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TANT QUE LA PLACE D'HONNEUR

ET L'INFLUENCE PRÉPONDÉRANTE DUES A JÉSUS-CHRIST

DANS LA SOCIÉTÉ CIVILE LUI SERONT ATTRIBUÉES,

LA SOCIÉTÉ CIVILE

SE MAINTIENDRA DANS LA STABILITÉ ET LA PROSPÉRITÉ

 

 

La stabilité s'y maintiendra :

 

Je le planterai comme un clou dans un lieu solide.

 

C'est dans un lieu solide que le clou est planté ; c'est dans des États stables que le crucifix resplendira. Et l'histoire, en effet, n'enseigne-t-elle point que tant que Jésus-Christ a été maintenu, dans la société civile, au rang d'honneur qui lui appartient, la stabilité des États a été la première récompense ? On a bien vu se produire des agitations, des commotions, des transformations même : c'est qu'ici-bas l'humanité est dans la voie, non au terme. Au ciel seulement la stabilité sera parfaite. Mais nonobstant les vicissitudes inséparables des choses humaines, parce que Jésus-Christ avait sa place et était écouté clans la société civile, des États, comme la France, ont pu atteindre quatorze siècles d'existence. Pareille stabilité se rencontre-t-elle chez les nations antiques ?

 

La prospérité s'y développera :

Cette prospérité, d'après la prophétie, se traduira d'une triple manière :

D'abord, dans un régime de paternité

 

Il sera comme le père des habitants de Jérusalem

Et de la maison de Juda.

 

Point d'autorité parmi les hommes qui soit plus respectable, plus légitime, plus nécessaire que celle des pères sur leurs enfants. Un père n'est occupé que de sa famille. Il n'est riche que pour elle. Il n'est point jaloux des mérites de ses fils. Il étend ses soins à tous : aux faibles, aux petits, aux malades, encore plus qu'aux autres.

Voilà ce que devra être à l'égard des citoyens, le chef d'un État chrétien. Mais ceux-ci, à leur tour, regarderont l'obéissance comme un devoir de conscience, et à l'obéissance se joindra la vénération, pour faire du chef chrétien un père autant qu'un magistrat.

 

L'histoire nous apprend encore que, de fait, il en fut ainsi tant que le crucifix fut contemplé au-dessus de la tête du chef du pouvoir. « Du cœur de son peuple au sien, il y avait une réciproque effusion dont les monarchies antiques n'avaient pas même le soupçon. Le peuple pardonnait des fautes au prince, comme l'enfant pardonne des faiblesses à son père ; il compatissait au levain de l'humanité demeuré en lui aussi bien que dans le dernier des mortels... Le souverain avait foi dans son peuple, et le peuple avait foi dans son souverain. Ils croyaient l'un à l'autre ; ils s'étaient donné la main, non pour un jour, mais devant Dieu et pour tous les siècles, au nom des morts et des vivants, au nom des ancêtres et de la postérité. Le prince descendait tranquillement dans la tombe, laissant ses enfants à la garde de son peuple, et le peuple, les voyant petits et sans force, les gardait en attendant d'être gardé par eux (1). »

 

Le second épanouissement de la prospérité promise sera un développement de l'honneur :

 

Et il sera comme un trône d'honneur

Pour la maison de son père.

 

L'honneur est un regard élevé du chrétien sur soi, une pensée de sa noblesse. Or, cette élévation de sentiments ne fut-elle pas longtemps comme une loi de la vieille Europe ? Sans doute il y avait alors et il y aura de la corruption et de la perversité dans le monde, parce que la liberté y sera toujours défectible. Mais à côté d'égarements inévitables, il y avait dans l'âme même de la société, notamment en France, il y avait dans les lois, dans l'opinion, dans les institutions, dans les coutumes, une telle pénétration de l'honneur, que Montesquieu, personnage peu suspect, a pu dire que la France était une monarchie gouvernée par l'honneur.

 

Le troisième épanouissement de la prospérité promise par la prophétie sera un développement fécond des familles et de toutes choses : commerce, petits métiers, agriculture, arts, etc. :

 

Toute la gloire de la maison de son père reposera sur lui,

Les enfants et les petits enfants,

Tous les meubles jusqu'aux plus menus ;

Depuis les coupes, jusqu'aux instruments de musique.

 

Ce développement fécond des familles et de toutes choses n'a-t-il pas été, en effet, la récompense de la partie du monde qui, durant des siècles, arbora et conserva la croix ? Oui, qu'on compare l'Europe, alors qu'elle était chrétienne, aux vastes pays de l'Asie et de l'Afrique demeurés ou redevenus païens. Chez qui la famille se développa-t-elle davantage dans la fécondité, la dignité, le respect, l'affection ? Chez qui l'essor du commerce ? Chez qui les admirables corporations de métiers ? Chez qui les souvenirs de l'Éden le mieux appliqués à l'agriculture ? Chez qui le développement des sciences ? Chez qui la poésie ? Chez qui les arts, la sculpture, la peinture, la musique ? Chez qui Dante, Raphaël, Michel-Ange, Palestrina ?

 

C'est donc un fait indéniable que la prospérité annoncée par la prophétie s'est accomplie, non moins magnifiquement que la stabilité, tant que les idées chrétiennes ont eu libre cours dans les États ; tant que Jésus-Christ représenté par l'Évangile a joui dans la société civile de l'influence qui lui est due. Saint Jérôme commentant cette partie de notre prophétie dit : L'Évangile rapporte qu'en écoutant Jésus-Christ, le peuple était comme suspendu. Ce n'est pas seulement en ce temps-là que ces merveilles se produisaient ; elles s'accomplissaient aussi dans le nôtre : puisque c'est sur Jésus-Christ que reposent, comme divers objets de Dieu, la sagesse et la justice, et toutes les choses qui portent le nom du christ (2). Oui, tout ce qui fait la stabilité et la prospérité des États porta longtemps le nom de Jésus-Christ et reposa sur lui. Il y avait alors une société chrétienne, une Europe chrétienne, une civilisation chrétienne, une justice chrétienne, une fraternité chrétienne, une joie chrétienne. On peut aujourd'hui avoir oublié tous ces bienfaits du Fils de Dieu dans le domaine social, mais l'histoire ne les a pas oubliés. Et l'avenir, d'accord avec la dernière partie de cette prophétie, dira un jour, bientôt peut-être, ce qu'il en advient des peuples ingrats qui ont le malheur de méconnaître et de rejeter Jésus-Christ.

 

 

(1) Lacordaire, Conférences, t. II, p. 173, Paris, 1857.

(2) Quod et quidem non illo tantum tempore factum est, sed usque hodie impletur, ut pendeant ex co quasi vasa diversa Dei, sapientia et justitia, et omnia quibus Christus appellatur. (S. Jérôme, Comment. in Isaïam, cap. XXII).