Un Fléau plus redoutable que la Guerre, la Peste, la Famine.
Abbé AUGUSTIN LÉMANN
CHANOINE HONORAIRE DE LA PRIMATIALE DE LYON
PROFESSEUR AUX FACULTÉS CATHOLIQUES
NIHIL OBSTAT
Élie Blanc, Profess. à la Faculté de Théologie
IMPRIMATUR Lugd. die 17 dec. 1907
Petrus Card. Coullié, Arch. Lugd. et Vienn.
I
On rapporte une vision du prophète zacharie: le parchemin de malédiction qui volait dans les airs.
Il est un fléau plus redoutable que la guerre,
Il est un fléau plus redoutable que la peste,
Il est un fléau plus redoutable que la famine.
Quel est donc ce fléau plus redoutable que la guerre, la peste et la famine?
Un ancien prophète des Hébreux, qui vivait six siècles avant lère chrétienne, Zacharie, fils de Barachie, le fait connaître dune façon symbolique au chapitre cinquième de ses prophéties.
Voici le texte de cette vision, daprès la Vulgate ou version latine des Écritures :
«Je levai les yeux, et je regardai: et voici, il y avait un livre qui volait.
Et un ange me dit: Que vois-tu? Je lui dis: Je vois un livre qui vole; sa longueur est de vingt coudées, et sa largeur de dix coudées.Il me dit : Cest une malédiction qui va se répandre, sur la face de toute la terre; car tout voleur sera jugé par ce qui est écrit là, et tout parjure sera de même jugé daprès ce livre. Je le ferai sortir, dit le Seigneur des armées; et il viendra dans la maison du voleur, et dans la maison du parjure; et il demeurera au milieu de cette maison, et il la consumera avec son bois et ses pierres.» (Zach., v, 1-5.)
Daprès cette traduction, le livre volant dans les airs serait celui de la Bible qui, en plusieurs endroits, contient en effet des malédictions contre les voleurs et les parjures.
Mais une traduction différente a été proposée, daprès le texte hébreu de cette vision, par certains exégètes, entre autres par le savant chevalier Drach, rabbin converti, qui fut mon maître vénéré dans létude de lhébreu (1) .
Selon lui, le livre de malédiction aperçu par Zacharie naurait pas été la Bible, mais un parchemin de malédiction qui autorisait le vol et le parjure. «On suppose communément, dit-il, que ce livre peut représenter la Loi de Dieu, parce quelle renferme des malédictions contre ceux qui en transgressent les préceptes. Mais le nom de malédiction paraît mieux convenir à un objet de malédiction tel que pouvaient être les fausses maximes et les faux principes qui se répandirent parmi les Juifs.» (2)
Cette opinion pourrait encore sautoriser de la signification propre du verbe hébreu naggah, rendu dans la Vulgate par sera jugé, judicabitur. Le verbe naggah, en effet, a en hébreu deux acceptions. Il signifie tout à la fois être jugé, condamné et être déclaré absous, innocent. Cette seconde signification est même la principale (3).
«On lit dans lhébreu, remarque encore M. Drach, naqqah, justificabitur, ce qui pourrait signifier que ce livre de malédiction favorise les vices, et tel fut en effet le caractère de ces fausses maximes et de ces faux principes qui se répandirent chez les Juifs.» (4)
Daprès cette opinion, le livre de malédiction que le prophète Zacharie aperçut volant dans les airs, ne serait pas la Bible, mais une écriture de perversion justifiant ou déclarant absous le vol et le parjure. Tout en respectant profondément la traduction de la Vulgate, dont il est sagement prescrit quil faut éviter de sen écarter, quil me soit cependant permis daccepter comme un sens accomadatice lopinion du chevalier Drach.
Alors on aura cette traduction, modifiée daprès lhébreu :
«Ayant levé les yeux, je vis un rouleau (5) de parchemin qui volait dans les airs.
Et un ange me dit: Que vois-tu? Je vois un rouleau qui vole, long de vingt coudées et large de dix.
Il me dit: Cest une malédiction qui va se répandre, sur la face de toute la terre; car tout voleur sera jugé par ce qui est écrit là, et tout parjure sera de même jugé daprès ce livre.
Je le ferai sortir, dit le Seigneur des armées; et il viendra dans la maison du voleur, et dans la maison du parjure; et il demeurera au milieu de cette maison, et il la consumera avec son bois et ses pierres.» (Zacharie, v, 1-5.)
Cétait donc une écriture pleine derreurs et dimpiété que le prophète Zacharie aperçut. Cétait un parchemin déployé, digne dêtre appelé en tout sens La Malédiction. Il volait par les airs, parcourant le monde avec rapidité et répandant sur toute la surface de la terre les malignes influences dont il était la source. Il tendait, en effet, à justifier les vols et les parjures. Car tout voleur, disait son texte, est déclaré innocent par lécriture de ce rouleau, et tout parjure est également déclaré innocent. On devait donc sattendre à voir, sous linfluence dune telle écriture, les vols se multiplier et aussi les parjures. On enlèvera au prochain son bien, sa réputation, son innocence. La fraude sera mise en uvre, et non seulement elle réussira, mais elle sera louée comme action de justice. Le monde sera plein de brigandages et diniquités, et ce déluge de maux sera approuvé par la funeste écriture du parchemin qui était porté dans les airs comme en triomphe et qui volait sur la tête des hommes, comme sil venait du ciel.
II
Ce parchemin de malédiction qui volait dans les airs, symbole de la mauvaise presse.
Quelles pages quels écrits, quels livres, quelles affirmations, le prophète Zacharie a-t-il eu la mission de dénoncer, en faisant ainsi connaître lobjet de sa vision, le contenu de ce parchemin volant? À coup sûr, les malfaisantes doctrines, les faux principes, les dangereuses maximes quallaient répandre parmi les Juifs les sectes funestes des Pharisiens et des Sadducéens. Ces sectes dangereuses et toutes puissantes, qui glorifiaient le parjure et le vol, finiront par attirer sur lancien peuple de Dieu les châtiments de la colère divine et la ruine même de leur nation. Lensemble de leurs doctrines aura été pour le peuple juif le parchemin volant de malédiction. (6)
De lancien peuple de Dieu portons nos regards sur les nations modernes. Car, selon une remarque de saint Augustin, les événements qui se sont accomplis chez le peuple juif, ont été souvent la figure de ce qui devait se passer chez les peuples chrétiens.
Quaperçoit-on dans nos temps modernes?
Le rouleau de malédiction volant dans les airs na-t-il pas reparu ?
Si lange qui adressa cette demande à Zacharie : Que vois-tu? nous faisait la même question, chacun ne pourrait-il pas répondre : Je vois un rouleau qui vole, et lange ne pourrait-il pas ajouter, en employant, non plus le futur, mais le présent : Cest la malédiction qui se répand sur la surface de toute la terre.
La mauvaise presse ne mérite-t-elle pas, en effet, lépithète de Malédiction?
Ne rappelle-t-elle pas les dimensions extraordinaires du rouleau déployé? Il était long de vingt coudées et large de dix. Les six et parfois huit pages de chaque édition quotidienne de la mauvaise presse, ajoutées bout à bout, natteignent-elles pas, si elles ne les surpassent, les mêmes dimensions?
Comme le rouleau de malédiction, cette mauvaise presse ne vole-t-elle pas dans les airs, tant sa diffusion est énorme, tant elle est répandue avec célérité aux quatre coins du monde par des porteurs qui courent la distribuer dans les villes, les villages, les hameaux et jusque dans des demeures perchées au plus haut des montagnes?
Comme le rouleau de malédiction, ne projette-t-elle pas sur toute la surface de la terre les plus pernicieuses doctrines, les funestes maximes dont elle abonde?
Comme le rouleau de malédiction ne semploie-t-elle pas à justifier le vol et le parjure?
Eh bien! la main sur la conscience, tous ces pernicieux effets ne sont-ils pas plus redoutables que ceux de la guerre, de la peste, de la famine?
En temps de guerre, tous les coups ne portent pas, la stratégie moderne prescrivant quon se batte à distance. Au contraire, les coups aux croyances, aux murs, au respect dû à lautorité, à lobéissance, à la propriété, à la liberté, portent toujours, ces coups partant dentre les mains mêmes du lecteur, par le journal meurtrier qui est sous ses yeux; et ces coups pénètrent, blessent et, trop souvent, hélas! tuent pour toujours.
Quand la peste sévit, les gouvernements, les villes, les municipalités, les services publics, prennent des précautions. On organise des quarantaines, on isole, on désinfecte. Aucune précaution de ce genre contre la mauvaise presse; nulle entrave, nul barrage: liberté de se répandre lui est laissée; on va même jusquà favoriser son expansion. Lorsquune famine menace de désoler une région, on se hâte de la conjurer, de la limiter par des transports rapides de farines, de pommes de terre, de riz, de conserves; transports dautant plus rapides que la vapeur et lélectricité abrègent les distances. Une famine plus désastreuse que celle de la rareté du pain, la famine des vérités nécessaires, résultant de la négation de lidée de Dieu, de son existence, de limmortalité de lâme, dun jugement après la mort, de la réalité des récompenses ou des peines éternelles, cette famine est en train de sétablir sur une partie du monde; et la mauvaise presse, loin de sen émouvoir et dy porter remède, se fait gloire dy contribuer et de travailler à létendre.
Mais aussi quon nombre, sil est possible, toutes les blessures, toutes les maladies morales, toutes les ruines, toutes les désolations, tous les affaissements, toutes les corruptions, toutes les morts qua produites dans les familles et dans la société linfluence de la mauvaise presse!
Quon additionne, en particulier, les vols et les parjures dont elle est responsable!
Il existait un pays, la France, universellement réputé pour sa fidélité à la parole donnée, au respect de sa signature; un pays où la sécurité du droit et de la propriété paraissait si inviolable, quun étranger, ravi dun tel séjour, avait pu dire: «Tout homme a deux patries, la sienne et la France.» Or, voici que, sous linfluence journalière dune presse oublieuse des traditions nationales, le parjure et le vol sont devenus, en France, tellement érigés en principe, que, dans son ciel autrefois si radieux, semble planer le parchemin de malédiction avec ses paroles: «Tout voleur est déclaré innocent par lécriture de ce rouleau, et tout parjure est également déclaré innocent.» Quon ne nous taxe pas dexagération! La rupture du Concordat, telle quelle sest produite, na-t-elle pas été un parjure? La signature de la France na-t-elle pas été protestée? et cette protestation lamentable ne sera-t-elle pas enregistrée par lhistoire comme une faillite de lhonneur?
Si le parjure, par les excitations et les applaudissements de la mauvaise presse, sest trouvé ainsi érigé à létat de principe, ne peut-on pas en dire autant du vol? Nest-ce point stimulé, commandé, poussé par la mauvaise presse que le gouvernement a commencé et achevé de dépouiller lÉglise de France et même les morts, au mépris du droit et de toute justice?
«Il ny a pas deux règles de justice, lune à lusage des simples citoyens, lautre à lusage de lÉtat. Le même commandement qui dit :
Bien dautrui tu ne prendras,
Ni retiendras à ton escient,
doit régir la conduite des collectivités comme celle des individus. Toute propriété est sacrée, celle-là lest deux fois qui a été constituée par les dons volontaires des catholiques, afin dassurer le recrutement du clergé, lentretien du culte, et la prière publique pour les défunts. Or, cette propriété, la loi de séparation ne la respecte pas, elle la viole au contraire.» (7)
Aussi, un journal a-t-il pu dire, non sans justesse: «Briand, parce quil est politicien, détrousse toute une catégorie de citoyens de leurs propriétés légitimes et il est aux honneurs, tandis que ses imitateurs des maisons centrales sont au cachot pour avoir fait exactement la même chose nétant ni députés, ni ministres». (8)
Une pareille comparaison établie, sans quon ait osé poursuivre, entre le Parlement des lois et une maison affectée à la répression du brigandage, ne fait-elle pas songer à lapostrophe que lança le Christ : «Il est écrit: Ma maison sera appelée une maison de prière; mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs» (9). Ceux que le Christ traita de la sorte se turent également, tant ils se sentaient coupables.
III
Ce qui est à redouter.
Lange qui fit connaître au prophète Zacharie le contenu du parchemin volant dans les airs, a déclaré ensuite, au nom du Seigneur, les châtiments quallaient entraîner les funestes principes innocentés par lécriture de ce parchemin.
Ces châtiments, les voici : «Je la ferai sortir la malédiction, dit le Seigneur des armées, et elle entrera dans la maison du voleur et dans la maison du parjure, elle demeurera au milieu de cette maison, et elle la consumera avec son bois et ses pierres.»
Cette menace sest accomplie à légard de lancien peuple hébreu; tout a été détruit chez lui; la ville de Jérusalem et le temple de Salomon. À cause de la mauvaise presse, qui ne cesse de justifier, dinnocenter le parjure et le vol, dencourager les méchants et leurs entreprises, la France na-t-elle pas à redouter que, de ces feuilles malsaines et impies, ne sorte aussi la malédiction?
Ne commence-t-elle pas à en sortir?
Regardons autour de nous.
Bossuet, commentant lApocalypse, disait: «Je tremble en mettant les mains sur lavenir». Sil eût vécu au début de ce xxe siècle, il eût dit: «Je tremble en mettant les mains sur le présent.»
Quest-ce donc que le présent?
Le présent nest plus la foi. Les antiques croyances à la révélation mosaïque et chrétienne, qui firent longtemps la vie et la joie des peuples, ont disparu chez nous devant le mépris, devant le rire des débauchés et le droit au blasphème.
Le présent nest plus même la raison, lidée de Dieu est en péril. Le présent nest plus la justice. Ceux qui gouvernent lont oubliée; et notre sol naura bientôt plus dasile à lui offrir.
Le présent nest plus lhonneur. On rencontre par milliers des curs inclinés bassement vers la terre, et devenus presque semblables au froid métal pour lequel ils se sont vendus.
Le présent nest plus la vertu. On dit que les murs sont infâmes, et quil y a un effrayant retour des hommes, par grandes masses, vers lanimalité.
Le présent nest plus la fraternité. Légalité civile et la division des fortunes avaient bien diminué la distance qui séparait le pauvre du riche; mais, en se rapprochant, ils semblent avoir trouvé des raisons nouvelles de se haïr, et jettent lun sur lautre des regards pleins de terreur et denvie.
Le présent nest plus lordre. La liberté chez le peuple veut dévorer lautorité, lautorité au pouvoir veut étouffer la liberté: on ne sait plus où marche le grand corps de lÉtat, qui tantôt se heurtant à une démocratie sans limites, tantôt à une autocratie sans contrepoids, incertain de sa route et de son but, est plutôt semblable à un homme ivre quà une société.
Le présent nest plus la paix. Jamais lhorizon navait entendu un tel bruit darmes, et limagination entrevoit des lacs de sang que ne pourront dessécher ni les vents avec leurs brûlantes ardeurs, ni le soleil avec tous ses feux.
Et voilà!
Nest-ce pas la malédiction qui commence à sortir de la mauvaise Presse. Quon pèse cet avertissement de lange qui parla au prophète Zacharie : «Je la ferai sortir cette malédiction, dit le Seigneur des armées, et elle entrera dans la maison du voleur et dans la maison du parjure, elle demeurera au milieu de cette maison, et elle la consumera avec son bois et ses pierres.» Rien nest épargné. La malédiction ne sarrête pas au seuil de la maison des coupables; elle pénètre partout, elle consume ce quil y a de plus résistant, de plus solide, les pierres elles-mêmes : « Vous voyez cette belle architecture, ces grands édifices! En vérité, je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit détruite » (10) . Cette belle architecture, qui fut longtemps celle de la France, nest-elle pas en train de saffaisser, de se lézarder, parce que, solidaire de sa mauvaise Presse, la France attire sur elle quelque chose de la malédiction? En demeurant dans des généralités, il nest point dans
nos intentions dabsoudre les écrivains de la mauvaise Presse, ses collaborateurs, les subalternes qui la répandent. Dieu les connaît, ses regards sont fixés sur eux. Quils sachent que la malédiction ne les épargnera pas, et ses effets sont redoutables, rien ne restera des méchants; on pourra croire quils auront été dévorés par le feu. Que cette rigueur de la justice divine ne soit pas à scandale. Si lon doit rendre compte au Tribunal du souverain Juge dune parole qui passe (11), vain son qui sévanouit dans lair, quel compte rendra-t-on des mauvais journaux, des mauvais livres qui demeurent, et qui empoisonnent, pour des siècles, des générations entières?
IV
Devoirs des catholiques par rapport à la presse.
Dans un louable élan de patriotisme contre « tous ceux qui osent médire de la patrie et déclarent quil ne faut pas défendre la France, quil faut déserter les rangs au jour du danger », M. Clemenceau, président du Conseil des Ministres, a prononcé cette belle parole :
« Quand un pays en est arrivé là, il ne lui reste plus quà se dissoudre et à mourir. Nous ne voulons pas que la France meure (12).»
Nous non plus, nous surtout, catholiques, nous ne voulons pas que la France meure; et parce que lune des principales causes de sa maladie est, avec la négation du patriotisme, le venin dont la infectée la mauvaise Presse, nous demandons à grands cris que cette mauvaise Presse soit refrénée. Ce nest point contre la liberté de la Presse que nous protestons, mais contre la licence qui lui est accordée.
Mais, en attendant que le frein nécessaire lui soit imposé, à nous tous, catholiques, des devoirs incombent.
Le premier de ces devoirs, cest de lutter contre la mauvaise Presse à laide de lÉvangile. Lapôtre saint Jean rapporte vers la fin de son Apocalypse, qui correspond aux derniers âges du monde, quil vit un ange qui volait par le milieu du ciel, portant lÉvangile éternel, pour lannoncer à ceux qui habitent sur la terre, à toute nation, tribu, langue et peuple. Il disait dune forte voix: «Craignez le Seigneur, et rendez-lui gloire, car lheure de son jugement est venue (13).»
De cet ange saint Jean na pas dit le nom. Que chaque catholique soit cet ange! Que chaque catholique confonde par les paroles de vérité renfermées dans lÉvangile les erreurs et les mensonges de la mauvaise Presse. Rien nest fort contre lerreur et le mensonge comme les paroles de lÉvangile! Elles participent à la puissance de Celui qui triompha de Satan au désert de la Tentation : Vade Satana, Retire-toi, Satan; Retire-toi, mauvaise Presse, qui affectes la gloire et le règne de la Vérité. Cest le Seigneur quil faut adorer; cest à lui seul quil faut rendre gloire!.
Étudions donc lÉvangile pour en instruire le peuple, pour le préserver ou le ramener. Que ce livre de Bénédiction vole de par le monde, contre le parchemin de Malédiction. Quil soit annoncé, communiqué, expliqué à tous ceux qui habitent sur la terre de France, à toute ville, à tout village, à tout hameau, à toute demeure!
Le second devoir pour les catholiques, cest un respect absolu de lIndex et de ses condamnations.
Une campagne de dénigrement et de révolte a été récemment organisée contre lIndex.
Si lIndex nexistait pas, il faudrait linventer. Quest-ce donc que lIndex? Le devoir qua lÉglise de prémunir les fidèles contre les ouvrages dangereux soit pour la foi, soit pour la morale. Ce devoir, elle laccomplit par une Congrégation dont les membres sont choisis par le Pape et qui, après un examen très sérieux des ouvrages qui leur sont déférés, prononcent que tels dentre eux sont dangereux et quon ne doit pas les lire ni les communiquer. Le Pape sanctionne la défense, et lauteur ou les auteurs sont invités à reconnaître leurs erreurs et à retirer leurs ouvrages de la circulation.
Quoi de plus louable, de plus nécessaire que cette Congrégation de lIndex et sa surveillance doctrinale et morale? Lorsque, dans une cité, un endroit dangereux pour la sécurité des passants sest produit, ne se hâte-t-on pas détablir un barrage avec indication de ne point passer par cet endroit. Loin de se plaindre, chacun des passants se montre reconnaissant de cet avertissement et se hâte de se détourner. Ainsi agit lÉglise pour la sécurité et le salut des âmes, pour lintégrité de la foi et la sainteté de la morale; Prenez garde, dit-elle, par les avertissements et les prohibitions de lIndex, on ne passe pas par ici sans danger, on ne lit pas ce livre sans péril! Cest, pour avoir négligé ces bienfaisantes indications de lIndex que sest produite cette dégradation des lectures, signalée déjà au siècle dernier par le R. P. Lacordaire . « Parmi les symptômes dont nous sommes témoins, écrivait le grand moine, il nen est pas de plus visible, pas de plus triste non plus, que la passion des livres chimériques, cest-à-dire des livres qui ne disent rien à la raison et ne sadressent quà limagination et aux sens. Le nombre en est incalculable; on ne se contente même plus, et depuis longtemps, de les publier sous la forme matériellement sérieuse dun volume. On les jette au monde par feuilles détachées, comme les oracles tombaient autrefois du chêne de Dodone, et il nest pas de journal ou de revue qui estime pouvoir vivre sans offrir à ses lecteurs ce puéril aliment. La France est inondée chaque jour de pages médiocres par le style et nulles par le fond, quun homme ne peut lire sans mépris pour lui-même (14).»
Voilà ce que censurait en 1858 le P. Lacordaire. Il ne sagissait cependant que « des livres chimériques, cest-à-dire des livres qui ne disent rien à la raison et ne sadressent quà limagination et aux sens», et le moins libéral nhésiterait pas à leur infliger la note de dégradants. On ne tint pas compte de cet avertissement. Quelques années passèrent, environ quinze ans, et en décembre 1872, tous les évêques de Suisse quon ne soupçonnera certainement pas dintolérance pour la liberté de la Presse, effrayés des maux incalculables que préparaient à leur pays et à lavenir, non plus seulement les livres chimériques, mais les livres mauvais et notamment la mauvaise presse, jetèrent ensemble ce cri dalarme aux fidèles de leurs diocèses, sur le rôle de la Presse.
« Qui a répandu dans les masses lincrédulité qui jadis napparaissait çà et là, comme un fantôme, que dans quelques têtes folles ou dans quelques repaires de sociétés secrètes? Qui a ravi lespérance du ciel à de prétendus esprits forts? Qui les a poussés à ne plus chercher leur bonheur que sur cette terre? Qui les a livrés aux sens réprouvés, aux désirs mauvais, aux passions honteuses? Doù leur vient cette soif ardente de jouissances sensuelles? Doù sexhalent ces miasmes pestilentiels de luxure infectant latmosphère que respirent tout âme et toute condition? Doù provient cet impétueux torrent de débauche et de libertinage qui de ses flots rapides envahit tout, entraîne tout, engloutit tout dans des gouffres dévorants? Qui a brisé dans les curs la droiture de la conscience, dans les États la puissance du droit, dans les nations le respect de lordre? Doù vient que nous voyons entasser crimes sur crimes, lordre social et la paix publique disparaître en quelques instants et les peuples languir, succomber sous le faix dont les écrasent lordre armé au dedans et la paix armée au dehors?
Ah! la responsabilité de tous ces maux, cest sur la presse antichrétienne quelle retombe de tout son poids. Oui, cest elle qui les a engendrés.
Dans la plupart des grandes villes de lEurope, des plumes innombrables largement rétribuées, jettent chaque jour feu et flamme sur tout ce qui est chrétien et catholique. Ailleurs des centaines de grands et de petits journaux sempressent de les imiter. Cest ainsi que, sans relâche, le poison fatal sinfiltre dans un nombre incalculable de familles et sinsinue dans des millions dâmes.
Voilà comment travaille au service de lincrédulité et contre le christianisme cet instrument prodigieux que nous appelons la presse journalière. Voilà comment on fait la guerre à lEglise. Voilà comment on sème parmi le peuple, qui ny prend point garde, les principes les plus corrupteurs. Ce serait un miracle si cette puissance dactivité si étonnante nobtenait pas les effets déplorables dont nos yeux sont témoins.
Après cela, oseriez-vous, N. T. C. F., recevoir chez vous un journal hostile à lÉglise, un journal qui viendrait accomplir auprès de vous, auprès de vos enfants, une uvre de corruption? Oh! de grâce, détournez ce malheur de vos familles, écartez cette responsabilité de vos consciences; épargnez cette affliction à votre Mère, la sainte Église; éloignez cette douleur de vos pères et de vos pasteurs; et « si quelquun vient à vous, qui napporte pas la doctrine du Christ, gardez-vous de le recevoir dans vos maisons. » (15). (II Jean, c. 9.) En rappelant ce précepte de lApôtre saint Jean : « Si quelquun vient à vous qui ne vous apporte point la doctrine du Christ, gardez-vous de le recevoir dans votre maison », les évêques signataires de cette lettre pastorale ne faisaient quimiter la sage conduite de la S. Congrégation de lIndex.
Et combien leurs alarmes se trouvaient justifiées! La négation et le blasphème ne naissent pas en effet dans les âmes par une génération spontanée; le serpent leur est présenté, comme à Cléopâtre, dans un vase de fleurs. Le serpent! cest lexpression dont lÉcriture flétrit lintelligence perverse qui abuse de ses dons pour tromper une autre en la poussant au mal. Quel est ordinairement le serpent qui fait à lesprit la première blessure? Hélas! un homme quon admire, plus souvent une page incrédule ou immorale. On a lu le doute, la moquerie, la haine de Dieu déguisée en amour des hommes. Cen est assez. On consent à mépriser ce quadorait une mère, à ployer le genou devant ce quelle méprisait.
Il faut donc être reconnaissant des sages précautions de lIndex, précautions maternelles, et leur obéir avec la docilité de fils aimants et soumis.
Quant aux auteurs signalés par lIndex, il ne faut point simaginer que les écrivains chrétiens qui acceptent docilement sa discipline, qui courbent humblement leur front devant lavertissement du Vatican, il ne faut pas simaginer que ces hommes qui rejettent leur propre sentiment pour se soumettre à ce qui leur est dicté par Celui à qui il a été dit par la Vérité éternelle : Confirme tes frères, perdent de leur valeur intrinsèque et soient, par le fait dune mise à lIndex, sous le coup dun châtiment. Non, pour ces chrétiens humbles et soumis, une mise à lIndex nest pas un châtiment, mais un avertissement paternel, pas autre chose. Est-ce que Bellarmin, Fénelon, Mgr de Ségur, Mgr Maret, Rosmini, le P. Croiset, César Cantu, désavouant et rectifiant dans leurs ouvrages ce que lIndex avait signalé comme contraire à la vérité, ont cessé de conserver autour de leur front la brillante auréole dont leur tête était couronnée? Ceints de lauriers cueillis dans les champs du labeur intellectuel, ils nont fait quajouter à leur gloire le mérite de lobéissance et le bienfait dun exemple toujours applaudi! Que le malheureux Félicité de Lamennais, peut-être lesprit le plus extraordinaire du xixe siècle, na-t-il suivi cet exemple! Des pieds du pape Grégoire XVI, son génie se fût relevé tranquille et assagi.
Puissent tous les modernistes, tous ceux quont avertis le décret «Lamentabili sane exitu» de la Sainte Inquisition romaine et universelle, et ensuite lencyclique «Pascendi dominici gregis» de Notre Saint-Père le Pape Pie X, se détournant de la voie funeste de ce malheureux Lamennais, mais entrant généreusement et en foule dans le chemin glorieux tracé par notre Fénelon, consoler par une prompte et entière soumission leur sainte mère lÉglise, en butte actuellement à tant dattaques et à tant dinjustices! Quils aient tous des oreilles pour entendre ses gémissements et sa parole, un cur pour la conserver avec amour, une volonté pour la pratiquer! Cest pour obtenir cette grâce que nous empruntons à lÉglise elle-même cette prière qui fait partie de sa liturgie sacrée: «Rendez, Seigneur, la paix à nos jours troublés, car nul ne peut combattre pour nous, si ce nest vous, qui êtes notre Dieu. »
Un troisième devoir incombe aux catholiques, celui de soutenir et de propager la Bonne Presse.
Un homme du dernier siècle, respectable entre tous, M. Baudon, président du conseil général de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, adressa à un congrès catholique tenu à Poitiers, en 1875, sous la présidence de Mgr Pie, la note suivante, et le congrès décida que la plus large publicité possible lui serait donnée (16).
Voici la plus notable partie de cette note :
« Un point sur lequel beaucoup de catholiques se font une fâcheuse illusion, cest leur devoir à légard de la Presse catholique. Peut-être serons-nous amenés à dire ici des vérités sévères mais lintérêt engagé est trop grand pour ne pas les dire, parce que les hommes les plus sérieusement pieux tombent souvent ici dans des erreurs étranges.
« Ainsi: 1° beaucoup de catholiques ne lisent aucun bon journal et ne leur fournissent lappui ni dun abonnement, ni dun achat journalier.
« 2° Beaucoup de catholiques ne se bornent pas à cette première faute: ils en joignent souvent une seconde, celle dune sévérité outrée pour les défauts des journaux catholiques. Ces journaux, pour la plupart, vivent du zèle et du dévouement dun homme de cur. Pour peu que le journal commette un de ces petits écarts qui sont si inévitables lorsquil faut écrire chaque jour au courant de la plume, sans avoir le temps de prendre conseil de personne, vite on tombe sur lui, on lécrase de reproches, de blâmes, et on fait le vide autour de lui.
« 3° La masse des catholiques, et cest un mal immense, ne lit, nachète que des journaux indifférents ou incroyants.
« 4° La masse des catholiques affaiblit ses croyances en lisant les mauvais journaux.»
En terminant sa note, M. Baudon demandait aux catholiques de mettre au nombre de leurs aumônes la diffusion des bons journaux. «Dans le siècle où nous sommes, disait-il, la charité matérielle est très en honneur: cest la charité spirituelle qui fait défaut. Si on comptait au rang de ses bonnes uvres la diffusion des bons journaux, politiques ou non, on ne ferait que justice, et on arriverait bien vite à des résultats vraiment consolants. Car le bien produirait lui-même le bien.»
Qui ne reconnaîtrait, à lexemple du congrès de Poitiers, la justesse de ces observations? Les erreurs signalées se sont même accrues depuis.
1° Le nombre des catholiques qui ne lisent aucun bon journal et ne leur fournissent aucun appui nest-il pas effrayant? Pour se justifier, on les entend dire avec emphase: je nai pas besoin dêtre convaincu de la vérité de ma religion, mais je tiens à savoir ce que disent ses ennemis. À cette raison spécieuse on doit répondre quaucun catholique ne peut se désintéresser, à lheure présente, de cet instrument à la fois merveilleux et terrible, qui sappelle le journal. Tout catholique doit écarter de lui-même et de ceux qui dépendent de lui le mauvais journal. Lacheter ou sy abonner, cest le soutenir pécuniairement, se faire son complice, sassocier au mal quil fait. Et puis, êtes-vous bien assuré que le mauvais journal soit sans danger pour vous-même? Votre religion est-elle donc si bien assise dans votre esprit et dans votre cur que vous nayez à craindre aucun ébranlement? Votre tempérament est-il donc si vigoureux que, buvant chaque jour du poison, vous pouvez vous flatter de nen subir aucune atteinte? Étrange erreur! Ne voit-on pas chaque jour des gens quon a connus très chrétiens, dire quils ont perdu la foi? Ou, sils ne sont pas tombés jusque-là, ne sentent-ils pas dans leur intelligence des doutes, des hésitations, des amoindrissements de vérité quils ne connaissaient pas auparavant? Il ny a donc pas dillusion à se faire. Nombre de catholiques sempoisonnent journellement par la lecture du mauvais journal. De là aussi, cette infériorité numérique de la Presse catholique. Sous prétexte de reconnaître lennemi on a déserté les rangs de la bonne cause; si lennemi ne vous compte pas officiellement parmi les siens, il peut vous nommer ses auxiliaires: À quel titre? Vous lui avez apporté votre argent.
2° « Beaucoup de catholiques ne se bornent pas à cette première faute, disait la note lue au Congrès de Poitiers, ils en joignent souvent une seconde, celle dune sévérité outrée pour les défauts des journaux catholiques.» On les accuse, on les dit mal rédigés, sans intérêt. Mais à qui la faute? Aux catholiques qui ne les soutiennent pas, qui ne leur donnent jamais un centime. Si ces journaux végètent, cest quils sont réduits à un personnel insuffisant, ils sont forcés de faire des économies de dépêches, de correspondances, ce qui les constitue dans un état humiliant dinfériorité vis-à-vis de la presse irréligieuse. Si vous ne vous abonniez qua ces bons journaux, si vous leur faisiez parvenir vos annonces, vos informations, vos rapports, vos prospectus, ils suffiraient à leurs besoins et répondraient aussi à vos exigences.
Mais peut-être cette sévérité reprochée à légard des journaux catholiques provenait-elle de la déviation, des écarts en matière de doctrines religieuses dans lesquels étaient tombés certains de ces journaux? Dans ce cas, rien de plus juste et de plus louable que lattitude de réserve et de défiance de la part des catholiques. On doit, à lexemple de lÉglise, regarder comme intangibles les vérités de la foi et les préceptes de la morale; vérités et préceptes quon ne peut révoquer en doute ou diminuer sans quaussitôt lintelligence ne chancelle, hésitante entre la vérité et lerreur, sans quaussitôt ne soit obscurci et troublé le pur miroir dune âme, jalouse de refléter le Christ et ses enseignements. Cest là ce qui explique lintolérance doctrinale de lÉglise et cest cette intolérance doctrinale de lÉglise qui a sauvé le monde du chaos. Aussi les vrais catholiques considéreront-ils toujours comme lune des plus graves offenses de lhomme envers Dieu lerreur qui sobstine au sujet des grandes vérités religieuses et morales.
Mais, grâce à la clairvoyance et à lénergie de Pie X la défiance à légard de certains journaux catholiques naura bientôt, il faut lespérer, plus loccasion de se produire. On sait, en effet, quaux termes de lEncyclique «Pascendi», des censeurs doffice doivent être institués dans tous les diocèses. «Ils seront choisis parmi les prêtres du clergé tant régulier que séculier, recommandables par leur âge, leur science, leur prudence, et quen matière de doctrine à approuver ou à blâmer, ils se tiennent dans le juste milieu.» «Quà chaque journal et revue, ajoute lEncyclique, il soit assigné, autant que faire se pourra, un censeur dont ce sera le devoir de parcourir en temps opportun chaque numéro publié, et, sil sy rencontre quelque idée dangereuse, den imposer au plus tôt la rétractation.» Cest là un bienfait hors ligne en faveur des plumes catholiques dévouées à lÉglise.
Le pouvoir censorial chez les peuples anciens était purement civil, il ne sappliquait quaux bonnes murs.
« Outre laréopage, remarque Montesquieu, il y avait à Athènes des gardiens des murs et des gardiens des lois. À Lacédémone, tous les vieillards étaient censeurs.
À Rome, deux magistrats particuliers avaient la censure
Il faut quils rétablissent dans la République tout ce qui a été corrompu, quils notent la tiédeur, jugent les négligences, et corrigent les fautes comme les lois punissent les crimes » (17). À la différence du pouvoir censorial dans lantiquité, celui de lÉglise sexerce non seulement sur les murs mais aussi sur les doctrines et ce pouvoir censorial de lÉglise est un pouvoir religieux qui a son origine et sa sanction dans lautorité divine. Il doit donc être scrupuleusement respecté et obéi, comme si lon obéissait à Dieu lui-même.
Au reste quelle sécurité ne procure-t-il pas contre le danger derreur. En établissant des censeurs, Pie X témoigne dune connaissance profonde de lesprit de lhomme, il le délivre davance de tous les maux que causent sa mobilité, son inconstance et ses velléités orgueilleuses, combinées avec sa faiblesse native dans tout ce qui touche au surnaturel. Loin de critiquer le Pape et de déclamer contre ce que plusieurs ont osé appeler son despotisme religieux, quon lui soit reconnaissant! Il na fait que réaliser dans le domaine de la religion ce que Boileau conseillait dans celui des Belles-Lettres:
Faites choix dun censeur solide et salutaire,
Que la raison conduise et le savoir éclaire.
Si les censeurs catholiques suivent exactement les sages prescriptions tracées par lEncyclique «Pascendi», et si les journaux catholiques rivalisent dobéissance par rapport à la direction des censeurs, on verra bientôt disparaître dans la Presse catholique, dun côté, toute déviation, tout écart; de lautre, tout reproche, toute sévérité, toute défiance. Ce sera, dans le monde catholique, un retour à ce beau temps de lhumanité alors que : « La terre navait quune seule langue et quune même manière de parler (18).»
3° Le troisième reproche formulé au congrès de Poitiers était celui-là: «La masse des catholiques, et cest un mal immense, nachète que des journaux indifférents ou incroyants.»
Parlons dabord des journaux indifférents. Ce sont ceux qui ne soccupent pas de religion. Ils ne sont pas mauvais en soi, puisquils ne parlent ni contre la foi ni contre la morale. Ils se bornent à des choses de chronique, à des relations de faits divers, évitant de prendre position dans les questions religieuses et morales.
Quun catholique, par manière de passe-temps, lise de temps à autre lune de ces feuilles, aucun blâme ne latteindra; mais quun bon catholique les achète ordinairement, quil en fasse exclusivement sa lecture quotidienne, pourra-t-on lui maintenir le titre de bon catholique? Ne sera-ce pas, de sa part, se retirer, dans les circonstances présentes, dune lutte devenue obligatoire?
Il ny a plus à se le dissimuler, une lutte suprême se trouve engagée entre le Bien et le Mal, entre la Foi et lAthéisme, entre lÉglise et la Franc-Maçonnerie, entre Dieu et Satan. Et le théâtre de cette lutte sétend sur les continents dune mer à lautre, sur les mers dun continent à lautre, dans le monde dun pôle à lautre. Tous ceux qui ont lambition de faire partie de la milice de Dieu doivent prendre part à cette lutte. Personne nest reçu à venir dire: Je désire rester en repos. Ce nest pas rester en repos que de porter à une Presse indifférente des pièces de monnaie, des subsides qui seraient si utiles à la Presse qui défend Dieu et lÉglise. Ne faut-il pas que la générosité et un indomptable courage égalent, chez les serviteurs de Dieu, la rage des serviteurs du mal et les privations quils savent simposer? Ce sera surtout pour ceux qui auront glorieusement combattu ici-bas les combats du Seigneur que souvriront toutes grandes les portes de la Cité céleste; pour ceux qui auront servi et défendu avec cur la cause de Dieu et de lÉglise.
Acheteurs catholiques ou abonnés des journaux indifférents, quil vous plaise de méditer cette parole dun écrivain en renom :
Cest un ami froid quun ami neutre (19).
Parlons maintenant des journaux incroyants. Tandis que les journaux indifférents sabstiennent, les incroyants se font une joie maligne de critiquer, dattaquer, de blasphémer journellement tout ce qui constitue non seulement notre sainte religion, mais la société elle-même: croyances, pratiques, institutions, personnes consacrées à Dieu, tout est dénigré, tout y passe.
Lorsquon se penche par devoir sur certains de ces journaux, on éprouve quelque chose de lhorreur qui sempara de lapôtre saint Jean, au spectacle du puits de labîme, ouvert tout à coup devant ses regards: « Je vis, dit-il, une étoile (un ange déchu) qui était tombée du ciel sur la terre, et la clef du puits de labîme lui fut donnée. Elle ouvrit le puits de labîme et il monta du puits une fumée comme la fumée dune grande fournaise » (20). Enivrés par les ténèbres de cet abîme, les écrivains des journaux athées ou incroyants semblent possédés par les furies. Les blasphèmes gonflent leur cur, étouffent leur gorge, brûlent leurs lèvres. Entendez-les : « Dieu nexiste pas, lhomme est Dieu. Le monde jusquà cette heure a vécu sous lempire des plus honteuses superstitions; la sagesse des siècles nest que pure ignorance; toute révélation est une imposture, tout gouvernement est une tyrannie et toute obéissance une servitude; après cette vie il ny a ni ciel ni enfer; le monde que nous habitons a été jusquà nos jours et est encore un enfer véritable, mais la science et le progrès en feront bientôt un paradis. La liberté, légalité et la fraternité sont des dogmes incompatibles avec la superstition chrétienne; la propriété est un vol; la véritable anarchie cest lordre.» Voilà en résumé les blasphèmes qui montent du puits de labîme et de certains journaux incroyants. Leurs auteurs sépuisent à les multiplier, espérant quen les entassant de la sorte, ils pourront atteindre jusquau trône de Dieu. Et des catholiques ne se détourneraient pas avec horreur de pareils journaux, imprimant de tels blasphèmes!
La quatrième remarque énoncée au congrès de Poitiers est des plus douloureuses: «La masse des catholiques affaiblit ses croyances en lisant les mauvais journaux.»
Il ne saurait en être autrement.
Lapôtre saint Jean, après avoir parlé de la fumée qui montait du puits de labîme, ajoute: « Et le soleil et lair furent obscurcis par la fumée du puits (21).» Ce nest pas en vain, en effet, quon penche sa tête sur les pages dun journal incroyant. Il sen dégage une fumée de pestilence qui, montant jusquà lintelligence, obscurcit les croyances les mieux assises, les vérités les mieux démontrées: Sol obscuratus est, le soleil est obscurci! Oui, celui qui ne se fait pas scrupule de lire journellement les mensonges et les blasphèmes vomis contre la religion et contre lÉglise perd nécessairement lénergie et la vivacité de sa foi.
En résumé, sils ne veulent plus encourir les reproches quentendit le congrès de Poitiers, les catholiques doivent sabstenir de lire les mauvais journaux et de coopérer à leur diffusion soit en sy abonnant, soit en les achetant au numéro.
Une question se posera peut-être : Mais quels sont les mauvais journaux?
Les pages précédentes ont dû lapprendre suffisamment . Mais, pour ne laisser place à aucune échappatoire, quon écoute cette réponse très nette et très autorisée donnée par une plume épiscopale: «Quel est le mauvais journal? Le journal ouvertement ordurier ou simplement persifleur de la morale, voilà le mauvais journal.
Le journal notoirement impie et négateur du dogme ou simplement naturaliste, sceptique et railleur des pratiques de la religion ou de la piété, voilà le mauvais journal (22).
Le journal qui, correct par ailleurs, se met à laise avec la discipline de lÉglise, ne se gêne pas pour substituer sa propre sagesse à celle de ses pasteurs, critiquer leurs directions et désaffectionner le troupeau de leur houlette, voilà le mauvais journal.» Tous ces journaux doivent être énergiquement écartés, ne point paraître entre vos mains, ne point passer le seuil de vos maisons.
En sus de cette énergie, les catholiques doivent, par contre, sabstenir dune sévérité outrée à légard des journaux franchement catholiques qui suivent fidèlement les directions du Pape et de leurs évêques. Si de petits écarts viennent à se produire dans ces journaux, ne pas se hâter de les critiquer avec acrimonie, mais semployer charitablement à ce quils ne se reproduisent plus.
Cet ensemble de précautions ne constitue cependant que le côté négatif des devoirs des catholiques. Des devoirs positifs leur incombent en outre.
Lesquels?
Soutenir et propager les bons journaux; les soutenir en sy abonnant ou en les achetant au numéro; les propager, en les communiquant, en faisant leur éloge, en leur procurant des lecteurs, des abonnements. Il va sans dire que si ce second devoir positif simpose également à tous les vrais catholiques, il simpose dans une mesure inégale, car il y a des différences de situation, de liberté, de fortune, de loisirs. Mais si le zèle échauffe le cur, le cur accomplit des merveilles. Car le zèle est un feu qui brûle. Cest le zèle qui embrasait le cur des apôtres et leur faisait désirer de tout donner, de se donner eux-mêmes. En avant donc, pour le soutien et la diffusion de la bonne Presse! Nombre dévêques ont déjà recommandé cette marche en avant, Notre Saint-Père le Pape Pie X, plus que tout autre et à plusieurs reprises. Nous ne citerons quune seule de ses recommandations, celle qua rapportée notre Semaine Religieuse de Lyon, en date du 8 novembre 1907.
Pie X sadressait à M. le chanoine Ardant, directeur de la Croix de Limoges, admis en audience: « Ah! la Presse, sécria le Pape, on ne comprend pas encore son importance. Ni les fidèles, ni le clergé ne sy dévouent comme il faudrait. Les vieux disent quelquefois que cest une uvre nouvelle et quautrefois on sauvait bien tout de même les âmes sans soccuper de journaux. Cest bientôt dit : autrefois! autrefois! Mais ces mauvaises têtes ne font pas attention quautrefois le poison de la mauvaise Presse nétait pas répandu partout et que, par conséquent, le contrepoison des bons journaux nétait pas également nécessaire. Il ne sagit pas dautrefois. Nous ne sommes plus à autrefois; nous sommes à aujourdhui. Eh bien, cest un fait quaujourdhui le peuple chrétien est trompé, empoisonné, perdu par les journaux impies. En vain, vous bâtiriez des églises, vous prêcheriez des missions, vous fonderiez des écoles, toutes vos bonnes uvres, tous vos efforts seraient détruits si vous ne saviez pas manier en même temps larme défensive et offensive de la presse catholique, loyale, sincère.»
Le Pape sanimait en parlant. Ses yeux brillaient et je me rappelais les efforts quil avait faits étant patriarche de Venise, pour soutenir son journal la Difesa, dont il disait: «Si les ressources me manquaient, je vendrais ma croix pectorale plutôt que de laisser tomber cette uvre nécessaire.»
Laudience accordée à M. le chanoine Ardant se termina avec cette parole: «Allez, mon fils, rappelez-vous bien quà lheure actuelle la Presse est une uvre capitale.»
1) M. Drach était de l'Académie pontificale de Religion catholique, Membre de Saint-Grégoire -le-Grand, de Saint-Silvestre, Bibliothécaire honoraire de la S. Congrégation de la Propagande.
2) Sainte Bible de Vence, 5è édition soigneusement revue et augmentée d'un grand nombre de notes par M. Drach, rabbin converti, t.XVII, p.433. Paris,1829.
3) Il n'y a pas lieu de s'étonner de ce que le même verbe présente deux sens contraires. Ce cas n'est pas isolé dans la langue hébraïque. C'est ainsi que le verbe Barak y signifie tout à la fois bénir et maudire; que le verbe scherech signifie s'enraciner et déraciner.
4) Bible de Vence, t.XVII, p.433
5) Les Hébreux et les anciens écrivaient sur des peaux ou plusieurs morceaux de vélin attachés bout à bout et en longueur, que l'on roulait autour d'un bâton. On les dépliait lorsqu'on voulait lire. Le rouleau que Zacharie aperçut était tout déployé, puisqu'il y remarqua une longueur et une largeur extraordinaires.
6) Lire dans Bossuet : Corruptions et superstitions parmi les Juifs; fausses doctrines des Pharisiens. (Discours sur l'histoire universelle, seconde partie, chap. XVII, XVIII.
7) Mgr Dubois, évêque de Verdun.
8) Journal le Soleil, 8 novembre 1907.
9) S. Matthieu, XXI, 13.
10) S. Matthieu, XXIV, I; S. Marc, XIII, 1-2.
11) S. Matthieu, XII, 36.
12) Chambre des députés, le 21 mai 1907
13) Apocalypse XIV, 6-7
14) Lacordaire : Lettres à un jeune homme, p.20
15) Ont signés ce mandement :
Joseph-Pierre, évêque de Sion.
Etienne, évêque de Lausanne.
Nicolas-François, évêque de Coire
Charles-Jean, évêque de Saint-Gall.
Eugène, évêque de Bâle.
Etienne, évêque de Bethléem, abbé de St Maurice.
Gaspard, évêque d'Hébron, à Genève.
Gaspard, évêque d'Antipatris, auxiliaire à Coire.
16) Le congrès des Comités de l'Union catholique, ouvert le 18 août 1875, s'est prolongé jusqu'au 22 du même mois.
17) Montesquieu : De l'esprit des lois, livre V, Chap. VII
18) Gen., XI, I
19) Saint-Evremond, écrivain du XVII è siècle.
20) Apoc., IX, I.
21) Apoc., IX, 2
22) Mandement de Carême (1907) de Mgr Morelle, évêque de Saint-Brieuc.