La religion de combat par l’abbé Joseph Lémann

Livre Quatrième

Chapitre Quatrième

La citadelle autour de la Divine eucharistie.



– I. Deux magnifiques promesses de l’Ancien Testament concernant toutes les Nations de la terre dans leurs rapports avec la divine Eucharistie.
– II. Ces promesses réalisées: ravissement qu’on éprouve devant leur réalisation.
– III. Mais après avoir été si longtemps glorieuse au milieu des Nations, la divine Eucharistie est menacée par une portion égarée d’entre elles. Énumération de ces menaces. Limites qu’elles ne pourront jamais dépasser.
– IV. Vigilantes précautions et résolutions magnanimes que doit prendre la portion fidèle, pour former la citadelle autour de son céleste trésor. Les hommes forts de la sainte Table.
– V. Les glaneuses du Très Saint Sacrement.
– VI. Les prêtres de feu.


I

L’Ancien Testament renfermait deux magnifiques promesses concernant toutes les Nations de la terre dans leurs rapports avec la divine Eucharistie. Il importe de les bien préciser, l’une après l’autre. Voici la première: La conversion de la Gentilité, ou l’appel des Nations, a été particulièrement rattachée à la divine Eucharistie. En effet, lorsque l’Éternel annonça sous l’ancienne Loi qu’un jour viendrait où les Nations formeraient sa précieuse et très glorieuse acquisition, c’est à la divine Eucharistie sous le nom d’oblation pure qu’il rattacha cette grande espérance. Le prophète Malachie fut chargé de cette annonce, et voici à quelle occasion: Les prêtres d’Israël étaient devenus négligents et avares. Les pains de froment qu’ils déposaient chaque semaine sur la Table d’or du sanctuaire, devant la face de Jéhovah, étaient souvent moisis; et les animaux qu’ils amenaient pour être offerts en sacrifice, au lieu d’être choisis sans défauts, comme le recommandait la Loi, étaient tarés, boiteux ou aveugles; Le Seigneur s’en irrite; Et comme, d’autre part, c’était sa divine coutume de profiter de ce qui se passait chez le peuple juif pour rappeler la promesse du Messie promis et les merveilles qui accompagneraient son avènement, il prend occasion de la négligence et de l’avarice des prêtres et de leurs sacrifices qui lui déplaisaient, pour déchirer les voiles de l’avenir; et d’un éclair, d’une parole brève qui illumine les siècles qui se préparent, il annonce un sacrifice d’un nouveau genre: «Mon affection n’est plus sur vous, dit le Seigneur par la bouche de Malachie, et je ne recevrai plus de présents de votre main. «Car, depuis le lever du soleil jusqu’au couchant, mon nom est grand parmi les Nations; et l’on me sacrifie en tout lieu, et l’on offre à mon nom une oblation toute pure: mon nom est grand parmi les Nations. Les vengeances divines sont pleines de miséricorde. Des prêtres avares et négligents de l’ancienne Loi ont laissé tomber le culte dans le mépris, et le Seigneur se venge en annonçant la grande miséricorde de l’oblation pure chez toutes les nations. Qu’il est beau, ce nom d’oblation pure donné au futur sacrifice! Oblation, c’est-à-dire offrande, sortie de soi, élévation: quand on s’offre à Dieu, on sort de soi; et aussi, quand on s’offre à Dieu, on est véritablement élevé! Telle a été la première promesse: une oblation pure, et la magnificence du nom de Dieu rattachée à cette oblation pure au milieu de toutes les Nations. Voici la seconde:

C’est Isaïe qui l’a exprimée; Le Seigneur, après avoir dit qu’il élèverait un étendard parmi tous les peuples de la terre (sa croix) et qu’il leur enverrait des prédicateurs sortis des restes d’Israël (les douze apôtres), énumère les pays où ces envoyés viendront: «Dans l’Afrique, dans la Lydie, dont les peuples sont armés de flèches, dans l’Italie, dans la Grèce, dans les îles les plus reculées, vers ceux qui n’ont jamais entendu parler de moi, et qui n’ont point vu ma gloire. Ils annonceront ma gloire aux Gentils.» Puis, le Seigneur ajoute: «Ils feront venir du milieu de ces Nations ceux qui deviendront vos frères; ils les feront venir sur des chevaux, sur des chars, sur des litières, sur des mulets, sur des dromadaires, à ma montagne sainte de Jérusalem» (l’Église fondée sur le Golgotha); Et alors, après ce magnifique préambule, le Seigneur termine: «Et moi je prendrai parmi eux des Prêtres et des Lévites.» La dignité sacerdotale et lévitique avait été, durant toute l’existence de l’ancienne Loi, l’exclusif privilège d’une seule tribu, de la tribu de Lévi. Mais, à l’époque où l’oblation très pure sera offerte chez toutes les Nations de la terre, le cadre de la dignité sacerdotale sera également élargi, splendidement populaire: car chez toutes les Nations, et dans tous les rangs, le Seigneur se choisira des hommes à qui il dira: Montez à mon autel. Telles furent ces deux promesses. Se complétant l’une l’autre, elles sont lumineuses comme le soleil, et larges comme l’univers. Ont-elles été réalisées?

II

Premièrement. Depuis dix-neuf siècles, il y a une oblation pure: la divine Eucharistie. Ah! n’est-elle pas l’oblation très pure, très sainte, indépendante, dans sa pureté ineffable, de nos misères, de nos faiblesses. Elle exige, elle entraîne à sa suite des coeurs purs, des âmes vierges, des sens pacifiés. Mais alors même que les mains qui l’élèvent ou que les poitrines qui la reçoivent ne seraient pas dignes, cette merveilleuse oblation reste pure. Ô Seigneur, comme vous vous êtes vengé en Dieu des faiblesses d’Israël, et comme vous vous vengez encore journellement des faiblesses de vos créatures. Nous attroupons les ombres: englobé par elles, vous demeurez Roi de lumière et de bonté, vous continuez à nous réchauffer, et vous les dissipez! Deuxièmement. Depuis dix-neuf siècles, également, l’oblation pure est offerte en tous lieux, chez toutes les Nations. Ce n’est plus dans les étroites et sévères limites du Temple de Jérusalem que le nouveau sacrifice se célèbre, mais en tous lieux, dans la majesté des espaces libres, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher. Et ce n’est plus le seul peuple hébreu qui répète comme jadis: Chez moi l’autel, à moi le pontificat! Mais tous les peuples, toutes les nations entourent l’autel, identiquement le même en tous lieux; à l’envi, tous les peuples lui fournissent des lévites et des pontifes; ceux-ci apportent leurs main que l’on consacre, et ces milliers de mains consacrées élèvent en haut l’oblation pure, l’hostie d’amour! Le grand honneur des Nations est réalisé, leur appel s’est rattaché à cette sublime élévation. Ô espaces, répondez: lorsqu’il s’est agi d’illustrer vos largeurs et vos profondeurs en y faisant l’élévation du Dieu de l’autel, le pavois n’a-t-il pas été les mains de tous les peuples? Troisièmement. Le nom de Dieu est grand au milieu des Nations par cette oblation pure. Les Nations qui, durant les siècles du paganisme, avaient sacrifié à tant de divinités mensongères et impures, ne reconnaissent plus d’autre sacrifice que celui de cette petite hostie blanche presque immatérielle, et qui est offert au Dieu unique et trois fois saint. Quelle métamorphose étonnante! Plus de mensonge dans le culte, plus d’horreurs; mais le Dieu unique est adoré comme il doit être adoré. Tous les peuples sont à genoux; la Divinité et l’humanité sont chacune à leur place: la Divinité, dans le ciel, l’humanité, dans la poussière, mais l’Hostie blanche réunit le ciel et la poussière; encore une fois, quelle métamorphose de la Gentilité! Dieu est véritablement grand au milieu des Nations. Il est grand, encore, d’une autre manière, il se montre grand par ses largesses eucharistiques:

Auprès de n’importe quel tabernacle renfermant la Présence réelle – que ce tabernacle se trouve au centre d’une cité populeuse de l’Europe ou dans l’île la plus reculée de l’Océanie – des largesses témoignent que le grand Roi est là; et le cœur du chrétien, enivré de ces largesses, chante intérieurement:

C’est ici – et partout comme ici – que coule la fontaine qui a des eaux pour toutes les soifs, le fleuve de paix qui fait fleurir le désert et alimente les grandes villes; C’est ici que se distribue le froment des élus qui forme parmi nous des anges, en même temps que, par une seule communion, il ramène dans les os du pécheur absous la verdeur de l’herbe des champs. Ô largesses eucharistiques, que vous êtes abondantes et variées à l’infini: vous êtes la preuve indéniable que le grand Roi habite au milieu des Nations! Dites, ô vous qui lisez ces lignes: le tabernacle, n’est-ce pas auprès de lui que vous avez passé les heures les plus calmes et les plus pures de votre vie? Quand vous y arriviez avec des joies, vos joies étaient centuplées et sanctifiées; quand vous y arriviez avec des tristesses, vos tristesses étaient adoucies et partagées: parce que c’est là que demeure l’Ami, le Fidèle, Celui qui fut pour vous le premier et qui restera le dernier. De ce tabernacle, Il est sorti pour venir bénir, à votre foyer, le suprême sommeil de votre mère ou de votre vieux père; et si à votre tour vous êtes devenu père, c’est à ce tabernacle que vous avez confié, comme au dépositaire le plus sûr, l’innocence de votre fille, l’avenir et les dangers de votre fils. C’est au pied de ce tabernacle qu’à chaque crépuscule du soir qui précédait la grande fête de Pâques, vous êtes venu demander – et avez toujours obtenu – le pardon de vos fautes; et lorsque, le lendemain, vous vous releviez de la Table sainte possesseur de votre Dieu, vous vous sentiez rempli d’une allégresse fortifiante, comme si votre création eût été renouvelée.

Et ce que vous avez éprouvé, d’autres l’ont éprouvé, à travers bientôt vingt siècles, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher: dans les bourgades, dans les cités, chez les grandes nations, chez les petites peuplades, au milieu des glaces, auprès des fleuves, dans les îles, partout, partout; Dieu s’est montré grand, «mon nom est grand au milieu des Nations», magnifique dans ses largesses! Reconnaissez-le; reconnaissez que de l’oblation pure a dérivé tout ce qui a fait votre bonheur et votre grandeur. Ô France, ce ne sont pas tes fertiles campagnes, ni tes gestes héroïques, qui ont formé ta plus grande gloire. Ô Espagne, ce n’est pas la découverte des mondes qui a formé la richesse de ton blason. Ô Italie, ce n’est pas la pureté de ton ciel ni ton amour des arts qui ont fait de toi l’Italie. Vieille Helvétie, ce ne sont pas tes vallées ombreuses, ni tes cascades jaillissantes, ni ta vaillance, qui ont été le principe de ta réputation. Nations, Nations, c’est l’oblation pure qui vous a toutes illustrées: l’oblation pure qui, en s’élevant par vos mains, bénissait tout autour de vous. Soyez-en fières, vous en avez le droit; vous ne le serez jamais assez!

III

L’heure de la puissance des ténèbres est venue. Un complot antieucharistique a été ourdi, calqué, ce semble, d’après et contre les magnificences que nous venons de voir réalisées, et qu’il s’agirait de détruire de fond en comble. La divine Eucharistie, en effet, est menacée d’une triple manière: Menacée dans la magnificence des Nations qui lui appartiennent; Menacée dans sa magnificence d’oblation pure; Menacée dans la magnificence du sacerdoce universel qui lui est consacré. 1° Menacée dans ses Nations. Cette Eucharistie que nous détestons, ont dit ceux qui ont pactisé avec l’Enfer, ce Jésus dans son sacrement, nous ne pouvons pas l’enlever aux Nations, cela dépasse notre puissance, mais nous lui enlèverons les Nations! Enlevons-lui d’abord les chemins, les routes, où il passait en triomphateur… – Et les processions de la Fête-Dieu ont été interdites presque partout. Les chemins ont pleuré! Enlevons-lui les poitrines d’hommes. «Défense aux hommes de se présenter à la Table de communion, À bas la communion!» – Et cette défense promulguée et transmise comme un complot, favorisée par les passions impures, n’a été que trop bien acceptée: un immense nombre d’hommes ne communient plus. La force des Nations, les hommes, semble ne plus appartenir à l’Eucharistie. 2° Menacée dans sa pureté. «Attaquons sa pureté», continuent les hurlements d’Enfer; Sa pureté intrinsèque? c’est impossible. – En effet, ainsi que nous l’avons constaté, le Christ est a jamais indépendant, dans son oblation pure, de tout ce qui peut se présenter comme impur à son autel. Ils sont la fange: Lui est le pur rayon qui plane sur ces fanges soulevées, et qui retombent sans nuire à son éclat vainqueur. Mais la pureté extrinsèque de la Très Sainte Eucharistie est attaquable, et ils l’attaquent. Grand Dieu! c’est horrible à dire: Ils l’attaquent par des profanations, par des brisements de tabernacles. L’impiété gouvernementale avait mis les scellés sur les portes des chapelles; l’impiété de la populace, elle, a attaqué Dieu par des voies plus promptes: par l’explosion et par le vol avec effraction. Des tabernacles ont sauté, d’autres, et en grand nombre, sont dévastés et pillés, de nuit. On dévalisait autrefois les passants, voici qu’on dévalise Celui qui demeure, le Trésor des fidèles. Les ciboires sont volés, et les saintes hosties sont indignement répandues à terre ou emportées dans des réunions infâmes qui rappellent, que dis-je? qui dépassent la scène de nuit de la maison de Caïphe, après que le Sanhédrin eut prononcé: Il est digne de mort. Sa pureté est ensuite attaquée par une ténébreuse association de communions sacrilèges. Les misérables! ils emploient à cette maudite besogne ce qui compose la partie la plus charmante de la cour de Jésus, des femmes et des enfants. Des lèvres d’enfants ont reçu des missions atroces…

Enfin, ils trouvent le moyen, les malheureux! d’introduire l’impureté jusque dans la matière du sacrifice de l’autel en falsifiant le vin qui doit être changé au sang du Seigneur. La haine maçonnique a essayé cette abominable tentative; la cupidité de certains marchands s’y prête; alors, malgré les paroles de la consécration, le sacrifice n’a pas lieu, et Satan ricane de joie parce qu’il a privé Dieu d’un hommage du sacrifice éternel.

3° Menacée dans son sacerdoce. «Sac au dos! la caserne au lieu du séminaire!» telle est, enfin, la dernière perfidie du serpent contre la divine Eucharistie. Il est manifeste, en effet, que l’obligation du service militaire pour les ministres de l’autel est une menace formidable contre l’autel lui-même. L’aube blanche rêvée par un jeune lévite est bien compromise, s’il est obligé de dormir longtemps dans une caserne; et la même main qui pourrait donner la mort avec le fer, ne saurait distribuer ensuite le pain de vie avec le ciboire des anges. Voilà pourquoi, dès l’ancienne Loi, pour des sacrifices simplement figuratifs, le Seigneur avait exigé qu’une tribu tout entière fût séparée entre les autres tribus d’Israël, dispensée, par respect pour son service, de toutes les obligations militaires et profanes. Mais, dans sa rage d’apostasie, la haine moderne ne tient compte d’aucun précédent ni religieux ni historique. «Empêchons la formation des prêtres, afin d’empêcher la célébration des messes; et, si c’est possible, plus de prêtres, afin qu’il n’y ait plus de messes!» C’est la conclusion de son programme. Une chose doit nous rassurer, celle-ci: les sacrifices mosaïques et le Temple de Jérusalem ont disparu pour toujours, c’était annoncé; mais il est annoncé aussi que le sacrifice de la Loi nouvelle, la divine Eucharistie, demeurera jusqu’à la consommation des siècles, jusqu’à l’ouverture des cieux. Quand l’homme de mal paraîtra, l’Antechrist, sa puissance sera considérable, terrifiante, mais elle n’ira pas jusqu’à priver le monde de la divine Eucharistie. Le sacrifice public pourra être interrompu; mais, à travers les espaces, il y aura toujours des gerbes de froment, des grappes de raisin et les paroles de la consécration qui, à l’envi, se rencontreront pour offrir, entre la terre et le ciel, l’oblation pure. Néanmoins, malgré cette consolante promesse de durée et de victoire, beaucoup de mal pourra se faire contre l’autel, trop de mal se fait déjà; et c’est pourquoi demandons-nous maintenant quelles mesures nous devons prendre pour former, autour de la divine Eucharistie notre trésor adoré, une citadelle inexpugnable.

IV

Une citadelle est inexpugnable lorsque, dans sa forte position, elle est munie de cette triple manière, présentant : 1° des hommes décidés; 2° des approvisionnements; 3° une veille incessante.

Des hommes décidés pour la divine Eucharistie: Décidés à quoi? À remplir leurs devoirs de chrétiens, à se confesser et à communier, à se confesser pour avoir le bonheur de communier. Est-ce suffisant? Non. Décidés à communier ensemble: par groupes et publiquement. Les hommes ensemble, à la sainte Table! Et pourquoi cette communion collective? Pour se réjouir et se réconforter dans cette fraternité eucharistique; Pour mieux vaincre le respect humain; Pour attirer d’autres frères d’armes par la vue du brave petit bataillon; Pour compenser et réparer l’absence de tant d’hommes qui ne communient plus, par le groupement de ceux qui communient: stratégie de la vraie bravoure, qui consiste à réparer la diminution par l’entente et la décision!

Ô hommes; ô catholiques, n’hésitez point. N’entendez-vous pas que, de tous côtés, on se plaint avec une surprise poignante qu’il n’y a plus d’hommes. Or, ne vous y trompez pas, il faut le froment, ce que l’Écriture appelle le robur panis, la force du pain, pour constituer la virilité du sang et la virilité du cœur, pour former des fronts qui se portent plus haut que toutes les tempêtes, et des courages qui sauvent les sociétés.

Gédéon était occupé à battre le blé, lorsqu’il devint l’homme fort qui sauva Israël: superbe figure des hommes eucharistiques! Remémorons cette simple et grande histoire: C’était, dit le Livre des Juges, dans le temps où les enfants d’Israël vivaient sous l’oppression des Madianites, et où ils étaient si malheureux, qu’ils étaient obligés de se creuser des antres et des cavernes dans les montagnes. Mais voici que l’Ange du Seigneur apparaît à Gédéon. Celui-ci était occupé à battre à la hâte le blé dans la grange, et à le vanner, pour se sauver ensuite des incursions des Madianites. L’Ange lui dit: «Le Seigneur est avec vous, ô le plus fort d’entre les hommes.» – Gédéon lui répond: «Si le Seigneur est avec nous, d’où vient que tous ces maux sont tombés sur nous? Où sont ces merveilles qu’il a faites, que nos pères nous ont rapportées en nous disant: Le Seigneur nous a tirés de l’Égypte. Et maintenant le Seigneur nous a abandonnés, et il nous a livrés entre les mains des Madianites.» Alors, dit la Bible, le Seigneur le regarda, et lui dit: «Allez dans la force dont vous êtes rempli, vous délivrerez mon peuple.» À quelques jours de là, ce cri retentissait en Israël électrisé: L’épée de Dieu et de Gédéon! Madian était écrasé. Un homme occupé à battre le blé était devenu le libérateur. Et je me dis maintenant: Quoi! le blé des chrétiens serait inférieur en prodiges au blé d’Israël? Non, non, puisque Dieu y est! Debout, les hommes décidés! Ensemble, à la Table sainte! Ô divin Tabernacle, tu n’as rien à craindre! Ô Table sainte, tu resteras dressée jusqu’à la fin des siècles: autour de toi, il y aura des Gédéons!

V

Les approvisionnements constituent la deuxième force d’une citadelle. Qui procurera ceux qu’exige la défense du divin Tabernacle? Les femmes chrétiennes, c’est leur rôle, et leur honneur. Approvisionnements, qui consistent d’abord dans l’ensemble et la variété des linges d’autel, des vêtements sacerdotaux, et de tout ce qui rehausse le culte. Que de travaux d’aiguille merveilleux en finesse, en délicatesse, en beauté, ont été déposés et accumulés aux pieds du Souverain Pontife Léon XIII au jour de ses Noces d’or! Avec quels tressaillements ils ont été commencés, achevés, envoyés! L’amour se jouait dans leur exécution, leur richesse et leur variété. Ils ont eu, dans leur ensemble, la signification importante que voici: le travail des femmes chrétiennes de l’univers ne se ralentira jamais pour la divine Eucharistie. Ô tabernacle des îles lointaines, ô églises en souffrance des vieux continents, n’ayez aucune alarme: vous serez toujours approvisionnées! Mais les soins des femmes chrétiennes se borneront-ils à ne laisser manquer de rien le culte radieux de la divine Eucharistie? Oh! non. Leur mission a un complément céleste: après avoir approvisionné l’autel de tout ce qui lui est nécessaire, leur mission consiste encore à approvisionner le Très Saint Sacrement de coeurs qui communient. Le froment divin ne manquera jamais à ceux qui désireront communier; mais ce sont les communions qui peuvent manquer au divin froment. La disette des communions, la disette des cœurs!… Aussi, le rôle incomparable qui s’offre aux femmes chrétiennes est celui de glaneuses du Très Saint Sacrement. Les glaneuses du Très Saint Sacrement, quelle touchante et suave dénomination! De même que les hommes chrétiens ont, dans la Bible, un type qui leur convient, Gédéon: les femmes chrétiennes ont le leur, Ruth la glaneuse. L’Histoire de Gédéon se liait au froment; également celle de Ruth:

Comme elle s’avance tout à la fois gracieuse et réservée, la belle-fille de Noëmie! Elle marche derrière les moissonneurs, elle recueille les épis qu’ils ont laissés. Leur maître leur a recommandé de ne pas lui faire de la peine, de jeter même exprès des épis de leurs javelles, et d’en laisser sur pied dans les sillons, afin de lui faciliter son travail de glaneuse. Elle glane, elle amasse, et lorsqu’au soir de la journée ayant battu avec une baguette les épis qu’elle a recueillis, elle en tire le grain, elle se trouve posséder trois boisseaux. Ruth la Moabite, la charmante glaneuse! Parce que la charité l’avait poussée à être ainsi industrieuse, elle mérita de prendre rang parmi les aïeux du Messie et de devenir elle-même le plan de vigne féconde, d’où est sortie la tige de Jessé avec la gloire de la Maison de David. Dieu soit béni! auprès des femmes chrétiennes, le rôle de Ruth se continue! Ô femmes, ce rôle décrit avec tant de grâces dans le livre de Dieu, vous est conservé: avec cette différence, tout à votre avantage, qu’il s’applique, sous la Loi nouvelle, non plus au froment des champs, mais au froment des cieux. Ô divine Eucharistie, tu as tes glaneuses qui vont à la recherche des cœurs! Elles marchent dans la maison de Dieu, derrière les apôtres, derrière les moissonneurs. Ne leur faites pas de la peine, bons ouvriers!… Que de coeurs, au jour du jugement ou de la moisson rassemblée, leur devront de n’avoir pas été abandonnés! Mais ne l’oubliez pas, ô femmes, anges discrets du salut, le rôle de glaneuse exige des recherches, de la délicatesse, du tact, de l’humilité. Il faut se baisser, il faut souvent toucher terre. Ô glaneuses du Très Saint Sacrement, ne vous lassez jamais de recueillir des cœurs!

VI

Veille incessante telle est, avons-nous dit à propos d’une citadelle, la troisième condition pour la rendre inexpugnable. Qui fera cette veille autour du saint autel? Ne sont-ce pas ceux qui ont pour fonction sublime de monter à l’autel, les prêtres du Seigneur? Aussi bien, le Livre de Dieu les appelle des veilleurs; «Toi, veille», écrit saint Paul à Timothée, tu vero vigila. C’est pourquoi, à l’encontre de toutes les tentatives criminelles ou menaçantes contre la divine Eucharistie, quelle sera leur veille? Pleine d’yeux, ce semble: Veille sur les serrures et la fermeture de leur église; Veille sur la préservation des vases sacrés; Veille sur l’inaccessibilité du saint ciboire durant la nuit; Veille sur la sincérité du pain et du vin qui servent au saint sacrifice; Veille sur la perpétuité et l’accroissement des hommages et des honneurs autour de la Présence réelle; Veille sur le maintien convenable des personnes qui approchent de la Table sainte; Veille sur eux-mêmes, sur l’innocence de leur mains et la pureté de leur coeur. Ô Veilleurs, veillez, veillez, veillez; Saint, saint, saint est Celui qui s’est confié à votre garde. Le Ciel et la terre sont remplis de sa gloire; et son Cœur est rempli de confiance en vous ses amis, ses prêtres! Non moins que pour les hommes forts et que pour les chrétiennes, il y a également, dans la Bible, pour les prêtres, un type admirable de leur amour et de leur intrépidité au service de la divine Eucharistie: ce type, c’est le saint prophète Élie. Prophète extraordinaire non seulement parce qu’il a été enlevé au ciel dans un tourbillon de feu et dans un char traîné par des chevaux de feu, mais encore parce qu’il a déployé un zèle de feu pour la gloire du Dieu des armées. Élie a mérité cet éloge inscrit au livre de l’Ecclésiastique: Le Prophète Élie s’est élevé comme une flamme, et ses paroles étaient toutes de feu comme la lumière d’un flambeau. Il a souffert, il a reproché aux peuples leur idolâtrie et leurs désordres, il a fait trembler sur leur trône les rois impies, il a mené dans un corps mortel une vie céleste: digne, sous tous les aspects, d’être à jamais un type du zèle sacerdotal. Salut, ô saint Prophète: dans la mystérieuse région où la Providence vous tient en réserve pour le dernier combat, que ce salut vous parvienne! Nous attendons votre retour: vous trouverez des prêtres dignes de vous, dignes du Dieu des armées!

Mais voici la scène spéciale où la divine Eucharistie lui est apparue en figure, et où il lutta, soutenu par elle: Il fuyait la colère et la haine de Jézabel, cette Furie contre le royaume de Dieu sous l’ancienne Loi. Il s’était enfoncé dans le désert qui est au sud de la Palestine. Après une journée de chemin, il s’arrêta sous un genévrier; il s’y assit, et souhaitant de mourir, il dit à Dieu: «Seigneur, c’en est assez; retirez mon âme, car je ne vaux pas mieux que mes pères.» Et il se jeta par terre, et il s’endormit à l’ombre du genévrier. Un ange le toucha alors, et lui dit: «Levez-vous et mangez, car il vous reste un grand chemin à faire.» Élie regarda, et vit auprès de sa tête un pain cuit sous la cendre, avec un vase d’eau. S’étant levé, il mangea et but; et, dans la force de cette nourriture, ajoute le Livre sacré, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne du Seigneur, l’Horeb, où il vit Dieu par derrière et fut ravi.

Ô clergé catholique, intrépide mais toujours en butte à des attaques de toutes sortes, il y a des heures dans la vie du saint ministère où la fatigue est si lourde, les embûches si perfides, les déboires si continuels, que, comme le prophète, on est tenté, n’est-ce pas? de souhaiter de mourir. Seigneur, c’en est assez! Mais alors, aussi, penché, non plus sous le genévrier, mais devant le Tabernacle d’amour, après s’être nourri du pain supersubstantiel que nous a laissé l’Homme de douleurs, dans la force de cette nourriture, en sentant le coeur d’un Dieu palpiter près du nôtre, on reprend courage! Oui, arme-toi de courage, ô saint Clergé: des jours viendront où ta magnanimité devra encore grandir. Jézabel n’est pas morte, la Furie contre le royaume de Dieu! Tu pourras être contraint de fuir au désert. Mais Élie, non plus, n’est pas mort: son zèle pour la gloire du Dieu des armées n’est pas mort; et toi, ô saint Clergé, héritier et continuateur de ce zèle, ne tiens-tu pas entre tes mains gardiennes le pain qui entretient l’amour, le viatique de la vie éternelle: trésor que tu emporteras au désert de la souffrance et des privations! Mon Dieu! qu’elle sera solennelle la dernière journée de combat en ce monde! Sur le dernier épi, le dernier prêtre prononcera une dernière fois les paroles de la consécration!… Ah! j’aperçois la petite hostie blanche, poursuivie mais victorieuse, monter dans la majesté des airs: elle ouvre, pour les bons combattants, les splendeurs de l’Horeb éternel, la contemplation de la face de Dieu!



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