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CHAPITRE II
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QUEL QUE SOIT LE SIÈGE DE L'EMPIRE DE L'ANTÉCHRIST,
JÉRUSALEM NE REDEVIENDRA PAS ALORS CAPITALE
D'UN ÉTAT JUIF
I. La question de savoir si les Juifs, zélés partisans de l'Antéchrist, redeviendront possesseurs de Jérusalem, liée à cette autre question : Où doit être le siège de l'empire de l'Antéchrist ? Or, deux opinions : l'une indiquant Jérusalem, l'autre la Rome des papes. II. En admettant même que le siège de l'empire de l'Antéchrist sera Jérusalem, il ne s'ensuit pas qu'un État juif soit alors reconstitué, l'Antéchrist devant opérer pour son compte, à son profit. - Antique prophétie d'action d'après laquelle le peuple juif a été brisé sans qu'il puisse être rétabli, même au temps de l'Antéchrist.
I
La coopération des Juifs à l'établissement de l'empire de l'Antéchrist étant ainsi très probable d'après le sentiment commun, une question se pose comme conséquence naturelle, question qui n'est autre que la première opinion énoncée précédemment : Les Juifs, zélés partisans de l'Antéchrist, redeviendront-ils, de concert avec lui et sous sa protection, maîtres et possesseurs de Jérusalem ?
Pour répondre d’une manière nette à la question, il importe de déterminer préalablement où sera le siège, c'est-à-dire la capitale de l'empire de l'Antéchrist.
Or deux opinions toujours subsistantes se sont, de tout temps, partagé les exégètes : l'une se prononçant pour Jérusalem, l'autre désignant la Rome des papes.
La première de ces opinions se présente avec saint Irénée qui s'exprime ainsi : L'Antéchrist, au temps de son règne, transférera le siège de son empire dans la Jérusalem terrestre, et il s'assiéra dans le temple de Dieu (1). C'était peut-être ce que Lactance avait en vue lorsqu'il disait que l'empire retournera en Asie, l'Orient dominera de nouveau, et l'Occident servira (2).
À la suite de saint Irénée figurent, pour cette première opinion, Sulpice Sévère, qui affirme avoir entendu de la bouche de saint Martin les paroles suivantes : L'empire de l'Orient sera pris par l'Antéchrist, qui placera le siège et la capitale de son empire à Jerusalem (3) ; Andréas, évêque de Césarée : Il est probable que l'Antéchrist établira le siège de son empire à Jérusalem, à l'imitation du roi David (4) ; Arétas : C'est à Jérusalem que l'Antéchrist régnera, comme roi des Juifs (5) ; Rabanus : L'Antéchrist, venant à Jérusalem, établira son siège dans le temple saint (6) ; Ansbert : Dans ces régions, où il est de tradition que le Christ a été crucifié, apparaîtra l'Antéchrist, mal suprême ; il y établira son siège et y régnera (7). Sanderus (8), Bellarmin (9), Becan (10), Viégas (11), Lessius (12), Jerem. Ferrerius (13), Cornelius a Lapide (14) partagent cette opinion. C'est aussi celle du docte Suarez, dont voici les paroles : « Il est à croire que le règne de l'Antéchrist s'établira surtout chez les Juifs, et qu'il restaurera la cité de leurs pères dont ils se sont toujours glorifiés ainsi que de son temple (15). » Les partisans de cette opinion se fondent :
a) - Sur un texte de saint Jean qui dit que les deux témoins de Dieu, Énoch et Élie, adversaires de l'Antéchrist, seront mis à mort dans la grande ville où leur Seigneur a été crucifié (16).
Ces mots caractérisant assez Jérusalem, on en conclut que si les deux témoins sont mis à mort dans cette ville, c'est parce que l'Antéchrist y aura le siège de son empire.
b) -Cette opinion se fonde encore sur la prophétie du chapitre XI de Daniel, où il est annoncé que le roi du septentrion entrera dans la terre de gloire (17) qui, dit-on, est la Judée.
c) - Sur cette autre prophétie de Daniel : que ce roi du septentrion dressera sa tente sur la montagne célèbre et sainte (18), qui est le lieu où il doit périr. Or on prétend que cette montagne célèbre et sainte est la montagne des Oliviers d'où Jésus-Christ est monté au ciel.
d) - Cette opinion se fonde enfin sur des raisons qu'on nomme de convenance :
Si l'Antéchrist agissait autrement, pourrait-il se faire accepter comme Messie par les Juifs, qui rêvent une gloire terrestre pour Jérusalem et s'imaginent que cette ville sera le siège de l'empire messianique ?
De plus, comme ç'a été en Judée et plus spécialement à Jérusalem que le Christ, durant sa vie terrestre, a établi le siège de son empire spirituel ; comme c'est là qu'il est né, qu'il a vécu, prêché, accompli ses miracles, établi l'Évangile ; qu'il y a été crucifié, qu'il y est mort, ressuscité, monté au ciel ; qu'il y a enfanté l'Église, en un mot, qu'il y a accompli toute l'économie divine préordonnée de toute éternité en vue du salut du genre humain ; l'Antéchrist, inspiré par Satan, afin de réaliser pleinement sa mission infernale d'adversaire du Christ, reviendra sur toutes les étapes de la vie du Christ pour les combattre et les détruire. Dans ce but, c'est à Jérusalem qu'il fixerait aussi le siège de son empire diabolique pour mieux suivre et anéantir tout ce que le vrai Christ a accompli.
Telles sont les principales raisons alléguées pour la fixation du siège de l'Antéchrist à Jérusalem.
La seconde opinion, qui se prononce pour la Rome des papes, s'appuie sur des raisons qui ont aussi leur valeur.
Reprenant d'abord les textes allégués, elle fait remarquer, et avec raison, que celui de saint Jean (19) touchant la mort des deux témoins Énoch et Elie n'est pas concluant. Il est, en effet, aisé de concevoir que ces deux témoins, adversaires de l'Antéchrist, pourront être mis à mort dans Jérusalem par l'ordre de l'Antéchrist, sans que celui-ci ait alors dans cette ville le siège de son empire, même sans qu'il y soit alors résidant.
Quant à la terre de gloire (20) que l'Antéchrist doit envahir pour s'y fixer, de fortes présomptions semblent indiquer Rome plutôt que Jérusalem. N'est-ce pas Rome, en effet, qui est devenue la vraie terre de gloire depuis que le Vicaire du Christ y a établi son siège ? Qu'on se rappelle le magnifique éloge qu'a fait de la Rome chrétienne le pape saint Léon, dans son premier sermon sur les Apôtres saint Pierre et saint Paul « Ô Rome, ce sont là les hommes par lesquels l'Évangile est venu resplendir eu toi, pour faire de toi, autrefois maîtresse d'erreur, le disciple fervent de la vérité. Ce sont là tes pères, tes vrais pasteurs, qui t'ont plus fortement et plus heureusement établie dans les célestes régions que ne le firent ceux qui fondèrent les premières assises de tes murailles. Ce sont eux qui t'ont élevée à un tel degré de gloire que tu es devenue la nation sainte, le peuple choisi, la cité sacerdotale et royale, et que, constituée tête du monde par le siège sacré du bienheureux Pierre, tu t'es étendue plus au loin par la religion divine, qu'autrefois par ta domination terrestre (21). » Pour mieux faire opposition au vrai Christ, n'est-ce pas là que l'Antéchrist s'efforcera de supplanter son Vicaire ? C'est donc cette terre de gloire qui deviendrait, ce semble, l'objet de ses convoitises et le siège de sa puissance. Ceux qui préparent son règne paraissent l'avoir deviné. Car c'est contre Rome que se sont coalisés, depuis des années, les efforts des francs-maçons et des Juifs, ces formidables préparateurs de la puissance de l'Antéchrist. Une fois établi dans cette terre de gloire, rien ne sera plus facile à l'Antéchrist, devenu dominateur universel, que de se rendre à Jérusalem. C'est là, en effet, que l'attend, d'après la prophétie de Daniel, le bras vengeur de Dieu. Il aura cru quitter momentanément le siège de son empire. mais il n'y reviendra pas.
II
La question de savoir où sera le siège de l'Antéchrist demeure donc indécise (22). Mais en admettant même que ce siège serait Jérusalem, il ne s'ensuit pas qu'un État juif doive être reconstitué et que cette ville en devienne la capitale. L'empire anti-chrétien de la fin des temps sera, en effet, celui de l'Antéchrist, nullement celui d'Israël. C'est pour son compte que cet adversaire de Dieu opérera ; et si, dans ses desseins, il doit arriver qu'il entreprenne de faire sortir Jérusalem de son linceul pour l'ériger en capitale, ce sera à son profit, pour son compte, nullement pour le rétablissement d'un État juif. Un passage de Daniel, relatif à l'Antéchrist, le montre dans son œuvre d'oppression universelle : Il s'élèvera un roi au visage dur, comprenant les énigmes. (les procédés astucieux). Sa puissance s'accroîtra, mais non par ses propres forces (par celles de Satan), et il ravagera tout au delà de ce que l'on peut croire ; il réussira et agira (23). Il ravagera tout ! donc pas d'exception, et le peuple juif, tout en l'acclamant, devra, comme les autres peuples, se courber sous son joug nulle indépendance nationale en face de son empire !
III
Une antique prophétie achève de montrer l'impossibilité de la reconstitution d'Israël comme peuple, et, d'avance, elle fait obstacle aux prétentions qui pourraient être celles des Juifs au temps de l'Antéchrist. C'est une prophétie d'action, c'est-à-dire un acte figuratif accompli par le prophète Jérémie. Le Seigneur lui dit : Va, et reçois des anciens du peuple et des anciens des prêtres un vase de terre fait par un potier, et sors dans la vallée du fils d'Ennom, qui est à l'entrée de la porte d'Argile, et tu diras : Je ferai de cette ville un objet d'étonnement et de raillerie ; quiconque y passera sera stupéfait, et sifflera sur toutes ses plaies... Tu briseras alors le vase sous les yeux des hommes qui iront avec toi, et tu leur diras : Voici ce que dit le Seigneur des armées : Je briserai ce peuple et cette ville, comme on brise un vase de potier, sans qu'il puisse être rétabli (24). L'enseignement de cette action et de ces paroles est que, dans l'histoire d'un peuple, il peut venir un temps où son obstination persistante dans le mal demande que le changement produit dans son sort prenne la forme de la ruine totale, de la destruction. Les habitants de la Palestine ont encore cette même coutume de briser une amphore, lorsqu'ils désirent exprimer la haine profonde que quelqu'un leur inspire. Ils viennent derriere lui ou à ses côtés et mettent le vase en pièces, souhaitant ainsi à leur ennemi une ruine sans espoir. Elle est aussi sans espoir la ruine de Jérusalem comme capitale d'un État juif. Il le proclame hautement notre grand commentateur des Écritures, saint Jérôme, dans l'explication de cette prophétie de Jérémie. « Il est de toute évidence, dit-il, qu'il s'agit ici non pas de la captivité babylonienne, mais de la captivité dont Rome fut l'instrument. Car, après la captivité babylonienne, Jérusalem a été restaurée, le peuple (juif) a été ramené en Judée et replacé dans son ancienne prospérité ; tandis qu'après la captivité qui s'est accomplie sous Vespasien et Titus, et ensuite sous Adrien, les ruines de Jérusalem doivent persister jusqu'à la consommation des siècles... De même qu'un vase de poterie, après avoir été brisé, ne peut être restitué dans son ancienne beauté, ainsi le peuple juif et Jérusalem détruite ne reprendront plus leur ancien état, statum pristinum non habehunt (25).
C'en est donc fait à jamais des espérances trompeuses et toujours trompées des Juifs dispersés. Au temps même de la plus grande puissance et de la plus grande faveur dont ils pourront jouir et se prévaloir sous l'Antéchrist, ils ne parviendront pas à se reconstituer en corps de nation, et Jérusalem ne redeviendra pas leur capitale.
(1) Iren., Adv. hæres., lib. V, cap. XXV.
(2) Lactant, Instit., lib. VI, cap. XV.
(3) Sever. Sulp., Vita S. Martini, Dialog. II.
(4) Andr. epis. Cæsar., in Apoc., II.
(5) Aret., in Apoc., II.
(6) Raban., Opusc. de Antichr.
(7) Ansbert. episc., in Apoc., II.
(8) Sander., De visibili Eccl. Monarchia, lib. VIII, cap. XXVI.
(9) Bellarm., De Romano Pontifice, lib. III, cap. XIII.
(10) Becan., Lib. de Antichr., cap. IV.
(11) Vieg., in cap. XIII Apoc., Conment. II sect. VIII et X.
(12) Lessi., Disputat. de Antichr., demonstr. XII.
(13) Jerem. Ferrer., Lib. de Antichr., cap. XX.
(14) Corn, a Lap., in IIa ad Thessal., II ; in Daniel., IX, 27.
(15) Suarez, Disputat. LIV, De Antichr., sect. V, obj. VI.
(16) Apoc., XI, 7. 8.
(17) Dan., XI, 41.
(18) Ibid., 45
(19) Apoc., XI, 7, 8.
(20) Dan., XI, 41.
(21) S. Leo, Serm. I in Natili Apost. Petri et Pauli.
(22) « De Antechristo valde dubia sunt quæ dicuntur de ortu Antichristi e stirpe Judæa et e tribu Dan ; de patre ejus et matre : de initio regni ejus a Babylone ; de serie populorum ab ipso devictorum ; de restitutione templi Jerosolymitani, etc. » (Van Steenkiste, S. Panli Epistolæ, t. II, pp. 276, 277.)
(23) Daniel., VIII, 23, 24.
(24) Jérém., XIX, 1, 2, 8, 10, 11.
(25) Hieronym., Comment, in Jerem., XIX, 10, 11.