La religion de combat par l’abbé Joseph Lémann
Livre Quatrième
Chapitre Dixème
L’Attaque de la justice pour prépare au jugement de Dieu.
– I. La prédication du jugement général a été une courageuse attaque de Pierre et des Apôtres contre le paganisme et le judaïsme : les hommes de Dieu et les opprimés rendront service en la reprenant contre l’apostasie. – II. En effet, les mauvais sont généralement déconcertés par l’annonce du jugement général. – III. De plus, les pécheurs sont ramenés, et les bons sont réconfortés, par ce rappel du grand jour. Effet produit par les populaires et saisissantes images qui le dépeignent. – IV. Aussi, pour mieux accomplir leurs projets sinistres, les hommes de mal cherchent-ils à rayer cette croyance de l’esprit des populations. Ce sera, vraisemblablement, la grande erreur des derniers temps. Preuves. – V. Autre motif prépondérant pour attaquer le mal par cette annonce: Jésus-Christ est expulsé. Or, rappeler son tribunal de Souverain Juge, c’est le venger déjà de ses expulseurs. – VI. Des tombeaux doivent s’ouvrir pour appuyer et augmenter les hérauts de cette grande annonce: quels tombeaux, quels hérauts? – VII. Le dernier chapitre de l’histoire du monde dans la vallée de Josaphat. I À Pierre et aux Apôtres, il avait été commandé darracher et de planter, de détruire et dédifier, de poursuivre sans relâche lusurpateur qui est Satan, et de faire rentrer sous lobéissance du Roi légitime tout lunivers qui lavait oublié. Pierre et, à sa suite, les Apôtres adoptent donc hardiment la marche en avant contre le Judaïsme ingrat et contre le Paganisme idolâtre. Et quel est le moyen dattaque auquel lEsprit de Dieu les pousse à recourir? la prédication dun jugement général. Dieu nous a commandé de prêcher, sécrie Pierre en pleine Judée, et dattester devant le peuple que cest son Christ qui a été établi le juge vivants et des morts. Sainte audace du chef des Apôtres, au lendemain de la Passion! il annonce des assises générales où le condamné de Jérusalem sera juge: cest lidée magnifique et terrifiante avec laquelle il tiendra tête aux ennemis de son Maître. Paul attaque de front, avec la même idée et avec une semblable énergie, lidolâtrie régnante. Un jour, il est amené en présence du gouverneur romain Félix, pour se justifier dêtre, par sa parole, une peste publique. Paul, dit le livre des Actes, entretient avec force le gouverneur de la justice, de la chasteté et du jugement à venir; Félix, effrayé, lui dit: Cest assez pour cette heure, retirez-vous. Et ainsi des autres apôtres; lun deux, annonçant le retour de Jésus-Christ comme prochain, sécrie: Voici le juge, il est à la porte! Lannonce du jugement général a donc été une vigoureuse marche en avant des apôtres contre le Judaïsme et le Paganisme: par cette annonce, la Justice incréée et vivante faisait déjà une trouée dans leurs ténèbres! Devant la coalition des ténèbres actuelles, la même trouée nest-elle pas à refaire? La justice doit aider la vérité et lamour dans leurs brillantes campagnes militaires, et cest par cette annonce du jugement de Dieu quelle manifestera sa coopération, nette, irréprochable, décisive. Hommes de Dieu, criez sur les toits que le jugement dernier approche! II Mais pourquoi ce recours au jugement général? Pour plusieurs raisons: Dabord, parce que les mauvais redoutent lannonce et létalage de leur défaite. Or, le jugement dernier sera lexposition éclatante des perfidies et des oppressions du mal, et la revanche des opprimés. Déjà, pour nimporte qui, la pensée du jugement dernier est terrifiante. Afin de sexciter à commettre le crime, on cherche à sétourdir, à oublier cette séance redoutable où il faudra, bon gré mal gré, apporter tous ses actes en évidence; à oublier ce rendez-vous de tous les yeux et de tous les regards. Aussi, quelle est la tactique de la malice contemporaine? Mettant à profit ce penchant coupable à sétourdir, elle sapplique, par des moyens pleins dastuce, à faire oublier les grandes vérités, pour mieux réussir à entraîner les âmes et les populations dans lerreur et dans le désordre. Voilà pourquoi il faut reprendre lavantage en ayant recours aux grandes vérités, particulièrement à celle du jugement général. La sainte Écriture autorise cette courageuse conduite par le chapitre cinquième du Livre de la Sagesse dont le titre est: Différence entre le sort des hommes pieux et celui des impies lors du jugement du monde; saisissantes en sont les images et les expressions: Alors les justes sélèveront avec une grande hardiesse contre ceux qui les auront accablés daffliction, et qui leur auront ravi le fruit de leurs travaux. Les méchants, à cette vue, seront saisis de trouble, et dune horrible frayeur; ils seront surpris détonnement en voyant tout dun coup, contre leur attente, les justes sauvés de leurs mains. Ils diront en eux-mêmes dans le serrement de leur cur: Ce sont ceux-là qui ont été autrefois lobjet de nos railleries, et que nous donnions pour exemple de personnes dignes de toutes sortes dopprobres. Insensés que nous étions! leur vie nous paraissait une folie, et leur mort, honteuse; Cependant les voilà élevés au rang des enfants de Dieu et leur partage est avec les saints. Nous nous sommes donc égarés de la voie de la vérité; la lumière de la justice na point lui pour nous, et le soleil de lintelligence ne sest point levé sur nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de liniquité et de la perdition; nous avons marché dans des chemins âpres, et nous avons ignoré la voie du seigneur. De quoi nous a servi notre orgueil? Quavons-nous retiré de la vaine ostentation de nos richesses? Toutes choses sont passées comme lombre, ou comme un courrier qui se hâte; Ou comme un vaisseau qui fend les flots agités, dont on ne trouve point de trace après quil est passé, et qui nimprime sur les flots nulle marque de sa route; Ou comme un oiseau qui vole au travers de lair, sans quon puisse remarquer par où il passe: on nentend que le bruit de ses ailes qui frappent lair, et qui le divisent avec effort; et après quen les remuant il a achevé son vol, on ne trouve plus aucune trace de son passage; Ou comme une flèche qui est lancée vers son but, lair quelle divise se rejoint aussitôt, sans quon reconnaisse par où elle est passée. Ainsi nous ne sommes pas plus tôt nés que nous avons cessé dêtre. Nous navons pu montrer en nous aucune trace de vertu, et nous avons été consumés par notre malice. Voilà ce que les pécheurs diront
Alors le Seigneur armera ses créatures pour se venger de ses ennemis; il aiguisera sa colère inflexible comme une lance, et tout lunivers combattra avec lui contre les insensés. Ce chapitre doit inspirer le courage des hommes de Dieu et des opprimés. On domine nimporte quelle arrogance avec cette idée formidable: nous comparaîtrons tous devant un juste Juge, il y a un jugement général. Les fronts les plus impudiques comme les plus plus altiers se courbent devant ce rappel à lordre: à lordre universel! Autrefois, quand les peuples souffraient trop, la conscience révoltée et fière disait au tyran: Je vous cite et vous attends au tribunal de Dieu! Cette pensée na rien perdu de sa force. Malgré ses ricanements effrontés, limpiété se troublerait si on lui disait avec fermeté des paroles comme celles-ci: «Au jugement dernier, la mère qui ta enfanté aura horreur de toi
» «Au jugement dernier, ces petits enfants dont tu cherches à tuer lâme se lèveront tous ensemble contre toi: il vaudra mieux alors pour toi avoir une meule au cou et être précipité dans les flots du plus noir abîme que davoir à supporter leurs reproches et leur vengeance.» Donc, avec cette lumineuse et vibrante annonce, on déconcertera limpiété. III Autre raison qui a encore plus de poids par cette annonce, on ramènera dans les voies du salut les âmes égarées, et lon maintiendra dans le droit chemin les âmes chancelantes. Entraîner dans labîme les âmes les emporter au ciel: cest la grande bataille des siècles. Au profit de labîme, dinnombrables perfidies sont mises en oeuvre; des suggestions et des dissimulations de toutes sortes séduisent, entraînent et font tomber les pauvres âmes en les trompant. En faveur du ciel, des cris sublimes damour et dalarme sillonnent les espaces; ils avertissent les âmes, et les font se décider pour la patrie éternelle. Or, de tous les avertissements, nul ne vaut celui du jugement général, alors quen présence des mondes et des siècles rassemblés et attentifs sera à jamais fixé le sort de chacun. Les âmes sont frappées par des pensées comme celles-ci, véritables traits de feu: Quand le ciel est gagné, tout est gagné; quand il est perdu, tout est perdu! Quel cri de joie, lorsque lâme viendra sunir à son corps glorifié, à ce corps qui ne sera plus pour elle un instrument de péché ni une cause de souffrances! «Elle se roulera dans le baume de lamour, comme labeille se roule dans les fleurs
Voilà lâme embaumée pour léternité!
» Quels hurlements de honte et de douleur, quand les damnés seront contraints dexposer à la face de lunivers leurs corps avec toutes ses laideurs! Ils invoqueront la chute des montagnes et des collines: «Tombez sur nous! couvrez-nous!» Ces cris de joie, ces hurlements, les auditoires les entendent déjà, et ils réfléchissent. Nhésitez donc pas à les rappeler, à les annoncer, ô porteurs de la parole de Dieu. Saint Éphrem, prêchant sur ce sujet, disait à ses auditeurs: «Un coup de tonnerre vous épouvante aujourdhui; comment pourrez-vous soutenir le son de cette trompette qui ressuscitera les morts?» Après avoir dit ces paroles, le saint se mit à fondre en larmes; tremblant, il ne voulait plus continuer. «Apprenez-nous, cria alors lauditoire, les choses effrayantes qui arriveront ensuite.» Et le serviteur de Dieu, après avoir exposé les choses effrayantes quon lui demandait et que la Religion enseigne, termina par cette apostrophe déchirante: «Alors les hommes seront séparés pour toujours les uns des autres, les époux de leurs épouses, les enfants de leurs parents, les amis de leurs amis
La séparation faite, les princes, les philosophes, les sages du monde crieront aux élus, avec larmes: «Adieu pour toujours, saints et serviteurs de Dieu! Adieu, Vierge sainte, mère du Sauveur; vous priâtes pour notre salut, mais nous ne voulûmes pas nous sauver! Adieu, Croix vivifiante! adieu, paradis de délices, royaume éternel, Jérusalem céleste! Adieu, vous tous, nous ne nous reverrons plus; nous voilà plongés dans un abîme de tourments qui ne finiront jamais.» Cette scène des adieux némeut-elle pas profondément? Quelle efficacité na-t-elle pas pour remuer et ramener les âmes? Et la description de léternité, qui suit la sentence, na-t-elle pas toujours obtenu de consolants résultats, même auprès des auditoires les plus difficiles et des curs les plus endurcis? Le fameux balancier du Père Bridaine a glacé plus dun plaisir coupable, et fait renoncer avec effroi à des minutes de volupté quon paye si cher! «Savez-vous ce que cest que léternité? sécriait léloquent missionnaire; cest un pendule dont le mouvement dit et redit sans cesse ces deux mots seulement, dans le silence des tombeaux: «Toujours! Jamais! Jamais! toujours! toujours souffrir! jamais finir!» Pendant ces effroyables révolutions, la voix dun réprouvé demande: «Quelle heure est-il?» Et du fond des Enfers retentit cette réponse: Léternité! Et le balancier continue son bruit monotone: toujours! jamais! toujours souffrir! jamais finir!» Le Père Lejeune employait fréquemment, sur léternité, une comparaison qui, entendue une fois, ne soubliait plus: «Supposons, disait-il, que léglise où je parle soit pleine de grains de millet; cest trop peu dire: supposons que toutes vos caves, vos greniers et vos granges en soient pleines; cest trop peu dire: supposons que tout le vide qui sétend entre le ciel et la terre soit rempli de grains de millet, et que Dieu dise à une âme damnée: «Je vous veux faire une grâce; de cent mille ans en cent mille ans, un oiseau mangera un de ces grains; et quand il aura tout consommé, je vous retirerai de lenfer.» À cette annonce, le damné tressaillerait, et lespérance rentrant dans son cur lui ferait supporter ses supplices. Mais non, il ny a plus despérance: après des milliards et des milliards dannées, après que tous ces grains de millet auraient disparu, enlevés un à un tous les cent mille ans, léternité ne sera que commencée; toujours! jamais! toujours souffrir! jamais finir!» Cest avec ces fortes images qui, encore, sont inférieures à la réalité (tant léternité malheureuse est épouvantable!) que les Éphrem, les Vincent Ferrier, les Bridaine, les Lejeune, combattaient les vices de leur temps, subjuguaient les pécheurs, et peuplaient le ciel. Porteurs de la parole de Dieu, plus que jamais, employez-les! IV Tous ces bons effets que nous venons de décrire sont tellement vrais, tellement prévus, que, pour empêcher leur production et mieux réussir dans le naufrage des âmes, limpiété cruelle a adopté linfernal projet de rayer de lesprit des populations la croyance au jugement général. Repousser, éloigner cette pensée comme importune, a toujours été une des habitudes du plaisir mondain: cest dans son essence, dans sa légèreté et sa folie qui ne cherchent quà sétourdir. Couronnons-nous de roses, avant quelles se flétrissent! plainte éternellement renaissante et alarmée de la jouissance mondaine! On naime ni la pensée de la mort, ni celle de léternité, ni la théologie parce quelle en est pleine, ni lÉglise parce quelle les prêche. Ces craintes et répulsions des grandes vérités ont été de tous les temps. Mais ce qui ne sétait pas encore vu, cest lacheminement à une négation sociale de léternité et du jugement. La négation de lÉternité par le temps, de la Toute-Puissance par la poussière, du Juge par les coupables: voilà leffrayante entreprise contemporaine, propagée de sang-froid, et accueillie avec frénésie. On dirait que les ténèbres, redoutant lapproche du grand jour de clôture où elles seront refoulées et enfermées à jamais dans labîme, sen donnent à cur joie avant leur éternel emprisonnement! Les graves enseignements de lÉvangile laissent entrevoir que ce sera là, en effet, lerreur des derniers temps. On niera le jugement, on niera le Juge. Le Christ, puis les Apôtres, nont-ils pas prédit que le jour du Seigneur viendra comme un voleur pendant la nuit, cest-à-dire se présentera furtivement, sans quon lattende? On nattend pas un voleur. Actuellement encore, le jugement est attendu: que de bons chrétiens, que de communautés, que de diocèses vivent avec cette foi, avec cette préparation, Dieu en soit béni! Mais cette terrible expression «comme un voleur», employée pour larrivée du jugement par le Christ lui-même, puis par saint Pierre et par saint Paul, donne à penser quà lépoque où il viendra on ne sen occupera nullement, on ne songera même pas quil puisse avoir lieu: lattente en aura été rayée de lesprit des populations par lapostasie. Hélas! la société ne sachemine-t-elle pas vers cette lugubre période, par les théories, mises en pratique, dathéisme gouvernemental et les encouragements prodigués aux libres penseurs? Le triomphe de ces théories néfastes et de ces encouragements perfides menace dêtre tel, que saint Pierre, franchissant avec lesprit de Dieu les successions de la durée, a pu dire, pour nous mettre en garde: «Sachez quaux derniers temps il viendra des imposteurs qui diront: Quest devenue la promesse de son avènement?» Si lon pèse bien ces graves paroles, on conviendra que la croyance au jugement pourra être tellement enterrée auprès de certaines populations, que deffroyables fossoyeurs demanderont avec ironie: «Eh bien, il ne vient donc pas, ce Juge des vivants et des morts? On lui a crié autrefois: Descends de la croix, et il nest pas descendu; nous lui crions maintenant: Reviens pour nous juger, puisque tu as annoncé que tu reviendrais
et malgré notre défi, il ne revient pas!» Jusquaux signes de lapproche du jugement qui trouveront insensibles ces apostats endurcis! LÉvangile, en effet, nannonce-t-il pas quil y aura des signes avant-coureurs? Oui, vraiment, il y en aura, et de formidables. La bouche de la Vérité éternelle les a, elle-même, précisés: Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune, et dans les étoiles; et sur la terre, toutes les nations seront dans lépouvante et la consternation, voyant ce désordre de la nature, et entendant lhorrible mugissement des flots de la mer; et les hommes sécheront de frayeur dans lattente de ce qui doit arriver dans tout lunivers. Voilà cette prédiction des signes. Mais voici, en opposition, la perfide préparation de limpiété: Limpiété compte sur la science pour expliquer et atténuer leffet de ces signes auprès des populations. La science, aujourdhui, est éblouissante dans ses investigations et ses résultats; les hommes ne voient plus quelle; et il est à craindre quon ne lemploie à expliquer les signes qui doivent précéder le jugement; on se tranquillisera, et lon tranquillisera les autres, en démontrant la cause scientifique des fléaux et des bouleversements, sans se préoccuper aucunement de ce quils annoncent. Les hommes doivent sécher de frayeur: mais quels hommes? Les bons, répond saint Thomas dAquin; car la foi leur fera comprendre limminence de la grande catastrophe; quant aux méchants, ils diront: Nous voici en sûreté, et tout à coup ils seront surpris. Il faut bien que cette gigantesque tromperie scientifique ne réussisse que trop à faire des dupes, pour que le Voyant des siècles, le Christ, ait ajouté: Ce dernier jour enveloppera comme un filet tous ceux qui habitent sur la surface de la terre. Quelle nest pas la rapidité, et aussi la surprise, dun coup de filet sur des oiseaux captifs? Ainsi en sera-t-il du jugement dernier. Il suit de toutes ces explications quune terrible négation du jugement général se prépare: à nous donc, soldats du Christ, de prendre vigoureusement loffensive contre cet horizon noir et dêtre les clairons de léternité. Cest précisément à propos du jugement général que saint Paul a poussé ce cri dalarme et de combat, du côté des chrétiens: Quant à vous, vous nêtes pas dans les ténèbres, en sorte que ce jour puisse vous surprendre comme un voleur; vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jour. Par conséquent, à lassaut des ténèbres, fils du jour! à lassaut, pour les écarter et les empêcher denvelopper, comme un filet, les pauvres âmes! Prédication superbe du jugement, affirmation catégorique du feu de lenfer, emploi des figures et des comparaisons qui saisissent le peuple, voilà votre arc, voilà vos flèches! Ne pas craindre davertir, deffrayer, de tonner; un seul écueil à éviter: annoncer la venue de lAntéchrist et fixer une date pour le jugement dernier; lÉglise le défend expressément. Mais, cet écueil évité, parlez librement, attaquez fortement les adversaires du jour du Seigneur, confondez-les et arrachez-leur les âmes. Vive Dieu! alors même que les ténèbres sépaissiraient au point de cacher, comme par un rideau, léternité, nous fendrions et repousserions à droite et à gauche le rideau de ténèbres, pour quon aperçoive toujours les cieux où le Juge doit apparaître! V Lhonneur à rendre au Juge est, en effet, un dernier motif prépondérant pour que nous attaquions vivement les hommes de mal. Les juifs aveugles se sont moqués de la Croix du Christ dans son premier avènement; des chrétiens apostats se moquent de son Tribunal annoncé pour le second avènement, et ils expulsent le juge: aggravation! On se sent tout glacé dépouvante à la vue de cette scélérate entreprise; mais lhonneur du souverain Juge des vivants et des morts commande que, passant de la glace au feu, nous combattions cette folie et préparions le monde aux solennelles assises et à la redoutable présidence qui lattendent. Malheureux! devons-nous dire aux expulseurs, on sollicite un juge, on le supplie, on met tout en uvre pour se le rendre favorable; mais vous, agissant contre le bon sens, vous le congédiez, vous le chassez! Il y avait déjà une malice effroyable à braver les lois de Dieu: cétait lancienne iniquité; mais vous, inventant une iniquité moderne, vous faites des lois contre Dieu! Malheureux! vous arrachez sa croix des cimetières, et cest Lui qui ouvrira vos tombeaux; et vous retrouverez sa Croix face à face, elle seule subsistant du monde disparu, pour être la règle du jugement. Vous êtes fous, mais nous préserverons le monde de votre trop dangereuse folie! Et alors, porteurs de la parole de Dieu, exposez largement, grandement, ce que vous avez appris de lÉglise et des Écritures sur le choix du souverain Juge. Jésus-Christ juge des vivants et des morts: cest le chef-duvre du plan divin. En effet, voici deux hypothèses: Lune qui met à la tête du jugement universel, pour le redressement des torts de tous les âges, un Dieu (cela va sans dire), un être souverainement éclairé et juste, mais qui a toujours été heureux et qui sort de sa félicité pour la déclaration des éternelles récompenses et des éternelles douleurs; Lautre hypothèse, qui met également à la tête du jugement universel un Dieu, mais dont le bonheur naurait pas été lunique vie, qui aurait connu aussi les larmes, les sanglots, linjustice poignante, et qui naurait précisément acquis la présidence de ce grand triomphe du jugement et de la justice que parce que lui-même aurait combattu et souffert pour la justice! De ces deux hypothèses, laquelle lemporte? La seconde évidemment, et de beaucoup. Or, la Révélation chrétienne nous apprend quelle est devenue une vérité de la Religion: Cest le condamné de Jérusalem qui jugera les vivants et les morts! Et, en cela, il y a du sublime redoutable: Du sublime dabord, parce que le concept du triomphe de la justice est agrandi; la justice néclatera plus seulement dans les hommes à juger, dans les générations humaines rassemblées au pied du tribunal, mais dans la personne du Juge lui-même. De toute la hauteur de sa félicité de Fils de Dieu, le Christ avait baissé sa tête jusquà boire, ployé en deux par la douleur, dans le torrent de la justice de Dieu gonflé par nos crimes, jusquà épuiser, de ses lèvres décolorées, le calice des humiliations et des souffrances; cest pourquoi il relève, au dernier jour, sa tête dans les nuées éclatantes, et ses lèvres vont prononcer la sentence universelle: cest sublime! Mais ce sublime est redoutable: parce que, devant linnocent qui fut injustement jugé et condamné et qui est devenu juge à son tour, linjustice se sentira éperdue, et la volupté et lorgueil seront sans voix. Ce sublime redoutable, le Judaïsme antique lavait entrevu. Le prophète dIsraël qui donne la main à saint Jean pour tracer avec lui les grandes lignes apocalyptiques de lhistoire du monde, Daniel, a eu cette vision sur les bords de lEuphrate: «La première année de Balthazar, roi de Babylone, moi Daniel, jeus une vision pendant la nuit. Des trônes furent placés, et lAncien des jours sassit. Son vêtement était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête étaient comme la laine la plus blanche et la plus pure. Son trône était des flammes ardentes, et un fleuve de feu rapide sortait de devant sa face. Un million danges le servaient, et mille millions assistaient devant lui. Le jugement se tint, et les livres furent ouverts. Et je considérais attentivement ces choses, lorsque je vis comme le Fils de lhomme qui venait avec les nuées du ciel, et qui savança jusquà lAncien des jours. Et lAncien des jours lui donna la puissance, lhonneur et le royaume.» Ô vision mystérieuse, apparue à Daniel au bord de lEuphrate, tu as trouvé ton explication dans ces paroles solennelles prononcées au bord dun autre fleuve, du Cédron (torrent des douleurs où le Christ a bu, et cest pourquoi il relèvera la tête): Le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils le pouvoir de nous juger tous. Il lui a donné le pouvoir de juger, parce quil est le Fils de lhomme. Lorsque le Fils de lhomme viendra dans sa majesté accompagné de tous les anges, alors il sassiéra sur le trône de sa gloire; et toutes les nations seront assemblées devant lui. Elle reparaîtra donc, visible et souveraine, cette chair innocente qui a été crucifiée à midi du Vendredi Saint, cette tête que tous les siècles et toutes les générations auront couronnée dépines; elle reparaîtra avec toutes ses plaies, mais qui brilleront dun si vif éclat que les astres pâliront devant leur clarté: et ainsi le condamné de Jérusalem sera seul juge des vivants et des morts. Le voici qui vient sur les nuées, disait déjà, en employant le présent, saint Jean, écrivant ses extases de Patmos. Nen doutons pas, sa venue est certaine, prochaine. Ô expulseurs, comment supporterez-vous son retour? Le voici!
VI Quand cette venue auguste sera sur le point de se faire, il y aura, avons-nous dit plus haut daprès lÉvangile, des signes dans le soleil, dans la lune, dans les étoiles, parce que, comme enseigne excellemment saint Thomas dAquin, il appartient à la dignité de la puissance judiciaire davoir certaines marques qui la précèdent, pour inspirer du respect et de la soumission. Beaucoup de signes avertiront donc les hommes de larrivée de leur Juge. Participez, ô porteurs de la parole de Dieu, à la glorieuse et suprême mission dêtre signes qui sera donnée au soleil, à la lune, aux étoiles, en étant vous-mêmes des hérauts célestes, des crieurs infatigables de larrivée du Seigneur pour son jugement. Mais un signe étonnant, quoique prédit, vous aidera: des tombeaux doivent souvrir, et des hérauts inattendus viendront aider votre courageuse prédication. Quels tombeaux souvriront? quels messagers doivent en sortir? Les morts de la maison dIsraël! Résurrection spirituelle, signe avant-coureur de la résurrection générale des corps et du jugement dernier! Il est marqué, en effet, dans les desseins de Dieu, et inscrit dans la Bible, que le peuple du commencement doit reparaître à la consommation, et que, contradicteur du Christ à son premier avènement, il réparera sa faute en étant le préparateur de son second avènement. Ne faites pas trop attention aux richesses fabuleuses et fallacieuses de ce peuple, ô fils des Nations, cest un trompe-loeil; mais faites attention à son rôle final qui se prépare. Présentement, le peuple juif secoue, comme un mort qui sort de son sépulcre, la poussière de cinquante siècles; il écarte son linceul, et reprenant en tous lieux des droits civils, il reparaît dans la société, et semble dire par le seul fait de sa réapparition: «Regardez-nous, nous sommes les morts de lancienne Alliance!» Le champ des ossements aperçu par Ézéchiel sagite comme un champ dépis traversé par le vent, et toute une armée de trépassés travaille à se dresser sur ses pieds. Quest-ce quils vous diront, lorsque convertis par le saint prophète Élie, général en réserve de ce peuple ressuscité, ils brûleront de son zèle; quest-ce quils vous diront? Avant tout, ils reconnaîtront combien bon et miséricordieux est Jésus-Christ; ils proclameront quil est Dieu, et quils sont inconsolables de laimer si tard! Mais ils vous diront aussi que ce Jésus devient la pierre écrasante, lorsquon a le malheur de le méconnaître comme pierre angulaire; ils vous tiendront ce langage: «Ne vous exposez pas à être écrasés par sa majesté au dernier jour qui approche: on ne revient pas de ses coups. Vous savez ce que nous avions fait: nous lavions méconnu et crucifié, et soudain la Pierre est tombée sur nous, mettant en poudre notre Temple et éparpillant au loin toutes nos tribus. Vingt siècles nous ont vus tenter limpossible pour relever et rétablir notre nationalité: inutiles efforts, la Pierre nous tenait à terre!
Mais si nous avons été ainsi écrasés alors que le Christ était invisible, quel ne sera pas lécrasement des mauvais, lorsquil se montrera à découvert au jour de léclat de sa puissance. Ne vous y exposez pas: il suffit que nous ayons connu le poids de sa majesté.» Voilà ce quils vous diront: écoutez-les alors, ô fils des Nations, ils seront des témoins sincères! Et cest là le rôle qui tattend, ô peuple miraculeusement conservé contre la mort. Nachève pas les derniers jours de ta prodigieuse existence dans la recherche de lor, poussière qui ta si longtemps aveuglé! Mais, humble et volontairement pauvre, va par les chemins, clocheteur du monde qui va finir! Des anciennes coutumes du moyen âge, subsistait encore, à la fin du xviie siècle, la fonction du clocheteur des trépassés: il précédait les cortèges funèbres, ayant à la main une sonnette quil agitait lentement. Acceptez ce rôle, ô restes de lancien peuple de Dieu, à lheure de votre transformation sous le coup de la grâce; et, clocheteurs des derniers jours du monde, annoncez aux humains, en tous lieux: «Préparez-vous, voici le Juge des vivants et des morts!» VII «Cest Lui!» sécrieront toutes les générations humaines rappelées de la poussière, et rassemblées dans la vallée de Josaphat; et à la vue de la nuée éclatante qui ramènera le Christ sur le mont des Oliviers tout genou fléchira. Toutes les nations depuis le commencement des siècles seront prosternées. Ce sera lépilogue. En tête du livre du monde, cest du Christ quil avait été question: Il est écrit de moi dans le rouleau du livre; et à lépilogue, il sera universellement reconnu que le Christ était véritablement caché sous toutes les syllabes et dans tous les événements de ce grand livre du monde; quil y palpitait comme le cur dans le corps humain; et quil a été le nud de lhistoire, et le roi des siècles! «Cest Lui!» Plus éclatant que la nuée, pourtant si éclatante, qui doit le ramener, resplendira le plan divin du Père Tout-Puissant par rapport à son Christ. Il avait fait descendre le Verbe des sommets de son infinie grandeur, jusquà le laisser devenir le dernier des hommes; et à ce dernier des hommes, voici quil a fait ensuite parcourir la même route en sens contraire, jusquà lasseoir à sa droite et à létablir juge des vivants et des morts. Quelle route! Il y aura alors un immense et définitif chant damour: «Le Christ est vainqueur!» Et il y aura un immense et définitif cri de rage: «Tu as vaincu, Galiléen!» La vallée de Josaphat signifie vallée du jugement car Josaphat, en hébreu, veut dire jugement de Dieu. Le mont des Oliviers la domine. Et lorsque le Fils de lhomme aura apparu au sommet du mont des Oliviers comme sur un trône, dans cette vallée se tiendront les dernières assises du genre humain. Lannonce en est formelle: Je rassemblerai, dit le Seigneur dans le prophète Joël, toutes les nations dans la vallée de Josaphat, et jentrerai en jugement avec elles dans cet endroit. Quimporte et que fait à la toute-puissance de Dieu, létroitesse de la vallée, à loccasion de laquelle lincrédulité cherche à se rassurer? Est-ce que lunivers naura pas été, avant quait lieu le jugement général, purifié et transformé par le feu? Le feu marchera devant sa face, et lembrasement du monde précédera la résurrection des corps et le jugement de Dieu. Est-ce que lÉternel, fendant par le milieu le mont des Oliviers, ne peut pas dire à une moitié de la montagne: Retire-toi vers laquilon, et à lautre moitié: Retire-toi vers le midi; et la vallée de Josaphat, se dilatant et sélargissant sous le doigt de Dieu, ne deviendrait-elle pas assez vaste pour contenir toutes les générations de la terre? Aussi la grave théologie de saint Thomas dAquin, ne sarrêtant pas à ces objections puériles, conclut de la sorte: Comme le Christ est monté au ciel sur la montagne des Oliviers, il est probable que cest dans ce lieu quil descendra, pour montrer que Celui qui descend est le même que Celui qui est monté. Cest donc cette vallée redoutable qui sera inondée de la majesté de Celui qui avait été percé de plaies; elle aura, sur un de ses bords, le Calvaire avec lécho de cette parole: Jai étendu mes bras tout le long du jour; et sur lautre bord, le mont des Oliviers avec lécho de cette autre parole: Toute puissance ma été donnée au ciel et sur la terre. Alors sopéreront la reconnaissance et la séparation définitives des enfants de lumière et des fils de ténèbres. Les enfants de lumière apparaîtront avec leurs auréoles et dans léclat de toute leur beauté; Les fils de ténèbres seront contraints dêtre visibles avec lhorreur de leurs ignominies. Des rangs de ces réprouvés sortira cette clameur: Pourquoi nous as-tu créés? et, la bonté de Dieu se découvrant à côté de sa justice, ils ajouteront, à cette vue: Cest vrai, nous pouvions être heureux!
Et des rangs des justes, sortira ce cri éternel de reconnaissance: En couronnant nos mérites, Seigneur, vous couronnez vos dons! Ô vallée de Josaphat, sois-moi favorable! ma main, en traçant ces dernières lignes, s’étend vers toi et te bénit au loin… Sois-moi favorable, ô vallée redoutable, après tant de fautes sur lesquelles le sang de Jésus-Christ a coulé! sois favorable à mon bon frère; à tous ceux que j’ai connus et aimés ici-bas; et à tous ceux aussi qui auront profité de ce livre! Lorsqu’au jour du rassemblement en toi nous nous retrouverons, puissions-nous, phalange heureuse d’enfants de lumière, être dirigés par nos bons anges vers la droite de l’Homme-Dieu! Les uns, parmi nous, auront aimé et servi publiquement Jésus-Christ; les autres l’auront reconnu et servi, mais en demeurant cachés, secrètement dans son Cœur: tous auront été l’objet de ses miséricordes. FIN
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