IV

 

CONCLUSION

 

DEVOIRS DES CATHOLIQUES

DANS LES PROCHAINES ÉLECTIONS À CAUSE DE L'INFLUENCE CONSIDÉRABLE QU'ELLES PEUVENT AVOIR

PAR RAPPORT

À L'ACCOMPLISSEMENT DES REDOUTABLES ÉVÉNEMENTS

ANNONCÉS DANS LA PROPHÉTIE

 

 

C'est donc guidés par une haute pensée de conservation sociale autant que de foi religieuse, que les évêques d'Autriche, dans un récent mandement, ont tous ensemble recommandé à leurs fidèles de ne pas déserter le champ de bataille électoral, mais d'y faire triompher des candidats défenseurs de Jésus-Christ et de son Église.

Comme elles sont vraies et opportunes ces graves paroles des Pontifes signataires, tous successeurs des Apôtres :

 

« Salut et bénédiction dans le Seigneur,

Des jours d'une importance capitale s'approchent pour les peuples d'Autriche.

Les citoyens électeurs seront appelés aux urnes pour y déposer leurs votes.

Ces élections auront une portée des plus grandes et des plus décisives.

Vos évêques, de tout temps animés d'une sollicitude profonde pour le bien-être de chacun et pour le bien-être général, ne sauraient rester indifférents en présence des élections.

Notre parole épiscopale contient une double exhortation :

1° Servez-vous de votre droit électoral ;

2° Faites un bon emploi de ce même droit. »

 

Les évêques protestent énergiquement ensuite contre les abstentions électorales. Ils invitent vivement les électeurs à voter, rappelant que beaucoup de mal aurait pu être évité, si chaque électeur catholique eût fait son devoir d'électeur.

Et ils ajoutent :

 

« Allez donc aux urnes et prenez aux élections la place que la loi vous accorde ; allez-y tous et ne craignez ni peine ni fatigue ; usez de votre droit électoral !

Mais surtout faites un bon usage de ce droit !

Réclamez d'abord aux hommes auxquels vous accorderez vos votes qu'ils aient un caractère intègre et un honneur sans tache, tant dans leur vie privée que dans leur vie publique ;

Ces qualités ne suffisent pas encore.

Votez pour des hommes qui aiment et comprennent les biens les plus sacrés de l'humanité, la religion et la foi, ces deux bases inébranlables d'un Etat chrétien ; votez pour des hommes qui rendent à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ; votez, en un mot, pour des hommes vraiment religieux et craignant Dieu (1) ! »

 

Est-ce seulement en Autriche que de si sages et si patriotiques avis méritent d'être entendus ?

En France, plus peut-être que partout ailleurs, les électeurs n'ont-ils pas besoin de se redire que le devoir du catholique n'est pas seulement de faire sa prière, d'aller à la messe, mais qu'il est encore un devoir impérieux, le devoir de ne pas se désintéresser des destinées sociales et politiques de sa patrie ?

En France, plus peut-être que partout ailleurs, les conservateurs n'ont-ils pas l'obligation de travailler à se rapprocher, se grouper, s'unir, pour arriver à faire enfin triompher la cause deux fois sacrée de la religion et de l'ordre social ?

Non ! Il n'y a plus d'illusion à se faire, ni de prétexte à invoquer.

Aujourd'hui, à cause des droits que lui confère le suffrage universel, une nation est devenue beaucoup plus responsable des actes de ses représentants, des gestes de son gouvernement. Assurément une solidarité étroite n'a cessé d'exister, de tout temps, entre une nation et ses chefs. On en a la preuve dans les terribles conséquences qui ont résulté, pour la nation juive, de ce rugissement sinistre poussé devant le prétoire de Pilate : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! Lorsque cette sanguinaire clameur monta du milieu de la foule, il n'y avait pourtant alors, sur la plateforme relativement restreinte du prétoire, que quelques milliers de Juifs. Mais parce que ces quelques milliers de Juifs se trouvaient être, soit comme membres du Sanhédrin, soit comme délégués des Juifs de la dispersion, les représentants de la nation, il est arrivé, en vertu du lien qui lie un peuple à ses chefs, que la faute déicide a, comme un second péché originel, enveloppé toute la nation juive !

Et cependant il n'y avait point alors de suffrage universel ! Le peuple n'intervenait pas directement dans le choix de ceux qui font les lois !

Quelle responsabilité n'est donc pas aujourd'hui celle des citoyens d'une nation où le suffrage universel et le régime républicain les investissent du droit d'élire non seulement les législateurs, mais encore d'une manière indirecte le chef de l'État lui-même. Il faut en convenir, on n'a plus, pour se consoler et se disculper, cette distinction qu'émettait en 1858 le P. Lacordaire : l’Église peut être en contradiction avec le gouvernement d'un pays ; mais le gouvernement d'un pays n'est pas la nation, bien moins encore la patrie. Quel est celui d'entre nous qui ait jamais pensé que sa patrie est dans la tête ou le cœur des hommes qui la gouvernent (2) ? Que le grand moine nous pardonne de n'être plus de son avis. C'est que les événements ont marché ! Aujourd'hui une nation s'identifie avec le gouvernement qu'elle s'est donné par le suffrage universel. Car le suffrage universel ayant fait surgir ce gouvernement du sein même de la nation, soit d’une manière directe par le devoir du vote accompli, soit d’une manière indirecte par l’abstention, il en résulte que quels que soient ensuite les actes du gouvernement ainsi constitué, la nation en partage la responsabilité !

 

S'il en est ainsi, les catholiques français ne s'efforceront-ils point, dans un généreux élan de concorde, d'abnégation et de virilité, de rendre prochainement à la France, et par elle à d'autres États chrétiens non moins en péril de déchéance, des Assemblées législatives respectueuses de Jésus-Christ et de ses droits ?

De deux choses l'une :

Ou bien Jésus-Christ rentrera en possession, dans l'ordre social, du rang d'honneur et de l'influence prépondérante qui lui sont dus ;

Ou bien, selon l'annonce de l'antique prophétie, l'ordre social ira se désorganisant de plus en plus jusqu'à crouler presque entièrement !

Mais si les États autrefois chrétiens en arrivent à cette dernière limite de décadence, d'autres prophéties bibliques non moins positives leur font connaître dans de terribles annonces, qui les dominera alors à la place de Jésus-Christ Notre-Seigneur outrageusement et injustement rejeté !

 

 

(1) Cette Lettre pastorale collective a paru dans le Vanterland de Vienne. – Nous en empruntons la traduction au Nouvelliste de Lyon, 8 mai 1885.

(2) Lacordaire. Lettres à un jeune homme sur la vie chrétienne, p. 121. Paris, 1860.