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CHAPITRE III
À QUAND L'ENTRÉE D'ISRAËL DANS L'ÉGLISE
JÉRUSALEM SPIRITUELLE
I. Très probablement au dernier âge de l'Église, vers la fin des temps. Les affirmations dc la Tradition : Pères et théologiens. - II. Les affirmations de l'Écriture sainte : Ancien et Nouveau Testaments. III. Un dernier mot aux Sionistes. - IV. Les deux fils de Joseph aux pieds du patriarche Jacob, et l'unique bercail sous l'unique Pasteur.
I
Dieu seul sait la date précise de la rentrée d'Israël dans l'Église, et il se l'est réservée. Mais ce que l'on peut conjecturer des données de la Tradition et de l'Écriture, c'est que ce retour ne s'accomplira qu'au dernier âge de l'Église, vers la fin des temps.
Tout d'abord, la Tradition l'assure.
Saint Augustin a, par deux fois, consigné cette tradition dans son immortel ouvrage, la Cité de Dieu : « À la fin des temps, dit-il, avant le jugement, les Juifs croiront au Christ véritable, à notre Christ ; c'est une croyance célèbre dans la tradition et le cœur des fidèles (1). » Et à un autre endroit : « Voici ce que nous avons appris devoir arriver dans ce dernier jugement ou vers ce dernier jugement : la venue d'Élie le Thesbite, la conversion des Juifs, la persécution de l'Antéchrist, le jugement du Christ, la résurrection des morts, la séparation des bons et des méchants, l'embrasement du monde et son renouvellement. Toutes ces choses arriveront, il faut le croire mais en quelle manière et en quel ordre arriveront-elles ? c'est ce que l'expérience de ces choses fera connaître alors beaucoup mieux que ne le peut l'intelligence des hommes, qui ne peut maintenant en avoir une parfaite connaissance. Cependant je crois qu'elles arriveront dans l'ordre que je viens de marquer (2). »
Cette croyance célèbre dans la Tradition que les Juifs se convertiront à la fin des temps, nous pourrions la suivre siècle par siècle, en citant les textes des Pères de l'Église, et prouver ainsi la parfaite exactitude de l'affirmation de saint Augustin. Mais ce serait prolonger par trop la conclusion de cet écrit. Qu'il suffise donc de nommer, en renvoyant à l'endroit de leurs ouvrages, les principaux Pères qui affirment, comme saint Augustin, que les Juifs ne se convertiront que vers la fin des temps :
IIIe SIÈCLE
TERTULL1EN, liv. V, contre Marcion, chap. IX.
ORIGÈNES, Homél. VI sur le liv. des Nombres, vers la fin.IVe SIÈCLE
S. HILAIRE, Comment. sur le Ps. LVIII.
S. ANBROISE, Liv. sur le Patriarche Joseph, dern. chap.Ve SIÈCLE
S. JEAN CHRYSOSTOME, Comment. sur le chap. XI de l'Épît. aux Romains.
S. JEROME, Comment. sur le chap. II de Michée ; sur Malachie, chap. III ; sur le Ps. XX ; sur S. Matth, chap. II.
S. CYR1LLE D'ALEXANDRIE, Comment. sur la Genèse, liv. V, de Jacobo ; sur Osée, chap. I ; sur Joël, I, 20 ; sur Michée, V, 3 ; sur S. Jean, V, 4, 5.
S. PROSPER D'AQUITAINE, De la vocation des Gentils, liv. I, chap. XXI.
ARNOBE LE JEUNE, Comment. sur le Ps. LXXX.VIe SIÈCLE
CASSIODORE, Comment. Sur le Ps. CII.
PRIMASIUS, Comment. sur l'Épît. aux Romains, chap. XI.VIIe SIÈCLE
S. GRÉGOIRE LE GRAND, Livre des Morales : liv. II, chap. I sur le chapitre XXIII de Job ; liv. XXVII, chap. XXXVI sur le chapitre VII de Job ; - liv. XXXV, chap. XLII sur le chapitre IX de Job. - Exposition sur le chap. III du Cantique des cantiques. - Homél. VI sur Ézéchiel. - Homél. XXII sur S. Jean.
S. ISIDORE (d'Espagne), Livre sur la vocation des Gentils, chap. V.VIIIe SIÈCLE
LE V. BÈDE, Comment. du Ps. LVIII. - Comment. du chap. VIII de S. Luc.IXe SIÈCLE
HAIMON, évêque d'Halberstad, Comment. sur l'Épît. aux Romains, chap. II.
DRUTHMAR, moine de Corbie, Exposit. sur S. Matth., chap. XXI.
BÉRENGAUD, moine de Ferrières, Comment, sur l'Apocal., chap. XI.XIe SIÈCLE
S. ANSELME, Comment, sur l'Épît. aux Romains, chap. XI.
LE B. PIERRE DAMIEN, Sermon 66.XIIe SIÈCLE
S. BERNARD, Lettre 363e.
Comme on le voit, ce sont les plus célèbres parmi les saints Pères qui se sont transmis la tradition relative à la conversion des Juifs pour la fin des temps. Les remarques dont ils accompagnent cette tradition seraient toutes à rapporter. Mais il nous faut abréger. Saint Jérôme, par exemple, la rapporte en s'autorisant d'un remarquable contraste entre deux circonstances de l'enfance de Jésus. « Lorsque saint Joseph, dit-il, prit l'enfant et sa mère pour les conduire en Égypte, c'était la nuit avec ses ténèbres, image de cette nuit d'ignorance dont se trouvaient alors enveloppés ces Juifs incrédules, dont ils se retirait. Mais lorsqu'il revient en Judée, il n'y a plus ni nuit, ni ténèbres mentionnées par l'Évangile : parce que, à la fin du monde, les Juifs recevant la foi, comme si le Christ leur revenait d'Égypte, ils se trouveront inondés de lumière (3). »
Ailleurs, dans son commentaire sur le prophète Michée, le même docteur place dans la bouche de Jésus-Christ les paroles que voici : « Parce que je suis venu dans la bassesse de la chair et que vous n'avez pas cru en moi, je viendrai à la fin du monde dans toute ma majesté avec les Anges et toutes les armées célestes ; et alors je vous rassemblerai tout entier, ô Jacob ! Alors je réunirai les restes d'Israël, et je n'en formerai qu'un seul troupeau avec le peuple des Gentils dans mon bercail (4). »
Saint Cyrille d'Alexandrie fait aussi cette belle réflexion : « Vers la fin des temps, Jésus-Christ Notre-Seigneur se réconciliera son antique persécuteur Israël. Nul en effet qui connaît l'Écriture n'ignore que, dans le cours des siècles, ce peuple sera rendu à l'amour du Christ par la soumission de sa foi... Oui, un jour, après la conversion de la Gentilité, Israël se convertira, et il demeurera stupéfait des trésors qu'il trouvera dans le Christ (5). »
Qu'elle est gracieuse et qu'elle est vraie la comparaison dont se sert le pape saint Grégoire le Grand : « Nous croyons que ce qui est dit de Job, que le Seigneur bénit encore plus à la fin qu'au commencement. est arrivé selon la vérité de l'histoire ; mais nous ne doutons pas que cela même ne s'accomplisse un jour selon le sens mystique. En effet, le saint homme Job reçoit encore plus de bénédictions à la fin qu'au commencement ; de même, lors du retour des Juifs à l'Église, le Seigneur consolera, à la fin des siècles, la douleur de cette chaste Épouse par la joie qu'elle aura de voir rentrer dans son sein une si grande multitude d'âmes qu'elle pleurait comme perdues. Car elle sera alors enrichie avec d'autant plus d'abondance que la durée du temps de la vie présente sera manifestement plus près de la fin (6). »
Même affirmation de la part du bienheureux Pierre Damien, quoique avec moins d'onction : « Ce peuple perfide, qui maintenant refuse de croire, reviendra à la foi et occupera la partie la plus inférieure du corps mystique de Jésus-Christ ; c'est-à-dire que cela, arrivera dans les derniers temps de la sainte Église, à la fin du monde (7). »
« Au soir, dit aussi saint Bernard, après que la multitude des nations sera entrée dans l'Église (8). »
Mais si les Pères sont les porte-voix de la Tradition dans l'Église, les théologiens, qui leur font suite et qui ont synthétisé leurs enseignements, méritent aussi d'être consultés dans toute question importante. Nous serions donc incomplets si à ces témoignages patristiques nous n'ajoutions ceux des princes de la théologie. En faisant appel à saint Thomas et à Suarez, nous résumons le grand courant théologique du XIIIe au XVIIe siècle. Or que pensait saint Thomas de l'époque où Israël se convertira ? Voici sa réponse :
« Oui, dans le cours des siècles, il y aura parmi les Juifs les conversions partielles de ceux qui se tourneront vers la foi des Gentils ; puis, à la fin, Israël en masse sera sauvé (9)... À ce moment ce ne seront plus des individus, ce sera la nation tout entière qui se convertira (10). »
Suarez est encore plus formel : « La conversion des Juifs se fera, dit-il, aux temps qui avoisineront le jugement et au plus fort de la persécution que l'Antéchrist fera subir à l'Église (11). »
Nous avons interrogé la Tradition sur l'époque de la conversion des Juifs, et elle a répondu :
« Vers la fin des temps. »
Même réponse va être donnée par la sainte Écriture, c'est-à-dire soit par l'Ancien, soit par le Nouveau Testament.
II
Dans l'Ancien Testament il y a principalement le fameux texte du prophète Osée, qui non seulement est formel à cet égard, mais projette sa lumière sur tous les autres textes relatifs à cette question de temps.
Pendant des jours nomhreux, dit Osée, les enfants d'Israël demeureront sans roi, sans prince, sans sacrifice et sans autel. Et après cela les enfants d'Israël reviendront, et ils chercheront le Seigneur leur Dieu, et David leur roi ; et ils s'approcheront avec crainte du Seigneur et de ses biens, aux derniers jours (12) : aux derniers jours, c'est-à-dire vers la fin des temps. On peut rapprocher de cet oracle d'Osée celui du prophète Azarias, énoncé presque dans les mêmes termes, mais avec cette particularité remarquable qu'il indique au milieu de quelles circonstances s'accomplira le retour des Juifs : Des jours nombreux s'écouleront en Israël sans le Dieu de vérité, et sans prêtre enseignant et sans loi. Et lorsque dans leurs angoisses ils seront retournés au Seigneur Dieu d'Israël et le chercheront, ils le trouveront. Dans ce temps-là on ne pourra aller ni venir sûrement, parce que les habitants de la terre seront agités par de grands troubles. Une nation combattra contre une nation et une ville contre une ville, parce que le Seigneur les troublera par toute sorte d'angoisses (13).
C'est aussi pour les derniers temps que Moïse, dans ses adieux à Israël, annonce la conversion finale de ce peuple déjà si souvent révolté sous sa conduite : Le Seigneur vous dispersera dans tous les peuples, et vous ne resterez qu'en petit nombre parmi les nations où le Seigneur vous aura conduits... Après que vous vous serez trouvés accablés de tous ces maux qui vous ont été prédits, à la fin des jours vous reviendrez au Seigneur votre Dieu, et vous écouterez sa voix (14).
Isaïe parle de même :
En ce jour-là, le reste d'Israël, et ceux de la maison de Jacob qui auront échappé ne s'appuieront plus sur celui qui les frappait ; mais ils s'appuieront sur le Seigneur, le Saint d'Israël selon la vérité. Les restes reviendront ; les restes, dis-je, de Jacob reviendront au Dieu fort. Car quand ton peuple, ô Israël, serait comme le sable de la mer, un reste seulement reviendra. La destruction est résolue ; elle fera déborder la justice ; et le Seigneur, Dieu des armées, fera dans toute la terre la consommation en peu de temps (15). « Le prophète, remarque avec justesse le cardinal de La Luzerne, rapproche ici évidemment ces deux époques : le retour des Juifs au Seigneur, lequel sera une conversion, et la consommation universelle (16). »
Le prophète Malachie annonce le rapprochement de ces deux événements d'une manière aussi claire que possible, à la dernière page de son livre qui clôt les prophéties de l'Ancien Testament : Voici, je vous enverrai Élie, le prophète, avant que vienne le grand et l'épouvantable jour du Seigneur. Et il ramènera le cœur des pères à leurs fils, et le cœur des fils à leurs pères, de peur que je ne vienne et ne frappe la terre d'anathème (17). Le prophète Élie reviendra donc sur la terre pour ramener les Juifs au Sauveur. Notre-Seigneur lui-même l'a nettement affirmé (Matth., XVII, 3, 11 ; cf. Apoc., XI, 3). Il ramènera le cœur des pères et le cœur des fils. Les pères, ce sont les patriarches et tous les pieux ancêtres du peuple israélite, les fils représentent la race dégénérée de l'époque de Jésus-Christ et des siècles suivants. Mais c'est seulement quelque temps avant le second avènement de Jésus-Christ, avant que vienne le jour redoutable du jugement divin, que le Seigneur enverra aux Juifs le prophète Élie pour les convertir et les arracher au châtiment.
Ces annonces si précises de l'Ancien Testament se retrouvent comme un écho dans le Nouveau Testament.
Saint Paul, qui a consacré à la conversion des Juifs une page si solennelle, ainsi que nous l'avons vu précédemment. avertit cependant que cette conversion ne s'accomplira qu'à la fin : Ils comblent toujours la mesure de leurs péchés : car la colère de Dieu est tombée sur eux jusqu'à la fin (18). L'aveuglement, qui est tombé sur Israël dès le temps des apôtres demeurera donc sur eux jusque vers la fin des siècles, c'est-à-dire jusqu'à ce que la plénitude des nations étant entrée dans l'Église, tout Israël soit sauvé, étant alors rétabli sur sa propre tige (19).
Saint Jean, dans son Apocalypse, à cette page si réjouissante où il décrit l'achèvement de la Jérusalem spirituelle qui est l'Église, indique aussi par une comparaison des plus vraies et des plus gracieuses que le retour des Juifs ne s'effectuera qu'à la fin : Un des sept Anges, dit-il, me transporta en esprit sur une grande et haute montagne, et il me montra la cité sainte, Jérusalem, descendant du ciel, d'auprès Dieu. Elle avait la clarté de Dieu, et sa lumière était semblable à une pierre précieuse, comme une pierre de jaspe, ainsi qu'un cristal. Elle avait une grande et haute muraille ayant douze portes, et aux portes douze Anges, et des noms inscrits qui sont les noms des douze tribus des enfants d'Israël (20). Ainsi c'est sur les portes de l'Église achevée qu'apparaissent les noms des douze tribus d'Israël. Or, à quel moment, dans la construction d'un édifice, a-t-on coutume d'y placer les portes ? N'est-ce pas quand la construction est achevée, quand tout va être fini, après que les étages ont été disposés, les salles et les chambres déterminées ? Ce n'est donc qu'après que l'Église aura acquis tous ses développements, lorsque la plénitude des nations, ses pierres vivantes, aura pris place dans la construction et l'achèvement de l'édifice, qu'Israël, figuré par les douze portes présentant les noms de ses douze tribus, viendra s'y placer à son tour. Donc seulement à l'achèvement de l'Église, sur le soir du monde. Mais l'apôtre saint Jean ajoute un autre détail non moins digne de remarque : Et la muraille de la ville, poursuit-il, avait douze fondements, et sur ces fondements, les douze noms des douze Apôtres de l'Agneau (21). Quels sont-ils ces douze Apôtres de l'Agneau ? Simon, qui est appelé Pierre, et André son frère, Jacques fils de Zébédée et Jean son frère, Philippe et Barthélemy, Thomas et Matthieu le publicain, Jacques fils d'Alphée et Thaddée, Simon le Cananéen (22) et Matthias (23), tous de race israélite. D'où il suit qu'après s'être trouvé à la base de l'Église avec ses douze apôtres. Israël s'y retrouvera encore avec ses douze tribus à la consommation. À la consommation ! C'est ce que le bienheureux Pierre Damien nous a déjà appris dans une parole qu'il nous plaît de citer de nouveau « Ce peuple perfide, qui maintenant refuse de croire, reviendra à la foi et occupera la partie la plus inférieure du corps mystique de Jésus-Christ ; c'est-à-dire, que cela arrivera dans les derniers temps de la sainte Église, à la fin du monde (24). » Dans sa comparaison des douze fondements et des douze portes, le style de saint Jean l'emporte en bonne grâce sur la citation du cardinal d'Ostie ; c'est que saint Jean, pour avoir reposé sa tête sur la poitrine et le cœur de Jésus, est resté l'apôtre inimitable de la délicatesse et de la charité.IIIC'est donc par rapport à l'Église, Jérusalem spirituelle, qu'Israël a des espérances de retour, et seulement pour la fin des temps. De la Jérusalem terrestre il lui faut faire son deuil, il n'y rentrera plus comme peuple constitué. Le projet des Sionistes, si généreux soit-il, ne saurait par conséquent aboutir. Comme toutes les chimères d'ici-bas, il se dissipera de lui-même, ayant contre sa réussite des décrets divins.
Lorsque de ce fait des obstacles insurmontables et des événements inattendus en auront montré l'évidence, il arrivera vraisemblablement que des Sionistes désillusionnés auront la pensée de porter leurs regards vers l'Église. Car, ainsi que Thomas d'Aquin en a fait la remarque, « dans le cours des siècles il y aura parmi les Juifs des conversions partielles, en attendant qu'israël en masse soit sauvé (25). » Que ces Sionistes de bonne foi et au cœur généreux donnent alors à leurs frères, à ceux qu'ils voulaient déplacer et entraîner vers la terre de Palestine, qu'ils leur donnent le salutaire exemple d'une étude sérieuse et sans parti pris des prophéties bibliques, accompagnée de la prière. Que cette prière soit, par exemple, celle-ci : « Seigneur, accordez-nous la grâce de vous connaître, de vous aimer et de vous servir, comme vous désirez être connu, aimé et servi. » La grâce de Dieu fera le reste, en attendant qu'elle accomplisse la conversion en masse de tout Israël...
IV
Jacob allait mourir. Joseph, l'ayant appris, vint avec ses deux fils Manassé et Éphraïm. On dit au vieillard : « Voici votre fils Joseph. » Aussitôt, reprenant ses forces, il s'assit sur son lit et dit à Joseph : J'ai eu la consolation de vous revoir contre toute espérance, et Dieu a bien voulu me donner encore celle de voir vos enfants. C'est pourquoi vos deux fils que vous avez eus avant que je vinsse en Eqypte seront à moi : Éphraïm et Manassé seront mis au nombre de mes propres enfants. Joseph, les avant retirés d'entre les genoux de son père, se prosterna en terre, puis il plaça Manassé à la droite de Jacob, parce qu'il était l'aîné, et Éphraïm à sa gauche. Mais le vieillard, croisant les bras à dessein et donnant, comme parle l'Écriture, de l'intelligence à ses mains, mit la droite sur la tête d'Éphraïm et la gauche sur celle de Manassé ; et il bénissait en disant : Que le Dieu en la présence de qui ont marché mes pères Abraham et Isaac, le Dieu qui me nourrit depuis ma jeunesse, que l'Ange qui m'a délivré de tout mal bénisse ces enfants, qu'ils portent mon nom, et le nom de mes pères Abraham et Isaac, et qu'ils se multiplient à l'infini sur la terre. Or Joseph, voyant que son père avait mis sa main droite sur Éphraïm, en eut de la peine. Il prit donc la main de Jacob pour l'ôter de dessus la tête d'Ephraïm, et la mettre sur celle de Manassé, et il dit : Vos mains ne sont pas bien, mon père ; car celui-ci est l'ainé, mettez votre main droite sur sa tête. Mais Jacob refusa de le faire, et il dit : Je le sais bien, mon fils, je le sais bien (26).
Les anciens, à la suite de saint Paul, ont vu dans cette scène mystérieuse une figure de Jésus-Christ et de la dispensation de ses grâces. C'est par la foi, dit en effet saint Paul. que Jacob bénit chacun des enfants de Joseph (27).
Quelle était donc cette foi ? et en quoi le Patriarche figurait-il le Rédempteur, figurait-il la dispensation des grâces ?
Ah ! c'est par le croisement de ses mains que Jacob a figuré le Christ, et c'est pourquoi l'Écriture leur attribue une intelligence prophétique. En bénissant, Jacob contemplait et saluait de loin la croix. Placées en croix, ses mains annonçaient la croix, source de toutes les bénédictions (28).
Mais voici que, dans ce croisement des mains, c'est sur la tête d'Éphraïm, le plus jeune, que la droite du Patriarche s'est placée. Ainsi en a-t-il été du peuple Gentil, figuré par Éphraïm : c'est sur lui, quoique le plus jeune, que sont descendues d'abord toutes les bénédictions du Christ. À lui la main droite ; il est devenu l'aîné dans la foi chrétienne (29).
Mais la main gauche, par le fait du croisement des bras, est aussi venue se reposer sur la tête de Manassé. Le peuple juif, qu'il figure et qui fut autrefois l'aîné, sera donc béni à son tour. Un jour, lorsque la plénitude des nations sera entrée dans l'Église, on le contemplera à côté du peuple Gentil, son frère, le front incliné, et adorateur de Jésus-Christ.
Et alors ce sera l'union des deux fils de Joseph, l'union fraternelle des deux peuples du Christ. Ce sera la réalisation attendue et réjouissante de cette annonce prophétique tombée du cœur et des lèvres de Jésus-Christ : Unum ovile et unus Pastor, Un unique bercail sous l'unique Pasteur (30).
FIN
(1) S. August., De civit. Dei, lib. XX, cap. XXIX.
(2) Ibid., lib. XX, cap. XXX.
(3) S. Jérôme, Comment, sur S. Matth., chap. II.
(4) ibid., Comment. sur Michée, chap. II.
(5) S. Cyrill. Alexandrin., Glaphyr. in Genes., lib. V, de Jacob.
(6) S. Gregor. Magn., Moralia, lib. XXXV, cap. XIV.
(7) S. Pierre Dam., Serm. LXVI.
(8) S. Bernard., Epist. CCCLXIII.
(9) D. Thom., in Rom., XI, lec. 2.
(10) Id., ibid., lec. 4.
(11) Suar., in IIIa part., Sum. Theol. D. Thom., Disputat. LVI, sect. I.
(12) Osée, III, 4, 5.
(13) II Paralip., XV, 3-6. Trois opinions se sont formées autour de cet oracle d'Azarias, selon qu'on l'applique au passé (l'époque des Juges, certaines périodes malheureuses des Rois), au présent ou à l'avenir des Hébreux. La Vulgate favorise à bon droit le troisième sentiment, qui a également pour lui l'ensemble du contexte. (Fillion, la Sainte Bible commentée.)
(14) Deutér., IV, 37, 30.
(15) Isaïe, X, 20-23.
(16) La Luzerne, Dissertation sur les propriétés, art. VII, § 17.
(17) I Thessal., II, 16.
(18) I Thessal., II, 16.
(19) Rom., XI. 23-26.
(20) Apoc., XXI, 9-12.
(21) Id., ibid.
(22) Matth., X, 2-4.
(23) Act., II, 23-26.
(24) Petr. Darn., Serm. LXVI.
(25) S. Thomas d'Aq., in Rom. XI, lec. 2.
(26) Gen., XLVIII.
(27) Hébr., XI, 21.
(28) Tertull., de Baptism., cap. VIII. - S. Cyprian., Advers. Judæ., cap. XXI. - S. Amhr., De benedictionibus Patriar., cap. I. - S. Augustin., Quæst. 166, in Gen.
(29) S. Hilarius, in Ps. LIX, n° 9. - S. Ambr., De bened. Patriar., cap. I, n° 3 ; in Ps. cx ; Serm. XIV, n°32. - S. Hieronym., in Jerem. cap. XXXI, V. 9. - S. August., De Civil. Dei, 1. 16, cap. XLII. Qq. in heptaleuch., I. 1, IX, 164.- Paulin Nolan., Ep. XXIII, n° 41. - S. Isidor. Hispal., Quæst. in Genes., cap. XXXI, n° 1 et seq. ; Alleg. vet, et novi Testam., no 47, 48.
(30) Joan., X, 16.