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Celle qui pleure
NOTRE DAME DE LA SALETTE
par
Léon BLOY
À PIERRE TERMIER,
INGÉNIEUR CHEF AU CORPS DES MINES,
PROFESSEUR À LÉCOLE DES MINES
Il faut bien que ce livre vous soit dédié, mon cher ami, puisquil nexisterait pas sans vous. Jen avais abandonné le projet, il y a vingt-sept ans, et javais fini par ny plus penser, le croyant impraticable.
Notre Dame de Compassion sanglotait toujours sur Sa Montagne et je ne Lentendais plus... Elle commanda que je fusse réveillé par vous.
Nous nous sommes rencontrés de façon si miraculeuse ! Depuis trente ans, vous attendiez quelquun qui vous parlât de la Salette. Jattendais quil me fût donné den parler convenablement.
Il arriva enfin quun jour il ny a pas bien longtemps ayant lu, dans un de mes livres, quelques pages où je métais efforcé de glorifier Notre Dame de la Salette, il vous parut que je pouvais bien être lécrivain que vous aviez espéré. Nous nous connûmes alors et votre impression, loin de changer, devint plus précise.
Encouragé par vous, voyant en vous un ambassadeur de Marie, quavais-je mieux à faire que dobéir ? Il ne me fallait pas moins pour affronter les difficultés et les amertumes inhérentes à un tel sujet.
La Salette est encore, après soixante ans, la Fontaine de Contradiction dont il est parlé dans le Saint Livre, et ceux qui laiment sont appelés à souffrir.
Faites-le passer à tout Mon peuple, avait dit aux Bergers la Mère de Dieu, leur ayant annoncé la Grande Nouvelle.
Alors je vous dis : Faites passer mon livre aux pauvres. Vous mentendez bien. Je parle de ce troupeau douloureux à qui personne ne pense et qui ne fait pitié à personne : les généreux qui ne connaissent pas la Vérité, les belles âmes vagabondes qui auraient besoin dun asile de jour...
« Misereor super turbam », disait Jésus. Ayez pitié de cette troupe qui meurt de soif au bord des fleuves du Paradis.
Nativité de Marie, 8 septembre 1907.
Léon BLOY.
DÉCLARATION DE LAUTEUR
En ma qualité de catholique, je déclare me soumettre entièrement à la doctrine de lÉglise, aux règles et décisions du Saint-Siège, notamment aux décrets des Souverains Pontifes Urbain VIII et Benoît XIV, concernant la canonisation des Saints.
Sil marrive, parlant des deux Bergers de la Salette, demployer les mots « saint », « sainte » ou « sainteté », ce nest que dune manière purement relative, par insuffisance de langage, faute de termes qui rendent plus complètement ma pensée. Davance je désavoue le sens rigoureux et absolu quon voudrait attribuer à ces expressions ; car nul ne peut être nommé SAINT, tant que lÉglise ne la pas qualifié ainsi officiellement.
Léon BLOY.
TACEAT MULLER !...
Je viens de subir un terrible sermon contre le Matérialisme ou Naturalisme opposé à la Révélation surnaturelle. Tous les lieux communs philosophiques de séminaire ont défilé devant le Saint Sacrement immobile. Jétais, hélas ! venu à léglise, comme « un mendiant plein de prières ». Ce gouffre de paroles vaines les a englouties et mon âme a glissé au mauvais sommeil que procure le bavardage. En présence de lEnnemi, voilà donc ce que trouvent, aujourdhui, les prédicateurs élevés depuis si longtemps et cultivés avec tant de soin dans le mépris des avertissements de la Salette à la veille des échéances effroyables !
Quelle déformation systématique ou quel manque de foi ne doit-on pas supposer, pour que des ministres tels et en si grand nombre en soient venus à ne plus savoir que le fonds de lhomme cest la Foi et lObéissance, et que, par conséquent, il lui faut des Apôtres et non des conférenciers, des Témoins et non des démonstrateurs. Ce nest plus le temps de prouver que Dieu existe. Lheure sonne de donner sa vie pour Jésus-Christ.
Or, tout le monde la lui refuse avec énergie. Nimporte qui, mais pas Celui-là ! Un démon plutôt ! il est vrai que les chrétiens ont cessé de croire aux démons. Essayez avec lautorité de lÉvangile de faire comprendre, par exemple, que la richesse est une malédiction, quil est impossible de servir Dieu et le monde, que les fêtes ou bazars prétendus de charité invoquent lincendie et que les belles dévotes qui vont y chercher un dernier supplice vraiment infernal sont des servantes du diable, fort attentives et récompensées comme il faut ! Ce ne sera pas trop du changement infini opéré par ce quon est convenu de nommer inexactement la mort, pour découvrir soudain, en poussant une clameur à percer le sein de lÉternité, à quel point les plus fidèles dentre nous auront été des gens sans foi.
« Quand la France boueuse de la tête aux pieds, disait Mélanie, aura été purifiée par les fléaux de la Justice divine, Dieu lui donnera un homme, mais un homme libre pour la gouverner. Elle sera alors assoupie, presque anéantie. »
Il faudrait être avantagé dune stupidité rare pour chercher cet homme parmi les bestiaux de pèlerinages ou de congrès catholiques. Ah ! je men souviens de ces cohues, au lendemain de la guerre, en 73 exactement.
Les derrières cuisaient encore de la botte allemande. On ne parlait que de retourner à Dieu. On sempilait dans des cercles catholiques pour entendre la bonne parole de Mgr Mermillod, racontant ce quil avait souffert pour Jésus-Christ ou les bafouillages cuméniques de M. de Mun. On se cramponnait éperdument au compte de Chambord, supposé le grand Monarque annoncé par des prophéties et dont la bedaine illégitime devait tout sauver. On se précipitait aux pèlerinages en chantant des couplets libérateurs. On votait lérection dun sanctuaire au Sacré-Cur ; sur les murailles duquel se liraient ces mots secourables : Gallia poenitens et devota, et chacun apportait sa pierre, car cétait le Vu national, étrangement oublié depuis. Quoi encore ? Les Pères Augustins de lAssomption fondaient le Pèlerin prospère et la profitable Croix, pour lavilissement irrémédiable de la pensée et du sentiment chrétiens. Un peu plus tard, enfin, se bâtissait, sur le solide fumier des curs, une banque fameuse devant absorber le crédit universel et confondre pour toujours la concurrente perfidie des fils dIsraël. Cette levée en masse des bas de laine catholiques fut nommée prodigieusement une Croisade et eut pour dévouement un immense Krach demeuré célèbre.
Lobéissance à la Mère de Dieu, venue tout exprès, il y a soixante ans aujourdhui, pour notifier sa volonté, fut le seul expédient dont nul ne savisa.
Pourtant, on aurait pu croire que cétait bien simple. La Souveraine des univers se dérangeait, si jose dire, comme se dérangerait la Voie lactée, si cette créature incalculable, épouvantée de la méchanceté des hommes, sagenouillait dans le bleu sombre du firmament. Elle se dérangeait pour nous apporter en pleurant1 la « grande nouvelle » de lénormité de notre danger. Parlant comme la Trinité seule peut parler, cette Ambassadrice déclarait limminence des châtiments et des cataclysmes et disait ce quil fallait faire pour ne pas périr, car les menaces proférées par Elle étaient des menaces conditionnelles, dès les premiers mots : Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis FORCÉE de laisser aller le bras de mon Fils2.
Je le répète, quoi de plus simple que de shumilier et dobéir ? On a fait exactement le contraire. Marie avait demandé le Septième Jour et le respect du Nom de son Fils. Elle voulait que les lois de lÉglise fussent observées et que, pendant le Carême, ses enfants nallassent pas à la boucherie « comme des chiens ».
Elle avait confié à chacun des deux bergers, à Mélanie surtout, un secret de vie et de mort, exprimant sa volonté formelle ratifiée depuis par Pie IX et Léon XIII quon le fît passer à tout son peuple, à partir dune époque déterminée. Enfin elle avait donné, en français, la Règle dun nouvel Ordre religieux : « les Apôtres des Derniers Temps ».
... Les vrais disciples du Dieu vivant et régnant dans les cieux ; les vrais imitateurs du Christ fait homme ; mes enfants, mes vrais dévots ; ceux qui se sont donnés à moi pour que je les conduise à mon divin Fils ; ceux que je porte, pour ainsi dire, dans mes bras ; ceux qui ont vécu de mon esprit ; les Apôtres des Derniers Temps, les fidèles disciples de Jésus-Christ qui ont vécu dans le mépris du monde et deux-mêmes, dans la pauvreté et dans lhumilité, dans le silence, dans loraison et la mortification, dans la chasteté et dans lunion avec Dieu, dans la souffrance et inconnus du monde. Il est temps quils sortent et viennent éclairer la terre... Car voici le temps des temps, la fin des fins.
Soixante ans se sont écoulés. On est devenu plus profanateur, plus blasphémateur, plus désobéissant, plus « chien »3. Mais ne semble-t-il pas que cet insuccès incompréhensible, ce fiasco monstrueux, et tout de même adorable, de limpératrice du Paradis, na lair de rien quand on pense à la Dérision irrémissible qui a remplacé lObéissance ?
On travailla le dimanche de plus en plus et, surtout, on fit travailler les pauvres. Le Blasphème devint une toge virile, même pour les femmes, un signe de force et dindépendance, comme le tabac ou lalcool. On ambitionna dêtre chien, fils de chien et même neveu de pourceau, à toutes les époques de lannée, indistinctement, et cette ambition fut comblée. Les paroles de Marie quElle voulait quon fît passer à tout Son peuple, aussi bien au Tibet ou à la Terre de Feu que dans lIsère, nallèrent pas sensiblement plus loin que le pied de la Montagne. Pour ce qui est des Apôtres des Derniers Temps, on les remplaça par decclésiastiques marchands de soupe que les pèlerins purent apprécier.
Ces prétendus missionnaires furent la dérision inexpiable dont il vient dêtre parlé. La Désobéissance absolue est un état incompréhensible aussi longtemps que lidée de dérision ne se présente pas à lesprit. La Chute initiale a dû être déterminée, non par la désobéissance formelle, mais par une obéissance dérisoire dont nous ne pouvons avoir aucune idée et, parce que labîme invoque labîme, le châtiment fut en apparence, du moins la Dérision infinie, la Subsannation biblique : « Voici Adam, semblable à nous... »
Les soi-disant missionnaires de la Salette, innocents peut-être, à force de balourdise et de bassesse de cur, mais de quelle affreuse innocence ! furent, je le répète, un institut dérisoire opposé par lautorité diocésaine au Commandement formel quil sagissait déluder. La Sainte Vierge avait demandé des Apôtres. On lui donna des aubergistes 4. Elle avait voulu de vrais disciples de Jésus-Christ, méprisant le monde et eux-mêmes. On installa des prêtres daffaires, de pieux comptables chargés de faire valoir. Pour ce qui était de la recommandation de « sortir et déclairer la terre », on y pourvut par la réclame et le rabattage des pèlerins...
Après le balayage de ces mercenaires en 1902, les chapelains mis en leur place continuèrent simplement la table dhôtel et la literie5. Ils continuèrent aussi le quotidien et stéréotypé récit du Miracle, assorti dune exhortation sulpicienne à la pratique de quelques vertus raisonnables, sans omettre lavis fréquent de se méfier de certaines publications exagérées ou mensongères, telles que le témoignage écrit des deux bergers qui furent les assistants, les auditeurs, les vrais missionnaires choisis par la Sainte Vierge elle-même pour propager ses avertissements et ses menaces et qui, jusquà leur dernier jour, nont cessé, Mélanie surtout, de protester contre la prévarication sacerdotale et le mercantilisme odieux qui se pratiquaient sur la Montagne.
Le crime de tous ces gens-là, crime énorme, réellement épouvantable, cest davoir bâillonné la Reine du Ciel, de lui avoir plombé les lèvres, comme quelquun lécrivait naguère, avec une effrayante énergie.
Il est difficile, je ne dis pas dimaginer, mais de concevoir une supplication aussi lamentable :
Depuis le temps que je souffre pour vous autres ; depuis dix-neuf siècles que je promène, parmi les montagnes, les Sept Douleurs dont je suis Bergère, les sept brebis de lEsprit-Saint qui doivent, un jour, brouter le monde ; si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse. Que puis-je faire pour vous que je naie pas fait ? Je suis lÉgypte et la Mer Rouge ; je suis le Désert et la Manne ; je suis la Vigne très belle, mais je suis, en même temps, la Soif divine et la Lance qui perce le Cur du Sauveur. Je suis la Flagellation infiniment douloureuse, je suis la Couronne dÉpines et les Clous et surtout la Croix très dure où sengendre la joie des hommes. Les deux Bras de mon fils y furent attachés, mais il nen faut quun pour vous écraser et celui-là je ne peux plus le retenir, tant il est pesant !... Ah ! mes enfants, si vous vous convertissiez !...
Des hommes alors se sont levés qui avaient la mitre en tête et qui tenaient en leurs mains le bâton des pasteurs du troupeau du Christ. Et ces hommes ont dit à Notre Dame :
En voilà assez, nest-ce pas ? Taceat Mulier in Ecclesia ! Nous sommes les Évêques, les Docteurs, et nous navons besoin de personne, pas même des Personnes qui sont en Dieu. Nous sommes, dailleurs, les amis de César et nous ne voulons pas de tumulte parmi le peuple. Vos menaces ne nous troublent pas le moins du monde et vos petits bergers nobtiendront de nous, même dans leur vieillesse, que le mépris, la calomnie, la dérision, la persécution, la misère, lexil et finalement loubli !...
Lespérance du présent ouvrage est de réparer en quelque manière, et sil en est temps encore, le sacrilège perfidie de ces Caïphes et de ces Judas qui détruisent, depuis soixante ans, le plus beau royaume du monde.
Paris-Montmartre, février 1907.
I
HISTOIRE DE CE LIVRE ENTREPRIS EN 1879
Jai fait le pèlerinage de la Salette autrefois, il ny a pas loin de trente ans, lorsque le chemin de fer de Grenoble à La Mure nexistait pas. Une diligence homicide attelée de douze chevaux, dans certaines montées, cassait les reins des voyageurs, de laurore au crépuscule, dans les plus longs jours. On râlait dix heures avant dêtre abandonné aux muletiers.
Cest fort bien ainsi, dailleurs. Cela dégoûtait plusieurs touristes et le paysage était affectueux et consolant pour le pèlerin. En certains endroits on descendait pour soulager les bêtes, et cétait une douceur exquise daller lentement sous les grands arbres, au bruit des courantes eaux qui fuyaient vers les abîmes. Je me souviens pour toujours de ces quelques centaines de pas, en compagnie dun missionnaire qui avait, je crois, du génie et qui me disait, en mots extraordinaires, la majesté des Textes Saints. Il mourut, trois semaines plus tard, ayant demandé longtemps à la Mère de Dieu de finir à la Salette où on lenterra. Il avait assez de la hideur de ce monde et de la pharisaïque piété contemporaine qui lui semblait une apostasie.
Je ne nommerai pas ce prêtre. Sa famille est trop peu digne de lui, mais je sais ce quil me donna, dum loqueretur in via et aperiret mihi Scripturas. Cher défunt ! je revis sa tombe, lannée suivante, une humble croix sur un humble tumulus de gazon ; puis, lan dernier, vingt-six ans plus tard, mais abandonnée, sa dépouille ayant été transférée dans un caveau récemment construit à deux pas de là, où peut être lu son nom bien connu des Anges et de quelques amis de Dieu.
Ce missionnaire, plus orateur quécrivain, parcourait le monde, annonçant la Gloire de la Mère de Jésus-Christ, et cest toujours à la Salette quil revenait puiser, aux pieds de Celle qui pleure, les inspirations de son zèle apostolique.
Le Discours, infiniment extraordinaire, quentendirent les enfants sur cette Montagne, était devenu le centre de ses pensées, et lintelligence quil en avait était comme un de ces dons inexprimables que le Vénérable Grignion de Montfort attribuait prophétiquement aux Apôtres des Derniers Temps.
On se ferait un renom dexégète rien quavec les miettes du festin de chaque jour offert à ses auditeurs par ce très humble, quand il parlait de la Reine des Patriarches et des Martyrs. Lespèce de défaveur mystérieuse qui pèse sur la Salette dans la pensée dun grand nombre de chrétiens faisait déborder son cur. Le présent livre, entrepris et commencé sous ses yeux, à la Salette même, a été interrompu un quart de siècle, Dieu sait comment et pourquoi. Cette uvre de justice était son désir suprême, son espérance.
Il mourut dès les premières pages, comme si la Consolatrice quil servait navait pas voulu que cette âme, vraiment sacerdotale et crucifiée, perdît, en une manière, lauréole douloureuse quelle met au front de ces victimes de lAmour dont il est parlé dans la Troisième Béatitude et qui ne doivent pas être consolées sur terre.
Cette uvre, que je reprends aujourdhui, me paraît encore plus difficile et redoutable quautrefois. La mort de celui qui me linspirait maccabla dun deuil que je croyais irréparable, et la vie la plus malheureuse qui puisse être imaginée men détourna ensuite indéfiniment.
Le moment nétait pas venu. Quaurais-je pu faire alors, sinon une paraphrase exégétique et littéraire du Discours, tout au plus ? Trop de choses métaient inconnues. Jignorais même le Secret de Mélanie, publié seulement en novembre 1879, et si impénétrablement obnubilé par lépouvante sacerdotale quaujourdhui encore presque tous les catholiques lignorent ou le préjugent.
Puis ne fallait-il pas que se déroulassent les turpitudes et congénitales ignominies de la République française, qui sont maintenant à un tel point quon se demande ce que fait la mort ? Tous les démons ne sétaient-ils pas levés déjà comme un seul démon pour réclamer lépanouissement complet de la puante fleur démocratique, si laborieusement acclimatée par eux dans le Royaume qui fut le lieu de naissance de lAutorité chrétienne ? Enfin et surtout la Justice du Bras pesant ne devait-elle pas attendre que lAmbassadrice en pleurs, soixante fois outragée, dît à son Fils : Je ne connais plus ce peuple, il est devenu trop épouvantable ?
Après si long temps, mon nom étant devenu quasi célèbre, quelques amoureux ont cru que je pourrais bien être désigné pour écrire sur la Salette le livre dont certaines âmes ont besoin, un livre pieux qui ne serait pas hostile à la magnificence divine, un livre qui dirait, à lexpiration de soixante années, quelques plausibles mots sur cet Évènement inouï, absolument incompris et même ignoré des prétendus missionnaires ou prêtres séculiers qui se sont succédé sur la Montagne.
« Faites-le passer à tout mon peuple », a dit, par deux fois, la Toute Ineffable. Voilà ce qui désolait mon initiateur. Qui donc y pense ? me disait-il, et que pourrait-on faire passer à tout le peuple, cest-à-dire tous les hommes ? Les gens dici savent-ils seulement ce qui sest accompli en ce lieu, et le plus fort est-il capable de comprendre un mot, rien quun mot de ce Discours qui paraît être le Verbum novissimum de lEsprit-Saint ?
Hélas ! lexplication, irrémédiablement perdue, quaurait pu donner cet homme, sera, désormais, ce quelle pourra : une angoissante vision des temps actuels à propos des promesses et des menaces également dédaignées de la Mère du Fils de Dieu vision de terreur énormément aggravée par la certitude acquise et tout à fait incontestable de certains évènements préliminaires. Quimporte, après tout, si mon uvre, ainsi mutilée, contient encore assez de cette parole engloutie pour attirer à la Salette quelques-unes de ces magnifiques âmes capables den pressentir la beauté, même à travers les obscurités ou les défaillances dune insuffisante prédication ?
Jaurais voulu pouvoir leur dire, comme Bossuet parlant devant la perruque du roi de France : « Écoutez, croyez, profitez, je vous romps le pain de vie » ; mais une manière de parler si haute néloignerait-elle pas, au contraire, de la façon la plus sûre, un grand nombre de curs déjà subjugués, à leur insu, par le Prince fastueux à la Tête écrasée qui ne cesse de promettre à ses esclaves lempire souverain dont il est lui-même dépossédé ?... Quel triomphe darriver seulement à faire entrevoir la Splendeur aux contemporains des automobiles !
Le prêtre de Jérusalem, le missionnaire dont je viens de parler, se nommait Louis-Marie-René, et cest déjà beaucoup plus que je naurais voulu dire. Que tel soit donc le patronage de ce livre qui sera surtout un livre de douleur. La Salette est, par excellence, le Lieu des larmes très douloureuses.
On se rappelle que lorsque lApparue cessa de parler aux enfants, il y eut un drame extraordinaire. La resplendissante Dame dont les Pieds, au témoignage de ses puérils auditeurs, ne touchaient pas le sol, effleurant seulement « la cime de lherbe », séloigne deux avec lenteur par une sorte de glissement et, après avoir franchi le ruisselet qui la sépare de lescarpement du plateau, Elle commence à décrire cet étonnant Itinéraire serpentin, marqué aujourdhui par ces Quatorze Croix de la Voie peineuse qui, dans la translucide méditation des sanglants Mystères, semblent se superposer...
Ce chemin de croix unique avait été décrété comme toutes choses, antérieurement à la création des espaces. Il entrait dans lintégrité du Plan divin que les agenouillements des derniers habitants chrétiens de la terre fussent déterminés, avec cette précision, dans ce lieu sauvage, par le sillon des Pieds de lumière. Il nest pas indifférent de se prosterner là ou ailleurs. Les âmes religieuses, qui viennent pleurer à la Salette, font une chose qui retentit harmonieusement dans toute la série des Décrets divins touchant la Rédemption de lhumanité. Leurs larmes tombent sur ce sol privilégié, comme une semence de beaucoup dautres larmes qui finiront, si Dieu veut, par y couler, un jour, comme des ondes. « Labîme des Larmes de Marie invoque labîme de nos larmes par la Voix de ses cataractes. » Elle nous provoque à cette effusion comme son Fils, du haut de la Croix, la provoquait amoureusement Elle-même à leffusion totale de son incomparable Cur brisé.
II
LE TORRENT SUBLIME.
Je reviens à mon voyage. Donc plus de diligence cruelle roulant tout un jour. La moitié seulement de lancienne fatigue et lautre moitié semblable à un rêve. Oh ! ce chemin de fer au bord du gouffre, durant une heure ! Quelle ivresse daller ainsi au-devant de Napoléon marchant de Sisteron sur Grenoble, par Corps et la Mure ! Corps surtout, larchiprêtré de La Salette !
Le hasard nexistant pas, on peut imaginer avec stupeur « laigle » de ce conquérant « volant vers Paris de clocher en clocher », mais descendant de celui de Corps, trente et un an avant Notre Dame : « Mes enfants, nayez pas peur, je suis ici pour vous annoncer une grande nouvelle ! » puis : « Vous le ferez passer à tout mon peuple. » Comment faire pour ny pas penser ?
Le grand homme et ses compagnons fidèles parurent être toute la France pendant vingt jours, tout le possible de la France, tout léventuel humain et divin de cette angélique patrie, de cette fille aînée du Fils de Dieu et de son Église, de cette habitante de la Plaie de son Cur, qui ne pourrait tomber plus bas quen devenant la Madeleine des nations !
Le pauvre César évadé, mendiant incorrigible de la Domination universelle, enveloppait sans le savoir, à la manière des Prototypes, le futur indévoilé des campagnes ou des villages qui ne pouvaient avoir dexistence historique sinon par la volonté dun tel passant. Je lai cherché çà et là, et javoue que son souvenir était plus pour moi que les éternelles montagnes. Les a-t-il vues seulement ? A-t-il vu le Drac, le formidable torrent, gloire du Dauphiné ? Jen doute. Un torrent na que faire de regarder les autres torrents, et la montagne elle-même, pour lui, nest quun obstacle dont il mugit dans sa profondeur.
Pèlerin de la Salette et rien que cela, en attendant lhonneur de magenouiller sur le Saint Tombeau, je lai regardé et vu de près, ce furieux torrent, avec une admiration qui me suffoquait. Combien de siècles a-t-il fallu à cette eau pour creuser un si vaste lit dans cette solitude grandiose ? Pendant dinnombrables ans, elle a dû ronger des rocs et creuser des gouffres en écumant. Tandis que les générations naissaient et mouraient, à mesure que se déroulait lHistoire, sous les Allobroges et les Romains, sous les Burgondes, les Francs ou les Sarrasins, sous les seigneurs dAlbon et les premiers Valois, pendant les atroces guerres de religion, pendant la Révolution, pendant létonnant Empire et jusquà nos jours où la Désirée devait apparaître infatigablement cette eau toujours jeune émiettait les dures assises, les criblant de lartillerie de ses galets, sapant à leur base les colossales colonnes, formant labîme continu qui partage en deux cette haute province dauphinoise, apanage ancien des aînés de la France : le Grésivaudan, le Royannès, les Baronnies, le Gapençois, lEmbrunois, le Briançonnais, de la Durance à lIsère, troupeau monstrueux de croupes vertes ou de pitons chauves dont Dieu seul connaît tous les noms !
Le train pour la Mure venant de Grenoble roule, durant je ne sais combien de kilomètres, le long de cette fente énorme procurée par le Drac au-dessus duquel on a lillusion dêtre suspendu. Clameur den bas qui ne sinterrompt jamais et qui peut devenir tout à coup immense au temps des pluies ou de la fonte des neiges.
Un romancier morose et stérilisé voulut, il y a quelques années, se venger de la basse peur que lui avait donné ce cri de labîme. Bêtement et vilainement, il sefforça de le déconsidérer par ses adjectifs et ses méchantes métaphores, comparant cette eau sublime à « une rivière débile, maléficiée, pourrie... ». Ce pauvre homme, qui a dû plaire beaucoup aux ennemis de la Salette, blâme naturellement les montagnes et se montre fort éloigné dapprouver les circonstances ou les détails de lApparition, qui aurait eu lieu en plaine, dans le voisinage dune gare et beaucoup plus simplement, si on avait consulté son goût. In die judicii, libera nos, Domine.
Jespère que ma pantelante admiration pour ce magnifique spectacle me sera comptée. Pourquoi voudrait-on que Dieu ne fût pas un artiste comme les autres, jaloux de son uvre et désirant quon ladmire ? Ne parle-t-il pas, à chaque instant, de ses « saintes montagnes » quil a « préparées dans sa force » et dont « les altitudes sont siennes » ? Ego sum Dominus faciens omnia et nullus mecum. Il ne sagit pas des montagnes des autres, mais des siennes et il exige quon ladore pour les avoir faites.
Existe-t-il un pèlerinage aussi merveilleusement acheminé par ladmiration préalable du voyageur ? Je ne le pense pas. Autrefois, ce nétait pas ainsi. La route suivie par les diligences ne côtoyait pas labîme. Il a fallu cette voie de fer unique, chef-duvre des hommes, pour que nous fût révélé ce chef-duvre de Dieu, connu seulement alors de quelques paysans. Je lai revu, au retour, éclairé, cette fois, par la pleine lune, criblant de ses rayons dargent le paysage immense et je croyais être en Paradis.
III
EN PARADIS
En Paradis ! Avant daller plus loin, ne conviendrait-il pas dexplorer en quelque manière, autant quil se peut, cette « région de paix et de lumière », ce « siège cette capitale du rafraîchissement et de la consolation béatifique », ce paradis terrestre dans les cieux ?
Ici lindigence des mots humains est à faire pleurer. Tout ce qui nest pas corps, espace ou durée, est inexprimable à ce point que le Verbe de Dieu lui-même, Notre Seigneur Jésus-Christ, na jamais parlé quen paraboles et similitudes6. Cest la destinée de lhomme de ne pouvoir arracher son cur du célèbre Lieu de Volupté doù il fut ignominieusement expulsé au commencement des temps. Il a besoin que le Paradis soit un lieu, un lieu très haut ou très bas et nous sommes forcés, dans le premier cas, de dire que la Sainte Vierge en est descendue pour pleurer à la Salette. Mélanie a raconté le paradis enfantin quelle construisit, le 19 septembre, avec Maximin, un peu avant lApparition : Une large pierre quils couvrirent de fleurs. Cest sur ce paradis que la Belle Dame vint sasseoir. La Reine du Paradis dHénoch et du Bon Larron, lequel est cet incompréhensible Sein dAbraham où fut ravi, pour y entendre les irrévélables Arcanes, le Docteur immense des nations ; cette Reine est attirée par lextrême puérilité de ce paradis des petits bergers. « Elle a regardé dans le monde entier, disait Mélanie, et na pas trouvé plus bas. Elle a bien été forcée de me choisir. »
Le Paradis est tellement et de tant de manières au seuil du Miracle de la Salette, quil est aussi impossible de nen pas parler que den dire un valable mot. Ce paradis, sans doute, cest la Belle Dame elle-même, mais cela, cest trop facile. Autant proclamer lidentité de Dieu avec lun ou lautre de ses attributs. Le fond du Paradis ou de lidée de Paradis, cest lunion à Dieu dès la vie présente, cest-à-dire la Détresse infinie du cur de lhomme, et lunion à Dieu dans la Vie future, cest-à-dire la Béatitude. Le mode en est infiniment inconnu et indevinable, mais on peut, jusquà un certain point, contenter lesprit par lhypothèse fort plausible dune ascension éternelle, ascension sans fin dans la Foi, dans lEspérance, dans lAmour.
Contradiction ineffable ! On croira de plus en plus, sachant quon ne comprendra jamais ; on espérera de plus en plus, assuré de ne jamais atteindre ; on aimera de plus en plus ce qui ne peut jamais être possédé.
Il est bien entendu que je mexprime comme un impuissant. Secundum hominem dico12. Lunion à Dieu est certainement réalisée par les Saints, dès la vie présente, et parfaitement consommée, aussitôt après leur naissance à lautre Vie, mais cela ne leur suffit pas et cela ne suffit pas à Dieu. Lunion la plus intime nest pas assez, il faut lidentification qui ne sera elle-même jamais assez, en sorte que la Béatitude ne peut être conçue ou imaginée que comme une ascension toujours plus vive, plus impétueuse, plus foudroyante, non pas vers Dieu, mais en Dieu, en lEssence même de lIncirconscrit. Ouragan théologal sans fin ni trêve que lÉglise, parlant à des hommes, est forcée de nommer Requies aeterna !
La foule déchaînée des Saints est comparable à une immense armée de tempêtes, se ruant à Dieu avec une véhémence capable de déraciner les nébuleuses, et cela pendant toute léternité... Les rêveries astronomiques peuvent-elles, ici, être utilisées ? Linconcevable énormité des chiffres chargés de signifier les effrayantes hyperboles de la Distance ou de la Vitesse aiderait tout au plus à entrevoir limpossibilité de comprendre « ce que Dieu a préparé à ceux qui laiment ». On pourrait même dire, puisquil sagit de linfini et de lÉternel, quil doit y avoir une accélération continuelle de chaque torrent analogue à létourdissante multiplication de la pesanteur des corps tombants. Idée plausible et bien simple à présenter aux théoriciens de limmobilité béatifique. Une Mystique paralysée quencourage une imagerie fort abjecte localise les Saints dans lattitude hiératique promulguée par les Instituts, sous lauréole immuable que ne déplacera jamais aucun souffle et parmi lor ou largent des ustensiles de piété que ne rongera la rouille ni les vers. Car telle est lidée que peuvent se former du Paradis et de la Félicité des Saints, des catholiques engendrés, le siècle dernier, par les acéphales échappés à la guillotine.
Mais combien vaines, lamentablement infirmes, sont les analogies littéraires ou conjectures métaphysiques dun pauvre écrivain penché sur linsondable et nobtenant pas même lénergie dintuition quil faudrait pour discerner, un instant, au risque de mourir deffroi, le vertigineux abîme de lInintelligence contemporaine !
Requiem aeternam dona eis, Domine
Une chère âme pieuse demandait ceci : Dans cette ascension universelle, que deviendront les médiocres, les pauvres hommes qui, nayant rien fait pour Dieu en ce monde, auront été, néanmoins, sauvés par leffet dune rencontre ineffable de la Justice et de la Gloire ? Que deviendront-ils, ceux qui, ayant aimé les belles choses de la terre, la Poésie, lArt, la Guerre, la Volupté même, se trouveront tout à coup face à face avec lAbsolu, nayant rien préparé pour leur passage, mais sauvés quand même, les mains vides ? Il leur faudra donc, sous peine dinanition éternelle, réaliser aussitôt et absolument tout ce qui leur manque, et la Sagesse y a pourvu. La Beauté, devenue un vautour, emportera sans fin, pour les dévorer toujours, ceux qui lauront vraiment aimée sous une apparence quelconque.
Assurément il en sera ainsi et plus dun poète sétonnera davoir été, à son insu, tellement lami de Dieu. Mais faudra-t-il, à cause des commandements inobservés, quil soit confondu avec les médiocres ? Cette punition serait énorme et la pensée en est monstrueuse. La vérité, infiniment probable, cest que les uns et les autres prendront deux-mêmes létage qui leur convient, avec un discernement admirable.
Et alors, ce sera un firmament de splendeurs différenciées, inimaginables. Les Saints monteront vers Dieu comme la foudre, en la supposant multipliée par elle-même, à chaque seconde, pendant les siècles des siècles, leur charité grandissant toujours, en même temps que leur éclat, Astres indicibles que suivront dénormément loin ceux qui nauront connu que la Face de Jésus-Christ et qui auront ignoré son Cur. Pour ce qui est des autres, des pauvres chrétiens dits pratiquants, observateurs de la Lettre facile, mais non pervers et capables dune certaine générosité, ils suivront à leur tour, nétant pas perdus, à des milliards de chevauchées déclairs, ayant préalablement payé leurs places dun inexprimable prix, joyeux tout de même infiniment plus que ne pourraient dire les plus rares lexiques du bonheur et joyeux précisément de la gloire incomparable de leurs aînés, joyeux dans la profondeur et dans létendue, joyeux comme le Seigneur quand il acheva de créer le monde !
Et tous, je lai dit, monteront ensemble comme une tempête sans accalmie, la tempête bienheureuse de linterminable fin des fins, une assomption de cataractes damour, et tel sera le Jardin de Volupté, lindéfinissable Paradis nommé dans les Écritures.
Jai rappelé le paradis de Mélanie et de Maximin. Voilà le mien, tel quel. Puisse-t-il, comme le leur, faire descendre chez moi la Vierge Marie !
IV
LOUIS-PHILIPPE, LE 19 SEPTEMBRE 1846.
« Il est environ deus heures et demie. Le Roi, la Reine, leurs Altesses Royales, Mme la Princesse Adélaïde, Mgr le Duc et Mme la Duchesse de Nemours, le Prince Philippe de Wurtemberg et le Comte dEu, accompagnés de M. le ministre de lInstruction publique, de MM. les généraux de Chabannes, de Lagrange, de Ressigny, de M. le colonel Dumas et de plusieurs officiers dordonnance, sortent pour faire une promenade dans le parc. Après la promenade, Leurs Majestés et Leurs Altesses rentrent au château vers cinq heures pour dîner, en attendant les illuminations du soir. »
Cest ainsi quun correspondant plein de diligence, dans une dépêche datée de la Ferté-Vidame, annonce au Moniteur universel lévénement le plus considérable de la journée du 19 septembre 18467.
Je suis, par bonheur, en état de rappeler cet événement à lunivers qui paraît lavoir oublié. À la distance de plus de soixante ans, il nest pas sans intérêt de contempler, par limagination ou la mémoire, cette promenade du roi de Juillet accompagné de son engeance dans un honnête parc, en vue de prendre de lappétit pour le dîner et de se préparer, par le naïf spectacle de la nature, aux magnificences municipales de lillumination du soir.
Ce divertissement historique, mis en regard de lautre Promenade Royale qui saccomplissait au même instant sur la montagne de la Salette, est, je crois, de nature à saisir fortement la pensée. Le contraste vraiment biblique dun tel rapprochement nest pas pour augmenter le prestige déjà médiocre de cette monarchie sans gloire, née dans le bourbier libéral de 1830 et prédestinée à séteindre sans honneur dans le cloaque économique de 1848. Il serait curieux de savoir ce qui se passait dans lâme du Roi Citoyen au moment même où la Souveraine des Cieux, tout en pleurs, se manifestait à deux enfants sur un point inconnu de cette belle France polluée et mourante sous labjecte domination de ce thaumaturge davilissement.
Il fallait sous les platanes ou les marronniers, rêvant ou parlant des grandes choses dun règne de seize ans et des résultats magnifiques dune administration exempte de ce fanatisme dhonneur qui paralysait autrefois lessor généreux du libéralisme révolutionnaire. Tout venait à souhait, au dehors comme à lintérieur. Par un amendement resté célèbre dans les fastes parlementaires, le comte de Morny prétendait que les grands Corps de lÉtat étaient satisfaits. Dieu et le Pape étaient convenablement outragés, linfâme jésuitisme allait enfin rendre le dernier soupir et le pays légal navait pas dautres voeux à former que de voir séterniser, dans une aussi bienfaisante dynastie, les félicités inespérées de cet adorable gouvernement. On allait enfin épouser lEspagne, on allait devenir immense. À lexemple de Charles-Quint et de Napoléon, le patriarche de lOrléanisme pouvait aspirer à la domination universelle. La ventrée de la lice avait, dailleurs, suffisamment grandi et Leurs Altesses caracolaient assez noblement autour de Sa Majesté dans la brise automnale de cette sereine journée de septembre. Le roi des Français pouvait dire comme le prophète de la terre de Hus : « Je mourrai dans le lit que je me suis fait et je multiplierai mes jours comme le palmier ; je suis comme un arbre dont la racine sétend le long des eaux et la rosée descendra sur mes branches. Ma gloire se renouvellera de jour en jour et mon arc se fortifiera dans ma main8. »
À deux cents lieues, la Mère de Dieu pleure amèrement sur son peuple. Si Leurs Majestés et Leurs Altesses pouvaient, un instant, consentir à prendre lattitude qui leur convient, cest-à-dire à se vautrer sur le sol et quils approchassent de la terre leurs oreilles jusquà ce jour inattentives, peut-être que cette créature humble et fidèle leur transmettrait quelque étrange bruit lointain de menaces et sanglots qui les ferait pâlir. Peut-être aussi que le dîner serait alors sans ivresse et lillumination sans espérance...
Pendant que lOrléanisme se congratule dans la vesprée, les deux pâtres choisis pour représenter toutes les majestés triomphantes ou déchues, vivantes ou défuntes, se sont approchés de leur Reine. Cest à ce moment que la Mère douloureuse élève la voix par-dessus le murmure indistinct de lhymne des Glaives9 chanté autour dElle dans dix mille églises :
Si mon peuple ne veut pas se soumettre, Je suis forcée de laisser aller le Bras de mon Fils...
V
DESSEIN DE LAUTEUR.
MIRACLE DE LINDIFFÉRENCE UNIVERSELLE.
Le dessein de cet ouvrage, nettement indiqué dans lintroduction, nest pas de faire le récit du Miracle de la Salette. Il a été fait si souvent que les chrétiens sont inexcusables de lignorer. Devenus grands, les deux bergers eux-mêmes lont écrit et publié, et leurs deux narrations, qui auraient dû être répandues partout, sont identiques en ce qui regarde les circonstances de lÉvènement et le texte du Discours public. Pour ce qui est des Secrets, Mélanie seule a divulgué le sien, mais en réservant pour le Souverain Pontife la Règle, donnée par Marie, dun nouvel Ordre religieux, lOrdre des « Apôtres des Derniers Temps », fondation clairement prophétisée, au XVIIe siècle, par le Vénérable Grignion de Montfort.
Nécrivant pas pour la multitude, je madresse donc exclusivement à ceux qui savent le Fait de la Salette, assuré que les autres ne sy intéresseraient pas. Je veux surtout montrer, aussi bien que je pourrai, le miracle qui a suivi et qui est peut-être plus grand que Celui de lApparition le miracle, certainement plus incroyable, de lindifférence universelle ou de lhostilité dun grand nombre.
Ces voix enfantines qui, descendues des Alpes, devaient grandir comme lavalanche et remplir la Terre, tant quon a pu, on sest employé à les étouffer. « Faites-le passer à mon peuple », avait dit la Souveraine. Les Juifs eux-mêmes sétonneraient dune désobéissance aussi complète. Les premiers Pasteurs ne sont pas montés dans leurs chaires pour annoncer à leurs diocésains la Grande Nouvelle, les Prêcheurs et Missionnaires de tout Institut ne se sont pas mobilisés avec enthousiasme pour faire connaître aux plus ignorants les menaces et les promesses de lomnipotente. Plusieurs ont fait le contraire avec une malice infernale. Les Paroles tombées de cette Bouche quasi divine qui prononça le FIAT de lIncarnation, ces Paroles si terribles et si maternelles, on ne les a pas enseignées dans les écoles et les enfants de lâge des bergers ne les ont pas apprises. On sait, à peu près partout vaguement, que la Salette existe, que la Sainte Vierge sy est manifestée dune manière quelconque et quElle a dit quelque chose. Diverses personnes savent même que la profanation du Dimanche et le Blasphème ont été singulièrement condamnés par Elle. Mais le texte de ce Discours, on ne le trouve dans aucune mémoire, ni dans aucune main. Quant aux Secrets, on ne veut pas même en entendre parler.
Eh bien ! cest à faire peur. Jésus-Christ souffre quon le méprise ou quon loutrage. On est exactement au vingtième siècle des soufflets et des crachats qui tombent sans amnistie, depuis deux mille ans, sur sa Face infiniment sainte, constituant ainsi ce quon nomme lÈre chrétienne. Mais il ne souffrira pas que sa Mère soit dédaignée, sa Mère en larmes !... Celle dont lÉglise chante quelle était « conçue avant les montagnes et les abîmes et avant léruption des fontaines »10 ; cette « Cité mystique pleine de peuple, assise dans la solitude et pleurant sans que personne la console »11 ; cette gémissante « Colombe cachée au creux de la pierre »12 ; la Reine des Cieux, pleurant comme une abandonnée dans ce repli du rocher et ne pouvant presque plus se soutenir, à force de douleur, après avoir été si forte sur lautre Montagne !...
Seule, sur cette pierre mystérieusement préparée qui fait penser à lautre Pierre sur qui lÉglise est bâtie ; le Sein chargé des instruments de torture de Son Enfant et pleurant comme on navait pas pleuré depuis deux mille ans. DEPUIS QUE JE SOUFFRE POUR VOUS AUTRES QUI NEN FAITES PAS DE CAS, dit-Elle.
Quon se représente cette Mère douloureuse restant assise sur cette pierre, continuant de sangloter dans ce ravin et ne se levant jamais, jusquà la fin du monde ! On aura ainsi quelque idée de ce qui subsiste éternellement sous lil de Celui dont Elle est la Mère et pour qui nulle chose nest passée ni future. Quon essaie ensuite de mesurer la puissance de cette perpétuelle clameur dune telle Mère à un tel Fils et, en même temps, lindignation absolument inexprimable dun tel Fils contre les auteurs des larmes dune telle mère ! Tout ce quon peut dire ou écrire sur ce sujet est exactement au-dessous du rien...
VI
INSUCCÈS DE DIEU.
FAILLITE APPARENTE DE LA RÉDEMPTION.
LE PLUS DOULOUREUX SOUPIR DEPUIS LE CONSUMMATUM.
Voilà donc où nous en sommes ! Les Larmes de Marie et ses Paroles ont été si parfaitement cachées, soixante ans, que la Chrétienté les ignore. Leffrayante Colère de son Fils nest pas soupçonnée, même de ceux qui mangent sa Chair et boivent son Sang, et le monde va son train. Cependant des prophéties nombreuses et singulièrement unanimes affirment que notre époque est désignée pour lassouvissement de Dieu, qui sera le Déluge des Catastrophes. Cela entrevu ou deviné seulement est à faire tourner les têtes et même les globes.
Lénormité du cas nécessiterait une puissance de vision archangélique. Dix-neuf siècles accomplis de christianisme, autant dire une centaine de générations arrosées du Sang du Christ ! Et pour quel résultat ? Le vingtième siècle peut se le demander avec stupeur. Loptimisme féroce qui présume lÉvangile annoncé dores en avant à toutes les nations, nest soutenable que dans la bonne presse ou dans les plus basses classes primaires, antérieures aux rudiments de la géographie la plus humble. La vérité trop certaine, cest que, sur les quatorze ou quinze cent millions dêtres humains qui peuplent notre globe, un tiers au plus connaît le Nom de Jésus-Christ et les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de ce tiers le connaissent en vain. Quant à la qualité du résidu, cest une honte infiniment mystérieuse, un prodige de douleur assimilable seulement à lincompréhensible Septénaire des Douleurs de la Compassion de Marie.
La réalité apparente, cest linsuccès de Dieu sur la terre, la faillite de la Rédemption. Les résultats visibles sont tellement épouvantables dinsignifiance et le deviennent tellement plus, chaque jour, quon se demande avec folie si le Sauveur na pas abdiqué. « Quae utilitas in sanguine meo, dum descendo in corruptionem ? » La voilà bien, lAgonie du Jardin, telle que lont vue des extatiques ! Ah ! cétait bien la peine de tant saigner et de tant gémir, de recevoir tant de soufflets, tant de crachats, tant de coups de fouet, dêtre si affreusement crucifié ! Cétait bien la peine dêtre Fils de Dieu et de mourir fils de lhomme pour aboutir, après dix-neuf siècles piétinés par tous les démons, au catholicisme actuel !
Je sais quil y a eu des Saints, un, peut-être, par chaque dizaine de millions dhabitants du globe, autrefois surtout, et il paraît bien que cela suffit à Dieu, provisoirement du moins, mais comment cela pourrait-il nous suffire et nous contenter, nous autres qui ne voyons pas les causes ? On nous dit avec quelle rigueur ! que tout ce qui nest pas dans lÉglise est perdu. Or il naît, chaque jour, beaucoup plus de cent mille hommes qui nentendront jamais parler de lÉglise ni dun Dieu quelconque, même dans le monde prétendu chrétien, et quon putréfie dès le berceau... Jai vécu de longs et douloureux mois chez Luther, dans un des trois royaumes scandinaves, et jy ai vu limpossibilité de connaître la Vérité plus insurmontable cent fois que chez les païens. Dieu sait pourtant si son Nom terrible y est prononcé !
Que dire, après cela, des idolâtres sans nombre parmi lesquels il serait injuste de ne pas compter les catholiques traditionnels retranchés dans la certitude inexpugnable quils sont tamisés, triés grain à grain, comme un froment deucharistie et que la pénitence nest pas pour eux ? Ceux-là surtout sont effrayants. Les purs sauvages de lAfrique ou de la Polynésie, les fruits humains de la hideuse culture asiatique, les polymorphes monstrueux de lintellectualité la plus avilie, de la raison la plus déchue ; tous ces infortunés ont leurs dieux de bois ou de pierre dont quelques-uns sont si démoniaques et si noirs quon ne peut plus rire ni pleurer quand on les a vus. Cependant, que Jésus leur soit montré sur sa Croix et la plupart, instantanément, deviendront des gouffres humbles.
Lidole des catholiques honorables dont je viens de parler, cest précisément la même Croix, mais posée par eux sur les épaules, sur le cur du Pauvre. Ils la renieraient sil fallait quils la portassent eux-mêmes. À cette place, ils ladorent et « la Sueur de jésus coule jusquà terre en gouttes de sang »...
Non fecit taliter omni nationi. Vous lavez dit vous-même, Seigneur. Nous sommes la nation privilégiée, le troupeau choisi. Cest pour nous que vous êtes mort et nous navons quà nous laisser vivre, il a fallu des martyrs et des pénitents, jadis, pour nous installer dans ce confort spirituel et matériel qui est probablement le miroir des Anges. Quavons-nous de mieux à faire que dêtre généreux et doux envers nous-mêmes et de jouir de vos dons, en méprisant comme il convient les prophéties ou les menaces désapprouvées par nos pasteurs ?
Évidemment Notre-Dame de la Salette ne dit rien et na rien à dire à de tels chrétiens.
Faudra-t-il donc que la mère de Dieu se promène en vain sur les montagnes ? Le Discours de la Salette est le plus douloureux soupir entendu depuis le Consummatum. Qui oserait dire que la Vierge est « bienheureuse » de voir couler en vain le Sang de son Fils, depuis tant de siècles, et où est le Séraphin qui délimiterait ce tourment ?
VII
REFUS UNIVERSEL DE LA PÉNITENCE.
« ... REGARDE, MÉLANIE, CE QUILS ONT FAIT DE NOTRE DÉSERT !...
Ridebo et Subsannabo. »
« Le lieu que tu foules est une terre sainte », fut-il dit à Moïse sur lHoreb, « montagne de Dieu ». Jai retrouvé cette Parole sur les murs de lhôtellerie de la Salette. Assurément elle y est à sa place, mais il faudrait tout le Texte : « Solve calceamentum de pedibus tuis. Déchausse-toi. »
Il ne viendrait plus personne. Cest la Pénitence réelle. Il ne sagit pas seulement des pieds, et de quels pieds ! Il est indispensable de se déchausser lesprit et le cur. Et voilà tout le monde en fuite ! Les prétendus missionnaires et, après eux, les chapelains actuels, y ont pourvu. Ne quid nimis ! Pas dexcès. Loin de demander trop, on singénia à ne rien demander du tout et le résultat dépassa les espérances.
« Des menaces dans la bouche de Marie, si bonne et si douce ! me disait, lautre jour, une jeune mère ; des menaces contre de faibles enfants innocents et purs ! et des menaces de mort, de mort affreuse !... Non ! non ! Marie est mère, elle na pas pu les prononcer. Elle ne sait quaimer, la vengeance ne lui appartient pas, et je voudrais brûler la page où lon a osé lui prêter un langage comme celui-ci : Les enfants au-dessous de sept ans prendront un tremblement et mourront entre les mains de ceux qui les tiendront. Moi, croire à cette Apparition ! répétait-elle, en serrant son enfant contre son cur, non, non, pauvre petit ! Jamais cette dévotion ne sera la mienne ; car cest lépouvante et non lamour quelle inspire13. »
Ce sucre fut ajouté au vinaigre et au fiel du Golgotha et lOcéan des Larmes de Marie perdit son amertume.
Effet très facile. Il suffisait de décomposer le Message, en séparant ce qui est conditionnel de ce qui ne lest pas, par exemple le Discours public du Secret confié à Mélanie pour être publié douze ans plus tard. Or, la séparation, cest la mort. Aussi longtemps que le Secret navait pas été publié, on pouvait le supposer conciliable avec toutes les sentimentalités. On consentait quil existât. Quand il fut connu, on décida de le supprimer et, comme il était lâme du Message de la Salette, ce Message fut aussi complètement tué que puisse être tué ce qui est de Dieu. Quel moyen daccepter au XIXe ou au XXe siècle fût-ce de Marie ! une sorte dApocalypse précisée, une amplification ou dévoilement du vingt-quatrième chapitre dIsaïe : Ecce Dominus dissipabit terram23. Ces choses ne sont pas permises, même à Dieu qui a fermé son Évangile, nest-ce pas ? et qui ne doit pas ajouter un iota aux Révélations dont son Église a le dépôt. Cela dépasserait trop les âmes, et les deux témoins de la Reine des Martyrs, les deux bergers, lont appris à leurs dépens.
« Ce lieu où tu te tiens est une terre sainte. » Parole obsédante ! Quels durent être les sentiments de Mélanie, lorsquelle revint à la Salette, après combien de pérégrinations douloureuses ! à lâge de 71 ans, le 19 septembre 1902, cinquante-sixième anniversaire de lApparition ? Il lui restait peu de temps à souffrir et certaines choses, que nentendraient pas les hommes, durent être dites à cette fille extraordinaire. De tous les points de sa Montagne, plus précieuse que le diamant, dut sortir une voix pour elle seule, une Voix infiniment douce et gémissante :
Regarde, Mélanie, ce quils ont fait de notre désert ! Autrefois, tu ten souviens, on nentendrait que la plainte des troupeaux et le sanglot des eaux. Moi, la Mère de Dieu, enfantée avant les collines et les fontaines, je tattendais là depuis toujours. Jattendais aussi ton petit compagnon Maximin, devenu, il y a vingt-sept ans, mon compagnon dans le Paradis. Car vous étiez pour moi, chers enfants, toute la famille humaine. Je vous avais choisis, et non pas dautres, pour être les notaires de mon Testament. Seule, parmi ces monts, dans le voisinage du bon torrent, jécoutais tomber goutte à goutte, sur les nations, le Sang de mon Fils. Je tai fait voir limmensité de cette peine qui étonnera les Saints pendant toute lÉternité. Avoir donné un tel Enfant pour si peu ! Si tu savais !... Depuis tant de siècles, jai vu dici crouler un grand nombre dempires dont plusieurs se disaient chrétiens et qui pourrissaient dans les luxures ou les carnages. Cest à peine si un homme sur des multitudes avait quelquefois un mouvement de compassion pour son Sauveur. De lOrient à lOccident, cest une muraille rouge qui cache, plus de mille ans, la moitié du ciel. Les persécutions, les guerres, les esclavages, tous les fléaux de la Concupiscence et de lOrgueil. Et ce fut le temps des Saints !
Aujourdhui, cest le temps des démons tièdes et blafards, le temps des chrétiens sans foi, des chrétiens affables qui ont une synagogue dans lesprit et une « boucherie » dans le cur. Il y en a même de disposés à verser leur sang, mais résolus très fermement à ne pas accepter la misère et lignominie. Ceux-là sont les héroïques et il y en a peu. Je te le dis, les plus cruels bourreaux de mon Fils ont toujours été ses amis, ses frères, ses membres précieux et jamais Dieu ne fut mieux outragé que par les chrétiens. Tu las beaucoup dit, Mélanie, voilà 56 ans que je ne peux plus retenir le Bras de mon fils. Je lai retenu, cependant, parce que je suis la Femme forte, mais je cesserai bientôt. On doit sen apercevoir déjà. Jai besoin dêtre deux fois forte, parce quIl compte sur moi. Son Cur trop doux compte sur le mien. Il sait que je serai implacable : « Maledictio matris eradicat fundamenta In interitu vestro, ridebo et subsannabo. Jéclaterai de rire et je me moquerai de vous, quand vous serez dans les affres de la mort. » Ces Paroles saccompliront exactement. Dérision pour dérision. Jai donné, en 1846, le dernier avertissement. Cest lespérance et la volonté du Fils de Dieu dêtre vengé par sa Mère.
VIII
LE SACRÉ-CUR COURONNÉ DÉPINES.
MARIE EST LE RÈGNE DU PÈRE.
« Son Cur trop doux. » Cest lui-même qui a dit cela : Mitis Corde. Lexcès divin, comme toujours. On dirait quil ne peut se décider à punir. Marie ne serait pas là que son Bras resterait tout de même suspendu, son Bras écrasant. Une visionnaire fameuse a dit que saint joseph avait le cur trop tendre pour supporter la Passion et que cest à cause de cela quil nen fut pas le témoin. Le pressentiment seul du Vendredi-Saint suffisait pour le faire mourir de compassion. Quelque chose de tel doit exister ineffablement en Dieu. Il fallait la force de Marie à lholocauste et il la faudra au châtiment, puisque la Victime, si valide pour lAmour, semble infirme pour la Justice.
Il est difficile de dire combien les sentimentalités dévotes abaissent Marie et la découronnent. Les pieuses chrétiennes veulent dune Reine couronnée de roses, mais non pas dépines. Sous ce diadème elle leur ferait peur et horreur. Cela ne conviendrait plus au genre de beauté que leurs misérables imaginations lui supposent. Cependant la Liturgie sublime quelles ignorent veut expressément que le Sauveur ait été couronné par sa Mère14 et où donc aurait-elle pu prendre ce diadème, sinon sur sa propre tête ? Ne fallait-il pas à Jésus-Christ la plus somptueuse de toutes les couronnes et quelle autre que celle de la Reine-Mère eût été digne du Roi son Fils ?
Mais jai parlé du Cur, de ce Cur « doux et humble » qui est sur les autels et que tous les catholiques adorent. Cest la dévotion des Derniers Temps que ces derniers temps soient des années ou des millénaires. Jésus veut triompher par son Cur, par son Cur couronné dépines. Car voici un mystère. On dirait que la Face du Maître qui enivrait les Saints a disparu, à mesure que se montrait son Cur. Alors le signe de sa Royauté, le signe essentiel quil tient de sa Mère, il a bien fallu quil descendit sur son Cur et comme cétait une couronne fermée, surmontée de la Croix, ainsi quil convient aux Empereurs, la Croix est descendue en même temps, plantée pour toujours dans ce Cur dévorant et dévoré qui « possédera toute la terre parce quil est infiniment doux ».
Telle est l'image qu'on a été forcé d'offrir à la piété des fidèles, image d'aspect enfantin, la seule tolérable parce qu'elle ne veut être que symbolique. Les horribles statues représentant un Jésus glorieux et plastique, "en robe de brocart pourpré, entrouvrant, avec une céleste modestie, son sein et dévoilant, du bout des doigts, à une visitandine enfarinée d'extase, un énorme coeur d'or crénelé de flammes15"; ces honteuses et profanantes effigies doivent, en une manière, ajourner la Communion des Saints, la Rémission des péchés, la Résurrection de la chair, la Vie éternelle...
On aura beau chercher, la représentation du Cur très sacré nest possible quen armoiries ou en sceau. Il fut révélé à Marguerite-Marie que Jésus voulait son Cur sur les étendards de France et en abîme au milieu des fleurs de lys. Louis prétendu le Grand méprisa ce désir divin qui ne put être accompli que deux siècles plus tard, dans lobscurité la plus profonde, lorsque le trône étant devenu vacant et tous les théâtres de la gloire française étant fermés, un prince pauvre se présenta16...
Pour les intelligences véritablement théologiques, la dévotion moderne au Cur de Jésus est la plus forte preuve que Marie doit tout accomplir et que son temps est venu. Lorsque les chrétiens disent la si mystérieuse et si incompréhensive Oraison Dominicale, combien peu savent ou devinent que lAdveniat Regnum tuum proclame cette Mère avec une précision absolue et lappelle si fort que ces trois mots ont fini par la faire descendre tout en larmes. Cest Elle qui est le Règne du Père !...
Ah ! comme Elle nous prie de lécouter ! Attendite et videte si est dolor sicut dolor meus. Elle sait si bien que tout est perdu si on ne lécoute pas ! On la attendue dix-neuf siècles. On la appelée dans tous les pays et dans toutes les langues, matin et soir, avec des milliards de bouches. Des Apôtres, des Martyrs, des Confesseurs, des Vierges, des Prostituées, des Assassins, des Vieillards près de mourir et de tout petits Enfants qui savaient ou ne savaient pas ce quils disaient, lont suppliée de venir et Elle est venue enfin, comme une malheureuse, réclamant le Septième Jour qui lui appartient et quon ne veut pas lui donner.
Elle ne nomme pas expressément le Cur de Jésus, mais elle nomme celui de Napoléon III, ce qui est étrange et terrible. Comment veut-on que Marie prononce le mot cur sans que se produise le Déluge, limmersion, lengloutissement dElle-même et de tous les mondes en ce gouffre de sang et de feu qui est le Cur du Christ : « La fontaine sortie de la Maison du Seigneur pour irriguer le torrent des épines », ainsi que prophétisait Joël, 600 ans avant la Passion17.
Mais que de paroles, mon Dieu ! Nest-elle pas Elle-même le Cur du Christ percé de la Lance et déchiré par les Épines, où simplante la Croix folle ? Que croirait-on si cela nétait pas à croire ? Un point est indiscutable. Nous périssons pour ne pas lavoir écoutée.
IX
IL VOUS EST CONNU, Ô MA DAME DE TRANSFIXION,
QUE JE NE SAIS COMMENT MY PRENDRE...
« Je bénirai les maisons où limage de mon Cur sera exposée et honorée. » Telle est la promesse. Que ce livre où jabrite ma pensée soit donc béni ! ce livre plein du désir dhonorer Marie douloureuse :
Il Vous est connu, ô Ma Dame de Transfixion, que je ne sais comment my prendre et que jai besoin dêtre aidé pour parler de Vous convenablement. Vous savez, ô Cur percé dImpératrice de tous les mondes, que je voudrais ajouter à Votre Gloire en élargissant la pensée de quelques-uns de mes frères. Mais lentreprise passe mon pouvoir et il me semble que je nai rien à dire.
Voici bientôt trente ans que jen avais audacieusement conçu la pensée. Celui de Vos amis que Vous menvoyâtes alors na plus de voix pour minstruire. Il attend la Résurrection dans Votre petit cimetière de la Montagne. Mais Vous mavez poursuivi sans relâche, me forçant à parler de la Salette, quand même, dans dautres livres qui nétaient pas pour Vous seule et, finalement, Vous avez conduit par la main, jusque dans ma pauvre caverne, un de Vos fils les plus doux, un savant très humble qui ma dit de Votre part que, nayant plus, selon lordre de la nature, un grand nombre dannées à passer sur terre, il fallait que je mexécutasse, bon gré, mal gré.
Alors, ma Souveraine, il est expédient que Vous fassiez tout, car mon impuissance est grande, ayant, dailleurs, lesprit offusqué de plusieurs choses qui ne sont pas saintes. Dans le silence universel, ou peu sen faut, considérez que Vous me faites un devoir de vociférer contre linjustice énorme, et qui neut jamais dexemple, de tout le peuple chrétien contempteur de Vos Larmes et dépositaire sans fidélité de Vos avertissements les plus précieux. Vous me donnez la consigne de marquer, comme des chiens quil faut abattre18, les dévorants pasteurs dÉzéchiel occupés, en assez grand nombre, à se paître eux-mêmes et dissimulateurs attentifs de Votre Révélation formidable.
Combien dautres choses encore ! Si je me tais, qui réhabilitera Vos témoins, Vos bergers de dilection, Vos mandataires choisis parmi des milliards et honteusement rejetés et calomniés par ces mêmes pasteurs qui les étouffèrent tant quils purent ? Si je me décourage, où est le chrétien qui osera dire quil est bien vrai que Vous êtes venue, il y a soixante ans, pour nous informer, en pleurant, de limminence du déluge et que nul na voulu Vous croire ? Vous étiez, pourtant, lArche salutaire quon navait pas même eu la peine de construire, comme autrefois, et dans laquelle il est certain que plus de huit âmes auraient pu être sauvées19...
Regardez, maintenant, le pauvre instrument que je suis. Victime comme Vous de la conspiration du silence, jai depuis vingt ans les lèvres tellement cadenassées que cest à peine si je peux manger. Ceux-là seuls mentendent qui sont tout près de moi et, pour ainsi dire, cur à cur.
Quand même Vous me donneriez la langue dun Jérémie, il ny aurait rien de fait aussi longtemps que Vous nauriez pas donné des oreilles à la multitude. Je suis une chassie dans lil des contemporains. Les plus vils ennemis de Dieu croient avoir le droit de me mépriser et les amis déclarés du même Dieu sont les amis de mes ennemis. Vous savez pourquoi, Vous qui enfantâtes lAbsolu afin que les hommes le missent en croix. Mais je deviendrais un ambassadeur accrédité, si, tout de suite, javais le pouvoir de changer les eaux en sang, ce que je Vous demande très humblement.
Jobéirai donc, certain que ce quil faut dire me sera mis en la bouche, espérant de Vous, ô Marie, je ne sais quelle force miraculeuse et comblé, pour le demeurant de mes jours, de cet accablant honneur.
X
NAPOLÉON III DÉCLARE LA GUERRE À MÉLANIE.
Quil (Pie IX) se méfie de Napoléon : son cur est double et quand il voudra être à la fois Pape et Empereur, bientôt Dieu se retirera de lui. Il est cet aigle qui, voulant toujours sélever, tombera sur lépée dont il voulait se servir pour obliger les peuples à se faire élever20.
Tel est le huitième paragraphe du Secret de Mélanie, confié par la Mère de Dieu à cette bergère, le 19 septembre 1846, avec mission de le publier douze ans plus tard. En attendant, ce Secret, écrit de la main de Mélanie par ordre de son évêque, pour être communiqué au Pape seul, fut porté à Rome en 1851 par deux prêtres vénérables qui le confièrent, cacheté et scellé, au Souverain Pontife, en même temps que celui de Maximin aujourdhui encore inconnu.
Il convient de faire observer tout dabord quen 1846, le futur Napoléon III, à qui nul ne songeait, était enfermé dans le fort de Ham et condamné à une prison perpétuelle. Même en juillet 1851, le Coup dÉtat et le Second Empire étaient encore parmi les choses qui appartiennent exclusivement aux prophètes. Un fait aussi concluant vaut quon le signale.
Pie IX parla-t-il ? On est forcé de croire que, de manière ou dautre, quelque chose transpira puisque Louis-Napoléon, devenu empereur « par la grâce de Dieu et la volonté nationale », sempressa de déclarer la guerre à Mélanie. Ce fut un de ses premiers actes, et, certainement, lun des moins connus.
Le vénéré Mgr de Bruillard, évêque de Grenoble, qui avait proclamé le Miracle, un peu avant le Coup dÉtat, demanda à Napoléon, en novembre 1852, de lui donner un coadjuteur, alléguant son grand âge et ses infirmités. Le président décennal, qui avait besoin dun domestique, refusa le coadjuteur, exigeant la démission pure et simple, afin de pouvoir placer sur le siège de Grenoble un prélat à sa discrétion et ne croyant pas à la Salette, qui enterrât le miracle. Ainsi devint successeur de saint Hugues, labbé Ginoulhiac, de Montpellier, vicaire général à larchevêché dAix, ancien professeur de théologie gallicane.
« Bien des croyants, dit Amédée Nicolas21, salarmèrent en apprenant quel était le nouvel évêque. Mais la Sainte Vierge avait choisi un prélat qui, doué de beaucoup dadresse, de perspicacité et de prudence, connaissant le discours public, ignorant les Secrets qui étaient la terreur de Napoléon, pouvait le mieux conserver la dévotion et le sanctuaire, en rassurant le chef de lÉtat, en lui affirmant, autant quil le pouvait, et en toute bonne foi, quil ne sagissait, dans les parties cachées, ni de lui ni de son trône. La Providence ne prodigue pas les miracles. Le plus souvent, elle se sert, pour arriver à ses fins, des hommes les plus médiocres, de leur caractère, de leur manière dêtre, de leurs qualités, même de leurs défauts. Nous croyons, nous, que sans lélévation, sur le siège de Grenoble, de Mgr Ginoulhiac qui était, dautre part, gallican et plaisait aussi à lEmpire par ce côté, et sans une intervention divine, la Salette aurait été persécutée et pourchassée par lEmpereur. Ce choix a bien eu des inconvénients ; il en est résulté, pour les deux témoins, beaucoup de peines et de souffrances imméritées, cela est vrai ; mais il a sauvé le principal, cest-à-dire la dévotion, le pèlerinage, le sanctuaire et la montagne. »
Le nouvel évêque, cependant, ne tarda pas à se trouver dans un embarras extrême. Les Secrets, celui de Mélanie surtout, quon disait si menaçants et quil ne connaissait pas encore, étaient comme une arête en son gosier, quand il lui fallait parler à son empereur des cormorans. « Mais, heureusement, dit-il, dans son Instruction pastorale du 4 novembre 1854, nous vivons sous un gouvernement qui est assez sûr de lui-même pour ne pas trembler devant de prétendues confidences prophétiques faites à un enfant...22 » Napoléon III, peu rassuré, voulait fermer le sanctuaire et il fallut lintervention de Jules Favre, alors très redouté, qui manifestait lintention de porter la chose devant le Corps législatif par une interpellation, pour que le gouvernement renonçât à persécuter la Salette. Quant à Ginoulhiac, rassasié de tant démotions, inquiet de sentir trembler dans sa main la crosse précieuse, il décida den finir en faisant disparaître les témoins de Marie, les « deux enfants ignorants et grossiers », les « chétifs instruments » qui donnaient à Sa Grandeur tant de tablature. Le plus sûr eût été de les tuer, mais il y avait trop de monde, trop dyeux ouverts. Il fallait un expédient non moins épiscopal que celui de Caïphe. La redoutable Mélanie fut exilée en Angleterre, à la fin de septembre 1854, abus dautorité, acte inique au premier chef, quon ne manqua pas de présenter comme une faveur insigne sollicitée par la victime elle-même, attendrissant effet dune bonté pastorale pouvant aller jusquà la faiblesse.
Lannée suivante, cet évêque effrayant ne craignit pas daffirmer, sur la Montagne même, que « la mission des enfants était finie par la remise de leurs Secrets au Pape, que rien ne les rattachait plus au Miracle ; que leurs actes et leurs paroles, depuis le 18 juillet 1851, étaient complètement indifférents ; quils pouvaient séloigner, se disperser par le monde, devenir INFIDÈLES à une grande grâce reçue, sans que le fait de lApparition en fût ébranlé ». À quelque prix que ce fût, il sagissait de démonétiser les deux Témoins.
XI
VIE ERRANTE DE LA BERGÈRE.
LE CARDINAL PERRAUD,
SUCCESSEUR DE TALLEYRAND.
LA DÉPOUILLE.
« Pourquoi es-tu triste, mon âme, et pourquoi me troubles-tu ? » Il a pourtant bien fallu quil larticulât, cette interrogation liturgique, le triste évêque, avant de monter à lautel, le lendemain matin et tous les autres matins qui suivirent, jusquà la fin de sa vie ! Et quand vint lheure de la mort, lheure terrible ou suave de la recommandation de lâme, il ne lui fut pas possible de penser seulement avec les assistants de son agonie, les rituelles paroles qui ouvrent la porte bienheureuse : Viam mandatorum tuorum cucurri. Il ne le put pas, parce quayant dit à la sainte fille : « Vous êtes une folle ! » il était selon la justice quil mourût privé de raison.
Un jour, sera publiée, pour létonnement et lépouvante dun grand nombre, la monographie des châtiments infligés aux persécuteurs ou blasphémateurs ecclésiastiques de la Salette. La liste en est déjà longue.
Mélanie ne devait plus connaître le repos. Après un séjour de six ans au Carmel de Darlington, retour en France et arrivée à Marseille, le 28 septembre 186023. Entrée, à Marseille, dans une communauté religieuse pour y enseigner lalphabet à de toutes petites filles. Envoi, dans les îles ioniennes, à Céphalonie et à Corfou, en 1861 et 1862. Retour à Marseille en 1862 où elle reste dans une propriété rurale jusquen 1867 sous la direction de Mgr Petagna, évêque de Castellamare, chassé de son diocèse par linvasion piémontaise, qui passait les années de son exil à Marseille. Départ pour lItalie, en juillet 1867, pour Castellamare, non loin de Naples, où elle séjourna 18 ans, toujours sous la direction de Mgr Petagna rentré dans son diocèse en cette même année, jusquà la mort de ce digne et pieux évêque et au delà. Vers 1885, rentrée en France, avec la permission spéciale de Léon XIII, pour y soigner sa mère malade, à Cannes et au Cannet, jusquà la mort de cette dernière, puis séjour à Marseille de 1890 à 1892. Retour en Italie où elle se fixe, cette fois, à Galatina, entre Lecce et Otrante, pour y passer quelques années non loin de son ancien directeur, Mgr Zola, de 1892 à 1897. En 1895, voyage en France, à loccasion dun procès retentissant et scandaleux, gagné, naturellement, contre elle par Mgr Perraud, Cardinal-Evêque dAutun, successeur de feu Talleyrand, et même académicien, qui fit à la bergère lhonneur de la dépouiller, au profit de sa mense épiscopale, dun legs important à elle fait pour les Apôtres des Derniers Temps. Dans le legs était comprise une chapelle publique que le Cardinal frappa dinterdit24. À ce sujet, recrudescence des calomnies, déluge dimmondices. Libertinage, hérésie, escroquerie, folie, possession ! Telles furent les aménités de la bonne presse. Du 14 septembre 1897 au 2 octobre 1898, à Messine, dans linstitut des Filles dites du divin Zèle du Cur de Jésus, pour y diriger les jeunes aspirantes pendant lannée du noviciat. De là à Moncalieri. Puis rentrée nouvelle et dernière en France où elle passe cinq ans, de 1899 à 1904, à Saint-Pourçain, Diou, Cusset (Allier) et Arguvres (Somme). Deux fois elle se rend à la Salette : le 18 septembre 1902, pour y passer le 56e anniversaire de lApparition, et une dernière fois, le 28 juillet 1903. Elle avait reçu le sacrement de lExtrême-Onction à Diou, durant une grave maladie qui neut pas de suite, le 26 janvier 1903. Enfin, au milieu de lannée 1904, elle quitte définitivement son pays natal pour aller se fixer dans la province de Bari, en Italie, où elle vit incognito jusquà sa mort à la mi-décembre, connue seulement de son nouvel évêque, Mgr Cecchini, et dune pieuse dame, la signora Gianuzzi. Sa dernière communion, le 14 décembre, dans la cathédrale dAltamura, est son suprême Viatique.
Cette errance continuelle, cette incessante migration nécessitée par une hostilité sans pardon, favorable, dailleurs, à laccomplissement de sa mission, fut tournée contre elle, taxée de vagabondage, dans le pire sens du mot, interprétée de la façon la plus basse et la plus haineuse. Peu de saintes furent autant calomniées.
« Je mourrai en Italie », disait-elle à Dieu, moins de deux ans avant sa mort, « dans un pays que je ne connais pas, où je ne connais personne, pays presque sauvage, mais où on aime bien le bon Dieu, je serai seule, un beau matin, on verra mes volets fermés, on ouvrira de force la porte, et on me trouvera morte. » Cette prophétie sest réalisée à la lettre dans tous ses détails25.
Lextraordinaire beauté de cette vie fut cachée, plus de soixante ans, avec un art vraiment diabolique, et la très précieuse mort ne fut pas connue. À cette époque, dailleurs, qui pensait à la Bergère ? À peine la nommait-on sur la Montagne, en déplorant quelle eût mal tourné. Immolation irréprochable. Maximin, mort en 1875, avait été déshonoré, lui aussi, fort studieusement et dune manière qui ne laissait rien à désirer. Bon débarras de lun et de lautre.
La légende, solidement implantée, dès lors, de lindignité regrettable des témoins, tournait, en somme, à la Gloire de Dieu dont cest la pratique ordinaire nest-ce pas ? de tirer le bien du mal et de se servir des instruments les plus méprisables. Léloquence des séminaristes pouvait se donner carrière. Linvérifiable mensonge était adopté par tous les chrétiens, prêtres ou laïques, irréparablement déçus. Le Secret était devenu une rêverie dangereuse ou ridicule et, pour une fois, le vieux Serpent triomphait du Pied Virginal !...
Cependant, Deus non irridetur, on ne se moque pas de Dieu. Mélanie était morte le matin de lOctave de lImmaculée Conception et, la veille, cette année-là, en divers diocèses, on avait célébré la Manifestation de la Médaille miraculeuse, fête renvoyée du 27 novembre. Rappel liturgique du Dragon poursuivant en vain la Femme aux ailes daigle qui fuyait devant lui dans le désert ; et pour quelle autre, que cette mourante abandonnée, lÉglise aurait-elle chanté les fatidiques paroles : « POSUIT IN EA VERRA SIGNORUM SUORUM ET PRODIGIORUM SUORUM IN TERRA »26.
Trois ans se sont écoulés. La Messagère enterrée ne parcourt plus le monde. Elle est immobile et incorrompue dans un tombeau que les peuples visiteront un jour. Mais la prophétie quelle apporta continue son cours comme un fleuve de plus en plus majestueux, de plus en plus redoutable. On lentend déjà gronder et les plus impavides commencent à en avoir peur.
XII
LES PRÊTRES ET LE SECRET DE MÉLANIE.
Sil ny avait eu que Napoléon III, la conspiration du silence ne lui aurait pas survécu trente-six ans. Même létonnante infirmité humaine qui transforme en une routine le ressentiment des griefs les plus oubliés ; tout ce qui pouvait, avant la catastrophe de 1870, sopposer encore à la Salette et à ses Témoins, se serait usé depuis, la seule énergie de la sève catholique démolissant la muraille de plus en plus, à chaque renouveau. Mais il y avait ceci quon navouait pas, le jugeant intolérable, et dont on ne voulait à aucun prix :
Les prêtres, ministres de mon Fils, les prêtres, par leur mauvaise vie, par leurs irrévérences et leur impiété à célébrer les Saints Mystères, par lamour de largent, lamour de lhonneur et des plaisirs, les prêtres sont devenus des
CLOAQUES DIMPURETÉ . Oui, les prêtres demandent vengeance et la vengeance est suspendue sur leurs têtes. Malheur aux prêtres et aux personnes consacrées à Dieu, lesquelles, par leurs infidélités et leur mauvaise vie, crucifient de nouveau mon Fils ! Les péchés des personnes consacrées à Dieu crient vers le Ciel et appellent la vengeance, et voilà que la vengeance est à leurs portes, car il ne se trouve personne pour implorer miséricorde et pardon pour le peuple ; IL NY A PLUS DÂMES GÉNÉREUSES , il ny a plus personne digne doffrir la Victime sans tache à lÉternel, en faveur du monde27.
« Nolite tangere Christos meos... Qui vos audit, me audit : et qui vos spernit, me spernit. » Vous lentendez, ô Mère du Verbe, cest à Vous que cela sadresse. Vous avez osé toucher au clergé. On pourrait penser que Vous en aviez le droit, étant sa Reine, Regina cleri, mais il nen est rien et voici Votre punition : Nous décidons que Vous aurez parlé en vain.
« Ils ne veulent pas faire leur examen de conscience », disait Mélanie. « Tu es ille vir, tu fecisti hanc rem abscondite ! », dit lEsprit-Saint. Cest toi le coupable ! dit la conscience. Quel que soit le crime accompli, en nimporte quel lieu du monde, cette parole doit être justement et rigoureusement appliquée à chacun de nous. Les saints lont toujours entendu ainsi. Et parce que les prêtres sont plus près de Dieu et, dès lors, plus responsables, il est naturel quils soient atteints les premiers.
« Vous êtes la lumière du monde ! » leur a dit le Maître. Il ny aura jamais daffirmation plus certaine. Mais on sait que la plus candide flamme terrestre, présentée au soleil, projette une ombre. De même, la Lumière de Dieu, si elle venait à se lever derrière la lumière du monde, cette dernière, à linstant, donnerait une ombre noire, gluante, fuligineuse, de la plus impénétrable opacité. Telle doit être la sensation dun humble prêtre qui fait son examen de conscience. Comment, alors, pourrait-il se troubler ou sétonner de lénergie de certains mots ?
Il sagit bien de cela ! dailleurs. La Parole de Dieu est, par essence, incontestable, indiscutable, irréfragable, définitive. On est forcé de la recevoir intégralement ou de se déclarer apostat. Or la parole de Marie, cest la Parole de Dieu, aussi bien à la Salette que dans lÉvangile. Si elle dit que nous sommes des « chiens », cest la Sagesse éternelle qui parle. Sil lui plaît dajouter que les prêtres sont des « cloaques dimpureté », il ny a pas mieux à faire que de croire quil en est ainsi, avec de très humbles actions de grâces pour le bienfait dune si précieuse révélation et sans songer, une minute, à distinguer sophistiquement. Cette parole sait ce quelle dit, elle le sait infiniment et, nous autres, nous ne savons pas même ce que nous pensons.
On a parlé d« expressions hyperboliques », on a voulu sauver le Secret, en expliquant que le mot cloaque navait pas un sens absolu, comme si Dieu ne parlait pas toujours ABSOLUMENT. Infidélité, mauvaise vie, irrévérence, impiété, amour de largent, de lhonneur et des plaisirs. Total : cloaque dimpureté. Que penser dun prêtre qui dirait : « Cela nest pas pour moi ? » Saint François de Sales, saint Philippe de Néri, saint Vincent de Paul, le curé dArs, cinquante mille autres, sans remonter aux Martyrs, eussent dit en pleurant : « Ah ! que cela est vrai ! comme notre Souveraine me connaît et combien est inutile mon hypocrisie de tous les instants ! » Mais voilà ! Il ny a plus dâmes généreuses. La vérité stricte que ne contestera jamais un homme déterminé à donner sa vie pour Dieu, cest que tout prêtre qui ne tend pas à la Sainteté est réellement, rigoureusement, absolument, un Judas et une ordure.
Tout à lheure, jai cité deux Textes, le premier, du psaume 104 : « Nolite tangere... Ne touchez pas à mes oints », pour faire voir le beau parti quon en peut tirer. Lautre moitié du même verset paraît une foudroyante réponse de Marie : « ... et in prophetis meis nolite malignari et ne maltraitez pas mes prophètes ». Ceux dentre les persécuteurs de Mélanie et de Maximin qui navaient pas « reçu leurs âmes tout à fait en vain » durent trembler quelquefois, en lisant ces mots dans leurs bréviaires. Pour ce qui est de lOracle évangélique : « Celui qui vous écoute mécoute, etc. », ne voit-on pas quil convient supérieurement à Notre Dame de la Salette ? « Faites tout ce quil vous dira », avait dit, aux noces de Cana, la Mère de Jésus. « Celui qui Técoute Mécoute et celui qui Te méprise Me méprise », lui répond son Fils, dix-neuf siècles plus tard, lentendant pleurer sur une montagne.
XIII
IMMENSE DIGNITÉ DE MARIE.
Lincompréhension du Fait de la Salette est une suite naturelle de lincompréhension ou de lignorance des Privilèges dailleurs infiniment inexplicables de Marie. Pour ne parler que de son Immaculée Conception qui est un mystère effrayant, il est à remarquer quà Lourdes, Elle ne dit pas : « Je suis conçue sans péché », mais : « Je suis limmaculée Conception. » Cest comme si une montagne disait : « Je suis la Celsitude ». Marie est la seule ayant le droit de parler dElle-même absolument, comme Jésus parle de Lui-même, quand il dit : « Je suis la Lumière, la Vérité, la Vie. » Le « Vêtement de Soleil », mentionné dans lApocalypse, est son vêtement dAbsolu. Elle est si près de Dieu et si loin des autres créatures quon a besoin dun effort de la Raison pour ne pas confondre. Jose même dire, au risque de me confondre moi-même, que plus la Raison et la Foi grandissent, plus la Mère de Dieu grandit et quon devient de moins en moins capable de la délimiter, de la distinguer.
Ah ! je sais combien ces mots sont misérables ! Il ont du moins pour eux dêtre adéquats à la misère de la pensée. Un ange même, si on pouvait entendre son latin sans être foudroyé damour dès la première syllabe ; comment expliquerait-il quon peut concevoir Marie sans concevoir la Trinité même et la discerner encore un peu dans léblouissement de la grande Ténèbre ?
À la Salette, Elle parle à la première personne comme Dieu seul peut parler. On a beaucoup remarqué cela. Des gens très forts se sont élancés pour soutenir les murs de lÉglise que ce langage allait, sans doute, jeter par terre ; pour expliquer oh ! faiblement que tous les prophètes canoniques se sont exprimés ainsi et quen cette rencontre, leur Reine admirable nest, comme eux, quun porte-voix rien de plus. Nul ne sest avisé de demander comment la Mère de Dieu aurait pu sexprimer autrement. Dans le Discours public, cest toujours le Nom de son Fils accompagnant les reproches et les menaces. Il nous est ainsi montré quElle parle, avant tout et uniquement, en qualité de Mère de Dieu, de Souveraine absolue, au point que ce Fils qui est le Créateur dElle-même a lair de ne rien pouvoir sans sa permission. Essayez de remplacer la Première Personne par la Troisième, de lire, par exemple : « Dieu vous a donné six jours pour travailler, il sest réservé le septième et on ne veut pas le lui accorder. » Aussitôt, cest la parénèse dun prédicateur quelconque et ce qui fait le caractère précis de ce célèbre Discours qui a étonné tant dâmes, lAutorité suprême, disparaît.
Il est bien entendu que Marie nest pas Dieu, quoique Mère de Dieu. Cependant rien ne peut exprimer sa dignité. Théologiquement il est aussi impossible de ladorer que dexagérer le culte dhonneur qui lui appartient. La gloire de Marie et son excellence cuménique défient lHyperbole. Elle est ce feu de Salomon qui ne dit jamais : « En voilà assez ! » Elle est le Paradis terrestre et la Jérusalem céleste. Elle est Celle à qui Dieu a tout donné. Si vous pensez à sa Beauté, ce sera une dérision de dire quElle est la Beauté même, puisquElle dépasse infiniment cette louange. Si vous voulez exalter sa Force et sa Puissance, vous naurez pas mieux à faire que de reconnaître quElle est, en vérité, la dernière des créatures, puisquElle a pu accomplir cet inimaginable prodige de shumilier beaucoup plus bas que tous les abîmes avant lesquels Elle avait été conçue. Si vous désirez mourir, tous les mourants de bonne volonté sont dans ses Bras. Si vous demandez à naître, la Voie lactée jaillira de ses Mamelles pour vous nourrir. Quelque poète que vous fussiez, capable, si jose dire, détonner le Couple innocent sous les platanes du Paradis, vous auriez lair de vendre à faux poids les plus fétides substances, vous ressembleriez à un négrier ou à un propriétaire de malheureux, si vous entrepreniez, fût-ce en pleurant et à deux genoux ! si vous rêviez seulement de dire un mot de sa Pureté qui fait ressembler à la sueur des damnés du plus bas enfer, les gouttelettes de rosée suspendues, un matin dété, aux tissus dargent et dopale des aimables araignées des bois.
Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous ne pourrez récompenser la peine que jai prise pour vous autres.
LÉglise militante subsisterait dix mille ans encore, et il y aurait des centaines de conciles dont chacun ajouterait une gemme inestimable à la parure de cette Reine, que cela ne ferait pas autant pour sa splendeur que ce témoignage dElle-même à Elle-même, dans le désert, en présence de deux pauvres petits enfants.
XIV
IDENTITÉ DU DISCOURS PUBLIC
ET DU SECRET DE MÉLANIE.
LA PLAINTE DÈVE.
La parole de Marie, toujours identique à la Parole de lEsprit-Saint que lÉglise nomme son Époux et qui la pénètre indiciblement, est toujours, par nature, en assimilations ou paraboles. Elle est, surtout, itérative, Dieu disant toujours la même chose et ne parlant jamais que de Lui-même, ainsi que je lai fait remarquer ailleurs28. Il fallait, par conséquent, que le Secret fût identique au Discours public et cest en cela que se manifeste leur commune origine. Je ne me propose pas de les interpréter. Dautres lont essayé, avec plus ou moins de bonheur. Mais, précisément parce que la Parole divine est invariablement assimilée ou figurative, les prophéties sont invérifiables de ce côté de la vie, puisque, même leur accomplissement nest quune autre figure de lavenir. En ce sens, comme dans tous les sens, un prophète parle toujours. Defunctus adhuc loquitur.
Certaines menaces du Secret de la Salette, telles que la chute de Napoléon III, sétant accomplies très visiblement, on peut être sûr que cette catastrophe est elle-même préfigurative de quelque autre grande punition que nui ne peut deviner. Joserais même dire que cette menace nest pas étrangère à la chute colossale du premier Napoléon, car les prophéties nappartiennent pas à la durée, non plus quà lespace, et cest une fête pour la pensée de les sentir palpiter au centre des temps doù elles rayonnent sur toutes les époques et sur tous les mondes.
Donc identité nécessaire du Discours public et du Secret. Lorsque Marie dit aux Bergers : Navez-vous pas vu du blé gâté, mes enfants ? aussitôt se retrace en ma mémoire tout le 2e alinéa sur les prêtres et les personnes consacrées à Dieu, les quinze lignes citées plus haut. Même remarque pour les raisins qui pourrissent. Le Pain et le Vin sont une telle signification du Sacrifice !
Les pommes de terre vont continuer à se gâter et à Noël il ny en aura plus. Quelquun ma dit : « Les pommes de terre, ce sont les morts, et Noël, cest lavènement de Dieu. » Or jamais, depuis les grands prophètes hébreux, il navait été annoncé autant de massacres, de fléaux horribles, de pestes et de famines ; jamais, autant que dans le Secret, limagination ne fut conviée au spectacle de la terre engloutissant daussi prodigieuses multitudes !
Quil me soit permis de citer ici une lettre naïvement et singulièrement lumineuse qui me fut écrite, lan dernier, par une amoureuse de Dieu :
« Jai rêvé que je voyais passer beaucoup de monde que je ne connaissais pas. On entrait et on sortait. Cétait un grand va-et-vient. Tout à coup une femme attirait mon attention ; elle avait quelque chose qui me touchait infiniment. Tout le monde étant parti, elle me dit ces mots extraordinaires : « On me croit SANS PÉCHÉ, je veux raconter mon passé. » Alors elle se mettait à chanter ou à parler, car ses paroles étaient comme un chant divin qui me pénétrait de douleur. Cétait la plainte dÈve. Je me suis réveillée toute navrée, toute abîmée dans la douleur et me demandant : Où suis-je ? Cest la Salette, cest Notre Dame de la Salette qui ma parlé, cest Ève qui pleure ! Ensuite le Discours de la Salette recommençait en moi, comme de lui-même. Je recevais le sens des mots, je déchiffrais avec facilité les paroles comme si jen avais reçu la clef... De tout cela, il me reste peu dans lesprit, létat lucide sest dissipé, et je nai plus que le souvenir dune chose divine qui a passé à côté de moi... Avec son bras droit, Ève a cloué le Sauveur. Avec son bras gauche elle le déclouera. « Mon peuple », cest tout le genre humain depuis le commencement. Cest Ève qui parle en lançant son regard à travers les âges. Cest elle quaccablent les deux lourdes chaînes... »
Que pensez-vous de cet aspect nouveau du Miracle de la Salette, de cet élargissement surnaturel de notre horizon ? Mutans Evae nomen. Cest Marie qui nous parle et cest Ève qui nous parle. Cest la même source de vie, la même fontaine de pleurs. Cest pourquoi son vêtement, ou lapparence de son vêtement, est si extraordinairement symbolique.
Oh ! ce vêtement ! Quand je pense à la si totale incompréhension dun écrivain célèbre que nos catholiques ont cru précieux parce quil était venu vers lÉglise dun lieu très bas, et qui tenta presque aussitôt de déshonorer la Salette, en ridiculisant ses images dont le symbolisme lui échappait, après avoir bafoué de ses adjectifs la Montagne elle-même qui lavait assommé de sa grandeur ! Ce pauvre homme, qui croyait aimer Marie, est mort très cruellement, peu dannées plus tard, en exécution, jen ai peur, de la menace attachée au flanc du Commandement redoutable : Honora Matrem ut sis longaevus super terram.
Il faut presque renoncer au sens des mots, lorsquil est question de tels objets. On ne peut plus savoir, par exemple, ce que cest quun vêtement. Le tailleur dimages qui a fait les groupes de la Salette ne voulut être que lécolier des deux enfants et, à cause de cela, son uvre a, je pense, toute la valeur quelle pouvait avoir. Mais comment traduire, en marbre ou en bronze, un vêtement de prophéties, une robe ou une tunique de lEsprit-Saint ? Car cest bien cela que les bergers ont pu voir avec les yeux qui leur furent prêtés pour un instant.
Ils ont dit : « la Dame en feu ». Bossuet ou saint Augustin auraient-ils mieux dit ? On ne sculpte pas du feu, surtout du feu extra-terrestre. La face de la dame et le « bouquet de myrrhe » de Salomon pendu à son cou, le Crucifié vivant sur son sein, étaient comme enveloppés dun feu essentiel que lintensité de tous les volcans ensemble négalerait pas. Donc silence. Lor, le diamant, les pierres les plus précieuses, le soleil même, parurent à ces deux enfants comme de la boue.
XV
PERSÉCUTION DE MGR FAVA.
DÉSOBÉISSANCE, INFIDÉLITÉS CRIMINELLES.
MISSIONNAIRES.
La non-existence, après soixante ans, de lOrdre des Apôtres des Derniers Temps est leffet infiniment déplorable dune désobéissance inouïe, non seulement à la Sainte Vierge qui avait exigé son institution, mais à Léon XIII qui ordonna formellement à Mgr Fava, évêque de Grenoble : « de prendre la Règle donnée par la Très Sainte Vierge à Mélanie pour la faire observer aux Religieux et Religieuses qui sont sur la Montagne de la Salette ». Et Mélanie, reçue en audience privée, le lendemain, eut la consolation dentendre le Saint-Père lui dire plusieurs fois : « Vous irez sur la Montagne avec la Règle que vous a donnée la Très Sainte Vierge. Vous la ferez observer aux Religieux et aux Religieuses ». Cela se passait le 3 décembre 1878.
« Que sest-il passé pour que rien ne se soit fait ? » écrivait-elle, dix-sept ans plus tard. « Quelquun que je connais, sil était à son lit de mort, à cette heure suprême où lon dit adieu à tous les partis, à tous les intérêts terrestres et où les yeux naperçoivent quun Juge scrutateur des curs, pourrait nous le dire avant den avoir la vision dans lautre monde. Et il pourrait aussi nous dire pourquoi les ordres du Saint-Père nont pas été suivis29. »
La constante hostilité de Mgr Fava, autrement active que celle de Mgr Ginoulhiac, bien quil ne fût talonné par aucun empereur, ressemble à un cas de possession diabolique. Cet inconcevable pontife, toujours accompagné de son instrument diniquité, le Père Berthier, des prétendus Missionnaires de la Salette, relançait sa victime jusquà Rome où il étonna de son arrogance Léon XIII qui ne sut pas le briser, et jusquau fond de lItalie où elle avait espéré trouver un refuge, ne reculant pas même devant cette monstruosité dessayer de la corrompre avec des billets de banque. « Jai ici quelques billets de cent francs pour vos menus plaisirs », osa-t-il lui dire. Jusquà son effrayante mort, il ne cessa dagir contre elle et dentraver sa mission par tous les moyens imaginables.
Elle avait écrit, le 3 janvier 1880 :
« ... Ce nest pas malin que Mgr Fava ne veuille pas entrer dans mes vues qui sont toutes opposées aux siennes. Mes vues étaient de faire de la Montagne de la Salette un nouveau calvaire dexpiation, de réparation, dimmolation, de prière et de pénitence pour le salut de ma chère France et du monde entier. Je désirais que le lieu où Marie Immaculée a versé tant de larmes fût un lieu saint, un modèle, et que lon y observât rigoureusement la sainte Loi de Dieu, la Loi du Dimanche, et que ni les Pères ni les Religieuses ne fissent aucun négoce, laissant aux séculiers le soin de vendre des objets de piété 30. »
Autre plainte, le 8 septembre 1895 :
« ... Que cest donc triste de voir ce saint lieu habité par des incroyants ! Dès le commencement, je me consolais en pensant que cette Montagne, où Marie avait versé des larmes, serait, un jour, habitée par des âmes modèles de lexacte observance de la loi de Dieu, des âmes humbles, charitables, dévouées et zélées ; que ce saint lieu deviendrait et serait le foyer de la pénitence, de lexpiation et de la continuelle prière pour les besoins de lÉglise et la conversion des pécheurs !... Jai été trompée ; je ne leur en veux pas ; ils nont rien compris de la miséricordieuse Apparition ; ils nont pas la vocation religieuse et apostolique ; ils sont des membres disloqués. Que Dieu les éclaire ! »
La présence des Missionnaires prétendus, installés et prospérant, un demi-siècle, sur sa Montagne, la crucifiait : « ... Ce sont les anciens missionnaires », écrivait-elle, le 19 décembre 1903, « qui ont détruit le pèlerinage ; ce sont eux, hélas ! qui ont osé découronner Notre Dame de la Salette31 ; ce sont eux qui, complices de Mgr Fava, ont refusé, contre lordre du Pape, daccepter la Règle de la Mère de Dieu ; ce sont eux qui ont calomnié le si bon et si humble Maximin et qui lui ont refusé un morceau de pain !... » En 1902, ils avaient demandé à Mélanie, dans leur sacristie : « Que va-t-il arriver ? » « La Madone, répondit-elle, va vous balayer. » Déjà Maximin, un peu avant sa mort, arrivée le 1er mars 1875, avait dit en parlant deux : « Ils descendront de la Montagne et ny remonteront pas. » Décidément les deux Bergers étaient mieux informés de lavenir que ces soi-disant religieux, le P. Berthier, par exemple, disant : « Après tout, nous sommes propriétaires des lieux de lApparition. Nous les avons achetés par acte notarié en bonne et due forme : personne ne peut nous déloger. » Adorable balayage ! « Ce qui se serait fait dans la miséricorde avait dit encore Mélanie se fera sur des ruines. »
La douleur de cette profanation lui fut un martyre. Son admirable correspondance en est remplie et on peut bien dire quelle en est morte après en avoir constamment vécu. Elle ne pouvait pas se mettre à genoux, parler à Dieu ni parler aux hommes, sans que cette épine perçât son cur.
« Ceux qui étouffent la vérité... Le matériel offusque leur intelligence... Je suis indignée contre lesprit de mensonge des Pères de la Salette... Ils ont horreur de ce Secret qui lève un coin du voile... Malheureux religieux qui ne sont pas fidèles ! gémissait-elle ; oh ! combien il y en a qui arriveront au terrible Jugement de Dieu, avec les mains et le cur vides, mais les yeux pleins, pleins du désir des biens de la terre et vides de bonnes uvres ! Prions, prions... Notre pauvre France est bien malheureuse et bien malade ; mais ce ne sont pas les personnes qui ne croient à rien qui offensent le plus la Majesté Divine ; les personnes qui appartiennent au démon font les uvres du démon. Ce sont les âmes chrétiennes, les Chandeliers de lÉglise, le Sel de la terre, qui ne font plus leur office... La divine Marie na pas parlé pour ne rien dire, ni pour que ses sages avertissements soient ensevelis... Les excuses que certaines personnes donnent pour ne pas croire au Secret, ne sont que des accusations contre elles-mêmes. Pour ne pas changer de vie, il est plus facile de dire que lon ne croit pas au Secret, ou bien quil est exagéré, que le mal nest pas si grand ; que la Très Sainte Vierge na pas pu se plaindre du sel de la terre, etc., etc. Ces raisonnements-là, on devrait me laisser faire à moi, ignorante comme je suis ! Mais ils me semblent honteux dans la bouche des personnes tant soit peu doctes, sinon pieuses. Que nous dit lÉcriture Sainte, lAncien et le Nouveau Testament ? Comment parle-t-elle du prêtre ?... Qui a demandé le crucifiement de notre doux Sauveur ?... Les hérésies, par qui ont-elles commencé ?... En 1893, quelles furent les premières personnes qui adhérèrent à la disparition de la monarchie ? etc., etc. Quelles sont les personnes qui allaient contre linfaillibilité du Pape ?... Et aujourdhui, qui sont ceux qui se récrient contre le Secret de la Vierge Marie ?... Le Sel de la terre !...32 »
XVI
DONS PROPHÉTIQUES DE MÉLANIE.
Après ce qui vient dêtre lu, on peut aisément comprendre lexaspération de la multitude superbe des ecclésiastiques même honorables, surtout honorables, mais contempteurs des exigences de la Sainteté ou de lHéroïsme.
Il ne serait pas hors de propos de rappeler ici ladmirable formule du philosophe Blanc de Saint-Bonnet : « Le clergé saint fait le peuple vertueux, le clergé vertueux fait le peuple honnête, le clergé honnête fait le peuple impie. » En sommes-nous encore seulement au clergé honnête ? On a pu se le demander en 1789. Pourquoi pas aujourdhui ? Il me semble quaprès tant de grâces et tant de crimes, le collier de malédictions doit être infiniment plus somptueux. Pourquoi nen serions-nous pas au diabolisme tout pur ? Il est bien certain, il est dobservation facile et directe que le seul nom, je ne dis pas, de la Salette, mais du Secret de Mélanie, ou simplement le nom de Mélanie tout court suffit, en France, pour agiter les séminaires et les sacristies, pour déséquilibrer un grand nombre de nos évêques. Il a plu à Marie de se servir dune petite bergère pour épouvanter de puissants pasteurs, comme si elle eût été un molosse devant des loups fort timides. Et ribedit... Et subsannabit.
Alors quoi ? Cest donc bien vrai que nous sommes des maudits ? Sil ne sagissait que dune imposture aisément ou malaisément démontrable, il ny aurait pas tant de vacarme. Mais il est prouvé infiniment et indiscutablement, par des miracles de guérisons, par des miracles de conversions, par des miracles de prophéties, que cest la Mère de Dieu, la Mère de la Vérité éternelle qui a parlé de Sa bouche et voilà ce qui ne peut pas être supporté33.
Ces bergers si obstinés dans leurs témoignages et dont il ny avait pas moyen de « plomber » les lèvres, il ne suffisait pas de faire croire quils étaient des âmes perdues, mille fois indignes de la grâce inouïe quils reçurent, dont la mission, dailleurs, était bien finie depuis le Discours public ; il fallait surtout cacher, en même temps que leurs vertus, leur don surhumain de prophétie, ce qui était fort difficile.
En mars 1854, on est prié de remarquer la date Mélanie annonçait déjà les Prussiens, les désignant par leur nom, et lincendie de Paris. Résumant le règne de Napoléon III en trois mots : Hypocrisie, Ingratitude, Trahison, lempereur, pour elle, était « lhypocrite, la fourbe, lingrat, le misérable, le cynique, le traître, le persécuteur de lÉglise et du Pape, détrônant Dieu pour couronner le démon » ! Non contente de ce langage, elle se livrait à des actes étrangement significatifs. On sait quelle quitta le couvent de la Providence à Corenc, en 1854, pour être envoyée en Angleterre ; or, après son départ, on remarqua ces mots quelle avait gravés dans le bois de son pupitre à laide dun canif : « PRUSSIENS 1870 ». Encore à Corenc, la maîtresse de classe lui donna, un jour, une carte de France à étudier. La pauvre enfant se mit à pleurer et biffa dun trait lAlsace et la Lorraine. Le 28 novembre 1870, après les désastres, elle écrivait à sa mère : « Il y a 24 ans que je savais que cette guerre arriverait ; il y a 22 ans que je disais que Napoléon était un fourbe, quil ruinerait notre pauvre France. »
Dans dautres admirables lettres, elle explique ce quelle appelait sa « Vue »34. Elle avait réellement la vision actuelle et universelle des choses futures « et tout cela dans une seule parole qui séchappe des lèvres de Celle qui fait trembler lenfer, la Vierge Marie ». « ... Je trouve très difficile de rendre une chose qui na pas de comparaison... Quand la Sainte Vierge me parlait, je voyais sexécuter ce quelle disait ; je voyais le monde entier, je voyais lil de lÉternel ; cétait un tableau en action ; je voyais le sang de ceux qui étaient mis à mort et le sang des martyrs. » « ... La Sainte Vierge, EN UN SEUL MOT, peut dire et faire comprendre de quoi écrire pendant cent ans... Elle prononçait toutes les paroles, soit du Secret, soit des Règles, et je pouvais deviner ou pénétrer tout ce quelles impliquaient. Un grand voile était levé, les évènements se découvraient à mes yeux et à mon imagination, à mesure que parlait Marie et, devant moi, se déroulaient de grands espaces ; je voyais les changements de la terre, et Dieu, immuable dans sa gloire, regardait la Vierge qui sabaissait à parler à deux points. » (Elle et Maximin)35.
En 1871, elle écrivit à Thiers, le priant, ladjurant denlever la statue de Voltaire dont la présence dans Paris était, à ses yeux, un épouvantable danger pour la France entière. Elle ajoutait que, si le gouvernement ne faisait pas observer les Commandements de Dieu, les châtiments arrivés déjà ne seraient rien en comparaison de ceux à venir. On pense laccueil qui dut être fait à cette lettre par loctogénaire funambule.
XVII
DONS PROPHÉTIQUES DE MAXIMIN.
Quel homme a été plus vilipendé que Maximin ? Ceux même qui lui devaient tout et qui lont laissé périr de misère dans leur voisinage, les prétendus Missionnaires, abusèrent horriblement de leur prestige sacerdotal pour déshonorer ce pauvre qui les avait enfantés, qui les avait vêtus et nourris, qui leur avait donné ses montagnes et son ciel et le Paradis dans le cur, sils avaient voulu36 ! On sait que les vrais chrétiens sont les plus désarmés des hommes, puisque la Charité et lHumilité les empêchent de se défendre. Mélanie « aventurière », Maximin « ivrogne », épithètes indécollables ! On a vu des pèlerins épouvantés de lavenir éternel de cet Alexis dans le réduit de la maison de sa Mère.
Or voici le témoignage de Mélanie : « Bon et loyal Maximin !... Je crois quil a beaucoup souffert et toujours en silence ; en vérité, je suis couverte de confusion quand je vois combien je suis éloignée de sa vie toute cachée en Dieu ; et, si je parviens à arriver au ciel, je ne toucherai pas même les chevilles de ses pieds. Souvent je le prie de mobtenir cette générosité dâme qui me serait si nécessaire... je vous remercie beaucoup de la précieuse photographie du bon Maximin, je lai reconnu à ses yeux candides et innocents. Je pense toujours à lui et à tout ce quil a souffert avec une extraordinaire patience, avec ce grand esprit de foi qui lui faisait voir Dieu en tout ou les instruments de Dieu dans les personnes qui le faisaient souffrir... » Virginitate clarâ floruit, fut-il dit à ses funérailles. « Pas de De Profundis sur sa tombe, il nen a pas besoin ; chantons le Gloria Patri et le Te Deum, il lui en surviendra un surcroît de gloire au ciel où il habite. » Cest Mélanie qui parle encore.
Maximin, lui aussi, avait vu, longtemps à lavance, le péril prussien :
« LItalie une, écrivait-il en 1866, est lennemie de la France comme le poison est lennemi de lhomme. Tous les Français qui ont du sang dans les veines devraient voler au secours de Rome et abattre lunification italienne comme on abat une vipère. Les Prussiens, qui nont daffinité avec les Italiens que par leur haine contre la religion de Notre Seigneur Jésus-Christ, suniront, un jour, à eux pour nous punir de ce que nous navons pas été fidèles à notre droit daînesse de défendre et de protéger en tout et partout la Religion et la Papauté... Jai grandpeur que notre ferveur pour lItalie et nos complaisances pour la Prusse ne se tournent bientôt contre nous, et ce jour nest pas loin. »
Le 29 juillet 1851, Maximin avait dit à un personnage absolument digne de foi, M. Dausse, ingénieur à Grenoble, qui a laissé des Souvenirs curieux : « Quand Paris brûlera, il y aura quatre rois autour », ce qui sest réalisé à la lettre. (Les rois de Prusse, de Bavière, de Wurtemberg et de Saxe.)
Le même ingénieur raconte aussi que, avant la guerre de Crimée, en 1854 M. Michal, curé de Corenc, affirmait, en présence de Maximin, que lEmpereur, dans une réunion diplomatique aux Tuileries, avait quitté son trône pour tendre la main à lAmbassadeur de Russie, que, de là, naturellement, lopinion sétait accréditée quil ny aurait pas guerre avec cette puissance. « Alors, poursuit le narrateur, Maximin vient se mettre devant lui, les bras croisés et répond carrément : Eh ! bien, moi, je vous dis quil y aura guerre avec la Russie !... »
Autre fait plus étonnant. Maximin se trouvant sur la Montagne, le 18 ou 19 septembre 1870, on parla de la prédiction de Mélanie : Paris sera brûlé. Lun des assistants donna aussitôt lexplication naturelle : « Ce sera par les Prussiens. » Non, non, répliqua Maximin, ce nest pas par les Prussiens que Paris sera brûlé, cest PAR SA CANAILLE.
Le 4 décembre 1868, Maximin était reçu à lArchevêché de Paris, Mgr Darboy, si admirablement domestiqué par lEmpereur, comme on sait, ayant désiré le voir. Lentrevue, racontée par Maximin, fut assez longue. Sa Grandeur qui, sans doute, avait espéré contraindre le berger à lui dévoiler son secret, parla de manière à scandaliser profondément son auditeur qui avait été zouave pontifical, accusant la Sainte Vierge dexagérer les égards quon doit à la Papauté et de navoir fait que des prophéties de hasard. « Moi aussi, je ferais bien des prophéties de cette force-là ! » osa dire cet archevêque. Enfin, sexaspérant jusquau blasphème : « Après tout, quest-ce quun discours comme celui de votre prétendue Belle Dame ? Il nest pas plus français quil na le sens commun... Il est stupide, son discours ! Et le Secret ne peut être que stupide... Non, je ne puis, moi, archevêque de Paris, autoriser une dévotion pareille ! »
Maximin, humilié pour ce prince de lÉglise qui soubliait tellement devant lui, voulu que Notre Dame de la Salette eût le dernier mot. « Monseigneur, répondit-il avec force, il est aussi vrai que la Sainte Vierge mest apparue à la Salette et quelle ma parlé, quil est vrai quen 1871, vous serez fusillé par la canaille. » Trois ans plus tard, à la Roquette, on assure que le prélat, prisonnier, répondit à des personnes qui voulaient faire des tentatives pour le sauver : « Cest inutile, Maximin ma dit que je serais fusillé. »
Le célèbre avocat de la Salette, Amédée Nicolas, raconte ce fait dont il fut témoin sur la Montagne, en août 1871 :
« Un savant professeur de théologie et son ami, curé dans une grande ville, étaient venus à la Salette, avec une douzaine dobjections préparées et étudiées davance, pour les proposer à Maximin, lorsquil quitterait son échoppe, pour venir, sur la demande des pèlerins (qui le préféraient aux missionnaires), faire le récit du Miracle. Lorsque Maximin eut achevé, le professeur proposa la première objection. Maximin se borna à dire : « Passez à la seconde. » De même pour les seconde, troisième et quatrième. À la cinquième, il répondit en quelques mots. Cette réponse fit aussitôt crouler les cinq objections et cet écroulement entraîna celui des sept autres. Voyant cela, ce professeur et ce curé nous dirent à nous-mêmes, car nous étions à côté deux : « Ce jeune homme est toujours dans sa mission ; il est assisté par la Sainte Vierge, aujourdhui comme aux premiers jours ; cest évident pour nous. Aucun théologien, fût-il le plus savant du monde, naurait pu faire un pareil tour de force. Tout cela est certainement surhumain. Il nous a mieux prouvé le Miracle quil neût été possible de le faire par les plus fortes démonstrations37. »
La vie de Maximin a été des plus accidentées. Après avoir passé quelques années dans un séminaire, il fut soldat, puis étudiant en médecine. Mais il échoua partout et se vit réduit à servir des ouvriers pour vivre, gagner sa vie.
Se trouvant à Paris dans le plus grand dénûment, il engagea un de ses vêtements au Mont-de-Piété. Un jour, à bout de ressources, et nayant plus rien à manger, il entre à Saint-Sulpice et va sagenouiller devant lautel de la Sainte Vierge. « Jai bien faim, dit-il, ma bonne Mère, vous allez donc me laisser mourir de faim ? Et pourtant, tout ce que vous mavez commandé, je lai fait. Jai fait passer à tout votre peuple les graves et solennels avertissements que vous êtes venue apporter. Encore quelque peu et je vais tomber dinanition. Si vous ne voulez pas me tirer de la misère où je suis, alors je vais madresser à votre époux saint Joseph qui, lui, aura bien pitié de moi ! »
Affaibli par un jeûne prolongé, il ne tarde pas à sassoupir. Un homme quil ne connaissait pas le réveille, linvite à le suivre chez un restaurateur et lui fait servir un copieux repas. Quand il est rassasié, linconnu paye le maître dhôtel et dit à Maximin daller au Mont-de-Pitié retirer lhabit quil y a engagé. Il ajoute quil trouvera dans la poche de cet habit un billet qui le mettra à labri de la misère. Aussitôt il disparaît. Maximin na jamais su qui était cet homme. Comment cet inconnu savait-il quil avait engagé son habit au Mont-de-Pitié ? Comment savait-il quil y avait dans la poche de cet habit un billet assurant lavenir de Maximin ? Ce dernier, ne pouvant expliquer naturellement une chose aussi extraordinaire, a toujours cru que cet étranger était saint Joseph.
Docilement, Maximin se rend au Mont-de-Pitié et trouve, en effet, dans la poche de son habit, un testament quune personne charitable avait fait en sa faveur. Par ce testament on lui offrait de le recevoir dans une famille et on lui laissait quinze mille francs pour subvenir à ses besoins. Comment ce testament se trouvait-il dans la poche de lhabit de Maximin ! Il ne le sut jamais. Mais quelle était la valeur de cet écrit ? Maximin le montra à un notaire qui le trouva en bonne forme et fit les diligences nécessaires. On lui versa donc quinze mille francs avec lesquels il entreprit un commerce de bestiaux où il se ruina38. Sa mission exigeait quil vécût et mourût dans lindigence. Combien dautres histoires du même genre !
Jentends dici le chur immense des voix sacristines : « La sainteté de Mélanie et de Maximin, et leur état de prophètes ! Mais, monsieur, cela renverse toutes nos idées ! On ne nous fera pas croire que tant de bons chrétiens, tant de vénérables pasteurs, depuis tant dannées, nen aient rien su et quune légende contraire ait pu sétablir ! Cette supposition est déraisonnable. » Cela me remet en mémoire la belle réponse du commis-voyageur à qui on parlait du Palais des Papes à Avignon : « Quelle bonne blague ! Sil y avait eu des papes à Avignon, ça se saurait ! » Eh ! sans doute. Ça se sait même un peu, mais cest une règle sans exception que, pour savoir, il faut sinstruire avec la candeur dun enfant et lhumble bonne volonté de ces autres pasteurs à qui les anges de Noël promirent autrefois « la paix sur la terre ». « Invenietis infantes, pannis involutos et positos in praesepio39. »
Lignorance, coupable ou non, du plus grand fait de lhistoire moderne et de sa conséquence immédiate, à savoir léminente sainteté des deux Témoins, nempêchera pas ceux-ci de continuer leur mission du fond de leurs tombes que lÉglise, un jour, nommera peut-être miraculeuses. Defuncti adhuc loquuntur. Cette ignorance, monstrueuse dans tous les cas, nempêchera pas non plus lespérance de quelques âmes, ni les centaines de millions de bras tordus par le désespoir, à lheure marquée.
On se rappelle que le Secret de Mélanie a été publié en 1879, avec limprimatur de Mgr Zola, évêque de Lecce. Cette formule latine, significative, pour la sainte fille, de tant damertumes, de tribulations et de combats, resta dans sa mémoire, étrangement et profondément.
« Puisquon ne veut pas du Message, remède à nos maux, la divine Justice vengera lingratitude des hommes et donnera lIMPRIMATUR aux fléaux annoncés par la Reine des Anges !!! » Ainsi sexprimait la Bergère de la Salette, le 23 mai 1904.
XVIII
LES ÉVÊQUES DE GRENOBLE À SOISSONS.
Oh ! le beau livre à faire ! Démontrer méthodiquement lidentité absolue du Discours public avec le Secret de Mélanie et léternelle impossibilité de les séparer, de manière à faire éclater lunité profonde et magnifique de la Révélation du 19 septembre. Sans doute, en ces choses qui sont de Dieu, lévidence parfaite est inespérable, mais ne serait-ce pas beaucoup dentrevoir au moins ceci : que le Discours et le Secret se renversent lun dans lautre continuellement, comme une figure dans son miroir, comme linvisible dans le Visible, comme le Créateur dans la Créature ?...
Cest inconcevable que ce travail nait pas été fait encore. Jy ai bien pensé et je le ferai peut-être un jour, si Dieu maide. Mais, sans parler de mon insuffisance qui est à faire peur, il est certain quici une telle étude semblerait un hors-duvre monstrueux. Songez quil faudrait faire intervenir Isaïe, « le voyant des choses futures pour la consolation de ceux qui pleurent sur la Montagne40 » ; Isaïe, en son XXIVe chapitre où il parle du « Secret de Dieu, si redoutable à quiconque en est le dépositaire, et de la prévarication des transgresseurs. » Ce chapitre, écrit il y a vingt-six siècles, est un écho merveilleusement anticipé du Secret de Mélanie et le Discours public de la Salette fait entendre cet écho, tout à fait imperceptible sans lui. Cest le sens de la dernière parole de Marie : Faites-le passer à tout mon peuple. Faites-le passer, au moins, aux générations de vingt-six siècles.
Encore une fois, je ne me charge pas de cet immense labeur dinterprétation qui exigerait, je le crains, lintelligence miraculeusement illuminée dun saint. Mais cest quelque chose de pressentir cette concordance colossale et den avertir les humbles qui cherchent Dieu amoureusement41.
La réalité du Secret de Mélanie nest pas niable, puisque même ceux qui nen font pas de cas sont forcés, chaque jour, à lendroit précis où la Sainte Vierge sest montrée, de confesser quElle a donné un secret à chacun des deux bergers et dalléguer, en même temps, on ne sait quoi pour expliquer leur inexcusable incrédulité.
Cest accablant de penser que, depuis que le Secret de Mélanie est connu, à savoir depuis quarante ans, il ne sest pas rencontré, sur le siège épiscopal de Grenoble, un seul pontife capable de sentir lhonneur inexprimable dêtre chef dun diocèse où la Mère de Dieu a daigné prophétiser Elle-même ; confiant, pour toute la terre, à deux enfants de ce diocèse incroyablement privilégié, le Message inouï de limpatience divine à son dernier terme et lannonce, conditionnelle, sans doute, mais pour quel délai ? du dernier Déluge !
Jai appris avec stupéfaction, persuadé que certain rôle nétait plus tenable que le titulaire actuel, Mgr Henry, a, tout dernièrement, à la Salette même, exprimé publiquement des doutes sur le Secret, demandant des preuves !!! des affirmations explicites et formelles de la Cour de Rome, comme si les approbations, les ORDRES même de Pie IX et de Léon XIII ne suffisaient pas42 ! Quelle honte ! Il est absolument impossible que Mgr Henry ne connaisse pas toute cette histoire, cest-à-dire la désobéissance épouvantable de son prédécesseur Fava dont la fin devrait le faire trembler. Il ne peut pas ignorer le mensonge constant des opposants et leur diabolique esprit de calomnie contre une stigmatisée quil sera forcé, un jour, si Dieu permet quil vive de faire honorer par tous ses prêtres. Il est donc en état de prévarication caractérisée, sciens et prudens, ennemi sagace et déclaré de la Mère de Dieu. Sa seule excuse combien misérable ! serait la pusillanimité, lindécision invincible, lirrésolution chronique, le lanternement sempiternel.
Le jour même de sa prise de possession, cet évêque de Grenoble de Grenoble ! disait : « À cette heure, la difficulté nest pas de faire son devoir, mais de savoir où il est. » Parole que reprenait lévêque dOrléans, le 26 août 1902, à Notre-Dame de la Délivrance : « Il est toujours facile de faire son devoir, il est plus difficile de le connaître. » Une analogie fera comprendre lénormité de cette reculade.
En mars 1814, la France, piétinée, violée, dévorée par six cent mille soldats étrangers, allait être délivrée par Napoléon. Une stratégie divine, à laquelle peuvent être comparés seulement les plus grands prodiges dAnnibal, allait tout sauver. Latroce Blücher était entre les deux mâchoires de létau où lhomme dIéna et de Montmirail allait broyer ses soixante mille Prussiens. Par la volonté de Dieu, le manque de volonté dun seul homme fit manquer la plus belle de toutes les victoires.
Ce général Moreau, ce désolant capitulard de Soissons, nétait pourtant pas une âme vendue, ni un soldat sans courage, on la dit du moins. Cétait simplement un médiocre, un imbécile sans résolution ni fierté, qui pensa quil y avait mieux que dobéir, et dont la vile prudence fut un arrêt de mort pour des multitudes. Celui-là, aussi, se demanda où était son devoir, oubliant la consigne quil navait quà exécuter rigoureusement, dans les termes de lOrdonnance sur le service des places de guerre, cest-à-dire « en épuisant tous les moyens de défense, en restant sourd aux nouvelles communiquées par lennemi et en résistant à ses insinuations comme à ses attaques ». Le décret impérial de 1811 portait cette instruction quasi prophétique : « Le gouverneur dune place de guerre doit se souvenir quil défend lun des boulevards de notre royaume, lun des points dappui de nos armées et que sa reddition, avancée ou retardée dun seul jour, peut être de la plus grande conséquence pour la défense de lÉtat et le salut de larmée. » « Quand un soldat commence à se demander où est son devoir, dit à ce propos, lexcellent historien Henry Houssaye, il est bien près de nécouter plus que son intérêt. »
La Salette est probablement le dernier boulevard du Christianisme, et voilà quarante ans que cette forteresse capitule !
XIX
SACERDOCE PROFITABLE.
VANITÉ DES OEUVRES EN PLEINE DÉSOBÉISSANCE.
CHÂTIMENTS. TÉNÈBRES.
Le secret de lhostilité sacerdotale contre le Secret de Mélanie, cest quil faudrait, lacceptant, renoncer au sacerdoce profitable, dire adieu au casuel, aux tarifs, aux classes, à lexécrable son de largent dans les églises. En supposant même un clergé dune pureté de murs admirable, où est le prêtre qui oserait déclarer un degré quelconque dhorreur pour ce trafic des « vendeurs de colombes » et des « changeurs », dans la Maison du Père ainsi transformée en une « caverne de brigands » ? Car telle est la précision du Texte évangélique. Où est le curé de paroisse qui oserait donner aux Amis de Dieu, aux va-nu-pieds qui lui sont si chers, la première place, en reléguant les riches, avec leurs prie-Dieu capitonnés, au bas de léglise, le plus loin possible de lautel ? Sancta sanctis, non canibus. Cet audacieux serait aussitôt dénoncé par tous ses confrères et sévèrement blâmé par lautorité diocésaine43.
Il sagit bien de chérir la pauvreté et lhumiliation ! La lettre de lÉvangile nengage personne. Elle pouvait convenir aux premiers Apôtres ou à quelques moines poussiéreux du onzième siècle ; elle ne vaut rien pour des sulpiciens que lesprit a vivifiés et qui sont forcés daller dans le monde. Puis il est toujours facile de tourner en conseil de perfection le précepte vraiment excessif de tout haïr, de tout quitter, de tout vendre, pour devenir les disciples et les compagnons de Jésus-Christ.
La Sainte Vierge ayant parlé fortement du clergé : dans le Discours, dabord, dune manière très enveloppée ; dans le Secret ensuite, explicitement44, il a bien fallu que le « cloaque » protestât à la manière des cloaques, en exhalant lasphyxie. Le monde chrétien ne respire plus. En 1846 tout était déjà perdu. Un remède unique, surnaturel, fut apporté den haut par la Mère de Dieu qui pleurait. Le « Père de famille, planteur de la Vigne et constructeur de la Tour », pouvait-il bien croire que cela ferait quelque chose ? La Sagesse éternelle pouvait-elle se dire : Verebuntur Matrem meam ? La fumée du cloaque étouffa cette Révélation, si parfaitement que les bons prêtres eux-mêmes, trompés depuis deux générations de prêtres, avouent leur ignorance du remède. Dès lors, comment dire suffisamment la vanité des uvres accomplies en pleine désobéissance ?
« On ira à la Salette », écrivait un excellent prêtre, « on ira à Lourdes, à Paray-le-Monial, à Rome, à Jérusalem, etc., en chantant : « Sauvez Rome et la France ! » On ne fait que cela depuis trente et quelques années. On inventera des pèlerinages dhommes et même de prêtres. On organisera des congrès de la Sainte Vierge, des congrès eucharistiques, des ligues de lAve Maria, des neuvaines, etc. Et le ciel restera dairain. Tout sera dune parfaite insignifiance pour apaiser Dieu irrité, parce que, en somme, on vit à sa guise et que, pour ne pas entendre les reproches de sa Mère, on piétine son Message. »
Laissons parler Mélanie :
« ... Il me semble que depuis longtemps, je donne un petit coup de cloche pour avertir les humains que nous allons au-devant des tristes et lugubres évènements du règne de lAntéchrist. La foi nest-elle pas éteinte ? Non, nous dira quelquun. Si la foi nest pas éteinte, quelle montre ses uvres, car la foi marche de pair avec les uvres. Mais, répondra-t-on, on fait des pèlerinages ; il se fait un grand nombre de bonnes uvres. Soit, le peuple français est naturellement porté aux choses extérieures ; mais si ces pèlerinages ont été faits en expiation, pour fléchir la juste colère de Dieu, lui demander pardon, etc., sest-on vêtu de sacs et couvert de cendres, par une sincère pénitence ? Non ! A-t-on au moins laissé de côté ces modes diaboliques et indécentes ? etc. Rien de tout cela ! Après avoir visité les Lieux Saints, les Sanctuaires, on fréquente les théâtres, comme auparavant... On pourrait compter les élus, les âmes foncièrement chrétiennes ; les autres ne peuvent se compter. Lapostasie est à peu près générale. LAntéchrist naura pas grandpeine à établir son règne en Europe ; ceux qui, à cette heure, gouvernent la France, le lui préparent sans rencontrer dobstacles. Pauvre France !... En attendant, elle rit, elle samuse, parce quelle ne croit pas à une vie meilleure ; parce quelle na pas la foi, mais simplement la vanité de la foi, en feignant la religion, en se faisant inscrire DIRECTRICE ou ZÉLATRICE ou PRÉSIDENTE de telle ou telle confraternité. »
Cette lettre est du 28 novembre 1887.
Un an auparavant, alors que beaucoup de journalistes sagitaient, elle avait écrit déjà :
« ... Il est inutile de nous donner du mal pour chercher à deviner quel sera le prince qui montera sur le trône de France. Si lon ne connaissait pas le Secret, lon serait pardonnable : Pour un temps, Dieu ne se souviendra plus de la France ni de lItalie. On sest révolté contre Dieu et contre sa douce loi : nous serons gouvernés par une verge de fer, et des lois dures et odieuses nous seront imposées. Ceux qui nous gouvernent ne sont que des instruments dans les mains du Très-Haut. À mesure que les méchants avancent sur le terrain catholique, nous avons la lâcheté de reculer... Nous nous plions à toutes les exigences des ennemis de Dieu et des âmes. On proteste, me direz-vous ? Oui, on proteste ! ce nest pas cher ! Les premiers chrétiens protestaient avec leur sang, avec leur vie. Allons, nous ne sommes que des ombres de chrétiens, nous craignons plus les châtiments des hommes que les peines de lEnfer. Croyez-vous que le bon Dieu donne un roi à la France avant de lavoir justement et sévèrement châtiée ? Et après, serons-nous du nombre des vivants ! Toutes les intrigues de certains prétendants au trône de France ne sont que des amusements denfants45. »
« ... Un fait me cause la plus triste impression. Cest lhabitude diabolique de procurer des secours aux victimes dun tremblement de terre, ou de toute autre catastrophe, en donnant des bals, des représentations de théâtre. Je ne puis admettre que lon ose recourir à un mal pour opérer un bien46. Oh ! aveuglement de lhomme sans Dieu ! Et ceux qui agissent ainsi sont des chrétiens ! Je nen saurais douter, nous sommes près de la grande guerre, cest-à-dire de lavènement de lhomme de perdition, de lAntéchrist. Je le sais, personne ne consent à reconnaître une vérité qui épouvante, mais qui nen est pas moins la vérité. Notre génération marche vers lAntéchrist DONT ELLE DOIT FAIRE LA RENCONTRE ; et les indifférents de refuser de croire et les impies de railler. Cela est ainsi. Malheur ! malheur ! malheur ! »
« ... Je suis glacée de frayeur en voyant la rage de lenfer et des hommes, y compris les femmes infernales (sic) ; le feu et le sang y auront grand jeu. Que de massacres ! Que de tortures affreuses ! Oh ! les femmes sont terribles ! Pauvres prêtres qui tomberont entre leurs mains !... »
« LÉglise aura une crise affreuse... Expulsion des curés de leur presbytère, des évêques de leurs palais, poursuit la voyante ; fermeture et confiscation des églises ; massacres du clergé pires que sous la Terreur. Beaucoup seront tués par vengeance personnelle ; ceux qui auront faibli ne seront pas épargnés ; le projet des maçons est de faire pécher les consacrés avant de les tuer ! je vis que ces morts violentes étaient, en très grand nombre, tout autre chose que le martyre ; que cétait la réalisation, dans toute son horreur, du mot « Malheur ! » de lÉcriture... Vous ne voulez pas du Message de la Miséricorde, vous repoussez la main tendue ; il ny a plus rien à faire : Dieu abandonnera les hommes à eux-mêmes... Ce sera le temps des ténèbres47. »
XX
LA FEMME COURBÉE 18 ANS, FIGURE DE LA SALETTE.
MARIE PARLE, JÉSUS NE PARLERA DONC PLUS ?
LIMMACULÉE CONCEPTION
COURONNÉE DÉPINES, stigmatisée.
LOURDES ET LA SALETTE.
Il y a dans saint Luc, évangéliste de Marie, un récit qui ne pourra jamais être lu avec assez dattention et de respect :
« Jésus enseignait à la synagogue un jour de sabbat. Vint une femme qui avait, depuis dix-huit ans, un esprit dinfirmité. Elle était inclinée, et ne pouvait absolument pas regarder en haut. Jésus, layant vue, lappela et lui dit : « Femme, tu es délivrée de ton infirmité. » Et il lui imposa les mains. Aussitôt elle se redressa et elle glorifiait Dieu. »
Il ne faut pas se lasser de redire que lÉvangile, aussi bien que lAncien Testament, est essentiellement parabolique, figuratif, prophétique, lEsprit-Saint nayant jamais parlé autrement. Alors, qui est cette femme, possédée, dix-huit ans, dun esprit dinfirmité ? Je ne vois que Marie pour identifier une telle figure.
Ô Marie ! Ma Dame de Compassion ! que venez-vous faire ici ?
Cest, en effet, le jour du sabbat, samedi, veille de vos Douleurs48. Voilà précisément dix-huit siècles bien accomplis que vous êtes courbée et muette, lÉpoux qui vous possède bienheureusement étant lui-même, quoique Dieu, par mystère impénétrable un Esprit dinfirmité et de courbature, jusquà lheure merveilleuse où Il nous enseignera toutes choses. Pendant dix-huit siècles vous avez gardé le silence, après avoir parlé six fois49 seulement dans les Évangiles ! À la Salette enfin, et pour la septième fois, vous parlez avec une autorité si souveraine quaprès cela il ne peut plus y avoir que le jugement universel et la combustion des mondes. Vous parlez ainsi parce que Jésus vous a délivrée, cest ce que je lis dans lÉvangile, et vous glorifiez Dieu comme nul autre ne le pourrait faire. Cependant ce nest pas encore votre victoire, puisque voici le « chef de la synagogue » suivi de beaucoup de prêtres qui sindignent ensemble de ce que Jésus ait fait ce miracle un jour de sabbat, cest-à-dire quil vous ait donné dêtre leur juge. Il est étonnant, ce chef des « hypocrites » qui vous prend vos propres paroles, ô Mère de la Parole, pour condamner votre Fils en vous méprisant : « Il y a six jours pour travailler, dit-il... » LEsprit-Saint est tellement uni à son Épouse que, si on savait lire, on trouverait la Salette à toutes les pages de lÉvangile.
La Révélation de la Salette, envisagée comme une rupture du silence de dix-huit siècles, offre, en même temps, la consolation et la terreur. Et je ne pense même pas ici au Message, cest-à-dire aux menaces et aux promesses. Jai simplement en vue le fait inouï de fa Sainte Vierge parlant avec autorité dans lÉglise.
Je dis que ce fait est consolant, en raison du caractère de Celle qui parle, puisque lÉglise linvoque sous le nom de Consolatrix et, aussi, parce que cest une sorte daccomplissement, sous nos yeux, de la Troisième Parole de Jésus mourant. Mais il est, en même temps, terrible à cause du silence de ce même Jésus quil semble impliquer. Jésus et Marie ne parlent pas ensemble. Quand Jésus commence sa Prédication, Marie sabîme dans le silence et, si Elle en sort aujourdhui, est-ce donc à dire que Jésus ne va plus parler ? Voilà, ce me semble, un des côtés les plus obscurs de la Salette et lun des moins explorés, probablement à cause de limmense effroi quon y rencontre. Quelques écrivains ascétiques tels que le saint évêque de Lausanne, Amadée, et surtout, au dix-septième siècle, le Vénérable Grignion de Montfort, ont affirmé que le Règne de Marie est réservé pour les derniers temps, ce qui donnerait à supposer que notre Mère ayant enfin parlé en Souveraine, Jésus ne reprendra désormais la parole que pour faire entendre le redoutable ESURIVI, jai eu faim50, qui doit tout finir...
Jécris ceci le jour de lAssomption. Dautres voient Marie dans la gloire, je la vois dans lignominie. Jai beau faire, je ne me représente pas la Mère du Christ douloureux dans la douce lumière de Lourdes. Cela ne mest pas donné. Je ne sens pas dattrait vers une Immaculée Conception couronnée de roses, blanche et bleue, dans les musiques suaves et dans les parfums. Je suis trop souillé, trop loin de linnocence, trop voisin des boucs, trop besoigneux de pardon51.
Ce quil me faut, Cest lImmaculée Conception couronnée dépines, Ma Dame de la Salette, limmaculée Conception stigmatisée, infiniment sanglante et pâle, et désolée, et terrible, parmi ses larmes et ses chaînes, dans ses sombres vêtements de « Dominatrice des nations, faite comme une veuve, accroupie dans la solitude » ; la Vierge aux Épées, telle que la vue tout le Moyen Âge : Méduse dinnocence et de douleur qui changeait en pierres de cathédrales ceux qui la regardaient pleurer.
Les prêtres sont pour elle ce quils sont pour Dieu et pour lÉglise. Chacun deux représente Jésus-Christ et je la vois très bien sagenouillant devant eux comme elle sagenouilla devant son Fils, lorsque celui-ci vint lui demander humblement la permission daller souffrir52.
Je vous en prie, leur dit-elle, mes très chers enfants, ne méprisez pas mon Message. Cest mon dernier effort pour sauver le troupeau dont vous êtes les pasteurs et dont il vous sera demandé un compte sévère. Si vous ne lui dites pas que je suis venue et que jai pleuré sur lui avec amertume, si vous ne lui répétez pas toutes mes paroles, qui pourra les lui enseigner et comment serez-vous sauvés les uns et les autres ? Tout ce que jai dit à mes deux témoins, tout ce que je leur ai révélé pour le faire passer à tout mon peuple, est infiniment précieux et salutaire, et vous ne pouvez faire un choix sans me blesser à la pupille de lil, sans percer vos âmes...
Vous qui avez tant reçu de mon Fils, jusquà tenir sa divine place, vous qui devriez être si saints ! comment pouvez-vous ne pas pleurer avec moi en vous frappant la poitrine ? Comment avez-vous osé vous moquer de mes avertissements et empêcher les autres dy croire ?... Javais donné une Règle. Quen a-t-on fait ? Cest en vain que deux papes ont voulu le faire pratiquer. Mes chers Apôtres des Derniers Temps, mes doux fils bien-aimés, où sont-ils ? je les avais choisis moi-même, triés avec soin, comme les grains de froment du Pain des Anges. Quelques-uns sont tout près de vous. Si je les nommais, à linstant vous les feriez souffrir... Par le Nom très redoutable de votre Maître que vous forcez à descendre chaque jour, je vous supplie davoir peur...
Que faudrait-il donc faire ? demandait à Mélanie un prêtre qui se disait « un peu comme saint Thomas ». La pénitence des Ninivites, répondit-elle. Oh ! pour cela, non, nous navons ni la foi, ni la force de ce temps-là. Eh ! bien, vous aurez les châtiments qui seront plus durs que la pénitence et, nayant pas de force, vous renierez Dieu.
Cest fait ! disent des voix dEn-Bas qui sont en train de monter et quon nentend pas encore.
XXI
PROFANATION DU DIMANCHE
Tout le monde sait que le blasphème et le refus de sanctifier le Dimanche furent les deux grands reproches de la Salette, les deux accusations mortelles, les deux choses qui appesantissent tant le Bras de mon Fils. Là encore, disons-le en passant, la concordance du Discours public avec le Secret est flagrante, car il est dit dans ce dernier que même les personnes consacrées à Dieu... prendront lesprit des mauvais anges et quon verra labomination dans les lieux saints, ce qui implique nécessairement labsolu des profanations et des reniements supposés par ces deux effroyables crimes.
Encore une fois, je nai pas entrepris dexpliquer ni seulement de montrer ces profondes et divines conformités, dessein pour lexécution duquel je suppose quil faudrait plus de lumière que Dieu nen accorde habituellement aux écrivains qui ne sont pas des écrivains ecclésiastiques. Mais voici, bien à propos, un petit livre très posthume de Paul Verlaine, Voyage en France par un Français, où se lit, contre le travail du Dimanche, une belle protestation de ce grand poète malheureux.
Ah ! je nignore pas que celui-là nest pas, lui non plus, une autorité. Tant sen faut ! On finira par savoir, dans le monde pieux, que Paul Verlaine a écrit les vers les plus beaux qui soient, à la louange de « sa Mère Marie », à la gloire de la Pénitence et du Saint Sacrement et quil est, en réalité, lunique poète catholique depuis les inspirés du grand Hymnaire : mais on y mettra le temps. Un demi-siècle environ pour lélite de nos séminaires et cent ans au moins pour un tiers des autres, à partir de la mort de François Coppée qui ne paraît pas prochaine. Tout de même, le « pauvre Lélian », vers 1880, présenta, en prose, cette idée originale et forte que la loi du travail, ordinairement regardée comme une malédiction, est, au contraire, le « dernier et seul souvenir consolant du Paradis terrestre ». En lisant cela, jai cru voir la Porte si bien gardée sentrouvrir.
Ah ! que cest beau ! Ainsi Dieu, tout fâché quil fût contre lhomme et le condamnant à tout perdre, aurait employé cette ruse adorable de le flageller avec lEspérance, de lui infliger comme châtiment ce qui devait être son réconfort et de le lier rudement par une chaîne de Dilection ! Du milieu de ses propres entraves beaucoup plus dures, il a vu cela, le lamentable Verlaine ! Il a vu ou entrevu que si le paresseux accomplit cet acte effrayant de couper la dernière amarre, le travailleur pervers, qui nest courageux que le Dimanche, parce quil sagit de braver un maître invisible, renouvelle à son insu étant une épouvantable brute le Crime initial et reperd, chaque fois, pour lui-même et pour beaucoup dautres, le Jardin de Volupté. Adam et Ève ont dû, en une manière quon ne sait pas, mépriser le Septième Jour et travailler le Dimanche tout lété, ou, naller à la Messe que pour se moquer de la religion, ou, pendant le carême, aller à la boucherie comme des chiens, car les paroles divines sont toujours certaines et identiques, en amont comme en aval de leur cours éternel.
La sanctification du Dimanche, cest la sanctification du travail, et le travail, non sanctifié de cette manière, est tellement maudit que lapparente solidité des maisons privées ou des monuments publics, à la construction desquels il fut travaillé le Dimanche, est un problème. Le Secret annonce des maux inouïs, tels quaucun prophète nen annonça jamais daussi affreux et daussi universels. La terre sera frappée de toutes sortes de plaies. Les montagnes et la nature entière trembleront dépouvante. Des prodromes, dailleurs, se manifestent. Les feuilles publiques, prodromes elles-mêmes de la démence du monde, relatent, chaque jour, sans y rien comprendre, les plus alarmantes catastrophes : tremblements de terre ou volcans détruisant de grandes villes, des pays entiers ; explosions, incendies, accidents innombrables et de toute sorte procurés par la main-forte scientifique ou industrielle, au service de la Désobéissance et de lOrgueil. Cela pour ne rien dire des homicides continuels et de plus en plus atroces, préludes, sous nos yeux, de massacres sans pardon. Hier, un train de voyageurs sautait dans la Loire... Lheure va sonner où les catastrophes se toucheront, où il ny aura plus que des catastrophes. À chaque tour de cette roue des supplices dont le mouvement saccélère, de graves individus recherchent aussitôt les « responsabilités », dans lespérance, dirait-on, daugmenter le mal, en réduisant au désespoir quelque mercenaire sans protection.
Ah ! misérables que nous sommes ! Elle est sur chacun de nous, la responsabilité ! Le mot châtiments révolte notre orgueil. Il nous faut des causes naturelles, des explications scientifiques où Dieu nintervienne pas... Ce travail avait été bien fait, pourtant ! Les matériaux étaient excellents et on avait eu de bons ouvriers. Il ny avait rien à redire à ces assises de pierre dure, capables de soutenir une montagne, et cette charpente de fer avec ses arbalétriers, ses boulons, ses rivets, que sais-je encore ? étaient au-dessus de tout éloge... Mais voici. Ce travail avait été fait le Dimanche, très probablement, et les ouvriers un seul, peut-être avaient dû mettre le Nom de mon Fils au milieu. Il na pas fallu davantage. Telle est lexplication de la Mère de Dieu.
Je me suis réservé le Septième Jour
à la RÉSERVE du Seigneur Nous tombons toujours Ève pleure
XXII
AFFAIRE CATERINI.
Il ny a pas moyen de comprendre lénorme prévarication sacerdotale, et surtout épiscopale, relative au Miracle de la Salette, quand on ignore laffaire Caterini. Voici donc rapidement cette histoire misérable.
Le Secret de Mélanie commence par ces mots : Mélanie, ce que je vais vous dire maintenant ne sera pas toujours secret : vous pourrez le publier en 185853.
En 1858, Mélanie était enfermée au Carmel de Darlington, en Angleterre. Elle demanda à sortir pour remplir sa mission. Quand elle revint, en 1860, la gravité de ce Secret effraya les membres du clergé auxquels elle en parla. Elle se borna pour lors à le donner manuscrit. Cest ainsi que de nombreuses copies sen répandirent avant 1870.
Plusieurs publications suivirent. Celle qui parut en 1872 fut honorée de la bénédiction de Pie IX. Celle qui parut en 1873 fut approuvée par le cardinal Xyste-Riario Sforza, archevêque de Naples. Celle qui parut en 1879 fut publiée par la Bergère elle-même, avec limprimatur de Mgr de Lecce, le Compte Zola, son directeur.
Cest alors que des prêtres français, des religieux et plusieurs évêques, voulant faire condamner par Rome la brochure de Mélanie, Mgr Cortet, évêque de Troyes, se chargea dattacher le grelot.
Mgr Cortet, connaissant mal les règles du Droit canonique en cette matière, sadressa à la Congrégation de lIndex qui le renvoya à celle de lInquisition. Là encore, il ne put rien obtenir. À bout dexpédients, il menaça le cardinal Caterini, simple diacre, mais, secrétaire par rang dâge de cette Congrégation, du retrait du Denier de saint Pierre « si lon ne faisait pas quelque chose (sic) en sa faveur ». Le secrétaire, âgé de 85 ans, signa la lettre suivante rédigée par un sous-secrétaire :
« Révérendissime Seigneur, Votre lettre du 23 juillet, relative à la publication de lopuscule intitulé : LApparition de la Sainte Vierge sur la Montagne de la Salette a été remise aux Très Éminents Cardinaux, avec moi Inquisiteurs de la Foi, qui veulent que vous sachiez que le Saint-Siège a vu avec déplaisir la publication qui en a été faite et que sa volonté est que les exemplaires déjà répandus soient, autant que possible, retirés des mains des fidèles...
« Rome, le 8 août 1880.
« P. Card. CATERINI. »
À la réception de cette lettre, Mgr Cortet fut atterré, car ce nétait pas une condamnation. 1° Rome ne dit pas de « retirer autant que possible », quand elle condamne un livre. 2° Cétait une lettre privée quon lui envoyait et nullement un décret, car il est de rigueur quon relate, dans un décret, la date de la réunion du Saint-Office. 3° Au lieu du pointillé, qui sera expliqué dans un instant, il y avait ces mots : « Mais quon la maintienne (la brochure) dans les mains du clergé, pour quil en profite ». Cette dernière phrase était, en réalité, une approbation de la brochure. Impossible de publier cela.
Mgr Cortet envoya cette réponse à son collègue de Nîmes. Mgr Besson ne sembarrassa pas pour si peu. Il supprima la dernière ligne, la remplaça par un pointillé et publia, sous la couleur dun décret, cette lettre privée, tronquée, faussée, qui nétait pas même à son adresse. Mgr de Troyes limita. Un grand nombre de Semaines religieuses sempressèrent den faire autant, bien quelles sussent ce quil en était. Les Revues catholiques, les « bons journaux », furent priés dinsérer et le firent de bonne foi, on lespère. Tout le monde crut, ou voulut croire, que la brochure de Mélanie était condamnée !
Plus tard, les Missionnaires de la Salette, estimant que le pointillé en disait encore trop, le remplacèrent par un seul point, et glissèrent par milliers dans les mains des pèlerins leur petit papier. En même temps les calomnies allaient bon train ; aucun doute nétait possible : « LEnfant de Marie avait mal tourné ; elle était égarée par la vanité, infidèle à sa mission, etc. »
Voici, à ce sujet, une lettre de Mélanie à M. labbé Roubaud, curé de Vins, au diocèse de Fréjus, mort en 1897, laissant une haute réputation de sainteté :
Castellamare, 25 octobre 1880.
« Mon très Révérend Père,
« Ne vous troublez pas de tout ce que fait le démon par le moyen des hommes ; le bon Dieu le permet pour affermir la foi des vrais croyants... Les personnages à qui je me suis adressée à Rome appartiennent, lun à la Congrégation de lIndex et lautre à celle du Saint-Office ou de lInquisition qui est la même. Autant lun que lautre, ils ignoraient la lettre du cardinal Caterini. Cest ce qui leur a fait dire que cest un parti qui agit indépendamment du Pape et même des Congrégations de lIndex et de lInquisition... »
Elle écrivit, en outre, à Mgr Pennachi, consulteur de lIndex, qui lui fit la même réponse. Mgr Zola, évêque de Lecce, qui avait donné limprimatur, sétait rendu immédiatement à Rome pour avoir des explications. Le sous-secrétaire qui avait écrit la lettre fit très humblement toutes ses excuses à Mgr de Lecce, lui disant quil avait eu la main forcée par lévêque de Troyes et autres évêques de France. Sa lettre ne devait pas être publiée. Les formules qui compromettaient, dans cette affaire, « les Éminentissimes Cardinaux » et « le Saint-Siège », étaient des rocamboles !!!54 »
Voici, pour conclure, ce quécrivait encore Mélanie, le 13 octobre 1880 :
« ... Le plus grand coupable par rapport à la lettre du cardinal Caterini est Mgr Fava. Cependant il ny a rien de si opportun que les avertissements de notre miséricordieuse Mère Marie, à la veille du jour où les religieux sont chassés... comme le dit très bien le Secret que lon rejette... Les ténèbres obscurcissent les intelligences ; ne voyons-nous pas saccomplir, à la lettre, ces paroles du Secret !...
Un évêque écrit à la Congrégation de lIndex et un Cardinal, secrétaire de la Congrégation de lInquisition, répond une lettre privée et non officielle, et cette lettre privée se reproduit dans les Semaines religieuses, puis dans les journaux religieux et ainsi parcourt le monde !!!... Le Secret, inopportun pour les fidèles, excite la curiosité de tout le monde et, de tous côtés, je reçois des lettres pour me demander ma petite brochure que je nai plus. Voilà jusquoù sont allées la sagesse et la prudence de lopportunisme... En vérité, nous sommes plongés dans les ténèbres ! Et cest un châtiment de Dieu. En arrêtant la diffusion du Secret, on prend une très grande responsabilité devant Dieu ! On répondra devant Dieu de tout le Message de la Vierge Marie ! Je ne voudrais pas être à la place de ces personnes-là au terrible Jugement !... »
XXIII
SAINTETÉ DE MÉLANIE.
APÔTRES DES DERNIERS TEMPS PROPHÉTISÉS PAR ELLE
ET PAR LE VÉNÉRABLE GRIGNON DE MONTFORT.
À tout cela Mélanie navait à opposer que sa sainteté, son immense beauté dâme universellement, je ne dis pas méconnue, mais inconnue. Les moins hostiles ont la charité despérer quelle nest pas perdue éternellement, quelle finira par être admise dans le Paradis, fort au-dessous des dames, après un Purgatoire dont le pensée fait frémir. Les légendes fabriquées par le démon sont si tenaces que, longtemps encore, on croira que la Bergère de la Salette a mal fini ; quaprès une grâce inouïe dont la moins pieuse des enfants du petit catéchisme eût été plus digne, elle est retombée, presque aussitôt, dans la tiédeur, dans lindolence de lâme, dans la vanité, dans linfidélité, dans le mensonge55. Quand on sait à quoi sen tenir, cette vieille boue des décrottoirs de lenfer semble si basse et si puante quil ny a pas moyen de sy arrêter un instant.
La volonté de Mélanie était que ses directeurs ou confesseurs ne dévoilassent rien de sa vie intime. Mais, dès 1852, plusieurs personnes ont su par le P. Sibillat, qui avait obtenu quelques confidences de cette enfant privilégiée, que, longtemps avant 1846, le Ciel lavait visitée, que la grande Apparition de 1846 nétait quun épisode de son enfance ; et les Religieuses de Corenc, ses compagnes, purent observer que ces grâces ne cessaient pas. On a la preuve quelles nont jamais cessé.
« Cette humble fille dit son historien futur quil ne mappartient pas de nommer dont les âmes, même religieuses, ne peuvent, avant que sa Vie intime soit publiée, soupçonner la haute sainteté et la grande mission dans lÉglise, fut comblée, dès lâge de trois ans, des dons surnaturels les plus étonnants, tels quon les trouve dans les vies de quelques saints. Instruite par lEnfant Jésus qui lui avait appris quil fallait cacher ces grâces, elle les cachait avec tant dhumilité et dhabileté et, quand on les surprenait, on voyait tant combien on la faisait souffrir, que ses directeurs eux-mêmes nen ont connu quune faible partie. Dans les montagnes où elle gardait les troupeaux avant lApparition, on lappelait déjà la petite sainte et on lui attribuait des miracles. »
Aujourdhui il est connu quelle en a fait et la preuve en sera donnée, quand la Congrégation des Rites daignera soccuper de la Béatification dune si pauvre Bergère. La découverte de ses stigmates a été la chose la plus fortuite. Elle-même paraissait les ignorer bien quelle les cachât, comme tout le reste, instinctivement ou du moins, elle paraissait croire que tous les chrétiens devaient être ainsi ce qui nest pas loin du sublime le plus terrassant. Mélanie fut souvent communiée par Notre Seigneur lui-même et jouissait de la vue continuelle de son Ange gardien. Les habitants dAltamura ont affirmé avoir entendu dans lappartement de « la pieuse dame française », à lAngelus du soir, la nuit quelle est morte, des chants angéliques et le tintement dune clochette, comme quand on porte le Saint Viatique.
Combien dautres choses encore ! Mais ce qui étonne plus que tout, ce qui décourage de penser, ce qui donne aux seules larmes damour un inestimable prix, cest de se dire quelle voyait tout dans la Lumière de Dieu, non simultanément, mais successivement, cest-à-dire au moment où sa pensée se portait sur un objet. Don extraordinaire, unique peut-être dans la vie des saints. Elle semblait vivre dans le Paradis terrestre comme si la Chute navait pas été.
À une croyante qui voulait savoir quelque chose des Apôtres des Derniers Temps, fut communiqué ce fragment de ce que Mélanie appelait sa « Vue »56 :
« ... En dautres endroits, je vis les Disciples des Apôtres des Derniers Temps. Je compris bien clairement que ces messieurs, que jappelle les Disciples, faisaient partie de lOrdre. Cétaient des hommes libres, des jeunes gens qui, ne se sentant pas appelés au sacerdoce, voulant cependant embrasser la vie chrétienne, accompagnaient les Pères dans quelques missions et travaillaient de tout leur pouvoir à leur propre sanctification et au salut des âmes. Ils étaient très zélés pour la gloire de Dieu. Ces disciples étaient auprès des malades qui ne voulaient pas se confesser, auprès des pauvres, des blessés, des prisonniers, dans les réunions publiques, dans les assemblées sectaires, etc., etc. Jen vis même qui mangeaient et buvaient avec des impies, avec ceux qui ne voulaient pas entendre parler de Dieu ni des prêtres ; et voilà que ces Anges terrestres tâchaient par tous les moyens imaginables de leur parler et de les amener à Dieu, et de sauver ces pauvres âmes qui ont chacune la valeur du Sang de Jésus-Christ, fou damour pour nous. Cette vue était bien claire, bien précise et ne me laissait aucun doute sur ce que je voyais ; et jadmirais la grandeur de Dieu, son amour pour les hommes et les saintes industries dont il usait pour les sauver tous ; et je voyais que son amour ne peut pas être compris sur la terre, parce quil dépasse tout ce que les hommes les plus saints peuvent concevoir...
« ... Avec elles (les Religieuses), il y avait aussi des femmes et des filles remplies de zèle qui aidaient les religieuses dans leurs uvres. Ces veuves et ces filles étaient des personnes qui, sans oser se lier par les vux de religion, désiraient servir le bon Dieu, vaquer à leur salut et mener une vie retirée du monde. Elles étaient vêtues de noir et très simples. Elles portaient aussi une croix sur la poitrine, comme les Disciples, mais un peu moins grande que celle des Missionnaires et elle nétait pas extérieure.
« ... Les Disciples et les femmes faisaient aussi cette promesse ou oblation à la Très Sainte Vierge : de se donner à Elle et de Lui donner, pour les âmes du Purgatoire, en faveur de la conversion des pécheurs, toutes leurs prières, toutes leurs pénitences, en un mot toutes leurs uvres méritoires.
« Je vis que les Missionnaires vivaient en communauté... Je vis que les disciples qui savaient lire disaient lOffice dans leur chapelle ; je vis aussi que les Religieuses disaient lOffice de la Sainte Vierge ainsi que les femmes. »
Il est infiniment intéressant de rapprocher de cette vue si actuelle, si précise, de la Bergère, la prophétie plus générale, mais combien éloquente, écrite, 150 ans avant la Salette, par le Vénérable Grignion de Montfort :
« ... Mais quels seront ces serviteurs, esclaves et enfants de Marie ? Ce seront un feu brûlant des ministres du Seigneur qui mettront le feu de lamour divin partout et, sicut sagittae in manus potentis, des flèches aiguës dans la main de la puissante Marie pour percer les ennemis ; ce seront des enfants de Lévi, bien purifiés par le feu de grandes tribulations et bien collés à Dieu, qui porteront lor de lamour dans le cur, lencens de loraison dans lesprit, et la myrrhe de la mortification dans le corps, et qui seront partout la bonne odeur de Jésus-Christ aux pauvres et aux petits, tandis quils seront une odeur de mort aux grands, aux riches et aux orgueilleux mondains.
« Ce seront des nuées tonnantes et volantes par les airs, au moindre souffle du Saint-Esprit, qui, sans sattacher à rien, ni sétonner de rien, ni se mettre en peine de rien, répandront la pluie de la parole de Dieu et de la vie éternelle ; ils tonneront contre le péché, ils gronderont contre le monde, ils frapperont le diable et ses suppôts et ils perceront doutre en outre, pour la vie ou pour la mort, avec leur glaive à deux tranchants de la parole de Dieu, tous ceux auxquels ils seront envoyés de la part du Très-Haut.
« Ce seront des Apôtres véritables des Derniers Temps, à qui le Seigneur des vertus donnera la parole et la force, pour opérer des merveilles et remporter des dépouilles glorieuses sur ses ennemis ; ils dormiront sans or ni argent et, qui plus est, sans soin au milieu des autres prêtres, ecclésiastiques et clercs, inter medios cleros, et cependant auront les ailes argentées de la colombe, pour aller, avec la pure intention de la gloire de Dieu et du salut des âmes, où le Saint-Esprit les appellera57 ; et ils ne laisseront après eux, dans les lieux où ils auront prêché, que lor de la charité qui est laccomplissement de toute la loi. Enfin nous savons que ce seront de vrais disciples de Jésus-Christ, qui, marchant sur les traces de sa pauvreté, humilité, mépris du monde et charité, enseigneront la voie étroite de Dieu dans la pure vérité, selon le saint Évangile, et non selon les maximes du monde, sans se mettre en peine ni faire acception de personne, sans épargner, écouter ni craindre aucun mortel, quelque puissant quil soit58.
« Ils auront dans leur bouche le glaive à deux tranchants de la parole de Dieu ; ils porteront sur leurs épaules létendard ensanglanté de la Croix, le Crucifix dans la main droite, le chapelet dans la gauche, les Noms sacrés de Jésus et de Marie sur leur cur, et la modestie et mortification de Jésus-Christ dans toute leur conduite. Voilà de grands hommes qui viendront ; mais Marie sera là, par ordre du Très-Haut, pour étendre son empire sur celui des impies, idolâtres et mahométans. Quand et comment cela se fera-t-il ?... Dieu seul le sait ; cest à nous de nous taire, de prier, de soupirer et dattendre : Expectans, expectavi59. »
Assurément Dieu seul le sait. Cependant nous savons aussi, nous autres, pourquoi et comment cela ne sest pas fait, pourquoi, le 19 septembre prochain, 62e anniversaire de lApparition, il ny aura pas même un faible commencement dexécution, une lointaine velléité dobéissance. Nous ne savons que trop les sordides et basses causes de cette prévarication inouïe. Mais tous ne le savent pas et cest pour les ignorants que ce livre est surtout écrit. Les autres, les vrais coupables par malice ou par lâcheté, chercheront naturellement à létouffer, selon leur méthode, simplement par esprit de suite, sans honte ni peur. Comment faire peur à des hommes consacrés à Dieu qui ont pu voir le châtiment terrible dun assez grand nombre dentre eux sans se frapper la poitrine ?... Enfin jai voulu rendre témoignage afin de mendormir en paix, quand mon heure sera venue.
Les menaces de la Salette ont été conditionnelles. Il y a lieu de croire quelles ne le sont plus. Les Apôtres de Marie, qui auraient dû être institués avant le Déluge de sang et de feu, le seront après, voilà tout.
XXIV
OBJECTIONS, CALOMNIES.
LASSOMPTIONISTE DROCHON.
Ma tâche nest-elle pas finie ? Je crois avoir dit tout ce quil fallait et je ne pourrais plus maintenant que me répéter. On ma présenté une liste des objections contre le Secret qui ne cessent davoir cours à la Salette. Je les connais trop et je les ai réfutées implicitement ou explicitement dans les pages qui précèdent. On sait, dailleurs, que les objections présentées par la haine, lorgueil ou lintérêt, sont invincibles. Elles renaissent à mesure quon les égorge. Cependant le trait distinctif de celles-ci est une faiblesse extrême, une faiblesse enfantine, telle quon a honte de les entendre.
Exemple : « Si le Pape voulait la publication du Secret, il laurait faite lui-même. » Cette objection, dans la bouche de prêtres qui passent pour instruits, étonne et afflige. On sent quil serait bien inutile de leur dire que le Pape a pu et a dû vouloir respecter la mission, évidente pour lui, de Mélanie et quil a donné des preuves de ce respect. Cette idée nentrerait pas dans de tels cerveaux. Comment espérer aussi de faire comprendre à ces esclaves de la lettre, à ces ilotes du vocable, que le Pape étant infaillible, son SILENCE est une approbation ? Or le secret na jamais été condamné. Ajoutons que ce serait peut-être une question de savoir sil est selon les grandes Règles que le Pape fasse en personne la publication dun tel document.
Puis, que répondre à de vieilles calomnies que laccoutumance a transformées en vérités indiscutables, et dont nul chrétien ne savise de rechercher la provenance ? Ici, il ny a plus seulement la honte de lesprit, mais lhorreur de lâme et cest abominable de penser à des mensonges tant de fois réfutés et si vainement confondus !
Un Père Assomptionniste, nommé Drochon, les a réunis en bouquet dans une Histoire illustrée des Pèlerinages français, formidable in-4° de 1274 pages (quil faudrait 2548 hommes pour lire, aurait dit Barbey dAurevilly), publié avec lautorisation et ladmiration du Père Picard, son supérieur général60. On sait que les Assomptionnistes ont été les plus constants ennemis de Mélanie et de son Secret, et quils se sont acharnés à cette guerre avec toute la force et lautorité que leur donnait le succès inouï et lamentable de leurs déprimantes publications61.
Dans la masse énorme de ce Père Drochon, treize pages seulement sont données au Pèlerinage de la Salette et il est presque impossible dy trouver une ligne qui ne soit inexacte ou mensongère. Quon en juge :
« ... Maximin et Mélanie auraient reçu, nous lavons dit, chacun leur (sic) secret : « Infirmes, défaillants, si vous le voulez, en tout le reste, dit M. labbé Nortet, ils ne seront trouvés forts quen un seul point, ce quils ont affirmé être leur mission. » « Ces enfants peuvent séloigner, sécriait à son tour Mgr Ginoulhiac, le 19 septembre 1855 (il avait exilé Mélanie lannée précédente), devenir infidèles à une grande grâce reçue (!), lApparition de Marie nen sera pas ébranlée. » Ces citations font prévoir les vicissitudes qui ont marqué la vie des deux enfants... « Mélanie, après avoir contemplé la Reine du Ciel, ne ferma point ses yeux au monde (!!!), comme nous lavons vu faire à Anglèze de Sagazan, à Liloye et à tant dautres, comme le fit peu après Bernadette. Elle entra, sans doute, au couvent de la Providence à Corenc ; mais se croyant appelée à quelque chose dimportant, rêvant de missions et de conquêtes apostoliques, sur Marie de la Croix inspira des doutes sérieux sur sa vocation à la vie des religieuses, qui nest efficace que si elle est humble (!!!). Après trois ans (un an) de noviciat, Mgr Ginoulhiac consulté sopposa à sa profession62. Elle revint à Corps où un prélat romain dorigine anglaise la décida à le suivre en Angleterre, dans le but de sy adonner à la pénitence pour la conversion du pays. De 1854 à 1860, elle séjourna au couvent des Carmélites de Darlington. Elle y prit lhabit, fit, paraît-il (!), des vux, en 1856, mais elle revint en France, quatre ans plus tard, se fixa à Marseille où, daprès (!) M. Amédée Nicolas, elle fut relevée de ses vux. Elle y séjourna jusquen 1867. (Rien de Corfou, etc.) Mgr Louis Zola, alors évêque de Lecce en Italie, lemmena dans son diocèse et la fixa à Castellamare. (Admirable ! Alors Mgr Zola nétait pas encore évêque ; cest de Mgr Petagna quil sagit et il nemmena pas Mélanie ; puis Castellamare nest pas du diocèse de Lecce, cest même un autre évêché et il est bien loin de Lecce. Cest comme si on situait Amines dans le diocèse de Périgueux. On nest pas fort en géographie chez les Assomptionnistes. Lhistorien a puisé ses renseignements à bonne source, chez les Missionnaires de la Salette, et son livre est gros). À la mort de lévêque, en 1888 (ni Mgr Petagna ni Mgr Zola ne sont morts en 1888), elle revint à Marseille où elle est encore (1890). Au milieu de cette vie agitée et inconstante, Mélanie est restée vertueuse (Ah ! tout de même ! tout juste vertueuse !) et, comme Maximin, persévérante sur un seul point, sa foi ardente (Après ce qui précède, le mot ardente est tout à fait stupide, mais cest comme ça quon écrit à lAssomption) en lApparition et dans le Secret quelle avait entendu. » (Et pas un mot de ce secret ! comme si la publication de Mélanie et limprimatur de Mgr Zola étaient apocryphes, puisque, dautre part, Drochon dit que ce secret est le « clou » de lApparition style Bailly, style Croix et Pèlerin.)
Cette page ma rappelé le mot de Chateaubriand : « Il est des temps où lon ne doit dépenser le mépris quavec économie, à cause du grand nombre des nécessiteux. »
XXV
LHÔTELLERIE.
TACTIQUE DOUBLE DES MISSIONNAIRES
OU CHAPELAINS.
Dès le commencement de ce travail, des personnes pieuses et dintention pure jugèrent excessif mon blâme de lhôtellerie de la Salette63. Il faut pourtant bien, mont-elles dit, que les pèlerins soient hébergés, surtout les infirmes et les malades, et ils ne peuvent pas exiger quon les loge et quon les nourrisse pour rien. Or voilà précisément ce qui ne devrait pas être en question. Le droit strict des pèlerins, surtout des infirmes et des malades, cest dêtre hébergés pour rien. En octobre 1880, du temps des prétendus missionnaires, je vis, un matin, arriver à la porte de lhôtellerie, par une neige terrible, un mendiant à peine moins blanc que la neige et qui paraissait avoir quatre-vingts ans. Il avait cheminé des heures dans la montagne, certain, disait-il, de trouver à la Salette lhospitalité de deux jours assurée aux chemineaux par un règlement de lhôtellerie. Je nai pas vu ce règlement, rêvé, peut-être, par de pauvres malheureux, mais ce que jai bien vu et trop bien vu, cest le désespoir, lhumble désespoir de ce vieillard, me disant, un quart dheure après : « Ils mont donné une soupe froide et mont dit quil fallait partir. Jaurais bien voulu me reposer. » Pour ne pas être complice dun assassinat, je payai, quoique très pauvre, trois jours de pension pour cet envoyé, qui était peut-être Raphaël, et dont le remerciement est resté en moi comme une lumière douce dans la cellule dun condamné.
À partir de ce jour, jai compris ce qui se passait sur cette montagne. Pour parler net, jai vu lépouvantable esprit davarice de ces soi-disant religieux qui nauraient dû être eux-mêmes que des mendiants et des serviteurs de mendiants, car la Salette est, par essence et par excellence, un pèlerinage de va-nu-pieds. Quon vienne à la base de cette montagne comme on voudra et tant quon voudra, mais, arrivé là, on ne peut monter délicatement quavec le diable sur les épaules. Les premiers pèlerins ne sy trompaient pas et nauraient pas pu sy tromper. La route actuelle nexistait pas, et le service des mulets ne se faisait pas comme aujourdhui. On voyait se traîner, sur les flancs du Mont, des infirmes, des agonisants, des quasi-morts, qui rampaient des journées entières et qui redescendaient guéris. Mlle des Brulais, qui fut un des premiers témoins de la Salette, a relaté quelques exemples vraiment prodigieux64. Je ne crois pas quil soit possible de citer un seul cas de mort dun de ces malades sur la Montagne. Combien, cependant, durent passer la nuit sans toit, ni tente, sub Jove frigido, à cette altitude mortelle pour des être humains privés dabri ! De quels secours pouvaient être, pour des centaines et des milliers de pèlerins, le couvert de quelques cabanes en planches ? Quid inter tantos ? Mais on était venu porté par la foi, on était hospitalisé, chauffé, réconforté, guéri par la foi.
Aujourdhui, on monte commodément dans une voiture ou sur le dos dun mulet ; on paie sa chambre et sa table, 1re ou 2e classe ; on prie à son aise, à labri de vraies murailles, dans une basilique bien close, et on sétonne de ne pas obtenir ce quon demande. On nest peut-être pas des pharisiens, mais on ne croit pas être, sicut ceteri hominum, des voleurs, des injustes, des adultères et on na pas peur de « lever les yeux vers le ciel ». Alors on redescend dans la même voiture ou sur le dos du même mulet, mais non pas comme le pauvre publicain. Descendit hic justificatus (hoc est sanatus) in domum suam. Il ny a plus de miracles parce quil ny a plus de croyants ni de PÉNITENTS, parce quil ny a plus denthousiasme, cest-à-dire de charité. Il ny a plus dâmes généreuses.
On serait suffoqué de trouver un comptoir et des livres de comptabilité dans lantichambre dun poète, et on nest pas le moins du monde impressionné de rencontrer ces mêmes objets dans un lieu de pèlerinage, et de quel pèlerinage ! Cest ahurissant de se dire quil y a un endroit où la Sainte Vierge sest montrée, où elle a pleuré damour et de compassion, où elle a dit les plus grandes choses quon ait entendues depuis Isaïe, où elle a guéri et consolé tant de malheureux, et quà deux pas de cet endroit, il y a une caisse !
Cest abominable, direz-vous, mais où est le remède ? Vous le savez aussi bien que moi. Lhôtellerie de la Salette, transformée en une Maison-Dieu, où chaque pèlerin valide se constituerait serviteur des pauvres ou garde-malade, pour quelques heures ou quelques jours serait approvisionnée surabondamment et constamment, si les chrétiens lui donnaient la centième partie de ce quils donnent si vainement et avec tant damertume au percepteur. Elle serait vingt fois plus riche que maintenant, trop riche, sans doute, mais, du moins, on nentendrait plus cet infâme bruit de monnaie que déteste Dieu, et on aurait la joie et la gloire de ranimer dinnombrables pauvres.
Cest bien cela que les bergers ont pu comprendre, et ce nest pas sans effroi que je pense à ce qui a dû se passer dans le doux et noble cur de Maximin, quand il était témoin de lexploitation de sa Montagne, et quil périssait de misère à quelques pas des sordides religieux qui nexistaient que par lui. Pour ce qui est de la vieille Mélanie, ce quelle dut sentir lorsquelle fit le pèlerinage, une dernière fois avant de mourir, je me le suis déjà demandé et je nai trouvé dautre réponse que les larmes.
Mon livre, je lai assez dit, na quun objet : Prouver que tout leffort des ennemis de Dieu, dans le cas de la Salette, a tendu à déconsidérer le Secret de Mélanie, le seul en cause, celui de Maximin nayant jamais été divulgué. Alors, double tactique. Dune part, les Missionnaires ou Chapelains installés sur la Montagne ont toujours et très fermement voulu que les menaces de la Sainte Vierge se soient accomplies, peu de temps après lApparition, dune manière tout à fait complète et définitive, en sorte quil est démontré que nous navons plus rien à craindre et que toute autre prophétie, concernant lavenir ou même le temps présent, doit être tenue pour billevesée. Je les ai vus travailler, chaque jour, près de la Fontaine, à lheure du Récit, apportant des statistiques de famine, en Irlande par la maladie des pommes de terre ; en France, en Espagne ou en Pologne, par la maladie du blé, etc. Pour ce qui est de la menace du Discours relative aux « petits enfants au-dessous de sept ans... », il paraît quelle sexplique très suffisamment par une épidémie déplorable qui eut lieu vers cette époque, cest-à-dire il y a soixante ans. En conséquence, le soi-disant Secret nest quune méchante rêverie très apocryphe que les bons catholiques doivent écarter.
Puis, il faut tenir compte de la différence des temps. En 1846, la Religion était méprisée et la société chrétienne avait besoin dêtre châtiée. Aujourdhui, elle est au contraire, ne le voit-on pas ? dans létat le plus florissant. De toutes manières, le Secret est insoutenable.
Dautre part, on veut à toute force que les Bergers naient jamais été persévérants que sur un seul point : Maximin ivrogne, selon la légende ignoble et criminellement fausse des Missionnaires, ne sortant de sa torpeur que pour raconter lApparition avec lucidité, par un miracle constant ; Mélanie, sainte fille, si on veut, mais livrée au plus dangereux vagabondage et continuellement « entourée dhurluberlus et de prêtres désobéissants qui lui montaient la tête », ne retrouvant comme Maximin, son équilibre et sa raison, que quand il sagissait du récit de cette même Apparition, identiquement relatée par elle depuis 1846. En dehors du Discours public tout sec, impossible à mettre en doute, sans se condamner soi-même à linexistence, où est le moyen de supposer un secret de vie et de mort surérogatoirement divulgué par de tels témoins ?
Après cela, pourraient dire les intéressés, si on veut prendre la peine de considérer les choses froidement, raisonnablement, pratiquement, comment ne pas voir, ô Mère du Verbe, que votre prétendue Révélation nest quune imposture des démons pour empêcher de saints religieux de gagner honnêtement leur vie sur votre Montagne ?
XXVI
LA SALETTE ET LOUIS XVII.
TACTIQUE DOUBLE DES MISSIONNAIRES
OU CHAPELAINS.
Dexcellents travaux historiques ont élucidé récemment la question de la Survivance de Louis XVII. Question déjà vieille et quon ne peut plus ignorer aujourdhui, sans un peu de honte. Mon Fils de Louis XVI, publié en 1900, na pas apporté de document nouveau, mais le témoignage dune admiration infinie pour ce grand geste de Dieu, unique dans lHistoire : une Race Royale qui passait pour la première du monde, non pas rejetée précisément, ni exterminée, mais tombée dans lignominie insondable, sans espoir den sortir jamais.
« Cest à faire chavirer limagination de se dire quil y eut un homme sans pain, sans toit, sans parenté, sans nom, sans patrie, un individu quelconque perdu dans le fond des foules, que le dernier des goujats pouvait insulter et qui était, cependant, le Roi de France !... Le roi de France reconnu tel, en secret, par tous les gouvernements, dont les titulaires suaient dangoisse à la seule pensée quil vivait toujours, quon pouvait le rencontrer à chaque pas, et quil tenait peut-être à presque rien que la pauvre France, toute frappée à mort quelle fût, voyant passer cette figure de sa douleur, ne reconnût soudain le Sang de ses anciens Maîtres et ne se précipitât vers lui avec un grand cri, dans un élan sublime de résurrection !
« On fit ce quon put pour le tuer. Les emprisonnements les plus barbares, le couteau, le feu, le poison, la calomnie, le ridicule féroce, la misère noire et le chagrin noir, tout fut employé. On réussit à la fin, lorsque Dieu leut assez gardé et lorsquil avait déjà soixante ans, cest-à-dire lorsquil avait achevé de porter la pénitence de soixante rois... »65
La disgrâce de ce « Roi fantôme » fut si parfaite que les mots ignominie » ou « opprobre » ne suffisent plus. On lui refusa ce qui ne se refuse pas aux pires scélérats, son identité personnelle, pour mieux dire, une identité quelconque. On voulut absolument quil ne fût personne, dans la stricte acception du mot, et que ses enfants ne fussent les enfants de personne. Ainsi saccomplit, en une manière que Dieu seul pouvait inventer, la séculaire formule capétienne : Le Roi ne meurt pas, puisque la descendance légitime de Louis XVI était condamnée à ne pouvoir ni vivre ni mourir.
Le Dauphin, fils de Louis XVI, authentiquement Louis XVII prétendu mort au Temple, en 1795, exhala son âme douloureuse à Delft, en Hollande, le 10 août 1845, un peu plus de treize mois avant lApparition de la Salette, « promptitude fort singulière de ce miracle, si peu de temps après que le Candélabre aux Lys dOr, dont il est parle dans le Pentateuque, avait été renversé.
« Lorsque éclata la nouvelle de lApparition, un seul chrétien se demanda-t-il si quelque chose dinfiniment précieux ne venait pas dêtre brisé, pour que la Splendeur elle-même, la Gloire impassible et inaccessible parût en deuil ? Depuis le temps que je souffre pour vous autres ! Quel mot troublant et inconcevable !
« La catastrophe est si énorme que ce qui ne peut absolument pas souffrir souffre néanmoins et pleure. La Béatitude sanglote et supplie. La Toute-Puissance déclare quelle nen peut plus et demande grâce... Que sest-il donc passé, sinon que Quelquun est mort qui ne devait pas mourir ?... »66
Si encore il était vraiment mort comme tout le monde meurt, mais je le répète, cétait bien pis, le Roi de France ne devant pas mourir. Et voilà plus de soixante ans que cela continue ! Jai là, devant moi, le portrait dun pauvre petit enfant de 4 ou 5 ans, quoù nomme le Prince Henri-Charles-Louis de Bourbon, Dauphin de France. Il paraît que cest lui qui continuera la série des Rois fantômes...
Plusieurs lettres de Mélanie, dont quelques-unes à la Princesse Amélie de Bourbon, prouvent que la prophétesse navait aucun doute sur la Survivance représentée par le prétendu Naundorff et ses enfants. En 1881, elle nomme lhéritier direct « Roi légitime, Roi FLEUR DE LYS » et recommande lespérance. On sait dautre part que, bien des années auparavant, Maximin avait fait le voyage de Frohsdorf et quune entrevue avec le Comte de Chambord avait eu pour effet la renonciation effective de celui-ci au trône de France. Tout porte à croire, en effet, que Maximin aurait dit à ce prétendant ce que Martin de Gallardon, en 1816, avait dit à linfâme Louis XVIII : « Vous êtes un usurpateur. » Le Comte de Chambord, au contraire de son fratricide grand-oncle, nosa pas succéder aux deux Caïns de la Restauration, mais, tout de même, il garda les 300 millions du patrimoine royal, et les héritiers volés, depuis trois générations, continuèrent dêtre pauvres et couverts de la plus abondante ignominie, comme lavaient été leur père et surtout leur grand-père, le Dauphin du Temple.
Analogie ou affinité, correspondance ou relation mystérieuse entre le Miracle de la Salette et le Miracle de la destinée du Fils de Louis XVI. Un roi pauvre, un roi mourant de faim et de misère ; le fils couvert dordures et obstinément renié de soixante rois, vient offrir à la France de la sauver, et on lassassine, après lavoir longtemps flagellé. Nolumus hunc regnare super nos.
Aussitôt après, la vraie Reine de France, la Souveraine à qui fut authentiquement, valablement et irrévocablement donné ce Royaume, vient, à son tour, supplier en pleurant son peuple et tous les autres peuples dont il est lAîné, de considérer le Gouffre effroyable qui les invoque... Ne pouvant la tuer, on lui répond par la Désobéissance, la Négation de ses paroles et la judaïque lapidation de ses témoins. Nolumus HANC regnare super nos.
Jai pensé, bien des fois que la patience de Dieu est la meilleure preuve du Christianisme.
Aujourdhui tout est-il perdu ? Ny a-t-il plus rien à espérer ? Nest-il plus dautres remèdes que les châtiments ? Lauteur de ce livre en est persuadé. La France ne veut plus de Roi, ni de Reine ni de Dieu, ni dEucharistie, ni de Pénitence, ni de Pardon, ni de Paix, ni de Guerre, ni de Gloire, ni de Beauté, ni de quoi que ce soit qui donne la vie ou la mort. Elle veut, en sa qualité de maîtresse, et dexemplaire des nations, ce qui na jamais été voulu par aucune décadence : la parfaite stupidité dans le mouvement artificiel et automatique. Cela se nomme le Sport, qui doit être un des noms anglais de la Damnation.
En lannée 1864, dit le Secret, Lucifer et un grand nombre de Démons seront détachés de lEnfer...
On sait que Léon XIII, frappé. de cette prédiction, a voulu que tous les prêtres catholiques récitassent chaque jour, après leur messe, agenouillés au pied de lautel, cette prière assez semblable à un exorcisme :
SANCTE MICHAEL, ARCHANGELE, DEFENDE NOS IN PRAELIO : CONTRA NEQUITIAM ET INSIDIAS DIABOLI ESTO PRAESIDIUM. IMPERET ILLI DEUS, SUPPLICES DEPRECAMUR ; TUQUE, PRINCEPS MILITIAE COELESTIS, SATANAM ALIOSQUE SPIRITUS MALIGNOS QUI AD PERDITIONEM ANIMARUM PERVAGANTUR IN MUNDO, DIVINA VIRTUTE IN INFERNUM DETRUDE. AMEN.
APPENDICES
PIÈCE JUSTIFICATIVE
Le document qui suit, écrit de la main de Mélanie, fera connaître la source des calomnies sans cesse répétées, depuis trente ans, contre le Secret, la Règle de la Sainte Vierge, la Voyante et sa Mission.
« (Cusset, Allier), ce 28 février 190467
À Monsieur labbé H Rigaux,
Curé dArguves
par Dreuil-les-Amiens (Somme)
Mon très Révérend et très cher Père,
Que Jésus soit aimé de tous les curs !
Je vous vous promis, cela plaisant à Dieu, de mettre par écrit mon voyage à Rome, ce qui la précédé, le Congrès tenu au nom du Saint-Père par son Éminence le Cardinal Ferrieri, Préfet de la Congrégation des Évêques et Réguliers, ce qui sy est dit, mon audience privée auprès du Saint-Père et ce que nous avions dit, mon entrée chez les Salésianes (Visitandines), puis ma sortie et ce qui a suivi.
Jusquà présent, je nai pas pu écrire cela, par cause de maladie. Que le bon Dieu soit béni de tout !
I
En lan de grâce 1878 et, je crois, en octobre, un matin après la Sainte Messe, le Révérend Père Fusco me dit avoir lu dans un journal lintention de Mgr Fava, évêque de Grenoble, de venir à Rome pour faire approuver sa règle pour les Pères et pour les Surs de la Montagne de la Salette.
À cette nouvelle je dis : Pour avoir ma conscience nette, je vais me hâter décrire la Règle de la Très Sainte Mère de Dieu et lenvoyer au Saint-Père. Je la porterai moi-même à Rome, dit le Père Pusco. Et tout se fit comme nous avions dit.
Un mois environ sétait écoulé, quand un dimanche, mon saint Évêque, Mgr Pétagna, me fit savoir quil désirait me parler. Je me rendis à lÉvêché. En montant les escaliers, je rencontrais des bons vieux chanoines qui versaient des larmes et disaient : Il aurait mieux fait de rester dans son diocèse et ne pas venir tuer notre Évêque. Si ce nétait sa soutane je laurais pris pour un gendarme hautain, impérieux. Dautres chanoines me dirent : Par charité, faites finir les cruelles instances de lÉvêque de Grenoble auprès de Mgr Pétagna déjà assez malade. Je demandai la raison des ordres que lévêque de Grenoble donnait à mon saint Évêque. On me dit : LÉvêque de Grenoble, avec un air de puissante autorité, ordonne à notre saint Évêque de vous obliger, de vous contraindre daller dans son diocèse, etc., etc. Jentre, et, pour la première fois, je voyais Mgr Fava.
LÉvêque de Grenoble était accompagné dun prêtre, que je sus, plus tard, être le Père Berthier, un des missionnaires de la Salette.
Mgr de Grenoble me dit entre autres choses banales, indifférentes, quil avait entendu dire que jétais ici et quil était venu de bien loin pour me voir. Je le remerciai. Mon saint Évêque, déjà malade, se sentait épuisé et avait besoin de repos et surtout de tranquillité desprit. Un domestique vint lui dire que sa chambre était préparée, sil avait besoin de se reposer. Alors, mon saint Évêque me dit : Mgr de Grenoble et le R. Père Berthier prendront leur repas chez vous, parce que, ici, depuis que je suis si souffrant, on ne prépare rien, on ne se met plus à table. Je dis à mon saint Évêque, en lui exprimant mon regret pour son état maladif, que je le remerciais de lhonneur quil me procurait davoir Monseigneur et ce digne Prêtre chez nous, et le priai de me permettre de me retirer, afin que chez moi on pût préparer le nécessaire. Mon saint Évêque, remarquant le mutisme de Mgr Fava sur ce quon venait de combiner, crut quil navait pas compris. Il le répéta une deuxième fois, puis, une troisième fois, et je revins chez moi afin de tout préparer pour le déjeuner de midi.
À midi, arrive Mgr de Grenoble avec le P. Berthier. Sa première parole fut : Je suis venu à Rome pour trous raisons : pour faire approuver ma règle pour les Pères et pour les Surs, pour obtenir le titre de Basilique à lÉglise de la montagne de la Saiette, et faire faire une NOUVELLE STATUE de Notre-Dame, semblable au modèle que jai apporté ; parce que, voyez-vous, aucune statue ne représente bien la Sainte Vierge, qui ne devait pas avoir un fichu ni un tablier ; et tout le monde murmure et désapprouve ce costume des femmes de la campagne. Le modèle que jai fait exécuter est bien mieux ! Dabord, elle ne portera pas de croix parce que, voyez-vous, cela attriste les pèlerins, et la Sainte Vierge ne devait pas avoir de croix68... Je passe, ma plume se refuse à faire savoir, en détail, tout ce que sa Grandeur a dit. Jétais effrayée ; cest à peine si jai pu lui dire : Et, au bas de votre statue, Monseigneur, vous écrirez en grosses lettres : Vierge de la vision de Mgr Fava ! On appela pour nous mettre à table.
Après le repas, lÉvêque de Grenoble ouvrit un balcon pour voir la campagne et surtout le Vésuve que nous avions en face. Sa Grandeur me demanda qui nous avions pour voisin à côté de nous. Je lui répondis que nous étions seules.
Oh ! mais vous êtes princièrement logées ! Et il se mit à parcourir les pièces. Il sortit sur la terrasse qui servait, quand il ne pleuvait pas, de lieu de récréation à mes élèves. Il contempla encore longtemps le Vésuve, la mer et le paysage... Après quoi il rentra, non sans avoir ouvert et examiné ma chambre de travail ; et, en voyant tant et tant de lettres sur mon bureau, il me dit : Mais votre correspondance est bien plus nombreuse que la mienne ! Doù vous viennent toutes ces lettres ? De toute lEurope, Monseigneur. Vous êtes logée dans un palais trop beau ! Sans sortir, vous avez de quoi vous promener...
Après environ trois quarts dheure ou une heure, Monseigneur dit quil allait souhaiter le bonsoir à Mgr Pétagna, puis reprendre le train pour Rome : Oh ! elle sera ravissante de beauté MA statue : toute en marbre, avec un beau manteau qui lentoure ; pas de souliers, pas de crucifix, cela attriste trop ; la Sainte Vierge ne devait pas être accoutrée comme vous avez dit. Eh ! bien, Monseigneur, lui ai-je dit, si le bon Dieu menvoyait sa Providence, je ferais faire une peinture, ou la Très Sainte Vierge Mère de Dieu serait représentée au milieu de deux resplendissantes lumières, et vêtue telle quelle est apparue sur la Montagne de la Salette. Et Mgr Fava sen alla ainsi que le P. Berthier.
Dans laprès-midi avancée, à mon grand étonnement, une personne envoyée par mon saint Évêque vint me dire que mon saint Évêque avait quelque chose à me communiquer.
Je demandai à cette personne si Mgr de Grenoble était parti. Heureusement il partait, répondit-elle, quand un messager a ouvert la porte et remis à Mgr Pétagna un pli venant de Rome pour vous être communiqué. Alors, cet Évêque Carbonaro est rentré, et il voulait absolument savoir le contenu de la dépêche. Il fait bien de la peine à notre Monseigneur. Je partis avec la même personne pour lÉvêché.
Arrivée à la porte je lui dis : Sans doute que Mgr lÉvêque de Grenoble sera resté : entrez, et dites à notre Mgr Pétagna que la personne lattend. Ainsi fut fait.
Mon saint Évêque vint à moi avec la dépêche et, à demi-voix, il me dit à peu près ceci : Le Saint-Père désire vous parler. Voici la dépêche en ce qui vous concerne :
« Si Mélanie nest pas malade et quelle paisse venir à Rome, Sa Sainteté voudrait lui parler. Si elle ne peut pas venir, quelle envoie tout ce qui se rapporte à la fondation du nouvel Ordre religieux des Apôtres des derniers temps. »
Je demandai à Monseigneur quand il voulait que je parte.
Cest aujourdhui dimanche, dit-il, et aussi trop tôt à cause de vos préparatifs. Il ny a rien qui presse.
À ce moment 1Évêque de Grenoble samène et dit : Monseigneur, je crois que vous avez dit à Mélanie toute la dépêche, vous pouvez bien me la dire à moi.
Et mon saint Évêque répondit humblement : Excusez-moi, Monseigneur, il y a, dans la dépêche, des choses pour elle et pour moi. Ce qui nest pas un secret, cest quelle est mandée à Rome.
Ah bien ! Et savez-vous pourquoi ? ce quelle va y faire, Monseigneur ?
Silence de mon saint Évêque.
Cest très bien, nous partirons ce soir ensemble.
Alors je dis : Je ne voyage pas le dimanche.
Mgr de Grenoble : Mais vous devez obéir au Pape !
Le Saint-Père ne ma pas dit de partir au reçu de la dépêche.
Regardant mon saint Évêque, il lui dit : Il faut lui commander de partir ce soir avec moi, Monseigneur.
Monseigneur, elle ne peut partir comme cela. Il faut bien, si elle a quelque chose à préparer, lui en donner le temps.
Obéissez ! obéissez ! Vous savez que je suis lÉvêque de Grenoble ! et jai tant de choses à vous apprendre, à vous dire et à vous demander. Voyez, cest ce soir, à dix heures, que nous devons prendre le chemin de fer pour Rome. Vous vous y trouverez, nest-ce pas ?
Je ne sais pas, Monseigneur.
Ah ! mais il le faut !... Monseigneur, sécria-t-il, obligez-la, commandez-lui de partir ce soir avec moi.
Mon saint Évêque, pâle comme la mort, lui répondit : Je nai pas lart de commander aux personnes qui obéissent au moindre signe. Pas plus que le Saint Père je ne puis savoir si elle a quelque préparatif à faire avant son départ.
Pour en finir, je dis que je me retirais. Il était nuit.
LÉvêque de Grenoble en me disant : « Au revoir, à dix heures ! » rentra dans le salon, et je pus parler et prendre lobéissance de mon saint Évêque qui me dit : Monseigneur de Grenoble me conduira dans la tombe. Si vous pouvez, partez ce soir pour me lenlever dautour de moi. Je vous donnerai le Père Fusco et votre compagne. Vous partirez quand vous pourrez, ce soir, et que le bon DIEU vous bénisse.
Arrivée chez moi, nous nous concertons, croyant que je ne resterais que deux ou trois jours à Rome. Comme jy avais envoyé la Règle de la Mère de DIEU depuis environ un mois : Je crois, dit le Père Fusco, que vous êtes mandée pour sentendre au sujet de la fondation des Apôtres des derniers temps. Car lÉvêque de Grenoble nous a dit à lÉvêché, quétant allé à la Sacrée Congrégation des Évêques et Réguliers pour quon se hâte dapprouver sa Règle, le cardinal Ferrieri lui avait fait entendre quen ce moment il était très occupé, et que Monseigneur pouvait, pendant au moins huit jours, passer son temps à visiter les monuments de Rome et des environs. Voila pourquoi lÉvêque de Grenoble est venu ici.
Nous combinâmes alors de prendre à Castellamare le train de neuf heures du soir.
À dix heures, nous étions à Naples. Nous dûmes attendre le train qui partait pour Rome. Permission de Dieu !... lÉvêque de Grenoble arrive tout essoufflé :
Il y a une demi-heure que je vous cherche ! Eh bien, venez, nous allons prendre place.
Je remerciai Monseigneur et lui dis que nous voyagions toujours en troisième classe.
Mais, dit-il, est-ce quil y a quelquun avec vous ?
Un prêtre et ma compagne, Monseigneur.
Ils peuvent se mettre dans un autre wagon, dit Monseigneur. Donnez-moi votre billet, jy ferai ajouter un supplément de première classe.
Je lui dis que mon saint Évêque ayant eu la bonté de me donner ces personnes pour maccompagner, je ne pouvais pas men séparer.
Presque fâché, Monseigneur dit : Je paierai encore un supplément pour eux. Mais savez-vous pourquoi vous êtes mandée à Rome ?
Je répondis : Non, et je ne men inquiète pas.
Nous partons. LÉvêque de Grenoble qui avait tant de choses à dire, ne me dit rien. Mais jétais bien peinée de voir que le Père Fusco et ma compagne étaient regardés de travers, et on aurait dit avec colère.
Le P. Berthier navait pas lair satisfait : il navait pas réussi, en fermant la portière, afin que mes compagnons ne pussent monter dans notre compartiment : aussitôt la porte sétait ouverte, et le P. Fusco, en entrant, avait dit :
Excusez-moi, Monseigneur, si je prends la liberté dentrer ici, cest pour me conformer à notre Mgr lÉveque de Castellamare, qui désire que je ne quitte pas Sur Marie de la Croix.
Et lÉvêque de Grenoble navait rien répondu.
Lundi, à sept heures du matin, nous arrivions à Rome, et là, nous nous séparâmes. Monseigneur et le P. Berthier sen allèrent au Séminaire Français, il me semble ; et nous fûmes dans une église, où le P. Fusco célébra la Sainte Messe. Après, nous fûmes loger dans un hôtel, ou nous demeurâmes, je crois, plus de huit jours.
Dès le premier jour, je fis annoncer mon arrivée au cardinal Ferrieri pour me mettre à sa disposition. Son Éminence me fit dire quil mavertirait davance pour le jour quil aurait besoin de moi.
Nous étions donc en liberté, tous les jours après la Sainte Messe ; et nous passions les après-midi agréablement en Dieu, en visitant les belles églises de la Maggiore, di S. Paulo hors les murs, lÉglise qui a un grand tableau représentant Notre-Dame de la Salette, et les Catacombes. Mais nos premières visites furent aux personnages connus de nous pour être très croyants, très dévots à Notre-Dame de la Salette, par exemple, les cardinaux Consolini et Guidi, qui, gracieusement, moffrirent leurs services dans nimporte quelles circonstances. Et je leur remis, à lun comme à lautre, une copie du Secret que je voulais publier avec lImprimatur de Mgr Pétagna, mon saint Évêque de Castellamare di Stabia.
LÉvêque de Grenoble, avec une bouté grande, envoyait tous les jours, souvent deux fois par jour, le P. Berthier pour prendre de nos nouvelles ; et surtout ce dernier sinformait beaucoup auprès du Maître dhôtel, si nous nous absentions souvent, si nos absences étaient longues, sil savait où nous allions, ce que nous faisions et si nous recevions des visites. Un jour, je crois, le troisième, le maître dhôtel nous dit :
Le prêtre qui vient tous les jours et qui est avec lÉvêque de Grenoble, est venu me dire de la part de cet Évêque, quil se chargeait de me payer toutes les dépenses que vous ferez ici, et pour tout le temps que vous resterez à Rome.
Pour ne plus y revenir, je dis ici que, lorsque je dus entrer chez les Salésianes et mes compagnes retourner à Castellamare, je priai le maître dhôtel de vouloir bien faire tenir la note de notre dépense à lÉvêque de Grenoble. LÉvêque répondit quil ne connaissait pas cette note69. Le maître dhôtel lui rappelle la promesse quil lui avait faite par deux fois. LÉvêque ne voulut rien entendre. Ce pauvre maître dhôtel nen revenait pas détonnement. Je pris alors la note et je payai, tout en consolant ce pauvre monsieur.
Il faut encore dire ici ce que je nai su de bonne source quaprès. Mgr de Grenoble ne perdit pas son temps après notre arrivée à Rome. Il se rendait dans les Sacrées Congrégations, chez des Cardinaux, des Évêques, pour savoir dans quel but, pour quelle raison la Bergère de la Salette « a été mandée à Rome ». Et sil nobtenait pas satisfaction, il allait sinformer ailleurs. Quelquun lui dit que le Cardinal Ferrieri avait la Règle que la Sainte Vierge a donnée à Mélanie, et que « le Secrétaire du Cardinal Ferrieri, Mgr Bianchi, doit être bien pour savoir ces choses ». Quand lÉvêque de Grenoble eut cette lumière, il chercha Mgr Bianchi, qui lui annonça quil y avait un congrès pour cette affaire. LÉvêque de Grenoble reconnut en Mgr Bianchi lhomme capable de laider pour combattre contre « la Règle de Mélanie ». LÉvêque de Grenoble chercha (ou acheta, ma-t-on dit) dautres prélats.
II
Vers la fin de la semaine, le Cardinal Ferrieri me fit dire le jour et lheure que jétais attendue. Nous arrivons dix minutes plus tôt. Nous restâmes pendant ce temps dans la salle dattente. À chaque instant on sonnait : cétaient toujours des Évêques, et la personne chargée de la porte leur disait :
Son Éminence ne reçoit pas : il y a un Congrès extraordinaire...
Ce fut là, pour la première fois, que je sus que je venais à un Congrès. Il y eut deux ou trois Évêques, lun après lautre, qui insistèrent pour entrer, et lun deux disait avoir été invité par lÉvêque de Grenoble. On ne les laissa pas entrer.
Lheure est passée, lÉvêque de Grenoble ne venait pas. Le Cardinal Ferrieri me fit entrer et masseoir à côté de lui ; tandis que son secrétaire, Mgr Blanchi, feuilletait des papiers.
Le Cardinal me dit :
Y a-t-il longtemps que vous nêtes pas allée sur la montagne de la Salette ?
Jy suis allée en 1871.
Les connaissez-vous, ces religieux et leur genre de vie ?
Je ne connais pas leurs personnes : ils ne mont jamais adressé la parole ; pas même pour se renseigner sur la sainte Apparition. Quant à leur genre de vie, privée ou publique, par entendu dire, ils ne sont que des médiocres séculiers, sans foi, sans zèle, ne soccupant quà amasser de largent, jaloux, calomniateurs et de cur dur. Cela mhumilie, Éminence, parce que cest bien plus fort que cela, ce que je ferais et serais, sans la Divine grâce.
Avez-vous vu ? Avez-vous été témoin de quelque chose qui ne soit pas selon Dieu ?
Je dirai, Éminence, ce qui ma frappée, ce qui ma péniblement impressionnée. Cétait, je crois, en 1854. Pendant que lÉvêque de Grenoble cherchait le moyen de se débarrasser de moi par lexil, il menvoya pour environ un mois sur la montagne de la Salette. Cétait en février. Malgré la neige et le mauvais chemin, tous les jours, quelques pèlerins arrivaient à dos de mulet. Un jour arriva une riche dame. Alors tous les Pères allèrent à sa rencontre avec force cérémonies ; et comme le muletier voulait entrer, aussi, parce quil était porteur des bagages de cette dame et que, dailleurs, il avait besoin de se reposer et de prendre quelque chose, un Père prit le bagage et ferma brusquement la porte au nez du pauvre muletier, qui était transi de froid. Il vint entendre la Messe à genoux. Vers la fin du Saint Sacrifice, cet homme tomba avec fracas. Je vais à lui pour laider à se relever et le fais asseoir. Or, ni les Pères, ni les personnes attachées à leur service ne se déplacèrent ; ni, après la messe, ne lui offrirent quelque chose à boire. Ah ! si jai regretté dêtre trop pauvre, cest ce jour-là, je navais pas un centime ! Je descends et rencontre Mme Denaz, qui me dit :
Allez à la cuisine, vous y trouverez votre café.
Jy cours, je prends ma tasse et vite la porte à ce pauvre homme. Après, en me remerciant, il me dit :
Vous mavez remonté. Quand je suis parti de corps, cétait trop matin. Et puis, marcher dans la neige pendant trois heures, cest fatigant. Cette Dame mavait bien dit de demander quelque boisson aux Pères et à sa charge ; ils ne mont pas laissé entrer, et vous allez voir quils se feront bien payer pour ce que je nai pas pris. Cest toujours comme cela que font ces Pères ; aussi ils ne sont pas aimés.
Je reporte ma tasse et Mme Denaz (elle était la belle-sur dun des Pères) me dit :
Je suis sûre que vous navez pas pris votre déjeuner, que vous lavez fait prendre au muletier. Si vous restez longtemps ici, la maison serait bien vite sans ressources et nous serions réduits à manquer de tout.
Quelques jours après, parmi les pèlerins qui arrivèrent, se trouvait un pauvre qui demandait laumône aux étrangers. Par cas, je me trouvais dans le magasin des Pères, quand le pauvre mendiant, avant de quitter la Sainte Montagne, voulut acheter une simple médaille de Notre-Dame de la Salette. La personne qui tenait le magasin met la médaille sur le comptoir : le pauvre la prend et la baise avec amour, et la personne prend le sol, mais saperçoit que ce nest quun demi-sol ! Vite, vite, elle rappelle le pauvre, lance contre lui son demi-sol, et se fait rendre la médaille (les demi-sols étaient alors en circulation dans tous les commerces de France).
Le pauvre avait beau dire quil navait que ce demi-sol, la personne était inflexible. Pour en finir, je donnai le sol et pris la médaille que je donnai à cet homme. Là-haut, on ne sait pas, quand on donne aux pauvres, quon prête à DIEU.
Par cette occasion de me trouver dans le magasin des Pères, je voulus massurer si, comme ils me lavalent dit, ils ne vendaient absolument que des objets de piété. Jy trouvai des bijoux pour ornements des dames, des tabatières, etc., etc.
Il me semble, Éminence, que sur ce lieu saint, où la Très Sainte Vierge a versé tant de larmes, où elle nous a rappelé lobservance de la sanctification du dimanche, il me semble, dis-je, que si ces Pères étaient pénétrés de la hauteur de leur mission, ils sacrifieraient leur avarices et seraient les premiers à donner le bon exemple, en fermant leurs marchandises les saints jours de repos.
Voici Mgr de Grenoble qui arrive : il salue en militaire avec la main au front. Il y a une petite discussion à la porte : cest le P. Berthier qui veut entrer. On ferme la porte, et tous, nous nous asseyons. Le Congrès commence.
Le cardinal Ferrieri dit :
Eh bien ! Monseigneur, on dit que vous avez fait une Règle pour vos missionnaires.
Oui, Éminence.
Et saviez-vous que la Sainte Vierge en avait donné une à Mélanie ?
Oui, Éminence, mais ma Règle est bien autre que celle de Mélanie.
Et comment vous est-il venu en tête de faire une Règle, tandis que vous saviez que la Très Sainte Vierge en avait donné une à Mélanie ?
(SILENCE DE Mgr FAVA.)
Mais au moins, vous avez consulté Mélanie pour faire votre Règle ?
(SILENCE DE Mgr FAVA.)
Le cardinal sadressant à moi me dit :
Est-ce que Monseigneur ne vous a pas consultée quand il fit sa Règle ?
Non, Éminence, jamais.
Eh bien ! nous ordonnons que Mélanie aille sur la Montagne de la Salette, avec la Règle quelle a reçue de la Sainte Vierge, et quelle la fasse observer par les Pères et les Religieuses.
Éminence, dit Mgr Fava, je naccepterai la Règle de Mélanie que quand lÉglise maura prouvé quelle vient de la Sainte Vierge.
Et Mgr Bianchi, secrétaire, qui, selon les lois et les Règles ecclésiastiques, nétait ici que pour écrire les demandes, objections et réponses, mais vendu, dit :
Éminence, vous ne savez pas que les Religieuses sont comme cela avec Mélanie ?
En disant ces paroles, il mit ses deux index lun vis-à-vis de lautre, en les faisant battre.
Alors je dis :
Je nai jamais parlé avec les Surs qui sont là-haut. Comment pouvons-nous être en désaccord. Je lignore.
Son Éminence me demanda ce que je pensais de ce que venait de dire Monseigneur de Grenoble.
Je me soumets en tout aux décisions de la Sainte Église !
Je compris bien, après, que jaurais dû dire : « aux décisions du Saint-Père ». Ma bévue a été grande.
Monseigneur, désireux de savoir pourquoi les prélats quil avait achetés comme avocats nétaient pas venus, sen alla, et, restée seule, je témoignais de mon étonnement, au cardinal Ferrieri, de la solennelle rébellion de Mgr Fava contre la décision du Saint-Père. Il me dit :
Que voulez-vous, les Évêques français sont tous des Papes ! Nous sommes obligés de les ménager pour ne pas occasionner un schisme. Ils ne sont pas Romains Papistes. Nous les supportons pour éviter un plus grand mal... Ah ! si vous saviez combien nous avons à souffrir de leur part.
Pour faire comprendre ce qui suit de la relation du Congrès, je dois dire que, depuis quelques mois, deux ou trois bons prêtres, désireux de se dévouer à luvre des Apôtres des Derniers Temps, vivaient en communauté dans le premier étage du même palais que nous. Nous habitions le second étage, dans une autre aile du palais. Il est bien, il me semble, inutile de dire que tout se faisait avec la bénédiction de Mgr Pétagna, de glorieuse mémoire. Et pendant deux ou trois ans, jai payé le loyer de cet étage, avec les subsides que javais reçus pour la fondation de cette uvre de la Mère de DIEU.
Ces bons Pères vivaient dans la retraite, la pénitence, la prière et létude sacrée. Ils ne montaient chez nous que pour les repas. Un de ces Pères vit encore : on peut le consulter si on a quelque doute. De tout cela je navais rien dit, ni rien laissé suspecter à lÉvêque de Grenoble, lorsquil vint chez moi à Castellamare di Stabia ; mais je pense que le fin Père Berthier ne perdait pas son temps, pendant que je mentretenais avec Mgr Fava, et quil aura fait des questions aux personnes de la maison, et aussi à dautres personnes qui, avec la meilleure bonne foi, lauront mis en lumière. Cest pourquoi Mgr Bianchi, dès que le cardinal Ferrieri eut terminé et quil se levait de son siège, dit :
Nest-ce pas, Éminence, quil ne faut pas élever autel contre autel ? On dit que Mélanie a des prêtres, tandis quil y a les bons missionnaires sur la montagne de la Salette : elle élève autel contre autel.
Oh ! non, dit simplement son Éminence.
Et je dis :
Je ne crois pas, Monseigneur, élever autel contre autel. Les Pères de la Salette sont missionnaires de la Saiette, tandis que ceux dItalie sont les missionnaires de la Mère de DIEU, et ils observent sa Règle.
Cest mal, cest mal, il ne faut pas faire cela, dit Mgr Bianchi.
Et nous nous séparâmes : le Congrès prit fin.
En sortant, je retrouvai mes compagnons dans lantichambre. Ils me racontèrent les vives instances du P. Berthier pour assister au Congrès, comme avocat de Mgr Fava, ainsi que la fâcheuse mine de ce dernier, quand, en entrant, il ne trouva pas les Évêques quil avait invités. Par deux fois il demanda si un tel et un tel Évêque nétait pas venu. On lui répondit que beaucoup dÉvêques étaient venus, mais nétaient pas entrés. Comme sil eût été furieux, il avait repris :
Cest moi qui leur ai dit de venir ; ils lavaient promis : ils étaient engagés.
Et sadressant à la personne qui avait gardé la porte :
Peut-être que les évêques sont venus. Pourquoi ne sont-ils pas entrés ?
Parce que javais la consigne de ne laisser entre personne, Excellence.
III
Comme toujours, le Père Berthier vint à notre hôtel prendre de nos nouvelles.
Le jour après, lÉvêque de Grenoble menvoya chercher par le Père Berthier : Sa Grandeur voulait me faire visiter le... je ne sais pas précisément si cest le Collège ou le Séminaire Français : cétait là que logeait lÉvêque de Grenoble, et où les femmes nentre jamais. Mais Monseigneur se faisait fort contre tous les règlements.
Le P. Berthier croyait sans doute, et de bonne foi, que Lui, étant venu me chercher, je serais allée seule avec lui. Mes fidèles compagnons de voyage se trouvèrent à partir avec moi. Nous entrâmes dans le parloir, où Mgr de Grenoble attendait ; et son déplaisir, en voyant que je nétais pas seule avec le P. Berthier, se manifesta sensiblement à nos yeux.
Eh bien, me dit-il, vous voilà. Attendez un instant. Je vais solliciter la permission pour vous au supérieur ; puis nous visiterons le Séminaire.
Et il séloigna.
Pendant ce temps, je pensais :
Monseigneur nobtiendra pas la permission. Il me semble que cest bien ici que se trouve ce Directeur (ou professeur) qui ne croit pas à la Salette ; il fait même du mal aux séminaristes.
Je vois revenir Monseigneur. À son allure, je vois quil nest pas satisfait. Il dit quelques paroles à voix basse ; puis il vint à moi ; puis il me fit retirer à part, et me demanda ce que jallais dire au Pape.
Je nen sais rien, Monseigneur, car cela dépendra de ce que le Saint-Père me dira ou me demandera.
Mais vous devez bien savoir un peu ce que le Pape vous dira ?
Non, Monseigneur. Je nai pas encore pensé de penser à ce que me dira le Saint-Père.
Ah ! vous nêtes donc pas instruite : vous ne savez donc pas que le Pape est une personne comme une autre : et lon doit penser, préparer ce que lon a à lui dire.
Ne sachant pas sur quel sujet, ni sur quoi le Saint-Père daignera me parler, je ne puis penser ; je mabandonne, tout à la sainte volonté du bon Dieu.
Eh ! bien, écoutez-moi bien. Jai ici quelques billets de cent francs pour VOS MENUS PLAISIRS. Si le Pape voulait vous faire faire quelque chose ; à tout vous répondrez au Pape : que vous ferez comme voudra lÉvêque de Grenoble et tout de la manière que voudra lÉvêque de Grenoble. Et si le Pape vous disait daller à tel endroit et faire telle chose ; vous lui direz : « Je veux aller là où lÉvêque de Grenoble me dira daller ; je veux dépendre en tout de lÉvêque de Grenoble, qui est mon VÉRITABLE SUPÉRIEUR. » Et ces billets de banque sont pour VOS MENUS PLAISIRS.
Je répondis :
Monseigneur, je ne dirai au Très Saint-Père que ce que ma conscience me dictera au moment même que jaurai linsigne faveur de lui parler. Vos raisonnements sont bons, Monseigneur, mais ils ne sont pas les miens.
Et lÉvêque de Grenoble qui moffrait (mais il tenait toujours les billets de banque sur lourlet, sur le bord de son portefeuille), se mit à les renfermer soigneusement. Et nous nous séparâmes. Et il nenvoya plus à lhôtel prendre de nos nouvelles.
En nous en retournant à notre hôtel, mes compagnons me dirent :
Pourquoi lÉvêque de Grenoble tenait-il en mains son portefeuille ouvert, tout le temps quil vous parlait ?
Cest que son Excellence voulait macheter. Le marché na pas réussi : il a gardé ses billets de banque, et moi ma liberté de conscience.
Depuis ce jour, je ne revis plus lÉvêques de Grenoble, ni le Père Berthier.
IV
Ce fut, ce quil me semble, le trois Décembre, que jeus la grâce dune audience avec le Saint-Père Léon XIII.
Mes deux compagnons mavaient sollicitée de demander à Sa Sainteté la faveur de lui baiser les pieds. Hélas ! Hélas ! lentourage du Saint-Père était prévenu contre nous !... Le Saint-Père seul ignorait les intrigues, et de cela javais parlé à Son Éminence le cardinal Guidi, avant de me rendre chez le Saint-Père au Vatican.
Le Saint-Père me reçut avec bonté et me dit en bon français :
Bien ! vous allez partir tout de suite pour la montagne de la Salette, avec la Règle de la Très Sainte Vierge, et vous la ferez observer aux prêtres et aux religieuses.
(Ces paroles du Saint-Père confirmèrent ma pensée, que le Saint-Père navait encore rien su de ce qui sétait passé au Congrès.)
Que suis-je, Très Saint-Père, pour oser mimposer ?
Oui, je vous dis : Vous allez partir avec Monseigneur de Grenoble, et vous ferez observer la Règle de la Sainte Vierge.
Très Saint-Père, permettez que je vous dise que depuis longtemps, ces prêtres et ces religieuses vivent de la vie plus que séculière ; et quil leur sera très, très difficile de se plier à une Règle dhumilité, dabnégation. Il me semble plus facile de faire cette fondation avec des personnes séculières de bonne volonté, plutôt quavec toutes celles qui sont sur la montagne, et qui sont loin dêtre de bons chrétiens.
Écoutez. Vous allez aller là-haut avec la Règle de la Sainte Vierge, que vous leur ferez connaître. Et ceux- qui ne voudront pas lobserver, lÉvêque les enverra dans quelque paroisse.
Cest bien, Très Saint-Père.
Vous allez donc partir, et partir tout de suite. Mais comme, pour lordinaire, quand le bon Dieu daigne donner un règlement de vie monastique, il donne, il communique à la même personne lesprit dans lequel doit être observé le Règlement, cest pourquoi il faut que vous lécriviez, quand vous serez à Grenoble, avant de monter sur la montagne de la Salette, et que vous me lenvoyiez.
Oh ! Très Saint-Père, de grâce, ne menvoyez pas à Grenoble, sous Mgr Pava ; parce que je naurai pas ma liberté daction.
Comment, comment cela ?
Mgr Fava mordonnerait décrire comme il veut, non comme veut lEsprit-Saint.
Mais non ! mais non ! Vous vous mettrez seule dans une chambre et vous écrirez. Quand vous aurez écrit bien des pages, vous me lenvoyez à MOI.
Très Saint Père, pardonnez si jose vous manifester mes difficultés ; quand jaurai écrit deux pages, Monseigneur de Grenoble mordonnera de les lui remettre, et sous prétexte de mieux faire, il changera le tout, en mordonnant de copier ses explications sur le mode de pratiquer la Règle de la Sainte Vierge.
Oh ! mais non. Voici ce que vous ferez : Quand vous aurez écrit partout dans une feuille, vous la mettrez vous-même dans une enveloppe, que vous cachetez bien, et vous mettez mon adresse comme cela : Sa Sainteté le Pape Léon XIII, que cest moi (sic), en mettant sa main sur sa poitrine.
Très Saint-Père, pardonnez si, de nouveau, jose manifester la répulsion que je sens en moi décrire sous lautorité de Mgr de Grenoble. Sa Grandeur décachettera mon enveloppe, changera mes écrits, et fera copier sa réforme par une autre personne : de sorte que ce ne seront plus mes écrits qui parviendront à Votre Sainteté.
Oh ! mais non. LÉvêque de Grenoble ne ferait pas cela !
Très Saint-Père, jai passé par ces voies : le vieux serpent ne dort jamais !
Et comment faire ?
Envoyez-moi, Très Saint-Père, en tout autre pays, pourvu que je ne sois pas sous lÉvêque de Grenoble.
Comment faire : jai donne ordre que vous iriez sur la Montagne de la Salette, pour faire observer aux prêtres et aux religieuses la Règle que la Très Sainte Vierge vous a donnée, et quavant de monter, vous écriviez les Constitutions que vous menverriez ? Et vous savez que quand le Pape a donné un ordre, il ne peut pas revenir sur cela.
Très Saint-Père, Notre Seigneur vous a confié tout pouvoir sur la terre pour gouverner son Église ; or la terre est spacieuse pour aller et revenir.
Écoutez. Priez bien cette nuit ; et demain je vous ferai dire ma décision.
Très Saint-Père, jai, dans la salle, le prêtre que mon saint Évêque de Castellamare a bien voulu me donner pour maccompagner dans mon voyage, et une compagne : ils voudraient la faveur de votre bénédiction.
Aussitôt, lÉvêque Camérier, avec ennui, dit deux paroles au Saint-Père, qui paraissaient être un refus. Moi, ayant compris, je fis de nouveau ma demande. Enfin le Saint-Père dit de les faire entrer.
V
Nous rentrâmes à lhôtel. Il était nuit. En peu de paroles jécrivis à mon Saint Évêque, pour lui souhaiter la bonne fête : il sappelait XAVIER.
Le jour après, nous sommes allés de nouveau chez son Éminence le Cardinal Guidi, pour lui rendre compte de mon entretien avec le Saint-Père ; du mauvais effet que ma donné tout lentourage de Sa Sainteté le Pape Léon XIII ; des difficultés éprouvées pour que mes compagnons pussent se faire bénir par le Saint-Père..., et enfin, de la décision du Saint-Père, qui était que je restasse à Rome pour faire mes écrits, etc., etc.
Son Éminence Guidi se montra fort étonnée et peinée de ce que le Saint-Père navait pas reçu sa carte avec les quelques lignes quil lui avait adressées et envoyées par son secrétaire, afin de lavertir, de le prémunir des pièges que les révoltés de la vérité de Notre Dame de la Salette pouvaient lui tendre.
Cest incroyable, disait son Éminence, quils aient arrêté mon écrit adressé au Pape. Et cependant, la personne qui a fait cela nignore pas la peine, la censure quencourt toute personne qui se permet de semparer dune lettre venant dun cardinal et adressée au Pape. Cest si vrai, que, même un cardinal, ne peut, en aucune manière, briser un cachet dune lettre, ou dun objet dun autre cardinal. Ce qui mest arrivé pour mon adresse au Pape est très grave.
Mes compagnons racontèrent à Son Éminence ce quils avaient vu avant mon audience, cest-à-dire les billets de banque que Mgr de Grenoble voulait me donner, à condition que le ne dirais au Saint-Père que comme il allait me dire, lui, Évêque de Grenoble, et quaprès avoir été instruite, javais élevé la voix en protestant et disant que je ne parlerais ou ne répondrais au Saint-Père que selon ma conscience, et ce que le Divin Maître minspirerait dans le moment, puis lair courroucé de lÉvêque de Grenoble.
Je dis, entre autre chose, à Son Éminence, que javais commencé décrire les Constitutions, étant à Castellamare di Stabia ; et que je désirais avoir ce cahier ; comme aussi quelque lingerie ; parce que je ne savais pas combien de temps me prendront ces écrits, Son Éminence, avec une paternelle bonté, dit à ma compagne :
Envoyez tout ce dont Mélanie a besoin. Et vous me lenverrez bien fermé, bien cacheté, à mon adresse que voici.
Et, tous les trois, nous reçûmes son adresse.
Puis son Éminence ajouta :
Mélanie, ayez soin, quand vous quitterez votre chambre où vous écrirez, de bien la fermer, de mettre la clef dans votre poche, toujours, toujours.
En sortant de chez Son Éminence, nous nous dirigeons chez un papetier, pour acheter du papier, plumes, encre et divers objets, que je mis dans un foulard.
Nous nous retirions à notre hôtel, quand nous rencontrâmes le cardinal Ferrieri, accompagné de son Secrétaire, Mgr Bianchi. Il venait me chercher pour me conduire chez les Salésianes, al monte Palatino. Nous rentrons à lhôtel, et là, seule avec le bon cardinal Ferrieri, il me renouvelle de la part du Saint-Père, que « Sa Sainteté désire que je ne reçoive personne, la curiosité des Romains étant grande ; leurs incessantes visites au parloir mempêcheraient décrire. Elle désire que je sois parfaitement libre, tant décrire des lettres et de les cacheter moi-même, que den recevoir sans quelles aient été décachetées par qui que ce soit ».
Après nous partîmes.
(Il faut que je dise que javais averti ma compagne que, si je voyais de nouvelles scélératesses, je ne le lui ferais savoir quen deux mots, en langue grecque, et cest ce qui arriva.)
Pendant tout le trajet, Mgr Bianchi mexhorta à ne pas me laisser influencer par personne : « quà Rome, on ne croit pas que je sois libre dans mes actions ; et que toujours on voyait ces deux personnes près de moi, pour me donner des ordres. Quelles ont trop dinfluence sur moi, etc., etc. »
Monseigneur, lui répondis-je, Mgr lÉvêque de Grenoble a eu la preuve que je ne me laisse pas influencer. Il a eu la preuve que je me laisse encore moins acheter, cest-à-dire, acheter ma liberté de conscience ; et sans aucun mépris pour son caractère sacré, jai méprisé les billets de banque quil moffrait, pour que je répète au Saint-Père la leçon quil venait de me donner. Je désire que DIEU léclaire ; quil entre dans la voie de la justice ; sinon il sera foudroyé par les maîtres quil aura servis.
Changeant la conversation, Mgr Bianchi me dit :
Quest-ce que vous portez là, dans ce paquet ?
Des choses qui me sont nécessaires.
Monseigneur me laissa. Nous arrivions au monastère.
Son Éminence le cardinal Ferrieri me dit :
Jai une lettre du Pape pour la Communauté : pour vous présenter et vous recommander à ces bonnes religieuses. Entres autres recommandations, Sa Sainteté leur dit que vous devez avoir toute votre liberté, et la liberté de votre temps.
Le parloir souvre. Je remercie chaudement Son Éminence et jentre.
Ma première visite fut au Très-Haut, dans son Sacrement damour. Puis je fus conduite dans ma cellule, vraie cellule de Visitandine, où les portes nont pas de serrure. Dedans, une petite table à écrire, deux chaises et un lit. Cest tout. Donc, je ne pouvais pas enfermer mes écrits sous clef, la sur qui mavait montré ma cellule sétant retirée pour entendre la lecture de la lettre du Saint-Père.
VI
Trois où quatre jours après, je reçus une lettre du P. Bernard, missionnaire de la Salette.
Sans métendre, je dis seulement que cétait une lettre de récriminations : « de ma désobéissance aux ordres du Pape, etc., etc. »
Jentrevis là laction de Mgr de Grenoble et de Mgr Bianchi.
Je rendis grâces à Dieu de mavoir délivrée de leurs mains. Et surtout lorsque je compris la manière dont lÉvêque de Grenoble voulait se débarrasser de moi, ayant, à Grenoble, le P. Berthier pour complice.
Après environ sept ou huit jours, je reçus de ma compagne le cahier, les papiers, la cire pour cacheter et un voile.
Ces diverses choses avaient été soigneusement enfermées dans une boite en bois adressée à Son Éminence le cardinal Guidi qui attacha de nouveau la boîte avec de forts rubans rouges, et scella le tout, et à plusieurs endroits, avec son sceau sur cire.
Ce fut la Supérieure qui mapporta la boîte, en plein jour. Or elle avait été ouverte et fouillée, les rubans étaient coupés et les cachets enlevés. Jen fis la remarque à la Supérieure qui me répondit humblement : quelle était arrivée comme je la voyais.
Déjà, javais remarqué que les lettres que je recevais avaient été ouvertes ; et de Castellamare di Stabia, on mavait fait comprendre, en langue étrangère, que mes lettres envoyées de Rome avaient été ouvertes au cabinet noir de Mgr Bianchi.
Je dois dire pour ne pas laisser croire qui est innocent de bonne foi que la Supérieure nétait pour rien dans les trames de Mgr Blanchi et de 1Évêque de Grenoble. Elle était une machine inconsciente dont se servait Mgr Bianchi.
Jécrivis à Castellamare, et de là on écrivit au cardinal Guidi, qui envoya demander à la Supérieure si elle avait reçu, pour agir comme elle le faisait, un ordre supérieur. Elle répondit négativement. Il linvita à « sen tenir aux ordres du Pape ».
En attendant, jécrivais de jour et une bonne partie de la nuit. Je désirais avoir terminé en deux mois.
Tantôt la Supérieure venait me dire daller faire quelques tours dans le vaste jardin ; tantôt elle me disait de tenir compagnie à une infirme ; tantôt daller visiter les caves, les souterrains du palais des Césars ; et tantôt de venir à la récréation. Mgr Bianchi, qui, sans doute, voulait ma sanctification, donna de nouveaux ordres à la Supérieure. Il est inutile de prolonger cette narration... Quelques jours avant mon départ pour Castellamare, la Supérieure, qui déjà mavait dit que Mgr Blanchi venait souvent demander de mes nouvelles, vint me faire presque des excuses : « Si, quelquefois, elle avait outrepassé la discrétion à mon égard. » Je lembrassai avec affection, en lassurant quelle mavait toujours traitée avec trop de bonté. Elle mouvrit son cur : entre autres choses, elle me dit :
Le Saint-Père a envoyé, trois fois environ, le Cardinal Ferrieri pour savoir si vous écriviez ; si personne ne venait vous visiter, et si le temps ne vous dure pas, étant enfermée. Son Éminence paraît vous estimer beaucoup. Il ma demandé des nouvelles de votre santé, il ma recommandé de bien vous soigner. Mgr Bianchi est venu, très souvent, me demander bien des choses sur votre conduite dans la Communauté. Il me semblait tout irrité quand je lui disais du bien ; et me reprochait de ne pas assez vous faire pratiquer les vertus. Il mavait ordonné de lui faire tenir toutes vos lettres, et aussi celles qui vous étaient adressées ; et, afin que vous ne voyiez pas quelles avaient été ouvertes, de ne vous les remettre que le soir, quand vous étiez à table. Il ma commandé de vous humilier, surtout en public, de vous contrarier, de vous contredire en tout : « Faites-la aller à vos offices. » Et dernièrement il me dit : « Tâchez quelle ne donne pas dambassade aux personnes qui viennent dans le Monastère. Quand elle se rend avec les religieuses, repoussez-la, dites lui daller passer par où passent les mondaines. Ne lui faites garnir sa lampe du soir, que pour une petite heure. »
Après que feus fini mes écrits, je les fis porter au Cardinal Ferrieri pour le Saint-Père, ainsi que ma lettre adressée au Pape, dans laquelle je lui disais que jétais à la disposition de Sa Sainteté, pour aller où elle me dirait daller.
Quinze jours passèrent et je neus aucune nouvelle. Un mois passé, toujours pas de nouvelles. Mais Mgr Bianchi est venu ces jours derniers. Je lai connu au zèle de la Supérieure. Cette fois-ci, on veut me faire Visitandine, on veut me cloîtrer. Déjà javais reçu cette nouvelle dun prêtre français, à qui Mgr Fava avait écrit : « Enfin, elle est enfermée dans un cloître, doù elle ne sortira jamais plus ! » On avait compté sans le Très-Haut. Il est vrai quon a usé de tout le possible et limpossible. Jécrivis de nouveau au Saint-Père, qui, probablement, na jamais reçu mes lettres.
Je tombe malade : je garde le lit quelques jours seulement ; mais les luttes continuaient bravement. La Supérieure était jeune, les plus anciennes religieuses étaient à leur aise avec elle. Cest pourquoi, lorsque la Supérieure entrait avec moi à la récréation, une sur dit :
Ma Mère, Mélanie est trop faible pour venir ici. Voyez, elle semble une déterrée.
Et voyant que la Supérieure ne prenait pas garde, elle dit :
Ma Mère, on nous a confié Mélanie bien portante et voyez-la maintenant !
Un autre jour, la même sur lui dit :
Jaimerais beaucoup que Mélanie restât longtemps, et même toujours avec nous, mais pas aux dépens de sa vie ; et vous savez comme elle nous a été recommandée. Cest devoir de conscience davertir le Saint-Père du danger quelle court.
En attendant, la lutte augmentait. Et par surcroît, il marrivait des lettres de la ville, où lon me traitait de désobéissante, dentêtée, de révoltée à la volonté du chef de lÉglise et presque dune damnée !!!
Entre temps, la Supérieure vint me dire : « quil ne convenait pas que je fusse sans voile dans la maison, tandis que les surs le portent. » Aussitôt je mis sur ma tête un voile que je ne quittai plus. Puis elle minsinuait de me faire Visitandine. Je lui dis que le Saint-Père Pie IX avait dit à mon saint Évêque que, « pour remplir ma mission, je ne pouvais pas être cloîtrée ». Une autre fois, la sur Placide dit à la Supérieure :
Ma Mère, devant Dieu, pour la paix de ma conscience, je me décharge de la responsabilité que la Communauté avait acceptée, du soin de Mélanie, pour vous la laisser tout entière : parce que ce nest pas à nous de donner dordres à Mélanie : cest aux personnes qui nous lont confiée.
Jai écrit, dit la Supérieure, jai écrit deux fois.
Enfin, le Cardinal Ferrieri arriva, et entre autres choses il me dit que le Saint-Père a décidé que je retourne à Castellamare : et que je pouvais écrire pour que quelquun vienne me prendre. Ce qui fut fait.
VII
Dès que je fus en route, hors du couvent, je demandai à ma compagne sil y avait encore, à Castellamare, des croyants au divin Message.
Oui, me répondit-elle, mais à Rome, Mgr Fava, Mgr Bianchi et le Père Berthier nont cessé et ne discontinuent de semer partout calomnies criminelles et erreurs.
Ce qui se dit contre moi, repris-je, mes péchés le méritent ; et cest un exercice de patience pour me bien faire entrer dans ma nullité. Quant au divin Message, il écrasera les ennemis du Très-Haut. DIEU ne dit-il pas, par la bouche de Jérémie, que sa parole est un feu ardent, et un marteau qui brise les pierres ? Cest pourquoi, qui sinsurge contre la parole de DIEU ne fait autre chose que dêtre cause de la répandre davantage.
À ce moment arrivait à nous le bon Père Trévis, qui venait à notre rencontre. Entre autres choses, je lui dis :
Avant de quitter Rome, je voudrais voir la nouvelle statue de Notre-Dame de la Salette, que Mgr Fava est venu commander.
Nous y allâmes.
Entrés dans les ateliers, nous vîmes diverses statues ébauchées. Une seule était finie. Mais aucune ne paraissait représenter une Vierge quelconque. Je dis au Père Trévis :
Mais où est donc la statue, modèle de Mgr de Grenoble ?
La voici, me dit le monsieur qui nous faisait visiter son atelier.
Mais non ! mais non ! Monsieur ; ça ne peut pas être Notre-Dame de la Salette ! Elle na rien qui lui ressemble.
Cependant, dit le monsieur, elle est exactement faite sur le modèle que vous voyez là derrière, et que lÉvêque de Grenoble ma donné. Dailleurs il doit être bien renseigné comme Évêque du diocèse où lApparition eut lieu.
Sa grandeur Mgr Fava, oui, devait être renseigné ; mais le fait est quil na jamais interrogé aucun des deux bergers. Son modèle est donc tout entier fantaisiste : et avec raison vous pouvez mettre sur le socle de sa statue : « Statue de la vision privée de Mgr Fava ! » Elle ne sera jamais la statue de Notre-Dame de la Salette, dont on ne voyait pas les cheveux, et qui portait une grande croix sur sa poitrine. La madone, par charité, par compassion, est venue nous enseigner en paroles et en exemple. Un jour DIEU vengera le mépris fait à sa divine Mère !
Nous nous retirions. Le monsieur, à voix basse, demanda à M. Trévis : « qui était cette dame à lair renseigné sur le costume de Notre-Dame de la Salette ? »
Comme jallais quitter Rome dans la soirée, M. Trévis lui dit :
Cest la Bergère de la Salette...
Nous nous dirigeâmes à lhôtel, et de là à la gare pour Naples. Cest alors que le Père Trévis et ma compagne dirent les intrigues, les calomnies que Messeigneurs Bianchi, Fava et le Père Berthier avaient répandues à Rome et en France par écrit. Tout cela ne me touchait pas : cetait tout à mon profit. Ce qui me bouleversait, cétait la fausse statue en marbre commandée par lÉvêque de Grenoble, et qui devait être couronnée, cette même année 1879, sur la Montagne de la Salette !!!
Mon DIEU ! ne permettez pas que lerreur de lÉvêque de Grenoble et du Père Berthier triomphe ! Vous, à qui rien nest impossible, arrêtez les vains complots des ennemis de la vérité. Ayez pitié de votre peuple ; ayez pitié de laveuglement de beaucoup de vos oints ; convertissez-nous tous à vous, Seigneur JÉSUS !
Le soir, nous prîmes le train pour Naples-Castellamare di Stabia, et ce fut pendant ce voyage que mes compagnons mapprirent la nouvelle guerre que les journaux noirs faisaient à la divine Apparition, qui disaient :
« Quen versant dabondantes larmes, lorsque jétais auprès du Saint-Père, je lui avais déclaré navoir rien vu sur la Montagne » ;
Qui disaient :
« Que le Pape ne croyait pas à lApparition ; et que cest pour cette raison que le Pape fait faire une statue qui ne représentera pas Notre-Dame de la Salette » ;
Qui disaient :
« Le Pape ne veut plus quon mette les enfants devant les statues de Notre-Dame de la Salette » ;
Qui disaient :
« Mélanie na pas voulu obéir au Pape : elle est excommuniée » ;
Qui disaient :
« Le Pape a emprisonné Mélanie à Rome. Elle fait du tapage. Elle veut sortir, et le Pape ne veut pas quelle sorte, etc., etc. »
VIII
Nous voici arrivés à Castellamare. Une profonde tristesse me serre le cur. Je ne retrouverai plus Monseigneur Pétagna, mon saint Évêque.
Il avait quitté la terre dexil depuis quelques mois ; il était allé recevoir la noble et sublime récompense que DIEU réserve à ses plus dignes Ministres, à ceux qui ont combattu le bon combat pour la justice.
Quelques mois après, les journaux et les imprimés pleuvaient de tous côtés, annonçant avec pompe : « le couronnement de la statue en beau marbre blanc, exécutée sous les yeux du Souverain Pontife, selon le modèle que lui avait donné Monseigneur Fava ! »
Entre temps, je recevais de Rome une lettre, et le jour après, jen recevais plusieurs de diverses personnes, de Rome aussi, qui, toutes disaient à peu près ce qui suit :
« Je ne sais, chère Sur, si vous avez entendu parler du bruit qui court à Rome ? On dit que, depuis mai dernier, la nouvelle statue de Mgr de Grenoble na pas été travaillée : parce que le sculpteur est atteint dinfirmité à un bras. »
Une autre lettre :
« Savez-vous, ma très chère Sur, que le sculpteur de la Vierge de Monseigneur Fava a été frappé de paralysie au bras ? »
Une autre :
« On vient de nous apprendre que le couronnement de Notre-Dame de la Salette naura pas lieu cette année, à cause dun accident arrivé au Maître sculpteur, qui a une paralysie dans les bras : il na pas pu faire à temps son travail. Ou, si le couronnement a lieu, on couronnera le modèle en craie (plâtre), en attendant que la statue en marbre sachève... »
Ce qui est vrai, cest quen septembre 1879, on a couronné, avec grande pompe, le modèle (en plâtre !) de Mgr Fava : par la raison que la reproduction en marbre navait pu être terminée. On nen disait pas la raison vraie.
De plusieurs côtés on mécrivait pour informations, et on me donnait les nouvelles qui circulaient en France et qui venaient de Mgr Fava et du P. Berthier. Tantôt cétait que « le sculpteur avait dû sabsenter ». Tantôt cétait qu « il sétait trop fatigué. On lui avait ordonné un certain temps de repos, etc., etc. ».
Mais, dans mon cher pays des montagnes, où les journaux ne pénètrent pas : les chemins de fer les plus rapprochés étant à plus de quatre heures de voiture, on ne connaissait que ce que les Pères de la Salette disaient, cest-à-dire : « La statue en marbre blanc sera très ressemblante ; un chef-duvre de lart70. Le modèle a été fait par Sa Grandeur Mgr lÉvêque de Grenoble ; et sur ce modèle merveilleux, la statue sera faite à Rome, sous les yeux du grand Pape Léon XIII. Les bergers nont pas su rendre le costume de la Vierge. Notre grand Évêque Mgr Fava, a mieux compris et il a pu rendre lexactitude de ce costume du Ciel dans son modèle qui est ravissant de beauté71. »
Le jour du couronnement, les foules étaient accourues. Je laisse la parole à un témoin oculaire qui ma raconté le fait :
« La Basilique était parée. La nouvelle statue venue de Rome était sur le Maître-Autel ; mais cachée par un rideau. Tout le monde palpitait du désir de voir la vraie Notre-Dame de la Salette. Les personnes qui se trouvaient au bas de la Basilique montaient sur leurs chaises, pour la voir des premiers. On trouvait loffice trop long. Enfin on entend un bruit sourd. Cétait la foule qui disait quon avait vu bouger le rideau. Enfin, voilà le rideau qui se baisse lentement. On ne voyait encore que la tête, quand les habitants de nos contrées sécrièrent :
« Ce nest pas ça ! Ce nest pas Elle ! Elle a ses cheveux éparpillés sur ses épaules !
« Le rideau continuait à descendre ; et toujours et à mesure quon voyait plus distinctement, les personnes disaient avec étonnement :
« Oh ! ce nest pas Notre-Dame de la Salette : elle na pas sa Croix !
« Oh ! on lui voit les mains, et elle a un manteau comme les demoiselles de Paris : ce nest pas Elle, ce nest pas Elle.
« Et ce fut une générale désapprobation ; jusquà ce que le chant couvrît les murmures de tous ces braves gens72. »
Je réponds, ici, à deux demandes qui mont été faites souvent :
1° Pourquoi les Médailles et les Images représentant Notre-Dame de la Salette ne sont-elles pas répandues en tous pays, comme le sont, ordinairement, toutes les autres médailles et images miraculeuses ?
2° Pourquoi ne trouve-t-on pas à acheter des médailles ou des images de Notre-Dame de la Salette, chez aucun des marchands dobjets de Piété ?
Cette question, je me létais faite à moi-même ; et je souffrais de cette privation. Jaurais voulu en acheter, pour répandre la dévotion à cette douce Mère partout où jallais. Ce ne fut quen 1871 que je découvris le truc du vieux serpent.
Jétais venue en France voir ma regrettée mère ; puis à Lyon pour voir une de mes surs. Après être allées à Fourvières, nous entrâmes dans presque tous les magasins dobjets de piété, sans avoir pu trouver une seule médaille ou image de la Salette !...
Alors, je dis à ma sur :
Sais-tu où se frappent ces médailles ?
Oui, me dit-elle.
Conduis-moi.
Nous arrivons et je demande cinq ou six grosses. Le patronne me répond quelle nen avait plus.
Comment, lui dis-je. Cest bien ici que se frappent ces médailles qui se vendent sur la montagne de la Salette ?
Oui, me dit cette dame, mais les missionnaires nous ont donné leur confiance, en posant la condition que seront exclus tous les autres négociants dobjets de piété. Vous pouvez trouver des médailles chez les Pères de la Salette.
Voilà comment jai appris, le cur rempli de douleur, pourquoi, dans les autres magasins, les médailles de Notre-Dame de la Salette ne se trouvent pas.
Ne faut-il pas que ces pauvres misérables Pères aient perdu de vue le Très-Haut, leur âme, léternité des peines, pour oser substituer leur gloire, leur intérêt matériel, à la gloire de ce Dieu qui doit les juger ?... oh !... oh !... où en sommes-nous arrivés !... Et ces êtres osaient se dire les Missionnaires de la Salette, tandis que toute leur préoccupation était dentasser trésors sur trésors, et quils haïssaient les pauvres ! Ils ont laissé avoir faim le bon, le désintéressé, le vertueux Maximin, qui aurait fait pleurer de compassion les pierres !
Sur Marie de la Croix, Bergère de la Salette
Pour copie conforme, le 18 mai 1904.
H. RIGAUX,
Curé dArguves.
Les notes quon trouvera ici, à chaque page, et qui forment un commentaire suivi du récit de la Bergère, sont de la main dun excellent prêtre qui eut lhonneur de connaître Mélanie, personnellement, et dêtre son directeur de conscience, vers les derniers temps de sa vie.
LAPPARITION
DE LA
TRÈS SAINTE VIERGE
SUR LA MONTAGNE DE LA SALETTE
LE 19 SEPTEMBRE 1846
Publiée par la Bergère de la Salette
avec Imprimatur de Mgr lÉvêque De Lecce
« Eh bien ! mes enfants, vous le
ferez passer à tout mon peuple. »
I
Le 18 septembre, veille de la sainte Apparition de la Sainte Vierge, jétais seule, comme à mon ordinaire, à garder les quatre vaches de mes Maîtres. Vers les onze heures du matin, je vis venir auprès de moi un petit garçon. À cette vue, je meffrayai, parce quil me semblait que tout le monde devait savoir que je fuyais toutes sortes de compagnies. Cet enfant sapprocha de moi et me dit : « Petite, je viens avec toi, je suis aussi de Corps. » À ces paroles, mon mauvais naturel se fit bientôt voir, et, faisant quelques pas en arrière, je lui dis : « Je ne veux personne, je veux rester seule. » Puis, je méloignais, mais cet enfant me suivait73 en me disant : « Va, laisse-moi avec toi, mon maître ma dit de venir garder mes vaches avec les tiennes, je suis de Corps. »
Moi je méloignai de lui, en lui faisant signe que je ne voulais personne ; et après mêtre éloignée, je massis sur le gazon. Là, je faisais ma conversation avec les petites fleurs du Bon Dieu.
Un moment après, je regarde derrière moi, et je trouve Maximin assis tout près de moi. Il me dit aussitôt : « Garde-moi, je serai bien sage74. » Mais mon mauvais naturel nentendit pas raison. Je me relève avec précipitation, et je menfuis un peu plus loin sans rien lui dire, et je me remis à jouer avec les fleurs du Bon Dieu. Un instant après, Maximin était encore là à me dire quil serait bien sage, quil ne parlerait pas, quil sennuierait dêtre tout seul, et que son Maître lenvoyait auprès de moi... etc. Cette fois, jen eus pitié, je lui fis signe de sasseoir, et moi je continuai avec les petites fleurs du Bon Dieu.
Maximin ne tarda pas à rompre le silence, il se mit à rire (je crois quil se moquait de moi) ; je le regarde et il me dit : « Amusons-nous, faisons un jeu. » Je ne lui répondis rien, car jétais si ignorante que je ne comprenais rien au jeu avec une autre personne, ayant toujours été seule. Je mamusais seule avec les fleurs, et Maximin sapprochant tout à fait de moi, ne faisait que rire en me disant que les fleurs navaient pas doreilles pour mentendre, et que nous devions jouer ensemble. Mais je navais aucune inclination pour le jeu quil me disait de faire. Cependant, je me mis à lui parler, et il me dit que les dix jours quil devait passer avec son Maître allaient bientôt finir, et quensuite il sen irait à Corps chez son père, etc.
Tandis quil me parlait, la cloche de la Salette se fit entendre, cétait lAngelus ; je fis signe à Maximin délever son âme à Dieu. Il se découvrit la tête et garda un moment le silence. Ensuite, je lui dis : « Veux-tu dîner ? Oui, me dit-il. Allons. » Nous nous assîmes ; je sortis de mon sac les provisions que mavaient données mes Maîtres, et selon mon habitude, avant dentamer mon petit pain rond, avec la pointe de mon couteau, je fis une croix sur mon pain, et au milieu un tout petit trou, en disant : « Si le diable y est, quil en sorte, et si le Bon Dieu y est, quil y reste » et vite, vite, je recouvris le petit trou. Maximin partit dun grand éclat de rire, et donna un coup de pied à mon pain, qui séchappa de mes mains, roula jusquau bas de la montagne et se perdit.
Javais un autre morceau de pain, nous le mangeâmes ensemble ; ensuite nous fîmes un jeu ; puis, comprenant que Maximin devait avoir besoin de manger75, je lui indiquai un endroit de la montagne couvert de petits fruits. Je lengageai à aller en manger, ce quil fit aussitôt ; il en mangea et en rapporta plein son chapeau. Le soir, nous descendîmes ensemble de la montagne, et nous nous promîmes de revenir garder nos vaches ensemble.
Le lendemain, 19 septembre76, je me retrouve en chemin avec Maximin, nous gravissons ensemble la montagne. Je trouvais que Maximin était très bon, très simple, et que volontiers il parlait de ce dont je voulais parler ; il était aussi très souple, ne tenant pas à son sentiment ; il était seulement un peu curieux, car quand je méloignais de lui, dès quil me voyait arrêtée, il accourait vite pour voir ce que je faisais, et entendre ce que je disais avec les fleurs du Bon Dieu ; et sil narrivait pas à temps, il me demandait ce que javais dit. Maximin me dit de lui apprendre un jeu. La matinée était déjà avancée ; je lui dis de ramasser des fleurs pour faire le « Paradis »77.
Nous nous mîmes tous les deux à louvrage ; nous eûmes bientôt une quantité de fleurs de diverses couleurs. LAngelus du village se fit entendre, car le ciel était beau, il ny avait pas de nuages. Après avoir dit au Bon Dieu ce que nous savions, je dis à Maximin que nous devions conduire nos vaches sur un petit plateau près du petit ravin, où il y aurait des pierres pour bâtir le « Paradis ». Nous conduisîmes nos vaches au lieu désigné, et ensuite nous prîmes notre petit repas ; puis, nous nous mîmes à porter des pierres et à construire notre petite maison, qui consistait en un rez-de-chaussée, qui, soi-disant, était notre habitation, puis un étage au-dessus, qui était, selon nous, le « Paradis ».
Cet étage était tout garni de fleurs de différentes couleurs, avec des couronnes suspendues par des tiges de fleurs. Ce « Paradis » était couvert par une seule et large pierre que nous avions recouverte de fleurs ; nous avions aussi suspendu des couronnes tout autour. Le « Paradis » terminé, nous le regardions ; le sommeil nous vint ; nous nous éloignâmes de là à environ deux pas, et nous nous endormîmes sur le gazon.
La Belle Dame sassied sur notre « Paradis » sans le faire crouler 78.
II
Métant réveillée, et ne voyant pas nos vaches, jappelai Maximin et je gravis le petit monticule. De là, ayant vu que nos vaches étaient couchées tranquillement, je redescendais et Maximin montait, quand, tout à coup, je vis une belle lumière plus brillante que le soleil, et à peine ai-je pu dire ces paroles : « Maximin, vois-tu, là-bas ? Ah ! mon Dieu ! » En même temps je laisse tomber le bâton que javais en main. Je ne sais ce qui se passait en moi de délicieux dans ce moment, mais je me sentais attirer, je me sentais un grand respect plein damour, et mon cur aurait voulu courir plus vite que moi79.
Je regardais bien fortement cette lumière qui était immobile, et comme si elle se fût ouverte, japerçus une autre lumière bien plus brillante et qui était en mouvement, et dans cette lumière une Très Belle Dame assise sur notre « Paradis », ayant la tête dans ses mains. Cette Belle Dame sest levée, elle a croisé médiocrement ses bras en nous regardant et nous a dit : « Avancez, mes enfants, nayez pas peur ; je suis ici pour vous annoncer une grande nouvelle. » Ces douces et suaves paroles me firent voler jusquà elle, et mon cur aurait voulu se coller à elle pour toujours. Arrivée bien près de la Belle Dame, devant elle à sa droite, elle commence le discours, et des larmes commencent aussi à couler de ses beaux yeux :
Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller la main de mon Fils. Elle est si lourde et si pesante que je ne puis plus la retenir.
Depuis le temps que je souffre pour vous autres ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse. Et pour vous autres, vous nen faites pas cas. Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous ne pourrez récompenser la peine que jai prise pour vous autres.
Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième, et on ne veut pas me laccorder80. Cest ce qui appesantit tant le bras de mon Fils.
Ceux qui conduisent les charrettes ne savent pas parler sans y mettre le Nom de mon Fils au milieu. Ce sont les deux choses qui appesantissent tant le bras de mon Fils81.
Si la récolte se gâte, ce nest quà cause de vous autres.
Je vous lai fait voir lannée passée par les pommes de terre ; vous nen avez pas fait cas ; cest au contraire quand vous en trouviez de gâtées, vous juriez et vous mettiez le nom de mon Fils. Elles vont continuer à se gâter ; et à la Noël, il ny en aura plus.
Ici, je cherchais à interpréter la parole : pomme de terre ; je croyais comprendre que cela signifiait pommes. La Belle et Bonne Dame, devinant ma pensée, reprit ainsi :
Vous ne me comprenez pas, mes enfants ? je vais vous le dire autrement.
La traduction en français est celle-ci :
Si la récolte se gâte, ce nest rien que pour vous autres ; je vous lai fait voir lannée passée par les pommes de terre, et vous nen avez pas fait cas ; cétait au contraire, quand vous en trouviez de gâtées, vous juriez et vous mettiez le Nom de mon Fils. Elles vont continuer à se gâter, et à la Noël il ny en aura plus.
Si vous avez du blé, il ne faut pas le semer.
Tout ce que vous sèmerez, les bêtes le mangeront ; et ce qui viendra tombera tout en poussière quand vous le battrez. Il viendra une grande famine. Avant que la famine vienne, les petits enfants au-dessous de sept ans prendront un tremblement et mourront entre les mains des personnes qui les tiendront ; les autres feront pénitence par la faim. Les noix deviendront mauvaises ; les raisins pourriront82.
Ici, la Belle Dame qui me ravissait, resta un moment sans se faire entendre ; je voyais cependant quelle continuait, comme si elle parlait, de remuer gracieusement ses aimables lèvres. Maximin recevait alors son secret. Puis, sadressant à moi, la Très Sainte Vierge me parla et me donna un secret en français. Ce secret, le voici tout entier, et tel quelle me la donné :
III
1. Mélanie, ce que je vais vous dire maintenant, ne sera pas toujours secret ; vous pourrez le publier en 185883.
2. Les prêtres, ministres de mon Fils, les prêtres, par leur mauvaise vie, par leurs irrévérences et leur impiété à célébrer les saints mystères, par lamour de largent, lamour de lhonneur et des plaisirs, les prêtres sont devenus des cloaques dimpureté. Oui, les prêtres demandent vengeance, et la vengeance est suspendue sur leurs têtes. Malheur aux prêtres et aux personnes consacrées à Dieu, lesquelles, par leurs infidélités et leur mauvaise vie, crucifient de nouveau mon Fils ! Les péchés des personnes consacrées à Dieu crient vers le Ciel et appellent la vengeance, et voilà que la vengeance est à leurs portes, car il ne se trouve plus personne pour implorer miséricorde et pardon pour le peuple ; il ny a plus dâmes généreuses, il ny a plus personne digne doffrir la Victime sans tache à lÉternel en faveur du monde.
3. Dieu va frapper dune manière sans exemple.
4. Malheur aux habitants de la terre ! Dieu va épuiser sa colère, et personne ne pourra se soustraire à tant de maux réunis.
5. Les chefs, les conducteurs du peuple de Dieu ont négligé la prière et la pénitence, et le démon a obscurci leurs intelligences ; ils sont devenus ces étoiles errantes que le vieux diable traînera avec sa queue pour les faire périr. Dieu permettra au vieux serpent de mettre des divisions parmi les régnants, dans toutes les sociétés et dans toutes les familles ; on souffrira des peines physiques et morales ; Dieu abandonnera les hommes à eux-mêmes et enverra des châtiments qui se succéderont pendant plus de trente-cinq ans.
6. La Société est à la veille des fléaux les plus terribles et des plus grands évènements ; on doit sattendre à être gouverné par une verge de fer et à boire le calice de la colère de Dieu.
7. Que le Vicaire de mon Fils, le souverain Pontife Pie IX, ne sorte plus de Rome, après lannée 1859 ; mais quil soit ferme et généreux, quil combatte avec les armes de la foi et de lamour ; je serai avec lui.
8. Quil se méfie de Napoléon ; son cur est double, et quand il voudra être à la fois Pape et empereur, bientôt Dieu se retirera de lui ; il est cet aigle qui, voulant toujours sélever, tombera sur lépée dont il voulait se servir pour obliger les peuples à se faire élever.
9. LItalie sera punie de son ambition en voulant secouer le joug du Seigneur des Seigneurs ; aussi elle sera livrée à la guerre ; le sang coulera de tous côtés ; les églises seront fermées ou profanées ; les prêtres, les religieux seront chassés ; on les fera mourir, et mourir dune mort cruelle. Plusieurs abandonneront la foi et le nombre des prêtres et des religieux qui se sépareront de la vraie religion sera grand ; parmi ces personnes il se trouvera même des Évêques.
10. Que le Pape se tienne en garde contre les faiseurs de miracles, car le temps est venu que les prodiges les plus étonnants auront lieu sur la terre et dans les airs.
11. En lannée 1864, Lucifer avec un grand nombre de démons seront détachés de lenfer : ils aboliront la foi peu à peu et même dans les personnes consacrées à Dieu ; ils les aveugleront dune telle manière, quà moins dune grâce particulière, ces personnes prendront lesprit de ces mauvais anges ; plusieurs maisons religieuses perdront entièrement la foi et perdront beaucoup dâmes.
12. Les mauvais livres abonderont sur la terre, et les esprits de ténèbres répandront partout un relâchement universel pour tout ce qui regarde le service de Dieu ; ils auront un très grand pouvoir sur la nature ; il y aura des églises pour servir ces esprits. Des personnes seront transportées dun lieu à un autre par ces esprits mauvais, et même des prêtres, parce quils ne se seront pas conduits par le bon esprit de lÉvangile, qui est un esprit dhumilité, de charité et de zèle pour la gloire de Dieu. On fera ressusciter des morts et des justes (cest-à-dire que ces morts prendront la figure des âmes justes qui avaient vécu sur la terre, afin de mieux séduire les hommes ; ces soi-disant morts ressuscités, qui ne seront autre chose que le démon sous ces figures, prêcheront un autre Évangile contraire à celui du vrai Christ-Jésus, niant lexistence du Ciel, soit encore les âmes des damnés. Toutes ces âmes paraîtront comme unies à leurs corps). Il y aura en tous lieux des prodiges extraordinaires, parce que la vraie foi sest éteinte et que la fausse lumière éclaire le monde. Malheur aux Princes de lÉglise qui ne se seront occupés quà entasser richesses sur richesses, quà sauvegarder leur autorité et à dominer avec orgueil.
13. Le Vicaire de mon Fils aura beaucoup à souffrir, parce que, pour un temps, lÉglise sera livrée à de grandes persécutions ; ce sera le temps des ténèbres ; lÉglise aura une crise affreuse.
14. La sainte foi de Dieu étant oubliée, chaque individu voudra se guider par lui-même et être supérieur à ses semblables. On abolira les pouvoirs civils et ecclésiastiques, tout ordre et toute justice seront foulés aux pieds ; on ne verra quhomicides, haine, jalousie, mensonge et discorde, sans amour pour la patrie ni pour la famille.
15. Le Saint-Père souffrira beaucoup. Je serai avec lui jusquà la fin pour recevoir son sacrifice.
16. Les méchants attenteront plusieurs fois à sa vie sans pouvoir nuire à ses jours ; mais ni lui, ni son successeur..., ne verront le triomphe de lÉglise de Dieu.
17. Les gouvernants civils auront tous un même dessein, qui sera dabolir et de faire disparaître tout principe religieux, pour faire place au matérialisme, à lathéisme, au spiritisme et à toutes sortes de vices.
18. Dans lannée 1865, on verra labomination dans les lieux saints ; dans les couvents, les fleurs de lÉglise seront putréfiées et le démon se rendra comme le roi des curs. Que ceux qui sont à la tête des communautés religieuses se tiennent en garde pour les personnes quils doivent recevoir, parce que le démon usera de toute sa malice pour introduire dans les ordres religieux des personnes adonnées au péché, car les désordres et lamour des plaisirs charnels seront répandus par toute la terre.
19. La France, lItalie, lEspagne et lAngleterre seront en guerre ; le sang coulera dans les rues ; le Français se battra avec le Français, lItalien avec lItalien ; ensuite il y aura une guerre générale qui sera épouvantable. Pour un temps, Dieu ne se souviendra plus de la France ni de lItalie, parce que lÉvangile de Jésus-Christ nest plus connu. Les méchants déploieront toute leur malice ; on se tuera, on se massacrera mutuellement jusque dans les maisons.
20. Au premier coup de son épée foudroyante, les montagnes et la terre entière trembleront dépouvante, parce que les désordres et les crimes des hommes percent la voûte des cieux. Paris sera brûlé et Marseille englouti ; plusieurs grandes villes seront ébranlées et englouties par des tremblements de terre : on croira que tout est perdu ; on ne verra quhomicides, on nentendra que bruits darmes et que blasphèmes. Les justes souffriront beaucoup ; leurs prières, leur pénitence et leurs larmes monteront jusquau Ciel, et tout le peuple de Dieu demandera pardon et miséricorde, et demandera mon aide et mon intercession. Alors Jésus-Christ, par un acte de sa justice et de sa grande miséricorde pour les justes, commandera à ses anges que tous ses ennemis soient mis à mort. Tout à coup les persécuteurs de lÉglise de Jésus-Christ et tous les hommes adonnés au péché périront, et la terre deviendra comme un désert. Alors se fera la paix, la réconciliation de Dieu avec les hommes ; Jésus-Christ sera servi, adoré et glorifié ; la charité fleurira partout. Les nouveaux rois seront le bras droit de la Sainte Église, qui sera forte, humble, pieuse, pauvre, zélée et imitatrice des vertus de Jésus-Christ. LÉvangile sera prêché partout, et les hommes feront de grands progrès dans la foi, parce quil y aura unité parmi les ouvriers de Jésus-Christ, et que les hommes vivront dans la crainte de Dieu.
21. Cette paix parmi les hommes ne sera pas longue ; vingt-cinq ans dabondantes récoltes leur feront oublier que les péchés des hommes sont cause de toutes les peines qui arrivent sur la terre.
22. Un avant-coureur de lAntéchrist, avec ses troupes de plusieurs nations, combattra contre le vrai Christ, le seul Sauveur du monde ; il répandra beaucoup de sang, et voudra anéantir le culte de Dieu pour se faire regarder comme un Dieu.
23. La terre sera frappée de toutes sortes de plaies (outre la peste et la famine qui seront générales) ; il y aura des guerres jusquà la dernière guerre, qui sera alors faite par les dix rois de lAntéchrist, lesquels rois auront tous un même dessein et seront les seuls qui gouverneront le monde. Avant que ceci arrive, il y aura une espèce de fausse paix dans le monde ; on ne pensera quà se divertir ; les méchants se livreront à toutes sortes de péchés ; mais les enfants de la Sainte Église, les enfants de la foi, mes vrais imitateurs, croîtront dans lamour de Dieu et dans les vertus qui me sont les plus chères. Heureuses les âmes humbles conduites par lEsprit-Saint ! Je combattrai avec elles jusquà ce quelles arrivent à la plénitude de lâge.
24. La nature demande vengeance pour les hommes, et elle frémit dépouvante dans lattente de ce qui doit arriver à la terre souillée de crimes.
25. Tremblez, terre, et vous qui faites profession de servir Jésus-Christ et qui, au dedans, vous adorez vous-mêmes, tremblez ; car Dieu va vous livrer à son ennemi, parce que les lieux saints sont dans la corruption ; beaucoup de couvents ne sont plus les maisons de Dieu, mais les pâturages dAsmodée et des siens.
26. Ce sera pendant ce temps que naîtra lAntéchrist, dune religieuse hébraïque, dune fausse vierge qui aura communication avec le vieux serpent, le maître de limpureté ; son père sera Év. ; en naissant, il vomira des blasphèmes, il aura des dents ; en un mot ce sera le diable incarné ; il poussera des cris effrayants, il fera des prodiges, il ne se nourrira que dimpuretés. Il aura des frères qui, quoiquils ne soient pas comme lui des démons incarnés, seront des enfants de mal ; à 12 ans, ils se feront remarquer par leurs vaillantes victoires quils remporteront ; bientôt, ils seront chacun à la tête des armées, assistés par des légions de lenfer.
27. Les saisons seront changées, la terre ne produira que de mauvais fruits, les astres perdront leurs mouvement réguliers, la lune ne reflétera quune faible lumière rougeâtre ; leau et le feu donneront au globe de la terre des mouvements convulsifs et dhorribles tremblements de terre, qui feront engloutir des montagnes, des villes (etc.).
28. Rome perdra la foi et deviendra le siège de lAntéchrist.
29. Les démons de lair avec lAntéchrist feront de grands prodiges sur la terre et dans les airs, et les hommes se pervertiront de plus en plus. Dieu aura soin de ses fidèles serviteurs et des hommes de bonne volonté ; lÉvangile sera prêché partout, tous les peuples et toutes les nations auront connaissance de la vérité !
30. Jadresse un pressant appel à la terre ; jappelle les vrais disciples du Dieu vivant et régnant dans les cieux ; jappelle les vrais imitateurs du Christ fait homme, le seul et vrai Sauveur des hommes ; jappelle mes enfants, mes vrais dévots, ceux qui se sont donnés à moi pour que je les conduise à mon divin Fils, ceux que je porte pour ainsi dire dans mes bras, ceux qui ont vécu de mon esprit ; enfin jappelle les Apôtres des Derniers Temps, les fidèles disciples de Jésus-Christ qui ont vécu dans un mépris du monde et deux-mêmes, dans la pauvreté et dans lhumilité, dans le mépris et dans le silence, dans loraison et dans la mortification, dans la chasteté et dans lunion avec Dieu, dans la souffrance et inconnus du monde. Il est temps quils sortent et viennent éclairer la terre. Allez et montrez-vous comme mes enfants chéris ; je suis avec vous et en vous, pourvu que votre foi soit la lumière qui vous éclaire dans ces jours de malheurs. Que votre zèle vous rende comme des affamés pour la gloire et lhonneur de Jésus-Christ. Combattez, enfants de lumière, vous petit nombre qui y voyez ; car voici le temps des temps, la fin des fins.
31. LÉglise sera éclipsée, le monde sera dans la consternation. Mais voilà Énoch et Élie remplis de lEsprit de Dieu ; ils prêcheront avec la force de Dieu, et les hommes de bonne volonté croiront en Dieu, et beaucoup dâmes seront consolées ; ils feront de grands progrès par la vertu du Saint-Esprit et condamneront les erreurs diaboliques de lAntéchrist.
32. Malheur aux habitants de la terre ! il y aura des guerres sanglantes et des famines ; des pestes et des maladies contagieuses ; il y aura des pluies dune grêle effroyable danimaux ; des tonnerres qui ébranleront des villes ; des tremblements de terre qui engloutiront des pays ; on entendra des voix dans les airs ; les hommes se battront la tête contre les murailles ; ils appelleront la mort, et, dun autre côté, la mort fera leur supplice ; le sang coulera de tous côtés. Qui pourra vaincre, si Dieu ne diminue le temps de lépreuve ? Par le sang, les larmes et les prières des justes, Dieu se laissera fléchir ; Énoch et Élie seront mis à mort ; Rome païenne disparaîtra ; le feu du Ciel tombera et consumera trois villes ; tout lunivers sera frappé de terreur, et beaucoup se laisseront séduire parce quils nont pas adoré le vrai Christ vivant parmi eux. Il est temps ; le soleil sobscurcit ; la foi seule vivra.
33. Voici le temps ; labîme souvre. Voici le roi des rois des ténèbres. Voici la bête avec ses sujets, se disant le sauveur du monde. Il sélèvera avec orgueil dans les airs pour aller jusquau ciel ; il sera étouffé par le souffle de saint Michel Archange. Il tombera et la terre qui, depuis trois jours, sera en de continuelles évolutions, ouvrira son sein plein de feu ; il sera plongé pour jamais avec tous les siens dans les gouffres éternels de lenfer. Alors leau et le feu purifieront la terre et consumeront toutes les uvres de lorgueil des hommes et tout sera renouvelé : Dieu sera servi et glorifié.
IV
Ensuite la Sainte Vierge me donna, aussi EN FRANÇAIS, la Règle dun nouvel Ordre religieux.
Après mavoir donné la Règle de ce nouvel Ordre religieux, la Sainte Vierge reprit ainsi la suite du Discours :
« Sils se convertissent, les pierres et les rochers se changeront en blé, et les pommes de terre se trouveront ensemencées par les terres.
« Faites-vous bien votre prière, mes enfants ? »
Nous répondîmes tous les deux :
Oh ! non, Madame, pas beaucoup.
« Ah ! mes enfants, il faut bien la faire, soir et matin. Quand vous ne pourrez pas mieux faire, dites un Pater et un Ave Maria ; et quand vous aurez le temps et que vous pourrez mieux faire, vous en direz davantage.
« Il ne va que quelques femmes un peu âgées à la Messe ; les autres travaillent tout lété le Dimanche ; et lhiver, quand ils ne savent que faire, ils ne vont à la Messe que pour se moquer de la religion. Le Carême, ils vont à la boucherie comme des chiens84.
« Navez-vous pas vu du blé gâté, mes enfants ? »
Tous les deux nous avons répondu : Oh ! non, Madame.
La Sainte Vierge sadressant à Maximin : « Mais toi, mon enfant, tu dois bien en avoir vu une fois vers le Coin85, avec ton père. Lhomme de la pièce dit à ton père : Venez voir comme mon blé se gâte. Vous y allâtes. Ton père prit deux ou trois épis dans sa main, il les frotta, et ils tombèrent en poussière. Puis, en vous en retournant, quand vous nétiez plus quà une demi-heure de Corps, ton père te donna un morceau de pain en te disant : Tiens, mon enfant, mange cette année, car je ne sais pas qui mangera lannée prochaine, si le blé se gâte comme cela. "
Maximin répondit : Cest bien vrai, Madame, je ne me le rappelais pas.
La Très Sainte Vierge a terminé son Discours en français : « Eh bien ! mes enfants, vous le ferez passer à tout mon peuple. »
La Très Belle Dame traversa le ruisseau ; et, à deux pas du ruisseau, sans se retourner vers nous qui la suivions (parce quelle attirait à elle par son éclat et plus encore par sa bonté qui menivrait, qui semblait me faire fondre le cur), elle nous a dit encore :
« Eh bien ! mes enfants, vous le ferez passer à tout mon peuple 86. »
Puis elle a continué de marcher jusquà lendroit où jétais montée pour regarder où étaient mes vaches. Ses pieds ne touchaient que le bout de lherbe sans la faire plier. Arrivée sur la petite hauteur, la Belle Dame sarrêta, et vite je me plaçai devant elle, pour bien, bien la regarder, et tâcher de savoir quel chemin elle inclinait le plus à prendre ; car cétait fait de moi, javais oublié et mes vaches et les maîtres chez lesquels jétais en service ; je métais attachée pour toujours et sans condition à Ma Dame ; oui, je voulais ne plus jamais, jamais la quitter ; je la suivais sans arrière-pensée, et dans la disposition de la servir tant que je vivrais.
Avec Ma Dame, je croyais avoir oublié le paradis ; je navais plus que la pensée de bien la servir en tout ; et je croyais que jaurais pu faire tout ce quelle maurait dit de faire, car il me semblait quElle avait beaucoup de pouvoir. Elle me regardait avec une tendre bonté qui mattirait à Elle ; jaurais voulu, avec les yeux fermés, mélancer dans ses bras. Elle ne ma pas donné le temps de le faire. Elle sest élevée insensiblement de terre à une hauteur denviron un mètre et plus ; et, restant ainsi suspendue en lair un tout petit instant, Ma belle Dame regarda le Ciel, puis la terre à sa droite et à sa gauche, puis Elle me regarda avec des yeux si doux, si aimables et si bons, que je croyais quelle mattirait dans son intérieur, et il me semblait que mon cur souvrait au sien.
Et tandis que mon cur se fondait en une douce dilatation, la belle figure de Ma Bonne Dame disparaissait peu à peu : il me semblait que la lumière en mouvement se multipliait ou bien se condensait autour de la Très Sainte Vierge, pour mempêcher de la voir plus longtemps. Ainsi la lumière prenait la place des parties du corps qui disparaissaient à mes yeux ; ou bien il semblait que le corps de Ma Dame se changeait en lumière en se fondant. Ainsi la lumière en forme de globe sélevait doucement en direction droite87.
Je ne puis pas dire si le volume de lumière diminuait à mesure quelle sélevait, ou bien si cétait léloignement qui faisait que je voyais diminuer la lumière à mesure quelle sélevait ; ce que je sais, cest que je suis restée la tête levée et les yeux fixés sur la lumière, même après que cette lumière, qui allait toujours séloignant et diminuant de volume, eut fini par disparaître.
Mes yeux se détachent du firmament, je regarde autour de moi, je vois Maximin qui me regardait, je lui dis : « Mémin, cela doit être le bon Dieu de mon père88, ou la Sainte Vierge, ou quelque grande sainte. » Et Maximin lançant la main en lair, il dit : « Ah ! si je lavais su ! »
V
Le soir du 19 septembre, nous nous retirâmes un peu plus tôt quà lordinaire. Arrivée chez mes maîtres, je moccupais à attacher mes vaches et à mettre tout en ordre dans lécurie. Je navais pas terminé, que ma maîtresse vint à moi en pleurant et me dit : « Pourquoi, mon enfant, ne venez-vous pas me dire ce qui vous est arrivé sur la montagne ? » (Maximin nayant pas trouvé ses maîtres, qui ne sétaient pas encore retirés de leurs travaux, était venu chez les miens, et avait raconté tout ce quil avait vu et entendu.) Je lui répondis : « Je voulais bien vous le dire, mais je voulais finir mon ouvrage, auparavant. » Un moment après, je me rendis dans la maison, et ma maîtresse me dit : « Racontez ce que vous avez vu ; le berger de Bruite (cétait le surnom de Pierre Selme, maître de Maximin) ma tout raconté. »
Je commence, et, vers la moitié du récit, mes maîtres arrivèrent de leurs champs ; ma maîtresse, qui pleurait en entendant les plaintes et les menaces de notre tendre Mère, dit : « Ah ! vous vouliez aller ramasser le blé demain ; gardez-vous en bien, venez entendre ce qui est arrivé aujourdhui à cette enfant et au berger de Selme. » Et se tournant vers moi, elle dit : « Recommencez tout ce que vous mavez dit. » Je recommence ; et, lorsque jeus terminé, mon Maître dit : « Cest la Sainte Vierge, ou bien une grande sainte, qui est venue de la part du Bon Dieu ; mais cest comme si le Bon Dieu était venu lui-même ; il faut faire tout ce que cette Sainte a dit. Comment allez-vous faire pour dire cela à tout son peuple ? » Je lui répondis : « Vous me direz comment je dois faire, et je le ferai. » Ensuite il ajouta en regardant sa mère, sa femme et son frère : « Il faut y penser. » Puis chacun se retira à ses affaires.
Cétait après le souper. Maximin et ses maîtres vinrent chez les miens pour raconter ce que Maximin leur avait dit, et pour savoir ce quil y avait à faire : « Car, dirent-ils, il nous semble que cest la Sainte Vierge qui a été envoyée par le Bon Dieu ; les paroles quElle a dites le font croire. Et Elle leur a dit de le faire passer à tout son peuple ; il faudra peut-être que ces enfants parcourent le monde entier pour faire connaître quil faut que tout le monde observe les commandements du Bon Dieu, sinon de grands malheurs vont arriver sur nous. » Après un moment de silence, mon maître dit, en sadressant à Maximin et à moi : « Savez-vous ce que vous devez faire, mes enfants ? Demain, levez-vous de bon matin, allez tous les deux à Monsieur le Curé, et racontez-lui tout ce que vous avez vu et entendu ; dites-lui bien comment la chose sest passée ; il vous dira ce que vous avez à faire. »
Le 20 septembre, lendemain de lapparition, je partis de bonne heure avec Maximin. Arrivés à la Cure, je frappe à la porte. La domestique de Monsieur le Curé vint ouvrir et demanda ce que nous voulions. Je lui dis (en français, moi qui ne lavais jamais parlé) : « Nous voudrions parler à Monsieur le Curé. » « Et que voulez-vous lui dire ? » nous demanda-t-elle. « Nous voulons lui dire, Mademoiselle, quhier nous sommes allés garder nos vaches sur la montagne des Baisses, et après avoir dîné, etc., etc. » Nous lui racontâmes une bonne partie du discours de la Très Sainte Vierge. Alors la cloche de léglise sonna ; cétait le dernier coup de la Messe. Monsieur labbé Perrin, curé de la Salette, qui nous avait entendus, ouvrit sa porte avec fracas : il pleurait ; il se frappait la poitrine ; il nous dit : « Mes enfants, nous sommes perdus, le bon Dieu va nous punir. Ah ! mon Dieu, cest la Sainte Vierge qui vous est apparue ! » Et il partit pour dire la Sainte Messe. Nous nous regardâmes avec Maximin et la domestique ; puis Maximin me dit : « Moi, je men vais chez mon père, à Corps. » Et nous nous séparâmes.
Nayant pas reçu dordre de mes Maîtres de me retirer aussitôt après avoir parlé à Monsieur le Curé, je crus ne pas faire mal en assistant à la Messe. Je fus donc à léglise. La Messe commence, et, après le premier Évangile, Monsieur le Curé se tourne vers le peuple et essaie de raconter à ses paroissiens lapparition qui venait davoir lieu, la veille, sur une de leurs Montagnes, et les exhorte à ne plus travailler le Dimanche ; sa voix était entrecoupée par des sanglots, et tout le peuple était ému. Après la Sainte Messe, je me retirai chez mes maîtres. Monsieur Peytard, qui est encore aujourdhui Maire de la Salette, y vint minterroger sur le fait de lapparition ; et, après sêtre assuré de la vérité de ce que je lui disais, il se retira convaincu.
Je continuai de rester au service de mes Maîtres jusquà la fête de la Toussaint. Ensuite je fus mise comme pensionnaire chez les religieuses de la Providence, dans mon pays, à Corps.
VI
La Très Sainte Vierge était très grande et bien proportionnée ; elle paraissait être si légère quavec un souffle on laurait fait remuer, cependant elle était immobile et bien posée. Sa physionomie était majestueuse, imposante, mais non imposante comme le sont les Seigneurs dici-bas. Elle imposait une crainte respectueuse. En même temps que Sa Majesté imposait du respect mêlé damour, elle attirait à Elle. Son regard était doux et pénétrant ; ses yeux semblaient parler avec les miens, mais la conversation venait dun profond et vif sentiment damour envers cette beauté ravissante qui me liquéfiait. La douceur de son regard, son air de bonté incompréhensible faisait comprendre et sentir quelle attirait à Elle et voulait se donner ; cétait une expression damour qui ne peut pas sexprimer avec la langue de chair ni avec les lettres de lalphabet.
Le vêtement de la Très Sainte Vierge était blanc argenté et tout brillant ; il navait rien de matériel : il était composé de lumière et de gloire, variant et scintillant. Sur la terre il ny a pas dexpression ni de comparaison à donner.
La Sainte Vierge était toute belle et toute formée damour ; en la regardant je languissais de me fondre en elle. Dans ses atours, comme dans sa personne, tout respirait la majesté, la splendeur, la magnificence dune Reine incomparable. Elle paraissait belle, blanche, immaculée, cristallisée, éblouissante, céleste, fraîche, neuve comme une Vierge ; il semblait que la parole Amour séchappait de ses lèvres argentées et toutes pures. Elle me paraissait comme une bonne Mère, pleine de bonté, damabilité, damour pour nous, de compassion, de miséricorde.
La couronne de roses quelle avait sur la tête était si belle, si brillante, quon ne peut pas sen faire une idée ; les roses de diverses couleurs nétaient pas de la terre ; cétait une réunion de fleurs qui entouraient la tête de la Très Sainte Vierge en forme de couronne ; mais les roses se changeaient ou se remplaçaient ; puis, du cur de chaque rose il sortait une si belle lumière quelle ravissait et rendait les roses dune beauté éclatante. De la couronne de roses sélevaient comme des branches dor et une quantité dautres petites fleurs mêlées avec des brillants.
Le tout formait un très beau diadème, qui brillait tout seul plus que notre soleil de la terre.
La Sainte Vierge avait une très jolie Croix suspendue à son cou. Cette Croix paraissait être dorée, je dis dorée pour ne pas dire une plaque dor ; car jai vu quelquefois des objets dorés avec diverses nuances dor, ce qui faisait à mes yeux un bien plus bel effet quune simple plaque dor. Sur cette belle Croix toute brillante de lumière, était un Christ, était Notre Seigneur, les bras étendus sur la Croix. Presque aux deux extrémités de la Croix, dun côté il y avait un marteau, de lautre une tenaille. Le Christ était couleur de chair naturelle, mais il brillait dun grand éclat ; et la lumière qui sortait de tout son corps paraissait comme des dards très brillants, qui me fendaient le cur du désir de me fondre en lui. Quelquefois le Christ paraissait être mort : il avait la tête penchée, et le corps était comme affaissé, comme pour tomber, sil navait pas été retenu par les clous qui le retenaient à la Croix.
Jen avais une vive compassion, et jaurais voulu redire au monde entier son amour inconnu, et infiltrer dans les âmes des mortels lamour le plus senti et la reconnaissance la plus vive envers un Dieu qui navait nullement besoin de nous pour être ce quil est, ce quil était et ce quil sera toujours ; et pourtant, ô amour incompréhensible à lhomme ! il sest fait homme, et il a voulu mourir, oui mourir, pour mieux écrire dans nos âmes et dans notre mémoire lamour Fou quil a pour nous ! Oh ! que je suis malheureuse de me trouver si pauvre en expression pour redire lamour, oui, lamour de notre bon Sauveur pour nous ! mais, dun autre côté, que nous sommes heureux de pouvoir sentir mieux ce que nous ne pouvons exprimer !
Dautres fois le Christ semblait vivant ; il avait la tête droite, les yeux ouverts, et paraissait être sur la Croix par sa propre volonté. Quelquefois aussi il paraissait parler : il semblait vouloir montrer quil était en Croix pour nous, par amour pour nous, pour nous attirer à son amour, quil a toujours un amour nouveau pour nous, que son amour du commencement et de lannée 33 est toujours celui daujourdhui et quil sera toujours.
La Sainte Vierge pleurait presque tout le temps quElle me parla. Ses larmes coulaient une à une lentement jusque vers ses genoux ; puis, comme des étincelles de lumière, elles disparaissaient. Elles étaient brillantes et pleines damour. Jaurais voulu La consoler, et quElle ne pleurât plus. Mais il me semblait quElle avait besoin de montrer ses larmes pour mieux montrer son amour oublié par les hommes. Jaurais voulu me jeter dans ses bras et lui dire : « Ma bonne Mère, ne pleurez pas ! je veux vous aimer pour tous les hommes de la terre. » Mais il me semblait quElle me disait : « Il y en a tant qui ne me connaissent pas ! »
Jétais entre la mort et la vie, en voyant dun côté tant damour, tant de désir dêtre aimée, et dun autre côté tant de froideur, tant dindifférence... Oh ! ma Mère, Mère toute, toute belle et tout aimable, mon amour, cur de mon cur !...
Les larmes de notre tendre Mère, loin damoindrir son air de majesté, de Reine et de Maîtresse, semblaient, au contraire, lembellir, la rendre plus aimable, plus belle, plus puissante, plus remplie damour, plus maternelle, plus ravissante ; et jaurais mangé ses larmes, qui faisaient sauter mon cur de compassion et damour. Voir pleurer une Mère, et une telle Mère, sans prendre tous les moyens imaginables pour la consoler, pour changer ses douleurs en joie, cela se comprend-il ? Ô Mère plus que bonne ! Vous avez été formée de toutes les prérogatives dont Dieu est capable ; vous avez comme épuisé la puissance de Dieu ; vous êtes bonne, et puis bonne de la bonté de Dieu même ; Dieu sest agrandi en vous formant son chef-duvre terrestre et céleste.
La Très Sainte Vierge avait un tablier jaune. Que dis-je, jaune ? Elle avait un tablier plus brillant que plusieurs soleils ensemble. Ce nétait pas une étoffe matérielle, cétait un composé de gloire, et cette gloire était scintillante et dune beauté ravissante. Tout en la Très Sainte Vierge me portait fortement, et me faisait comme glisser à adorer et à aimer mon Jésus dans tous les états de sa vie mortelle.
La Très Sainte Vierge avait deux chaînes, lune un peu plus large que lautre. À la plus étroite était suspendue la Croix dont jai fait mention plus haut. Ces chaînes (puisquil faut donner le nom de chaînes) étaient comme des rayons de gloire dun grand éclat variant et scintillant.
Les souliers (puisque souliers il faut dire)89 étaient blancs, mais un blanc argenté, brillant ; il y avait des roses autour. Ces roses étaient dune beauté éblouissante, et du cur de chaque rose sortait une flamme de lumière très belle et très agréable à voir. Sur les souliers, il y avait une boucle en or, non en or de la terre, mais bien de lor du paradis.
La vue de la Très Sainte Vierge était elle-même un paradis accompli. Elle avait en Elle tout ce qui pouvait satisfaire, car la terre était oubliée.
La Sainte Vierge était entourée de deux lumières. La première lumière, plus près de la Très Sainte Vierge, arrivait jusquà nous ; elle brillait dun éclat très beau et scintillant. La seconde lumière sétendait un peu plus autour de la Belle Dame et nous nous trouvions dans celle-là ; elle était immobile (cest-à-dire quelle ne scintillait pas), mais bien plus brillante que notre pauvre soleil de la terre. Toutes ces lumières ne faisaient pas mal aux yeux et ne fatiguaient nullement la vue.
Outre toutes ces lumières, toute cette splendeur, il sortait encore des groupes ou faisceaux de lumières, ou des rayons de lumière, du Corps de la Sainte Vierge, de ses habits et de partout.
La voix de la Belle Dame était douce ; elle enchantait, ravissait, faisait du bien au cur ; elle rassasiait, aplanissait tous les obstacles, calmait, adoucissait. Il me semblait que jaurais toujours voulu manger de sa belle voix, et mon cur semblait danser ou vouloir aller à sa rencontre pour se liquéfier en elle.
Les yeux de la Très Sainte Vierge, notre tendre Mère, ne peuvent pas se décrire par une langue humaine. Pour en parler, il faudrait un séraphin ; il faudrait plus, il faudrait le langage de Dieu même, de ce Dieu qui a formé la Vierge Immaculée, chef-duvre de sa toute-puissance.
Les yeux de lAuguste Marie paraissaient mille et mille fois plus beaux que les brillants, les diamants et les pierres précieuses les plus recherchées ; ils brillaient comme deux soleils ; ils étaient doux de la douceur même, clairs comme un miroir. Dans ses yeux on voyait le paradis ; ils attiraient à Elle ; il semblait quElle voulait se donner et attirer. Plus je la regardais, plus je la voulais voir ; plus je la voyais, plus je laimais, et je laimais de toutes mes forces.
Les yeux de la Belle Immaculée étaient comme la porte de Dieu, doù lon voyait tout ce qui peut enivrer lâme. Quand mes yeux se rencontraient90 avec ceux de la Mère de Dieu et la mienne, jéprouvais au-dedans de moi-même une heureuse révolution damour et de protestation de laimer et de me fondre damour.
En nous regardant, nos yeux se parlaient à leur mode, et je laimais tant que jaurais voulu lembrasser dans le milieu de ses yeux qui attendrissaient mon âme, et semblaient lattirer et la faire fondre avec la sienne. Ses yeux me plantèrent un doux tremblement dans tout mon être ; et je craignais de faire le moindre mouvement qui pût lui être désagréable tant soit peu.
Cette seule vue des yeux de la plus pure des Vierges aurait suffi pour être le Ciel dun bienheureux ; aurait suffi pour faire entrer une âme dans la plénitude des volontés du Très-Haut parmi tous les évènements qui arrivent dans le cours de la vie mortelle ; aurait suffi pour faire faire à cette âme de continuels actes de louange, de remerciement, de réparation et dexpiation. Cette seule vue concentre lâme en Dieu et la rend comme une morte-vivante, ne regardant toutes les choses de la terre, même les choses qui paraissent les plus sérieuses, que comme des amusements denfants ; elle ne voudrait entendre parler que de Dieu et de ce qui touche à sa Gloire.
Le péché est le seul mal quElle voit sur la terre. Elle en mourrait de douleur si Dieu ne la soutenait. Amen91.
Castellamare, le 21 novembre 1878.
MARIE DE LA CROIX, Victime de Jésus,
née MÉLANIE CALVAT, Bergère de la Salette.
Nihil-obstat ; imprimatur.
Datum Lycii ex Curia Epii, die 15 Nov. 1879.
CARMELUS Archus COSMA,
Vicarius Generalis.
ORAISON FUNÈBRE
DE
SOEUR MARIE DE LA CROIX,
NÉE MÉLANIE CALVAT,
BERGÈRE DE LA SAIETTE
prononcée à Messine et, au Service anniversaire,
dans la Cathédrale dAltamura,
par le Chanoine Annibal-Marie de France,
publiée avec limprimatur de Monseigneur Letterio,
archevêque de Messin
« Cantabiles mihi erant justificationes tuae in loco peregrinationis meae. »
« Jai chanté vos justifications dans le lieu de mon pèlerinage. » (Ps. 118, 54.)
Une créature angélique, un pur idéal dinnocence et de vertu, une existence humaine sans tache, très suave, pleine des plus saintes aspirations de Dieu, de sa gloire et de son éternel Amour, est passée par cette vallée de larmes.
Quand une personne aimée de nous senvole dans la mort, il en reste un vide que lon voudrait combler par le souvenir de la chère mémoire et par des larmes répandues sur la tombe qui renferme la dépouille aimée. La religion sanctifie ce sentiment et lélève au sublime. Elle nous convoque à des cérémonies funèbres, met sur nos lèvres des prières et des cantiques pour nos défunts, nous fait assister au grand Sacrifice de lExpiation et écrit sur la tombe de ceux qui ne sont plus : Qui credit in me, etiam si mortuus fuerit, vivet.
Mais, quand se présente le cas exceptionnel que la personne défunte et regrettée à été lune de ces âmes rares, consacrées aux plus hautes perfections, dans lesquelles se trouve un je ne sais quel air surnaturel et divin, quand ses affections ne se sont pas trouvées renfermées aux seules limites de la nature, mais ont présenté lempreinte de léternelle Charité, quand les phases de sa vie et de sa mort sont accompagnées dévènements et de circonstances qui sortent de lordinaire, oh ! alors la tombe de cette créature délection est un autel, sa mémoire une bénédiction, les cérémonies funèbres elles-mêmes, les notes plaintives de lorgue et les voix lugubres des chantres se changent en un hymne de fête, ou bien forment lécho de ces célestes cantiques dont les anges accompagnent cette âme accomplissant son pèlerinage au royaume de la Gloire.
Et telles sont bien les solennelles obsèques et les cérémonies dont nous offrons aujourdhui le tribut à notre bien-aimée défunte, à MÉLANIE CALVAT, la célèbre bergerette de la Salette.
Des sentiments daffection et de foi, une intime reconnaissance et une sainte vénération, voilà les émotions que nous ressentons, nous souvenant delle à la face de Dieu et des hommes. Elle nous a appartenu : il fut grand lamour quelle eut pour nous, grand aussi lamour dont nous lavons aimée. Maintenant, nous cherchons un soulagement à notre douleur, nous voulons nous mettre en rapport avec cette chère âme, belle, innocente, tout imprégnée de lamour de JÉSUS et de MARIE, qui, néanmoins, palpite pour nous ; nous voulons linvoquer sur la terre pour quelle nous entende du Ciel ; nous voulons demander sa médiation pour quelle le prie pour nous.
Vous, jeunes surs qui, avec vos orphelines, lavez eue plus dune année, comme votre Mère et votre Maîtresse de sublime vertu, vous éprouvez bien vif le besoin de témoigner à cette sainte âme, une fois de plus, combien sont grands vos sentiments de vénération, de tendresse et damour pour elle.
Ainsi donc, courage, contemplons-la dans la Foi, brillante et souriante, bien quinvisible à nous dans ce saint temple (innixa dilecto suo), appuyée sur son Bien-Aimé, et commençons son éloge après avoir invoqué le nom de JÉSUS.
MÉLANIE de la Salette naquit à Corps, petit bourg de France, dans le diocèse de Grenoble, le 7 novembre 1831, de parents respectables. Son père était maçon et scieur de long et se nommait PIERRE CALVAT. Sa mère se nommait JULIE BARNAUD.
Les historiens de la célèbre apparition de la Très Sainte Vierge à la Salette disent quavant ce grand évènement, MÉLANIE nétait quune pauvre petite bergère fruste et ignorante, incapable dapprendre le Pater. Mais combien ils se trompent ! De grands mystères sétaient déroulés entre DIEU et son âme, depuis son enfance. Son bon père, quand elle navait que trois ans, lui montra un Crucifix et lui dit : Vois, ma fille, comme Notre Seigneur JÉSUS-CHRIST a voulu mourir sur la Croix par amour pour nous ! La petite fille fixa des regards attentifs et, comme éclairée dune lumière supérieure, sembla avoir pénétré en silence le sens intime de cette parole et de cette image. Depuis lors, une impulsion intérieure la poussait à lamour de la Croix et du Crucifié. Avec une intelligence incomparablement au-dessus de son âge, elle disait : « Le Crucifix de mon père ne parle pas, mais il prie en silence, je veux limiter, je me tairai et je le prierai en silence. » Cest ainsi quelle se préparait à la contemplation. La mère de la petite fille, femme non méchante, mais colère, la grondait sans cesse et lui intimait lordre de sortir de la maison. La petite MÉLANIE souriait néanmoins et sefforçait dembrasser cette mère irritée. Un jour, elle avait près de cinq ans, sa mère lui ordonna de sen aller et de ne plus revenir. La pauvre petite se retira dans un bosquet voisin et se plaignant de son triste sort, comme elle écrit dans quelques-uns de ses mémoires, elle sassit au pied dun arbre, lasse et oppressée, et sy endormit. Un songe mystérieux se présenta à elle et fut comme le prélude de toute sa vie, de tout son pèlerinage terrestre. Il lui sembla voir lenfant JÉSUS, du même âge quelle, vêtu dune robe rose, qui, labordant, lui dit : « Petite sur, ma chère petite sur, où allons-nous ? » Poussée par un instinct divin, elle répondit : « Au Calvaire. » Alors, le céleste enfant la prit par la main et la conduisit sur la montagne sainte. Pendant ce voyage, le ciel se couvrit de nuages et sobscurcit, et une grande pluie de croix de toutes dimensions lui tomba sur les épaules. Une foule de gens lui adressaient des injures et lui témoignaient leur mépris. Effrayée, elle serra la main de son guide céleste, dont elle avait perdu la vue agréable au milieu des ténèbres. Tout à coup, elle lâcha la main qui la conduisait et tomba dans une profonde désolation. Néanmoins, le voyage se termina et elle arriva sur le Calvaire. Là il se passa une scène horrible. En bas, il souvrit un gouffre de feu, dans lequel des multitudes de gens se précipitaient ; lâme épouvantée, et obéissant à une impulsion divine, elle soffrit comme victime de toute souffrance pour le salut éternel des âmes, pour la conversion des pécheurs.
À ce moment, la petite fille séveilla ; le soleil apparaissait à lhorizon, ce songe avait duré toute la nuit.
De retour à la maison paternelle, elle ne raconta rien de ce qui sétait passé cette nuit, mais garda le silence pour imiter le Crucifix de son père. Une vie nouvelle de souffrance et de recueillement commençait pour elle. Le céleste enfant quelle avait vu en songe lui est toujours présent à la pensée, elle lui parle dans le plus intime secret de son cur, elle lui offre ses travaux et ses souffrances, et il lui semble quil lappelle toujours du doux nom de « petite sur, ma chère petite sur », au point que, chaque fois quon lui demandait quel était son nom, elle répondait avec une grande simplicité : « Petite sur ».
Ainsi cachée et absorbée par les précoces contemplations dune vie remplie dimmenses grâces du ciel (dont la révélation causera sans doute une grande surprise dans le monde religieux), cette créature délection, dès son jeune âge, buvait en silence le calice des humiliations et des mépris, chassée inhumainement plusieurs fois de la maison maternelle, et envoyée, çà et là, au service de plusieurs familles de paysans.
Un jour, sa mère irritée voulant, en quelque sorte, sen défaire, la mit, par punition (elle nous la dit, il y a quelques années, en souriant), en service sur les montagnes alpestres de la Salette, dans une pauvre famille de paysans qui lui confièrent le soin de mener leurs vaches au pâturage.
Ces montagnes appartiennent à la grande chaîne des Alpes françaises, élevées de près de 2 000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Là, lhiver est très rigoureux, mais quand une belle journée de printemps ou dété y fait briller les rayons du soleil, elles offrent un spectacle sublime et enchanteur. Au loin, tout en haut, à lhorizon, une ceinture de montagnes escarpées, ici des vallées profondes et, tout autour, des collines et des plateaux revêtus de verts tapis dherbe mêlée de petites fleurs sauvages. Ce lieu solitaire, où lon ne voyait presque jamais un être humain, fit vite les délices de cette âme innocente, cachée, séparée du monde et comme intimement unie à son Créateur. Alors, elle goûtait les paroles du docteur de Clairvaux : « Ô bienheureuse solitude, ô seule béatitude ! »
Mais quels étaient les mystères du divin amour qui se déroulaient dans ces lieux solitaires entre cette âme choisie et son Dieu ? Il a été dit : « Je la conduirai dans la solitude et je parlerai à son cur. » Elle prenait plaisir, pendant que ses vaches paissaient, à parler avec les fleurettes du Bon Dieu, comme elle le disait, à les inviter à louer le Créateur, et à les plaindre de ne pouvoir laimer.
Le 19 septembre 1846, un samedi, survint, sur la montagne de la Salette, cette célèbre apparition de la Très Sainte Vierge à lheureuse bergerette et au petit MAXIMIN, qui, pour huit jours, venait, lui aussi, sur cette montagne avec ses vaches.
La Sainte Mère de DIEU apparut avec les signes de la Passion, pleurant pendant tout le temps quelle parla aux deux bergers, menaça des châtiments divins à cause du mépris et de la profanation du Dimanche et confia deux secrets, lun à MÉLANIE et lautre à MAXIMIN. Avant de disparaître, la Sainte Vierge avait dit : « MES PETITS ENFANTS, TOUT CE QUE JE VIENS DE VOUS CONFIER, FAITES-LE SAVOIR À MON PEUPLE. »
Cet ordre de la Très Sainte Vierge fut le point de départ dun autre genre de vie pour la jeune bergère. Elle fut comme arrachée à sa chère solitude, enlevée à loubli et au mystère de sa vie cachée, et investie dune mission qui devait lui causer des douleurs et des larmes, des ovations et des mépris, la vénération et la calomnie, et de longues pérégrinations de pays en pays. « Cantabiles mihi erant justificationes tuae in loco peregrinationis meae. »
Ce ne fut que grâce à une continuelle assistance surnaturelle quelle put résister et persévérer jusquà la fin.
Lapparition de la Salette a été une manifestation de la Mère des Douleurs. La Très Sainte Vierge était apparue pendant les vêpres qui précédaient la fête de Notre-Dame des Sept Douleurs. Elle avait un crucifix sur sa poitrine, ainsi que le marteau et les tenailles, symbole éloquent de la mère broyée et désolée.
À partir de ce moment, MÉLANIE fut appelée à participer plus intimement aux peines de JÉSUS et de MARIE.
Chassée de France par Napoléon III, elle alla en Angleterre et fit sa profession parmi les Carmélites de Darlington.
Quand vint le moment de publier le secret de la Salette, elle fut relevée de ses vux par Pie IX et, depuis ce jour, qui pourrait dire les multiples vicissitudes traversées par cette créature unique ?
Encore jeune, avec ses vingt-six ans, elle se trouve seule dans le monde, fugitive, errant à laventure, un peu dans un pays, un peu dans un autre. Mais son esprit comme son cur se trouvaient toujours concentrés sur un seul point : laccomplissement de la volonté divine. En quelque lieu quelle se portât, il semblait quautour delle latmosphère se purifiait et, à son aspect, chacun était frappé de sa modestie, de sa suavité et même de son silence. Quand elle se trouvait dans une église, son recueillement et son attitude humble faisaient entrevoir quelque chose de sa sainteté cachée. Elle restait ignorée partout où elle se rendait, mais lorsque, après un certain temps, elle était reconnue et devenait un sujet de vénération, la pure colombe du Seigneur prenait son vol vers dautres régions.
En religion, elle avait pris le nom de Sur Marie de la Croix et elle le conserva toujours. Dieu la voulait sans cesse crucifiée.
Douée dune sensibilité exquise, dun esprit sagace et pénétrant, profonde et intime dans ses affections, très sensible dans sa compassion des misères humaines, très généreuse pour le Zèle de la gloire divine et le salut des âmes, elle passa toute sa vie en une agonie spirituelle que lon ne pourra comprendre quen DIEU. Ses journées et ses nuits furent remplies de ses pleurs continuels et de ses gémissements de mystique colombe. La plainte de la Très Sainte Vierge sur la montagne de la Salette était toujours présente à son esprit, elle y associait ses larmes qui, à la fin, allèrent jusquà faire baisser sa vue. Mais les rayons vifs et pénétrants de ses yeux noirs pleins dintelligence et contemplatifs ne furent pas amoindris.
Cest à lécole de la souffrance que se façonnent les trempes fortes et robustes de lesprit. Mais quelle différence entre les héros de la religion et ceux du siècle ! La souffrance des Saints, cest limitation de JÉSUS-CHRIST, le pur amour de DIEU, lamour de la Croix, le triomphe de la grâce sur lhumaine faiblesse, cest une souffrance qui se réjouit de donner une preuve damour à lAimé, qui senivre dans la souffrance elle-même et lui fait prendre part à cette soif Mystérieuse qui faisait crier au Divin Rédempteur sur la montagne du Sacrifice : « Sitio », Jai soif !
La souffrance des âmes qui aiment DIEU a des motifs très élevés et des fins sublimes. Le cur, lâme, les sens sont mis comme en un creuset parce que DIEU nest pas aimé, parce que lon craint de loffenser, ou souvent parce que, dans le secret de lesprit, le vivant Soleil de la Divine Présence se trouve comme obscurci, ou simplement parce que lâme aimante voudrait comme sanéantir afin que Dieu fût glorifié, ou parce quelle voudrait séchapper du corps et voler vers les divines caresses, et que lheure et la minute ne sont pas arrivées. Cest ce qui faisait crier au Prophète : Hélas, mon pèlerinage na pas encore assez duré !
Telle était la souffrance de cette créature privilégiée. Quelles ont été ses tribulations intérieures, dun genre plus quordinaire, ce nest pas ici le lieu de les dépeindre. Elle a confié à une personne que, toute jeune encore, elle eut dix années denfer dans son esprit. Alors on la crut folle ou hallucinée, alors on la conduisit à la Grande Chartreuse. Néanmoins, chose merveilleuse que lon ne rencontre que dans la vie des Saints, elle-même nétait jamais rassasiée de souffrir pour JÉSUS-CHRIST. Elle disait dans ses transports : « Je demande au Seigneur de me faire souffrir et de me cacher. » Véritable caractère dune vertu solide et dune profonde humilité.
Et ici, je ne dois pas passer sous silence un long et saint martyre que souffrit cette sainte privilégiée pendant toute sa vie.
Admettant, bien quavec une foi purement humaine, lapparition de la Très Sainte Vierge à la Salette, nous pouvons également admettre, en raison de diverses déclarations explicites de MÉLANIE CALVAT, que la Très Sainte Vierge, dès quelle lui eut confié un secret, lui aurait ensuite révélé quil sortirait de la Sainte Église un insigne ordre religieux, dit des nouveaux Apôtres ou des Missionnaires de la Mère de DIEU, qui seront répandus par tout le monde et feront un bien immense à la Catholicité. Cette congrégation comportera un second ordre et un Tiers-Ordre. Ils seront enflammés, pour la gloire de DIEU et le salut des âmes, dune ardeur semblable à celle des premiers Apôtres. Les paroles contenues dans le Secret de MÉLANIE et par lesquelles la Très Sainte Vierge annonce la formation de ce grand ordre religieux nont, en vérité, rien de notre humanité ; elles respirent un souffle divin, elles sont la simplicité mise en harmonie avec le sublime. La Très Sainte Vierge, après avoir annoncé cet évènement futur, donna à MÉLANIE la règle que devait suivre ce nouvel ordre religieux. Cette règle, MÉLANIE la conserva de mémoire dans son esprit pendant douze ans, sans lavoir écrite. « Il semblait quelle était imprimée en moi », disait-elle. Plus tard, le moment marqué par la Très Sainte Vierge pour la divulgation du Secret étant arrivé, MÉLANIE écrivit cette règle, mais alors il lui devint impossible de bien la conserver présente à la mémoire.
Cette règle fut soumise au jugement dune commission de cardinaux de la Sainte Église et jugée par eux irréprochable. Elle est comme un chapitre de lÉvangile et contient la quintessence de la perfection chrétienne mise en pratique avec la plus grande douceur et avec charité.
Or MÉLANIE souffrit pendant toute sa vie une agonie spirituelle, dans lattente de voir laccomplissement de la parole de la Très Sainte Vierge et lorganisation des nouveaux Apôtres de la Sainte Église. Loin de là, elle fut témoin des persécutions que la dévotion à Notre-Dame de la Salette eut à supporter, par la volonté de Dieu, et au point quà chaque persécution, cette dévotion semblait devoir sanéantir. Ses regards étaient toujours tournés vers Rome, attendant que la suprême autorité de lÉglise couronnât de gloire et dhonneur la Salette, et quil en sortît enfin la fondation après laquelle elle soupirait. Mais la prudence du Saint-Siège en pareille affaire et la divine Providence qui règle et dispose tout avaient amené cette sainte créature à une continuelle et parfaite résignation à la volonté divine. Alors, elle aura dit avec Ezéchias : « Ecce in pace amaritudo mea amarissima ! » Souvent, elle se considérait elle-même comme un obstacle à laccomplissement du plan divin, et alors elle sanéantissait devant Dieu, se mortifiait de différentes manières et souhaitait la mort, soupirait après elle, la demandait dans ses prières.
Cest de cette manière que cette pauvre exilée sur la terre chantait le cantique de ses destinées. « Cantabiles mihi erant justificationes tuae in loco peregrinationis meae. »
Si celle qui apparut sur la montagne de la Salette fut la Très Sainte Vierge Marie, la Mère immaculée de DIEU, si ce fut cette Mère incomparable qui confia son secret à MÉLANIE et à MAXIMIN et donna une règle très sainte pour un nouvel ordre religieux très nombreux des derniers Apôtres, qui pourra douter que la promesse de la Reine du Ciel doit recevoir son entier accomplissement ? Dans ce cas, réjouis-toi, ô innocente bergère de la Salette, réjouis-toi en DIEU, ô âme choisie entre mille ; ton long martyre na été quune préparation à une grâce si ineffable ! Le sacrifice de ta vie simple, offerte en holocauste à travers les souffrances et les mortifications de toutes sortes, sera béni de JÉSUS et de MARIE, et son fruit sera une génération délus. Et qui pourra les nommer ? Generationes ejus, quis enarrabit ?
Que DIEU est admirable dans ses uvres ! La vie humble, cachée et pénitente de MÉLANIE sera devenue, en face de linfinie bonté de DIEU, un titre à sa miséricorde en faveur de lhumanité ; la vie de MÉLANIE, qui commençait à être connue et admirée, maintenant quelle-même est séparée de ce monde, sera peut-être un motif pour hâter cette divine règle, dictée par la Très Sainte Vierge et, par suite, les biens immenses qui pourront en découler.
DIEU connaît le chemin des curs. Il est écrit que belles sont les voies de la Sagesse : « Viae ejus viae pulchrae. » Lorsque dans la vie dune sainte créature, à une solide vertu se trouve joint un ensemble de situations diverses, dévènements et de fruits intrinsèques et extrinsèques, dans lequel le beau, le sublime, le pathétique frappent, attirent, envahissent le cur et limagination, alors tout lhomme est conquis et gagné à la vérité.
Jai cru découvrir quelque chose de semblable dans cette vie et dans les diverses péripéties traversées par cette élue du Seigneur, au point de ne savoir sil fut, à notre époque, dans le monde, une autre qui pût lui être comparée. Les quelques mémoires quelle écrivit sur elle-même, par obéissance, mettront le comble à ces merveilles. Tout dabord, cest une petite fille qui habite dans les bois, souvent entourée danimaux sauvages et doiseaux divers, se jouant avec les uns comme avec les autres : puis cest une jeune bergère solitaire qui conduit les moutons et les vaches dans les endroits escarpés et sauvages et là, assise à lombre dun arbre touffu, prie ou cause avec les fleurs.
Mais voici que les grandes splendeurs du surnaturel lenvironnent, la transportent jusquau ciel. La Toute Belle, Celle qui est lumière, amour, grâce, poésie de linfini, la Vierge Marie se montra à Elle, lui parla. Voici que le nom de la petite bergère inconnue vole de bouche en bouche et remplit le monde.
Oh ! combien ont envié son sort ! Combien ont désiré la voir ! la vénérer ! combien ont essayé de baiser au moins le bord de ses vêtements. Mais la voici devenue plus belle encore du soin continuel et plein dhumilité quelle prenait de se cacher ! Lheureuse bergère devient aussitôt une vierge sacrée, vouée à lÉpoux Céleste.
Les habits de la pénitence, le silence des saints cloîtres donnent un nouvel éclat à sa beauté céleste. Elle était alors dans la fleur de ses vingt ans.
Dici peu dannées, la bergère de la Salette, lhabitante des bois, la virginale colombe se trouve vouée au pèlerinage du monde, elle entre dans une nouvelle phase de son existence qui doit durer toute sa vie. Pendant cinquante ans environ, Mélanie de la Salette accomplit une mission ou un sacrifice auquel Dieu la destinait par ses fins impénétrables. Une vie nomade, errante, de pays en pays, toujours dans lespoir den trouver un où elle pût se cacher à tous, et où les hommes noffenseraient pas DIEU ! « Quelques-uns, me disait-elle un jour, croient que je me plais à voyager et à aller de çà, de là ! mais combien ils se trompent ! » Et combien elle avait de motifs pour justifier ses pérégrinations !
Mais une halte de la sainte élue du Seigneur dans ses divers pèlerinages nous vaut le doux, le suave souvenir de notre ville de Messine et de ce pieux Institut religieux de charité. Il est bien juste que nous évoquions cette sainte mémoire et que nous vous en entretenions quelque peu, puisque cest pour Elle que nous sommes ici recueillis au pied du Saint Autel et que nous célébrons cette cérémonie funèbre.
Messine, la cité de Marie très sainte, a reçu de tout temps les marques particulières de lamour de Celle qui lui a promis sa protection perpétuelle. Il y a sept ans que MÉLANIE de la Salette vint demeurer ici, pendant un an et 18 jours. Son arrivée fut précédée de quelques signes qui tiennent du miracle.
Ce qui donna naissance à un si grand bien fut que notre Institut traversait alors une période de difficultés telle quil semblait devoir être supprimé. Depuis quelque temps, un séjour de peu dheures à Castellamare di Stabia mavait fait souvenir de ce que je savais par la renommée, cest-à-dire, que la Bergère de la Salette se trouvait là ! Grand fut mon désir de la connaître, mais ce fut en vain ; parce que cette colombe fugitive avait porté ailleurs son nid. Elle se trouvait à Galatina, diocèse de Lecce. Il me resta un vide dans le cur.
De retour à Messine, jen écrivis à Mgr Zola, dheureuse mémoire, alors évêque de Lecce, qui me donna gracieusement ladresse de MÉLANIE, et bientôt jentrai en correspondance avec la servante du Seigneur. Oh ! quel parfum de Sainteté me semblait sexhaler de ses lettres. Je men trouvais transporté au Paradis ! Un jour elle mécrivit quelle allait quitter Galatina, mais quelle ne ferait connaître à personne sa nouvelle adresse. Cela me surprit et je me décidai à aller la trouver pour linviter à venir à Messine dans notre Institut. Ce fut pour moi comme un voyage de dévotion vers la Sainte Vierge ; je souriais à la pensée de voir et dentendre parler cette heureuse créature qui avait vu la Sainte Mère de DIEU et lavait entendue parler.
Jai vu Mélanie dans sa pauvre demeure, jai conversé avec elle, je lai entendue raconter la Grande Apparition de la Salette ; et saintes et profondes furent mes émotions. Je linvitai à venir à Messine, mais elle ne se décida pas. Elle me parla avec affection de Messine, me dit quelle portait sur elle, imprimée, la lettre de la Très Sainte Vierge aux habitants de Messine92, et me la montra traduite en français. Finalement, elle ne se décida pas. De retour, je trouvai mon pauvre institut près de sa fin. Alors, je menhardis à exposer cette situation à lÉlue du Seigneur et lui renouvelai linvitation, lui demandant de venir au moins pour une année. Immédiatement elle me répondit quelle acceptait, et quelle viendrait dans le but dorganiser et de former cette Communauté des Filles du Divin Zèle du Cur de JÉSUS, qui sont préposées à léducation des orphelines recueillies, et qui ont embrassé la sainte Mission dobéir, par vu, au précepte du Divin Zèle du Cur de JÉSUS, Rogate ergo Dominum.
Oh ! mes filles en Jésus-Christ, quel bonheur pour vous ! MÉLANIE, la fille de prédilection de MARIE Très Sainte, la créature sage, noble et aimable, a été lÉducatrice et en quelque sorte la fondatrice de votre humble Institut.
Vous ne pourrez jamais oublier quel jour heureux fut celui de sa venue parmi vous. Cétait le 14 septembre 1897, le cinquième jour de la neuvaine de N.-D. de la Salette, le Saint jour de lExaltation de la Sainte Croix ; admirable mais inévitable coïncidence de la part de Celle qui, sur la montagne de la Salette, avait vu la Très Sainte Vierge et devait changer son nom en celui de Sur Marie de la Croix. Il était 10 heures du matin quand Sur Marie de la Croix se présenta sur cette place du Saint-Esprit, je lattendais au seuil de ce Saint Temple. En la voyant, je ne pus mempêcher de mécrier : Doù me vient tant dhonneur quune préférée de la Mère de DIEU vient me trouver ? Mais elle, se mettant de suite à genoux, demanda la bénédiction du prêtre, ensuite elle entra dans la maison du Seigneur et assista dans un profond recueillement au Très Saint Sacrifice de la Messe. Vous toutes, mes surs, ainsi que vos orphelines, vous lattendiez dans la grande salle du parloir. Vous étiez dans une sainte attente, comme si, à travers une créature terrestre, vous eussiez dû voir la Très Sainte Vierge en personne. Et non seulement la voir, mais la posséder au milieu de vous ; quel guide maternel et quelle Maîtresse ! À son entrée, accompagnée de moi, vous êtes tombées à genoux, saisies de respect et daffection et vous avez demandé sa bénédiction.
Mais lhumble servante du Seigneur, confuse, se prosterna elle-même à terre et demanda la bénédiction du ministre de DIEU pour elle et pour vous. Telle fut son arrivée dans notre pauvre Institut.
Je ne veux pas vous rappeler davantage les merveilles quelle opéra ici. Mon DIEU ! nous avons assisté à des manières dagir non communes ! Tout, dans cette créature, était nouveau et souvent mystique. Assurément la vertu qui était en elle et transperçait faisait souvenir des vies des Saints. Tout dabord elle était dune charmante innocence : cétait une colombe très pure qui semblait avoir plané au-dessus de toutes les misères humaines sans avoir été effleurée dune seule goutte. Cétait un lis parfumé de virginité, cétait une toute petite enfant sortant des fonts baptismaux, mais cependant riche en prudence et en sagesse. Plus dune fois, nous avons vu des oiseaux entrer dans le Monastère et jusque dans sa chambre, comme sils la cherchaient pour jouer avec elle.
Lesprit de mortification et de pénitence qui lanimait était remarquable. Elle prenait excessivement peu de nourriture, à peine quelques onces, et labsorbait à petites bouchées. À Galatina, un kilogramme de pain lui durait quinze jours. Chez nous, elle en prenait à peine une once ou deux par jour. Elle buvait également fort peu, et jamais à pleines gorgées. Avant dêtre parmi nous, elle restait par semaines trois jours consécutifs sans boire et disait : « Il y a de si grandes soifs par le monde ! » Le jour de Pâques, nous lavons vue solenniser à table cette grande Fête, en prenant la moitié dun uf ! Jamais un fruit, jamais une douceur. Son sommeil ne dépassait pas trois heures et toujours sur la terre nue, comme vous avez pu le constater, mes surs. Combien de fois, dans le calme de la nuit, lavez-vous vue passer, une lumière à la main, à travers les dortoirs ! Que dirons-nous des macérations de son corps virginal ? Que signifiaient ces linges couverts aux épaules de sang frais, que vous avez eu occasion de trouver en mettant ses vêtements à la lessive ? Que signifiait cette table toute hérissée de clous disposés en croix, qui donnait le frisson et que nous conservons avec des traces de taches de sang ?
Néanmoins, calme, sereine, tranquille, consommée dans la vertu et la souffrance, elle semblait extérieurement navoir rien ressenti ; gracieuse et délicate dans sa démarche, ses manières et son langage, et comme si en elle les contrastes sétaient harmonisés, elle était recueillie et sociable, humble et imposante, aimable et réservée, forte et soumise, et celle qui était restée une toute petite enfant semblait supérieure à une personne adulte et mûre. Elle était, en réalité, simple comme la colombe et prudente comme le serpent.
Je voudrais avoir le langage dun ange pour vous parler de notre MÉLANIE et vous donner une idée de son amour ardent pour Notre Seigneur JÉSUS-CHRIST et la Très Sainte Vierge MARIE. En vérité, sa vie fut une vie damour ! Elle aimait DIEU du pur amour, et les flammes de cet incendie mystique la consumaient tantôt plus, tantôt moins. Tous les sens, toutes les fibres, toutes les facultés de cette créature de DIEU tressaillaient damour. Vous vous souvenez avec quel transport damour elle se nourrissait, toute une journée, de JÉSUS au Saint-Sacrement. Cétait son expression : « Ce que jaime, je voudrais le manger ! »
Ah ! jai mis à une épreuve son amour pour le Saint-Sacrement un jour que, inopinément et sans quelle sy attendît, je lui défendis de sapprocher de la Sainte Communion. Elle tressaillit, se trouva mal et tomba à terre comme morte. Jai pu alors me faire une idée de ce quest un véritable esprit de vertu, quand, ayant repris ses sens, elle parut pendant tout le reste de cette journée aussi douce, aussi humble, aussi suave, et même davantage ; et moins que jamais, vous navez pu vous défendre de votre admiration habituelle. Mais le pur amour de DIEU engendre le zèle de sa gloire et du salut des âmes. Le zèle, a dit le Saint Évêque de Genève, est la flamme de la charité. Grand était le zèle qui brûlait dans le cur virginal de Mélanie. Elle aurait voulu simmoler à chaque instant pour que DIEU fût glorifié, JÉSUS connu et aimé en tous lieux, et toutes les âmes sanctifiées et sauvées. Sa foi vivante et son zèle ardent lui faisaient considérer les prêtres comme de nouveaux Christs, et lui faisaient désirer que le Monde fût rempli de vrais Ministres du Sanctuaire.
Je ne doute pas que, pour ce motif, elle nait vivement aimé notre humble institut, et que, depuis quelle la connu, elle ne lait porté toujours en son cur, en faisant lobjet de ses ardentes prières, parce que nous avions pris pour notre devise et notre mission cette grande parole de lÉvangile, ce céleste précepte sorti du divin zèle du Cur de JÉSUS : Rogate ergo Dominum Messis ut mittat operarios in Messem suam.
Oh ! mes Surs, cette prière que vous récitez dévotement tous les jours, combien elle lavait à cur ! elle voyait dans cette humble institution sortie de ses mains et dans cet esprit de prière comme le précurseur de sa chère fondation des nouveaux Apôtres ou des Missionnaires de la Mère de DIEU. Elle voulut même attacher à son vêtement le scapulaire du Cur de JÉSUS portant cette parole sacrée, qui forme notre devise : « Demandez au maître de la moisson denvoyer des ouvriers à son champ », et ce ne sera ni vous, ni moi, mes surs, qui donnerons un démenti à cette réflexion quelle me fit un jour, en français : « Je suis de votre Congrégation. »
Je renonce à décrire les merveilles dont vous ou moi avons été témoins pendant que MÉLANIE demeura parmi nous. Je ne dis rien de ses recueillements subits, dans lesquels elle semblait hors de ses sens et comme ravie en extase ; rien de cette sorte de divination des curs qui lui faisait lire les pensées cachées, rien des deux ou trois guérisons dorphelines survenues à la suite dun signe de Croix fait par elle, rien de son extraordinaire confiance en la Très Sainte Vierge, grâce à laquelle elle semblait avoir toujours dans les mains, et à temps voulu, les objets, la nourriture ou largent, selon les besoins de la Maison. Faisons silence sur tout cela et ne préjugeons rien des jugements autorisés quil appartient à lautorité de prononcer.
... Quil passa vite pour nous, le temps que nous gardâmes MÉLANIE de la Salette ! Vint le jour de son départ ; elle en était profondément attristée. Vous vous souvenez avec quelle humilité elle se prosternait en vous demandant pardon à grands cris ; et vous, avec des plaintes amères, mais hélas ! plus compréhensibles que les siennes, vous faisiez comme elle ! « Mère, lui disiez-vous, à travers vos sanglots, vous souviendrez-vous de nous ? nous recommanderez-vous au Seigneur ? » Et elle : « Oui, mes filles, toujours je vous porterai dans mon cur ; toujours je prierai pour vous..., je vous laisse pour supérieure la Très Sainte Vierge. »
De Messine elle alla à Moncaliéri ; de Moncaliéri en France. Elle fut à Diou ; elle fut à Cusset. Mais un jour elle dit : « Je ne veux pas rester en France ; je ne veux pas mourir chez les Francs-Maçons. » Cest alors quelle se résolut à retourner dans sa chère Italie, chercher quelque refuge isolé où personne ne la connût, où, dans le silence et la solitude, elle pût se préparer à la mort. Dès ce moment, les feux du divin amour étaient devenus en elle irrésistibles ; elle se sentait fortement attirée au Ciel.
Altamura, de la province de Bari, ville heureuse et bénie, fut le terme de ses pèlerinages terrestres. Elle y arriva en juin 1904. Elle avait alors 72 ans, et était comme à bout de forces. S. E. Mgr Cecchini, le très digne Évêque des deux diocèses dAltamura et dAcquaviva, lui fit grand accueil : il savait quel trésor Dieu envoyait à sa ville épiscopale ! Sur les instantes prières de la Servante du Seigneur, il garda fidèlement le secret de sa venue. Il la confia, sans la nommer, à la noble et pieuse famille Gianuzzi qui ne tarda pas à constater lextraordinaire sainteté de cette admirable étrangère, et se prit bien vite à laimer autant quà la vénérer ; mais Elle, qui, détachée de toute affection terrestre, chassée même de la maison de sa mère, avait passé dans le silence et le secret les premières années de sa petite enfance, Dieu la destinait à mourir dans une chambre étroite, dans un abandon total, loin de la présence, loin des secours de toute créature humaine.
Cest sa coutume, à Dieu, de révéler à ses chers serviteurs le jour et lheure de leur mort. Avait-il réservé cette grâce à la favorite de la Très Sainte Vierge ? nous lignorons. Il faut pourtant remarquer que MÉLANIE CALVAT, trois mois avant sa mort, quitta la pieuse famille Gianuzzi en lui rendant humblement grâces pour sa cordiale hospitalité, et se retira dans un petit quartier de la ville, le plus écarté, là où elle pouvait le plus facilement se cacher à tous les regards. Tous les matins elle se rendait à la cathédrale pour y entendre la Sainte Messe et sy nourrir de « son cher ami de lEucharistie ». Rien quà la voir, les fidèles étaient dans ladmiration devant le recueillement profond de cette inconnue.
Le 15 décembre de cette même année 1904, jour octave de la fête mondiale de lImmaculée Conception, et veille de la neuvaine préparatoire de Noël, on ne vit pas venir à léglise la Servante du Seigneur.
Mgr lÉvêque se hâte denvoyer chez elle son valet de chambre, sinformer si elle a besoin de quelque chose. On frappe à la porte ; pas de réponse. On refrappe, on refrappe avec bruit ; toujours le silence. On va vite prévenir Monseigneur qui, soupçonnant un accident grave, avise lautorité civile. Celle-ci se rend sur les lieux, constate que personne ne répond, brise la porte et entre.
La Servante du Seigneur gisait sans vie sur la terre nue.
De la sorte sont morts de grands saints à qui lÉglise a donné les honneurs des autels ; saint Paul lermite et sainte Marie lÉgyptienne, dans le désert ; saint François Xavier, sur une plage ; et dans une étable, sainte Germaine Cousin, cette bergère de France dont la vie a bien des ressemblances avec la vie de MÉLANIE.
Remarquons pourtant que la miséricorde de Dieu, cette Providence, pleine damour pour ceux qui laiment, avait déjà précédemment pris ses dispositions pour sa servante. En France, avant son départ pour Altamura, elle avait été sur le point de mourir, et, comme si elle eût été sur son lit de mort, elle avait reçu le saint Viatique et lExtrême-Onction. Oh ! bienheureux ceux dont la vie est avec Jésus, dont la vie séteint dans lamour de Jésus ! Beati mortui qui in Domino moriuntur... Elle avait vécu pauvre, solitaire, pénitente ; elle navait désiré que loubli : seule avec Dieu ! Elle voulait mourir comme elle avait vécu !
Mais saurons-nous les inventions délicates et pleines damour de son Bien-Aimé, de celui qui est fidèle et vrai, dans ces solennels moments ? Qui nous dira les secours pleins daffection de lImmaculée, de celle qui, sur la montagne de la Salette, sétait montrée à elle, si belle et si majestueuse ! Et cette assistance réconfortante des anges, ses frères ? Tout cela a été dérobé aux regards des hommes...
La mort de MÉLANIE a été comme limage condensée de sa vie93 !
Mais ce serait se tromper que de voir dans cette mort sur la terre nue la simple conséquence imprévue dune syncope. Non ! son lit, elle ne sen servait pas, la servante de Dieu, innocente pénitente. Nous lavons déjà dit, cest sur la terre nue quelle prenait, pendant quelques heures de la nuit, son repos et son sommeil... Nest-ce pas le cas de sécrier : Moriatur anima mea morte justorum ? Cette « Juste », puissions-nous mourir comme elle mourut ? Puisse la fin de notre vie ressembler à la sienne !
Adieu, âme si belle ! Adieu, créature damour, ouvrage complet de lamour, du très pur et très saint amour de Jésus, le Souverain Bien ! Adieu, Vierge vigilante et prudente ! Quand, dans le calme de la nuit, la voix de lÉpoux tappela, sans retard, tu courus à Lui, avec la Lampe mystique, la lampe remplie dhuile et ruisselante de splendeur !... Pour toi sont finis les travaux, les longs et fatigants voyages, les pèlerinages épuisants, les profondes agonies damour, du saint Amour avec sa faim insatiable et son inextinguible soif de la Justice qui nhabite pas cette terre ! À cette heure, cest le Très-Haut qui est ton héritage !... Oui, cette pensée nous est très douce : les flammes expiatrices nont pas été pour toi, ou du moins ton passage y a été rapide, et te voilà, pour léternité, entrée dans la joie de ton Dieu ! Oui, ils sont réalisés dans le bonheur, ces ardents désirs de lunion sans fin avec le Seigneur, qui, si souvent, tarrachaient ce cri : « Quand viendra lheure ? Oh ! quand lheure viendra-t-elle !... » Sois dans lallégresse, dilate ton cur dans la vision béatifique de ce Jésus, lobjet de tes soupirs, laspiration perpétuelle de ton âme pleine damour, ce Jésus que tu nas pas craint de suivre sur sa voie douloureuse ! Sa croix, elle a été pour toi délices, sourire et joies, « fleur qui jamais ne se flétrit », écrivais-tu souvent ! Oh ! que de fois, semblable à lÉpouse du Cantique, tu as langui damour pour le Bien-Aimé ! Cétait un feu qui sélançait de ta poitrine !... Et quand, entrée dans le royaume de lÉternelle Gloire, quand tu as vu la Reine sans tache, Celle qui avait comme affolé ton cur dun amour denfant, si tendre et si plein de confiance, ce cri : « Madonna mia ! Madonna mia ! » avec lequel tu acclamas la Grande Reine... tout cela, comment pourrais-je le dire !...
Ô MÉLANIE, de ce trône élevé sur lequel Dieu vous a assise au Ciel, vos regards sabaissent-ils encore sur cette terre ? Nous aimez-vous toujours avec ce cur qui nous a tant aimés en ces bas lieux de lexil ? Mais que dis-je ? Est-ce que tout amour dici-bas ne se perfectionne pas au contact de Dieu ? Est-il possible que, dans le Ciel, les Bienheureux naiment pas ceux qui les aiment ? Oui ! En Dieu vous nous aimez... Un jour, pendant que vous étiez au milieu des pauvres orphelines, on vous disait : « Mère (on vous donnait ce doux nom), Mère, une fois partie, vous ne penserez plus à nous. Ah ! répondiez-vous, vous ne connaissez pas mon cur ! »
À cette heure où dans le Royaume de lÉternel Amour vous nous aimez de la parfaite Charité, ah ! ne cessez pas de prier pour nous. Priez pour tous ceux qui vous vénèrent comme une créature céleste. Priez pour ces vierges, « les Filles du Divin Zèle », pour léducation religieuse desquelles vous avez dépensé une année de votre vie, avec des soins plus que maternels, avec une direction sage et éclairée, avec un zèle tout particulier pour les remettre dans la voie du Seigneur. Vous le savez, ces pieuses filles consacrées au Très Saint Cur de Jésus et vouées par vous-même à Marie, la Mère Immaculée, vous regardaient comme une déléguée de la Très Sainte Vierge venue au milieu delles, il y a sept ans, et qui semblait avoir toujours été parmi elles.
Et sur moi aussi, sur moi qui apporte à votre mémoire ce faible tribut dhommages, sur moi qui de votre noble cur ai reçu tant de témoignages de votre pure et sainte dilection, sur moi aussi daignez répandre le puissant secours de vos prières à ladorable Rédempteur Jésus-Christ et à Marie sa Mère immaculée !...
LA RÈGLE DE LORDRE
DE LA MÈRE DE DIEU
« Mélanie, ce que je vais vous dire à présent ne sera pas secret ; cest la Règle que vous ferez suivre exactement à mes filles, qui seront ici lorsquelle sera approuvée par les supérieurs. Mes Missionnaires suivront la même Règle. »
1. Les membres de lOrdre de la Mère de Dieu aimeront Dieu par-dessus toutes choses et leur prochain comme eux-mêmes pour le pur amour de Dieu.
2. LEsprit de cet Ordre nest pas autre que lEsprit de Jésus-Christ en soi et lesprit de Jésus dans les âmes.
3. Les membres de cet Ordre sappliqueront à étudier Jésus-Christ et à limiter, et plus Jésus sera connu, plus ils shumilieront à la vue de leur néant, de leur faiblesse, de leur incapacité à faire un bien réel dans les âmes sans la grâce divine.
4. Ils seront dune obéissance parfaite en tout et partout.
5. Chacun deux se conservera dans une grande chasteté de corps et desprit afin que Jésus-Christ fasse sa demeure en eux.
6. Les membres de cet Ordre nauront quun cur et quune âme en lamour de Jésus-Christ.
7. Aucun naura rien en propre pour soi, mais que tout soit commun, sans ambitionner la moindre des choses passagères ; je veux que mes enfants soient nus, dépouillés de tout.
8. Ils auront une grande charité, sans bornes ; ils souffriront tout de tout le monde, à lexemple de leur Divin Maître et ne feront souffrir personne.
9. Les membres de lOrdre obéiront à leurs supérieurs et leur rendront lhonneur et le respect qui leur sont dus, avec une grande simplicité de cur.
10. La supérieure veillera avec douceur à lobservance de la règle ; de temps en temps elle se consultera avec le Père Missionnaire qui aura soin de vos âmes, afin dêtre aidée dans le bon gouvernement de la maison ; elle sera la plus humble et sera plus sévère pour elle que pour les autres. Elle corrigera les fautes de ses filles avec une grande douceur et prudence ; elle élèvera toujours son âme à Dieu avant de faire une correction.
11. Il y aura dans le sanctuaire le Saint-Sacrement exposé le jour et la nuit, pendant les mois de septembre, de février et mai, où les membres de lOrdre se feront un bonheur de passer dheureuses heures quand la charité ou le salut des âmes ne les retiendront pas ailleurs.
12. Ils mèneront une vie bien intérieure, quoique laborieuse, unissant la vie contemplative à la vie active ; ils se sacrifieront et se feront tous victimes de Jésus et de Jésus crucifié.
13. Ils recevront tous les jours, avec une vraie piété, le Pain de Vie ; vous pourrez cependant retrancher la communion à quelques membres quand vous verrez quils ne suivent pas les traces de Jésus crucifié.
14. Outre les jeûnes commandés par lÉglise, ils jeûneront encore pendant les mois de septembre, février et mai. Ils se serviront de quelques instruments de pénitence ; ceux qui seront trop faibles et ne pourront pas faire les uvres dexpiation, offriront avec humilité et douceur leur infirmité à Jésus-Christ.
15. Ils jeûneront tous les vendredis et feront quelque pénitence. Toutes ces uvres seront offertes pour les âmes du Purgatoire, en faveur de la conversion des pécheurs et pour leur propre avancement dans lamour de Dieu.
16. Les membres de lOrdre seront très humbles et très doux envers les séculiers, et les recevront avec une grande bonté ; ceux qui seront les plus humbles auront la première place dans le cur de Jésus, ainsi que dans le mien.
17. Les membres nauront quun cur et quune âme ; aucun ne tiendra à sa propre volonté.
18. Ils seront dune pureté angélique, ils observeront une grande modestie en tout et partout.
19. Tous garderont un grand silence, évitant avec soin les conversations inutiles avec les étrangers.
20. Les sujets qui voudront être reçus seront dans la disposition bien sincère de se donner à Dieu entièrement et de se sacrifier pour son amour. Ils sattacheront bien à lobéissance, qui les conduira au ciel.
21. Ils ne seront admis au nombre des postulants quaprès avoir fait une retraite de 12 jours, pendant laquelle retraite ils feront au Père Missionnaire, confesseur de la Communauté, une confession générale à travailler de toutes leurs forces à se sanctifier et à acquérir les vertus propres ; sils sont disposés à travailler de toutes leurs forces, à se sanctifier et à acquérir les vertus propres dune Victime qui veut simmoler chaque jour pour le Dieu du ciel et de la terre, ils seront reçus au Noviciat et seront trois mois avant de prendre le costume de lOrdre ; et ils se rappelleront bien quils nont été reçus dans la maison de la Mère de Dieu que pour travailler à leur sanctification par la prière, par la pénitence et par toutes les uvres qui regardent la gloire de Dieu et le salut des âmes.
22. Mes Missionnaires seront les Apôtres des derniers temps ; ils prêcheront lÉvangile de Jésus-Christ dans toute sa pureté par toute la terre.
23. Ils auront un zèle infatigable, ils prêcheront la réforme des curs, la pénitence et lobservation de la Loi de Dieu ; ils prêcheront sur la nécessité de la prière, sur le mépris des choses de la terre, sur la mort, le jugement, le paradis et lenfer, sur la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Ils fortifieront les hommes dans la foi, afin que quand le démon viendra, un grand nombre ne soit pas trompé.
24. On formera bien les nouveaux sujets aux vertus chrétiennes et aux pratiques de lhumilité, de charité, dobéissance, de renoncement et de douceur.
25. Le Noviciat sera de six ans ; ceux qui auront donné la preuve des solides vertus et qui voudront se ranger au nombre des combattants de Jésus-Christ dans cet Ordre, demanderont cette grâce à genoux à la Supérieure, et après que vous leur aurez fait connaître leurs obligations à la Règle que je vous donne, sils vous promettent de lobserver fidèlement, vous les recevrez.
26. Loraison se fera en commun dans le sanctuaire, à lheure qui sera convenable et qui sera établie.
27. On mangera au réfectoire commun ce qui sera nécessaire pour soutenir la vie et pour travailler à la gloire de Dieu ; en même temps que lon donnera au corps ce qui lui convient, lâme se fortifiera par une sainte lecture qui se fera pendant le repas.
28. On aura le plus grand soin des membres infirmes et malades.
29. Si un membre offensait un autre membre par quelque parole ou autre acte, quil répare sa faute le plus tôt possible.
30. Tous les membres de cet Ordre feront la génuflexion chaque fois quils passeront devant le Tabernacle où est Jésus-Christ.
31. Chaque fois que les sujets se rencontreront, lun dira : « Que Jésus soit aimé de tous les curs ! » ; lautre répondra : « Ainsi soit-il ».
32. Les religieuses diront loffice, comme les religieuses de Corenc près Grenoble ; les chapitres et autres pratiques se feront de même.
33. Tous les membres porteront une croix comme la mienne.
Observez bien ma Règle ».
Nihil obstat
VUE
DU COSTUME ET DES UVRES
AUXQUELLES SERONT EMPLOYÉS
LES FILS ET LES FILLES
DE LORDRE DE LA MÈRE DE DIEU
En même temps que la Très Sainte Vierge me donnait les Règles et me parlait des Apôtres des derniers temps, je voyais une immense plaine avec des monticules. Mes yeux voyaient tout. Jignore si cétait les yeux du corps... Mais je serais mieux selon la vérité si je disais que je vis la terre au-dessous de moi, de manière que je voyais lunivers entier avec ses habitants, vaquant à leurs occupations, chacun selon son état (non pas tous par justice mais bien par ambition. Et, par un juste châtiment de Dieu, ils étaient en guerre avec eux-mêmes).
Je vis donc cette immense plaine avec ses habitants. Dans certaines parties les hommes étaient blancs ; en dautres, ils étaient couleur bois, ou bien un peu plus ou un peu moins foncés. Je vis, en dautres pays, des hommes qui étaient presque jaunes, couleur paille bien claire et avec des yeux rouges. Et dautres pays où ils étaient tout noirs comme du charbon. Je vis des pays où les habitants étaient très petits de taille ; et dautres pays où ils étaient fort grands. Eh bien, je vis que les Missionnaires et les Religieuses étaient dans ces pays et dans toutes les parties du globe.
Je vis les Apôtres des derniers temps avec leur costume. Ils avaient une soutane noire, pas très fine, et sans boutons ; des agrafes en tenaient lieu, à la soutane comme à la pèlerine. Leurs chapeaux étaient très grossiers et les cornes bien formées94. Leurs ceintures étaient blanches, dun tissu grossier. Elles étaient à peu près larges comme cette ligne
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et les bouts pendaient presque jusquau bas de la soutane. Sur un des bouts de la ceinture il y avait ces trois lettres, en couleur rouge : M.P.J. (Mourir pour Jésus). Sur lautre bout il y avait ces trois lettres en couleur bleue96 : E.D.M. (Enfant de Marie).
Ils portaient tous une croix assez grande, suspendue au cou par un gros cordon noir ; et le bout du pied de la croix entrait dans la ceinture, du côté gauche. Mais quand ils prêchaient ou faisaient quelque fonction religieuse, elle était suspendue sur leur poitrine. À leur ceinture, du côté droit, était suspendu un chapelet et à ce chapelet il y avait une croix sans Christ. Je vis que les Apôtres des derniers temps avaient des souliers blancs (dans les longues courses ils les portaient noirs) avec une boucle dessus.
Les religieuses qui entraient les premières dans lOrdre de la Mère de Dieu étaient des religieuses de la Providence de Grenoble : jen vis deux et une seule sur converse. Elles furent parmi les premières qui, après avoir reçu lesprit de lOrdre, en prirent le costume en la fête de lIncarnation du divin Rédempteur97. Je vis quelles avaient la robe noire et grossière, faite presque comme un sac98, les manches larges. Leurs souliers étaient blancs, avec les boucles dessus. La ceinture, le chapelet et la Croix étaient comme ceux des Pères. Elles navaient pas de bonnet, mais une chose blanche qui encadrait la figure. Au-dessus était un voile noir, qui pendait assez bas par derrière. Elles avaient une espèce de pèlerine blanche.
Je vis que les Missionnaires prêchaient, confessaient, assistaient les mourants, donnaient des retraites : aux prêtres99, aux rois et à ceux qui composaient leur cour, aux grands, aux soldats, aux employés, aux pauvres, aux enfants, aux religieux, aux religieuses, aux femmes et aux vierges. Je vis, en certains endroits, des Missionnaires auprès des malades, des pauvres, des prisonniers, et baptisant des enfants et des grandes personnes.
En dautres endroits, je vis les Disciples des Apôtres des derniers temps : je compris bien clairement que ces Messieurs que jappelle les Disciples faisaient partie de lOrdre. Cétaient des hommes libres : des jeunes gens qui, ne se sentant pas appelés au sacerdoce, voulant cependant embrasser la vie chrétienne, faire leur salut, accompagnaient les Pères dans quelques missions et travaillaient de tout leur pouvoir à leur propre sanctification et au salut des âmes. Ils étaient très saints et très zélés pour la gloire de Dieu. Ces disciples étaient auprès des malades qui ne voulaient pas se confesser, auprès des pauvres, des blessés, des réunions, des prisonniers, des sectes, etc., etc. Jen vis même qui mangeaient et buvaient avec des impies et plusieurs de ceux qui ne voulaient pas entendre parler de Dieu ni des prêtres. Et voilà que ces Anges terrestres tâchaient, par tous les moyens imaginables, de leur parler, et de les amener à Dieu, et de sauver ces pauvres âmes, qui ont chacune la valeur du sang de Jésus-Christ, fou damour pour nous. Cette vue était bien claire, bien précise, et ne laissait aucun doute sur ce que je voyais ; et jadmirais la grandeur de Dieu, son amour pour les hommes, et les saintes industries dont il usait pour les sauver tous. Et je voyais que son amour ne peut pas être compris sur la terre, parce quil dépasse tout ce que les hommes les plus saints peuvent concevoir.
Je vis donc que lÉvangile de Jésus-Christ était prêché dans toute sa pureté par toute la terre et à tous les peuples.
Je vis que les Religieuses étaient occupées à toutes sortes duvres spirituelles et corporelles, et sétendaient, comme les Missionnaires par toute la terre.
Avec elles il y avait des femmes et des filles remplies de zèle, qui aidaient les religieuses dans leurs uvres. Ces veuves et ces filles étaient des personnes qui, sans vouloir se lier par les vux de Religion, désiraient servir le bon Dieu, vaquer à leur salut et mener une vie retirée du monde. Elles étaient vêtues de noir et étaient très simples100. Elles portaient aussi une croix sur la poitrine, comme les Disciples, mais un peu moins grande que celle des Missionnaires, et elle nétait pas extérieure.
Je vis et je compris que les Apôtres des derniers temps et les Religieuses faisaient les trois vux de Religion. De plus, ils faisaient la promesse de se donner et de donner à la Très Sainte Vierge, pour les âmes du purgatoire, en faveur de la conversion des pécheurs, toutes leurs prières, toutes leurs pénitences, en un mot toutes leurs uvres méritoires. Les Disciples et les femmes faisaient aussi cette promesse ou oblation à la Très Sainte Vierge.
Je vis que les Missionnaires vivaient en communauté, et quils disaient lOffice divin ensemble, au chur. Dans quelques maisons ils nétaient pas nombreux. Je vis que les Disciples qui savaient lire disaient lOffice de la Sainte Vierge dans leur chapelle.
Je vis aussi que les Religieuses, ainsi que les femmes, disaient lOffice de la Sainte Vierge.
Je compris en Dieu que les Apôtres des derniers temps devaient marcher sur les traces des Apôtres de la primitive Église de Jésus-Christ, avec cette différence que le Supérieur général avait soin de rappeler (quand cela se pouvait faire), chaque année, les membres de lOrdre dans la Maison centrale, pour faire une retraite de dix jours. Et je vis que, quand des membres de lOrdre étaient très éloignés, cette retraite se faisait dans chaque maison ; ou bien ils se rendaient dans une des Maisons centrales de la Province. Ces retraites se faisaient dans le but de se retremper dans la ferveur, et dans lobservance de la Règle.
Je vis que les Supérieurs changeaient et envoyaient des sujets dans une des Maisons de lOrdre, établie exprès pour les infirmes et pour les membres qui avaient perdu leur première ferveur par linfluence et la contagion des grands de la terre, et qui sétaient rendus mous et avaient perdu la charité et le zèle. Les malades étaient bien soignés dans cette maison 101.
Je vis que notre doux Sauveur regardait les ouvriers de cet Ordre avec beaucoup de complaisance, parce quils servaient le bon Dieu avec un entier et complet dévouement, sans recherche deux-mêmes. Étant entièrement détachés de toutes les choses de la terre, ils étaient totalement entre les mains de la Providence de Dieu, remplis de foi et de confiance en Dieu.
Je vis les âmes du Purgatoire comme en fête, pour les bienfaits quelles recevaient des Apôtres des derniers temps et des Religieuses ; et je vis que les âmes souffrantes du Purgatoire, qui étaient délivrées ou qui avaient encore quelque chose à expier, et qui en avaient le pouvoir, priaient beaucoup, et que de nombreuses conversions se faisaient par leurs prières. Car je vis que Dieu voulait que les Missionnaires et les Religieuses de cet Ordre missent toutes leurs prières, pénitences et bonnes uvres entre les mains de Marie, leur première Supérieure et leur Maîtresse, pour les âmes du Purgatoire, en faveur de la conversion des pécheurs du monde entier.
Je vis et je compris que le bon Dieu voulait que cet Ordre luttât contre tous les abus qui ont amené le décadence du Clergé et de létat religieux et la ruine de la Société chrétienne.
Beaucoup dOrdres et de Congrégations religieuses rentraient dans leur première ferveur, par les soins et les exemples des Pères ; ou bien se fondaient dans lOrdre de la Mère de Dieu.
Je vis que cet Ordre ne recevait jamais jamais pour Missionnaires ni pour Religieuses des personnes dont les parents avaient besoin de la charité dautrui, ou besoin de ce fils et de cette fille pour les servir. Et quand les parents de quelquun des membres étaient tombés dans la misère, la Communauté, par amour pour le quatrième Commandement, par prudence, par charité, et pour la tranquillité de ses membres, dont les parents étaient affligés, donnaient abondamment, selon ses besoins, à cette famille. Et cela se faisait avec une grande charité, avec une grande joie, et reconnaissance envers Dieu, de ce quil donnait à la Communauté loccasion de soulager les membres de Jésus, qui sest donné à nous tout entier.
Je vis que les membres de lOrdre de la Mère de Dieu faisaient tous leurs efforts pour se dépouiller entièrement de lesprit du siècle corrompu, savancer dans lamour de Dieu et acquérir les vertus de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils avaient de très bas sentiments deux-mêmes. Ils étaient très unis entre eux, nayant ni ambition, ni envie, ni jalousie, ne désirant en toutes choses que de plaire à leur Divin Maître ; ne désirant rien hors du Cur de Jésus, où ils habitaient plus ou moins étroitement, selon que leur amour était plus pur et plus généreux. Cet amour de Jésus produisait en eux les fruits dune grande obéissance, dune profonde humilité et simplicité, dune très grande mortification, dun zèle très ardent, et dun parfait abandon entre les mains du Divin Maître.
Je vis que cet Ordre était comme le foyer de toutes les uvres, et comme un autel perpétuel où la prière était incessante pour les divers besoins de la Sainte Église, pour les âmes tièdes et pour la conversion des pécheurs du monde entier.
Léon BLOY, 1908
NOTES
1. En pleurant ! Les Anges ne pleurent pas, mais la Reine des Anges pleure, et cest pour cela quElle est leur Reine.
2. « Le peuple ne veut pas se soumettre et la Cité du Très-Haut est forcée ! » Représentez-vous les Anges et les Saints poussant cette clameur dalarme dans le ciel !
3. Chien. Je rappelle que telle est lexpression dont il a plu à la Mère de Dieu de se servir.
4. Sur cette question de lauberge et des aubergistes, voir le chapitre XXV du présent ouvrage.
5. Voir chapitre XXV.
6. Témoignage de lÉvangéliste saint Matthieu : chap. XIII, v. 34.
7. Moniteur du 21 septembre 1846.
8. Job, XXIX, 18, 19 et 20.
9. Hymne O quot undis lacrymarum, fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs.
10. Prov. VIII, 24, 25.
11. Thren. I, I, 2.
12. Cant. II, 14.
13. Écho de la Sainte Montagne, par Mlle des Brulais, Nantes, 1854.
14. Missa Spineae D. N. J. C. Introitus.
15. Léon Bloy : Le Désespéré.
16. Léon Bloy : Le Fils de Louis XVI.
17. Joël III, 18. Joël planus in principiis, in fine obscurior, a dit saint Jérôme parlant à des hommes qui ne pouvaient pas connaître le Sacré-Cur.
18. Videte canes, videte malos operarios... Philip. III, 2.
19. I Petr. III, 20.
20. Les quatre derniers mots donnent lidée dune construction défectueuse et amphibologique. Raison de plus, semble-t-il, pour les respecter.
21. Défense et explication du Secret de Mélanie de la Salette. Nîmes, 1881.
22. « Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude », avait déjà dit Molière.
23. Là, elle fut relevée des vux non solennels quelle avait faits, en février 1856, au Carmel dAngleterre. De laveu de Pie IX, en effet, la mission que la Sainte Vierge lui avait confiée à la Salette lui défendait de rester cloîtrée. Bientôt même vint de Rome, consultée à son sujet, cette autre réponse : « Cachez-la autant que vous le pourrez. » Cétait par crainte du carbonaro couronné, lhomme au « cur double », dénoncé comme tel par la Sainte Vierge elle-même à sa confidente, avec ordre précis de dire à Pie IX : « Quil se méfie de Napoléon ! » ce que fit celle-ci dans la rédaction de son secret pour le Saint-Père, secret qui fut remis à Sa Sainteté, le 18 juillet 1851, comme on la déjà vu. LEmpereur ne pouvait supporter Mélanie, se sentant visé défavorablement par son Message. Aussi fut-il donné suite à ce prudent avis.
24. Les documents relatifs à cette honteuse affaire ont été publiés, en 1898, chez léditeur Chamuel, à Paris. Mélanie, Bergère de la Salette, et le cardinal Perraud.
25. Mélanie habitait à Altamura une petite maison « hors les murs ». Elle y était seule depuis peu de temps ; et, seul de son diocèse, Mgr Cecchini savait quelle était la sainte dont on lui avait confié la garde. Tous les matins elle se rendait à la cathédrale, assistait au Saint-Sacrifice, communiait et allait ensuite à lévêché prendre un peu de café sans pain, puis se retirait dans sa solitude. Cétait toute sa nourriture pour la journée. Vers midi, Monseigneur, qui navait pas eu encore loccasion de surprendre ce don de vivre presque sans nourriture, lui faisait porter, par un familier de lévêché, son repas quelle donnait aux pauvres. Le 15 décembre, ne la voyant pas à la cathédrale, il prit de linquiétude et envoya chez elle. Les volets étaient fermés et aucune réponse nayant été faite, il se décida à faire prévenir les autorités civiles. La porte fut ouverte et on trouva la pieuse fille morte, par terre. Elle était entièrement vêtue, ses vêtements modestement disposés ; ses bras en croix formaient comme un appui pour son front. On neut quà la mettre religieusement dans le cercueil...
26. Manifestatio Immaculatae V. M. a Sacro Numismate. Graduale. Missale Romanum.
27. Secret de Mélanie, 2e alinéa. « Il y a ceci de remarquable, faisait observer, il y a 30 ans, Amédée Nicolas, quaucune communauté religieuse de femmes na réclamé. Seuls les prêtres séculiers ou réguliers ont poussé des cris. »
28. Le Salut par les Juifs.
29. Ce quelquun, à proprement parler, neut pas de lit de mort. Un matin, il fut trouvé mort sur son plancher, comme, plus tard, Mélanie mais, au contraire de la sainte fille, dévêtu, les bras tordus, les poings crispés, le visage, les yeux, exprimant leffroi dune horrible vision.
30. Notre Dame de la Salette et ses deux Élus. 160 lettres de Mélanie. Paris, Weibel, 9, rue Clovis.
31. Expulsés de la Sainte Montagne, les anciens Missionnaires emportèrent la caisse, les vases sacrés couverts de pierreries et jusquau Diadème de la Sainte Vierge !!! Il fallut recourir au Pape pour leur faire rendre ces richesses du Pèlerinage.
32. Notre Dame de la Salette et ses deux Élus.
33. LÉvangile est-il fermé, oui ou non ? me demandait, il y a plus de 25 ans, un assomptionniste fameux, ennemi des prophéties et des illuminations exceptionnelles. Moins que vous, mon cher père, lui répondis-je. Ce nétait pas très spirituel, mais on fait ce quon peut, dans le dernier carré.
34. Depuis lApparition, dit labbé Félicien Bliard, la Bergère a toujours conservé une vue claire et distincte de toutes les parties du Secret, bien quil soit dune grande étendue et tort complexe ; elle a gardé le souvenir fidèle de toutes les paroles de la Très Sainte Vierge et lintelligence de tout ce quelle a entendu. En même temps que la Vierge parlait à la petite Bergère, celle-ci était élevée à une sublime vision dans laquelle elle voyait clairement tout ce qui lui était dit. Et pendant un quart de siècle, rien ne lui a échappé, tout est resté fidèlement gravé dans son esprit. De là cette connaissance si assurée quelle semble avoir de lavenir. Dans les longs entretiens que jai eus avec elle, jai été frappé de la lucidité, de la précision, de la fermeté inébranlable de ses idées. En la ramenant sur le même sujet, je la trouvais toujours semblable à elle-même, sans ombre dhésitation. Du reste, elle est sobre de paroles et je lai trouvée admirable de simplicité, de candeur et de prudence. Lorsque, dans nos conférences, je touchais à des points quelle ne doit pas encore découvrir, javais lieu dadmirer son silence ou ladresse avec laquelle elle savait éluder toute réponse. »
35. Notre Dame de la Salette et ses deux Élus. La correspondance de Mélanie (160 lettres) donne à ce livre un intérêt extraordinaire et surnaturel. On a comme la sensation davoir heureusement escaladé la Montagne des Prophètes qui est « au-dessus du globe de la terre », daprès Anne-Catherine Emmerich.
36. Lancien maire de Corps, M. Barbe, a, dans ses mains, un billet de 200 fr. (je crois) que Maximin avait emprunté aux Missionnaires pour ne pas mourir de faim. Il la retiré après la mort de Maximin, la payé afin davoir cette preuve de leur dureté et de leur avarice. M. Barbe, à qui jai écrit vainement pour avoir une photographie de ce document, vit-il encore ?
37. Défense et explication du Secret de Mélanie. Nîmes, 1881.
38. Mélanie, Bergère de la Salette, et le cardinal Perraud, Paris Chamuel, 1898.
39. Je demande pardon pour la liberté que jai lair de prendre avec le texte de saint Luc, mais il mest impossible de ne pas me souvenir de Noël, quand je pense aux deux sublimes enfants pauvres sur leur Montagne : « Vous avez trouvé de jeunes enfants enveloppés de langes et posés dans une crèche. »
40. Ecclésiastique, XLVIII, 27.
41. Où nentraînerait pas un tel travail ? Il faut une longue étude des Livres Saints pour savoir combien il est difficile de trouver son chemin dans la forêt toujours vierge des Assimilations. Exemple : Le Discours parle des noix qui deviendront mauvaises. Or, la Vulgate les nomme exactement six fois, cinq fois dans lExode, où elles prêtent leur forme aux bobèches du Chandelier du Tabernacle, et une seule fois dans le Cantique des Cantiques, lorsquil est question de Marie qui descend dans son jardin : « Qui est Celle qui vient, se levant comme laurore, belle comme la lune, élue comme le soleil, terrible comme larmée des osts ordonnée ? Je suis descendue dans le jardin des noix, afin de voir les pommes des vallées, et pour regarder si la vigne était en fleur et si germinaient les grenades. » Cant. VI, 9 et 10. Ce texte, lu à la Salette, par un chrétien attentif, pourra lui sembler un peu formidable.
42. Cétait le 14 juillet 1907. Mgr Henry parlait, du haut de la chaire de la Salette, à plus de mille pèlerins : « Vous êtes venus en foule... en cette Fête nationale et MARIALE !!!? » leur disait-il, signifiant ainsi une sorte de plain-pied festival entre les assassins de la Bastille et Notre Dame des Sept Douleurs.
« ... Monseigneur expose ensuite le Fait de la Salette... Il distingue avec soin le Message public et le Message secret. Les enfants reçurent lordre et la mission de « faire passer le premier à tout le peuple de Marie », cest-à-dire au monde entier (ce que la haine na pas permis) ; le second nétait destiné quaux Bergers eux-mêmes (Démenti épiscopal à la Sainte Vierge qui avait dit à Mélanie : Vous pourrez le publier en 1858) qui, parfaitement conscients de cette distinction nécessaire (?) et toujours prêts à redire le Discours de la Belle Dame, ne consentirent, après cinq ans de silence et de réserve absolue, à révéler leurs Secrets quau Pape seul. À ce propos, Sa Grandeur met en garde les fidèles contre tous les écrits et commentaires fantaisistes qui circulent et prétendent reproduire le « Secret de Mélanie ». (Reproduction bénie par Pie IX, approuvée par plusieurs évêques, encouragée, 25 ans, par le silence de Léon XIII. Mais cela ne suffit à aucun évêque de Grenoble.) Encore une fois, le Pape seul. À ce propos, Sa Grandeur met en garde les fidèles contre toutes les élucubrations publiées récemment. LÉvêque de Grenoble attend que Rome ait parlé. (Toujours même tactique du Démon. Si Rome parlait, on lui répondrait comme Fava : « Prouvez-moi que vous avez raison. »)
Annales de Notre-Dame de la Salette
43. Les prie-Dieu capitonnés. Prévarication dénoncée par saint Jacques, II, 2, 3, 4.
44. Les chefs, les conducteurs du peuple de Dieu ont négligé la prière et la pénitence... 5e paragraphe du Secret.
Ceux qui conduisent les charrettes
ne savent pas parler sans mettre le nom de mon Fils au milieu45. Il est inutile de faire observer lactualité de cette page, écrite il y a plus de vingt ans.
46. Léon Bloy : Mon Journal. « Lettre sur lincendie du Bazar de Charité. »
47. Une tradition porte que la France, après de longues iniquités, à une époque qui ressemble à la nôtre, se réveillera, un matin, sans voir se lever le soleil. Plusieurs jours durant, elle demeurerait dans les ténèbres au milieu desquelles des spectres, sortis de lenfer, viendraient tourmenter les vivants.
Il existe une prédiction analogue de la Vénérable Anna-Maria Taïgi, morte en 1837.
48. On sait que lApparition eut lieu un samedi, le 19 septembre 1846, veille, cette année-là, de la fête de N.-D. des Sept-Douleurs, et à lheure des premières vêpres. Cétait aussi le dernier jour des Quatre-Temps de septembre. Le matin même, la grande Liturgie fériale avait lu ces paroles du Lévitique : « Cest le jour très fameux des Expiations et il sera appelé Saint... Cest le jour de propitiation pour vous réconcilier au Seigneur. Toute âme qui ne se sera pas affligée en ce jour périra. » Et bientôt après, à lÉvangile, ô miracle ! lhistoire, précisément, de la Femme courbée depuis dix-huit ans, redressée par Jésus et glorifiant Dieu !!! Missel romain.
49. Quatre fois dans saint Luc, deux fois dans saint Jean. Chaque fois, Elle monte un des Six degrés du Trône divoire de ce Salomon éternel, à la droite de qui est marquée sa place, au milieu des Douze Lionceaux de lApostolat. Il Par. IX, 18 et 19.
50. Matth. XXV, 35 et 42.
51. Quelques-uns ne manqueront pas de dire que je suis un ennemi de Lourdes. Hélas ! je donnerais facilement ma vie, Dieu le sait, et je consentirais à subir des tourments affreux plutôt que de décrier un sanctuaire où Marie sest manifestée par des prodiges. Je sais, dailleurs, que le miracle de Lourdes a été une suite du miracle de la Salette, comme larc-en-ciel est une suite de lorage, et jespère, un jour, le montrer beaucoup mieux que par cette image. Maïs cest le droit de tout chrétien davoir une préférence, un attrait particulier. Je crois même que cest son devoir de le suivre, Dieu lui désignnant ainsi son chemin.
« Je demande deux choses », écrivais-je, il y a quelques années : « 1° un chrétien bien portant allant à Lourdes pour y obtenir le bienfait de la maladie ; 2° un autre chrétien riche, guéri à Lourdes par le plus indubitable miracle, et revenant distribuer tout son bien aux pauvres. Tant que je naurai pas vu ces deux choses, je croirai que lEnnemi a voulu profaner, par le Cabotinage, la Médiocrité et lAvarice, le lieu unique où fut AFFIRMÉ celui de tous les Mystères quil doit le plus abhorrer : lImmaculée Conception. »
La Vierge de Lourdes a recommandé la pénitence, objectera-t-on. On sait ce que cest que la pénitence des gens du monde.
52. Marie dAgreda.
53. 1858 ! Lannée de lApparition de Lourdes !
54. Le cardinal Prosper Caterini, secrétaire et non préfet de la congrégation, comme on le publia par erreur alors, né en 1795, premier diacre du titre de Sainte-Marie-in-Via-Lata, mourut lannée daprès, en octobre 1881, à lâge de 86 ans. Requiescat in pace, ainsi que Mgr Cortet, mort il y a quelques années seulement.
55. On a poursuivi lannée dernière, pour faux en écritures, un ecclésiastique superbe qui avait accusé Mélanie dêtre une FAUSSAIRE. Sicut fecit sic fiet ei.
56. Cette page, tout à fait inédite, complète ou confirme ce qui a été dit plus haut, chap. XIV, du don de prophétie conféré à la Bergère.
57. Ps. 67, v. 14. Matines de Pentecôte. Ce psaume chargé de mystère appartient liturgiquement au Saint-Esprit.
58. Conformité presque littérale avec le 30e alinéa du Secret de Mélanie, cité dans lintroduction du présent ouvrage.
59. Traité de la vraie Dévotion à la Sainte Vierge, 1re partie, chap. I : Jai espéré en attendant.
60. Paris, Plon, 1890.
61. On sait aussi, depuis plus d'un demi-siècle, que c'est un signe de modestie, chez les catholiques modernes, d'écrire d'une manière épouvantable, et que cela est soigneusement enseigné dans leurs Instituts, à tel point que tout ce qui fut écrit postérieurement aux Oraisons funèbres, ou à la Henriade, est jugé négligeable, détraquant ou libidineux. Le sublime Père Picard m'affirma un jour, à la honte de son ordre, qu'Ernest Hello était un FOU. Son successeur, le Père Bailly, et ses éliacins de la Croix ou du Pèlerin, ont vraiment abusé de la doctrine.
62. Mgr Ginoulhiac dit à Mélanie : « Je viens de voir Maximin qui a refusé de me dire son secret, à moi, son évêque !!! Il sen repentira !!! Mais vous, vous êtes plus raisonnable, vous avez plus de connaissance que lui ; je pense que vous nallez pas refuser dobéir à votre évêque... » Et sur le refus de la pauvre enfant de désobéir à la Sainte Vierge, il lui fit la même menace : « Vous vous en repentirez ! » Il ne tint que trop parole. Quand vint pour elle le moment de faire profession, de prononcer ses vux chez les Religieuses de la Providence de Corenc, il sy opposa, malgré les Religieuses qui disaient combien elle était pieuse, et chercha, par tous les moyens et vexations possibles, à la faire partir. Finalement il lembarqua pour lAngleterre, avec défense de le dire même à ses parents. Bien mieux, il donna des ordres pour la forcer à faire des vux de clôture. Comme elle refusait de les faire, à cause de la mission quelle aurait à remplir après 1858, et quaucune pression, aucune insistance ne pouvait vaincre sa résistance, les religieuses lui dirent : « Où irez-vous ? Mgr G*** nous a écrit que si vous revenez dans son diocèse, il vous excommuniera partout où vous résiderez. »
63. Je me suis exprimé plus fortement encore, à lépoque des Missionnaires. La Femme pauvre, pages 100 et 101.
64. LÉcho de la Sainte Montagne, par Mlle des Brulais. Chez Henri Douchet, à Méricourt-lAbbé (Somme), il nexiste pas de livre plus recommandable sur les commencements de la Salette.
65. Léon BLOY, Le Fils de Louis XVI. Ce nest pas ici le lieu de montrer, ne fût-ce quen raccourci, lhistoire effrayante et fantasmatique de Louis XVII. Lire Le Dernier Roi légitime de France, par Henri PROVINS, et linestimable ouvrage plus récent dOtto FRIEDRICHS : Correspondance intime et inédite de Louis XVII.
66. Le Fils de Louis XVI.
67. Mélanie est morte le 14 décembre de la même année. Cette lettre précieuse peut donc être considérée comme une sorte de testament. Il va de soi que le style de la Bergère a été scrupuleusement respecté.
68. Je ne souligne pas ces dernières lignes. Mélanie ne les ayant pas soulignées elle-même. On est prié seulement de les remarquer.
69. Cet endroit, non plus que le précédent, na pas été souligné par Mélanie.
70. Ce chef-duvre de lart est dune ânerie et dune laideur incompréhensibles pour quiconque ignore la profonde inintelligence esthétique des chrétiens modernes.
71. Il faut être missionnaire de la Salette ou rédacteur de La Croix pour écrire une telle réclame, où TOUS les mots sont ridicules.
72. Le cardinal Guibert, délégué de Léon XIII, ne voulant, à cause de son grand âge, monter les marches du reposoir, un missionnaire prit le diadème et le plaça lui-même sur la tête de la statue de plâtre. On la mit au rebut, quand la statue de marbre fut achevée. Laquelle des deux est couronnée ? Ni lune ni lautre. 1° Le Saint-Père ne couronne pas une statue en plâtre ; 2° Il est essentiel que la couronne soit placée par le délégué : il peut se faire aider, mais il faut quil intervienne physiquement ; 3° La statue doit être celle qui sera honorée.
Le décret du couronnement de Notre-Dame de la Salette na donc pas été exécuté ! Quand on lexécutera, on couronnera la vraie statue de lApparition. La prière de Mélanie : « Mon Dieu, ne permettez pas que lerreur de 1Évêque de Grenoble et du Père Berthier triomphe, etc. » ne pouvait être plus complètement exaucée. Tout fut manqué, même le Discours. Mgr Paulinier, qui devait le prononcer, se trouva fatigué, Mgr Fava LUT des tirades contre les francs-maçons. Même la procession, on ne put la faire. Aucun ordre dans cette foule mécontente. Aucun miracle na été accordé aux prières faites devant cette statue. Mélanie avait dit : « La statue du faux couronnement ne fera jamais de miracles. »
73. Mélanie avait alors quatorze ans et dix mois, mais ni grande ni forte, elle en paraissait à peine dix. Elle était par tempérament très timide, et ses longues années de services chez des étrangers, ainsi que le peu de tendresse de sa mère qui ne lavait jamais embrassée, navaient pas servi à réformer ce défaut de caractère. Mais la pieuse enfant, que le Ciel avait visitée longtemps avant 1846, recherchait surtout la solitude pour être unie à Dieu. Son « Aimable Frère » lui avait dit : « Ma Sur, fuyez le bruit du monde, aimez la retraite et le recueillement : ayez votre cur à la Croix et la Croix dans votre cur ; que Jésus-Christ soit votre seule occupation. Aimez le silence et vous entendrez la voix du Dieu du Ciel qui vous parlera au cur ; ne formez de liaison avec personne et Dieu sera votre tout. »
74. Maximin navait quonze ans et portait au moins trois ans au-dessus de son âge. Il navait jamais été en service et navait été demandé à son père, charron à Corps, que pour remplacer, pendant huit jours, un berger malade. Le père sy était refusé dabord, disant que « Mémin », étourdi comme il était, laisserait tomber les vaches dans les précipices ; il navait cédé que sur la promesse quil y aurait toujours quelquun pour le surveiller. « Mémin » était aussi candide que vif, indiscret et espiègle : « Garde-moi, je serai bien sage », quelle simplicité ! Mais cétait la turbulence et le mouvement perpétuel ; et quoique très intelligent, il était si inattentif, quen trois ans son père avait eu de la peine à lui apprendre le « Notre Père » et « Je vous salue Marie » ; il lappelait « linnocent ».
Mélanie ne savait ni ne comprenait le français. Maximin ne le parlait pas, mais il en comprenait quelques mots.
75. Au lieu de gronder létourdi qui, dun leste coup de pied, avait fait rouler au bas de la montagne le premier petit pain, non seulement elle partage avec lui le second, mais ne pense quau besoin quil doit avoir de manger et ne songe pas à elle. Les privations, les pénitences que cette frêle enfant simposait depuis des années, et quelle a continuées toute sa vie, ont été plus quhéroïques : elles ont été miraculeuses.
76. Le 19 septembre, cette année-là, tombait la veille de la fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs, dont lÉglise récitait les premières Vêpres à lheure même de lApparition. Le discours de la Sainte Vierge, son vêtement, ses larmes, le chemin quelle fit, qui a exactement les sinuosités de celui du Calvaire, tout fut en rapport avec cette fête, afin que nous ne doutions pas que nos révoltes contre Dieu et son Église sont les sept glaives qui, au pied de la Croix, ont transpercé son cur.
77. Létourdi, dont tout le temps se passait à Corps en amusements de son âge, sennuie comme la veille et demande encore à jouer. La Bergère, qui ne sest jamais amusée, lui apprend alors à faire un « Paradis » !...
Marie a réuni ses deux chers enfants, de caractères si opposés, et la main de sa providence a su amener « linnocent » sur la montagne dune manière si naturelle, que le berger remplacé, qui, demain, sera guéri et reprendra son service, dira avec une charmante ingénuité : « Jai bien eu du malheur ! Comment donc ? Je suis tombé malade : sans cela jaurais vu la Sainte Vierge ! Cest moi que Mémin a remplacé... Puis, tout justement, cest pendant ces huit jours quil a vu la Sainte Vierge. Ah ! Monsieur, sans cette maladie, cest moi qui aurais vu la Sainte Vierge ! »
Ce jeune homme était doux, tranquille et pieux. Mais il fallait à la Mère de Dieu un bon étourdi, comme Maximin, qui ne vît rien dans lApparition, et qui ne saperçut pas lui-même.
78. Puisquil na pas encore été question de la Belle Dame, lempressement de Mélanie à signaler cette particularité dénote son admiration de la bonté de la Sainte Vierge qui témoigna ainsi quelle avait agréé leur petite récréation.
79. Le premier sentiment de Maximin, qui navait jamais eu dapparition et crut que Mélanie avait peur, fut différent. « Va, dit-il, prends ton bâton » et brandissant le sien avec menace : « si elle nous touche, je lui en jetterai un bon coup ». Déjà la lumière sétait ouverte : Mélanie reconnu aussitôt la Sainte Vierge et fut saisie de crainte, presque deffroi de voir pleurer la Sainte Vierge, quelle navait jamais vue que dans la béatitude.
80. La Sainte Vierge parle ici au nom de Dieu, et le Christ vivant quelle portait sur son cur prononça les paroles en même temps.
81. Sans lobservation du Dimanche, il ne peut y avoir de vie religieuse. Voilà quinze siècles que Tertullien répétait ces paroles aux fidèles de son temps : « Sans le Dimanche il ne peut y avoir de chrétiens. Non est christianus dominica. » Aussi, au milieu des questions adressées par les persécuteurs aux martyrs, on distinguait surtout celle-ci : « Observez-vous le dimanche ? » et, sur leur réponse affirmative, cétait assez, on reconnaissait là le christianisme pour ainsi dire tout entier. Mais la Sainte Vierge reproche à son peuple un second crime plus énorme encore que la violation du Dimanche, cest le Blasphème. Lorsque toute bouche, non seulement ne prie plus, mais blasphème ; lorsquun peuple entier, comme en France, noublie pas seulement dhonorer Dieu, mais linsulte et le nie, quels châtiments ne mérite-t-il pas ? « Ce sont les deux choses qui appesantissent tant le bras de mon Fils. »
82. Ces menaces étaient conditionnelles : « Si mon peuple ne veut pas se soumettre. » Le mouvement de conversion qui se produisit après lApparition ne fut pas suffisant : la plupart se sont réalisées à la lettre.
La Sainte Vierge avait dit que les pommes de terre continueraient à se gâter et quà Noël il ny en aurait plus. Or, dès le commencement de lhiver, les pauvres gens mouraient de faim dans la montagne : ils navaient pas seulement une pomme de terre à manger. Il en fut ainsi dans toute la France et à létranger, mais surtout en Irlande. Tous les journaux de Londres du 21 janvier 1847 disaient : « La perte résultant, pour lIrlande seulement, du manque de récolte des pommes de terre peut être évaluée à 12 millions de livres sterling, faisant 300 millions de francs. » (Gazette du Midi, 28 janvier 1847.) Cette disette ayant continué plusieurs années, la population de lîle descendit en 1866-1867, de huit millions à cinq millions. Ces trois millions dIrlandais moururent de faim ou émigrèrent...
Elle avait dit que le blé serait mangé par les bêtes et tomberait en poussière. Or, la maladie du « pictin » se déclara en 1851, et causa en Europe des pertes énormes.
Voici ce quun correspondant de lUnivers écrivait sur cette maladie du blé, numéro du 15 juillet 1856 :
« Jai ouvert les alvéoles ou pailles desséchées. Les unes ne renferment aucune graine, ce sont sans doute celles qui ont été envahies les premières et quand les embryons étaient à peine noués. Les autres renferment un grain amaigri et desséché que rien ne nourrit ; ce sont celles qui ont été envahies plus tard. Dans les unes et les autres nous avons trouvé, sous forme de poudre jaune, des petits vers qui, sans doute, produisent tous ces ravages. Chacun peut, aujourdhui, constater le même phénomène : il suffit de se rendre au premier champ de blé, de prendre en mains quelques épis, douvrir les corolles marquées à leur racine dune tache noire, et lon verra pulluler les animalcules... »
Elle avait dit quil viendrait une grande famine et Que les hommes feraient pénitence par la faim. Or, en 1854-1855, le blé se vendait en France 55 et 60 francs les cent kilogrammes. Daprès des statistiques publiées par le Constitutionnel et lUnivers en 1856, la cherté des vivres aurait amené en France, pour les deux années 1854 et 1855, la mort de cent cinquante-deux mille personnes ; et de plus dun million, pour toute lEurope, daprès les autres journaux. Et lUnivers du 12 décembre 1856 ajoutait : « Sous cet euphémisme Décès résultant de la cherté, il faut lire : Morts de misère et de faim... On ignore le chiffre de 1856, mais la cause na pas disparu... »
En Espagne le gouvernement acheta du blé pour 60 millions de réaux, afin déviter la disette. En Pologne, les vivres étaient si chers, en 1856, que lempereur de Russie augmenta dun tiers le traitement des fonctionnaires.
Elle avait dit quavant la famine, les petit enfants prendraient un tremblement et mourraient entre les mains des personnes qui les tiendraient. Or, en 1847, la réalisation de la menace débuta par une grande mortalité des petits enfants dans le canton de Corps. En 1854, dans la France, soixante-quinze mille enfants au-dessous de sept ans moururent de la suette. Un froid glacial les saisissait, suivi dun tremblement qui amenait la mort après deux heures de souffrances.
Elle avait dit que les noix deviendraient mauvaises. Or, un rapport adressé en 1852 au ministre de lintérieur a constaté que la maladie des noyers avait anéanti cette récolte, lannée précédente, dans le Lyonnais, le Beaujolais et lIsère et que cétait une calamité pour ces régions, dont la récolte des noix est une des principales ressources.
Elle avait dit que les raisins pourriraient. Or le fléau dure encore. Voilà bientôt 60 ans que les raisins pourrissent...
Le seul accomplissement des menaces prophétiques publiques ne suffit-il pas pour quon dise : Si la Salette nest pas un article de foi, cest un article de bonne foi ; si la Salette nest pas un dogme, cest une grâce immense dont on na pas assez profité ?
En commentant et méditant le Secret, verset par verset, nous verrons que ses menaces prophétiques, plus nombreuses et beaucoup plus graves que celles du discours public, se sont pleinement réalisées jusquà ce jour. Cest le flambeau divin par excellence, car la prophétie nest possible quà Dieu. Il est évident quil est au-dessus du pouvoir des créatures, non seulement de diriger les évènements lointains, mais encore de les prévoir avec certitude, quand leurs causes nexistent pas encore.
La grande Apparition de la Salette a été éclairée de tous les flambeaux. Trois ans et quelques mois après, M. labbé Michel Perrin, qui desservait le pèlerinage, attestait, les pièces en main, plus de deux cent cinquante guérisons obtenues par linvocation de Notre-Dame de la Salette. La fontaine, qui ne « fluait » quà la fonte des neiges ou à la suite des grandes pluies, et qui, depuis, résiste à toutes les sécheresses, est un miracle permanent.
Flambeau divin, les interrogatoires quon fit subir aux enfants. Nétait-il pas miraculeux de voir deux enfants qui, la veille, ne parlaient pas le français, débiter un long discours sans comprendre, et sexpliquer aisément en cette langue ? « Les interrogatoires les plus subtils ne les effraient point, les phrases les plus captieuses ne les déconcertent point ; ils échappent à tous les pièges au moyen de réponses claires et péremptoires. Confrontés ou séparés, leurs dépositions sharmonisent, se complètent, se corroborent, et cela sur des détails sans valeur. Les théologiens se sont avoués vaincus, les jurisconsultes et les savants, dabord dune hardiesse extrême, craignirent bientôt dy voir trop clair. Après lun de ces interrogatoires, on disait à Mélanie :
Mon enfant, nêtes-vous pas ennuyée de répéter si souvent les mêmes choses ?
Non, Monsieur.
Cela doit pourtant vous ennuyer, surtout quand on vous fait des questions embarrassantes ?
Monsieur, on ma jamais fait des questions embarrassantes... »
Silence et stupéfaction ! Tout lauditoire se regarde, et chacun est très embarrassé de sêtre ainsi évertué en vain.
Labbé Dupanloup, qui devint évêque dOrléans, avouait avoir été battu par ces deux enfants. « Il faut remarquer, écrivait-il le 11 juin 1848, que jamais accusés nont été, en justice, poursuivis de questions sur un crime comme ces deux pauvres petits paysans le sont depuis deux ans sur la vision quils racontent. À des difficultés souvent préparées davance, quelquefois longuement et insidieusement méditées, ils ont toujours opposé des réponses promptes, brèves, claires, précises, péremptoires. On sent quils seraient radicalement incapables de tant de présence desprit, si tout cela nétait la vérité. On les a vu conduire, comme on conduirait des malfaiteurs, sur le lieu même, ou de leur révélation ou de leur imposture ; ni les personnages les plus graves et les plus distingués ne les déconcertent, ni les menaces et les injures ne les effraient, ni les caresses et la douceur ne les font fléchir, ni les plus longs interrogatoires ne les fatiguent, ni la fréquente répétition de toutes ces épreuves ne les trouve en contradiction, soit chacun avec lui-même, soit lun avec lautre. »
Cette assistance surnaturelle a duré toute leur vie.
Un savant professeur de théologie et son ami, curé dans une grande ville, étaient venus à la Salette, avec une douzaine dobjections préparées et étudiées davance, pour les proposer à Maximin, lorsquil quitterait son échoppe, pour venir, sur la demande des pèlerins (qui le préféraient aux Missionnaires), faire le récit du miracle. Lorsque Maximin eut achevé son exposition, le professeur proposa la première objection. Maximin se borna à dire : « Passez à la seconde » ; les mêmes choses se passèrent à la 2e, à la 3e, à la 4e et la 5e objection ; Maximin répondit alors en quelques mots ; il fit crouler les cinq objections, et cet écroulement entraîna celui des sept autres. En voyant cela, ce professeur et ce curé nous dirent à nous-même, car nous étions à côté deux : « Ce jeune homme est toujours dans sa mission ; il est assisté par la Sainte Vierge aujourdhui comme aux premiers jours ; cest évident pour nous. Aucun théologien, fût-il le plus savant du monde, naurait pu faire un pareil tour de force. Tout cela est certainement surhumain. Il nous a mieux prouvé le miracle quon naurait pu le faire par les plus fortes démonstrations. » AMEDÉE NICOLAS.
Tous ces signes divins ne sont pour ainsi dire rien auprès des merveilles de grâces opérées dans les âmes. Convertir les pécheurs, les ramener à Jésus, tel est le but de lapparition de la Salette et tel fut leffet partout où elle fut comprise. Nétait-il pas miraculeux de voir se convertir, au récit de ces enfants, des foules qui les accueillaient dabord avec la dernière prévention et très souvent avec mépris ? Dès la première année, le canton de Corps fut entièrement renouvelé. Non seulement on ny entendait plus blasphémer, non seulement on ny voyait personne travailler le dimanche, mais tous fréquentaient les églises et, dès 1847, presque tous faisaient leurs Pâques. Ainsi à Corps, sur une population de 1 800 habitants, il ny eut pas trente personnes qui négligèrent cet important devoir.
Mais pourquoi nous étendre sur ces signes divins, lorsque chacun peut alléguer une autorité supérieure : celle de la Sainte Église. Si la Salette nest pas un article de foi, cest un article de bonne foi ; si ce nest pas un dogme, cest une grâce dont on na pas assez profité.
83. Délai admirable ! La Sainte Vierge voulait que Mélanie fût déliée de son Secret, aussitôt après son apparition à Lourdes, le 11 février 1858 ! Il est étonnant que personne nait semblé remarquer cela. (Léon Bloy).
84. La Vierge très pure se sert dune expression énergique, pour faire entendre que, dans un seul exemple dintempérance, elle veut flétrir les plaies hideuses du sensualisme. Ne pouvant découvrir ces plaies sous les yeux des enfants, elle nous les signale suffisamment, puisque non seulement dans le langage de la Sainte Écriture, mais dans toutes les langues, le mot « chiens » désigne les pécheurs qui ne cachent pas la honte de leurs vices.
85. Le Coin est le nom dune terre située à quelque distance de Corps.
86. La Sainte Vierge montre limportance quElle attache à son enseignement. Elle est venue, en effet, nous ramener à lobservation « in spiritu et veritate » de la Loi de Dieu. Elle a si bien résumé, dans son discours, les enseignements de son Fils, quil est impossible de parler dune manière utile aux chrétiens, aux religieux et aux ecclésiastiques de nos jours, sans retomber, quon le veuille ou non, dans ce quElle vient de dire. Aussi, après avoir commencé comme son Fils : « poenitemini » (Marc, I, 15). « Si mon peuple ne veut pas se soumettre », elle termine comme lui : « Docete omnes gentes » (Math. XXVIII, 19) « Vous le ferez passer à tout mon peuple ». Ces dernières paroles, Elle les redit. Un souverain ne répète pas un ordre quil vient de donner ; mais Elle fit entendre aux enfants que, la première fois, il sagissait de la partie de son discours destinée à être rendue immédiatement publique, et, la seconde fois, des secrets.
87. Maximin : « Nous ne vîmes plus quun globe de feu sélever et pénétrer dans le firmament. Dans notre langage naïf, nous avons appelé ce globe le second soleil. Nos regards furent longtemps attachés sur lendroit où le globe lumineux avait disparu. Je ne puis dépeindre ici lextase dans laquelle nous nous trouvions. Je ne parle que de moi ; je sais très bien que tout mon être tait anéanti, que tout le système organique était arrêté en ma personne. Lorsque nous eûmes le sentiment de nous-mêmes, Mélanie et moi nous nous regardions sans pouvoir prononcer un seul mot, tantôt levant les yeux vers le ciel, tantôt les portant à nos pieds, et autour de nous, tantôt interrogeant du regard tout ce qui nous environnait. Nous semblions chercher le personnage resplendissant que je nai plus revu. »
88. Voilà un passage qui a certainement semblé bien insignifiant à bon nombre de lecteurs. Mélanie qui prend la Belle Dame pour « le bon Dieu de son père » ! Quel style ! Quelle idée singulière de nous transcrire de la sorte, en plein récit officiel du Grand Fait, cette remarque enfantine, pour ne pas dire mesquine ! Était-ce pour égayer la narration par la réplique assez terre-à-terre de Maximin qui, dhabitude, a des réparties plus originales ? Vraiment cette petite ligne est bien insignifiante...
Pour ceux qui ont eu le bonheur de connaître personnellement la pieuse narratrice, cette ligne anodine est lune des plus charmantes du récit. Elle la leur fait revivre ; elle leur rappelle une des délicatesses de ce caractère aussi admirable en réalité quavide dombre et doubli.
« Mémin, cela doit être le bon Dieu de mon père. » Vous paraît-elle seulement insignifiante, cette phrase, ne la trouvez-vous pas aussi un peu choquante, si vous vous souvenez de cette allusion que nous avons eu déjà loccasion de faire aux apparitions célestes si multipliées dont avait été favorisée la petite enfance de Mélanie ? Quoi ! depuis une dizaine dannées elle vivait dans la familiarité presque constante de Celle quelle appelait sa Mère ; et, dans cette journée du 19 septembre, elle ne la reconnaît pas ! Elle se trompe aussi grossièrement ! Elle la prend pour le « Bon Dieu de son père » ! De qui se moque-t-on ici ? Nest-ce pas une effronterie, plutôt quune phrase « insignifiante ? »...
Et nous qui avons eu la joie de voir Mélanie de près, cette parole quelle se rappelle avoir dite à Maximin nous comble dallégresse ! Nous la voyons, ce jour-là, telle que nous lavons toujours connue.
Elle ne se moquait pas, certes, de Maximin, pas plus quelle ne se moquait, par exemple, de moi vers la fin de sa vie, en me laissant croire que cétait par inattention, indifférence, paresse ou originalité, quelle arrivait en retard, ou même narrivait pas du tout à léglise à son heure habituelle, un ou deux jours par semaine. Je naurais jamais su le mystère si, un jour de semblable absence, je nétais rentré chez elle à limproviste, sans quelle eût le temps de faire disparaître un preuve matérielle de ses sanglants stigmates. Jabusai de ma prétendue autorité. Il lui fallut sexpliquer. Et, malgré elle, pressée par mes questions, elle mavoua que Notre-Seigneur, crucifié, lui apparaissant, lassociait aux souffrances de sa Passion... Et tout ce quon saura delle, un jour, cest par des moyens pareils quon en a surpris la connaissance...
Oh ! que lhumilité était belle dans cette âme formée par l« Aimable Frère » ! Cest bien Lui qui avait enseigné à cette âme, avec le « Sacramentum Regis (Le sacrement du Roi) », lart difficile de « cacher le secret du Roi » ! Ces effusions des intimités divines, il fallait les dérober à tout regard étranger... et on dirait que tout le travail de sa vie extérieure consistait à les cacher. Une âme qui est dans des rapports quasi ininterrompus avec le monde surnaturel et qui ne doit laisser apercevoir cela à personne ! Une âme qui est à lécole de Celui qui sait tout, et qui doit tout ignorer !... Elle avait pris le bon moyen, elle se mettait, comme par instinct, au niveau de ceux qui lui parlaient.
Jai été témoin, à ce sujet, de choses véritablement stupéfiantes et que lheure viendra peut-être de raconter... Au 19 septembre elle était enfant, et elle parlait à Maximin comme aurait parlé un enfant. Ce lui est si naturel quelle ne saperçoit pas même quelle met en uvre la plus belle des vertus ; et, tout simplement, sans sen douter, elle la pratique, elle en est tout embaumée, en plein public : car lorsquon publie un récit comme le sien, on est bien au milieu de la foule ! Mais que lui importe ? Elle ny pense pas ! Et elle écrit la phrase « insignifiante » : « Cela doit être le bon Dieu de mon père » !...
Le soir de ce grand jour, sa maîtresse la trouvera dans lécurie fondant en larmes. Ces larmes quelle avait retenues devant Maximin, elle saura bien tes comprimer encore, dès quelle sapercevra quelle nest pas seule. Elle ne doit pleurer quen secret sur ces choses dont elle doit paraître la messagère inconsciente, mais quelle a trop bien comprises... Quimporte du reste quelle verse ou non des larmes ? On les mentionnera, et cest tout : nul ne songe à demander : Pourquoi ? Elle a fermé toutes les curiosités avec sa phrase enfantine sur « le bon Dieu de son père ».
Je mexprimais mal tout à lheure, en disant que Mélanie se mettait au niveau de son milieu. Verrait-on dans ces mots quelque chose comme une condescendance orgueilleuse qui la poussait, non sans quelque dédain, à sincliner de la sorte ? Non, ce nest pas elle qui se mettait à ce niveau. Elle navait quà se laisser faire : cest l« Aimable Frère » qui faisait tout.
Entre ses mains, lâme humble na quà se prêter : Mélanie tout simplement se prêtait. Et cétait vraiment si simple que personne ne songeait à sen étonner. Notre-Seigneur se fait ainsi des âmes qui ne sont que pour Lui de belles fleurs pour son « Jardin fermé ». La Bergère disparaît-elle assez dans ce long récit où, pourtant, elle est perpétuellement en scène !...
Lheure viendra, que jattends avec impatience, de soulever tous ces voiles, « Opera Dei revelare honorificum est (Il est honorable de révéler les uvres de Dieu) ». Quil nous suffise, pour le moment, dadmirer, sans essayer de les comprendre, toutes ces précautions divines. Notre-Seigneur aimait tant cette âme, quil la voulait pour Lui et rien que pour Lui. Et elle, comme elle se soumettait, docile et simple, à toutes les exigences de lAmi céleste ! Prenez-la deux ans après lApparition : les écrivains ont tôt fait de nous dire que jusquà lâge de 17 ans et malgré les soins des Religieuses de Corps, elle ne put être suffisamment instruite pour faire sa première communion, et ne put apprendre lalphabet (a). Ils trouvent là loccasion facile dun savant commentaire du texte : « Quae stulta sunt mundi elegit Deus ut confundat sapientes (Dieu choisit ce qui est fou aux yeux du monde afin de confondre les sages). » Cest dur pourtant pour une jeune fille de passer pour sotte à ce point ! Recevoir les leçons du grand docteur de lÉternelle Sagesse en personne, avoir été formée à cette école, et ne pouvoir, devant le jury de la première communion, réciter la lettre du catéchisme !... On na pas remarqué que, tout dun coup, sans quelle sen rendît compte elle-même, elle sétait trouvée aussi instruite que ses compagnes... Son âge de 17 ans expliquera tout : il est tout naturel en effet quune jeune fille de 17 ans, profondément ignorante la veille, sache lire le lendemain. Personne nen fut surpris ; et lon put voir enfin cet enfant, à lesprit si longtemps borné, prendre place dans les rangs des petites communiantes de onze ans. Toute la paroisse de Corps était convaincue quelle communiait pour la première fois... Comme l« Aimable Frère » cachait bien des secrets ! Non, la « Petite Sur » ne se mettait pas au niveau de son milieu ; cétait Lui qui la mettait, par amour, par « préservatif », bien au-dessous de ce niveau.
(a) Pour quelle apprît à lire, elles ne lui enseignèrent pas de vive voix la lettre du catéchisme : « Quand vous saurez lire, lui disait-on, vous lapprendrez dans votre livre et ferez votre première communion. »
89. Maximin : « Lorsque je dois parler de la Belle Dame qui mest apparue sur la Sainte Montagne, jéprouve lembarras que devait éprouver saint Paul en descendant du troisième ciel. Non, lil de lhomme na jamais vu, son oreille na jamais entendu ce quil ma été donné de voir et dentendre.
« Comment des enfants ignorants, appelés à sexpliquer sur des choses si extraordinaires, auraient-ils rencontré une justesse dexpression que des esprits délite ne rencontrent pas toujours pour peindre des objets vulgaires ? Quon ne sétonne donc pas si ce que nous avons appelé bonnet, couronne, fichu, chaînes, roses, tablier, robe, bas, boucles et souliers, en avait à peine la forme. Dans ce beau costume, il ny avait rien de terrestre ; les rayons seuls et de nuances différentes sentrecroisant, produisaient un magnifique ensemble que nous avons amoindri et matérialisé.
« Une expression na de valeur que par lidée quon y attache ; mais où trouver, dans notre langue, des expressions pour rendre des choses dont les hommes nont nulle idée. Cétait une lumière, mais lumière bien différente de toutes les autres ; elle allait directement à mon cur sans passer par mes organes et cependant avec une harmonie que les plus beaux concerts ne sauraient reproduire, que dis-je ? avec une saveur que les plus douces liqueurs ne sauraient avoir.
« Je ne sais quelles comparaisons employer, parce que les comparaisons prises dans le monde sensible sont atteintes du défaut que je reproche aux mots de notre langue ; elles noffrent pas à lesprit lidée que je veux rendre. Lorsquà la fin dun feu dartifice la foule sécrie : « Voici le bouquet », y a-t-il un rapport bien grand entre une réunion de fleurs et un ensemble de fusées qui éclatent ? Non, assurément ; eh bien ! la distance qui sépare les comparaisons que jemploie et les idées que je veux rendre est infiniment plus considérable encore. »
90. La Sainte Vierge na pas permis au petit berger de voir ses yeux. Il na pu la voir pleurer : il ne savait pas ce quétaient ces étincelles de lumière qui disparaissaient vers les genoux de la Belle Dame. Elle ne lui a pas même permis de contempler son visage : « Jai pas pu voir sa figure qui éblouissait. »
91. « Amen, quil en soit ainsi ! » Immense souffrance et abandon toujours à la volonté divine... Comme la sainte enfant se peint admirablement dans ce cri impersonnel qui est ici dune sublime simplicité ! La connaissance que Dieu lui donnait des Péchés qui se font sur la terre, l« odeur » du péché est la seule souffrance dont elle se soit plainte... Pour expier, elle pleura tellement quelle devint aveugle pendant son séjour à Darlington. Elle recouvra la vue par un miracle, mais ses larmes ne cessant de couler, sa vue redevint très faible.
92. La ville de Messine se glorifie de posséder une lettre que la Sainte Vierge écrivit à ses habitants qui venaient de recevoir la foi chrétienne.
93. Mélanie fut souvent communiée par Notre-Seigneur lui-même et jouissait de la vue continuelle de son ange gardien. Or deux habitants dAltamura ont affirmé avoir entendu dans lappartement de la « pieuse dame française » à lAngelus du soir, la nuit quelle est morte, des chants angéliques sur lair de Pange lingua et le tintement dune clochette comme lorsque lon porte le Saint-Viatique.
Devant un auditoire qui connaissait ce témoignage, lorateur sest donc borné à linsinuer, et la solennité dune oraison funèbre exigeait cette discrétion. Quelquun lui écrivit de vouloir bien confirmer la déposition de ces deux témoins, ou la démentir formellement. Voici sa réponse :
« Je vous certifie quil est très vrai que le gentilhomme Pascal Massari, dAltamura, personnage respectable, digne de foi, et une dame, voisins de Mélanie, mont affirmé (et sont prêts à prêter serment) avoir entendu, le premier, le chant de Pange lingua quaccompagnaient des voix angéliques, avec des tintements de clochette ; lautre un bruit continu de clochette comme quand on porte le Saint-Viatique.
« Jai recueilli ces dépositions en présence de deux prêtres de mes amis, dont lun est Français, après avoir posé à ces personnes de minutieuses et précises questions. »
94. Trois cornes, a-t-elle dit.
95. La ligne tracée par Mélanie a 112 millimètres.
96. Bleu du ciel. (Explication orale de Mélanie).
97. Elles ne seront pas les premières. Toutefois les premières nauront pas encore le costume, quand celles de Corenc se présenteront. (Explication orale de Mélanie).
98. Cest-à-dire, sans taille. (Explication orale de Mélanie).
99. Dans une conversation elle a dit aussi « Aux évêques ».
100. Mélanie portait leur costume. Dans son intérieur elle avait un petit bonnet.
101. Vu la manière de parler de Mélanie, les infirmes et malades dont il est question dans cet alinéa sont les infirmes et malades spirituels. (Sous réserve).