, sur le soir, devant les antiques monuments de lÉgypte. Il plante, à labri de leur masse immobile, la tente quil enlèvera le matin. Il essaie de détacher en passant quelques pierres, et bientôt fatigué dun travail sans fruit, il senfonce et disparaît dans des solitudes inconnues.» Cest une comparaison magnifique une des plus belles, sans contredit, quon ait employées pour exprimer la solidité de lÉglise catholique. Je nhésite pas, toutefois, à faire remarquer quelle est défectueuse, parce quelle sappuie sur ce qui est matériel. En effet, au bout de cinquante mille ou de cent mille ans, si le monde devait durer ce nombre de siècles, les pyramides auraient certainement souffert, ou du temps, ou des révolutions, ou de la dynamite, ou des tremblements de terre: mais lÉglise catholique, elle, naurait nullement souffert, ni du temps, ni des révolutions, ni de la dynamite, ni des tremblements de terre, ni de rien, parce que sa constitution étant, avant tout, essentiellement spirituelle, elle domine tout, et ne craint rien! Voici, cependant, que les francs-maçons persécuteurs commencent à dire bien haut que, cette fois, les portes de lEnfer prévaudront. LEnfer vous a trompés, malheureux! Le Galiléen est un architecte quon ne peut pas prendre en défaut. Na-t-il pas annoncé quil ne resterait pas pierre sur pierre de notre Temple? et il nen reste pas pierre sur pierre! Na-t-il pas annoncé que, contre lÉglise quil fondait, les portes de lEnfer seraient impuissantes à prévaloir: et il y a dix-neuf siècles que la mystique architecture se montre irréprochable, supérieure à toutes les ruses, à tous les assauts, à toutes les violences, à toutes les tempêtes! VI Résumé et conclusion: Luvre universelle et catholique de Dieu est indestructible par quatre côtés: Indestructible par le côté du firmament, Indestructible par le côté de la Bible ou de la parole de Dieu, Indestructible par le côté de la Croix, Indestructible par le côté de lÉglise. Le firmament proclame le Dieu créateur; La Bible proclame le Fils de Dieu promis et devenu fils de lhomme; La Croix proclame le Dieu rédempteur: LÉglise proclame le Dieu conquérant et triomphateur. Indestructible par ces quatre côtés égaux en splendeur et en force éblouissantes, loeuvre universelle et catholique de Dieu a vraiment la configuration et la solidité majestueuse de la pierre carrée: la cité de Dieu est bâtie en carré. Soyons tranquilles: dans la voûte étoilée, dans les feuillets de la Bible, dans les bras de la croix, dans larchitecture de lÉlise, resplendit la définition calme et fière que lÉternel a donnée de lui-même: Je suis Celui qui suis. Je suis, je ne change pas; tout le reste change, mais pas moi; je suis Celui qui suis ! Il faut donc en prendre votre parti, ô fils de ténèbres; vous neffacez rien des vestiges de Dieu, vos complots et vos coups sont inutiles. La cité de Dieu est bâtie en carré. Cette parole dite à saint Jean par un ange, nous avons cherché, en balbutiant, à la commenter par rapport à loeuvre de Dieu dans le temps. Mais lange la surtout prononcée par rapport à luvre de Dieu dans léternité. Saint-Jean raconte: Lange me transporta en esprit sur une grande et vaste montagne; et il me montra la ville, la sainte Jérusalem qui descendait du ciel, venant de Dieu; Illuminée de la clarté de Dieu et la lumière qui léclairait était semblable à une pierre précieuse; à une pierre de jaspe transparente comme du cristal Les douze portes étaient douze perles, et chaque porte était faite de lune de ces perles, et la place de la ville était dun or pur comme du verre transparent. Or la ville est bâtie en carré, et elle est aussi longue que large. La cité éternelle est comparée à un carré parfait, parce que le carré est le symbole de la perfection, et parce que la pierre carrée a cet avantage quelle ne tombe jamais, de quelque côté quon la retourne: nayant rien doblique, rien de vacillant, elle se tient et retient tout ce quelle porte dans une unité vivante et majestueuse. Avancée, déjà, là-haut, dans ses exactes proportions, la cité éternelle achève de se construire ici-bas. La terre lui envoie les pierres vivantes qui entrent dans la structure. Tout sert à la taille de ces pierres, et particulièrement les coups des méchants. Leur rôle se borne à celui des tailleurs de pierres. Lorsquà la fin des siècles, luvre divine étant achevée se découvrira, et apparaîtra étincelante, comme ces perles et pierres précieuses que saint Jean a entrevues; étincelante, grâce, précisément, aux coups et aux invectives des persécuteurs: une immense clameur se soulèvera des rangs du mal, cette clameur «Erravimus, nous nous sommes trompés!» Dans tous nos complots, dans toutes nos entreprises, dun bout des siècles à lautre, nous nous sommes trompés! Ce sera le cri de la déception éternelle. Malheureux! vous vous épuisez à préparer et à polir les matériaux de la cité des Cieux et ne voulez pas y entrer! |