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CHAPITRE IX

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LA PÉRIODE DE RÉSIGNATION ET D'ESPÉRANCE
TOUJOURS SUBSISTANTE DANS LE JUDAÏSME ORIENTAI.

 

I. Nécessité de ne point confondre les Juifs orientaux avec ceux de l'Europe centrale et occidentale. Prépondérance numérique des Juifs orientaux. Leur état d'esprit : ils attendent toujours un Messie conquérant qui les ramènera à Jérusalem. - II. Le Sionisme favorablement accueilli à Prague, en Galicie, dans la Bukovine, en Roumanie, la Moldavie, la Malachie, la Bulgarie, la Russie. - III. Les Juifs disséminés dans le Maroc, en Algérie, la Tripolitaine, l'Arabie, sollicités par le Sionisme. Ceux de la Perse, de l'Afghanistan, de Ceylan, des hides convoités également. - IV. Toute cette masse hébraïque adjurée par le docteur Max Nordau au troisième congrès de Bâle. Se rendra-t-elle à cet appel ? - V. Sympathies occidentales et américaines qui lui feraient écho. - VI. L'infiltration lente et dissimulée de l'élément juif en Palestine définitivement adoptée par les chefs du Sionisme. - VII. Le Sionisme parvînt-il à surmonter tous les obstacles, est-il dans le plan divin qu'un État juif se reconstitue à Jérusalem ?

 

I

 

   Le Sionisme battra-t-il en retraite ? Si l'Occident lui demeure défavorable, fera-t-il appel à cette autre partie du judaïsme dont il n'a pas encore été question, à ces milliers et milliers de Juifs qui s'échelonnent depuis l'Autriche, la Roumanie, la Pologne, la Russie, jusqu'au delà des confins de l'Empire ottoman soit en Asie, soit en Afrique ?
   Il importe, en effet, de ne point confondre les Juifs fixés dans la partie orientale de l'Europe, en Asie et en Afrique, avec ceux qui ont obtenu le droit de nationalité dans les États de l'Europe centrale et occidentale. Chez les Juifs orientaux, étrangers, la plupart, à l'influence des idées modernes, maintenus dans les doctrines et les usages du Talmud, la foi aveugle en un Messie belliqueux et conquérant subsiste et, avec elle, l'espérance de retourner un jour à Jérusalem.
   Cette partie du judaïsme est, sans contredit, la plus nombreuse. Sur 7 à 8 000 000 de Juifs, qui existent, en effet, aujourd'hui comme à l'époque de Jésus-Christ, le plus grand nombre réside en dehors des États occidentaux de l'Europe. La Russie en compte plus de 3 000 000 ; la Pologne, 50 000 ; l'Autriche-Hongrie, 4 600 000 ; la Roumanie, 300 000 ; la Turquie d'Europe, 100 000 ; la Turquie d'Asie, 200 000 ; la Perse, 50 000 ; la Palestine, 75 000 ; l'Afrique, 400 000 ; l'Algérie, 45 000. Dans les États occidentaux de l'Europe et en Amérique, les Juifs, par contre, sont beaucoup moins nombreux. L'Allemagne en compte 650 000 ; la Hollande, 70 000 ; l'Italie, 50 000 ; la France, 80 000 ; Paris, 50 000 ; l'Angleterre, 160 000 ; l'Amérique du Nord, 300 000.
   Si, de ce dénombrement, on passe à l'état des esprits, on constate que, loin de partager l'indifférence des Juifs occidentaux pour le rétablissement d'un État juif à Jérusalem, ceux de l'Europe orientale et de l'Orient proprement dit ne vivent, au contraire, que de cette espérance. Attachés à leurs pratiques religieuses, à leurs traditions, à leurs mœurs à leurs aspirations, à leurs antipathies, le regard toujours vers Jérusalem, ils continuent cette période de résignation et d'espérance qui avait été celle de tous les Juifs au moyen âge.
   Voici un extrait très curieux d'un rapport fait par le docteur Buchanan, en 1810, à l'Église anglicane, sur cette foi innée et persévérante chez les Israélites de l'Inde, et chez les Afghans et les Pyrans, qu'on suppose descendre des dix tribus d'Israël, dispersées sept cents ans avant la naissance de Jésus-Christ :
   « Ceux-ci, pour la plupart, dit le docteur, n'ont jamais entendu parler ni du second Temple, ni du Messie des chrétiens... Pendant mon séjour en Orient, j'ai trouvé partout des Juifs animés de l'espoir de retourner à Jérusalem et de voir leur Messie. Deux choses m'ont surtout frappé, c'est le souvenir qu'ils conservent de la destruction de Jérusalem et l'espérance qu'ils ont de voir un jour cette cité sainte renaître de ses ruines. Sans roi, sans patrie, ils parlent sans cesse de leur nation ; l'éloignement des temps et des lieux semble n'avoir affaibli en rien le souvenir de leur infortune ; ils parlent de la Palestine comme d'un pays voisin et d'un accès facile. En quelques endroits, les rabbins ordonnent à ceux qui bâtissent de laisser incomplète une partie de leurs constructions, comme emblème de ruines, et d'y graver ces mots : Zecher Lacorchan (en mémoire de la désolation). Ils entretiennent toujours avec confiance l'espoir de rebâtir les murs de Jérusalem, pour la troisième et dernière fois, sous les auspices du Messie, ou d'un second Cyrus. Ils croient que l'époque de leur délivrance n'est pas très éloignée, et regardent les révolutions qui agitent l'univers comme des présages de liberté (1).

 

II

 

   Ces sentiments des Juifs orientaux se retrouvent chez les Juifs des provinces danubiennes. L'appel adressé, en 189, par les étudiants de nationalité juive à l'université de Prague à leurs coreligionnaires l'établit surabondamment :
                          « Camarades israélites,
   « Vous passerez bientôt du milieu tranquille des collèges dans l'agitation de la vie universitaire. C'est à nous qui vous y précédons de vous y préparer, en vous initiant à la réalité des choses que vous y rencontrerez.
   « Ici, à Prague, aussi bien que dans les facultés allemandes et dans les tchèques, comme d'ailleurs dans celles de toute l'Autriche et de toute l'Allemagne, vous trouverez la scission à l'état aigu entre les étudiants juifs et ceux qui ne le sont pas. Malgré que les premiers se soient jetés ici dans le pangermanisme, là dans le panslavisme, en un mot dans les chauvinismes nationaux, sans faire état de leur propre nationalité, ils n'ont recueilli que dédain et mépris de la part de leurs non-coreligionnaires, et ont été exclus par eux des sociétés mêmes dont ils avaient été les fondateurs.
   « Pourtant les Juifs ne sont ni des Allemands, ni des Slaves ; ils sont un peuple à part.................
      
   « Enfin la mesure de l'abaissement et de l'abandon de soi-même a paru comble ; il s'est élevé des voix pour dire : « Devons-nous donc nous imposer à une société qui nous rejette de son sein ? Sommes-nous réellement tombés si bas que nous ne puissions tenir sur nos pieds ? Ne serions-nous pas peut-être en butte à tant de mépris, que parce que nous-mêmes n'avons pas le respect de ce que nous sommes ? » Et la réponse à ces questions jaillit d'elle-même des fureurs croissantes de l'antisémitisme ainsi surgirent à Vienne, Czernovitz, Berlin, Heidelberg, etc., des associations d'étudiants de nationalité juive, comme ici à Prague, l'association nationale juive « la Macchabée ». Son principe est ainsi formulé : Les Juifs ont été et restent un peuple autonome par l'unité de la race, de l'histoire, de la conception du sentiment. Assez donc de l'humiliation et de l'effarement ! Assez de la relégation ! « Juif, tu ne dois pas être un esclave, car tu as eu les Macchabées ! » Aveuglés par l'esprit de parti, plusieurs de nos coreligionnaires n'ont pas craint de calomnier nos hautes visées et de défigurer notre idéal. Mais nous poursuivrons nos voies, en dépit de nos adversaires, et nous lutterons avec courage pour l'honneur de notre nation, la liberté et la justice.
   « C'est ainsi que nous vous adressons cet appel à entrer dans les rangs de notre association juive, la main dans la main, sous la bannière nationale, pour le bien et l'honneur de notre cher peuple !
          Signé : Le Conseil élu du corps des étudiants de la nation juive (2). »

   L'Autriche étant devenue, avec le docteur Herzl, l'origine et comme le berceau du Sionisme, il n'est pas étonnant que, nonobstant l'opposition de certains rabbins, les adhésions au Sionisme s'y soient multipliées. Parmi les différentes parties de cet empire des Habsbourg, la Galicie et la Bukovine, ont été des premières à participer au nouvel élan. Tout proches de l'Autriche, les Juifs de Roumanie, de la Moldavie et de la Valachie s'y sont déclarés non moins favorables. Ceux de Bulgarie n'y sont pas opposés.
   Le Sionisme est aussi le bienvenu en Russie. Les trois ou quatre millions de Juifs qui vivent dans ce vaste empire des czars, constituant près de la moitié du peuple hébreu, ont eu pour interprète de leurs sentiments, au deuxième congrès de Bâle, le docteur Mandelstamm. Voici de quelle manière il les a exprimés :
   « Il faut, a-t-il dit, considérer le peuple juif, non comme une secte religieuse, mais comme une véritable nation. Ce fait apparaît irréfutable chez ceux de nos coreligionnaires qui habitent la Russie, la Roumanie et la Galicie. Par contre, ceux qui vivent chez les nations occidentales cherchent à se confondre avec les peuples qui leur donnent asile ; mais ceux-ci ont une tendance de plus en plus manifeste à éliminer ces éléments étrangers. Seul, le Sionisme semble le moyen capable de porter remède à la situation du peuple juif. Certes, les colonisateurs ont déjà rendu des services dont personne ne voudrait nier l'importance ; mais la grande œuvre sioniste ne peut être réalisée par des petits moyens. Que personne ne préconise l'infiltration lente, il faut une colonisation régulière. Rendons hommage à la philanthropie qui a déjà créé des colonies florissantes en Palestine ; mais on ne sauve pas un peuple par la bienfaisance. Il nous faut de sérieuses garanties pour entreprendre la colonisation sur une vaste échelle et à la lumière du jour. (3) »
   Ce que le docteur Mandelstamm a dit si carrément à Bâle, la presque totalité des Juifs le pensent en Russie.
   « L'idée sioniste, écrivait récemment une plume juive de Vilna, l'idée sioniste, nous devons l'avouer, est une idée très séduisante, très en vogue, et l'on sait qu'il n'est pas convenable de rester en arrière de la mode (4) ... »

 

III

 

   Les Juifs disséminés dans les diverses parties de l'Afrique, Maroc, Algérie, Tripolitaine, Arabie, sont visés aussi par le Sionisme. Dès le début de l'année 1899, la proclamation suivante leur a été adressée au nom du congrès de Bâle :
               « À nos frères et sœurs en Israël,
   « Au nom du congrès sioniste universel de Bâle, je viens vous appeler à rejoindre le drapeau de notre peuple, levé pour la réédification de l'État juif sur la terre d'Israël.
   « Ce mouvement puissant n'est pas issu de l'imagination des hommes dévoués placés à notre tête. Seules les aspirations émanant du cœur d'Israël guident leurs pas et dictent leurs paroles.
   « Le Sionisme est bien l'expression de nos ardeurs vingt fois séculaires, la réalisation des assurances de nos prophètes, de même qu'il est le remède énergique et définitif à notre situation précaire et misérable dans les nations. Il est surtout l'accomplissement nécessaire de nos destinées politiques et sociales que la longue interruption des âges n'a pas altérées. Il est aussi la conséquence du principe moderne des nationalités.
   « L'état actuel de la Palestine, la situation politique et les besoins économiques du monde entier, les dispositions des gouvernements et des peuples envers nous, enfin l'enthousiasme et l'esprit fraternel qui ont saisi les Juifs des pays les plus espacés, tout nous est preuve que les temps messianiques sont venus et qu'il ne dépend plus que de nous de renouer, sur la terre des aïeux, la chaîne de nos traditions glorieuses et sacrées. »
   Avant même cette proclamation, dès 1897, nombre de jeunes gens, à Constantine, « commençaient à prendre feu, et quelques-uns ne parlaient de rien moins que de s'enrôler sous les drapeaux du parti naissant. » Si les vieux Constantinois ont dressé une barrière devant cette ardeur, ce n'est point qu'ils aient renoncé à Jérusalem, mais parce qu'ils sont d'avis que le retour en Palestine ne se comprend que sous la direction d'Élie le prophète (5).
   Par delà les confins de l'empire ottoman, en Perse, dans l'Afghanistan, Ceylan, les Indes, il y a encore de nombreuses agglomérations juives. Le Sionisme les convoite également, mais ne les a pas encore abordées. S'il parvient à y implanter ses projets, le fanatisme de ces agglomérations juives, égal à celui des musulmans, lui sera d'un grand appoint.

 

IV

 

   À l'opposé des rabbins de l'Occident, des opulents banquiers, des riches commerçants et, en général, de la majeure partie des Juifs nationalisés dans les États modernes, il existe donc une masse hébraïque considérable, la plus considérable assurément, chez laquelle l'espérance de retourner à Jérusalem, de s'y reconstituer en État indépendant, subsiste toujours vibrante. C'est cette masse, et notamment les Juifs orientaux, que le docteur Max Nordau a adjurés au troisième congrès de Bâle, les pressant de s'adjoindre au Sionisme, moyen providentiel qui doit, selon lui, réaliser leurs espérances. Son appel mérite d'être reproduit :
   « J'ai en vue, s'est-il écrié, les rabbins fidèles de l'Orient ; personne ne doute de la sincérité de leur judaïsme. Nous demandons à ces rabbins : Pourquoi vous tenez-vous à l'écart ? Pourquoi vous taisez-vous ? Pourquoi ne déployez-vous pas la bannière de David pour conduire vos communautés dans le camp sioniste ? On dit que vous vous méfiez de nous ; que vous craignez je ne sais quelle tentative contre votre foi ? Comment cela est-il possible ? Nous avons souvent publiquement déclaré que nous n'attaquons pas la foi, qu'au sein du Sionisme chacun peut suivre ses convictions religieuses. Et si cela ne vous suffit pas, considérez donc ceci : Vous tenez votre sort dans vos propres mains ! Il ne vous serait pas même possible de vous imposer notre volonté si elle était différente de la vôtre. Venez tous à nous, vous, les hommes pieux, et vous qui vous méfiez. « Jusqu'ici nous sommes des centaines de mille ; avec vous nous serons des millions. Alors ce sera la volonté de ces millions qui s'imposera et non la nôtre. En un seul jour, d'un seul coup, vous pouvez transformer les neuf dixièmes du peuple juif, qui sont Sionistes de cœur, en Sionistes qui le déclarent à haute voix et le seront de fait (6). »
   Les Juifs orientaux se rendront-ils à cet appel, ou bien se borneront-ils à des sympathies chaudement exprimées, mais s'arrêtant aux lèvres ? L'avenir l'apprendra.

 

V

 

   Si ces sympathies se produisent en Orient, ainsi que le docteur Max Nordau en a le ferme espoir, en attendant qu'une coopération plus efficace lui soit accordée, elles feront écho à d'autres sympathies qui se sont, çà et là, éveillées eu Occident en faveur de l'idée sioniste. Car c'est justice de faire remarquer, avant de clore cet examen du Sionisme, que si le projet d'un nouvel État juif à Jérusalem a rencontré, en Occident, d'ardents adversaires, et notamment parmi les rabbins, de véritables sympathies se sont cependant affirmées et se maintiennent en sa faveur. II y en a même en Amérique. Si, là-bas, les Juifs enrichis se sont montrés réfractaires à tout retour en Palestine, par contre, nombre d'immigrants désabusés ne demanderaient pas mieux que de reprendre la mer pour venir dresser leurs tentes à l'ombre des collines de Judée. On peut ajouter que, jusque dans la haute société juive, des femmes, toujours plus sensibles et souvent plus généreuses que les hommes, ont tressailli à l'idée de restauration de l'ancienne patrie biblique. Mais, parmi toutes ces sympathies, celle qui a le plus attiré notre attention émane de l'Italie, peu favorable d'ailleurs, ainsi que nous l'avons dit, au mouvement sioniste. C'est dans une lettre remarquable, adressée aux Archives israélites, et que nous allons reproduire en partie, que son auteur, Leone Ravenna, publiciste, a dit ce que son cœur pensait de Jérusalem et de sa restauration nationale.
   « À notre avis, a-t-il écrit, il faut distinguer, dans le mouvement sioniste, la partie utopiste de la partie pratique et possible. Quoi que l'on dise, le cœur du véritable Israélite a toujours palpité et palpite encore, en songeant aux conditions présentes et futures de la Palestine. Qui n'éprouve pas ce double amour : l'amour pour le sol natal et celui pour le pays de nos ancêtres, peut croire qu'il y a de l'incompatibilité entre eux. Rien de plus faux. Nous sommes attachés d'une affection sans bornes à la terre où nous avons vu la lumière, où reposent nos parents, où vivent nos enfants, nos frères, nos amis, où nous développons notre activité : nous devons contribuer à la rendre grande, respectée ; ses joies sont les nôtres, comme ses douleurs ; nous nous énorgueillissons de ses triomphes, nous pleurons sur ses malheurs... Mais cela ne nous empêche pas de garder le souvenir de ce coin de l'Asie qui a été le berceau de notre race, le foyer de notre religion, le théâtre de l'héroïsme de nos ancêtres. Le nom de Jérusalem, de la Ville Sainte, qui revient toujours dans nos prières, dans nos chants liturgiques, ce nom fatidique qui a inspiré nos poètes, qui a soutenu les Juifs dispersés dans le monde entier pendant les luttes terribles de dix-huit siècles, ce nom qui représente dans l'avenir le triomphe final de la de la fraternité universelle, ce nom ne peut pas être devenu pour nous une lettre morte, et ceux qui nous invitent à nous unir sous le drapeau de Sion, ceux qui nous proposent d'en rehausser l'éclat, en secourant dans le même temps la misère de nos frères les plus infortunés, ont droit à toute notre sympathie, à toute notre coopération.
   « Certes, s'il y en a parmi eux qui songent à fonder maintenant un royaume israélite dans la Terre Sainte, ceux-là ne peuvent être traités que d'utopistes. C'est Dieu seulement qui peut choisir le moment pour accomplir ses promesses. Nos docteurs mêmes ont déclaré formellement qu'il est impossible aux hommes de hâter ce moment. Qui ne voit les obstacles de tout genre qui s'opposent à la réalisation de ce fait par les voies naturelles ? Il ne faudrait pas compter seulement avec le souverain du pays pour réussir. Ces lieux, qui sont saints pour nous, le sont aussi pour des religions dont la puissance matérielle est écrasante, et qui ne toléreraient pas notre domination. Ce n'est pas aujourd'hui que la lutte d'influence en Orient entre deux grandes nations, l'une catholique, l'autre luthérienne, semble s'accentuer, que l'on peut croire possible qu'il y ait entre les deux concurrentes une place prépondérante pour nous, et il faut avouer que le Sionisme politique n'a pas de chance d'atteindre complètement son but.
   « Mais le Sionisme s,'impose, en attendant, une tâche. qui est possible, en même temps qu'elle est éminemment religieuse et humanitaire. II veut renouveler par le travail juif les beaux temps de la Palestine, et régénérer les juifs persécutés en les réunissant pour gagner leur vie (7)… lorsqu’on pense que ce mouvement a à sa tete des hommes de valeur incontestable, des publicistes de premier ordre, des rabbins respectables, appartenant aux pays où l'élément israélite est plus nombreux, lorsqu'on voit des coreligionnaires de toutes les conditions, de tous les âges, les suivre avec conviction, avec entrain, lorsqu'on songe que tout cela indique un réveil inattendu de l'idée israélite, il faut le prendre en considération sérieuse. Si l'on ne le croit pas utile ou réalisable, il faut en dire les raisons avec le respect que méritent ses défenseurs et les principes dont il émane. Il n'est pas louable de badiner là-dessus, d'en parler d'un ton humoristique (8). »
   C'est donc par l'infiltration lente de l'élément juif en Palestine, sous la direction du Sionisme, que le distingué signataire de cette lettre conseille de préparer la reconstitution de l'État juif, en attendant que le Messie ou la Providence complète l'achèvement.

 

VI

 

   Ce plan semble devoir être adopté par les promoteurs, même les plus avancés. du Sionisme, puisqu'ils ont admis, après les délibérations des trois congrès de Bâle, qu'aucune colonisation en Palestine n'aurait lieu dorénavant sans l'autorisation préalable du gouvernement turc, et qu'il serait à désirer que les colonisations ne se réalisassent que d'après un plan général adopté par toutes les compagnies. Le siège de la Banque coloniale restera fixé en Angleterre, non pas que les Juifs anglais soient devenus épris de l'idée sioniste, mais parce que le judaïsme rencontre en ce pays plus qu'ailleurs sécurité et protection. C'est ainsi que l'infiltration lente et dissimulée préparerait à coup sûr les éléments constitutifs du rétablissement de l'État juif en Palestine, jusqu'au jour où un événement heureux et soudain permettrait au Sionisme, soit par une tentative hardie, soit par une diplomatie habile, de mettre définitivement la main sur le sol convoité de toute la Judée.
   Mais la désorganisation du Sionisme ne se produira-t-elle pas avant l'événement heureux rêvé et patiemment attendu ? Car s'il faut ajouter foi à une nouvelle récente, il paraîtrait « que l'organisation de la Banque coloniale palesti-nienne, votée d'acclamation dans les deux derniers congrès sionistes, ne va pas toute seule. Les versements sur les actions souscrites ne rentrent pas facilement, et l'on est loin d'avoir atteint le chiffre du capital déclaré nécessaire au fonctionnement de la Banque. D'un autre côté, une partie du capital a été mangée par les frais d'administration et autres. Enfin la discorde est au sein du conseil de régence. M. Kann, banquier de la maison Kann et Lissa de la Haye, qui avait apporté à la société le concours de son expérience consommée des affaires, vient de se retirer en faisant claquer la porte derrière lui. Dans sa lettre de démission, qu'il a rendue publique, il déclare que l'ingérence continuelle du docteur Herzl dans le fonctionnement de la Banque constitue un grand danger pour l'œuvre (9).

 

VII

 

   Eh bien, admettons que tout danger soit écarté, admettons que le mouvement sioniste finisse par l'emporter sur la résistance des rabbins de l'occident, qu'il arrive à triompher du scepticisme ou de l'indifférence des Juifs modernisés, et qu'appuyé par les sympathies, par l'activité des Juifs orientaux, il en arrive à calmer non seulement les susceptibilités du sultan, mais encore à surmonter toutes les difficultés matérielles ou politiques qui s'opposent à la reconstitution d'un État juif à Jérusalem...; admettons, en un mot, la suppression de tous les obstacles : l'État juif rêvé, attendu, entrepris, poursuivi, arrivera-t-il à se réaliser, à s'établir ? Dieu le permettra-t-il ? Tout ce qui vient d'être rapporté, en effet, ne constitue que l'agitation de l'homme ; et l'on sait qu'en face de l'agitation de l'homme, il y a le plan de Dieu. Or, est-il dans le plan de Dieu, dans les desseins arrêtés de sa Providence, que Jérusalem redevienne un jour la capitale d'un État juif reconstitué ? La clef de la question sioniste est là. Chimère ou réalité, l'étude du plan divin va nous le dire.


(1) Malo, Histoire des Juifs, pp. 525, 526 ; Paris, 1826.
(2) Journal la Croix, 10 mars 1895.
(3) Le Correspondant, 10 avril 1899, pp. 28, 29.
(4) Arch. israél., 8 décembre 1898.
(5) Arch. israél., 16 septembre 1897.
(6) Le Réveil d'Israël, octobre 1899.
(7) Arch. israél., 10 novembre 1898.
(8) Ibid., 17 novembre 1878.
(9) Arch. israéL, 24 mai 1900.