Vous êtes actuellement sur le site : livres-mystiques.com ©



Cardinal LÉPICIER, O.S.M

- Le Monde invisible -

- le spiritisme en face de la théologie catholique -

TRADUCTION FRANÇAISE DE CHARLES GROLLEAU

« Qu'on ne trouve chez toi personne qui interroge les morts. » Deutéronome XVIII, 10-11.

Sommaire

2.1 CHAPITRE I - EXISTENCE ET NATURE DES PURS ESPRITS

2.2 CHAPITRE II - LA CONNAISSANCE ANGÉLIQUE

2.3 CHAPITRE III - LE POUVOIR DES ANGES DANS L'UNIVERS

3.1 CHAPITRE I - ÉTAT DE L'AME APRÈS LA MORT

3.2 CHAPITRE II - LA CONNAISSANCE DE L'AME SÉPARÉE DU CORPS

3.3 CHAPITRE III - POUVOIR DES AMES SÉPARÉES

4.1 CHAPITRE I - NATURE DES PRATIQUES SPIRITES

4.2 CHAPITRE II - DIVERSES CLASSES D'ÊTRES ANGÉLIQUES

4.3 CHAPITRE III - COMMENT DOIT-ON JUGER LA MORALITÉ DES PHÉNOMÈNES SPIRITES

4.4 CHAPITRE IV - AFFIRMATION ÉHONTÉE DE CEUX QUI PRÉTENDENT QUE JÉSUS-CHRIST FUT UN MÉDIUM D'ORDRE SUPÉRIEUR

4.5 CHAPITRE V - LES EXORCISMES DE L'ÉGLISE

INTRODUCTIONS

LETTRE D'APPROBATION DE SA SAINTETÉ BENOIT XV.

A notre bien-aimé fils Alexis-Marie Lépicier de l'Ordre des Servîtes de Marie

Salut et bénédiction apostolique.

Si la vigueur de la vie chrétienne languit toujours de plus en plus parmi les nations ; si les lois de la justice sont violées avec tant de facilité dans la famille aussi bien que dans la société ; si les hommes recherchent avec tant d'avidité les biens périssables - souvent au point de se les approprier injustement - il est manifeste qu’un tel état de choses ne peut être attribué qu’à l'oubli où sont les hommes de cette récompense éternelle que tous doivent espérer et du châtiment pareillement éternel que chacun doit craindre de recevoir du Souverain juge. Et puisque l’indifférence ou le mépris pour notre sainte Religion a généralement sa racine dans une vaine recherche de pratiques superstitieuses, nous comprenons facilement combien sont nombreux ceux qui s'adonnent témérairement au commerce avec les esprits cachés, se livrant ainsi d'eux-mêmes imprudemment aux pièges du démon.

C'est pour cette raison que les livres récemment publiés par vous sont éminemment opportuns. Dans l'un de ces ouvrages, vous expliquez parfaitement, d'accord avec les principes et les méthodes scolastiques.

La doctrine catholique sur « Les quatre fins dernières », fournissant ainsi aux orateurs sacrés une abondante matière qui doit leur permettre de toucher les coeurs des fidèles. Vous traitez, dans l'autre livre, du Spiritisme, examinant avec soin, à la lumière de la théologie, tout ce qui a trait au sujet. Vous y définissez avec une extrême clarté et d'après les principes de la foi, la condition et les actions de l'âme séparée des liens de la chair et vous exposez les artifices de l'ennemi du genre humain, si préjudiciables de nos jours au salut de tant d'âmes.

Ces deux livres, de même que tous vos autres écrits par lesquels vous avez longuement et constamment travaillé pour défendre la foi et exciter la piété des fidèles, sont en vérité pour nous une source de joie sincère. Et cette joie s'augmente du fait que, suivant votre coutume, vous suivez comme guide et comme maître saint Thomas d'Aquin.

Nous vous décernons donc bien volontiers l'éloge très mérité auquel vous donne droit cette double contribution de votre savoir, de votre zèle et de votre piété. Et afin que ces travaux aient pour résultat cette abondance si désirable de fruits salutaires pour les âmes, comme gage des grâces célestes et comme un signe de notre bienveillance paternelle envers vous, nous vous donnons, bien-aimé fils, affectueusement, la Bénédiction apostolique.

Donné à Saint-Pierre, à Rome, le 30ème jour d'avril 1921, la septième année de notre Pontificat. (signé) BENOIT XV, Pape.


LETTRE DU CARDINAL GASPARRI

Secrétariat de Sa Sainteté N° 10051

Du Vatican, 11 Novembre, 1922


Très Révérend Père,

J'ai le plaisir de faire savoir à Votre Révérence que le Saint-Père a reçu avec la plus grande satisfaction l'exemplaire du précieux ouvrage que vous avez publié sous ce titre «Le Monde invisible. Le Spiritisme en face de la Théologie catholique ».

Vous faites observer, dans la préface de la première édition, que le livre est, à proprement parler, une étude scientifique du spiritisme. Cela n'empêche pas toutefois que votre ouvrage ne soit aussi une source d'instruction pour ceux qui n'ont qu'une culture ordinaire, comme le démontre la faveur dont sa publication a été l'objet. Le fait que l'édition a été si promptement épuisée est également une preuve très éloquente de sa grande opportunité.

Il y a vraiment là un motif de se réjouir, vu qu'il existe sur ce sujet un si grand nombre de publications, toutes déguisées sous un vernis factice de science et incitant les lecteurs à la superstition en éteignant par suite en eux tout sentiment de foi et de religion. De là l'utilité évidente, pour ne pas dire l'absolue nécessité d'un guide sûr, s'inspirant des principes mêmes de la théologie catholique. Ce fut donc de votre part une très heureuse pensée de publier de ce livre important une nouvelle édition considérablement augmentée.

Pour ces raisons, l'auguste Pontife a été très satisfait de recevoir l'hommage que vous lui fîtes de ce livre. Tout en exprimant à votre Révérence ses remerciements les plus chaleureux pour Votre filiale et respectueuse offrande, il vous félicite hautement du zèle avec lequel, non seulement dans le présent ouvrage, mais aussi dans vos autres publications, non moins importantes, vous vous efforcez de défendre les principes de la foi et de protéger les âmes contre les pièges des nouveautés dangereuses et perverses.

En exprimant le plus vif désir que votre précieux livre ait une grande diffusion, et que vous puissiez ainsi recueillir une moisson surabondante de bons résultats, Sa Sainteté vous donne de tout coeur la Bénédiction apostolique.

En vous faisant connaître ces sentiments de bienveillance de mon auguste Souverain, j'ai le grand plaisir de me redire moi-même, avec les voeux les meilleurs et ma très sincère estime .


Votre affectionné en Notre-Seigneur, P. Cardinal Gasparri.


Au Très Révérend Père Alexis-Marie Lépicier, O. S. M., Rome.


PRÉFACE DE L'AUTEUR

à cette édition française.

Il est à peine nécessaire de rappeler au lecteur l'immense intérêt que le sujet traité dans le présent ouvrage a excité, ces temps derniers, dans l'esprit du public, intérêt dû surtout aux pratiques occultes nombreuses et variées, maintenant en vogue. En fait, le commerce avec les esprits a pris de telles proportions et a pénétré à un tel point les villes et les campagnes, qu'il est devenu, pour ainsi dire, dans certains endroits, un passe-temps familial.

Cette pratique, loin de se ralentir, ne fait que s'étendre et les savants se livrent à d'avides recherches pour trouver la véritable solution de ce problème réellement obsédant. Toutefois, chose assez étrange, la plupart des nombreuses théories récemment émises, ignorent ou du moins feignent d'ignorer que l'Église Catholique possède sur ce sujet un enseignement traditionnel, enseignement qui répond d'une manière admirable aux problèmes posés par les phénomènes constatés soit dans le passé, soit dans le présent.

C'est précisément la doctrine de l'Église que nous nous proposons d'exposer dans le présent traité. Celui-ci n'est d'ailleurs que la révision augmentée d'un ouvrage publié par nous il y a quelques années et qui connut une grande diffusion dans l'Ancien et le Nouveau Monde.

Si l'on considère que l'enseignement sur le spiritisme se rattache étroitement aux doctrines les plus profondes de la philosophie et de la théologie catholiques, on admettra que ce n'est pas chose facile d'exposer cet enseignement d'une manière qui le rende accessible à tous. Il serait déraisonnable de prétendre qu'un lecteur ordinaire puisse se rendre maître, sans un entraînement philosophique préalable, d'un sujet ayant trait à l'activité multiforme du monde angélique dans ses rapports avec les fonctions propres aux facultés humaines et avec les forces des agents naturels. Ce livre s'adresse donc surtout aux personnes déjà versées dans la science sacrée. Ceux qui ne connaissent point la théologie ou ne sont pas familiers avec les principes de la philosophie catholique, doivent se contenter d'apprendre de la bouche de leurs amis mieux informés les conclusions auxquelles ceux-ci ont abouti. En somme, ces conclusions ne sont pas autre chose que la doctrine du catéchisme catholique.

L'auteur désire particulièrement mettre en garde le lecteur contre deux extrêmes où l'on s'expose à tomber en suivant l'exposé de la doctrine catholique que nous allons donner. D'une part, ce serait aller trop loin que de prendre les conclusions auxquelles nous arriverons, pour autant de dogmes formellement définis par l'Église Catholique. D'autre part ces mêmes conclusions ne doivent pas être considérées comme étant simplement l'expression d'une école particulière de théologie.

Il convient de noter que les définitions ecclésiastiques touchant le spiritisme et les matières qui s'y rapportent sont en réalité très rares et relativement sommaires. Toutefois, l'enseignement théologique, tel qu'il est proposé dans cet ouvrage, bien qu'il puisse ne pas être en harmonie avec telle ou telle école de pensée tolérée dans le sein de l'Église, est basé si fermement sur les principes vrais et certains de la vérité naturelle aussi bien que de la révélation, qu'il peut réclamer pour lui l'adhésion de tout esprit droit. Et ceci à l'exclusion de la doctrine de toute autre école, même si cette école n'est pas formellement condamnée par l'Église.

C'est précisément pour cette raison que l'Église s'est toujours montrée d'une grande sobriété dans ses définitions. Elle a un trop grand respect de l'esprit humain pour lui imposer des définitions nouvelles toutes les fois qu'on peut considérer la raison naturelle comme un guide suffisant dans sa recherche d'une nouvelle lumière. Considérant le privilège de l'Église Catholique d'être la seule gardienne infaillible de la vérité révélée, on doit s'étonner, non pas qu'elle ait donné parfois des définitions nouvelles, mais plutôt qu'elle en ait donné si peu.

La raison de cette réserve existe dans ce fait qu'elle connaît pleinement sa mission qui consiste, non pas à restreindre l'usage de nos facultés ou à faire obstacle à nos activités, mais plutôt à aider et à guider nos pas dans notre recherche de la vérité naturelle et révélée. L'autorité lui a été donnée pour seconder nos efforts, non pour les supprimer.

Il est à propos d'insister ici sur le fait que le présent ouvrage ne traite pas d'eschatologie, au sens propre du mot. Si extraordinaires que soient certains événements qui, par l'ordre de Dieu, se produisent occasionnellement et sont ordinairement connus sous le nom de miracles, ils ne rentrent pas formellement dans le plan de notre sujet. Nous n'avons à examiner que l'ordre naturel des choses. En un mot, les miracles appartiennent à l'eschatologie chrétienne, tandis que les pratiques spirites lui sont étrangères. Cependant, lorsque nous prétendons que les âmes sorties de ce monde sont sans pouvoir sur les éléments de la matière et ne peuvent ainsi apparaître aux vivants, nous n'entendons en aucune manière nier qu'une telle apparition puisse se produire sur l'ordre de Dieu et par le moyen d'un pouvoir extraordinaire communiqué par Lui à de telles âmes. Ce fut sans doute le cas pour Moïse apparaissant avec Notre-Seigneur et Élie sur le Mont Thabor.

L'objet principal de cet ouvrage est donc d'exposer la nature du spiritisme dans son rapport avec les lois physiques et les facultés de l'âme humaine. Ce que nous voulons, c'est découvrir les vrais auteurs de ces manifestations extraordinaires auxquelles les pratiques occultes donnent naissance. Enfin, nous voulons savoir si de telles pratiques sont légitimes ou non.

En ce qui concerne les messages obtenus dans les séances spirites, il est vrai de dire que de grandes vérités peuvent parfois y trouver leur expression. Il ne faut pas toutefois négliger ce fait, que la sincérité des intelligences ou esprits se manifestant n'est pas toujours au-dessus de tout soupçon. En réalité, il y a toute présomption que les communications véridiques ont pour but, de la part des esprits de qui elles émanent, de faire ajouter foi à d'autres assertions de nature très différente assertions souvent contraires aux maximes de l'Évangile et à la doctrine traditionnelle de l'Église. En émettant de telles assertions, les esprits n'ont d'autre but que de se concilier la faveur générale en ce qui concerne les pratiques par lesquelles elles sont obtenues. C'est ainsi que nous lisons dans les Actes des Apôtres que saint Paul réprimanda une jeune fille possédée d'un esprit de pythonisse et qui ne cessait de crier: « Ces hommes sont les serviteurs du Dieu Très-Haut qui vous prêchent la voie du salut!» . Cette proclamation était certainement véridique. Elle était cependant formulée sous l'inspiration d'un mauvais esprit, puisque saint Paul ordonna à celui-ci, au nom de Jésus-Christ, de sortir de la jeune fille.

Si, comme nous le verrons bientôt, les révélations obtenues par les pratiques spirites sont souvent mêlées de fraude et de duplicité de la part des esprits en communication, et si ces mêmes pratiques sont accompagnées de dangers graves, aussi bien pour l'âme que pour le corps, un investigateur de bonne foi, ne peut, tout au moins, qu'entretenir des doutes graves sur la légitimité de telles pratiques. Et quand nous réfléchissons au fait que, d'après l'enseignement le plus autorisé, tous ces phénomènes qui, pendant les manifestations spirites, sont attribués aux âmes des défunts, peuvent et doivent l'être au contraire à l'action d'intelligences, supérieures à l'âme humaine en puissance et en acuité, mais d'une moralité abjecte, nous devons alors admettre que l'Église Catholique a raison de réprouver la pratique du spiritisme, comme offensante pour Dieu et nuisible à l'homme.

Jamais, dans l'histoire de l'humanité, Satan n'a travaillé avec plus d'ardeur que dans ces derniers temps, pour précipiter dans l'erreur et la perdition les fils des hommes. « Sachant qu'il n'a que peu de temps » , il veut séduire les esprits cultivés en les conduisant à l'hérésie et duper les simples par ses artifices dans les séances médiumniques. De là l'avertissement de saint Paul : « Ce n'est pas contre la chair et le sang que nous avons à lutter; c'est contre les principautés, les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais qui font leur séjour dans l'atmosphère » .

Dans l'ancien monde, aussi bien que dans le nouveau, les pratiques spirites sont devenues une épidémie générale. Des étudiants ont recours au « ouija board » pour passer les examens avec succès. La «planchette» est tout à fait en faveur parmi les dames qui s'en servent dans les réunions mondaines. Dans les villes d'une certaine importance, le public est cordialement invité à assister aux « séances ». Des parents ont recours aux médiums pour connaître le sort de leurs chers disparus. Chose assez triste, cela est souvent le cas chez ceux qui ont perdu un être cher pendant la grande guerre.

Pour s'aider dans la recherche de criminels cachés, des autorités de la police n'ont pas dédaigné l'avis des nouvelles « pythonisses », et le nombre n'est pas petit d'hommes de commerce consultant les esprits des morts sur d'importantes affaires professionnelles.

En même temps, la littérature spirite se répand de plus en plus. Des livres sont mis sur le marché, montrant comment on peut évoquer les esprits des morts ; de volumineux ouvrages enregistrent les réponses variées reçues au cours des séances ; des revues nous renseignent périodiquement sur la propagation du mouvement spirite. Il n'est pas jusqu'à nos grands quotidiens qui ne trouvent de sujet plus palpitant pour leurs lecteurs que les merveilles d'une séance spirite et les réponses reçues par le moyen des médiums.

Il est à peine nécessaire de mentionner combien sont surprenantes certaines de ces réponses. Assez fréquemment elles renversent tout ce qui a été, jusqu'à présent, l'objet d'une croyance universelle. Au lieu de la doctrine traditionnelle sur l'immuable bonheur ou l'immuable misère des âmes dans l'autre monde, le spiritisme nous présente un tableau idyllique et fantastique emprunté aux poètes les plus imaginatifs des temps païens. Il nous invite en de plaisants bocages garnis de fontaines jaillissantes d'eau cristalline. Des palais, somptueux à l'extrême, des concerts, des danses, des jeux, des banquets sans fin complètent le tableau. L'après-vie n'est qu'un lieu où les plaisirs des Champs Élysées s'unissent aux diversions du théâtre ou des cinémas. C'est une accumulation de toutes les émotions sensuelles de nos jours.

Plus étonnant encore est le fait que des hommes portant des noms illustres dans le monde de la science des hommes tels que Camille Flammarion, Frederick Myers, sir Oliver Lodge, sir William Crookes, Charles Richet, le professeur Lombroso et sir Arthur Conan Doyle - pour n'en citer que quelques-uns, ont permis que leurs noms fussent associés à ceux des médiums les plus fameux, prêtant ainsi leur réputation mondiale aux étranges phénomènes du spiritisme. Ce faisant, ils associent leurs découvertes originales en mécanique, en physique ou en chimie, aux prétendues révélations spirites, révélations que l'on suppose intéresser la religion de l'avenir et l'état futur de l'homme.

Quand on comprend nettement que, dans l'esprit des partisans des pratiques spirites aussi bien que dans l'intention des esprits en communication, ces pratiques ont spécialement pour but l'introduction d'une nouvelle doctrine et d'un nouveau culte, évidemment destinés à se substituer à la doctrine et au culte enseignés par le Christ et conservés et prêchés par son Église, l'importance d'une connaissance approfondie du problème, si vaste et si complexe, devient manifeste. Une telle connaissance ne peut être obtenue avec pleine certitude, qu'à la lumière de la théologie catholique aidée des données de la science du monde physique.

Le présent travail a paru d'abord, sous une forme plus limitée, en langue anglaise, en 1906. Depuis ce temps, deux nouvelles éditions, notablement revues, ont été publiées dans la même langue, la dernière, qui a servi pour cette traduction, ayant paru en 1929. L'ouvrage a été traduit en hollandais et en italien, avec deux éditions dans cette dernière langue.

Nous avons tenu, dans cette édition française, à revoir avec soin toutes nos assertions, ajoutant des explications qui nous ont semblé devoir aider le lecteur à comprendre les sublimes vérités théologiques sur lesquelles sont basés nos raisonnements. Nous avons confirmé nos données par un exposé minutieux des pratiques spirites elles-mêmes, ajoutant des citations pouvant être utiles à ceux qui désireront recourir aux sources mêmes de notre information. Mais nous nous sommes abstenu à dessein de ce qui semble obséder certains écrivains, qui, en traitant ce sujet fascinant, se croient justifiés à remplir leurs ouvrages d'incidents extravagants, d'une authenticité souvent douteuse. Une telle méthode de traiter les phénomènes spirites est plus propre à nourrir la curiosité morbide, qu'à éclairer les esprits ayant soif de vérité.

On verra également que nous acceptons ici la réalité objective des manifestations comme émanant réellement, en bien des cas, des esprits de l'autre monde et non simplement comme étant le résultat de supercheries et de prestidigitation. Il semble en effet que la mode ait été, ces derniers temps, de ramener tous les phénomènes spirites à la fraude et à la supercherie des médiums. Ceci a pu être, en effet, le cas dans beaucoup de ces manifestations ; mais prétendre les marquer toutes du sceau d'une duperie déshonnête est un procédé nettement antiscientifique, ainsi que nous le démontrerons au cours du présent ouvrage.

C'est notre plus cher désir que ce livre puisse servir à désillusionner bien des âmes sincères, mais peut-être imprudentes, lamentablement prises dans les filets du spiritisme et menacées d'une ruine, aussi bien temporelle qu'éternelle.

Puissent la simplicité et la sublimité de la doctrine chrétienne les ramener à la pure lumière de la foi catholique, et les délivrer des pièges de l'irréconciliable ennemi de l'homme. Puissent-elles connaître la vérité qui « les fera libres »



INTRODUCTION

1. La tentative d'entrer en rapport avec les habitants du monde invisible, n'est pas, comme certains semblent l'imaginer, une pratique particulière aux temps modernes. On y eut recours bien avant que les Grecs n'eussent questionné Apollon dans son temple de Delphes par la bouche de la Pythonisse, et avant que les Romains n'eussent consulté les oracles sybillins à Cumes et à Tibur. Cette pratique était ordinaire dans l'Inde et en Chaldée et existait de temps immémorial chez les Chinois et les Égyptiens.

Le lecteur pourra trouver de l'intérêt à la description suivante de pratiques spirites très semblables à celles en usage aujourd'hui, telle que l'a donnée l'historien Ammien Marcellin (A. D. 371).

Des conspirateurs s'étant réunis dans le but de renverser l'empereur Flavius Valens, désiraient d'abord connaître le nom du successeur qu'ils pourraient lui donner. Ils eurent recours dans ce but à certaines opérations magiques que l'un d'entre eux, nommé Hilaire, décrivit fidèlement.

Ils firent d'abord, avec des branches de laurier, une petite table ayant la forme du trépied de Delphes et, par des formules mystiques répétées, la consacrèrent dans le but de la consulter sur des choses secrètes. Ils la placèrent au centre d'une salle soigneusement purifiée avec des parfums d'Arabie. Puis ils posèrent sur ce trépied une plaque ronde portant gravées sur ses bords, à égale distance l'une de l'autre, les vingt-quatre lettres de l'alphabet. Un petit anneau suspendu au plafond par un léger fil et balancé de côté et d'autre par une personne initiée au rite sacré, allait en sautant se placer lui-même sur les lettres, composant ainsi des vers héroïques et donnant des réponses régulières, comme celles des oracles de la Pythie.

Les conspirateurs arrivèrent ainsi à connaître que le nom du successeur de Valens était composé des lettres grecques ?, E, 0, ?, que l'un des assistants interpréta comme devant être le nom de Théodore.

2. Que cette habitude de recourir aux pratiques magiques pour découvrir des secrets ou obtenir des effets merveilleux fût largement répandue dans le monde païen aux premiers temps du Christianisme, c'est ce qui est amplement confirmé par les Pères de l'Église, et, en particulier, par le grand évêque d'Hippone, saint Augustin.

Même dans les siècles de foi, ce mystérieux désir de communiquer avec l'autre monde fut très vif parmi certains peuples, ainsi que nous pouvons le constater d'après les lois sévères, civiles ou ecclésiastiques, promulguées pour arrêter, autant que possible, ces étranges pratiques considérées comme une superstition dangereuse et même malfaisante.

Cette pratique, d'ailleurs, n'est pas limitée aux nations civilisées et aux races cultivées. Le sauvage, lui aussi, dans sa hutte, au milieu des steppes et des forêts, a l'habitude d'évoquer les esprits de l'autre monde, soit qu'il les tienne pour des génies disposés à répandre leurs faveurs et leurs bienfaits sur les hommes, pour des démons acharnés à commettre le mal, ou encore pour les âmes des morts, cherchant le repos dans les endroits mêmes où elles ont vécu.

3. Si nous considérons ces pratiques spirites quant à leur nature, nous devons arriver à cette conclusion, que ce n'est que dans la méthode employée pour amener ces manifestations et dans les circonstances où elles ont lieu, qu'on peut découvrir une différence entre les pratiques des anciens temps et celles des jours modernes. Il y a identité absolue dans le but qu'elles poursuivent - ce but étant d'obtenir des réponses à diverses questions, la solution de problèmes difficiles et inquiétants, - en un mot, l'entrée en communication avec les substances spirituelles de l'autre monde, quelles qu'elles soient. Mais c'est précisément sous le rapport de la qualité ou de l'espèce de ces substances, que consiste la différence entre l'opinion des magiciens anciens et celle des spirites modernes.

Tandis que les phénomènes obtenus étaient autrefois généralement attribués à des êtres d'une nature purement spirituelle, c'est-à-dire à des êtres n'ayant aucun lien avec la matière, le spiritisme moderne les tient aujourd'hui comme dus aux âmes des morts, aux âmes d'hommes qui furent à un moment habitants de cette terre et, comme nous, incarnés dans un corps matériel. Il s'ensuit que la question qui réclame ici notre attention est de savoir si en réalité les âmes désincarnées sont les auteurs propres de ces pratiques, ainsi que le veulent les spirites de nos jours.

La différence, donc, entre les spirites d'autrefois et ceux de nos jours, consiste dans ce fait que les premiers croyaient entrer par ces pratiques en communication avec de purs esprits, nommés démons, bien que plusieurs d'entre eux crussent avoir affaire avec les âmes des défunts. Les spirites modernes, au contraire, affectant d'ignorer l'existence de substances angéliques, prétendent évoquer, par leurs pratiques, uniquement les âmes de personnes ayant jadis habité ce monde. Le spiritisme de nos jours peut donc être nommé plus exactement nécromancie, c'est-à-dire divination par le moyen des morts.

4. Le spiritisme, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, n'est pas né d'un seul coup. Il s'est graduellement développé en passant par diverses formes d'occultisme, des merveilles préternaturelles étant mêlées à des phénomènes dus à l'activité d'agents physiques.

En 1774, Mesmer, un médecin allemand (mort en 1815), crut avoir découvert dans le corps humain un fluide très subtil, qu'il nomma magnétisme animal, capable de recevoir et de transmettre, médium inconscient, toutes sortes d'impressions à l'être humain, sans souci de la distance et sans qu'il fût besoin d'agents intermédiaires. Aux pratiques mesmériennes, par lesquelles l'opérateur faisait tomber dans un sommeil artificiel les personnes mesmérisées, furent peu à peu associées de mystérieuses interventions de la part d'esprits invisibles.

Vers la même époque, Swedenborg, philosophe mystique suédois (mort en 1772), prétendit avoir reçu de Notre-Seigneur lui-même l'autorité d'expliquer le sens spirituel de la Sainte Écriture, et être, même à l'état de veille, en communication permanente avec l'autre monde. Certains de ses disciples tinrent par la suite des réunions régulières à Stockholm, au cours desquelles, par des médiums choisis, ils entraient régulièrement en communication avec les esprits. Dans la suite les deux systèmes, mesmérisme et swédenborgisme, donnèrent naissance à une multitude de pratiques occultes qui firent grand bruit vers le milieu du dernier siècle.

5. Les choses en étaient là, quand, au début de 1848, une famille américaine, du nom de Fox, qui s'était fixée depuis peu dans le village de Hydesville, État de New-York, fut inquiétée par des bruits étranges. Ces bruits devinrent à la fin si violents que le sommeil des habitants en fut troublé. Cela durait depuis peu, quand un jour quelqu'un se mit à questionner les agents invisibles qui, au moyen de coups frappés, donnèrent des réponses intelligentes et dans plusieurs cas véridiques. On arriva ainsi à savoir qu'un homme avait été tué dans cette maison et, après de minutieuses recherches, on trouva en effet, dans le sol de la cave, des restes humains.

La manie d'obtenir des réponses à des questions diverses posées aux esprits invisibles, au moyen de coups conventionnels, se répandit avec une étonnante rapidité dans toute l'Amérique du Nord. Madame Fox et ses deux filles devinrent des médiums professionnels, tenant des séances publiques dans les principales villes où elles mettaient les assistants en communication avec les esprits de l'autre monde. Il paraît toutefois que ces pratiques n'allaient pas sans quelque fraude.

D'Amérique le mouvement s'étendit à l'Europe, à commencer par l'Écosse, si bien que vers 1852 une véritable épidémie de tables tournantes avait envahi les principales villes de l'ancien monde, donnant naissance à une abondante littérature spirite. Déjà, en 1887, on comptait sur le marché une centaine de journaux et de revues spirites.

6. Il est bon d'observer que l'erreur ayant pour règle de ne pas se borner à un point particulier, mais de prendre toujours de nouvelles formes et de nouveaux aspects, il n'y a pas lieu de s'étonner si le spiritisme, tel qu'il apparut vers le milieu du dernier siècle, a donné naissance à de nouveaux genres d'occultisme, tels que l'hypnotisme, la télépathie, la clairvoyance et autres pratiques, comme on le verra plus tard.

7. Le but de ce livre est de montrer, aussi clairement et d'une manière aussi concise que possible, quel est l'enseignement de la théologie catholique sur ce difficile sujet et d'indiquer, non seulement aux catholiques, mais à tous ceux qui croient au christianisme historique et dogmatique, où peut se trouver le vrai chemin. Car c'est dans la foi chrétienne seule que nous avons la véritable règle permettant de juger nettement et d'une manière adéquate les importants problèmes qu'offre le spiritisme moderne.

Notre but sera donc de découvrir si, d'après cette règle, nous pouvons raisonnablement croire que nous sommes, par le moyen de ces pratiques spirites, mis réellement en communication avec les esprits des morts, et si nous pouvons admettre que ces communications contiennent de nouvelles et plus vraies révélations sur le monde spirituel et la vie de l'esprit, sur le progrès de l'histoire et de la science aussi bien que sur l'avancement de la morale générale et de la prospérité intellectuelle de l'humanité.

8. Un examen attentif a démontré qu'un grand nombre de manifestations soi-disant spirites, rapportées dans les livres et les journaux, ne sont que le résultat de la supercherie et de la fraude. En même temps, on est obligé d'admettre qu'un certain nombre de phénomènes existent qui, après une enquête sévère, ne peuvent être attribués à ce genre de mystification et que ce serait un procédé arbitraire et hautement antiscientifique que de nier l'opération du monde spirituel invisible en rapport avec ces phénomènes. Nous fermerions ainsi le chemin à l'acquisition d'une science plus exacte au sujet d'êtres qui sont à la vérité cachés à notre vue, mais ne sont pas moins réels que les agents matériels et visibles, à l'existence et à l'action desquels nos sens rendent constamment témoignage.

Admettant, par conséquent, l'objectivité des phénomènes en général, notre but sera de rechercher leurs causes exactes et d'arriver ainsi à une meilleure connaissance de leur nature et de la relation où ils se trouvent avec l'ordre moral de l'univers en général.

9. La première question qui se pose d'elle-même à l'esprit à propos d'une telle recherche, et d'où dépend la juste solution du problème tout entier du spiritisme, est celle-ci : « Ces esprits invisibles sont-ils tous d'un seul genre ou y a-t-il, outre les esprits des morts - ou, pour nous servir de l'expression moderne, les âmes désincarnées - d'autres esprits qui, bien que peu connus en raison de la subtilité de leur nature, peuvent néanmoins être tenus pour responsables des phénomènes en question ? »

Et dans le cas où il sera démontré que de tels esprits existent et que les phénomènes peuvent leur être attribués, une autre question se pose : « Que devons-nous croire quant à l'étendue de la connaissance de ces êtres, et quant à la légitimité de ces pratiques en général ? »

Ces considérations nous amèneront à établir une enquête sur l'état de l'âme humaine après la mort, sur l'étendue de sa connaissance des affaires terrestres et le mode et la nature de son activité. Enfin, nous chercherons à déterminer à laquelle de ces deux classes d'habitants du monde invisible, les phénomènes qui se produisent habituellement dans les séances spirites doivent être attribués : à savoir, si on doit les attribuer aux âmes des morts ou aux purs esprits que nous nommons des anges.

Enfin, nous examinerons deux sortes de pratiques occultes appelées respectivement hypnotisme et télépathie, puisque toutes deux sont alliées du spiritisme et donnent naissance à des phénomènes étranges tels que la suggestion, la clairvoyance, la clairaudience et autres expériences de même nature.

10. Comme un tel exposé de l'enseignement de la théologie catholique sur ce sujet doit nécessairement être bref et succinct, il ne nous sera pas possible de produire tout l'immense trésor de la tradition théologique amassé par l'Église au cours des siècles. Nous ne pourrons pas non plus citer en détail tous les écrivains, anciens et modernes, qui ont traité le sujet des phénomènes spirites ; toutefois nous n'omettrons pas de mentionner à l'occasion les principaux d'entre eux.

Citer tous les auteurs qui ont pu écrire sur ce sujet demanderait des volumes, chose qui ne s'accorderait pas avec la nature de cet ouvrage et nous écarterait de notre plan qui veut être doctrinal et concis. Ce que nous voulons surtout, c'est tirer des sources philosophiques et théologiques tels matériaux pouvant servir à notre dessein, sans toutefois perdre de vue l'enseignement courant des spirites modernes et les divers systèmes d'interprétation édifiés de nos jours, en particulier dans le but d'expliquer les étranges phénomènes spirites qui se multiplient chaque jour avec une extraordinaire rapidité.

11. Nous ferons remarquer, dès le début, que tout en attachant la plus haute importance aux résultats obtenus récemment par la recherche scientifique, nous ne croyons pas devoir adopter quelques expressions que certains spirites ont coutume d'employer dans un sens tout à fait différent de leur signification naturelle et originelle. L'usage de termes aussi vagues et purement conventionnels sous ce rapport nous semblerait porter préjudice à la cause que nous avons en vue. La théologie catholique a une terminologie qui lui est propre, qui a été sanctionnée par l'approbation des siècles et qui est bien adaptée à la définition et à la description des choses placées hors de l'atteinte de nos sens naturels. C'est à cette terminologie que nous nous proposons de nous en tenir au cours de cet ouvrage, ajoutant pour le lecteur laïque telles explications qui pourraient être nécessaires, afin d'assurer la clarté et la concision de notre exposé.

C'est ainsi que nous nous sommes abstenus d'employer le terme « spiritualisme », bien qu'il soit le seul généralement adopté dans certains pays, quand il s'agit de ces phénomènes. Notre âme étant une substance spirituelle et Dieu lui-même un pur esprit, le terme « spiritualisme » ne saurait être employé convenablement que pour signifier nos opérations intellectuelles ou les manifestations invisibles de Dieu, ou encore son travail intérieur dans l'âme humaine.

12. Nous observerons en outre que, tandis que les manifestations spirites elles-mêmes sont à la portée de nos facultés sensibles, leurs causes doivent être recherchées dans l'ordre invisible, nulle représentation sensible n'étant suffisante pour nous donner une idée exacte de ce qu'elles sont en elles-mêmes. Il s'ensuit que le problème qui nous occupe, n'ayant pas une base tangible sur laquelle le lecteur puisse fixer son attention, il est nécessaire d'instituer un examen sérieux des vérités contenues dans le domaine de la philosophie et de la théologie catholiques. Cet examen suppose une connaissance peu ordinaire des opérations d'ordre naturel aussi bien que de celles d'ordre spirituel. L'absence d'une telle connaissance est précisément la cause du discrédit et du rejet par les esprits superficiels de l'enseignement catholique sur ce sujet difficile. Nous avons confiance que tous les penseurs sérieux désireux de connaître la vérité sauront vaincre cette difficulté.

13. Nous nous efforcerons d'exposer dans ces pages, aussi fidèlement et aussi clairement que possible, quel est, sur ce sujet d'une si grande importance, l'enseignement des Pères et des Docteurs reflétant l'esprit de l'Église Catholique. Nous tirerons nos déductions des principes fondamentaux sur lesquels sont fondées les lois de l'univers, soumettant par avance chaque assertion au jugement de l'Église « colonne et soutien de la vérité » (Les phénomènes qui se manifestent en rapport avec les récentes recherches expérimentales sont, on le sait, nombreux et surprenants ; les problèmes qu'ils soulèvent sont d'une grande portée ainsi que d'une haute importance. Seule une sérieuse étude, conduite à la double lumière de la raison et de la foi, peut conduire un esprit droit et sérieux à une saine appréciation des vrais agents responsables des manifestations spirites, et le mettre à même de déterminer la question quant à la légitimité et à la moralité de ces pratiques.

Nous avons présentes à l'esprit ces paroles de Notre-Seigneur : « Prenez garde que personne ne vous séduise. Car beaucoup viendront sous mon nom, disant : C'est moi qui suis le Christ, et ils en séduiront un grand nombre »

PREMIÈRE PARTIE - LE MONDE ANGÉLIQUE

1. Les phénomènes étranges du spiritisme qui ont suscité et suscitent encore l'intérêt le plus profond chez presque tous les peuples préoccupent de nos jours les hommes de pensée. C'est ce que prouve le fait que des savants de toute croyance s'emploient sérieusement à expliquer la nature de ces phénomènes et recherchent à quelles causes on peut les attribuer.

Ces recherches ont conduit à édifier diverses hypothèses qui peuvent, en bref, se résumer en deux catégories. La première essaie de rendre compte des manifestations par l'action d'un agent purement naturel et matériel dont le caractère serait, autant qu'on peut le concevoir, subtil et complexe. La seconde les attribue à l'opération d'un ordre d'êtres intelligents, immatériels et spirituels, tels que sont les âmes des hommes après la mort.

2. En rapport avec la première supposition, les savants ont affirmé l'existence d'un certain fluide nerveux magnétique ou rayonnant, matériel par sa nature et ne possédant toutefois aucune des propriétés de la matière. Ce fluide, affirme-t-on, ne peut être ni vu, ni senti,, ni soumis à l'examen scientifique convenable, bien que l'on doive néanmoins l'admettre comme étant doué de pouvoirs extraordinaires, pour le moment très imparfaitement connus.

L'autre hypothèse rattache les phénomènes en question aux âmes des morts que l'on suppose avoir acquis, par leur séparation du corps, des propriétés et un pouvoir d'action supérieurs à ceux qu'elles possédaient dans la vie présente. Ces âmes deviendraient donc, par suite, capables de produire dans le monde hypernaturel des effets remarquables, tels qu'elles n'auraient pu les réaliser étant unies à leur corps.

Mais si claire et si plausible qu'une telle division puisse apparaître à première vue, il est bon d'examiner si elle épuise réellement la question et s'il ne peut y avoir, outre ces deux classes d'agents, une troisième classe, à laquelle ces effets extraordinaires peuvent en vérité être attribués.

3. Cette question est la raison d'être de là première partie de cet ouvrage. Nous y rechercherons s'il n'y a pas, dans l'ordre invisible, de purs esprits, libres de toute matière et distincts en nature des âmes humaines séparées de leurs corps, et, s'il en est ainsi, quelle connaissance des choses matérielles de tels êtres peuvent posséder, quelle puissance ils peuvent exercer sur les éléments de l'univers visible.



CHAPITRE I - EXISTENCE ET NATURE DES PURS ESPRITS

1. Rien n'est plus ordinaire et plus fréquent dans le langage humain que l'allusion à des esprits invisibles inconnus, distincts des âmes des morts qui, croit-on, nous environnent et exercent une certaine influence sur le cours de nos vies. C'est surtout dans l'œuvre des poètes que cette croyance populaire a trouvé son expression la plus frappante. La question que nous avons à examiner ici est de savoir si cette croyance possède en fait quelque fondement et s'il existe réellement, outre les âmes des morts, d'autres agents spirituels, n'ayant jamais été unis à un corps matériel et par conséquent différant totalement d'eux en espèce.

2. En cherchant à répondre à cette question nous étudierons d'abord ce que peut nous dire sur ce sujet la raison naturelle ; et, secondement, si les phénomènes extraordinaires qui se produisent dans les séances spirites peuvent être considérés comme une preuve suffisante de l'existence de ces purs esprits. Nous nous proposons ensuite d'indiquer quel est sur ce sujet l'enseignement de l'Église Catholique, et, prenant pour guide ses déclarations authentiques, nous montrerons comment ces purs esprits diffèrent des âmes humaines et quelle est leur véritable nature.


I. - Harmonie entre le Monde visible et le Monde invisible

1. Le premier doute qui se présente à notre esprit sur ce sujet est de savoir si, oui ou non, par la lumière de la seule raison, nous pouvons arriver à connaître avec certitude l'existence de purs esprits, libres de toute matière et appartenant à un ordre essentiellement supérieur au nôtre. À ce doute nous devons tout de suite répondre que, sans l'aide de la révélation, il nous est absolument impossible d'arriver à une conclusion irréfutable quant à l'existence de purs esprits.

Il est vrai que les philosophes de la Grèce et les rhéteurs de Rome croyaient à l'existence de demi-dieux, de génies et de démons. Il est en outre hors de doute qu'une croyance à des êtres d'une nature invisible, exerçant sur les hommes une influence pour le bien ou pour le mal, a existé dans tous les temps et dans tous les pays. Mais il est également vrai que les sages de l'antiquité ont été fréquemment convaincus d'erreur, et qu'une telle croyance, si répandue qu'elle soit, n'a pas d'elle-même une évidence suffisante pour la rendre acceptable au delà de toute possibilité de doute. De ce point donc, nous ne pouvons arriver en toute sécurité à la solution du problème qui occupe notre attention, à savoir : si ces êtres spirituels d'un ordre supérieur, que nous nommons des anges, existent réellement.

2. D'autre part, un examen général de la constitution du monde et de ses diverses parties, bien qu'insuffisant pour démontrer d'une manière concluante l'existence de tels êtres invisibles, distincts de nous et supérieurs à nous, est néanmoins de nature à prédisposer un esprit réfléchi en faveur d'une telle croyance, et à le préparer à accepter le fait comme une vérité fondamentale, au cas où cette croyance serait proposée par une autorité légitime.

Insistons sur ce point qui n'est certainement pas sans offrir un intérêt particulier.

En ce qui nous concerne, notre nature, bien qu'une en elle-même, est faite d'un corps et d'une âme. En raison de notre corps, nous occupons un rang supérieur à tous les êtres d'ordre exclusivement matériel. Pourquoi donc, en raison de notre âme, n'occuperions-nous pas le rang le plus bas parmi les êtres d'une nature entièrement spirituelle ? Pourquoi ne formerions-nous pas comme un chaînon entre le monde matériel et le monde immatériel, entre les substances visibles et les invisibles, entre le corps et le pur esprit ? N'existerait-il pas, telle une chaîne ininterrompue d'êtres, un univers spirituel destiné à manifester, dans une grande variété de formes, la beauté divine, dont le reflet est, après tout, le but de toute création ? En outre, l'homme étant le sommet du monde matériel, n'est-il pas naturel de chercher le complément de cette perfection spirituelle, qui n'est chez lui qu'à l'état d'ébauche, dans une classe d'êtres d'un ordre supérieur, libres de toute matière, si subtile que nous la puissions concevoir ?

3. En fait, un examen de la nature de nos propres facultés intellectuelles nous conduit à cette conclusion, savoir : que l'existence de substances, entièrement spirituelles et supérieures à nos âmes, est d'accord avec l'harmonie de l'univers.

Considérons un moment nos facultés mentales. Nous savons, par expérience personnelle, combien étroites sont les limites où opère notre intelligence. Sa sphère propre est à ce point bornée aux choses de ce monde, que, pour nous former une idée d'un être immatériel et spécialement de Dieu, nous devons avoir recours à des images sensibles. Bien que ces images sensibles nous mettent à même de fixer notre attention sur ces objets supérieurs, elles ne laissent pas de nous en interdire une vue claire et distincte.

C'est ainsi que lorsque nous désirons regarder le soleil, nous nous servons d'un verre fumé qui, atténuant l'éblouissante clarté de l'astre du jour, nous permet de fixer nos yeux sur son orbe, mais nous empêche en même temps de le voir dans tout son glorieux éclat ; et de même que nous pouvons imaginer d'autres êtres matériels, doués du pouvoir de regarder le soleil en face sans cligner les yeux, nous pouvons penser à des substances spirituelles intelligentes, ayant une perception mentale supérieure à la nôtre, c'est-à-dire complètement indépendante des images sensibles, et douées d'une vue spirituelle en comparaison de laquelle la nôtre est pareille à celle d'un enfant qui n'a pas encore vu le jour.

Tels sont donc les indices qu'un examen de l'univers nous fournit de l'existence de purs esprits d'un genre différent de celui de l'âme humaine. Il faut toutefois observer que ces considérations, et d'autres d'un même ordre, bien que plausibles en elles-mêmes, ne prouvent pas pleinement l'existence de ces substances spirituelles. La seule conclusion que nous pouvons en tirer est que l'existence de purs esprits est une chose convenable et naturelle, bien que non absolument nécessaire, ou pour nous exprimer en d'autres termes, que la réalité d'esprits différant de nos âmes, c'est-à-dire d'esprits qui ne soient ni liés à un corps dans l'unité de nature (ce qui est le cas de nos âmes pendant la vie présente), ni en relation avec un corps déterminé (comme notre âme continuera de l'être après la mort), est en harmonie avec l'ordre du monde.

4. Mais la question qui nous occupe n'est pas tant la convenance de l'existence de tels esprits, que leur présence réelle dans le monde. Cette réalité ne peut toutefois être établie avec certitude à la lumière de la seule raison, puisque l'ordre général de l'univers et les rapports mutuels de ses parties ne nous sont pas parfaitement connus.

Les créatures visibles qui peuplent l'univers, leur mutuelle dépendance, l'ordre et l'harmonie qui relient les différentes parties du monde, nous sont un témoignage suffisant de l'existence d'un Dieu, auteur de toutes choses. Car la considération de l'univers conduit nécessairement l'esprit à la connaissance d'une cause première, une en nature, et infiniment bonne et parfaite ; de là les mots de saint Paul : « Car ses perfections invisibles sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connaissance que ses œuvres en donnent, de même que son éternelle puissance et sa divinité » (Or, toute la création matérielle est insuffisante pour nous conduire à la conclusion indiscutable que de purs esprits, supérieurs à nos âmes et distincts de Dieu, existent réellement.

En effet, si, d'un côté, les créatures de ce monde portent sur elles comme un reflet de la divinité proclamant Dieu comme leur auteur, d'un autre, ces mêmes créatures ne sont pas marquées au sceau de ces purs esprits ; aussi ne peuvent-elles pas nous donner, sans la possibilité d'un doute, la certitude de leur existence. Le monde n'a pas été fait par elles, il peut continuer d'exister sans elles, et nous n'avons pas besoin, pour expliquer les phénomènes qu'il nous présente, de recourir à leur intervention.

Il s'ensuit donc que les arguments exposés ci-dessus tendent seulement à montrer que l'existence de purs esprits, supérieurs à nos âmes et distincts de Dieu, est chose convenable, d'accord avec l'harmonie de l'univers ; mais ils ne nous permettent pas d'affirmer, sans l'ombre de doute, le fait de leur existence. La réalité de purs esprits peuplant le monde invisible, demeurerait pour nous un problème insoluble, sans une révélation spéciale venant de Dieu lui-même et dont nous parlerons ci-après.


II. - Les phénomènes spirites ne sont pas une preuve suffisante de l'existence de purs esprits

1. Nous avons dit qu'à la lumière de la seule raison, on ne peut arriver avec certitude à la connaissance de l'existence objective d'esprits entièrement libres de la matière, supérieurs à l'âme humaine, et distincts de Dieu. Mais on peut prétendre, en contradiction avec une telle assertion, que précisément les phénomènes ordinaires du spiritisme, ancien ou moderne, sont une preuve suffisante de la réalité objective de l'existence de tels esprits.

En fait, nous savons, d'après l'histoire du spiritisme et les récentes recherches des savants, ce que sont ces phénomènes. Les lois de la nature, peut-on ajouter, nous sont suffisamment connues pour nous permettre de dire que ces phénomènes ne sont pas dus à l'action d'un agent visible. D'autre part, l'étude des facultés de notre âme nous conduit à conclure, ainsi que nous le verrons plus tard, qu'elle ne peut, une fois séparée du corps, exercer un contrôle de ce genre sur les éléments de la matière. Ne pouvons-nous donc, par suite, conclure à l'existence de certains agents spirituels complètement invisibles, supérieurs à l'âme humaine mais distincts de Dieu, que, par leur nature et leur opération particulière, nous pouvons supposer être les causes productrices des phénomènes en question, phénomènes qui ne nous paraissent pas pouvoir être attribués à d'autres agents ?

Notre réponse doit être négative. Ces manifestations sont insuffisantes pour établir avec une certitude absolue que des esprits, distincts des âmes humaines séparées de leurs corps, existent réellement.

Car, en admettant que de tels effets surpassent les pouvoirs connus de la nature, ils peuvent néanmoins être expliqués sans qu'il soit nécessaire de se référer à l'action de substances entièrement spirituelles. Dieu, à la vérité, peut, par sa puissance infinie, produire ces effets sans la coopération de causes secondes et, dans ce cas, son action immédiate en serait seule responsable.

2. Si l'on objecte que toutes ces manifestations ne peuvent être attribuées à Dieu, puisque certaines sont susceptibles de produire de mauvais résultats, par exemple l'affaiblissement des facultés mentales, morales et physiques, et que cela équivaudrait à faire de Dieu l'auteur du mal, on pourra répondre qu'une grande partie de ce mal provient d'un abus, plutôt que d'un usage normal de ces pratiques mystérieuses.

Si l'on insiste en disant que certaines de ces manifestations sont d'un caractère bas et immoral, alors qu'elles sont jointes à des assertions manifestement contradictoires, ou donnent lieu à une excitation délibérée au péché, on peut encore observer que, bien que ces circonstances indiquent clairement la présence d'un agent immatériel de nature mauvaise, distinct de la personnalité de Dieu qui est la sainteté parfaite, elles ne peuvent cependant pas constituer une base suffisante pour une croyance générale à l'existence de substances purement spirituelles. Des faits isolés ne sont jamais une preuve adéquate pour une croyance qui engage l'humanité tout entière.

3. Nous pouvons ajouter que, bien que ces signes puissent être pris comme une présomption en faveur de la conclusion que des agents invisibles, autres que des âmes désincarnées, sont à l'œuvre, il resterait à montrer quels sont ces esprits, et si d'autres esprits, d'une nature plus bienfaisante, peuplent le monde invisible. Les théories multiples et variées mises de nos jours en avant par les chercheurs scientifiques dans le but d'expliquer les phénomènes des séances spirites prouvent amplement ce que nous avançons ici, c'est-à-dire qu'avec l'aide de la nature seule nous ne pouvons arriver, avec pleine certitude, à la connaissance de l'existence de purs esprits tels que sont les anges.


III. - La preuve adéquate de l'existence de purs esprits

1. De ce qui a été dit jusqu'à présent nous pouvons comprendre combien sont insuffisantes la raison naturelle et l'expérience sensible pour démontrer, sans doute possible, l'existence d'un monde spirituel, distinct de notre univers visible.

Cette insuffisance, toutefois, a disparu, en vertu de l'enseignement de l'Église Catholique, tel qu'on le trouve dans la définition du quatrième Concile de Latran : (Dieu) par sa Toute-Puissance a créé à la fois, à l'origine des temps, les deux créatures, la spirituelle et la corporelle, c'est-à-dire l'angélique et la terrestre, et ensuite l'humaine, pour ainsi dire créature commune, composée d'esprit et de corps.

2. Cette définition n'était pas une addition nouvelle au dépôt de la foi, car on trouve mentionnée clairement l'existence de ces êtres spirituels, non seulement dans les œuvres des Pères, mais aussi dans la Sainte Écriture. Aussi bien dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament, l'on parle de multitudes peuplant le monde invisible, disposées en bel ordre, comme une armée rangée en bataille. Qu'il suffise de citer ici les mots suivants : « Adorez-Le, vous tous ses Anges »  ; et : « Leurs anges dans le ciel voient toujours la face de mon Père qui est dans les cieux » .

3. D'accord avec l'enseignement catholique, nous considérons ces purs esprits comme tout à fait distincts, en genre et en espèce, des âmes des hommes, que celles-ci soient unies à un corps, comme dans la vie terrestre, ou qu'elles en soient séparées par la mort, comme dans la vie future. Mais c'est là un point sur lequel nous devons insister plus en détail.


IV. - Distinction spécifique entre les purs esprits et les âmes des hommes

1. D'anciens écrivains ont pensé que les purs esprits dont nous parlons furent originairement d'un même genre ou de la même espèce que les âmes des hommes. Les soutenants de cette opinion furent appelés Origénistes, car ils prétendaient tirer leur opinion des écrits d'Origène, le célèbre docteur de l'Église d'Alexandrie . Ils soutenaient que ces esprits furent créés longtemps avant que ne fût formé le corps de l'homme, et même longtemps avant que la matière n'existât, et que, dans la première intention de Dieu, aucun d'eux n'était destiné à être uni à un corps matériel. Comment donc arriva-t-il que, par la suite, certains de ces esprits furent en fait unis à des corps terrestres ?

D'après les partisans de cette doctrine, ce fut en conséquence du péché que cette union eut lieu pour quelques-uns de ces esprits, ceux qui persévérèrent dans la sainteté demeurant dans un état purement spirituel. De là la distinction entre l'âme humaine, en relation de dépendance avec un corps comme complément de sa nature, et les purs esprits exempts ou libres d'une telle relation, ne serait d'après ces écrivains, qu'une distinction de degré, non d'espèce ou de genre. La ligne de démarcation entre les âmes des hommes et les purs esprits indiquerait une différence accidentelle, mais non substantielle

2. Chose assez étrange, il se trouve que ces opinions des anciens Origénistes coïncident parfaitement avec l'enseignement courant des spirites et des théosophes modernes les plus notoires.

3. Mais de telles opinions sont contredites par l'enseignement de la théologie catholique affirmant que le pur esprit diffère essentiellement de l'âme humaine, à ce point qu'il ne peut être uni substantiellement à un corps, tandis que cette dernière est reçue dans le corps qu'elle informe dès le premier moment de sa création, constituant avec lui non seulement une espèce distincte, mais aussi une individualité complète. Or il est impossible que l'âme humaine dépasse les frontières de sa propre nature au point de devenir une même espèce avec un pur esprit, celui-ci serait-il de l'ordre le moins élevé. Car, même après la mort, l'âme demeure ce qu'elle fut durant la vie terrestre, ordonnée au corps pour lequel elle fut créée.

En un mot, de même que chaque âme est numériquement distincte des autres âmes, ainsi est-elle distincte spécifiquement des purs esprits. Elle ne pourra jamais aspirer à devenir elle-même un pur esprit.

4. En réalité, une évolution ou transformation de l'âme humaine en une nature angélique est non seulement contraire à l'enseignement de l'Église, mais est en fait contredite également par la voix de la nature. Nous sentons en nous une vive aspiration naturelle vers la perfection, mais cela dans la sphère de notre activité propre, car désirer changer de nature est chose inconcevable.

Un tel changement, pour se produire, impliquerait la destruction de l'âme elle-même, vu qu'elle ne pourrait atteindre à une forme spécifique supérieure sans souffrir un changement substantiel et par conséquent sans subir d'abord une destruction complète. L'évolution d'un être en une espèce substantiellement distincte est contraire, à la fois, à la théologie catholique et à l'enseignement de la saine philosophie.

Nous nous proposons de traiter plus loin de la nature de l'âme humaine, soit unie au corps, soit séparée de lui.

Ce qui nous occupe actuellement, c'est de connaître la nature des purs esprits que nous savons être spécifiquement distincts de l'âme humaine.


V. - Nature des purs esprits

1. Il nous est difficile, dans notre état présent de vie, de comprendre clairement quelle est la nature d'un pur esprit ou d'un ange. Gênés comme nous le sommes par notre ambiance matérielle, n'ayant des choses de ce monde aucune conception qui ne soit nécessairement accompagnée d'images sensibles et matérielles, nous ne pouvons, sauf avec grande difficulté, arriver à une notion exacte de l'essence d'un pur esprit. Tout ce que nous pouvons faire est d'essayer de nous former une idée approximative de ce qu'est en réalité une substance purement spirituelle.

2. Par les mots purs esprits, nous entendons des êtres intelligents d'une nature si subtile qu'elle ne soit en aucune façon composée de matière, quelque raffinée ou éthérée que nous puissions la concevoir. De tels êtres sont ainsi en dehors de toute perception de nos sens, quelque parfaits et raffinés qu'ils soient, et transcendent l'ordre tout entier du monde matériel et visible. Ce serait donc une erreur de les concevoir comme appartenant à une classe intermédiaire entre des êtres doués d'une forme corporelle et ceux qui en sont exempts, tels que la crédulité du moyen âge a imaginé les Sylphes, c'est-à-dire des substances d'une nature aérienne possédant le pouvoir d'un mouvement léger et rapide.

3. L'immatérialité des êtres auxquels nous songeons en ce moment est la raison pour laquelle ils sont nommés exactement des esprits, le terme esprit impliquant l'idée d'une chose tout à fait au-dessus de la matière et libre de toute relation essentielle avec elle. D'où il suit que ce terme ne saurait être convenablement employé pour désigner l'âme humaine. Bien que celle-ci en effet soit, elle aussi, d'une nature spirituelle, toutefois, ayant été créée pour informer un corps et constituer avec lui une substance individuelle unique, elle n'est un esprit qu'au sens bien plus large de ce terme, et ne peut en aucun cas être nommée un pur esprit.

4. En outre, puisque les purs esprits sont, comme nous le verrons plus loin, doués d'une perception mentale bien supérieure à la nôtre, on les nomme aussi intellects, intelligences ou esprits. Pour être plus précis nous devrions noter que ces termes sont plus métaphoriques qu'exacts, puisque, dans leur signification propre, on ne devrait pas les employer pour désigner la substance, mais seulement cette faculté de la nature angélique, par laquelle elle saisit le vrai. Cependant comme nous employons souvent le nom d'une partie pour désigner le tout, ainsi par « intelligences » nous entendons habituellement non la faculté de compréhension des substances spirituelles, mais les substances spirituelles elles-mêmes.

5. Mais pourquoi ces substances sont-elles nommées anges ? La réponse est évidente. La condition naturelle de ces esprits les met, plus qu'aucune autre créature, dans un rapport direct avec Dieu, les plaçant, pourrait-on dire, à mi-chemin entre l'homme et la Divinité. Dieu les emploie donc comme ses envoyés spéciaux, pour transmettre le message divin à la race humaine ; de là la coutume de les nommer anges, car ce mot signifie messager . Mais il y a, comme nous le verrons par la suite, de bons et de mauvais anges.

Un ange est donc un pur esprit, c'est-à-dire un être non composé, comme le sont les hommes dans cette vie, de deux substances différentes, corps et âme, liées l'une à l'autre dans une unité de nature. Ce n'est pas non plus un être substantiellement uni ou nécessairement ordonné à un corps comme l'est notre âme. Il n'y a, dans les anges, rien de matériel, pas l'ombre la plus légère d'un corps, si subtil et si impondérable que nous puissions l'imaginer. Un point est quelque chose de trop matériel pour représenter la simplicité d'un ange ; l'éclair qui passe dans le ciel ne donne pas même une idée de sa vigueur et de son énergie, et la force irrésistible d'un feu violent ne peut être comparée à la puissance de ces merveilleux esprits . Dieu a créé toutes choses en ce monde pour la manifestation extérieure de ses perfections infinies et les Anges sont, par nature, les plus beaux miroirs réfléchissant la spiritualité de la Divinité.

6. Un ange est, toutefois, un être créé, et par conséquent fini, ce qui établit la distinction entre lui et Dieu, pur Esprit d'une grandeur infinie, dont l'essence contient toute perfection imaginable. Ainsi tandis que Dieu, en raison de son immensité, remplit tout l'univers, et connaît et peut faire toutes choses, un ange est limité dans son essence ainsi que dans la sphère de ses connaissances aussi bien que de son action. Au delà de ces limites il ne possède ni pouvoir, ni connaissance. Mais c'est une chose de parler des limitations de la connaissance de l'ange et c'en est une autre de parler des confins de son pouvoir, comme il nous reste à le dire.

Ce qui nous préoccupe actuellement c'est le problème concernant les agents réels des phénomènes spirites. À cette fin nous devons porter notre attention, d'abord sur le degré de connaissance des substances angéliques et ensuite sur le pouvoir possédé par elles sur le monde visible.



CHAPITRE II - LA CONNAISSANCE ANGÉLIQUE

1. Un grand nombre des phénomènes qui se produisent dans les séances spirites témoignent d'une somme remarquable de connaissance surnaturelle possédée par leurs auteurs et la question se pose ici d'elle-même: à quels agents ces phénomènes doivent-ils être attribués ?

Cette question ne peut être résolue, si l'on ne recherche, tout d'abord, quelle est la nature et l'extension de la connaissance possédée par les purs esprits que nous appelons anges.

Quelle est donc la nature et l'étendue de cette connaissance possédée par les anges et de quelle façon l'obtiennent-ils ? La connaissance d'un ange diffère-t-elle de celle d'un autre et quels sont les objets que saisit l'esprit angélique ? Les anges peuvent-ils connaître les événements futurs et les secrètes pensées des cœurs ? Comment pouvons-nous, dans notre vie présente, entrer en communication avec le monde des êtres angéliques ?

La réponse à ces questions n'est rien moins que facile, le monde des esprits se trouvant tout à fait au delà de notre champ d'expérience. Mais la théologie catholique, élaborée par les études des Pères et des Docteurs de l'Église, a depuis longtemps donné sur tous ces points des explications précises, en dehors desquelles toutes les autres assertions se révèlent inadéquates, sinon tout à fait fausses.

2. Les explications que nous donnerons pourront paraître à quelques lecteurs, un peu laborieuses et certains pourront être tentés de les prendre pour d'ingénieuses suppositions plutôt que pour des réalités objectives. Ces explications cependant sont fondées sur les lois nécessaires de la logique et de la déduction et comme telles ne peuvent être repoussées à la légère. Il faut en outre se rappeler qu'une explication trop facile et trop évidente de la connaissance et des pouvoirs d'êtres tout à fait en dehors de notre propre sphère, porte la marque de l'insuffisance et doit être examinée avec une très grande méfiance. Plus la vérité que nous considérons est élevée, plus l'explication de cette vérité doit se trouver en dehors du lieu commun. Le lecteur doit donc être préparé à accepter l'interprétation que fournit la théologie catholique, si subtile qu'elle paraisse, ou abandonner tout espoir de parvenir à une compréhension exacte de la nature de la connaissance angélique.

3. Il faut également observer, dès le début, que nous avons surtout l'intention de parler ici de la connaissance naturelle des anges, c'est-à-dire de la connaissance proportionnée à leur condition indépendamment de l'ordre de la grâce. La théologie catholique enseigne qu'outre cette connaissance naturelle, certains d'entre eux possèdent aussi une somme de notions surnaturelles, dont la source se trouve dans la vision immédiate de l'Essence divine, vision qui n'est pas commune à tous les anges, mais qui n'est accordée qu'aux bons anges.

Notre dessein étant d'examiner la nature et les causes des phénomènes spirites qui ne peuvent être attribués qu'à la connaissance et au pouvoir naturels des anges, il n'est pas nécessaire que nous nous occupions, pour le moment, de l'examen de la connaissance surnaturelle de ces êtres spirituels, bien qu'il soit bon de ne pas négliger entièrement cet aspect de la question. Nous en parlerons brièvement un peu plus loin, quand nous traiterons de l'illumination angélique qui, comme nous le verrons, a son origine dans la vision de l'Essence divine.


I. - Nature et étendue de la connaissance angélique

1. Il est manifestement beaucoup plus facile de se former une idée exacte de la connaissance à laquelle, peuvent parvenir les diverses formes de vie sensitive, que de la manière dont s'accomplit, dans les substances angéliques, l'œuvre de perception de la vérité. Bien plus, l'erreur où nous avons la chance de tomber ici est l'opposé même de celle qui pourrait accompagner notre examen de la connaissance chez les animaux. Car, tandis que la connexion intime entre nos facultés sensibles et nos facultés rationnelles nous dispose à surestimer les facultés sensibles de la création brute, l'absence d'un fil conducteur nous reliant au royaume des substances angéliques, nous fait au contraire sous-estimer la valeur intellectuelle de ces êtres tout spirituels, notre tendance nous portant à les mesurer avec l'étroit compas de nos propres facultés mentales.

2. En réalité, la différence, dans la faculté de compréhension, entre l'esprit angélique et l'esprit humain est immense. Il existe, entre la faculté intellectuelle de l'ange du rang le moins élevé et celle du plus doué qui soit parmi les hommes, une inégalité beaucoup plus grande qu'entre celle du savant le plus intelligent et celle du paysan le plus ignorant. Et bien que l'intellect d'un ange ne soit pas sa propre substance, de même que notre intellect n'est pas la nôtre, l'ange possède néanmoins une telle pénétration, qu'il est capable d'embrasser, d'un simple regard, le domaine tout entier d'une science s'offrant à sa perception, de même que nous pouvons embrasser, d'un seul regard, tout l'ensemble d'un spectacle matériel offert à notre vue.

3. Mais pour arriver à mieux comprendre l'étendue de la connaissance angélique, imaginons trois sphères concentriques où se meuvent respectivement trois genres d'esprits. La première est la sphère de l'intellect humain dont le rayon est court, limité qu'il est à la nature des objets matériels, puisque l'homme est lui-même matériel et par conséquent incapable de comprendre adéquatement la nature des êtres spirituels, tels que sont les anges. Ceci, bien entendu, ne nous empêchera pas de nous efforcer d'étudier les lois de la connaissance angélique, de même qu'un astronome n'omet pas de se servir de son instrument pour ses recherches dans le ciel et l'étude des corps célestes, quand bien même il se sent incapable d'acquérir, à ce sujet, une science aussi adéquate qu'il le désirerait.

4. Au delà de cette sphère et la renfermant est la sphère où se meut l'intellect angélique. Cette sphère est incommensurablement plus grande que la première et embrasse non seulement les choses de l'univers matériel, mais aussi les objets purement intellectuels du monde invisible. Toutefois, l'intellect angélique n'entre pas en possession de cette sphère de connaissance par un processus graduel et laborieux, comme c'est le cas chez l'homme. L'esprit humain, dans l'enfance, est pour ainsi dire en sommeil, et ce n'est que petit à petit qu'il s'éveille à la vérité, jusqu'à ce qu'il finisse par comprendre qu'au delà des choses de ce monde matériel il existe une autre réalité, qui n'est ouverte qu'à la pensée.

L'intellect angélique, au contraire, n'a pas besoin de passer par un tel processus de développement intellectuel. Dès le premier moment de son existence, il saisit tous les objets contenus dans sa sphère, et cela comme il lui plaît, ne connaissant ni fatigue, ni labeur dans cet acte, se mouvant, comme dans son élément propre, dans l'éblouissante clarté du monde purement intellectuel, avec une agilité et une facilité extraordinaires.

5. Au delà de cette seconde sphère il en est une autre, infiniment éblouissante, et sans confins créés, renfermant et dépassant les deux premières dans un degré incomparable. C'est la sphère de l'Esprit divin, sphère de lumière intellectuelle pleine d'amour, amour de vrai bien plein de joie, joie qui surpasse toute douceur . Il ne nous appartient pas de parler ici de la connaissance propre à la divinité.


II. - Comment les Anges entrent en possession de leurs connaissances

1. Pour être en mesure d'entrer plus avant dans la compréhension des caractères spéciaux de la connaissance angélique, nous devons d'abord examiner le mode particulier suivant lequel l'intellect angélique acquiert les connaissances propres à sa nature. Ce mode diffère largement de ce que l'expérience nous montre comme étant propre à notre nature.

Nous passons graduellement d'un état d'ignorance à un état de connaissance. Les Anges, au contraire, ont possédé, dès le commencement de leur existence, la somme totale des connaissances naturelles propres à leur état.

2. L'âme humaine, liée comme elle l'est à son propre corps, et dépendant de lui d'une certaine façon pour ses opérations, doit faire usage des sens externes et de l'imagination pour arriver à la vérité. Ce processus n'est pas instantané, mais graduel ; si bien que nous devons d'abord saisir les objets extérieurs, avant que notre esprit puisse atteindre à une connaissance intellectuelle des choses et devenir capable, après mûre réflexion, de les distinguer convenablement l'une de l'autre.

C'est ainsi que l'ignorance d'un enfant ne cesse que lorsque ses sens sont suffisamment développés pour le mettre à même de comprendre, dans leur réalité objective, la nature ou l'essence des choses environnantes. Et même alors sa connaissance n'est pas parfaite, comme en témoigne le fait qu'il ne connaît que des termes généraux pour désigner les différents objets de sa compréhension. Ce n'est que lorsqu'il est avancé en âge et que son esprit s'est développé en grandissant, qu'il devient apte à désigner chaque objet par le nom qui lui convient.

L'intellect d'un enfant, en raison de l'union du corps et de l'âme, suit donc la marche que nous observons, par exemple, dans la croissance des plantes. La semence confiée à la terre, après s'être tout d'abord ouverte à l'action vivifiante du soleil et de l'eau, croît progressivement par l'assimilation mystérieuse et puissante des éléments vitaux et finit par devenir une plante qui à son tour porte des fruits de son espèce.

3. Il n'en est pas ainsi des anges. Ayant été créés dans la pleine perfection de leur nature, les esprits angéliques ne connaissent pas de développement par croissance graduelle. Ils ne souffrent aucun déclin dans leurs connaissances. Ils sont toujours en possession de la lumière et de la science qui leur sont propres, sans que cette science ait à passer par étapes consécutives, de la brume du matin à la splendeur d'un étincelant midi, et sans que leur lumière disparaisse dans les ténèbres de la nuit ou même s'estompe dans un crépuscule.

4. Comment donc pouvons-nous nous former une idée de ce qu'est la connaissance angélique ? En nous rappelant d'abord que toute lumière spirituelle procède de Dieu qui est la lumière essentielle, et que c'est par cette lumière que les créatures intelligentes ont une ressemblance spéciale avec Lui, se connaissant elles-mêmes et connaissant les choses de ce monde et, par-dessus tout, Dieu, le Créateur de l'univers. Or, de même que les choses de ce monde sont sorties des mains de Dieu dans la perfection de leur nature et de leur être, de même aussi la lumière spirituelle par laquelle les anges ont été à un certain degré faits à la ressemblance de Dieu, leur a été donnée, dès le principe, dans toute sa perfection.

Or les anges sont, d'une part, supérieurs à nous par nature, et d'autre part n'ont pas de sens externes leur permettant d'entrer en contact avec le monde extérieur, pas plus qu'ils ne possèdent cette faculté nommée l'intellect agent (intellectus agens), qui, dans notre cas, illumine les objets de notre connaissance et les rend actuellement intelligibles.

Il s'ensuit que les anges ont, non seulement, reçu de Dieu, dès le commencement, outre leur faculté intellectuelle radicale beaucoup plus puissante que la nôtre, une plus grande abondance de lumière divine que celle que nous possédons nous-mêmes, mais aussi qu'ils l'ont reçue immédiatement de Dieu, lumière suprême du monde, et que cette lumière tend à illuminer tous les objets connaissables par eux, les leur rendant actuellement perceptibles.

5. Or, quelle est cette lumière que les anges reçurent immédiatement de Dieu dès leur création ?

Comme nous venons de le laisser entendre, cette lumière est de deux sortes. D'abord, il y a une lumière radicale, qui n'est autre chose que la faculté intellectuelle de comprendre ou la capacité de connaître les choses. Puis il y a une lumière objective qui éclaire les objets et les rend actuellement intelligibles.

6. La lumière dont nous parlons ici consiste précisément en ces images mentales, représentations des objets externes, matériels ou spirituels. C'est, vers ces images, que l'intellect angélique se tourne pour connaître et comprendre les choses de ce monde qu'elles ont fonction de représenter. L'intellect angélique est donc comme un tableau, ou mieux encore, comme un vivant miroir que l'ange n'a qu'à contempler pour connaître les choses naturelles de ce monde.

La possession de la connaissance chez les anges n'est donc pas le résultat d'une étude prolongée ou d'un effort quelconque. L'acquisition de cette connaissance n'implique pas, de leur part, une tension ou une fatigue, comme c'est le cas pour nous qui ne pouvons entrer en contact avec le monde visible que par le moyen de nos sens extérieurs, par l'exercice de notre faculté imaginative et par l'activité de l'intellectus agens, illuminant les phantasmes, pour en tirer les images ou espèces intelligibles.

L'opération intellectuelle d'un ange, consiste en un regard paisible porté sur ces représentations ou images, existant dans son esprit, et cela dès le premier moment de sa création.

7. Il faut cependant admettre chez les anges, un certain accroissement de connaissance en proportion du développement des événements de ce monde. En effet, ne sachant pas les choses futures, comme nous le verrons plus loin, il est nécessaire qu'ils acquièrent de nouvelles connaissances quand ces événements viennent à se réaliser. En outre des révélations peuvent leur être faites, soit par Dieu lui-même, soit par d'autres anges, soit même par l'homme, puisque les pensées secrètes des anges et des hommes ne sont connues que de Dieu et de leurs auteurs. Mais on se tromperait si l'on croyait que cet accroissement est le résultat de nouvelles images se formant dans l'esprit angélique, les images infuses dès le commencement étant suffisantes pour ce but. Ces images, en effet, ont par elles-mêmes la vertu de représenter ces événements, mais seulement quand ils se vérifient dans le temps. Avant ce moment, ces images sont comme voilées. Le voile tombe au moment où ces événements s'accomplissent ; et ces mêmes images montrent clairement ainsi aux anges les événements nouveaux avec toutes les circonstances qui les accompagnent.


III. - Comment la connaissance d'un Ange diffère de celle d'un autre

1. Ayant ainsi montré quelle est l'origine de la connaissance angélique, nous examinerons maintenant la différence qui existe entre la connaissance d'un ange et celle d'un autre.

Bien qu'il y ait pour tous les anges, comme nous l'avons indiqué, un mode commun de conception, (c'est-à-dire un simple regard sur les images des choses imprimées dans leur esprit par Dieu) il existe néanmoins une différence de degré dans cette conception. Cette différence est déterminée par le degré de perfection que l'ange individuel possède naturellement. Comme il n'y a pas deux anges exactement semblables, la faculté de comprendre et l'usage conséquent de cette faculté varient naturellement d'autant de degrés qu'il existe d'anges.

En quoi consiste donc cette différence de compréhension par rapport à la connaissance naturelle des choses ? Elle consiste dans la différence des images ou des représentations qui, ainsi que nous l'avons expliqué, furent imprimées par Dieu dans l'intellect angélique dès le commencement, ces images étant en proportion de la perfection d'esprit ou d'intellect de chaque ange en particulier. Et en quoi consiste la différence entre les images ou représentations des anges les plus élevés et celles des anges d'un degré inférieur ?

2. La différence consiste en ce que chez les anges d'un ordre supérieur, ces images sont plus universelles et par conséquent d'une nature plus élevée, tandis que chez ceux d'un rang plus bas, elles sont plus particularisées et de moindre envergure. D'où il suit que, tandis que la connaissance naturelle d'un esprit supérieur a plus d'unité et de simplicité, celle d'un esprit inférieur est plus divisée et pour ainsi dire fragmentée. De même que le soleil, dans la perfection de sa lumière transcendante, contient toutes les différentes lumières artificielles que le génie de l'homme a su produire, ainsi la connaissance d'un esprit supérieur contient, dans ces images universelles, toutes les images fragmentaires que possèdent les intellects des esprits d'un ordre inférieur.

3. Un étranger, arrivant pour la première fois dans une ville, ne peut en acquérir une connaissance distincte qu'en en parcourant successivement les rues et les places. Mais s'il montait sur une tour élevée, il serait à même d'embrasser d'un seul coup d'oeil, non seulement la ville elle-même, mais encore toute la campagne qui l'environne. C'est ainsi qu'un ange d'un ordre inférieur ne peut percevoir, dans une image, qu'un nombre limité d'objets, tandis que l'ange supérieur peut, dans sa contemplation du monde, embrasser un champ de vision beaucoup plus étendu.

4. Tout ceci est en accord avec la loi générale de l'univers. Cette loi veut que les créatures supérieures, étant plus proches de Dieu, participent aux perfections divines dans une plus large mesure et, en même temps, d'une manière plus simple que les créatures inférieures. Ainsi donc il est juste que les images spirituelles, qui de Dieu comme du centre de toute connaissance, rayonnent dans le monde des anges, passent, conformément à cette loi, dans leurs intelligences avec une perfection inversement proportionnée à la distance où chaque ange se trouve naturellement par rapport à Dieu, Sagesse Infinie et source de toute lumière spirituelle.


IV. – L’Illumination angélique

1. La connaissance possédée par les anges dont nous avons parlé jusqu'ici, est la connaissance des vérités naturelles que tous les anges possèdent également quelle que soit la différence de leur degré individuel de compréhension. Mais, outre ces vérités naturelles, il existe des vérités d'ordre surnaturel, celles qui ont trait aux mystères de la foi et à des faits tels que les opérations multiformes de la grâce dans les âmes des justes. Ces vérités et ces faits sont connus des anges quand ils contemplent l'œuvre de Dieu sous la lumière de la révélation ; c'est-à-dire dans leur vision de l'Essence divine face à face, privilège appartenant en propre et de façon exclusive aux bons anges.

2. Il existe toutefois une différence entre la vision de l'essence divine et la vision des opérations divines. L'essence divine est contemplée par tous les anges directement et sans intermédiaire ; les opérations divines au contraire, sont comprises plus ou moins pleinement dans la vision de Dieu suivant que l'ange est plus ou moins proche de Lui. Mais la charité d'un ange pour l'ange, son compagnon, ne lui permet pas de garder pour lui tout ce qu'il a vu ; en conséquence, l'ange supérieur qui voit mieux que l'inférieur les opérations divines, illumine celui-ci en intensifiant sa lumière naturelle et en l'instruisant dans les mystères de la grâce et de la gloire.

De là procède cette merveilleuse communion entre eux que la théologie nomme illumination angélique. Bien que ceci n'entre pas directement dans le cadre du présent ouvrage, nous croyons cependant qu'il sera bon d'en dire quelques mots d'après l'enseignement que les Docteurs de l'Église ont laissé sur ce sujet. Nous trouverons là une aide pour mieux connaître la nature et la manière de comprendre de ces merveilleux esprits angéliques qui sont, pour le moment, l'objet de notre étude.

3. Qu'entendons-nous par illumination angélique ? Nous entendons l'acte par lequel un ange supérieur manifeste à un inférieur quelque vérité de l'ordre surnaturel, vérité connue de celui-là par l'immédiate révélation du Verbe de Dieu, et communiquée par lui d'une manière intelligible aux anges inférieurs. En effet, la manifestation des vérités surnaturelles dépend entièrement de la volonté de Dieu, étant soumise à son libre choix et ces vérités ne peuvent donc être connues par la faculté naturelle de l'ange. Pour qu'un intellect angélique découvre ces vérités, une révélation spéciale de Dieu est nécessaire. Dieu, par exemple, manifeste directement aux plus élevés des anges le fait de l'Incarnation de son Divin Fils ; mais, comme dans toutes ses œuvres, il a coutume de se servir des causes secondes, il laisse aux anges éclairés immédiatement par lui le soin d'illuminer les autres anges moins élevés sur ce mystère et autres semblables.

4. Par conséquent, de même que, dans la production des choses inanimées ou des êtres vivants, Dieu met en action des causes secondaires matérielles, ainsi, dans la manifestation de ces vérités surnaturelles, sa sagesse a ordonné que, tandis que la plus haute intelligence serait directement illuminée par Lui, celle-ci, à son tour, ferait acte d'agent intermédiaire en imprimant les images reçues sur l'intelligence qui lui est inférieure.

Il y a donc ainsi, tout au long de l'échelle de l'intelligence spirituelle, dans chaque esprit angélique, une influence à la fois active et passive, de telle façon, toutefois, que le premier esprit, tout en illuminant les autres, est lui-même illuminé directement par Dieu seul. D'autre part, le dernier être placé sur l'échelle de l'intelligence spirituelle, tout en étant illuminé, ne communique pas l'illumination aux autres esprits mais seulement à l'homme. Cependant, à la tête de tous les anges, il faut placer l'âme très sainte du Verbe incarné qui, comme une lumière resplendissante et très pure, illumine toute créature intellectuelle, y compris la plus haute intelligence angélique.

5. La manière dont a lieu cette illumination spirituelle ressemble assez à celle adoptée par le maître quand il veut transmettre à son élève quelque connaissance scientifique. L'élève est incapable de saisir, d'un seul coup, la science de son maître. Celui-ci doit donc adapter son enseignement à la capacité mentale de celui-là, et, dans ce but, il doit chercher à exposer, au moyen d'exemples et de propositions particulières, les principes universels contenus dans ces vérités particulières et que son propre esprit perçoit d'un seul coup d'œil. C'est ainsi qu'un ange supérieur s'accommode à la capacité d'un ange inférieur, présentant à l'intellect de ce dernier, sous une forme circonscrite, ces vérités universelles, dont il a lui-même une compréhension plus universelle et par suite plus simple et sans division.

D'où il suit que le rayon de lumière divine, émanant de Dieu, se divise et diminue quelque peu d'intensité, pour ainsi dire, alors qu'il atteint les substances spirituelles moins parfaites, c'est-à-dire les plus éloignées de la lumière divine, source de toute vérité.

6. Tout ceci confirme ce que nous avons dit précédemment, à savoir, que la connaissance naturelle et la connaissance surnaturelle possédées par les différents anges ne sont, ni l'une ni l'autre, également parfaites chez chacun d'eux, de même que la connaissance d'un élève n'est pas égale à celle de son maître, mais lui est nécessairement inférieure.

Toutefois une différence existe entre les deux processus. Chez l'élève, la connaissance de la vérité est obtenue par un accroissement ou une assimilation graduelle, tandis que l'ange l'acquiert instantanément. En outre il peut arriver, et il arrive souvent, que l'élève devance son maître et le surpasse en connaissance ; mais un ange d'ordre inférieur ne peut jamais espérer atteindre la perfection de la connaissance possédée par un ange d'ordre plus élevé. Une telle chose serait une dérogation à l'ordre établi par Dieu. Or une dérogation de ce genre ne peut jamais être admise dans la hiérarchie angélique puisqu'elle serait dépourvue de finalité, de même qu'il ne peut jamais être admis qu'un ange inférieur illumine un ange plus élevé.

7. Enfin, il nous faut observer que ce que nous avons dit de l'illumination angélique, se rapporte uniquement aux bons esprits. Les esprits mauvais étant exclus de ce commerce intellectuel, du fait qu'ils sont retranchés de l'ordre surnaturel et de l'amitié de Dieu. Ils peuvent, bien entendu, communiquer leurs pensées et leurs désirs l'un à l'autre sous forme de questions et de réponses. Ils peuvent aussi recevoir des bons anges des révélations spéciales, mais, ni dans l'un ni dans l'autre cas, on ne peut parler d'illumination au sens propre du mot, cette communication ne rapprochant aucunement ces esprits tombés de la source de vérité qui est Dieu. Or les anges déchus sont totalement séparés de Dieu, si bien qu'ils ne peuvent jamais espérer de réconciliation avec Lui .


V. - Objets qu'embrasse la connaissance naturelle des Anges

1. L'illumination angélique appartient exclusivement, comme nous l'avons dit, à l'ordre surnaturel, mais nous devons nous occuper plus particulièrement dans cette étude de la connaissance naturelle des anges dont nous avons déjà décrit la nature. Examinons donc quels sont les objets inclus dans cette connaissance, et voyons si celle-ci est limitée à une certaine classe d'objets, ou si toutes les diverses branches du savoir naturel sont ouvertes aux anges.

Il n'est pas facile de déterminer exactement quel peut être le champ de la connaissance angélique, vu que cette connaissance diffère de la nôtre par le genre et par l'origine. Nous pouvons, en tout cas, dire avec une pleine certitude que la somme de connaissance possédée par l'ange le moins élevé de tous surpasse d'une manière incommensurable celle que possède l'esprit humain le plus parfait. Nul homme, par exemple, ne peut exceller dans plus d'une branche de savoir et une étude prolongée nous amène à découvrir que, même dans cette seule branche, ce qui nous reste à connaître dépasse de beaucoup ce que nous connaissons réellement. En outre, l'acquisition d'une nouvelle connaissance nous oblige souvent à corriger ou à modifier les opinions et les notions que nous avions tout d'abord établies.

2. Ces imperfections n'existent pas dans la connaissance infuse des substances spirituelles. Chez elles, ces images auxquelles nous avons fait allusion dans les paragraphes précédents, ne sont pas seulement représentatives des principes généraux qui régissent chaque science en particulier, mais, elles transmettent tous les détails virtuellement contenus dans ces principes, si bien qu'une seule et même image informe l'esprit angélique de chaque point particulier contenu dans cette science. Il n'y a donc aucune confusion dans l'esprit angélique quand il passe de l'examen d'un objet à celui d'un autre.

3. Pour donner un exemple, nous pouvons imaginer un ange portant un moment son attention sur l'image ou représentation des sciences naturelles. Il y lira ainsi non seulement les grands principes qui sont la base de toute recherche expérimentale, mais aussi chaque détail de notre connaissance en Géologie, en Astronomie, en Botanique, en Zoologie ou en Archéologie historique, tous les détails en un mot qui ne nous sont révélés que par une étude patiente et l'observation assidue des phénomènes naturels.

Le même ange peut aussi contempler, avec une égale facilité, à la fois les principes et les détails des divers arts, connaissant immédiatement et exactement, sans effort de sa part, la combinaison variée des notes qui entrent dans une composition musicale ou la proportion et l'arrangement des couleurs dans une peinture et ainsi de suite.

En outre, l'homme doit dépenser beaucoup de temps et d'énergie pour recueillir une information exacte sur chaque catégorie de n'importe quelle sorte d'êtres ou sur chaque individu distinct de n'importe quelle catégorie, en même temps que sur ses caractéristiques et ses propriétés spécifiques.

Mais un ange connaît, d'un seul coup d'oeil, d'après l'image représentative, disons, de la nature animale, non seulement les diverses espèces d'animaux existants, mais aussi chaque individu de l'espèce ayant pu exister, en même temps que ses propriétés particulières et ses moyens d'action. Il en est de même pour la connaissance de tout objet, quel qu'il soit, pouvant se trouver dans la nature, que cet objet soit organique ou inorganique, matériel ou spirituel, visible ou invisible.

4. On verra aussi que la science humaine est de beaucoup surpassée, à la fois en étendue et en précision, par la science de l'esprit angélique. En même temps, il faut nous rappeler qu’il existe une différence dans la connaissance des anges, suivant le degré de perfection de chacun d'eux. Cette différence, comme on l'a déjà montré, consiste dans le fait qu’un plus petit nombre d'images suffit à l'ange supérieur, tandis qu'un plus grand nombre est nécessaire aux anges d'un degré inférieur.

Observons encore que l'esprit angélique n’est pas limité par le temps et l'espace, et nulle distance, si grande qu'elle soit, n'apporte d'obstacle à l'exercice de sa connaissance. On comprendra donc facilement à quel point la connaissance de ces intelligences spirituelles surpasse la nôtre ou même tout ce que nous pouvons imaginer, non seulement en étendue, mais encore en compréhension, exactitude et instantanéité.

5. Néanmoins, si grande que soit la compréhension de l’esprit angélique, nous devons exclure deux choses de la sphère où elle s'exerce ; premièrement, les événements futurs dépendant d'une cause libre, et secondement, les secrètes pensées des cœurs.

Nous nous proposons de nous arrêter plus longuement sur ces deux points, puisque, comme on le verra, ils sont d'une extrême importance pour déterminer la relation existant entre les phénomènes spirites ou télépathiques et le monde angélique.


VI. - Les Anges ne connaissent ni les événements futurs, ni les secrètes pensées des cœurs

1. Quand nous affirmons que les événements futurs dépendant d'une cause libre et les secrètes pensées des cœurs ne peuvent être connus des anges, nous voulons dire que ces choses ne peuvent être connues par eux sans une révélation spéciale venant de celui ou de ceux, de qui dépendent respectivement ces deux sources de connaissance. Or les événements futurs dépendent de Dieu et les pensées du cœur dépendent de Dieu et de la créature qui en est l’auteur. La révélation, dans le premier cas, ne peut donc être faite que par Dieu, et, dans le second, uniquement par Dieu ou par les auteurs respectifs de ces secrètes pensées.

2. Nous parlons ici, bien entendu, d’une connaissance précise et certaine qui exclut toute possibilité de doute. On peut admettre, en effet, que les anges, par la pénétration de leur intellect, peuvent arriver à connaître les événements futurs dépendant des lois physiques et ceci avec certitude. Car le livre de la nature est ouvert à l’esprit angélique, les lois mécaniques qui gouvernent l'univers lui sont également connues, de même que les propriétés des choses et leurs mutuelles relations. L’ange peut donc, sans crainte d'erreur, prévoir les événements dépendant des forces naturelles des éléments, tels que tempêtes, ouragans, éruptions volcaniques ou pluie de météores ; il peut aussi, avec un certain degré de probabilité, prédire des événements dépendant de ces phénomènes, tels que la perte de vies humaines, la destruction de villes, la famine ou la peste. En outre la constitution physique de chaque homme est parfaitement connue de l’ange, si bien que celui-ci peut prédire, avec une exactitude approximative, l'état futur de santé d'une personne en particulier et même la longueur probable de sa vie, sauf, bien entendu, le cas d'accident imprévu.

3. Mais les événements dépendant entièrement du libre vouloir du Créateur ou de celui des créatures sont complètement inconnus de l’intelligence angélique, parce que la pensée de Dieu n'est connue d'aucun être créé et que les pensées et les volontés de la créature raisonnable ne sont manifestes qu’aux yeux de Dieu.

C’est pour cette raison que la prédiction d'événements futurs dépendant de causes libres et la révélation des secrètes pensées du cœur, aussi bien des hommes que des anges, ont toujours été considérées comme des signes d'une intervention immédiate de Dieu et par conséquent comme de vrais miracles aux fins de manifester l'ordre surnaturel de la grâce.

4. Même en ce qui concerne les événements futurs dépendant de causes naturelles, il faut avouer que si la connaissance angélique peut jouir d’une certaine probabilité, elle ne peut jamais arriver à une certitude absolue. En effet cette connaissance peut parfois être imparfaite, vu que les anges ne peuvent prévoir tous les cas de modifications substantielles ou accidentelles que Dieu, à qui l’univers entier est complètement soumis, peut occasionnellement décréter, en harmonie avec l'ordre de sa Providence qui embrasse toute chose.

Ainsi, il est bien certain qu'aucune intelligence angélique n’aurait jamais pu prévoir des choses telles, par exemple, que la chute des murs de Jéricho au son de la trompette des juifs , ou la guérison de Naaman dans un bain sept fois répété, pris dans les eaux du Jourdain . Notre-Seigneur lui-même ne dit-il pas, d’ailleurs, que Dieu peut changer, s’il lui plaît, les pierres en autant d'enfants d'Abraham , et qui pourrait jamais supposer qu'un morceau de pain puisse devenir, par la consécration, le Corps du Sauveur ?

5. La connaissance des anges étant donc limitée en ce qui concerne les événements futurs dépendant d’une cause libre aussi bien que les secrètes pensées des coeurs, il s’ensuit que les déclarations faites par eux sur de tels sujets indépendamment d'une révélation peuvent tout au plus être regardées comme d'artificieuses conjectures. Nous irons plus loin et nous dirons que de telles déclarations présentées par eux comme vérités indubitables, doivent nécessairement être attribuées à des esprits d’un caractère bas et immoral, ennemis de toute loi, puisque le fait de donner comme vérité solide ce qui n'est que simple conjecture est le signe d'un esprit moralement dépravé.

Par conséquent, dans les réponses données aux questions de cette sorte nous pouvons en toute sûreté reconnaître la présence d’anges d'un ordre moral corrompu, aucun bon ange, aucun homme honnête, si peu soucieux qu’il soit de la vérité, n'osant affirmer, comme étant vérité absolue, ce dont il ne peut avoir une connaissance exacte. On se souviendra que les déclarations faites par les païens sur de tels sujets, telles que les oracles des Pythonisses ou des Sybilles, étaient susceptibles d'interprétations diverses, preuve évidente du caractère immoral de la source d’où elles émanaient.

6. Toutefois, telle est la subtilité d'intelligence des êtres spirituels, qu'en joignant ensemble les choses qu'ils savent réellement et en les reliant à certaines conjectures qu’ils sont capables de faire en raison de leur connaissance de la nature, ils peuvent réussir d'une façon merveilleuse à tromper les hommes et à créer l'impression qu'ils ont une connaissance plus grande de l'avenir et des secrètes pensées du cœur qu'ils n'en possèdent en réalité.

7. En ce qui concerne les événements dépendant d'une cause libre ou les secrètes pensées du cœur, les anges sont donc dans une condition semblable à la nôtre : il leur est impossible de connaître avec certitude ce que Dieu ou une créature quelconque pourra accomplir, sauf par une révélation spéciale de Dieu de qui tous les événements à venir dépendent et qui domine immédiatement la volonté de tous. Mais en ce qui concerne la manifestation de nos pensées secrètes, il existe une différence entre les hommes et les anges, différence qui sera mise au jour plus complètement dans le paragraphe suivant.


VII. - De quelle manière nous pouvons communiquer avec les purs esprits

1. Si nous désirons comprendre clairement comment nous pouvons entrer en communication avec les esprits du monde invisible et leur manifester nos pensées secrètes, nous devons examiner d'abord ce qui se passe pendant cette vie dans nos communications intimes avec nos semblables.

Pour que je puisse savoir ce que pense un autre homme, il ne suffit pas que celui-ci ait la volonté de me découvrir ses pensées. Entre nous existe une barrière, celle de notre corps, enveloppe de l'âme, qui empêche les libres rapports entre nos esprits. Cet obstacle est vaincu par les signes dont nous nous servons pour manifester nos idées, c'est-à-dire la parole, l'écriture ou le geste. Sans de tels signes, ordinairement parlant, il m'est impossible de savoir ce que vous pensez et vous ne pouvez pas davantage deviner les secrètes pensées de mon cœur.

2. Mais dans le cas des anges, un tel obstacle n'existe pas. Leur mode de communication est beaucoup plus simple. La seule chose requise, pour qu'il y ait communication entre les intelligences spirituelles, est que l'une ait la volonté de manifester ses pensées et que l'autre se prête à leur examen en dirigeant son attention vers son interlocuteur.

3. Ce mode de communication est valable également dans le cas d'êtres humains en rapport avec de purs esprits, le corps n'étant pas pour ces derniers un obstacle à la communication intellectuelle. Si donc nous désirons dévoiler nos pensées secrètes à un être angélique, il suffit que nous le voulions et que l'ange, de son côté, dirige sur elles son attention. Mais on ne peut en dire autant des pensées d'un ange par rapport à l'homme. L'homme ne peut lire directement dans l'esprit d'un ange, quand bien même ce dernier consentirait à lui manifester ses pensées intimes. Car nous ne pouvons comprendre quoi que ce soit dans cette vie sans le secours d'images matérielles, nommées phantasmes, lesquelles sont liées à une modification spéciale de nos cerveaux correspondant à la représentation des objets que nous concevons. Mais cette modification peut être produite par un ange qui, ainsi que nous le verrons bientôt, a le pouvoir de modifier la matière comme il le désire et de donner à notre cerveau la disposition spéciale nécessaire à la représentation imaginative d'objets correspondants.

4. Il faut bien graver ce point dans notre esprit, bien qu'il n'en faille pas inférer que, la modification de nos cerveaux étant connue des anges et correspondant aux objets que nous avons dans notre esprit, nos plus intimes pensées soient par suite et contre notre gré rendues manifestes à l'intelligence angélique. Un ange peut très bien connaître les modifications dont nous parlons, c'est-à-dire tous les mouvements de notre système nerveux, et cependant ignorer nos pensées. Car la pensée est au-dessus de la matière, et bien que dans le présent état de vie nous ne puissions exercer notre faculté pensante ou mentale sans le concours de notre nature sensitive, il y a néanmoins bien des façons pour nous de faire usage d'une seule et même modification organique. Notre libre vouloir peut donner à nos opérations mentales tant d'aspects différents et les diriger vers des buts si variés, qu'il est tout à fait au-delà du pouvoir des plus subtils parmi les êtres angéliques de connaître, contre notre vouloir, et si Dieu ne les leur manifeste pas, notre dessein actuel ou la tendance de notre opération mentale.

5. Un exemple suffira pour faire comprendre ce que nous voulons dire. Supposons que nous voulions penser à Dieu, une modification du cerveau accompagnera cette opération intellectuelle. Mais de combien de façons ne peut-on pas penser à Dieu ! On peut penser à Lui comme au centre de tout bien, et L'aimer ; comme au juste vengeur du péché, et Le craindre ; comme au but suprême, et Le désirer. On peut même, qu'on nous pardonne l'expression, penser à Lui pour Le haïr ou, comme l'insensé, pour désirer qu'Il ne soit pas : « L'insensé a dit dans son cœur: il n'y a pas de Dieu » . Ainsi donc, bien que les anges connaissent qu'un homme pense actuellement à Dieu, il leur sera impossible dé deviner naturellement, sans une illumination de Dieu Lui-même, dans quel sens ou dans quel but il y pense ; philosophiquement parlant, ils ne connaissent pas la raison formelle de la pensée de cet homme.

6. Tel est aussi le cas, en ce qui concerne les anges, dans leurs mutuelles relations. Les anges, comme nous l'avons dit, comprennent au moyen d'images ou d'espèces imprimées en eux dès le commencement par Dieu, et ces images ou espèces, sont parfaitement intelligibles aux autres anges. Mais comme l'esprit angélique peut faire tel usage qu'il lui plaît de ces images ou représentations dans la contemplation desquelles consiste la connaissance qu'il possède, c'est-à-dire comme il peut tourner cette connaissance vers le bien ou le mal et cela d'une variété infinie de façons, ainsi peut-on dire que l'esprit d'un ange est comme un livre fermé par rapport à l'esprit d'un autre ange, à moins que le premier ne veuille manifester ses pensées au second.

C'est précisément cette détermination morale de la volonté qui constitue les secrètes pensées propres aux créatures rationnelles. Dieu seul, étant l'auteur de toutes choses et conséquemment de l'esprit angélique comme de l'esprit humain et de chacune de leurs manifestations, connaît toutes nos pensées et pénètre jusqu'au plus intime de notre être : «Il sonde les cœurs et les reins » , et « Toutes choses sont nues et à découvert devant ses yeux » .

7. De même que les anges ne peuvent, avec une absolue certitude, connaître la nature de nos pensées intimes, de même aussi, ils ne peuvent, naturellement parlant, connaître clairement l'état moral de nos âmes. Suivant l'enseignement catholique, l'intelligence angélique ne peut, par exemple, par sa puissance naturelle, savoir si nous sommes en état de grâce et d'amitié avec Dieu ou bien en état de péché mortel et séparés de la source de tout bien. Ces choses surpassent la capacité naturelle de l'ange ; et bien qu'il lui soit possible, d'après des signes extérieurs, d'émettre des conjectures sur l'état où se trouve notre âme, il ne peut cependant, sans une révélation spéciale de Dieu, discerner le juste du pécheur. Notre esprit et notre coeur sont pour la sagacité angélique une citadelle inexpugnable. L'ange ne peut connaître à fond nos pensées intimes sans notre consentement.

8. Mais cette permission une fois donnée, soit par un signe explicite, soit d'une manière implicite, jusqu'où ne pénétrera pas la connaissance angélique ? Non seulement les événements éloignés, les faits cachés ou les vérités scientifiques deviennent manifestes pour ces êtres mystérieux en vertu de l'intuition qu'ils possèdent des choses naturelles, mais aussi les pensées, les désirs et les intentions secrètes des hommes pourront leur être dévoilés. Et comme, en vertu du pouvoir qu'ils possèdent sur les éléments de ce monde en général et sur le cerveau humain en particulier, ils peuvent communiquer cette connaissance à l'homme, il est facile de conclure que les révélations les plus extraordinaires pourront avoir lieu par l'intermédiaire des substances angéliques, révélations surpassant tout ce qu'il nous est possible de concevoir.

Cette doctrine, si importante pour le sujet que nous traitons, deviendra plus claire encore quand nous passerons à l'examen de la puissance des esprits sur la matière en général et sur les facultés de l'homme en particulier.

9. Ce que nous pouvons conclure du présent examen est que la connaissance angélique étant d'une si grande étendue, il n'est pas une seule des manifestations intellectuelles ou psychologiques, se produisant dans les séances spirites, qui ne puisse être attribuée à l'action de ces substances immatérielles que nous nommons purs esprits ou anges.

Ce que nous aurons donc en outre à rechercher, ce sera de savoir si ces manifestations non seulement peuvent mais aussi doivent être attribuées à ces intelligences spirituelles. Mais une étude ultérieure de la théologie catholique nous amènera à distinguer deux classes de substances angéliques : celles d'un haut degré de moralité que nous désignons par le nom commun d'anges et celles d'un caractère moral dépravé que nous appelons démons. Après cela, il nous restera à rechercher à laquelle de ces deux catégories doivent être attribués les phénomènes spirites qui occupent si sérieusement de nos jours l'attention d'un grand nombre, même parmi les hommes de science.



CHAPITRE III - LE POUVOIR DES ANGES DANS L'UNIVERS

1. Après avoir décrit la nature et l'extension de la connaissance des substances angéliques, il est juste que nous parlions du pouvoir naturel qu'elles possèdent sur les éléments matériels de ce monde et sur l'homme lui-même. Car c'est dans ce fait, en connexion avec ce que nous avons dit sur la connaissance des anges, que se trouve l'explication des phénomènes spirites qui, à première vue, nous paraissent si extraordinaires. Il est donc de la plus haute importance que nous mettions dès maintenant très nettement au point ce qui a trait à ce pouvoir, en recherchant quelle en est la nature et l'étendue, afin de déterminer, sans que puisse exister l'ombre d'un doute, si ces divers phénomènes, obtenus par le moyen des pratiques spirites, peuvent être attribués à l'action de ces purs esprits.

2. Les questions qui se présentent à nous sont celles-ci : Les anges ont-ils un pouvoir réel sur la matière cosmique ? Un ange peut-il créer la matière ou altérer substantiellement les corps ? Peut-il les mouvoir d'un lieu à un autre ? Quelle est l'étendue du pouvoir angélique sur la matière corporelle ? Un ange peut-il revêtir un corps et exercer par lui les fonctions de la vie ? Quel pouvoir possède-t-il sur les facultés de l'homme, sur son intelligence, sur sa volonté ?

Mais pour que l'on n'en vienne pas à croire qu'un ange peut faire ce qu'il lui plaît avec l'homme ou la matière, il nous faut aussi déterminer les limites de sa sphère d'action par rapport aux effets merveilleux obtenus par le spiritisme. Nous devons, dans ce but, établir une comparaison entre les opérations qui dépassent les pouvoirs de la nature et que nous nommons miracles et celles particulières aux substances angéliques. Enfin, nous terminerons ce chapitre par une étude spéciale du phénomène extraordinaire dit la compénétration des corps, afin de déterminer avec certitude la différence entre les opérations angéliques et les miracles proprement dits.

3. En discutant ces points, qui touchent évidemment aux questions les plus subtiles de la métaphysique, nous nous garderons de tomber dans l'un ou l'autre de deux extrêmes également dangereux, à savoir, surestimer ou déprécier l'étendue de l'intervention angélique dans le gouvernement de l'univers.

Il faut remarquer que tout ce qu'on dira à ce propos est fondé sur le fait que ces purs esprits sont les agents et les ministres de Dieu dans le gouvernement du monde, et que sans contrarier d'aucune façon l'action des agents physiques, ils régissent l'univers comme instruments de sa puissance infinie si bien que les forces aveugles de la nature et la sage direction des purs esprits se complètent pour conduire le monde à la fin qui lui a été assignée par la Divine Sagesse.

Nous devons donc commencer par déterminer quels sont les fondements du pouvoir angélique sur la matière et démontrer que ce pouvoir est réel et effectif.


I.-Le pouvoir des Anges sur la matière corporelle

1. Les anciens philosophes aussi bien que les Pères et les Docteurs de l'Église enseignent unanimement que l'ordre physique de l'univers, en même temps que ses différentes parties matérielles, est soumis à la direction d'êtres spirituels.

La raison de ce fait se trouve dans le principe général que dans ce monde il y a unité et ordre, et que l'ordre demande que les éléments inférieurs soient soumis à des êtres d'un ordre supérieur, de la même façon qu'est gouvernée la société humaine. Sous un magistrat suprême, détenant la plénitude de l'autorité, sont disposés, hiérarchiquement, d'autres chefs, auxquels sont conférés divers degrés d'autorité et qui exercent cette autorité sur un certain nombre d'individus selon leur rang et leur dignité respective. De même est-il naturel que le monde de la matière, inférieur en nature et en perfection au monde des esprits, soit régi et gouverné par celui-ci.

2. Cependant il ne serait pas exact de dire que le premier objet que Dieu s'est proposé dans la création des anges fût le gouvernement du monde. Ces nobles esprits furent créés pour être un reflet de l'Esprit pur et parfait qu'est Dieu Lui-même et pour Lui donner, par leur être et dans leur langue, une louange et une gloire sans fin. Mais cette gloire ils la donnent aussi à Dieu en régissant, selon le plan établi par Lui, les éléments de la matière et les diverses parties de ce monde. Nous disons donc que le gouvernement de l'univers ne fut que le but secondaire de la création des anges.

Nous ne pensons pas que l'on puisse sérieusement douter de la vérité d'un tel exposé. Nos sens, en effet, nous rendent témoignage qu'en nous-mêmes, qui sommes composés de corps et d'âme, c'est cette dernière qui gouverne et conduit les opérations du premier. Il est donc bien naturel de penser que le monde matériel est conduit et gouverné par les substances angéliques, de même qu'un inférieur est conduit et gouverné par un être qui lui est supérieur. La tradition philosophique, de même que celle de l'Église, a reconnu dans les anges un pouvoir de direction sur les éléments de la matière.

3. Cette doctrine, toutefois, ne doit pas être entendue comme si la production de chaque plante ou de chaque animal en particulier était l'œuvre d'un ange séparé. Ces dernières années, chez les spirites aussi bien que chez les théosophes, l'idée a prévalu que le monde est le produit matériel d'un nombre infini d'âmes immatérielles qui, dans leur collectivité, formeraient la grande âme de l'univers.

Considérant le fait que les milliers et les milliers d'espèces végétales sont toutes formées des mêmes éléments, c'est-à-dire d'hydrogène, d'oxygène, de carbone, d'azote, etc., ils ont jugé impossible que ce petit nombre d'éléments pût se combiner de façon à former la grande variété d'organismes que nous avons sous les yeux. La perfection artistique avec laquelle chaque branche d'un arbre sort de sa tige mère et donne naissance à son tour à d'autres branches encore plus menues, celles-ci produisant des feuilles pour servir d'organes de respiration, tandis que pas une seule partie de l'arbre n'obstrue ou ne gêne une autre partie, leur a paru indiquer l'existence d'individualités immatérielles, que l'on peut concevoir travaillant activement dans chaque production séparée, depuis les formes géométriques des cristaux, jusqu'aux formes plus complexes des tissus animaux.

4. On peut observer que ce panpsychisme, en vogue parmi les spirites modernes, offre une certaine affinité avec la théorie bien connue de Kant. Celle-ci veut que l'âme humaine soit, même en cette vie, en étroite communication avec tous les êtres immatériels du monde des esprits, dans lequel elle produit et d'où elle reçoit des impressions réciproques, dont toutefois nous ne sommes pas conscients en général, tant que nous jouissons d'une bonne santé physique.

5. L'enseignement de la théologie catholique est tout à fait différent. La matière, dit celle-ci, tenant tout son être de la Cause première, a dû, au commencement, recevoir de Dieu qui la créa, ces propriétés subtiles dont les opérations devaient, au cours des temps, produire tous les changements subséquents dans l'univers. En outre, la matière étant d'elle-même inerte, il devint nécessaire, pour qu'elle passât de cette inertie initiale à un état d'activité, qu'elle reçût du Créateur sa première impulsion. Ces deux effets, savoir : la création de la matière et l'impulsion initiale qui lui fut donnée, ont eu lieu dans le commencement, suivant des lois physiques extrêmement sages et de longue portée, qui expliquent toutes les transformations subséquentes dans l'univers et d'où dépend le maintien de cet équilibre qui assure, au monde physique, la paix et l'harmonie.

6. Rien n'empêche, bien entendu, de reconnaître, parmi les facteurs en jeu dans l'interaction universelle, la sélection naturelle ou la lutte pour la vie ; mais à moins d'admettre, dans ce conflit des éléments, une force supérieure émanant de Dieu et s'exerçant d'accord avec les lois établies par Lui, ces facteurs doivent être tenus comme insuffisants pour conserver l'harmonie du monde. Sans ces lois, qui dirigent les développements variés de la vie, est-ce que les parasites, par exemple, dont la faculté de multiplication ne connaît pas de limite, ne couvriraient pas la terre, au point d'empêcher la distribution proportionnée de la vie végétale et animale ? Mais les lois de Dieu durent à jamais, et cette même action, par laquelle il créa le monde, le conserve également dans l'harmonie de ses différentes parties.

7. Le monde est donc gouverné par l'action de Dieu, comme par une cause première et universelle de vie et de mouvement. Les éléments de ce monde ont reçu de Lui le pouvoir d'exercer, les uns sur les autres, une influence motrice, et c'est ainsi que l'action de cette cause première, générale en elle-même, est diversifiée, pour ainsi dire, suivant les agents qui sont à l'œuvre. En fait, c'est dans cette influence réciproque des éléments de la matière que l'on doit trouver l'origine des phénomènes physiques, aussi bien que des transformations chimiques dont nous sommes les témoins journaliers.

8. Bien que les lois établies par Dieu à l'origine, soient suffisantes, strictement parlant, pour maintenir l'équilibre du monde, cependant l'ordre de la nature comportant ce fait qu'un certain pouvoir sur les éléments de la matière appartient aux espèces angéliques, supérieures en nature au monde visible, Dieu a ordonné que les anges exercent ce pouvoir pour la manifestation de sa plus grande gloire, à laquelle tout se rattache en dernier ressort.

Or le monde visible est fait pour l'homme afin qu'il puisse, par lui, arriver à connaître et aimer son Créateur, son premier principe et sa dernière fin. En outre, Dieu s'est plu à se manifester lui-même à l'homme d'une manière spéciale, l'élevant au dessus de sa condition naturelle et lui révélant les plus sublimes vérités de l'ordre surnaturel. D'autre part, le cours ordinaire de ce monde visible n'est pas suffisant pour convaincre l'homme de ces vérités surnaturelles qu'il doit croire, et dont il ne trouve pas de preuve suffisante dans l'univers. Il est donc nécessaire que des dérogations à la marche ordinaire des choses se produisent, afin que l'homme mis en éveil par ces faits extraordinaires, puisse se convaincre de la réalité de ces vérités et se déterminer à agir en conséquence.

C'est ici en particulier que s'ouvre le vaste champ où, par ordre divin, le pouvoir angélique se déploie sur les éléments de la matière. Car lorsque, pour confirmer une vérité par Lui révélée, Dieu décrète de produire une dérogation à la marche habituelle de l'univers, il en confie d'ordinaire l'exécution à ces substances spirituelles qui, par nature, sont supérieures au monde visible. Et c'est ainsi que les anges deviennent les ministres choisis du grand Roi, dont ils sont par suite les instruments pour la manifestation de sa gloire au genre humain.

9. C'est de cette façon que les Pères et les Docteurs de l'Église admettent l'opération des anges spécialement préposés aux plantes, aux animaux et surtout à la société humaine. La Sainte Écriture parle aussi de l'ange ayant pouvoir sur le feu et de l'ange qui domine sur les eaux  ; et saint Augustin dit que chaque espèce distincte, dans les différents royaumes de la nature, est gouvernée par la puissance angéliques . C'est aussi l'enseignement commun de l'Église Catholique que chaque homme a, dès sa naissance, son ange gardien qui le protège et le défend pendant tout le cours de sa vie mortelle.

10. Disons pour conclure qu'aux anges appartient le droit de régir et de gouverner les éléments matériels du monde, en présidant non seulement aux événements qui surviennent en accord avec les lois de la nature, mais aussi à ces dérogations aux lois naturelles que Dieu ménage au cours des temps pour la manifestation de sa gloire. En réalité toute la puissance que possèdent les anges sur la matière leur a été donnée afin qu'ils s'en servent pour exalter la gloire de Dieu.

Il n'est pas impossible cependant que certains d'entre eux, rebelles aux règles de la justice, se servent de cette puissance pour travailler à la destruction du royaume de Dieu.

11. La question de savoir si une telle déviation a réellement lieu sera examinée plus loin. Ce que nous avons à rechercher pour le moment c'est la nature et l'étendue de la puissance que possèdent les anges sur les éléments matériels, c'est de savoir si les substances angéliques ont un empire absolu sur tout l'univers physique, si elles peuvent créer la matière ou lui conférer la forme qu'elles désirent ou tout au moins être en mesure de la transférer d'un lieu à un autre.

La question est très profonde et il est facile d'errer à ce sujet, si l'on ne suit fidèlement les données de la saine philosophie chrétienne. Avant de passer plus avant, nous prendrons une vue générale des différences qui existent entre les diverses productions de l'univers, afin que la limite de la puissance angélique sur les corps matériels nous apparaisse avec une plus grande évidence.


II. - Différence entre les diverses opérations de Dieu dans l'univers

1. En classant les divers changements qui ont lieu dans l'univers, il est bon de commencer par le genre le plus bas pour monter graduellement vers le plus élevé de tous.

Si nous considérons la nature qui nous environne, nous trouvons, au plus bas degré de cette échelle, des changements produits par la nature elle-même, changements qui peuvent être substantiels ou accidentels. Ces derniers sont de trois sortes c'est-à-dire quant au lieu, quant à la quantité et quant à la qualité. Or il est évident que les changements substantiels surpassent les accidentels et, parmi ces changements, celui de place ou de localisation tient le premier rang, en suite duquel vient le changement de croissance ou de quantité et enfin celui d'altération ou de qualité.

2. Au-dessus de ces changements naturels sont les changements extraordinaires ou surnaturels. Il y a toutefois, dans ces derniers changements, un ordre à observer. Ceux dans lesquels le sujet ne possède d'autre potentialité que celle d'obéissance, par rapport à la forme qu'il doit recevoir, viennent avant ceux dont le sujet possède une potentialité naturelle, bien que celle-ci ne soit pas immédiate. C'est ainsi que le changement de l'eau en vin est un miracle moins grand que la formation d'un corps humain du limon de la terre ou de la côte d'un homme. En effet, il existe dans l'eau une potentialité naturelle pour devenir du vin par un processus suffisamment long de végétation ; mais on ne trouve dans la terre, non plus que dans la côte d'un homme, aucune potentialité naturelle pour devenir un corps animé par une âme raisonnable.

3. Au-dessus de ces changements, que l'on peut appeler formels, il y a ce changement très particulier, ou conversion radicale, qui atteint l'essence même de la matière et qui, pour cette raison, est nommé transsubstantiation. C'est là un changement unique dans tout l'univers, le changement de toute la substance d'une chose en la substance totale d'une autre, le pain étant changé en le corps du Christ et le vin en son sang. Cependant, même ici, une certaine potentialité obédientielle existe, parce que, de même que dans les conversions formelles, il y a une certaine potentialité obédientielle pour recevoir telle ou telle forme, ainsi, dans la conversion transsubstantielle, il y a une potentialité obédientielle pour cette fin, que le tout d'une substance soit changé en une autre, précisément comme le pain est changé en le corps du Christ.

4. Si donc, il y a une opération divine dans laquelle aucune potentialité, même obédientielle, quelle qu'elle soit, ne préexiste, une telle opération sera supérieure même à la transsubstantiation. Cette opération est l'acte de créer, par lequel est produite de rien toute la substance des choses.

5. Au-dessus de la création on doit placer une opération encore plus élevée, c'est-à-dire la justification, ou la sanctification de la créature raisonnable, tout au moins en tant qu'il s'agit du terme et du degré de l'opération. Ceci parce que l'état auquel est ainsi élevée cette créature raisonnable, surpasse infiniment toutes les forces, tous les désirs et toutes les aspirations de la nature créée ; bien que, par rapport à la façon dont a lieu cette opération, la création soit une rouvre plus grande, n'étant fondée sur aucun sujet quel qu'il soit.

6. Enfin, au-dessus de toutes ces opérations de la Sagesse Divine, il faut placer l'Incarnation du Verbe de Dieu, qui surpasse tous les changements concevables, puisque son terme est une Personne Divine s'unissant hypostatiquement à une nature créée et lui communiquant sa propre existence. D'où vient que cette opération est appelée par saint Thomas « miraculum miraculorum omnium » .

7. C'est donc de cette façon que Dieu, Seigneur de l'univers, a se jouant sur le globe de la terre » , a répandu sur le monde d'une main généreuse les merveilles de sa toute-puissance. Méditer ses œuvres admirables est à la fois consolant et utile. Une telle occupation, tout en réprimant en nous cette vaine estime de notre propre importance qui est à la base de tout péché, nous pousse à louer et à magnifier du mieux que nous pouvons le nom de Celui dont les œuvres sont d'une beauté et d'une variété inexprimables. Combien appropriés sont les mots de l'Ecclésiastique : « Les œuvres du Très-Haut sont seules merveilleuses ; elles sont glorieuses, et secrètes, et cachées » .

8. Après avoir classé les différentes oeuvres admirables accomplies par le Très-Haut et que nous rencontrons dans l'univers, nous allons rechercher si un ange peut, à son gré, les accomplir toutes, ou si son pouvoir est restreint à une certaine catégorie. Nous examinerons ensuite chacune de ces classes en particulier, commençant par la plus élevée et redescendant graduellement jusqu'à la plus basse.

C'est ainsi que, pour commencer, afin que le lecteur employé à cet endroit par le Docteur Angélique, par rapport à l'Incarnation, est pris dans un sens impropre, puisque ni la Création ni l'Incarnation ne sont, à proprement parler, des changements puisse mieux suivre la trame de l'argument, nous rechercherons, dans la Section suivante, si un ange peut s'incarner, s'il peut inspirer à l'homme le bien ou le mal, s'il peut créer de la matière, s'il peut transsubstantier une créature et enfin s'il peut produire des changements miraculeux. Ces recherches sont très importantes et rentrent tout à fait dans notre plan, parce que ce n'est qu'en connaissant parfaitement les limites du pouvoir angélique que nous sommes à même de former un jugement exact sur la nature des opérations diaboliques dans les pratiques spirites et autres de ce genre.


III. - Les Anges peuvent-ils s'incarner, inspirer la bonté ou la malice dans l'homme, créer la matière, transsubstantier une créature ou opérer des miracles ?

1. Il peut sembler possible, à première vue, qu'un ange ait le pouvoir de s'unir hypostatiquement ou personnellement à une nature visible, homme ou bête, selon ce qu'on dit vulgairement : Tel ou tel est un démon incarné. Cette façon de parler, prise dans son sens propre et non métaphorique, ne signifie-t-elle pas qu'un ange peut s'emparer d'une créature et se joindre à elle dans l'unité de sa personnalité, de même que le Verbe de Dieu s'est joint à notre nature humaine en se l'appropriant hypostatiquement ?

Non, une telle chose est impossible, parce que seul un être infini, tel que Dieu, peut communiquer à une nature distincte de la sienne, sa propre personnalité. C'est pourquoi, bien que le démon puisse prendre possession d'un homme, d'un animal, ou de n'importe quel objet matériel, il ne peut absolument pas s'unir hypostatiquement ou personnellement à l'homme ou à tout autre objet, de la façon dont le Verbe s'est uni à la nature humaine en devenant homme comme nous .

2. Non seulement un ange est incapable, à proprement parler, de s'incarner, mais il ne peut pas davantage inspirer dans l'âme d'un homme une qualité morale, comme le fait Dieu quand, par une opération mystérieuse, il justifie le pécheur, en le gratifiant du don divin de la grâce et des vertus surnaturelles. En effet, une telle opération ne peut être accomplie que par Celui qui peut pénétrer (illabi) dans l'essence même de l'âme. Or, ceci n'est possible qu'à Dieu seul qui est intimement présent en toutes choses, soutenant par sa puissance divine l'existence même qu'elles ont reçue de lui. Ainsi l'ange peut très bien, au moyen de suggestions et de contraintes, exercer une influence sur le cœur de l'homme, mais il ne peut jamais lui donner (infundere) une qualité morale, bonne ou mauvaises .

3. Venons maintenant à la question de savoir si un ange peut créer la matière. Nous devons ici encore déclarer qu'une telle action est tout à fait en dehors du domaine de la puissance angélique. Dieu seul peut créer la matière, c'est-à-dire que seul il peut la produire de rien, parce qu'il est seul, par essence, l'Être suprême et que seul il peut tirer les créatures du néant, non par nécessité, mais par bonté pure, donnant à chacune son être propre qui n'est en somme qu'une participation faible et finie, et certainement non univoque, à la divine ressemblance. Aucune créature, si grande et si noble qu'elle soit, ne peut tirer quoi que ce soit du néant. D'où il suit que quelle que soit la puissance d'action que possède un ange sur le monde physique, cette puissance doit toujours nécessairement présupposer l'action créatrice de Dieu.

4. Que dirons-nous maintenant du pouvoir de transsubstantier, c'est-à-dire de changer complètement une chose, matière et forme, en une autre, opération dont nous avons un exemple unique dans le Très Saint Sacrement de l'autel? Cette opération, elle aussi, dépasse la puissance angélique. Par conséquent toutes ces merveilleuses métamorphoses décrites par les poètes païens, en particulier par Ovide, toutes ces fables d'hommes changés en pierres, en oiseaux et en plantes, sur l'ordre de quelque divinité ou autre représentant du démon, ne sont que pure fiction et songes vides de réalité. Pour effectuer un changement aussi radical, il faut posséder un pouvoir absolu sur l'objet qui doit être transsubstantié, sur la matière et sur la forme. Mais ce pouvoir, comme nous l'avons dit, n'appartient qu'à Dieu seul.

5. Si l'ange ne peut accomplir une telle opération, ne peut-il pas, au moins, produire des transformations miraculeuses, telles que, par exemple, le changement de l'eau en vin, comme le fit Jésus-Christ aux noces de Cana ?

Non, ce genre d'opération, est lui aussi, au delà du pouvoir naturel de l'ange, comme l'est également le pouvoir d'accomplir des miracles. Un ange est un agent fini, et la règle de tout agent fini est de suivre, dans ses opérations, l'ordre établi par la nature. Or, l'ordre naturel établi par Dieu exige qu'un agent déterminé n'introduise pas dans la matière une autre forme que celle par rapport à laquelle la matière elle-même est dans l'état de potentialité proche, et non une forme à laquelle sa potentialité est étrangère. Telle est la raison pour laquelle le pouvoir d'accomplir des miracles, c'est-à-dire de produire des effets par lesquels une forme est introduite dans la matière autrement que par des moyens naturels, n'appartient qu'au Créateur qui, comme le dit le Psalmiste, « fait seul des prodiges » .

6. Nous devons par conséquent conclure que le pouvoir angélique dans le monde se limite à l'ordre naturel et ne peut s'exercer qu'en changeant la matière corporelle. Mais comment donc un ange peut-il changer la matière des corps ? Peut-il le faire par une action immédiate et directe, ou seulement par une action médiate et indirecte ? Telle est la question que nous avons maintenant à examiner.

Nous montrerons dans le paragraphe suivant comment les anges, par le moyen du mouvement local de la matière, peuvent occasionner dans les corps des changements intrinsèques, c'est-à-dire des changements, non seulement accidentels, comme sont les changements de qualité ou de quantité, mais aussi substantiels, comme les changements de nature et d'essence.


IV. - Les Anges peuvent-ils, au moyen du mouvement local, changer ou modifier les corps ?

1. Pour comprendre de quelle façon et jusqu'à quel point un ange peut changer les corps, nous devons, tout d'abord, distinguer entre les altérations ou les changements qui sont intrinsèques et les changements qui ne sont qu'extrinsèques. Un changement intrinsèque implique soit un changement substantiel, soit au moins un changement dans la quantité ou la qualité d'un corps ; un changement extrinsèque signifie simplement un changement local dans la position de ce corps par rapport à l'univers.

La première sorte de changement a pour exemples la destruction d'un morceau de bois par le feu, l'absorption de la nourriture par l'estomac d'un animal, la transformation d'un gaz en vertu de l'analyse chimique. Ces choses, cessant d'exister dans leur nature précédente, un changement complet s'est produit en elles et une nouvelle substance a pris la place de l'ancienne. Les cendres ne sont pas du bois, la chair et le sang ne sont pas du pain et du vin, l'oxygène et l'hydrogène ne sont pas de l'eau. D'autres changements, plus exactement nommés altérations, sont aussi intrinsèques, mais sont accidentels parce qu'ils n'arrivent pas jusqu'à la substance. Tels sont, par exemple, les changements ou altérations qui affectent l'organisme humain dans le cas de maladie ou qui se produisent chez un enfant évoluant vers la forme adulte. Dans le premier cas, il s'agit d'une altération de qualité ; dans le second, d'un changement de quantité ou d'un accroissement.

Un exemple de la deuxième sorte de changement est le transfert de nos corps d'un lieu à un autre par la marche ou tout autre moyen de déplacement, le flux et le reflux des vagues de l'Océan, le mouvement des planètes dans l'immensité des cieux et en général le déplacement d'un objet d'un lieu à un autre. Ce sont là des changements qui se produisent dans le temps et dans l'espace, mais qui laissent sans altération la substance des objets mus de la sorte.

2.La question est donc de savoir si les anges sont capables de changer intrinsèquement ou de modifier des objets matériels par une action directe et immédiate, soit en leur faisant perdre leur nature, et devenir par suite quelque chose d'entièrement et essentiellement différent en nature, soit en produisant une modification intrinsèque dans leurs qualités ou dans leur quantité naturelle.

La réponse de la philosophie catholique est qu'une telle chose est impossible, parce qu'un ange, étant un pur esprit, ne peut imprimer, sans intermédiaire, à la matière existante, une nouvelle forme ou une nouvelle essence, soit substantielle soit accidentelle, comme le peuvent faire des agents matériels agissant sur des êtres de leur espèce.

C'est la similitude de nature entre les agents matériels qui rend possible à l'un de produire sur l'autre, sans intermédiaire, un changement intrinsèque de substance, de qualité ou de quantité ; tandis que c'est le défaut de similitude dans leurs natures respectives, entre les esprits exempts de toute matière et les êtres matériels, qui rend impossible aux premiers de modifier, par une action directe et immédiate, la substance de ces derniers, et ceci précisément parce que toute similitude naturelle ferait défaut entre la cause et l'effet.

3. Il suit de là qu'un être spirituel ou angélique ne peut, Par une action directe ou immédiate, changer la substance, la qualité ou la quantité d'objets matériels, et encore moins peut-il produire des animaux, des plantes ou même des cellules vitales les plus infimes qu'on puisse les concevoir. Si donc il semble qu'un ange produise parfois un être vivant d'une manière qui ressemble en apparence à une création instantanée, ou cause une sorte de changement substantiel ou intrinsèque, ces actes sont dus en réalité à son habileté à porter à maturité les germes de ces espèces, choisis auparavant dans ce but, avec un discernement intelligent. De même, les changements intrinsèques, accidentels ou substantiels, causés par les anges dans un individu déterminé, sont dus à l'usage que ceux-ci font d'instruments adaptés à leur but. C'est ainsi par exemple, qu'un artisan habile, par l'emploi judicieux du feu naturel et de son marteau, peut faire bien des choses qui excitent notre admiration, mais qu'il ne saurait accomplir s'il était privé de ces instruments.

4. Mais si le changement intrinsèque des corps est au-dessus du pouvoir immédiat et direct d'un ange, le mouvement local, d'autre part, n'est-il pas contenu dans sa sphère d'action ?

L'ange peut certainement - et cela est admis par tous les anciens philosophes - transférer d'une place à une autre les corps même les plus pesants, et cela avec la plus grande aisance possible et une rapidité surpassant les plus parfaites inventions mécaniques qui nous soient connues. En réalité, s'il peut produire, dans les corps, un changement intrinsèque substantiel ou accidentel, la raison de cette possibilité est due au pouvoir qu'il possède de mouvoir dans l'espace les éléments matériels, et nullement à un pouvoir direct qu'on supposerait lui appartenir sur la substance même de ceux-ci.

5. Ici la question se pose d'elle-même : comment pouvons-nous prouver l'existence, chez les anges, de ce pouvoir de transférer localement les corps ?

La raison de la possession de ce pouvoir par les anges réside dans cette loi générale, que l'élément le plus élevé dans les choses d'un ordre inférieur est soumis à l'influence des êtres qui appartiennent à l'ordre supérieur. De là, la propriété des corps qui accuse le moins l'imperfection du sujet, je veux dire le mouvement local, est comprise dans le champ d'action propre aux pures substances spirituelles.

Il est aisé de comprendre que le mouvement local est dans les corps la propriété où paraît le moins l'imperfection du sujet. En effet,tandis qu'une disposition à un changement interne dans les corps démontre un état d'imperfection, comme s'ils avaient encore à parvenir à leur plénitude intrinsèque, une disposition au mouvement local, c'est-à-dire à un transfert d'un lieu à un autre, suppose au contraire que le sujet en question est déjà dans un état de perfection intrinsèque et qu'il tend uniquement à quelque chose hors de lui, telle qu'est, en réalité, l'acquisition d'une place nouvelle dans l'univers.

6. De ce qui a été dit, on peut donc déduire que le pouvoir de mouvoir les corps ou de les transférer d'un lieu à un autre est le chaînon qui met les substances spirituelles invisibles en contact immédiat avec le monde matériel. Le mouvement local, dans les éléments de l'univers, est ainsi le propre champ d'action des purs esprits. Ceux-ci peuvent, par un tel moyen, effectuer, d'une manière médiate, des changements intrinsèques considérables, substantiels ou accidentels, car la mise en rapport de divers éléments matériels peut, dans certaines circonstances, donner lieu à des productions étonnantes, dont les révolutions telluriques sont des exemples frappants.

7. On doit observer ici que, bien que l'énergie angélique déployée dans la force mouvante soit pour nous incalculable, il faut cependant la concevoir comme admettant divers degrés, suivant la position que chaque ange occupe sur la grande échelle des substances spirituelles. De même qu'une étoile de grandeur plus importante embrasse dans sa sphère d'activité un plus grand nombre de corps célestes qu'une étoile plus petite, ainsi un ange supérieur peut avoir la puissance, par exemple, de mouvoir la terre entière, tandis qu'un ange inférieur pourrait n'agir que sur une plus petite planète.

8. Mais, si grande que puisse être sa puissance, aucun ange ne peut mouvoir tout l'univers. La raison en est qu'un ange, quel qu'il soit, est lui-même par rapport au monde comme une partie en relation avec le tout, étant lui-même contenu dans l'univers, à la façon dont il convient aux substances immatérielles, qui ne sont pas circonscrites par les dimensions de lieu, d'être contenues en un endroit, d'où il résulte qu'une substance immatérielle est tellement dans un lieu qu'elle ne peut pas être dans un autre en même temps. Ainsi donc la puissance motrice de chaque ange, si haut placé soit-il, est nécessairement restreinte à une portion déterminée de l'univers.

Mais nous devons maintenant expliquer ce que nous entendons en disant qu'un ange est dans un lieu déterminé, vu que de cette assertion dépend la compréhension exacte de la manière dont se manifeste, dans le sens indiqué plus haut, la puissance angélique sur les éléments matériels du monde.


V. - Comment peut-on dire qu'un Ange est dans un lieu particulier ?

1. L'ange est une substance spirituelle, et par conséquent supérieur et au temps et à l'espace. On ne peut donc dire de lui qu'il occupe, en raison de sa substance, un lieu particulier. Il l'occupe cependant par la direction ou l'application de son pouvoir sur un objet matériel déterminé. Et c'est précisément en raison de ce pouvoir ou mieux de son activité sur des objets matériels déterminés, qu'on peut dire de lui qu'il est localisé.

En d'autres mots, l'exercice du pouvoir angélique dans la motion ou le transfert d'un corps matériel, ou bien dans l'influence qu'il exerce sur un homme de la manière que nous expliquerons plus loin, c'est-à-dire en illuminant son intelligence ou en affectant ses sens, est la raison pour laquelle on peut dire qu'il occupe un lieu plutôt qu'un autre.

2. Toutefois ce n'est pas assez de dire qu'un ange est dans un lieu particulier quand il y exerce son pouvoir. Il faut ajouter qu'étant ainsi dans un lieu, il ne peut, en même temps, être dans un autre. Ce pouvoir étant limité, il ne peut, par une seule et même action, atteindre différents objets ou différents lieux. Il peut, néanmoins, changer de place instantanément, en transférant son action d'un point spécifique à un autre, sans qu'il soit contraint de passer par les lieux ou les objets intermédiaires.

3. Par le fait que l'énergie d'un ange s'applique à un lieu ou à un objet déterminé, cet ange prend possession de ce lieu ou de cet objet, c'est-à-dire qu'il l'occupe, le remplit et le circonscrit de telle sorte, qu'il en exclut l'occupation, d'une semblable manière, de la part d'un autre ange.

Ce lieu ou cet objet particulier devient son domaine, sans que toutefois sa substance lui soit essentiellement unie comme l'est notre âme à notre corps, puisque ce genre d'union convient en propre à une forme substantielle unie formellement à son corps. Un ange ne peut pas davantage s'unir cet objet, auquel il applique sa puissance, dans l'unité de personne, comme le Verbe de Dieu s'est uni la nature humaine. Encore moins peut-il changer en sa propre nature l'objet auquel il est uni.

4. Dans cette occupation complète et absolue par l'ange d'un objet matériel particulier, minéral, plante, animal ou homme, nous trouvons l'explication de ce merveilleux empire exercé par des esprits invisibles sur des objets matériels, empire qui semble défier les recherches les plus laborieuses de la science moderne. L'objet animé ou inanimé qu'un ange, bon ou mauvais, occupe de cette façon par sa puissance, devient comme sa forteresse, à l'exclusion non seulement de toute énergie mécanique, mais aussi de l'énergie d'autres substances angéliques ou spirituelles. Des cas de possession angélique ou, pour mieux dire, diabolique se rencontrent fréquemment dans les annales de l'histoire et nous lisons dans l'Évangile que Jésus-Christ a souvent délivré, par l'autorité de sa voix, de pauvres gens que des démons tourmentaient misérablement .


VI. - Étendue du pouvoir angélique sur la matière

1. Du fait qu'un ange possède un pouvoir direct sur le transfert des corps d'un lieu à un autre il suit, nous l'avons dit, qu'il peut produire, par ce moyen, un très grand nombre de changements intrinsèques, tant substantiels qu'accidentels. Son pouvoir de modifier la substance ou la qualité ou même la quantité des éléments matériels, s'exerce dans la mesure même où le permet le mouvement local, qui est le moyen dont il se sert pour opérer.

Or il n'y a pas de limites à la production de changements substantiels et autres changements intrinsèques par l'intermédiaire du mouvement local. Si la nourriture que nous absorbons est changée en notre substance, cela est dû premièrement au fait que cette nourriture est transportée dans notre estomac, puis distribuée dans les différentes parties de notre corps au moyen des divers canaux d'absorption. Si nous tombons malades, la cause en est dans le dérangement de cet équilibre qui règne dans les divers éléments de nos corps, et la santé ne revient que lorsque cet équilibre est rétabli. Si la graine devient un arbre, c'est parce qu'elle est semée dans la terre et qu'elle y puise les énergies qui contribuent à édifier sa vie. Si la synthèse ou l'analyse chimique ont lieu, soit dans le laboratoire du savant, soit dans celui plus vaste de la nature, la cause ultime se trouve dans l'union ou la séparation de ces éléments simples, dont la combinaison et l'interaction tendent à produire les merveilleux phénomènes qui nous sont familiers.

Ainsi donc du fait que les anges peuvent mouvoir les corps comme il leur plaît, nous pouvons conclure qu'ils possèdent aussi un pouvoir médiat de causer dans l'univers des changements substantiels et autres changements intrinsèques. Les prodiges accomplis par les magiciens de Pharaon et mentionnés dans la Sainte Écriture prouvent amplement ce que nous avançons. Remarquons toutefois que ces changements n'appartiennent pas formellement au mouvement local, bien que, ordinairement parlant, ils ne se produisent pas sans quelque mouvement local ayant lieu dans les éléments de la matière.

2. Les choses étant ainsi, nous pouvons comprendre combien les phénomènes provenant, d'une manière directe ou indirecte, de l'activité des anges, doivent revêtir un caractère remarquable par leur étendue aussi bien que par leur variété. Comme, d'une part, ces purs esprits possèdent une connaissance des lois physiques et chimiques dépassant de beaucoup notre connaissance, et que d'autre part, leur puissance sur la matière est d'une si grande étendue, nous pouvons supposer qu'il est à peine dans le monde un phénomène qu'ils ne puissent produire d'une manière ou de l'autre.

3. De telles productions peuvent être à la vérité surprenantes au point d'avoir toute l'apparence de miracles. Elles ne sont cependant pas de vrais miracles. Car, bien qu'elles surpassent les forces de l'univers visible, pour autant que celui-ci nous est connu, elles ne sont pas en réalité au-dessus de la puissance angélique, tandis que le miracle appartient à la puissance de Dieu seul, dépassant toutes les forces de la nature visible aussi bien que de l'invisible, comme nous le montrerons ci-après.

4. Mais bien que la puissance de l'ange soit d'une telle ampleur, il n'y a pas à craindre qu'il intervertisse ou bouleverse la marche de la nature, vu qu'un tel privilège n'a pas été donné aux anges pour la destruction mais plutôt pour le bon ordre et le gouvernement régulier de l'univers. Si donc il arrive parfois que des esprits angéliques d'une nature mauvaise et perverse causent un dommage réel à l'homme ou du désordre dans les éléments de la nature, cela est dû soit à un pacte explicite ou tacite avec eux, comme dans les cas de sorcellerie, soit à quelque disposition cachée de la part de Dieu qui peut, pour des fins infiniment sages, permettre des bouleversements dans le monde, de même qu'il permet parfois que des individus soient tourmentés par les mauvais esprits sans aucune faute de leur part.

5. Un bref examen des phénomènes qui ont lieu dans le monde physique suffira pour donner une idée des effets merveilleux dont sont capables les êtres angéliques. En premier lieu, de même que, par les forces de la nature, des masses énormes changent de place, ou que, par l'activité d'agents physiques, les éléments de la matière sont dispersés ou travaillent de concert pour faire naître des tempêtes, des trombes et des ouragans, de même aussi un ange peut, sans la coopération d'agents intermédiaires, transférer des corps énormes d'un endroit à un autre ; il peut les soulever et les tenir suspendus en l'air, et cela pendant une période de temps indéterminée ; il peut agiter et faire entrer en collision dès substances pesantes, retourner de fond en comble des villes et des villages, susciter des tremblements de terre et des soulèvements de la mer et faire naître des cyclones ou des ouragans; il peut arrêter le cours des fleuves et même, s'il le désirait, faire s’entr’ouvrir la mer .

Un ange peut, en outre, par l'usage de moyens proportionnés, produire les plus merveilleux effets optiques, soit en faisant que des substances brillantes inconnues répandent des flots de lumière, soit en suscitant des formes chimériques et illusoires ressemblant à des représentations fantasmagoriques. Il peut en outre, sans l'aide d'aucun instrument, mettre en mouvement les éléments de la matière et produire la plus douce musique qui puisse s'entendre, ou des sons étranges tels que des coups frappés sur le plancher ou sur les murailles, des bruits d'explosion, etc.... Il peut encore assembler des nuages et produire des éclairs et des coups de tonnerre; il peut déraciner des arbres gigantesques et détruire des édifices, briser et réduire en poussière les rocs les plus durs. Il peut faire qu'un crayon écrive, automatiquement semble-t-il, des phrases qui se suivent et ont un sens intelligible, et conférer aux objets des formes différentes de celles propres à leur nature ; il peut, jusqu'à un certain point, suspendre les fonctions de la vie, arrêtant la respiration, ou accélérant la circulation du sang. Il peut même faire que des graines mises en terre se développent dans un temps extraordinairement court, formant des arbustes en pleine croissance, avec des feuilles, des fleurs et même des fruits.

Toutes ces choses, un ange peut les faire dans un temps très court, étant donné son pouvoir sur les mouvements locaux des éléments de la matière. Et il le peut sans la moindre difficulté, imitant à ce point le travail de la nature que ces phénomènes aient toute l'apparence de provenir de causes naturelles.


VII. - Les Anges peuvent-ils prendre des corps vivants ?

1. On s'est demandé s'il est possible qu'un ange informe le corps d'un animal ou d'un être humain et s'en revête de telle sorte qu'il accomplisse; grâce à lui, les fonctions ordinaires de la vie, telles que marcher, parler, manger, etc.

En réponse à cette question, nous pouvons dire qu'une telle chose n'a rien d'impossible, pourvu que nous considérions le corps ainsi formé uniquement comme un instrument dont l'ange se sert pour tel usage qui lui convient, mais qui ne peut devenir une partie formelle de sa nature, de la manière dont notre corps est une partie formelle et essentielle de notre propre nature.

Nos facultés, intelligence et volonté, sont des parties virtuelles de notre être et nos membres sont des parties intégrantes de notre corps. Mais le corps formé par un ange et dont il se revêt, ne peut d'aucune façon devenir une partie, soit essentielle, virtuelle ou intégrante de son être, puisque celui-ci est entièrement spirituel et complet dans sa nature.

2. Ceci résulte de ce qui a été dit sur le pouvoir que possède un ange de transférer des éléments matériels d'un lieu à un autre. Il existe dans la nature une variété d'éléments si abondante, qu'un ange peut très bien, par une ingénieuse combinaison et condensation de ces éléments, leur donner la forme et la couleur même d'un corps humain. En outre, il n'est pas au delà de son pouvoir d'emprunter certains de ces éléments à des animaux ou même, dans certains cas, à des hommes vivants, quand bien même ceux-ci seraient éloignés du lieu où le phénomène est produit.

Ainsi donc, tenant compte de ce fait qu'un ange a une parfaite connaissance des traits et autres qualités de chaque personne individuelle, vivante ou morte, on peut facilement concevoir qu'il est en mesure, par sa propre puissance, de reproduire la forme extérieure, la physionomie, la taille, la couleur et l'odeur, en même temps que les dispositions caractéristiques des vêtements d'un individu que nous pouvons avoir connu, et cela au point d'amener ceux qui furent le plus intimement liés avec lui à prendre le simulacre pour la personne elle-même.

3. Mais un ange est capable de produire un effet encore plus surprenant. Il peut faire que le corps ainsi revêtu par lui marche ou se meuve avec une aisance parfaite, ouvre et ferme les yeux, mange et respire et émette des phrases intelligibles, accompagnant ces divers actes de tous les gestes particuliers à une véritable personne vivante composée d'une âme et d'un corps .

Il faut cependant observer que tous ces actes que l'on nomme actes vitaux chez les animaux et les êtres humains vivants, ne peuvent proprement être ainsi nommés, quand ils sont accomplis sous l'influence des anges par les corps dont ils se sont revêtus. En effet, bien qu'accomplis par l'opération des anges comme principaux agents, ces actes sont purement mécaniques et n'ont rien de vital, puisque les corps où ces actes s'accomplissent ne sont pas des corps vivants, ne faisant pas partie, d'une manière formelle, de la nature angélique.

Ainsi les corps que prennent les anges sont privés de cet esprit vivifiant qui pénètre et informe nos corps sous l'influence de notre âme, forme substantielle de notre corps. C'est pourquoi les corps empruntés par les anges ne sont que des instruments externes mus par eux à leur gré, comme un pinceau ou un ciseau sont mus par la main de l'artiste pour l'élaboration d'un tableau ou d'une statue. Les actes ainsi accomplis ne peuvent donc être attribués aux corps de qui ils paraissent émaner, et sont par conséquent des actes mécaniques et non vitaux.

4. En ce qui concerne l'action de manger accomplie parfois par les esprits évoqués dans les séances spiritistes, on doit encore observer que cette action n'est qu'apparente et non réelle, vu que les esprits, étant tout à fait immatériels, ne peuvent goûter aucune nourriture et que les corps empruntés par eux ne le peuvent pas davantage, privés qu'ils sont du principe vital essentiel. Par conséquent l'action de manger, que les esprits matérialisés semblent accomplir, consiste uniquement à réduire en parties presque impondérables la nourriture qu'ils prennent et à la distribuer dans le corps emprunté, celui-ci n'étant pas nourri par ce fait, puisqu'il ne s'assimile pas les éléments nutritifs.

C'est précisément ce que nous lisons de l'ange Raphaël disant à Tobie : « Quand j'étais avec vous, il vous a paru que je mangeais et buvais avec vous ; mais je me nourrissais d'un aliment invisible et d'une boisson que les hommes ne voient pas» .

5. D'où il suit que l'action de manger, telle qu'elle est accomplie par les esprits matérialisés, est entièrement différente de celle des animaux vivants. Dans le dernier cas, manger n'est pas seulement accompagné de l'assimilation par l'animal des éléments nutritifs; mais cette action est intimement reliée à la nutrition elle-même et très souvent à un accroissement de quantité, ce qui ne saurait être le cas pour les purs esprits.

6. Pour être complet, il faut ajouter que l'acte de se nourrir accompli par les anges dans les corps empruntés par eux, diffère également du même acte accompli par notre divin Maître après sa résurrection quand, pour prouver la réalité de son corps ressuscité, il prit part au repas que ses disciples avaient préparé pour Lui. En effet, bien que cette nourriture ne fût pas nécessaire à sa vie puisque son corps était impassible, et que son action de manger ne comportât pas de nutrition ou d'accroissement de sa forme corporelle, cependant la nourriture qu'il prit fut promptement absorbée par un corps capable de s'assimiler les aliments, encore qu'il n'en fût pas réellement ainsi, ce corps étant un corps glorifié. Cette nourriture, après avoir été absorbée, fut donc réintégrée par la puissance divine en ses premiers éléments matériels.

Il était nécessaire de nous arrêter quelque temps sur ces considérations pour comprendre la différence entre les actions d'un corps vivant et celles d'un corps emprunté par les anges. Celles-ci ne sont, en réalité, qu'une lointaine imitation des opérations de l'animal et de l'homme lui-même.

Voyons maintenant quelle est la mesure du pouvoir que l'ange possède de fait sur l'homme.


VIII. - Étendue du pouvoir angélique sur l'homme

1. Après avoir considéré le pouvoir que les anges possèdent sur les éléments matériels, nous devons rechercher quelle est l'étendue de ce pouvoir sur l'homme. Et pour que nous soyons à même de résoudre cette nouvelle question, nous avons à considérer l'homme sous un double aspect : premièrement, comme un être possédant un corps composé d'éléments matériels plus ou moins communs à tous les êtres corporels ; et, secondement, comme une créature douée de facultés sensibles et intellectuelles, ce pourquoi il est dénommé être raisonnable. Notre dessein est de rechercher, tout d'abord, quelle puissance un ange peut avoir sur les membres du corps humain; ensuite, quelle influence il peut exercer sur nos facultés sensibles et intellectuelles.

2. Si nous considérons l'homme sous le premier aspect, nous devons dire qu'un ange a sur lui, naturellement parlant, le même pouvoir que celui qu'il a, par exemple, sur une pierre, une plante ou un animal. Il peut donc le soulever ou le transporter en n'importe quel lieu ou à n'importe quelle distance . Il peut aussi, jusqu'à un certain point, changer sa forme extérieure et modifier sa constitution physique interne, au point de produire en lui la santé ou la maladie ou même la mort. Il peut, en outre, se servir des membres d'un homme à ses propres desseins, faire mouvoir sa langue pour le faire parler, ses pieds pour le faire marcher, sa main pour le faire écrire. Et toutes ces choses peuvent être effectuées par l'opération aussi bien des bons que des mauvais anges, mais toujours, bien entendu, sous cette condition que Dieu, Seigneur et Maître des Anges non moins que des hommes, ordonne ou permette une telle chose.

3. Nous avons nommé les bons et les mauvais anges. Avant de poursuivre, il nous faut noter une différence marquée entre leurs actions. Les bons anges n'agissent jamais ainsi sur le corps de l'homme ou même sur une autre substance créée, sinon par ordre du Dieu Tout-Puissant, leur Seigneur bien-aimé ; tandis que, dans le cas des esprits mauvais, la simple permission de la part de Dieu est un motif suffisant pour une telle action. Essayons de comprendre aussi clairement que possible la différence entre ces deux cas.

Dieu étant le Bien essentiel, chaque désir en lui et chaque intention sont toujours bons. Mais il ne s'ensuit pas qu'il ne puisse permettre le mal. Dieu ne peut ordonner le mal, autrement il coopérerait directement avec lui; mais en vue d'un plus grand bien il peut permettre que le mal se produise, laissant la malice de l'acte à celui qui le commet.

Le vouloir divin de permission, quoique bon en soi et ordonné au bien, suppose donc, dans l'agent qui l'exécute, un élément d'abus et de culpabilité morale que Dieu pourrait empêcher, mais qu'en réalité il n'empêche pas toujours. C'est pourquoi un bon ange, quand il exécute les ordres de Dieu, est comme un instrument dans sa main ; un mauvais ange, au contraire, agissant de sa propre initiative et pour une fin perverse qui est la sienne, est comme un agent principal et conséquemment encourt seul la responsabilité du mal qu'il accomplit.

Il résulte de tout ceci, que tandis que les effets visibles dont nous nous occupons sont de vrais miracles quand ils sont réalisés par de bons anges, ils ne sont qu'imposture et mauvaise action quand ce sont les esprits mauvais qui les exécutent de leur propre chef. Nous aurons à revenir sur ce sujet pour en traiter plus à fond.

4. II arrive parfois que les mauvais anges reçoivent de Dieu la permission d'exercer leur pouvoir dans toute sa plénitude sur le corps d'un homme, de telle sorte qu'ils l'agitent et le dominent à leur volonté. C'est alors qu'a lieu le phénomène qualifié possession ou obsession, les individus qui tombent sous cette influence étant appelés énergumènes. Nous avons de nombreux exemples de cette tyrannie cruelle exercée sur l'homme par de mauvais esprits, non seulement dans les Saintes Écritures, mais aussi dans les annales de l'histoire, tant sacrée que profane, ancienne ou moderne ; et la Sainte Église a un rite spécial pour délivrer l'homme de cette pénible intervention diabolique .

5. Nous avons jusqu'ici parlé de l'étendue du pouvoir des anges sur l'homme considéré simplement comme un être matériel, c'est-à-dire du pouvoir qu'ils peuvent exercer sur le corps humain. Il nous faut maintenant rechercher quel pouvoir ils peuvent exercer sur nos facultés sensibles et intellectuelles, quel pouvoir en somme ils possèdent sur notre âme. Ce second point est beaucoup plus ardu que le premier et réclame en conséquence un examen sérieux et attentif.

L'homme étant un être raisonnable, doué d'une nature sensible qui l'aide à faire usage de ses facultés spirituelles, c'est-à-dire intellectuelles et volontaires, si nous voulons savoir de façon précise et jusqu'où peut s'étendre la puissance angélique par rapport à cette partie immatérielle de l'homme, nous devons rechercher non seulement si l'ange peut en réalité influencer nos facultés spirituelles, mais aussi jusqu'à quel point il peut exercer cette influence. Et, comme la faculté sensible est distincte de la faculté intellectuelle, nous devons rechercher d'abord si nos sens peuvent être mus et modifiés par les anges et, secondement, si les purs esprits peuvent agir sur notre intellect et sur notre volonté conformément à leurs désirs.

6. En premier lieu examinons les sens de l'homme. Nous avons à distinguer entre les sens internes tels que l'imagination et la mémoire sensitive; et les sens externes tels que la vue, le toucher, l'ouïe et les autres. Or la question se pose ainsi: un ange peut-il agir directement sur nous quant à l'une et à l'autre de ces sources de connaissance sensible ?

Nous devons répondre par l'affirmative. Et puisque ces facultés sont communes aux animaux aussi bien qu'aux hommes, un ange peut également agir directement sur les sens des animaux, soit internes, soit externes.

On doit toutefois observer que chez l'homme les facultés sensibles sont en liaison intime avec l'intellect et lui sont coordonnées. C'est pourquoi lorsqu'un ange influe sur nos sens, il peut en conséquence influencer, jusqu'à un certain point, notre intellect, comme nous le ferons voir.

Ceci est dû au fait que les perceptions de nos organes sensitifs, internes et externes, dépendent du mouvement de notre système nerveux. Or ce système, si vital et subtil qu'il soit, est toujours un élément matériel. Il peut donc être soumis à la puissance directe qu'un ange possède sur le mouvement local de la matière.

7. Il est hors de doute que la disposition particulière de notre corps, sous le rapport des nerfs, des muscles, du sang, de la bile, etc., est sous l'influence des agents naturels, tels que la lumière, la chaleur et autres, ceux-ci étant la condition essentielle des opérations de l'imagination qui occupent notre cerveau pendant le sommeil et fixent notre attention pendant la veille. Or les êtres angéliques, ayant une connaissance parfaite des éléments de notre système nerveux, peuvent les faire fonctionner de concert, de façon à produire artificiellement en nous des phantasmes semblables à ceux produits naturellement.

8. En outre, la disposition particulière de nos organes externes, peut, elle aussi, être la cause de certaines sensations. Un affaiblissement du nerf optique, par exemple, peut nous occasionner de l'amblyopie ou une amaurose ; une modification de la rétine peut empêcher un homme de distinguer les couleurs (comme dans le cas de ceux qui sont atteints de daltonisme), et la langue d'un fiévreux trouvera dans tous les aliments un goût d'amertume. Toutes ces modifications du système nerveux, un ange peut très bien les produire dans nos organes, externes et internes, par l'exercice naturel du pouvoir qu'il possède sur la matière. Nous pouvons ainsi facilement imaginer à quel point notre nature sensible peut être impressionnée de cette manière par l'action d'un ange et jusqu'où peuvent s'étendre de telles modifications introduites dans notre organisme.

9. Nous devons ajouter, toutefois, pour être complet, que la puissance angélique sur nos facultés sensitives est limitée, en particulier, par rapport à la formation, dans notre imagination, des phantasmes d'objets placés entièrement hors de la sphère de nos sens externes, ceux-ci étant les sources naturelles d'où proviennent les phantasmes de l'imagination. C'est ainsi qu'aucune puissance angélique n'est capable de donner à un aveugle-né l'idée de la couleur, ou de fournir à un sourd la notion exacte du son. Tout ce que peut faire un ange est d'amener l'imagination, par une combinaison ingénieuse des phantasmes précédemment acquis, à représenter ce qui autrement ne peut s'apprendre que par l'expérience, l'étude ou l'enseignement des maîtres.

10. Il n'est donc pas au delà du pouvoir d'un ange d'agir sur l'imagination d'une personne avec une telle force que celle-ci se représente un objet qu'elle n'aurait jamais vu ou dont elle n'aurait jamais entendu parler, ou se persuade qu'elle a été réellement transportée en un endroit éloigné et qu'elle converse avec des gens hors de portée de sa vue naturelle comme s'ils étaient présents, ainsi que cela se passe dans le cas des phénomènes désignés sous le nom de télépathie . Un ange peut aussi modifier l'imagination d'un homme, au point de le rendre capable de décrire avec exactitude la topographie d'un lieu particulier qu'il n'a jamais visité, ou les traits caractéristiques d'une personne qu'il n'a jamais rencontrée, comme cela se passe dans les phénomènes dits de clairvoyance.

11. Nous pouvons conclure de tout cela combien est vaste le champ d'action d'un ange en ce qui concerne la nature sensible de l'homme. La science n'a pas encore dit son dernier mot sur nos possibilités psychologiques ; mais l'organisation et le fonctionnement des organes de nos sens et de notre imagination sont si parfaitement connus dans toute leur minutieuse précision par les substances angéliques, que nous pouvons à peine concevoir jusqu'à quel point elles sont capables d'exercer leur activité dans la sphère de notre nature sensitive ou animale.

Nous pouvons toutefois déterminer nettement le point où s'arrête le pouvoir d'un ange. Nous pouvons dire, par exemple, avec certitude, qu'un ange ne peut faire que l'oeil entende ou que l'oreille voie, parce qu'un résultat de ce genre serait contraire à la nature respective de la vue ou de l'ouïe. Mais nous ne pouvons élucider avec une entière précision le champ d'action de l'ange par rapport à nos facultés végétatives et sensitives, celles-ci étant susceptibles d'une infinie variété de modifications et parce que nous ne connaissons pas entièrement la nature et le mode d'action des substances angéliques.

12. La question qui se présente à nous maintenant a trait à la manière dont l'ange peut influencer notre intelligence et notre volonté.

Il est hors de doute qu'un ange peut éclairer ou illuminer notre intelligence ; mais il le fait d'une manière qui diffère essentiellement de celle qu'emploie un ange par rapport à un autre. Dans ce second cas l'ange illuminateur ne fait autre chose que diriger ou tourner ses concepts vers l'intellect de son compagnon, comme nous l'avons dit en parlant de l'illumination angélique . Mais l'intellect humain ne peut percevoir la vérité que par le moyen d'images sensibles. Il est donc nécessaire que l'ange illuminateur nous suggère ce qu'il désire que nous connaissions, en se servant de ces images sensibles qu'il a le pouvoir de former, soit dans la sphère de nos sens externes, soit dans celle de notre imagination. Et l'ange, pour accomplir cette opération, met en œuvre les énergies latentes de notre système nerveux, qui sont ordonnées à nos opérations mentales et leur servent d'instrument pour leur réalisation.

13. Mais bien qu'un ange puisse de la sorte illuminer notre intelligence de façon à toujours obtenir l'effet désiré, il ne peut agir sur notre volonté au point de nous induire infailliblement à obéir à ses ordres. C'est là un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu. Dieu seul, l'auteur de notre nature raisonnable, est la cause première de cette inclination naturelle qui vient de lui et n'est rien autre que notre vouloir. Étant l'auteur de cette inclination, lui seul peut exciter notre volonté à choisir efficacement et librement ce que lui-même a décrété, et il le fait de la façon la plus douce et la plus suave qu'il soit possible d'imaginer. Il suffit que ce Maître divin le veuille, et il n'est rien à quoi la volonté de l'homme ne se porte alors spontanément et avec la plus grande liberté et suavité.

14. On ne saurait en dire autant du pouvoir angélique sur la volonté humaine. L'action qu'un ange peut exercer sur la volonté de l'homme est limitée à une influence extérieure. Il peut nous suggérer l'objet qu'il désire nous voir choisir, le présentant sous une forme si séduisante qu'il nous entraîne à faire tous nos efforts pour le posséder. En outre, comme nos passions, ainsi que l'expérience nous l'enseigne, sont très puissantes à mouvoir notre volonté, et comme, d'autre part, notre nature sensitive, nous l'avons vu, est soumise, dans ses mouvements, à l'influence des agents spirituels, il s'ensuit qu'un ange peut aussi mouvoir notre volonté, en excitant en nous des émotions violentes, telles que l'amour, la haine, la colère et autres, qui ont leur siège en des organes déterminés du corps. Un ange peut, de cette façon, déterminer en nous des impulsions violentes vers un objet donné, présenté par lui à notre imagination. Mais, dans tous ces cas, la volonté demeure intacte, et nous conservons toujours le pouvoir de résister à l'influence angélique, que celle-ci s'exerce pour le bien ou pour le mal.

15. La conclusion de ce raisonnement se déduit d'elle-même. S'il est vrai qu'il existe de purs esprits d'une nature perverse, enflammés de haine pour l'homme et assoiffés de sa ruine, puisqu'ils ne manquent pas de moyens de nous nuire, notre position, en face d'eux, est loin d'être sans périls. C'est ce qu'exprime l'apôtre saint Paul quand il écrit aux Éphésiens : Car ce n'est pas contre des hommes que nous avons à combattre. C'est contre les Principautés, les Puissances, les dominateurs de ce monde ténébreux, contre les esprits mauvais qui font leur séjour dans l'atmosphère .

Mais, grâce à la miséricorde de Dieu, s'il y a des esprits qui se tiennent aux aguets pour nous ruiner, d'autres, au contraire, nous sont donnés par sa Providence toute-puissante, pour nous assister, et la puissance de ces bons anges n'est pas inférieure à celle des mauvais esprits. Leur occupation est de nous protéger et de nous faire du bien de toutes manières, car il est écrit : Il ordonnera à ses anges de te garder dans toutes tes voies. Ils te porteront sur leurs mains, de Peur que ton pied ne heurte contre la pierre .


IX. - Comment des personnes ou des choses déterminées peuvent être une aide ou un obstacle aux effets que produisent les Anges

1. C'est un fait bien connu que, dans les séances mystérieuses où des êtres intellectuels du monde invisible sont évoqués, ces êtres ont coutume de montrer une certaine préférence pour des personnes ou des choses déterminées, comme s'ils trouvaient en eux, plutôt que chez d'autres, les éléments utiles ou nécessaires à l'accomplissement de la fin qu'ils ont en vue. Nous lisons assez fréquemment qu'ils ont expressément déclaré leur incapacité de produire les phénomènes désirés, faute de personnes ou de choses adaptées à leur dessein.

Nous allons maintenant étudier jusqu'à quel point ce cas peut vraiment se présenter. Les anges étant supérieurs à tout l'ordre matériel, il semblerait qu'ils doivent être indifférents quant à l'usage de telle personne ou de tel objet, pour la production des effets désirés. Et cependant il n'en est pas ainsi.

2. Le résultat de cette recherche nous donnera l'assurance qu'en réalité des personnes et des choses spécialement déterminées sont, en raison de leurs qualités naturelles, plus utiles que d'autres aux esprits du monde invisible. Parmi les personnes, il y en a, par exemple, d'une extrême sensibilité ; et parmi les créatures non douées d'intelligence, les unes sont d'une richesse d'éléments plus grande que les autres, et par conséquent sont choisies de préférence par les esprits pour l'accomplissement de leurs fins.

Nous devons en effet nous souvenir que lorsqu'un ange ou un démon emploie quelque objet naturel ou quelque personne humaine pour produire un effet déterminé, il s'en sert comme d'instrument. Or un instrument, pour servir à la fin proposée, doit posséder des qualités spéciales en accord avec l'effet désiré. D'autre part, un instrument produit, non seulement un effet correspondant à sa propre capacité, mais aussi un effet qui surpasse cette capacité, en tant que cet instrument agit en vertu de l'agent principal.

C'est ainsi, par exemple, qu'un instrument de musique touché par la main d'un maître ne produit pas simplement des sons ordinaires, mais des notes agréables à l'oreille. De même, les substances spirituelles séparées ont besoin d'éléments adaptés à leurs desseins pour produire des phénomènes déterminés, de telle sorte toutefois qu'avec ces mêmes éléments elles donnent naissance à des effets surpassant de beaucoup la capacité naturelle de ceux-ci.

3. Saint Augustin explique admirablement pourquoi les démons montrent une préférence pour certaines choses de ce monde. Voici comment s'explique le grand Docteur. «Les démons, dit-il, sont attirés à habiter dans les créatures qui ne sont pas leur ouvrage, mais l'ouvrage de Dieu, par des objets qui leur plaisent, différents selon la diversité de leur génie ; non pas qu'ils cèdent, comme les animaux, à l'attrait des aliments, mais, en tant que natures purement spirituelles, ils se complaisent dans des signes conformes au goût de chacun, se servant, pour leurs fins, des différentes espèces de pierres, d'herbes, de bois, d'animaux, d'enchantements et de rites divers » . Nous trouvons en effet que non seulement les sorciers, mais aussi les spirites modernes usent de ces divers objets, tout en observant, outre le choix des personnes, un certain nombre de circonstances de lieu, de lumière et d'attitude, circonstances, disent-ils, exigées pour le succès de leurs pratiques.

4. Or si les esprits montrent une certaine préférence pour des créatures déterminées, comme étant d'un meilleur usage pour leurs desseins, peut-on dire également que, vice versa, leur action est mise en échec ou entièrement paralysée par des personnes spéciales ou des objets d'une nature particulière ?

Nous répondrons à cette question par l'affirmative. Tout d'abord, nous savons que des objets bénits par l'Église, comme l'eau bénite et les agnus Dei, ont un pouvoir surnaturel pour chasser les démons. De même ces mauvais esprits ne peuvent résister au commandement des serviteurs de Dieu, leur ordonnant de quitter les corps des malheureux qu'ils tourmentent parfois si cruellement.

En outre, il y a toute raison de croire que Dieu ordonne parfois, précisément pour punir l'orgueil de ces esprits hautains, que leur action soit neutralisée par quelque élément sur lequel ils pourraient, absolument parlant, exercer leur pouvoir. Le fait toutefois demeure avéré que, plus la matière est appropriée, plus les démons en usent volontiers et avec aisance pour leurs fins.

5. Nous avons à la fois un exemple et une preuve de cette vérité dans ces paroles de l'Archange Raphaël au jeune Tobie : « Si tu poses sur des charbons un petit morceau du cœur de ce poisson, la fumée qui s'en exhale chassera toute espèce de démons, soit d'un homme, soit d'une femme, en sorte qu'ils ne peuvent plus s'en approcher» .

Il est certain que les démons, étant de purs esprits, ne peuvent, naturellement parlant, être gênés par une chose matérielle, telle que la fumée du foie ou du cœur d'un poisson, et ces mots ne signifient pas que ces choses suffisent par elles-mêmes à forcer les démons à sortir d'un homme, sur qui Dieu aurait permis qu'ils exercent leur pouvoir. Mais cet agent naturel peut modifier la disposition subjective du corps humain, de façon à le rendre un instrument moins apte à subir les opérations diaboliques et l'aider ainsi à tenir en échec le pouvoir de l'ange des ténèbres.

Nous devons donc reconnaître ici la disposition douce et efficace de la divine Providence qui, afin de confondre l'orgueil du démon, a voulu se servir d'un objet aussi vil que le foie carbonisé d'un poisson pour restreindre son pouvoir. Et nous lisons que Tobie, attentif aux paroles de l'Ange, « tira de son sac un morceau du foie et le posa sur des charbons ardents. Alors l'Ange Raphaël saisit le démon et l'enferma dans le désert de la Haute-Égypte » .

6. Le cas de Saül est analogue. Il est dit que quand l'esprit mauvais s'emparait de lui, « David prenait sa harpe et jouait de sa main, et Saül se calmait et se trouvait mieux, parce que le mauvais esprit se retirait de lui » . Nous pouvons supposer d'après ce que nous avons dit, que le démon se servait de la disposition physique de Saül, c'est-à-dire de sa mélancolie, pour l'attaquer et le tourmenter, l'amenant même jusqu'aux excès d'un délire furieux. D'autre part, la musique exerçant une influence très puissante sur le système nerveux de l'homme, pour calmer ses passions ou pour les exciter, David réussissait, avec les notes douces et mélodieuses de sa harpe, à apaiser et à calmer Saül, du fait que le démon perdait peu à peu son empire sur la disposition physique du roi, laquelle était précisément la mélancolie.

7. Voici donc comment le pouvoir des anges sur la matière corporelle peut être secondé ou entravé par des agents naturels dans la production des effets particuliers qu'ils ont en vue. Mais il convient maintenant de rechercher les limites de ce pouvoir en ce qui concerne les œuvres extraordinaires de Dieu, pour arriver à connaître clairement si un ange peut, ou non, accomplir des miracles.


X. - Limites du pouvoir angélique

1. Bien que le pouvoir que possèdent les anges sur les éléments du monde soit, comme nous l'avons vu, d'une très grande étendue, il n'est cependant par infini, étant contenu dans certaines limites. Ce sujet doit maintenant retenir notre attention pour que nous soyons à même de décider quels effets peuvent être attribués, ou non, à l'intervention des anges.

Tout d'abord, les anges ne peuvent changer l'ordre général de l'univers. Ils ne peuvent produire des effets tels, par exemple, que la prolongation du jour naturel, ce qui eut lieu, est-il rapporté dans l'Écriture, à l'ordre de Josué . Ils ne peuvent pas davantage causer une modification dans les propriétés essentielles des choses, comme ce fut le cas pour le buisson où Dieu apparut à Moïse et qui, tout en feu, ne se consuma pas .

De telles opérations sont, par la théologie catholique, reconnues comme des miracles du premier ordre, ou miracles quoad substantiam facti, qui sont des effets surpassant entièrement toutes les forces de la nature.

2. De même il est en dehors du pouvoir des substances angéliques de rendre un mort à la vie ou de donner la vue à un aveugle. Ces opérations surnaturelles appartiennent à la seconde classe de miracles, nommée par les théologiens quoad subjectum, et comportant des opérations qui ne sont pas au-delà des forces de la nature, mais que la nature elle-même ne produit jamais, sauf en des sujets disposés naturellement à recevoir des formes déterminées. De fait, la nature donne bien la vie, mais pas à un cadavre ; elle donne la vue, mais pas à un aveugle. Ces opérations surpassent le pouvoir des anges ; aussi disons-nous qu'ils ne peuvent pas produire des effets correspondant aux miracles du second ordre.

3. Outre ces effets, il en est qui appartiennent à une troisième classe d'opérations miraculeuses, que les théologiens nomment des miracles quoad modem.

Ce sont des effets que la nature peut produire elle-même et dans les mêmes sujets où ils se produisent miraculeusement. Mais la nature, dans ce cas, suit une voie différente de celle suivie quand l'effet est miraculeux. La nature, par exemple, peut amener la cessation de la fièvre, mais seulement au moyen de remèdes opportuns et après qu'une certaine période de temps s'est écoulée. Par un miracle, au contraire, le même effet peut être produit sans aide physique d'aucune sorte et en un instant. Il en est de même pour la formation, dans l'atmosphère, de pluie, de neige ou de grêle ; or, les changements de température ou de saisons sont des phénomènes naturels qui, dans la marche ordinaire des choses, ne peuvent avoir lieu sans une certaine somme de préparation, plus ou moins longue et laborieuse. Mais si ces mêmes effets ont lieu sans préparation et instantanément, un tel événement sera le résultat d'un miracle du troisième ordre. De tels faits doivent être estimés comme étant au-dessus des forces de la nature, non pas en ce qui concerne la substance des opérations accomplies, ni par rapport aux sujets qui les subissent, mais seulement quant à l'ordre et à la manière dont ils se produisent.

Or c'est précisément dans la production de ces effets visibles que se manifeste la puissance de la substance angélique, si bien que nous pouvons dire que les anges, par leur propre énergie, sont en mesure d'effectuer dans l'univers des œuvres correspondant aux miracles du troisième ordre. La raison en est, comme nous l'avons dit, que les anges ont plein pouvoir sur le mouvement local des éléments de la matière, et peuvent ainsi, dans un très court espace de temps, les mettre en mouvement, de telle sorte que les mêmes effets, pour lesquels la nature a besoin d'une préparation spéciale et d'un procédé régulier, se produisent sans préparation et instantanément.

4. Observons ici que nous ne disons pas que les anges peuvent produire des miracles de la troisième classe, mais qu'ils peuvent produire des effets correspondant à ce genre de miracles. C'est là un point sur lequel nous devons insister, afin de déterminer dans quelles conditions ces effets visibles, produits par les anges, ne sont que des productions naturelles ou sont bien, en réalité, des effets miraculeux.

Nous pouvons résoudre la question tout de suite en disant que les anges ne produisent des effets miraculeux et surnaturels que lorsqu'ils agissent comme ministres de Dieu. Quand, d'autre part, ils agissent de leur propre chef, leurs opérations peuvent bien s'appeler préternaturelles, car elles sont accomplies en dehors des forces de la nature telles que nous les connaissons ; mais elles ne sont pas surnaturelles, n'étant pas au-dessus des forces de toute la nature créée, comme c'est le cas pour les miracles proprement dits.

5. Nous essaierons d'éclairer davantage ce point important.

Quand les anges agissent dans ce monde visible d'après les ordres de Dieu, comme ses instruments ou ses ministres, leur but rentre dans le dessein de Dieu et l'action qu'ils accomplissent est ordonnée à une fin surpassant l'ordre entier de la nature. Dans ce cas leur action est, pour ainsi dire, une avec l'action de Dieu et conséquemment revêt la qualité d'un miracle véritable, puisqu'un miracle, à proprement parler, est une œuvre appartenant à Dieu seul. Quand les anges, d'autre part, agissent de leur propre chef, ou comme agents principaux, l'effet produit ne dépasse pas l'ordre naturel et, si merveilleux qu'il soit, ne peut être appelé miracle au vrai sens du mot, puisqu'il reste proportionné à la puissance naturelle des anges.

Il s'ensuit que le même effet produit par des anges de moralité différente, tel, par exemple, que la guérison d'un homme malade de la fièvre, peut, dans un cas, être un miracle et ne l'être pas dans un autre. C'est un miracle, s'il est produit sur l'ordre de Dieu par l'ange agissant comme son ministre ; ce n'est pas un miracle, quand il est produit par l'ange agissant de son propre chef, cet effet restant dans la sphère de sa puissance naturelle.

6. Ce que nous venons de dire appelle notre attention sur la différence de moralité existant parmi les anges. Ainsi que nous l'avons déjà fait observer et comme on le verra plus clairement par la suite, il faut distinguer deux classes d'anges - les bons et les mauvais - et leur mode d'action diffère énormément. Comme les bons anges ne déploient jamais leur puissance dans ce monde matériel sauf au commandement de Dieu et comme instruments de son pouvoir, il s'ensuit que toutes leurs interventions visibles sont de vrais miracles, tandis qu'au contraire les interventions des mauvais anges procèdent, ordinairement parlant, de leur propre initiative, et n'ont lieu que dans un but immoral. Ainsi, sauf quand ils sont contraints d'agir dans ce monde visible comme ministres de la justice de Dieu, les mauvais anges, ordinairement parlant, n'opèrent pas de miracles.

7. Tels sont les critères généraux qui peuvent nous aider à marquer la différence entre les opérations angéliques qui sont de vrais miracles et celles qui sont proportionnées aux forces de la nature.

Dans les cas particuliers, toutefois, il ne nous est pas toujours possible de discerner clairement entre l'un et l'autre genre d'opérations, car il est facile pour un ange de ténèbres de se transformer en ange de lumière. Il est donc bon de ne se prononcer qu'avec la plus grande réserve sur la nature d'une intervention angélique. La règle est de se tenir fermement aux solides principes qu'ont établis les écrivains ascétiques sur le discernement des esprits. La Sainte Église elle-même procède avec une extrême prudence, quand des cas de cette nature sont soumis à son tribunal.


XI. - La Compénétration des corps

1. Les considérations que nous venons de faire sur la puissance angélique nous amènent à étudier la question de savoir s'il est possible qu'un ange produise le phénomène connu sous le nom de compénétration des corps. Le doute, en d'autres mots, se réduit à savoir si un ange peut faire que deux corps occupent la même place en même temps. Que ce phénomène puisse avoir lieu, grâce à la puissance divine, c'est ce qu'on ne peut mettre en doute, puisque nous lisons dans la Sainte Écriture que Notre-Seigneur est entré dans la salle où se tenaient, toutes portes closes, ses disciples réunis . Mais est-il possible qu'un ange ait le pouvoir de produire le même effet ?

2. Il semblerait, à première vue, que ce phénomène puisse être réalisé par les pratiques spirites dans les séances où quelquefois des objets entrent dans des cassettes ou des boîtes hermétiquement fermées et en sortent, sans subir aucun dommage apparent.

Quoi qu'il en soit de la réalité de ces phénomènes, nous devons dire qu'il est absolument en dehors du pouvoir d'un ange de faire que deux corps occupent exactement la même place ou le même espace en même temps. Par conséquent, la compénétration des corps, au sens exact du mot, est absolument au-dessus du pouvoir angélique.

Cela est évident, si nous considérons la nature de l'espace dans sa relation avec l'individualité d'un corps, c'est-à-dire avec ce qui distingue numériquement un corps d'un autre corps. Nous allons tâcher d'expliquer ce point qui, en réalité, n'est pas très facile à comprendre, étant intimement lié avec certains des problèmes les plus difficiles de la métaphysique. En effet une légère divergence d'avec les principes de cette science, la plus haute des sciences humaines, suffit à conduire aux conclusions les plus erronées.

3. Pour que deux corps puissent occuper en même temps la même place, deux conditions doivent être remplies : I) un des corps doit être présent dans cet espace sans avoir ses propres dimensions extérieures, et 2) ce corps doit néanmoins rester distinct de l'autre corps de telle façon qu'il ne puisse être confondu avec lui. Or ces deux conditions peuvent-elles être vérifiées ? En supposant que cela soit, quelle sorte d'agent est capable d'accomplir un tel acte ? Voyons ce que la théologie catholique peut avoir à nous dire à ce sujet.

4. Tout d'abord nous devons observer que c'est la propriété naturelle des corps de posséder certaines dimensions extérieures, c'est-à-dire d'occuper un certain espace correspondant exactement à leurs contours, ce contact précis des contours avec les dimensions de l'espace occupé constituant ce qui distingue naturellement et ordinairement un corps d'avec un autre, au point de vue numérique et individuel.

La question qui se présente est donc celle-ci comment les dimensions naturelles d'un corps peuvent-elles être suspendues de telle sorte qu'elles lui permettent de remplir l'espace occupé par un autre corps qui, celui-ci, est accompagné de ses dimensions ? En outre, comment la distinction entre ces deux corps peut-elle continuer d'exister nonobstant l'absence de toute relation, dans l'un de ces corps, avec les dimensions de l'espace qu'il occupe ? En d'autres termes, nous pouvons dire que la possibilité pour deux corps distincts d'occuper en même temps un seul et même espace dépend, d'abord, de la suspension chez l'un d'eux de la propriété naturelle de sa quantité, c'est-à-dire de l'ajustement de la dimension spatiale à ses propres dimensions, et, secondement, de la continuation d'une distinction individuelle et réelle de ce corps d'avec tout autre corps qui pourrait se trouver à la même place.

5. Nous avons dit que pour que deux corps distincts puissent être véritablement dans un seul et même lieu, il est nécessaire d'abord que dans l'un de ces deux corps l'effet extérieur propre à la quantité, celui de l'exacte correspondance des dimensions du corps aux dimensions d'un espace fixé, soit suspendu. Ceci veut dire que, tandis que les dimensions extérieures de l'un de ces deux corps correspondent exactement à l'espace qu'il occupe, et par conséquent remplissent cet espace de telle sorte qu'il empêche un autre corps, quel qu'il soit, d'y être présent de la même manière, c'est-à-dire, avec ses dimensions propres, le second corps, au contraire, n'est pas formellement dans cet endroit par un rapport direct de ses dimensions aux dimensions spatiales, mais directement par sa substance, l'effet extérieur de ses dimensions étant réellement suspendu. En outre, la présence simultanée de deux corps dans un seul espace demande que le principe distinctif d'un corps, qui le différencie d'un autre, principe qui d'ordinaire découle immédiatement du rapport des dimensions externes de quantité avec les dimensions spatiales correspondantes, soit fourni par ailleurs, c'est-à-dire par l'action d'un agent capable de produire les effets des causes secondes, sans l'aide de celles-ci.

6. Or ces effets ne peuvent, l'un et l'autre, être produits que par Dieu. Examinons en premier lieu la suspension de cette propriété naturelle de la quantité des corps qui consiste, comme nous l'avons dit, dans le rapport de leurs dimensions extérieures avec les dimensions spatiales correspondantes. Suspendre les propriétés naturelles des choses créées est tout à fait au delà du pouvoir naturel de quelque créature que ce soit, et n'appartient qu'à Celui de qui toutes choses dépendent, à Celui qui, par son acte créateur, non seulement a tiré du néant les choses de ce monde, mais les a également douées de leurs propriétés respectives. Donc en ce qui concerne le premier effet dont nous avons parlé, nous voyons comment Dieu seul peut le produire, c'est-à-dire que lui seul peut suspendre dans les corps le rapport naturel de leurs dimensions extérieures avec les dimensions de l'espace environnant.

En ce qui concerne le second effet, qui est de maintenir la distinction entre un corps et un autre indépendamment de la cause prochaine de cette distinction, à savoir précisément le rapport des dimensions extérieures du corps avec les dimensions spatiales, nous disons que cela aussi ne peut être produit que par Dieu. Produire les effets des causes secondes sans l'aide de celles-ci appartient à Celui dont l'action efficiente embrasse virtuellement tout ce que l'on peut imaginer être possédé par les causes secondes. Il n'est donc pas possible, ni d'une façon ni d'une autre, qu'un ange puisse faire que deux corps existent simultanément dans le même lieu.

7. Qu'il soit absolument impossible aux anges de produire le phénomène connu sous le nom de compénétration des corps, c'est ce qui apparaît clairement du fait qu'ils n'ont pas le pouvoir de suspendre les propriétés naturelles des corps, ni de se substituer à l'action des causes secondes. De tels pouvoirs n'appartiennent qu'à Dieu, qui seul peut faire l'une et l'autre chose. C'est pourquoi ce phénomène est classé parmi les miracles du premier ordre ou miracles secundum substantiam facti. La seule chose que puissent faire les anges dans ce domaine, est de se servir des propriétés inhérentes aux éléments de la matière dont ils ont la parfaite compréhension, et, par d'ingénieux subterfuges, d'obtenir des effets surprenants, capables de faire croire que ces effets sont obtenus au moyen de la compénétration des corps, tandis qu'ils ne sont en réalité que le résultat d'une sorte de prestidigitation des plus habiles.

8. Donc, toutes les fois que dans les séances spirites il arrive que l'on voit un objet sortir d'une boîte close, phénomène qui dans le langage spirite est dénommé apport, on doit conclure que la boîte n'était pas close si hermétiquement qu'elle pût empêcher l'objet de sortir par quelque fissure après avoir été réduit en particules très minimes par le pouvoir d'un ange capable de lui restituer ensuite sa première forme.

En effet, bien qu'il n'appartienne pas au pouvoir d'un ange de faire que deux corps soient en même temps à la même place, un ange peut cependant, par son action personnelle, réduire en particules d'une extrême finesse même les corps métalliques les plus durs, de façon à les faire passer par des ouvertures d'une incroyable petitesse, et, comme il peut restituer à ce corps sa forme originelle et ceci dans un temps très court et avec la plus grande précision, nous pouvons facilement comprendre comment il peut, dans une certaine mesure, produire, dans ce domaine, des phénomènes merveilleux, au point de faire croire que, par son action, la matière compénètre positivement la matière, quand en réalité rien de semblable ne se produit.

9. Nous pouvons ajouter ici, pour plus de clarté, une autre observation. Ce serait une erreur de croire que les corps glorifiés jouissent du privilège de la compénétration puisqu'il s'agit là, nous l'avons dit, d'une opération qui n'appartient qu'à Dieu. Quand donc Notre-Seigneur est entré dans la salle du souper, les portes étant closes, ce fut certainement un miracle proprement dit et un miracle de la première classe.

10. Contre ce que nous avons dit sur les anges et l'incapacité où ils sont de faire que deux corps occupent en même temps le même lieu, on pourra peut-être objecter qu'ils peuvent, par exemple, suspendre les corps dans l'air, phénomène appelé lévitation, ou empêcher les eaux d'un fleuve de couler ou même les redresser comme un mur. Pourquoi ne pourraient-ils pas, par conséquent, faire que deux corps occupent en même temps le même lieu ?

Nous répondrons qu'autre chose est de parler dés conditions nécessaires à la suspension de la fluidité dans les molécules de l'eau, ou de la loi de gravité dans les corps, et autre chose de parler des conditions requises pour obtenir la pénétrabilité des corps. Pour obtenir les premiers de ces effets il n'est pas absolument nécessaire de supprimer ou de suspendre dans les corps leurs propriétés naturelles ; il suffit à un ange d'exercer le pouvoir qu'il possède sur le mouvement local de la matière, comme nous l'avons expliqué. Quant au dernier effet, au contraire, cela ne saurait suffire, mais il est nécessaire que la propriété naturelle du corps soit suspendue. Car, ainsi que nous l'avons établi, ce phénomène ne peut avoir lieu, à moins que le parfait ajustement des dimensions externes de la quantité d'un corps à l'espace correspondant ne soit suspendu. Or suspendre dans les corps ou leur enlever leurs propriétés naturelles et faire que ces corps existent l'un dans l'autre tout en demeurant distincts individuellement est une opération qui ne peut avoir que Dieu pour auteur.

11. Enfin, pour prévenir toute équivoque, et pour une plus claire intelligence de la doctrine qui précède, il ne sera pas hors de propos que nous déterminions, à la lumière des principes que nous venons d'exposer, en quelle circonstance l'arrêt du cours des eaux ou de la loi de gravitation des corps est une opération uniquement divine. Pour examiner un cas concret, nous prendrons le fait de la division des eaux de la Mer Rouge, événement qui se produisit sur l'ordre de Moïse.

D'après ce qui a été dit nous voyons tout de suite comment les eaux de la mer peuvent être dressées comme un mur ou celles d'un fleuve rebrousser leur cours. En premier lieu, cet effet peut se produire de telle sorte que la loi de gravité ou de pression dans le cas des liquides soit actuellement supprimée pour l'eau ou au moins momentanément suspendue, et dans ce cas, l'effet est dû à Dieu seul, puisque Lui seul peut modifier, suspendre et détruire les propriétés des choses, et un tel acte est un miracle de la première classe. Secondement, l'effet en question peut être dû à la puissance angélique, à savoir au pouvoir qu'un ange possède naturellement sur le mouvement local des corps, et ainsi être un miracle du troisième ordre, ce qui, en réalité, a lieu quand un ange opère de la sorte en accord avec l'ordre exprès du Tout-Puissant.

12. Nous devons toujours en effet nous souvenir que Dieu a pour loi constante, dans l'accomplissement de ses oeuvres, aussi bien dans l'ordre de la nature que dans celui de la grâce, non seulement d'employer autant qu'il est possible, l'instrumentalité des causes secondes, mais aussi de laisser à ces causes, dans la même mesure, le plein usage de leur propre pouvoir. Ainsi donc le critérium qui nous guidera pour discerner la manière dont sont produits certains effets est celui-ci : attribuer toujours aux créatures tout ce qui peut leur être attribué, vu la nature de l'opération en cause. Désirant découvrir par conséquent si le phénomène dont nous avons parlé, savoir la division des eaux de la Mer Rouge, doit s'attribuer à la suspension de la propriété de fluidité dans l'eau elle-même, ou au pouvoir des anges sur le mouvement local des corps, nous devons dire qu'il fut accompli de la seconde manière, et fut par conséquent un miracle non de la première, mais de la troisième classe. En effet, dans le premier cas, il n'y aurait pas eu place pour l'instrumentalité des anges dans l'événement en tant qu'il était miraculeux ; tandis que dans le second cas, ces esprits immatériels, tout en obéissant parfaitement, comme ministres de Dieu, à l'ordre divin, ont en même temps exercé sur la matière corporelle ce pouvoir dont ils sont doués naturellement.



XII. - Comment on peut rendre compte des phénomènes spirites par l'action des anges

1. Nous avons vu ce qu'est, d'après l'enseignement de la théologie catholique, l'étendue du pouvoir que possèdent les anges sur les éléments de ce monde et sur la nature sensible et intellectuelle de l'homme. Ce pouvoir surpasse grandement tout autre pouvoir connu de nous et s'exerce sur un domaine hors de la portée de notre vision mentale. De même que la connaissance de nos propres facultés intellectuelles ne saurait suffire à nous donner une vue complète des capacités mentales de ces merveilleux esprits, de même aussi une familiarité parfaite avec tous les agents physiques qui sont à l'œuvre dans le vaste champ de la nature ne suffirait pas à nous donner une idée exacte de l'étendue et de la portée du pouvoir angélique. Le seul moyen qui nous permette d'obtenir quelque notion sur la connaissance et le pouvoir des anges, si inadéquate que puisse être cette notion, est de recourir encore à l'enseignement de la théologie catholique.

2. Or si un esprit dégagé de tout préjugé prend la peine d'examiner, un à un, tous les phénomènes spirites, aussi bien ceux qui ont eu lieu dans le passé, par le moyen des pythonisses et des sorciers, que ceux qui se produisent réellement de nos jours dans les séances occultes sous l'action de médiums reconnus, nous ne doutons pas que la preuve sera pour lui bientôt faite qu'il n'est pas un seul de ces phénomènes, qu'il soit de nature mécanique, physiologique ou intellectuelle, qui ne puisse être attribué à l'une ou à l'autre des formes variées de la connaissance et du pouvoir angélique ci-dessus décrits.

3. La production en apparence spontanée de lumière, de chaleur et de son, le déplacement automatique d'objets d'un endroit à un autre, la présentation d'images fantastiques, la formation spontanée d'un langage articulé et d'une écriture intelligible, la production rapide de plantes vivantes et même la formation de corps humains, avec toute l'apparence de la vie et du mouvement, la manifestation d'événements cachés et éloignés, et, dans une certaine mesure, l'inspiration, chez le médium, de langues et de sciences inconnues - tous ces phénomènes et bien d'autres semblables n'excèdent pas la capacité des esprits angéliques, bons ou mauvais, et l'on peut avec sûreté leur attribuer ces effets comme à une cause adéquate.

De même il n'y a rien qui surpasse l'étendue de la connaissance et du pouvoir angélique dans la mise en contact intellectuel entre deux amis qui se trouvent à une grande distance l'un de l'autre dans la révélation, de la part des médiums, des causes réelles et des remèdes pour diverses sortes de maladies ; dans l'exécution, par une personne endormie, d'un plan déterminé, suggéré auparavant, et cela au moment et au lieu fixés, dans l'ordre et avec les circonstances minutieusement arrangés à l'avance, ainsi que cela se produit dans le phénomène dit « suggestion » ; ou dans la prédiction d'événements dépendant de causes matérielles, tels que tremblements de terre, violents orages, éruptions volcaniques et en général les phénomènes météorologiques, dont les causes peuvent nous être inconnues, mais que les anges connaissent parfaitement.

4. On peut de même attribuer à l'action angélique une grande variété de phénomènes d'ordre pathologique, que la médecine naturelle est parfois incapable de déterminer. C'est ainsi qu'il est au pouvoir d'un ange de causer une paralysie partielle ou même totale, l'aphasie ou l'incapacité d'émettre des sons articulés ou même des syllabes distinctes, l'anesthésie ou la perte du sens du toucher ou de la sensibilité, l'amnésie ou la perte de la mémoire, l'ataxie générale ou locale et autres désordres du même genre dépendant du système nerveux comme de leur cause immédiate.

5. Observons toutefois que tandis que les mauvais anges peuvent produire tous ces effets, ils peuvent aussi, soit en suggérant des remèdes opportuns, soit même simplement en cessant leur influence maléfique, rendre la santé parfaite à une personne souffrant de tels désordres et, de cette manière, réaliser ce qui paraît être une cure parfaite, simulant ainsi les miracles faits par Dieu. Tertullien, parlant de la ruse des démons, observe comment, pour induire les hommes à croire à leur puissance curative miraculeuse, ces mauvais esprits commencent par attaquer leur santé afin d'attirer l'attention sur leur pouvoir guérisseur, qu'ils exercent, soit en cessant leur influence maléfique, soit en suggérant des remèdes aptes à réparer les maux qu'ils ont eux mêmes causés .

6. De tout ce que nous avons expliqué dans ce chapitre il résulte clairement que les effets ci-dessus mentionnés, tels qu'ils se manifestent dans les séances spirites, peuvent être attribués aux anges, c'est-à-dire aux anges déchus, aux esprits d'un ordre moral inférieur que nous appelons démons. Nous allons rechercher maintenant, en suivant l'enseignement constant de la théologie catholique, si ces effets doivent être attribués à ces mêmes esprits déchus, plutôt qu'à l'âme humaine, comme le prétendent en général les spirites modernes.

Pour comprendre nettement ce point, nous allons examiner, dans la seconde partie de cet ouvrage, la nature, la connaissance et le pouvoir de l'âme humaine, dès que la mort l'a séparée du corps.




DEUXIÈME PARTIE - L'AME HUMAINE APRÈS LA MORT

1. Si nous prêtions foi aux déclarations faites si fréquemment au cours des séances où ont lieu les phénomènes spirites, nous devrions dire que les auteurs de ces phénomènes ne sont autres que les âmes des êtres humains que la mort a séparées de leur corps. En outre, d'après l'hypothèse que favorisent, comme nous l'avons déjà mentionné, un nombre toujours croissant d'hommes de science, il faudrait dire que l'âme humaine, dans ce nouvel état, acquiert un mode d'existence, une connaissance et un pouvoir qu'elle n'aurait pu posséder dans la vie présente et en vertu desquels elle serait capable de produire tous ces phénomènes extraordinaires.

2. Nous ne devons pas omettre d'observer ici à quel point l'idée d'une possibilité naturelle d'entrer en communication avec les esprits des morts était déjà en vogue longtemps avant que les phénomènes spirites n'eussent pris leur forme actuelle. Même avant l'ère chrétienne, cette opinion était extrêmement répandue, et nous voyons qu'aux premiers siècles de l'Église, si grande fut la tendance des convertis venus du paganisme à entrer en communication, croyaient-ils, avec les morts, que les premiers empereurs chrétiens durent édicter des lois sévères pour empêcher le recours à ces pratiques superstitieuses. Leurs efforts, cependant, bien que secondés par plusieurs Conciles, ne paraissent pas avoir eu le succès souhaité, puisque nous trouvons qu'en des siècles d'une foi plus grande, ces mêmes pratiques obtinrent une diffusion encore plus considérable. La fameuse constitution de Sixte-Quint « Cœli et terræ Creator » contre les magiciens et les sorciers en général et les nécromanciens en particulier, est une preuve qu'à la fin du seizième siècle le désir d'entrer en relation avec les âmes des morts était loin de disparaître. De nos jours ce désir, comme une folie contagieuse, semble avoir pris entièrement possession d'une partie notable de la société.

3. Or, pour déterminer si les phénomènes du spiritisme peuvent, d'une manière ou de l'autre, être attribués aux âmes des morts, il est nécessaire d'expliquer, d'accord avec les solides principes de la philosophie chrétienne, premièrement, ce qu'est l'état de l'âme séparée de son corps par la mort ; secondement, quelle est la connaissance qu'elle possède ; troisièmement, quelle est l'étendue de son pouvoir.

Mais il est impossible de déterminer avec exactitude ces différents points, si nous ne connaissons tout d'abord quels sont, dans cette vie, l'état, la connaissance et le pouvoir de l'âme humaine. Par suite nous n'oublierons pas d'expliquer, dans le cours de notre étude, ce qu'est sur ce point l'enseignement catholique, afin de pouvoir mieux comprendre la position de l'âme séparée du corps.

Nous commencerons donc par établir une comparaison entre les attributs des âmes séparées de leur corps et ceux des âmes qui lui sont encore unies.



CHAPITRE I - ÉTAT DE L'AME APRÈS LA MORT

1. Bien que l'âme humaine soit destinée, en raison de sa nature, à être unie à un corps organique, elle n'en est pas moins en elle-même dépourvue de toute matière. L'âme humaine est une substance immatérielle parente des anges, et qu'on appellerait un pur esprit, n'était la relation qu'elle a avec le corps. Mais son union avec celui-ci est si intime, qu'elle exclut entre les deux la présence d'un voile, si subtil et si éthéré qu'on puisse l'imaginer. Admettre entre l'une et l'autre une entité quelconque les unissant, entraînerait le rejet de ce qu'enseigne la psychologie catholique sur l'union de l'âme et du corps dans la vie présente.

2. Les frontières respectives de ces deux substances ne peuvent être indiquées par une ligne de démarcation telle que, par exemple, une enveloppe très subtile ou périsprit, comme la nomment des savants modernes : une enveloppe qui contiendrait l'âme, se modelant sur toute sa surface et représentant le corps comme sa propre image. Une telle hypothèse est à écarter formellement comme opposée non seulement à la spiritualité de l'âme, mais aussi à sa simplicité.

En effet, ce périsprit, nommé par des scientistes corps astral, ne peut être une partie intrinsèque de l'âme puisque celle-ci est immatérielle. Il ne peut davantage être son enveloppe externe, puisqu'une substance vraiment spirituelle - comme l'est l'âme humaine - transcende toute matière et ne peut être contenue dans une enveloppe matérielle quelle qu'elle soit, si subtile qu'on puisse l'imaginer. L'âme humaine est parfaitement simple et, comme telle, exempte des propriétés de la matière, telles que, par exemple, l'extension, la forme, le poids et l'aspect extérieur. Si l'on nie cette simplicité, il est impossible d'expliquer cette union formelle entre l'âme et le corps, union qui est un principe fondamental dans la philosophie catholique.

3. Il n'est pas sans utilité d'expliquer ici pourquoi un des plus grands poètes chrétiens, a choisi de représenter les âmes des trépassés comme revêtues, avant la résurrection, d'une sorte de corps aérien, pour leur permettre d'accomplir, même alors, les opérations propres à la vie sensible. Dans presque tous les chants de sa Divine Comédie, Dante représente les âmes des morts comme revêtues de la sorte. Or, notre âme, après la mort, est réellement libérée de tout lien qui l'unissait au corps. Comment donc a-t-il pu, lui, le prince des poètes chrétiens, présenter même comme fiction poétique, un système qui va à l'encontre de la doctrine catholique ? Les explications que nous donnerons serviront, nous l'espérons, à éclaircir ce point si important, mais si difficile à bien saisir, qui regarde l'état de notre âme après la mort.

4. Une des principales préoccupations de Dante, en décrivant l'état des âmes des trépassés, était d'expliquer comment ces âmes, bien que séparées de leur corps, pouvaient encore être rendues visibles et souffrir des tourments capables de faire impression sur l'imagination du lecteur. Il trouva donc nécessaire de dramatiser, dans ce but, les âmes des défunts, en s'écartant quelque peu de l'enseignement de la philosophie catholique.

En ce qui concerne les âmes qui sont dans le purgatoire ou dans l'enfer, la foi nous enseigne qu'elles subissent un double tourment : celui du dam, qui est la privation de la vision de Dieu, et celui du sens, qui consiste dans le fait que ces âmes ne sont pas libres de leurs mouvements mais sont liées à la matière corporelle - au feu ; non en réalité pour être tourmentées intrinsèquement par ce feu, puisqu'elles n'ont plus les sens par lesquels elles pourraient souffrir matériellement, mais pour y être gardées prisonnières, per modum alligationis et detentionis, comme dit saint Thomas , si bien qu'elles ne peuvent aller où elles voudraient.

Toutefois, cette conception du purgatoire et de l'enfer n'est pas en faveur dans la pensée populaire, accoutumée à considérer les âmes des trépassés comme réellement tourmentées par le feu. C'est pourquoi Dante ne l'a pas trouvée susceptible de rendre assez émouvante l'action dramatique de son poème. Donnant par conséquent libre cours à sa puissante imagination, et s'inspirant des poètes de la mythologie, il peignit toutes ces âmes comme douées, pour ainsi dire, d'un pouvoir informatif, par lequel elles peuvent se servir de l'air environnant et, par ce moyen, non seulement reprendre les traits extérieurs et visibles qu'elles avaient pendant leur vie terrestre, mais aussi sentir et souffrir, à travers ces masques mystérieux, les passions et les peines propres aux âmes encore unies aux corps.

C'est pourquoi il dit que la Puissance divine forme, pour ces âmes séparées, d'une façon incompréhensible, des corps aériens, les disposant de telle sorte qu'elles peuvent sentir la douleur causée aux vivants par la chaleur et par le froid

« Une puissance qui ne veut pas que le comment nous soit révélé, à souffrir les tourments du feu et du gel dispose de semblables corps» .

Il décrit ensuite avec plus de précision la manière dont ce phénomène s'opère et ce beau passage mérite qu'on le cite en entier

« ...Dès qu'en un lieu elle (l'âme) est circonscrite, la vertu informatrice rayonne autour, comme et autant que dans les membres vivants. Et comme l'air chargé de pluie, par les rayons qui s'y réfractent se teint de couleurs diverses, ainsi l'air voisin prend la forme qu'y imprime virtuellement l'âme qu'il enveloppe ; et, semblable à la flamme qui suit le feu, partout où va l'esprit, le suit sa forme nouvelle. De là est appelée ombre l'apparence qu'il revêt ; puis de cette sorte il organise chaque sens jusqu'à la vue ; de cette sorte nous parlons, de cette sorte nous rions ; de cette sorte se produisent en nous les larmes et les soupirs que tu peux avoir entendus sur le mont . Selon que nous affligent les désirs, ou les autres affections; l'âme se figure ; et ceci est la cause de ce qui t'étonne » .

Voilà donc l'explication qui parut à Dante Alighieri la plus plausible, pour justifier toutes ces créations fantastiques, dont il enrichit son poème sacré. Mais c'était là le fruit de son imagination, et non une exposition de la philosophie chrétienne. L'âme humaine, après la mort, précisément parce qu'elle est simple dans son essence, ne peut pas s'unir à une matière quelconque, étant, par sa nature, la forme substantielle d'un corps déterminé. Si donc elle doit, à la résurrection, être réunie à son propre corps, cette réunion sera due à un miracle de la toute puissance de Dieu.

5. Laissant de côté toutes ces fictions poétiques, il nous faut examiner, à la lumière de la philosophie catholique, quel est l'état naturel de cette substance spirituelle qu'est notre âme, après que, par la mort, elle est séparée du corps. De ce premier examen nous passerons à celui de la question qui se pose quant à la connaissance et au pouvoir que nos âmes séparées de leurs corps peuvent posséder naturellement. Nous disons naturellement, parce que, dans cette recherche, nous faisons abstraction de l'ordre surnaturel, c'est-à-dire de l'ordre de la gloire, suivant lequel les âmes des bienheureux, par la miséricorde de Dieu, sont élevées à un état de beaucoup supérieur à celui dont elles jouissent naturellement, étant alors douées d'une connaissance et d'un pouvoir bien au-dessus de tout ce que peut comporter leur capacité naturelle.

Il serait inutile, toutefois, de tenter de connaître la condition naturelle des âmes humaines séparées de leur corps, si leur survivance et la façon dont elles existent alors n'étaient pas, au préalable, déterminées avec précision. Il sera donc nécessaire, avant de parler de la connaissance et du pouvoir appartenant naturellement à l'âme humaine séparée, non seulement d'établir le fait de sa survivance après la mort, mais aussi d'expliquer dans quel sens on peut dire que la personnalité humaine continue alors à subsister. La théorie d'un moi subliminal inconscient, inventée par les spirites modernes, devra, elle aussi, être passée au crible d'un examen sérieux, aussi bien que l'ancienne théorie de la métempsycose, autrement nommée réincarnation, théorie encore acceptée par certains, même dans le monde savant, comme une hypothèse plausible formant la base du théosophisme.

6. Nous devons en outre noter ici que la façon convenable de désigner l'âme humaine après la mort est de dire qu'elle est séparée du corps. L'expression d'âme dépouillée ou désincorporée, employée par certains écrivains, semble impliquer que notre âme n'est pas unie substantiellement au corps pendant la vie, mais que celui-ci ne lui est attaché qu'à la façon dont un vêtement est en contact avec la personne qu'il recouvre . L'expression âme désincarnée est, elle aussi, inexacte. Elle entraîne l'idée que notre âme existait avant d'être unie à notre corps en unité de personne, comme c'est le cas dans le mystère de l'Incarnation de Notre-Seigneur, par lequel la seconde personne de la Sainte Trinité, ou le Verbe, éternel en lui-même, s'unit personnellement, dans le temps, à une nature humaine.

Nous ferons donc usage de préférence, au cours de la présente étude, de l'expression plus catholique et formellement théologique l'âme séparée du corps.

Si parfois nous nous servons de l'une ou de l'autre des expressions citées plus haut, ce ne sera que pour faciliter la compréhension de la doctrine que nous expliquons, mais sans nous conformer pour cela aux significations que nous venons d'indiquer et que rejette la philosophie catholique. Bien entendu, cette philosophie déclare et enseigne que l'âme est la forme substantielle du corps. Cette proposition est le principe fondamental de tout notre raisonnement.

7. Remarquons enfin que lorsque nous nous servons du mot «phénomènes » à propos des faits vérifiés au cours des séances spirites, nous n'avons pas l'intention de nier la réalité objective des événements auxquels il est fait allusion, comme l'ont fait certains philosophes, les réduisant à de pures apparences dont la réalité, disent-ils, échappe à tout contrôle. Bien que la fraude et la supercherie se mêlent souvent, comme nous l'avons dit, aux manifestations spirites, encore avons-nous des preuves suffisamment convaincantes pour nous confirmer dans la croyance que des manifestations authentiques ne manquent pas de se produire, et c'est de celles-ci et de celles-ci seulement que nous avons le dessein de nous occuper ici.


I. - Survivance de l'âme humaine après la mort

1. Le fait de la survivance de l'âme humaine après la mort est non seulement un principe de théologie catholique, mais aussi une vérité généralement admise par les philosophes anciens et modernes. Les matérialistes sont une exception à l'acceptation universelle de cette vérité. Mais leur opinion négative, si elle n'est pas dictée par une mauvaise disposition du vouloir, doit être attribuée à leur ignorance de la nature spirituelle de l'âme humaine.

C'est un principe philosophique qu'une action ne peut jamais être plus parfaite que le principe duquel elle émane. Si donc nous trouvons une substance ayant une action spirituelle qui lui est propre, c'est-à-dire ne dépendant pas intrinsèquement de la matière, une telle substance doit nécessairement être elle-même spirituelle, c'est-à-dire non composée de matière, ni dépendant intrinsèquement de la matière. Or c'est le cas précisément pour l'âme humaine, qui a une action intrinsèquement spirituelle qui lui est propre, c'est-à-dire l'intelligence et la volonté, lesquelles ne dépendant pas intrinsèquement d'un composé matériel. Elle ne peut donc être elle-même composée de matière ou en dépendre. Or qu'est-ce que la mort, sinon une dissolution des éléments associés pour composer un tout, une corruption de l'individu ? Donc un être qui est spirituel et qui par conséquent n'est pas intrinsèquement composé d'éléments matériels, ne peut être soumis à la dissolution et à la corruption.

2. On peut objecter que les âmes des animaux, qui chez eux forment le principe vital, sont aussi des formes simples et par suite non composées de matière et que cependant elles sont soumises à la corruption. Mais il faut observer que les âmes des animaux ne sont pas spirituelles, privées qu'elles sont d'une action spirituelle qui leur soit propre, c'est-à-dire d'intelligence et de volonté. D'où il suit que ces âmes ne subsistent pas par elles-mêmes, mais dépendent entièrement du corps dont elles partagent les opérations, et par conséquent doivent cesser d'être quand le corps se dissout.

Tel n'est pas le cas pour l'âme humaine. Ses opérations montrent qu'elle n'est pas seulement simple dans son essence, mais qu'elle est aussi d'une nature spirituelle, c'est-à-dire qu'elle subsiste par elle-même et pour cela ne peut partager la mort du corps. En d'autres termes, nous disons que l'âme humaine n'est pas corruptible per se, parce qu'elle est une substance simple ; elle n'est pas non plus corruptible à la mort du corps, c'est-à-dire per accidens, parce qu'elle subsiste par elle-même. Les formes inférieures, elles aussi, étant simples, sont de même incorruptibles per se, mais comme elles ne subsistent pas par elles-mêmes, elles cessent d'exister à la dissolution du composé : elles sont par suite corruptibles per accidens.

3. En outre l'immortalité de l'âme humaine est une de ces vérités déposées, pour ainsi dire, comme un germe dans le cœur de chaque homme. Comment le philosophe matérialiste peut-il expliquer cet ardent désir naturel d'une vie sans fin que tout homme sent au plus intime de son cœur ? La voix de la nature ne peut pas nous tromper. En tout cas, les partisans de la théorie spirite sont d'accord avec la doctrine catholique en ce qui concerne la survivance de l'âme séparée du corps. La seule différence entre l'une et l'autre des deux doctrines porte sur le mode d'existence de l'âme après la mort, la manière dont elle peut mettre en action son intelligence et sa volonté et la détermination du domaine où il lui est donné d'exercer sa puissance d'action.

4. Le lecteur se souviendra de ce que nous avons déjà dit, savoir : que nous parlons ici de l'état de l'âme après la mort, faisant abstraction de ce que nous enseigne l'Église Catholique au sujet de la destinée finale de chaque âme. Il est de foi que, après la mort, les âmes de ceux qui ont fait le mal dans cette vie et ne se sont pas repentis, sont immédiatement condamnées au châtiment éternel, tandis que les âmes de ceux qui ont fait le bien sont admises, soit tout de suite, soit après une certaine période de purification, à la vision de l'Essence divine dans le Ciel. Cette vision, outre qu'elle remplit l'âme de béatitude, lui permet de voir, avec une clarté parfaite, dans cet océan de lumière infinie, tout ce qu'elle peut désirer. Mais cette vision ne supprime pas la connaissance naturelle de l'âme, que l'on peut regarder comme une possession commune des bons dans le ciel et des méchants en enfer. C'est précisément de cette connaissance naturelle de l'âme séparée du corps, considérée indépendamment de la question de sa destinée finale telle que celle-ci nous est présentée par la foi catholique, que nous voulons parler maintenant.

5. Cependant tout ce que nous allons dire ici présuppose l'identité substantielle de notre personnalité durant la vie et après la mort. Il nous faut donc, avant d'aller plus avant dans notre étude, établir clairement cette vérité qui est d'une importance capitale. Ce que nous allons expliquer maintenant ne peut en effet s'accorder avec un système, si ingénieux qu'il puisse sembler, enseignant l'absorption, après la mort, de chaque personnalité individuelle dans un grand tout, à la manière du Nirvâna bouddhiste, ou préconisant l'ascension de l'âme séparée vers un état substantiellement différent, comme on l'enseigne avec assurance dans les cercles spirites. Il est donc nécessaire de rappeler, au préalable, le principe fondamental qui veut que l'individualité ou la personnalité humaine conserve son identité après la mort. Nous rechercherons ensuite quelle est la nature des opérations de l'âme après sa séparation d'avec le corps.


II. - Comment la personnalité humaine subsiste après la mort

1. Il n'y a peut-être pas de notion qui soit plus commune parmi les hommes, et cependant plus difficile à définir, que celle de l'individualité ou de la personnalité.

Remarquons d'abord que ces deux mots, bien que signifiant en réalité la même chose, ont cependant une application différente, le terme personnalité étant plus justement employé quand il s'agit de créatures raisonnables, et le mot individualité s'employant à propos des formes inférieures de la vie ou même des êtres inorganiques. C'est ainsi que, philosophiquement parlant, nous nommerons individu une pierre, un arbre ou un animal, tandis que nous réserverons le terme personne pour désigner un homme, un ange, et même l'Être infini qui est Dieu, disons-nous, un en trois Personnes. Comme donc nous traitons ici de l'âme possédant une forme supérieure de vie, c'est-à-dire une vie intellectuelle, c'est le terme personnalité que nous nous proposons d'employer. Notre intention est d'essayer de donner une notion exacte de ce qui constitue la personnalité en général, dans le but de démontrer comment on peut dire de la personnalité humaine qu'elle subsiste, après la mort, substantiellement identique à ce qu'elle était pendant la vie, bien qu'avec certaines modifications qu'il nous conviendra d'indiquer.

2. Le sens général que renferme le mot personnalité est celui d'un être complet, subsistant par lui-même, de telle sorte qu'il soit distinct de tous les autres êtres. C'est ce que nous entendons quand nous employons les pronoms Je, Tu, Il. Ces termes servent à désigner l'être complet et distinct de l'individu particulier auquel ils se rapportent. Pendant cette vie, notre personnalité comprend donc non seulement notre âme mais aussi notre corps, c'est-à-dire un être qui n'est ni l'âme ni le corps, mais le composé des deux. C'est la raison pourquoi les actions communes à l'âme et au corps sont attribuées non au corps seul, ni à l'âme seule, mais à cet Ego qui répond à tous deux puisqu'il en est le composé. Mais, précisément, si notre personnalité comprend à la fois l'âme et le corps, comment peut-on dire qu'elle continue à subsister après la mort quand le corps a cessé d'exister, du moins comme corps humain uni à l'âme ?

3. Une sorte de personnalité cependant se vérifie dans l'âme après la mort, car même alors l'Ego continue de subsister, de penser, de vouloir et de répondre à l'appel d'un autre. Avec cela, il faut bien avouer que la personnalité est quelque peu changée. Ce qui auparavant correspondait au pronom Ego ne lui correspond plus entièrement, privé qu'il est d'une partie de son être, c'est-à-dire de son corps. En réalité, si mon Ego est composé de corps et d'âme, l'absence du corps altère l'intégrité de ma personne. En d'autres termes, l'homme, en tant qu'homme, ne subsiste plus après la mort, puisque seule l'âme subsiste alors, et n'est plus l'homme complet.

4. Cette vérité devient plus évidente si l'on réfléchit à la différence existant entre l'âme humaine et la substance angélique. Il est de la nature d'un ange d'être non seulement exempt de toute matière, mais encore de toute union substantielle avec la matière. L'âme humaine, au contraire, bien qu'immatérielle en elle-même, a une relation nécessaire à la chair et au sang, c'est-à-dire à un corps humain déterminé. Sa nature même n'exige pas à la vérité d'être unie positivement à son corps puisqu'elle peut exister séparée de lui, mais il est de son essence d'être destinée à une union substantielle avec lui. L'âme humaine est une substance unique en son genre, qui ne peut venir à l'existence sans être reçue dans un corps déterminé, qui devient par là son propre corps. Elle n'a pas la perfection de sa nature si, en fait, elle est séparée de lui. Il suit de là que l'Ego de l'homme est une chose différente de celui de l'ange. L'Ego de l'ange ne connaît jamais de changement, tandis que l'Ego de l'homme subit, à la mort, une profonde modification.

5. Il faut observer, en outre, que le rapport naturel de chaque âme avec son propre corps est la cause précise de la différence individuelle entre une âme et une autre. Bien que l'âme soit plus noble que le corps, nous pouvons dire que celui-ci donne, pour ainsi dire, sa marque caractéristique à chaque âme distincte, si bien que l'on peut dire de chacune, qu'elle porte, d'une certaine façon, l'empreinte de son corps. C'est la raison pour laquelle, dans le présent état de vie, bien que la pensée surpasse de beaucoup l'imagination, nous ne comprenons cependant rien sans le concours de phantasmes ou d'images sensibles, tandis que les êtres angéliques n'ont pas besoin, dans leurs opérations, d'images sensibles ou de phantasmes des choses matérielles.

6. Cela étant, il faut dire que la personnalité humaine est quelque peu diminuée et imparfaite quand, après la mort, l'âme cesse d'être unie au corps. D'où il suit que, si heureuse que nous puissions l'imaginer, une âme désincarnée n'a cependant pas toute la perfection de sa nature, puisqu'elle conserve, envers son corps, un vif désir de réunion. L'âme humaine n'aura le complément substantiel qui contentera pleinement sa nature qu'à la résurrection de la chair. Dante a très bien déclaré cette vérité dans ses vers sublimes : « Lorsque l'âme aura revêtu (à la résurrection) la chair glorieuse et sainte, plus, étant complète, plaira notre personne » ,

7. Deux conclusions suivent ici de soi. La première est qu'il est impossible d'admettre en nous l'existence d'une seconde personnalité, contenue dans la première, d'une personnalité que l'on pourrait imaginer comme étant inférieure à la première et, d'une certaine façon, indépendante de celle-ci. Ce rêve, il est vrai, est bien à la base de toute doctrine spirite et théosophique, mais ce n'est en réalité qu'un rêve.

La nature même de notre personnalité, comme de toute personnalité, exige non seulement qu'elle soit en elle-même indivisée, mais aussi qu'elle soit distincte de tous les autres individus. S'il n'en était pas ainsi, nous aurions cette absurdité, par exemple, d'un homme étant en même temps un et plusieurs individus. Quelle que soit l'hypothèse que l'on veuille élaborer pour admettre la présence de cette seconde personnalité, cette hypothèse tombe d'ellemême dès qu'on réfléchit à ce fait que ma personnalité exclut la possibilité d'un second Ego, qui serait le double du premier, comme si dans ma personnalité une seconde était incluse, inconsciente celle-ci, émanant elle-même de la personnalité dont j'ai conscience .

8. La seconde conclusion à déduire de ce qui a été dit est que notre personnalité, survivant au corps après la mort, bien qu'un peu modifiée, c'est-à-dire par rapport au corps que la mort a détruit, est encore substantiellement identique à la personnalité que nous avons pendant la vie. Cet Ego qui maintenant témoigne de l'identité de ma personnalité, pendant la vie présente, sera le même Ego qui subsistera après ma mort. Comme la présence d'un autre Ego, outre l'Ego conscient, impliquerait la destruction de celui-ci, de même, après la mort, un autre Ego ne pourrait faire suite à l'Ego présent sans que celui-ci cessât d'être.

9. Il faut donc tenir pour une vérité psychologique fondamentale et indiscutable, que de même qu'une seule personnalité existe pendant la vie dans chaque individu de la race humaine, de même aussi, après la mort, cette même personnalité continuera à subsister, identiquement la même, sauf que l'absence du corps y amènera, comme nous l'avons dit, un certain changement. Oui, il n'y a en chaque homme qu'une personnalité et celle-ci est destinée à durer toujours.

10. La doctrine ci-dessus exposée doit être confrontée avec l'hypothèse bien connue des savants modernes qui proclament l'existence, dans notre personnalité, d'une autre personnalité inférieure à la première, - d'un moi second et inconscient - conçu comme une sorte de réplique du premier, avec des modifications accidentelles telles que l'absence de conscience et l'impossibilité pour nous de le diriger ou de le contrôler alors qu'il se tient caché au fond de nous-mêmes, prêt à l'occasion à se manifester à notre insu. Une telle personnalité subconsciente désignée par le Professeur F. W. H. Myers et ses disciples sous le nom de subliminale (en opposition avec la première qu'il appelle supraliminale) et qu'il tient pour responsable des phénomènes subjectifs échappant à notre attention vigilante ou à notre contrôle, est de soi une absurdité que rejettent également la théologie catholique et le sens commun.

Voyons maintenant si une telle hypothèse peut soutenir l'épreuve de la critique. Ce point est d'une importance extrême, car le problème de la personnalité subliminale n'est pas, comme on le pense à tort, une simple question de mots; c'est un point vital et fondamental de la psychologie.


III. Différence entre la Bilocation des Saints et l'hypothèse d'une Personnalité subconsciente ou - subliminale

1. D'après certains psychologues modernes, il existe, avons-nous dit, cachée dans notre personnalité supérieure, une seconde personnalité toujours prête à se manifester dans certaines conditions anormales d'ordre mental ou physiologique. Le dédoublement apparent, dans les pratiques spirites, de la personne du médium a conduit ces psychologues à penser qu'il faut attribuer à la personnalité inconsciente, inférieure ou subliminale, ces phénomènes étranges qui se produisent par lui au cours des séances. Or, comme certains ont pensé qu'un fait de même nature a lieu dans ce que le langage théologique désigne par le terme de bilocation des saints, il sera bon de dire ici quelques mots de ce phénomène.

2. La bilocation est un phénomène qui se produit très rarement et ne doit nullement être confondu avec le dédoublement de la personnalité humaine des spirites modernes. La bilocation n'a lieu que dans le cas de personnes douées d'une sainteté extraordinaire et dans un but très spécialement déterminé. En outre, ces cas de bilocation, ainsi que l'enseigne la théologie catholique, ne supposent pas la présence d'un même corps existant localement en deux endroits différents, quand bien même on imaginerait que ce corps existe dans un lieu avec la plénitude de ses qualités matérielles et dans un autre avec ses qualités réduites. Car il est impossible, et Dieu lui-même ne peut faire qu'un seul et même corps occupe localement deux lieux différents, car ce fait impliquerait une contradiction manifeste. Un corps déjà pleinement contenu dans le lieu qu'il occupe et lui étant commensurable ne peut être en même temps mesuré et contenu par un lieu différent.

La bilocation, dans le cas des saints, consiste en ce fait que, tandis que leurs corps occupent localement un espace déterminé, un ange est envoyé par Dieu pour prendre leur forme et accomplir, à leur place, ces opérations qu'eux-mêmes accompliraient autrement. C'est ainsi qu'à une époque relativement récente, lorsque saint Alphonse de Liguori, se trouvant dans la ville de Nocera dei Pagani, au sud de l'Italie, fut miraculeusement vu près du lit de mort de Clément XIV, assistant ce Pape dans son agonie, ce fut en réalité un ange qui emprunta sa forme visible et reproduisit ses traits.

3. On peut objecter que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans la Sainte Eucharistie, est présent, non pas en deux endroits seulement, mais dans un grand nombre, c'est-à-dire en autant de lieux qu'il y a d'hosties consacrées. De là, pourrait-on conclure, il semble qu'il n'y ait pas d'objection au fait d'une seule et même personnalité dédoublée ou multipliée.

Nous répondons que Jésus-Christ n'est pas dans le Très Saint Sacrement de l'autel d'une manière locale, comme le sont les corps contenus et mesurés par le lieu qu'ils occupent. Il y est sacramentellement, c'est-à-dire, non par une commensuration de ses dimensions extérieures aux dimensions du lieu où est le sacrement, mais directement par sa propre substance invisible, cachée sous les espèces sacramentelles. Le moi subliminal, au contraire, d'après les conditions mêmes du fait étudié, serait présent dans un lieu déterminé, distinct de celui occupé par la personnalité supérieure correspondante et occuperait ce lieu par ses propres dimensions correspondant aux dimensions du lieu où il se trouve : donc s'y trouverait localement.

4. Nous avons dit que les bilocations relatées dans les annales de l'Église sont dues à la présence de bons anges représentant une personne déterminée. Un ange, en vertu du pouvoir qu'il possède sur les éléments, même les plus subtils, de la matière, peut reproduire exactement le corps d'une personne déterminée, sa taille, ses traits, le ton de sa voix et ses autres propriétés accidentelles, de façon à lui donner l'apparence d'un double de cette personne. Pourquoi donc le moi subliminal ne serait-il pas le résultat d'un procédé analogue, au lieu d'être, comme le prétendent les psychistes modernes, une émanation directe de la personne qu'il représente ?

5. On peut affirmer avec certitude que la production de cette personnalité inconsciente est due tout entière à l'action immédiate de purs esprits qui peuvent, comme nous l'avons dit, par le pouvoir naturel qu'ils possèdent sur les éléments de la matière, former un fantôme représentant les traits d'une personne particulière, sa démarche, son langage et son mode caractéristique d'agir.

6. Nous devons donc conclure que l'hypothèse d'un second moi subliminal, inconscient ou subconscient, distinct de notre personnalité supérieure, supraliminale, consciente et responsable, comme l'entendent les spirites modernes, est entièrement inadmissible. Une telle hypothèse est contraire aux données de la vraie philosophie. Elle ne saurait en aucune manière s'appuyer sur aucun des dogmes de notre foi. En outre, elle n'est nullement nécessaire pour expliquer les extraordinaires manifestations obtenues au moyen de la suggestion ou d'autres pratiques occultes, comme nous le montrerons plus loin.

7. Mais ne peut-on pas supposer que ce moi subconscient, quel qu'il soit pendant la vie présente, existera après la mort, comme une manifestation extérieure, bien qu'à un degré moins élevé, de la propre substance de notre âme ? Non, répondons-nous ; ceci est encore plus opposé à la philosophie et à l'enseignement catholique que l'hypothèse précédente. Car, après la mort, la personnalité humaine étant représentée par l'âme seule, l'idée que cette dernière possède le pouvoir de dévoiler un second moi distinct du moi de l'âme elle-même, équivaudrait à nier sa simplicité et sa spiritualité. Nous pouvons ajouter qu'il en est ainsi spécialement quand il s'agit des manifestations pour lesquelles on invoque l'existence de ce moi subconscient, ces manifestations étant d'un caractère visible, alors que notre âme est essentiellement invisible.


IV. - D'où provient l'erreur concernant la personnalité subliminale ou subconsciente

1. Il n'est pas hors de place de rechercher ici quelle peut bien être l'origine de l'erreur sur laquelle est fondée l'hypothèse, si largement répandue de nos jours, d'un second moi inférieur, caché dans les replis de notre personnalité supérieure et qui, tout en échappant à notre contrôle, n'est pas responsable de nos actions, bien que, nous dit-on, il soit capable de se révéler, alors que nous nous y attendons le moins, par d'extraordinaires manifestations.

2. L'erreur tire son origine du fait que notre personnalité, pleine et parfaite, appelée par les spirites modernes supraliminale, est identifiée par eux avec la conscience, c'est-à-dire avec cet acte par lequel nous rendons pour ainsi dire compte à notre propre moi de nos opérations intérieures et extérieures. D'où il suit, prétend-on, que ceux de nos actes qui échappent à notre attention, bien que nôtres à un certain degré, ne sont pas imputables à notre personnalité supérieure, mais tout au plus procèdent d'une personnalité inférieure, subconsciente ou subliminale.

3. Mais faire consister l'essence de la personnalité dans la conscience est une erreur grossière. Un exemple suffira pour nous en convaincre. Supposons un homme qui, pendant le cours de sa vie, a bien mérité de son pays, et qui soudainement, par maladie ou toute autre cause, en arrive à perdre entièrement la conscience ou la mémoire du passé. Dans ce cas, selon l'hypothèse que nous combattons, il faudra dire qu'ayant perdu sa première personnalité, la supérieure ou supraliminale, il possède encore cependant la seconde personnalité, c'est-à-dire le moi subliminal. Or si cet homme ne possède plus la personnalité qui a été la cause de ses mérites, il est évident que cet homme ne sera pas apte à recevoir, d'une façon juste et convenable, la récompense due à ses mérites, puisque la personnalité d'où ceux-ci émanaient et à laquelle ils appartiennent en droit, n'existe plus. Ce sera donc une autre personnalité, l'inférieure, qui sera actuellement récompensée, bien qu'elle n'ait aucun mérite. De même dans le cas d'un homme qui, avant la perte de sa conscience, a mené une existence criminelle, toute peine qui lui serait ensuite infligée ne saurait effacer sa faute, puisque cette peine serait portée par une autre personnalité. En outre, tout châtiment qu'on pourrait lui infliger serait une pure injustice, puisqu'il tomberait sur une tête entièrement innocente.

4. Que la personnalité soit quelque chose de tout à fait distinct de la conscience, c'est ce que montre clairement le fait que la conscience, comme le nom l'indique, n'est pas autre chose que l'application de l'esprit à ce que nous pensons, disons ou faisons. D'où il suit, à proprement parler, que la conscience n'est pas une faculté de l'âme, ni une qualité habituelle comme la science, encore moins est-elle une substance. C'est un acte de l'esprit par lequel nous considérons nos opérations dans l'ordre intellectuel aussi bien que dans l'ordre moral.

5. Or, quel est donc l'office propre de la conscience? C'est, premièrement, de rendre témoignage de ce que nous avons fait ou faisons ; secondement, de nous éclairer sur ce qui doit être fait ou omis, et ainsi nous écarter de certaines actions et nous exciter à d'autres ; troisièmement, de porter un jugement sur la bonté ou la malice de nos actes, ce qui fait dire que la conscience parfois nous accuse et parfois nous approuve. Par extension, le nom de conscience est quelquefois donné au principe qui sert à éclairer tous nos actes et que l'on nomme l'habitus du premier principe de moralité, dont le nom classique est syndérèse. En tout cas, conscience est une chose essentiellement distincte de personnalité.

6. L'origine de l'erreur de qui veut voir en nous une double personnalité se trouve donc dans cette circonstance, que nous sommes susceptibles de prendre l'état d'inconscience où nous tombons occasionnellement, même à l'état de veille, pour un moi subsistant réellement, blotti dans notre personnalité intime, différent d'elle et entrant en action à notre insu. Mais une modification accidentelle de ce genre dans l'état de notre âme ne peut suffire à constituer un être réellement subsistant, distinct de notre propre moi, de notre véritable personnalité.

7. En ce qui concerne l'existence d'un moi subconscient après la mort, nous pouvons ajouter qu'une telle hypothèse est tout à fait inconciliable avec le fait que notre âme ne sera plus dès lors exposée à perdre la conscience d'elle-même, n'étant plus empêchée par les sens ou tout autre objet extérieur de se voir elle-même et de contempler ses actions, car elle sera pour toujours présente à elle-même. Nous ne pouvons, dans la vie présente, réfléchir toujours à notre moi, gênés que nous sommes par tant de distractions. Mais, après la mort, l'âme fixera sur elle-même le regard de son intelligence, ne perdant jamais de vue son être et ses opérations, et toujours se nourrissant, pour ainsi dire, d'elle-même.

8. Par conséquent l'hypothèse connue ordinairement sous le nom de dédoublement des esprits, par laquelle certains essaient d'expliquer les phénomènes de suggestion et ceux de matérialisation, et généralement tous les phénomènes où une personnalité différente de celle qui apparaît d'habitude semble opérer, doit être abandonnée comme contraire aux solides principes de philosophie en ce qui a trait à la nature intrinsèque de notre propre personnalité.


V. - Métempsycose

1. Ce que nous avons dit jusqu'ici concerne l'impossibilité de diviser la personnalité humaine, soit au cours de la vie présente, soit après la mort. Il existe toutefois une autre théorie, très en faveur autrefois et qui prévaut encore aujourd'hui surtout dans l'Inde, une théorie que des savants modernes essaient de faire revivre. Nous voulons parler de la métempsycose qui prétend que l'âme humaine est capable d'informer, ou d'animer successivement des corps différents.

Métempsycose signifie le passage de l'âme d'un corps dans un autre corps. Mais comme le mot âme peut signifier soit l'âme humaine, soit l'âme des animaux, et que le mot corps peut s'entendre soit d'un corps mort, soit d'un corps vivant, l'hypothèse de la métempsycose prend ainsi diverses formes, suivant que l'on considère comme possible le passage de l'âme humaine ou de l'âme d'une brute d'un corps dans un autre, que ce corps soit vivant, ou qu'il soit mort.

2. La théorie de la métempsycose, qui n'est qu'une parodie de la foi de l'humanité en l'immortalité de l'âme, est le fondement sur lequel les poètes de l'antiquité ont bâti un grand nombre de leurs fictions. La transmigration des âmes d'un corps dans un autre, théorie qui a trouvé crédit chez plusieurs savants modernes, n'est qu'une renaissance de l'ancienne doctrine connue sous le nom de « voyage cyclique des esprits » . La réincarnation enseignée par Allan Kardec , n'est pas autre chose que la métempsycose du Bouddha, avec cette différence que le Bouddhisme admet la transmigration des âmes dans le corps des bêtes, quelles qu'elles soient, tandis qu'Allan Kardec s'en tient à la réincarnation dans des corps humains.

Mais une fois que le rapport essentiel et nécessaire de l'âme avec son corps est écarté, aucune raison n'existe pour une telle limitation. Si l'âme humaine peut indifféremment informer n'importe quel corps, elle peut tout aussi bien être reçue dans le corps d'une bête que dans celui d'un homme. Poussée jusqu'à sa conclusion extrême, la doctrine de la métempsycose conduit à cette conséquence ridicule, que nous devrions nous abstenir de manger la chair des animaux, de crainte de nous exposer au danger de nous nourrir de ce qui pourrait avoir été la chair de nos parents. Nous savons qu'en effet les Hindous s'abstiennent de toute nourriture carnée, en particulier de la viande de vache et de boeuf.

3. La métempsycose, sous quelque forme qu'on la conçoive, est contredite d'abord par la voix de la conscience qui rejette positivement l'idée d'un tel passage de l'âme d'un corps dans un autre. Cette théorie est de même répudiée par la Philosophie chrétienne, dont l'enseignement concernant la nature de l'âme humaine exclut très explicitement le passage de l'âme d'un corps dans un autre.

4. Comme nous l'avons déjà démontré, notre âme est distincte des substances angéliques en ce qu'elle porte en elle-même un besoin de relation étroite avec son propre corps. Ce besoin de relation ne se rapporte pas à n'importe quelle sorte de corps organique, mais seulement au corps dans lequel l'âme est actuellement infusée par Dieu au moment de sa création. Et c'est cette relation qui distingue numériquement et individue pour toujours l'âme de chacun. De même qu'il est impossible à l'âme pendant cette vie d'émigrer d'un corps dans un autre, de même aussi elle ne peut, après cette vie, animer ou informer un autre corps, soit d'une forme de vie égale, soit d'une forme de vie inférieure.

La seule chose possible pour l'âme humaine est d'animer et d'informer à nouveau le même corps qui fut sien pendant la vie, et pour lequel, bien qu'il soit maintenant dans le tombeau, elle n'a jamais cessé de conserver une relation d'inclination radicale. Cette possibilité, toutefois, dépasse la sphère des forces de la nature. Elle ne peut devenir réalité que par la volonté et la puissance divines. Le fait de la résurrection des morts ou de la réunion de l'âme à cette même chair qui fut sienne pendant la vie terrestre, est un miracle de la toute-puissance divine et forme un des principaux articles de notre sainte foi.

5. A l'idée de métempsycose se rapporte la fiction poétique suivant laquelle le démon prendrait, dans le corps d'un homme, la place de l'âme humaine, de manière à l'informer et le gouverner comme le ferait l'âme même de cet homme. Or ceci est également impossible, le corps ne pouvant être informé par aucune autre âme que la sienne. On peut cependant admettre que le démon puisse, absolument parlant, habiter un corps humain privé de son âme non comme étant sa forme substantielle, mais seulement comme principe de motion locale. Dante, usant de la liberté des poètes, a exprimé cette idée hardie quand, parlant des âmes des traîtres séparées de leurs corps pour être tourmentées dans l'enfer, il a imaginé que le démon prenait, pendant ce temps, la place de ces âmes sur la terre, donnant à leurs corps l'apparence d'être encore animés par leurs propres âmes :

« ...sache qu'aussitôt que l'âme trahit, comme je l'ai fait, un démon s'empare de son corps, et ensuite le gouverne, jusqu'à ce que son temps soit accompli » .

6. Ayant ainsi brièvement rappelé la doctrine catholique sur la nature de l'âme pendant la vie et après la mort, nous devons maintenant expliquer quel degré de connaissance et quelle somme de pouvoir l'âme peut posséder après la mort. Une exposition aussi claire que possible de ces deux points nous aidera considérablement dans l'examen que nous allons faire des causes réelles des manifestations spirites. La tâche est difficile, il faut l'avouer, mais elle ne laisse pas d'être de très grande importance pour la solution des questions qui nous occupent. Nous aurons pour nous guider avec sûreté dans notre recherche, la lumière que la philosophie catholique a projetée sur ce sujet.



CHAPITRE II - LA CONNAISSANCE DE L'AME SÉPARÉE DU CORPS

1. On a démontré que la spiritualité de l'âme humaine est la raison de la survivance, bien que dans une condition quelque peu modifiée, de la personnalité de l'homme après la mort. S'il en est ainsi, l'âme, qui seule alors représente cette personnalité, doit être capable de connaître et d'agir. Quelle est donc la nature de cette connaissance appartenant à l'âme séparée du corps ? Quelle est sa manière d'agir ?

2. Pour répondre d'une manière satisfaisante à la première question, nous devons d'abord expliquer brièvement la façon dont, au cours de la vie présente, nous parvenons à la connaissance de la vérité. Cette explication nous aidera à comprendre la différence qui existe entre la manière d'acquérir la connaissance dans cette vie et dans l'autre. Nous pourrons ainsi établir une comparaison entre le genre de connaissance appartenant à l'âme après la mort et la connaissance que nous possédons naturellement durant la vie.

Ce point réclame un examen spécial, car ce n'est qu'en le saisissant parfaitement, que nous serons à même de préciser les véritables causes des manifestations spirites. Si, par exemple, nous voulons savoir s'il est possible aux âmes des morts de nous communiquer, d'une manière différente de celle ordinairement employée pendant cette vie, des connaissances particulières, nous devons, tout d'abord, chercher à savoir quels objets les âmes des morts peuvent connaître dans leur nouvel état, et en outre, s'il leur est possible de se mettre en communication avec nous.

3. Pour résoudre cette seconde question, il sera nécessaire de rechercher en premier lieu, si les âmes des trépassés peuvent converser l'une avec l'autre et de quelle façon elles peuvent le faire ; nous devrons, également, expliquer comment nous pouvons nous-mêmes, dans la vie présente, entrer en communication avec nos semblables .

Ayant fixé ces points préliminaires, nous passerons à la discussion de plusieurs questions controversées qui nous préoccupent tout particulièrement, savoir, si les âmes séparées de leurs corps peuvent nous manifester leurs pensées et, vice-versa, si nous pouvons leur manifester les nôtres. Cette enquête nous fera trouver une réponse à notre première question: les manifestations spirites doivent-elles être attribuées aux âmes des morts ou aux esprits angéliques ?

4. Nous devons ici répéter l'observation que nous avons déjà faite plus haut en parlant de la connaissance propre aux substances angéliques, c'est-à-dire, que nous n'examinons pas en ce moment l'âme humaine après la mort sous cette lumière supérieure que nous donne la foi catholique, mais sous la lumière de la raison naturelle.

Nous ne voulons en effet parler que de la connaissance naturelle de notre âme et non de cette connaissance surnaturelle qui, héritage propre aux âmes des élus, consiste dans la vision de l'Essence divine et ennoblit l'âme bien au delà de ce que nous pouvons imaginer. Il nous serait sans doute bien agréable de parler de la vision de Dieu qui constitue l'essence même de la béatitude éternelle ; mais cette considération est en dehors du domaine limité du présent ouvrage et nous ne pouvons songer à l'aborder ici.


I. - Comment s'acquiert la connaissance dans la vie présente

1. L'âme étant essentiellement destinée à informer le corps et à constituer avec lui une seule nature spécifiquement complète, il est naturel qu'elle fasse usage des sens du corps pour acquérir sa connaissance, quelle que soit l'idée que nous nous faisons de celle-ci. On peut donc dire que l'intelligence d'un enfant ressemble, à son origine, à une feuille de papier où rien n'est encore écrit, et que ce n'est qu'au cours des années, alors que ses facultés sensitives sont suffisamment développées, que la vérité commence à poindre chez lui, grandissant proportionnellement au développement de ces mêmes facultés.

En effet, au cours de la vie présente, l'exercice normal des puissances intellectuelles ne peut avoir lieu indépendamment des facultés sensibles, si bien que, lorsque celles-ci sont affaiblies d'une manière ou de l'autre, l'intellect lui aussi ne peut fonctionner librement.

2. Il ne faudrait cependant pas conclure de ces observations que du fait que l'intellect, suprême faculté de l'homme, a recours, dans ses opérations, à la coopération des sens, il dépend par cela même, dans son essence, de ces sens eux-mêmes, soit internes soit externes. L'intellect est une faculté purement spirituelle ; il est donc intrinsèquement indépendant des facultés sensitives. Il est toutefois nécessaire que celles-ci lui fournissent les images sensibles des choses, sans lesquelles l'intellect resterait, naturellement, pendant cette vie, sans objets à appréhender. D'ailleurs, ces images matérielles sont élevées et spiritualisées par l'intellect qui, pénétrant leur rude écorce, atteint le vrai universel, qui est, en réalité, l'objet propre de son opération.

3. C'est ainsi que la connaissance intellectuelle est de beaucoup supérieure à la connaissance sensitive, bien que la spéculation mentale, dans la vie présente, ne s'exerce jamais sans l'aide d'images sensibles. Mais étant donnée l'union étroite et intime de toutes nos facultés en une seule et même personnalité, il n'est pas toujours facile de dire où cesse l'image sensible et où commence la perception intellectuelle. D'où il suit que plus un homme devient capable de pénétrer le voile matériel des images sensibles, plus facile et plus complet devient son accès à la connaissance des vérités spirituelles cachées au delà de ces images. En tout cas, nous devons toujours nous rappeler ce grand principe que, dans l'état naturel de la vie présente, nous ne pouvons jamais rien comprendre, à moins de recourir d'abord aux images sensibles des choses d'où notre intellect, planant pour ainsi dire au-dessus de la matière, tire les objets de ses perceptions spirituelles.


II. - Nature de la connaissance de l'âme après la mort

1. La condition de notre âme, dans la vie présente, est telle qu'il ne nous est pas possible de nous libérer des images sensibles des choses, et cela à cause de l'union intime existant entre nos facultés supérieures et les inférieures. Mais doit-on en dire autant par rapport à la condition future, quand, par la mort, notre âme aura été séparée de notre corps ?

Non. Du moment que, par la mort, notre âme aura été établie dans un état de pure substance intellectuelle, bien que conservant, comme nous l'avons dit, une inclination constante vers le corps qu'elle a quitté, elle deviendra capable de spéculation purement intellectuelle, sans avoir recours aux sens et aux images matérielles qui dans la vie présente accompagnent chacune de nos pensées. Les images ou représentations dont jouira notre âme, seront alors tout à fait spirituelles, semblables à celles des esprits angéliques qui, libres de toute matière dans leur essence, sont aussi exempts de tout concours de phantasmes matériels dans leurs spéculations.

2. La manière selon laquelle les anges acquièrent les images spirituelles qui les mettent en possession de la vie intellectuelle, sera la manière même dont l'âme humaine acquerra ces mêmes images, si bien qu'au moment où elle quittera cette vie, elle recevra immédiatement de Dieu un influx d'images spirituelles, dans la contemplation desquelles elle accomplira les opérations intellectuelles qui lui sont propres. Il suit de là que l'âme, après la mort, n'aura pas, comme dans la vie présente, à sortir d'elle-même, pour ainsi dire, pour connaître les choses de ce monde ; mais il lui suffira de se tourner vers ces images spirituelles intérieures, pour parvenir à la connaissance des choses extérieures.

3. En ce qui concerne sa propre essence, l'âme séparée n'aura aucun besoin d'image, même spirituelle, pour qu'elle puisse se contempler elle-même. Par une introversion immédiate elle se nourrira intellectuellement d'elle-même, de la même manière que, si la lumière matérielle était capable de se voir, elle le ferait sans l'intervention d'une autre lumière. Et, dans cette lumière spirituelle, qui est l'essence même de l'âme, elle connaîtra aussi Dieu naturellement, d'autant qu'elle est en elle-même un reflet spirituel de la Divinité.

4. C'est là, en vérité, un procédé intellectuel bien merveilleux, dont cependant nous ne pouvons guère nous former une idée exacte dans l'état présent d'union de l'âme avec le corps, quelque effort que nous fassions pour concentrer sur nous-mêmes toutes nos pensées. Et cependant, un tel procédé découlera naturellement de l'état même de notre âme après la, mort, puisque, sans l'infusion de ces images spirituelles, l'âme serait dans un état de complète inactivité intellectuelle, chose entièrement contraire à sa nature.

5. Il semblerait, à première vue, que la connaissance naturelle de l'âme séparée soit de beaucoup supérieure à la connaissance que nous acquérons dans cette vie. En effet, quelle que soit la connaissance que nous puissions obtenir dans le présent état d'union de l'âme avec le corps, cette connaissance est, d'une certaine façon, proportionnée aux phantasmes sensibles, qui sont pour ainsi dire les instruments de notre connaissance. Mais, après la mort, la connaissance nous sera communiquée immédiatement par Dieu, sous la forme d'espèces ou images purement intellectuelles, images qui, malgré leur spiritualité, seront pour nous les moyens de connaître les choses de ce monde. Or n'est-il pas clair qu'une connaissance, infuse en nous directement par Dieu, sous la forme d'espèces purement intellectuelles, est plus parfaite que celle acquise par nous au moyen d'images sensibles ? C'est là un point que nous devons examiner maintenant.


III. - Comparaison entre notre connaissance en cette vie et notre connaissance après la mort

1. La question qui se pose ici concerne la différence existant entre la connaissance que l'âme aura après la mort et celle qu'elle possède naturellement en cette vie. Cette connaissance sera-t-elle, après la séparation, d'un caractère plus parfait, et embrassera-t-elle un cercle plus vaste d'objets intellectuels ?

Rappelons-nous ce que nous avons déjà fait remarquer, que nous n'avons ici en vue que la connaissance naturelle, propre à l'âme après la mort et que toutes les âmes possèdent de la même manière, les âmes des bons et des mauvais, des ignorants et des savants. Nous ne traiterons pas ici de la connaissance de l'Essence divine, que, par la grâce de Dieu, les Saints possèdent dans le ciel, et que l'on nomme la Vision Béatifique.

2. Pour comprendre ce qu'est la connaissance naturelle de l'âme après la mort, il faut se rappeler que, bien que les images spirituelles imprimées dans l'esprit après la mort soient d'une nature plus universelle que celles dans lesquelles nous contemplons, pendant la vie, les objets de notre connaissance, elles sont cependant d'un caractère moins défini, c'est-à-dire qu'elles se bornent au général, sans descendre au particulier. Par conséquent, la connaissance de l'âme après la mort, bien que d'un caractère plus universel, ne comporte pas une notion aussi distincte des objets individuels, que la connaissance qui est nôtre pendant la vie présente.

En effet, bien que l'état de l'âme soit changé après la mort, son pouvoir mental demeure cependant dans ses limites naturelles, et exige, pour pouvoir s'exercer parfaitement, une multiplicité d'idées distinctes. Le fait que d'autres images plus universelles leur sont effectivement substituées, n'offre donc que peu d'avantage pour la connaissance de l'âme, puisque cette connaissance implique un certain manque de proportion de la part de l'esprit par rapport à ces images générales.

L'âme séparée expérimentera donc, pour ainsi dire, une certaine inaptitude à user de ces images, et ne pourra par conséquent saisir, comme le font les anges, chaque objet particulier contenu dans chacune d'elles. Il suit de là que la connaissance de l'âme après la mort, bien que d'un caractère plus universel, n'embrasse pas les objets individuels avec cette clarté de perception que, dans la vie présente, nous obtenons de ces mêmes objets, par le moyen des phantasmes corporels.

3. Pour démontrer cette vérité, il conviendra de marquer la différence qui existe entre la connaissance naturelle aux anges et la connaissance naturelle à notre âme après la mort. Pour arriver à ce but, nous n'avons qu'à prendre exemple sur ce que nous voyons se passer dans le procédé didactique ordinaire que suit l'esprit humain dans l'acquisition de la vérité. Un maître occupé à enseigner ses élèves, en rencontre parfois quelques-uns d'une puissance intellectuelle et d'une compréhension supérieures. Dans ce cas, il suffit au maître de présenter à ces élèves privilégiés des principes généraux sans avoir besoin d'en déduire en détail toutes les conclusions, l'intelligence de ces élèves étant par elle-même capable de tirer ces conclusions qui, d'un simple coup d'œil, peuvent être perçues comme contenues dans les principes généraux.

Mais avec une intelligence d'une capacité inférieure, la marche de l'enseignement est plus laborieuse. Pour conduire une telle intelligence à la compréhension complète de ces principes, il est nécessaire que le maître lui révèle, une à une, toutes les conclusions diverses qui peuvent en être déduites. C'est alors seulement que l'élève peut dire avoir compris ces principes généraux dans toutes leurs applications. Lui présenter ces principes généraux sans leurs conclusions et déductions, ne saurait suffire, vu que l'intelligence de l'élève manque des pouvoirs intuitifs nécessaires pour faire seule cette opération. La connaissance ainsi communiquée demeurerait d'un caractère plus général et manquerait de cette exactitude d'application qui est la perfection de toute connaissance.

4. Il en est de même dans le cas de l'âme séparée, comparée aux anges. Tandis que dans les images ou formes intelligibles que les anges ont à leur disposition, ils peuvent voir clairement tous les individus des différentes espèces, en même temps que tous les détails les plus précis appartenant à chacune d'elles, l'âme humaine séparée, au contraire, ne peut voir dans ces images que les principes généraux, sans pouvoir descendre au nombre infini d'objets particuliers contenus dans ces images, comme fait l'ange. Tout au plus peut-elle connaître, suivant les cas, une partie plus ou moins grande de ces objets, mais toujours limitée, comme nous l'expliquerons plus complètement par la suite.

5. On peut même ajouter que l'âme séparée a perdu le pouvoir de connaître les objets particuliers qu'elle possédait étant unie au corps. Car aussi longtemps que dure la vie présente, notre connaissance est plus définie et plus distincte, et cela parce que l'âme, tant qu'elle est liée au corps, a besoin de recourir aux sens pour parvenir à la connaissance de la vérité, et que les perceptions de nos sens sont d'un caractère défini et particulier.

6. Il s'ensuit que, pendant cette vie, les images spirituelles, dans lesquelles notre esprit contemple la vérité, ne sont pas d'un caractère général tel qu'elles excluent la distinction des différents objets contenus dans ces images. Mais une fois cette union détruite par la mort, quand notre âme est placée sous l'influence immédiate de la lumière divine, la nature même de cette lumière est, pour ainsi dire, trop forte pour elle. L'esprit humain n'est pas fait pour une clarté aussi resplendissante, mais plutôt pour une lumière plus adoucie. L'âme, après la mort, reste donc quelque peu éblouie par la contemplation de ces images spirituelles, et cet éblouissement l'empêche de percevoir les objets particuliers qu'elles contiennent virtuellement. C'est comme si les lignes des choses vues dans ces tableaux ou images étaient moins marquées, ce qui diminue, dans la vision de l'âme, la clarté et la netteté de la connaissance des choses représentées.

7. Nous devons donc conclure que bien que l'étendue de la connaissance de l'âme après la mort soit d'une certaine façon naturellement plus grande qu'elle ne l'est dans la vie présente, il manque cependant à cette connaissance la netteté et la précision qui caractérisent la perfection de toute connaissance. L’œil mental, élevé à un plan supérieur, capte dans sa vision un plus vaste cercle d'objets, mais il ne le perçoit que d'une manière confuse, parce que ces objets sont en dehors du champ naturel de sa vision claire et distincte.



IV. - Quels objets particuliers l'âme connaît-elle après sa séparation du corps ?

1. Il ne faudrait pas conclure de ce qui précède que l'âme, après la mort, ne peut percevoir aucun objet particulier. Ce que nous soutenons, c'est qu'elle ne les perçoit pas comme dans la vie corporelle et, qu'en outre, son mode de perception est beaucoup moins parfait que celui des anges. Que des objets déterminés soient contenus dans la sphère de vision de l'âme séparée, et que les images spirituelles, mentionnées plus haut, servent de moyens efficaces de représentation pour la connaissance de ces objets, c'est ce qui ne peut être mis en doute.

2. Toutefois il n'est pas facile d'établir avec une précision parfaite ce que sont ces objets particuliers, vu qu'ils peuvent varier suivant l'état de chaque âme individuelle. Nous pouvons cependant affirmer que chaque âme séparée se connaîtra elle-même plus parfaitement qu'en cette vie, et que dans cette connaissance d'elle-même elle connaîtra Dieu, non comme le voient les Saints qui le contemplent face à face, mais comme nous voyons dans un miroir les objets qui s'y reflètent. Car l'âme, par sa puissance intellectuelle, sera alors comme un miroir spirituel, réfléchissant, bien que d'une façon imparfaite, et cependant plus parfaitement que ne le font les créatures matérielles, les infinies perfections de Dieu, si bien qu'en se voyant elle-même, l'âme voit aussi, d'une vision naturelle, les perfections de l'Essence divine.

Maintenant, demandera-t-on, quels autres objets l'âme séparée du corps verra-t-elle, outre elle-même et Dieu ?

3. En premier lieu, il y aura le souvenir des choses connues pendant la vie présente. Car c'est un point de la théologie catholique, et ce point est généralement admis, bien qu'avec certaines modifications, dans les communications spirites, que la connaissance acquise pendant cette vie persiste après la mort.

Bien entendu, la manière dont cette connaissance est évoquée par l'esprit après la mort diffère de ce qu'elle fut pendant la vie. Durant la vie présente, le souvenir exige d'être accompagné d'images sensibles ; mais après la mort ces images sensibles cessent, si bien que la connaissance acquise en cette vie est, pour ainsi dire, liée aux nouvelles images spirituelles que Dieu procure à l'âme pour son intelligence.

Il faut ajouter que ce genre de connaissance, qui représente les notions acquises durant cette vie, variera grandement suivant les individus, comme on le comprendra rapidement. En effet, cette connaissance doit être considérée comme nulle chez les enfants morts avant l'usage de la raison, tandis qu'elle sera d'une très vaste étendue chez les hommes dont la vie fut consacrée à de profondes études, un nombre infini de degrés étant facilement imaginable entre ces deux limites extrêmes.

4. Outre la connaissance acquise pendant la vie, nous pouvons dire que l'âme séparée aura aussi une connaissance des êtres, par lesquels elle est, dans son nouvel état, affectée en quelque façon, je veux dire en raison de quelque inclination ou parenté naturelle. Et encore, à ce sujet, une très grande différence peut exister entre la connaissance d'une âme et celle d'une autre, toutes les âmes n'étant pas également disposées envers les différents objets de ce monde ou affectées par eux. Nous essaierons d'expliquer en quoi consiste cette différence.

5. Tout d'abord, par rapport à Dieu, il est évident que toutes les âmes ne sont pas également portées vers lui. Il en est qui peuvent être ses amies, d'autres, ses ennemies. Par conséquent, bien que chaque âme, comme il a été dit, voie Dieu naturellement en elle-même, l'aspect sous lequel les âmes des justes le voient est nécessairement différent de celui sous lequel il apparaît aux méchants. Les premières connaissent Dieu comme un ami plein de bonté et un tendre Père les deuxièmes, au contraire, l'envisagent comme un juge plein de sévérité.

6. L'âme séparée de son corps aura, de plus, quelque connaissance des anges, non pas distinctement de tous les anges, mais de ceux avec lesquels elle aura pu, dès ici-bas, établir une sorte de parenté. Il n'y a pas de doute en effet que chaque âme connaîtra alors ceux des anges dont elle aura expérimenté dès ici-bas l'influence spéciale. Ce sont, d'un côté : l'ange gardien ; de l'autre : le démon tentateur.

7. On ne peut douter que l'âme aura également quelque connaissance des autres âmes sorties de ce monde, de celles-là du moins avec lesquelles elle aura eu pendant cette vie quelque lien particulier, ainsi que nous allons le montrer. Cette connaissance sera d'ailleurs beaucoup plus parfaite qu'elle ne l'est pendant la vie présente, vu que l'âme l'obtiendra non par le recours à quelque objet extérieur, mais simplement en se tournant vers son propre moi, ce moi de l'âme séparée étant pour ainsi dire un miroir dans lequel elle peut contempler les autres âmes.

8. Nous avons dit que l'âme séparée de son corps aura une connaissance naturelle des âmes auxquelles, pendant la vie, un lien particulier la rattachait. Ce serait une erreur en effet d'imaginer que chaque âme séparée connaîtra toutes les autres âmes qui sont dans un état semblable au sien. La connaissance de chaque âme sera restreinte à celles des âmes qui auront eu avec elle une sorte de parenté. Une âme séparée peut donc connaître l'état et la condition des âmes de ceux qui, dans la vie, furent ses parents et ses amis, et dont elle a reçu quelque impulsion soit vers le bien et la vérité, soit, comme cela peut se produire, dans une direction mauvaise. Mais, en général, nous pouvons dire qu'une âme, après la mort, connaîtra naturellement celles des âmes dont l'état et la condition ont pour elle un certain intérêt, tandis qu'elle ne connaîtra naturellement rien des autres âmes, jusqu'à l'avènement du jour du jugement, alors que les actions de chaque âme individuelle, bonnes ou mauvaises, seront manifestées au monde entier.

9. En outre, l'âme séparée aura naturellement connaissance du lieu qu'elle est destinée à occuper, et qui peut être un lieu de béatitude ou un lieu de malédiction, ou bien encore un lieu d'attente, comme en aura disposé la justice de Dieu.

10. À ces connaissances, qui viennent à l'âme par suite de son nouvel état, nous pouvons en ajouter une autre provenant de révélations spéciales de Dieu qui peut les communiquer par le ministère des anges. Il est possible en effet que Dieu, de qui jaillit, comme de sa source, l'illumination de l'âme, et dont la Providence conduit toutes choses avec force et douceur, communique, par le ministère des anges, une lumière spéciale à quelque âme en particulier, et lui fasse connaître tel ou tel événement dont elle n'aurait autrement aucune connaissance.

C'est ainsi que Dieu peut révéler à une âme, dans un but spécial connu de Lui seul, les événements avec lesquels cette âme n'aurait autrement aucun rapport nécessaire et dont elle resterait par conséquent ignorante. Il peut, par exemple, communiquer à un roi, mieux encore que par les données naturelles dont nous avons parlé, une certaine connaissance des affaires de ce qui fut jadis son royaume ; à un père de famille l'état général de ses enfants sur la terre; à un ami les vicissitudes de ceux qu'il a aimés sur la terre et ainsi de suite.

11. II faut encore ajouter une autre source de connaissance, provenant du commerce d'une âme avec une autre. Cette sorte de communication des âmes entre elles est d'autant plus possible après la mort que les mots ne seront plus alors nécessaires pour l'échange des pensées. Cette communication en effet a lieu d'une manière qui ressemble beaucoup à celle par laquelle les anges se communiquent entre eux leurs pensées, ainsi que nous l'expliquerons plus loin.

12. Il ne sera pas inutile de réunir, sous des titres distincts, les différentes sources de connaissance naturelle que l'âme humaine aura après la mort concernant certains objets particuliers et déterminés. Premièrement, elle se connaîtra elle-même, et en soi-même elle connaîtra Dieu, avec cette différence que tout en se connaissant elle-même avec une grande certitude et une grande netteté, elle ne connaîtra Dieu qu'imparfaitement. Deuxièmement, elle conservera les connaissances qu'elle aura pu acquérir pendant la vie. Troisièmement, elle saura ce qui appartient à certaines personnes et certains objets particuliers auxquels elle s'intéresse particulièrement, ou avec lesquels elle est d'une certaine manière naturellement liée. Quatrièmement, des révélations spéciales peuvent être faites à l'âme séparée suivant le bon plaisir de la Providence de Dieu. Enfin, l'âme pourra tirer un supplément de connaissance de ses entretiens avec les anges ou avec les autres âmes séparées.

13. En dehors de ces sources d'instruction, l'âme, après la mort, n'aura pas d'autres moyens de connaître les choses de ce monde ; car, retranchée de la vie des sens et du milieu terrestre et transférée dans le monde invisible des esprits, elle ne sera plus apte à percevoir les vicissitudes particulières de la vie terrestre. D'où il suit qu'elle sera étrangère aux guerres et aux bruits de guerre, à la chute des empires, à la ruine des trônes, aux changements de dynasties et autres événements temporels de ce genre.

Il est intéressant de rattacher cet enseignement, tiré de S. Thomas, aux pathétiques descriptions de Dante à propos des âmes séparées qu'il représente, soit en enfer, soit au purgatoire, si anxieuses de recueillir, par son entremise, des nouvelles sur les événements terrestres dont il les représente complètement ignorantes.

14. Il ne faut pas oublier que, outre la connaissance dont nous parlons ici, il existe, pour les âmes des bienheureux, une autre source de connaissance, surpassant infiniment tout ce que l'on peut imaginer. C'est la connaissance de Dieu vu face à face, dans toute sa splendeur divine. De cette vision appelée justement béatifique, les Bienheureux tirent leur béatitude, et par ce moyen ils voient tout ce qu'ils peuvent désirer connaître des choses de ce monde. Nous ne pouvons toutefois qu'indiquer ici ce sujet si important et si consolant qui appartient exclusivement au domaine de la théologie. Nous ne considérons actuellement que ce qui appartient, plus ou moins communément, à toutes les âmes séparées, selon les exigences de la nature.

15. De tout ce que nous venons d'exposer, il résulte que la connaissance des âmes séparées de leur corps est de beaucoup inférieure à celle des esprits angéliques, dont la perception mentale comprend, par le moyen des espèces universelles dont ils sont doués, à la fois chaque objet individuel et toutes les circonstances qui l'accompagnent.

Pour ce qui regarde la connaissance des sciences naturelles en particulier, l'âme séparée ne peut en aucune façon être comparée aux intelligences angéliques. Car, à l'exception de la connaissance qu'elle a pu acquérir pendant sa vie terrestre, elle n'a plus de moyens à sa disposition pour vérifier les diverses opérations ou pour étudier les lois de la nature. D'où il suit que les vicissitudes du monde physique, dont les possibilités s'étendent si loin, sont pour elle un livre fermé.

16. En ce qui concerne les secrètes pensées du cœur humain et les événements futurs, l'âme après la mort ne peut pas, non plus d'ailleurs que les esprits angéliques, en savoir avec certitude quoi que ce soit, bien qu'elle soit à même, en se servant de ce qu'elle connaît déjà des choses de ce monde, de conjecturer l'avenir comme le peuvent faire les anges eux-mêmes. Mais le monde actuel se trouvant hors du cercle des connaissances de l'âme humaine, il peut très bien se faire que les choses prévues par elle aient lieu en réalité sans qu'elle en soit avertie.

Ce point est remarquablement illustré dans l'Enfer de Dante et le passage mérite d'être cité.

Farinata degli Uberti, fameux capitaine des Gibelins, placé par Dante en enfer, à cause de son incroyance, avait prédit au Poète son exil prochain. Or Dante se demandait en lui-même comment Farinata pouvait connaître les événements à venir puisque les morts ne connaissent même pas les événements présents. Le Poète expose alors son doute et reçoit réponse de Farinata.

«Ah ! si jamais les vôtres recouvrent le repos, lui dis-je, levez, je vous prie, le voile dont vous avez enveloppé ma sentence ; car, si je l'entends bien, il semble que, le présent vous étant caché, vous voyez au delà ce que le temps amène avec lui. - Nous voyons, dit-il, comme on voit avec une mauvaise vue, les choses qui sont loin, autant que les éclaire le souverain Maître. Quand elles s'approchent, ou sont déjà, toute notre intelligence s'évanouit et si quelque autre ne vient ici nous en instruire, nous ne savons rien de votre état humain. Ainsi, tu peux comprendre que pour nous mourra toute connaissance, de ce moment où sera fermée la porte de l'avenir. »

Ces paroles, nous l'avons déjà expliqué, ne doivent pas s'entendre en ce sens que les âmes séparées peuvent connaître l'avenir et non le présent, puisque le premier est moins susceptible d'être connu que le dernier. Mais si les âmes après la mort ne peuvent plus communiquer naturellement avec les vivants, elles peuvent toutefois, en vertu d'associations antérieures, prédire l'avenir sans connaître exactement le présent. Quand le jugement dernier aura eu lieu, et qu'il n'y aura plus de changements futurs, les âmes des damnés n'auront plus aucune connaissance naturelle des choses particulières de ce monde.

17. On aimerait savoir ici de quelle manière s'accomplit la connaissance spéciale des événements de ce monde dont peut être douée l'âme séparée du corps. Nous savons que l'âme est alors privée de l'usage des sens extérieurs qui sont normalement pour elle l'unique moyen d'obtenir la connaissance des objets de ce monde ; d'où il semble que, une fois privée de ce moyen, elle soit incapable de connaître les événements qui se succèdent ici-bas.

La réponse à cette question se trouve dans ce qui a été dit déjà, savoir : que les images, infuses par Dieu dans l'âme au moment de sa séparation du corps, sont les instruments proportionnés par lesquels elle entre en possession de cette connaissance. Ces images émanent de Dieu et représentent virtuellement tous les événements qui se succèdent ; ainsi donc pour que l'âme y puisse lire ce qui arrive actuellement dans le monde, il suffit que ces mêmes images soient étendues aux objets qu'elles sont originairement destinées à représenter.

18. Il pourrait se faire que, de cet examen de la connaissance naturelle de l'âme après la mort, un spirite se croie autorisé à tirer des conclusions favorables à sa théorie: il pourra, dis-je, se croire justifié, même au point de vue catholique, à retenir que nous pouvons apprendre beaucoup de choses des âmes des défunts. S'il est vrai que l'âme, en franchissant le seuil de la mort, emporte avec elle la connaissance qu'elle a acquise pendant la vie ; si son nouvel état lui fournit en outre des sources nouvelles d'information et si elle jouit en même temps du bienfait de rapports avec d'autres âmes séparées ; si elle reçoit de nouvelles révélations, - n'est-il pas raisonnable d'attendre que, du moins parmi les plus nobles des âmes séparées, il s'en trouve qui possèdent la connaissance et le savoir suffisants pour instruire et éclairer les hommes non encore délivrés par la mort du fardeau de la chair ? D'autre part, les révélations faites aux séances spirites sont, on le sait, fréquemment attribuées à des personnages qui, pendant la vie, se sont signalés dans le domaine de l'intelligence et du savoir. Ne pourra-t-on pas, à ce point de vue, accepter, comme authentiques, un certain nombre au moins des manifestations spirites modernes ?

19. Une telle déduction serait parfaitement admissible si nous ne devions faire entrer en ligne de compte le pouvoir et le mode d'action propres à l'âme séparée, et c'est sur ce point que nous aurons bientôt à diriger notre attention. Ce pouvoir, comme nous le verrons, ne peut se comparer à celui des anges qui peuvent se former des corps et par le moyen de ceux-ci entrer en rapport avec nous. Or il est un fait positif, c'est que l'âme séparée ne possède pas un tel pouvoir. En outre, l'âme séparée du corps ne demeure pas parmi les vivants et aucune raison n'existe pour elle de quitter jamais le lieu qui lui est propre. Parmi les anges, au contraire, comme on le montrera plus loin, il en existe d'un ordre moral inférieur et déchu, qui rôdent sur cette terre, ayant pouvoir, par la permission de Dieu, de produire un grand nombre de ces phénomènes qui, à première vue, nous apparaissent si prodigieux. Un ange peut donc naturellement entrer en communication avec les vivants, ce qui est hors de la portée de l'âme séparée.

Toutefois ces différences seront plus clairement exposées à mesure que nous avancerons dans notre étude et spécialement quand nous parlerons, ex professo, du pouvoir des âmes séparées.


V. - Les manifestations spirites peuvent-elles être attribuées aux âmes séparées?

1. Nous en venons maintenant à résoudre la question de savoir si les manifestations qui se produisent pendant les séances spirites, y compris la manifestation de choses inconnues faite aux personnes participant à ces séances, peuvent, comme le prétendent plusieurs, être attribuées à l'opération des âmes séparées ?

Notre réponse est celle-ci : Admettant pour un instant, et dans le but de faciliter la discussion, qu'un rapport direct entre les âmes séparées et les hommes vivants soit possible, il resterait cette objection, qu'un grand nombre de manifestations spirites impliquent, de la part des intelligences qui les produisent, un pouvoir de perception ou la possession de connaissances supérieures à tout ce dont sont capables les âmes des trépassés.

Cette observation vaut surtout à propos de communications contenant de nouvelles et saisissantes révélations sur le monde matériel, telles que, par exemple, la manifestation de phénomènes météorologiques tout à fait hors de la portée de notre expérience, ou celle de trésors cachés, d'accidents imprévus, ou d'événements à venir. De même le fait de parler en plusieurs langues, de donner des détails précis sur les arts et les sciences ou sur des événements cachés et inconnus - toutes ces manifestations et d'autres du même ordre ne peuvent absolument pas être attribuées à l'opération des âmes séparées, qui n'ont pas de ces choses une connaissance suffisante.

2. Quant aux événements se produisant à distance, il faut remarquer que la distance locale ne constitue pas en elle-même un obstacle à la connaissance des âmes séparées de leurs corps, comme l'ont prétendu certains philosophes. Car l'âme, après la mort, n'acquiert plus sa connaissance, comme pendant la vie, de l'examen d'objets sensibles, mais bien d'images émanant de la lumière divine, laquelle est indépendante de la distance locale; c'est pourquoi la distance locale n'est pas, par elle-même, pour ce qui concerne l'âme séparée, un obstacle à la connaissance des choses ou des événements qui se passent loin d'elle.

3. Pour plus de clarté, nous pouvons ajouter que la raison pour laquelle l'âme séparée ne connaît pas les événements lointains est que les espèces ou images intelligibles qu'elle reçoit de Dieu, ne sont pas ordinairement destinées à manifester ces événements. Lors donc que nous disons que la révélation d'événements lointains échappe au pouvoir de l'âme séparée de son corps, ce n'est pas parce que la distance locale crée par elle-même la difficulté, mais parce qu'une telle connaissance (clairvoyance disent les spirites) est en dehors de son champ de perception, ces objets particuliers n'étant connus que par l'âme avec laquelle ils ont un rapport naturel comme il a été expliqué plus haut. En supposant, par conséquent, que les âmes séparées puissent communiquer librement avec nous, un grand nombre de manifestations spirites ne pourraient pas leur être attribuées, parce que leur connaissance, différente de celle des anges, ne s'étend pas à ces objets éloignés.

4. Mais en supposant même que l'âme séparée du corps possède une connaissance égale à celle de l'esprit angélique, il nous resterait encore à examiner si elle peut communiquer une telle connaissance aux vivants, et si elle peut illuminer l'esprit d'une personne de ce monde, comme le fait un ange. La réponse que nous donnerons à cette question jettera, croyons-nous, une nouvelle lumière sur le thème des manifestations spirites. En même temps, la solution que nous donnerons à la question de l'étendue du pouvoir possédé par l'âme séparée du corps sur les éléments du monde (question que nous étudierons dans le prochain chapitre) nous fournira le moyen de résoudre le problème posé par la question suivante : les manifestations modernes du spiritisme doivent-elles être attribuées aux âmes des trépassés ou bien à un ordre supérieur d'agents intellectuels que nous nommons purs esprits ou anges ?

Le premier point à examiner comporte une double question : 1) L'âme séparée du corps peut-elle nous manifester ses pensées tandis que nous sommes encore dans la vie présente, et 2) vice-versa, pouvons-nous, pendant cette vie, communiquer nos propres pensées à une âme séparée du corps ?

Avant de commencer l'examen de ces questions, nous nous proposons, pour plus de clarté, de rechercher d'abord si les âmes séparées peuvent communiquer l'une avec l'autre, et aussi de quelle façon, dans la vie présente, nous nous communiquons l'un à l'autre nos pensées et nos désirs intimes.

5. Une quadruple enquête s'offre donc à notre étude : premièrement, deux ou plusieurs âmes, séparées du corps, peuvent-elles converser ensemble et de quelle façon ; deuxièmement, comment, dans la vie présente, deux ou plusieurs individus se communiquent-ils l'un à l'autre leurs pensées et leurs désirs ; troisièmement, une âme séparée peut-elle nous manifester ses pensées et ses désirs ; quatrièmement, vice-versa, pouvons-nous faire connaître nos pensées à une âme séparée ?

Le second point nous procurera l'occasion d'examiner, assez longuement, une double théorie, émise par des savants modernes, pour découvrir une origine naturelle au moins à quelques-unes des manifestations spirites. Nous voulons parler de la théorie du moi subliminal inconscient dont nous avons déjà dit quelques mots, et de celle des vibrations mentales.


VI. - Les âmes des trépassés peuvent-elles converser entre elles et de quelle façon ?

1. En ce qui concerne la première question, savoir : si deux ou plusieurs âmes séparées de leur corps peuvent converser ensemble et de quelle façon, il n'y a pas de doute que l'âme, après la mort, peut communiquer à une autre âme ses pensées et ses désirs, de la même façon dont le peuvent les intelligences angéliques.

Car l'obstacle qui, dans cette vie, empêche le rapport immédiat d'intellect à intellect et nécessite l'intervention de signes sensibles, cesse par le fait même de la disparition du corps ; et comme un ange converse avec un autre simplement en dirigeant son intellect vers l'intellect de son compagnon, de même aussi la communication mentale entre deux âmes séparées de leur corps s'opère par la simple conversion de l'intellect de l'une vers celui de l'autre. Et l'âme séparée peut aussi de même communiquer avec l'intellect angélique, si elle le désire, puisque son état de séparation du corps l'a rendue, sous ce rapport, pareille à ces purs esprits.

2. Nous devons en outre noter que la condition de nos âmes après la mort étant indépendante des conditions de temps et d'espace, il s'ensuit que la distance locale n'est en quoi que ce soit un obstacle à ce commerce spirituel, pas plus que la distance locale n'empêche les substances angéliques de se voir et de correspondre entre elles.

3. Il ne faudrait pas conclure de ceci que la communication qu'une âme désire avoir avec une autre doive nécessairement être connue de tous les habitants du monde invisible. En effet, les communications dont nous parlons dépendent complètement de la libre volonté de celui qui parle, et celui-ci peut ne pas vouloir que ses pensées soient connues par d'autres. La conversation entre âmes séparées est donc, comme dans le cas des anges, cachée à la connaissance de qui n'y est pas admis, et connue uniquement d'elles et de Dieu.



VII. - Comment nous pouvons communiquer nos pensées à nos semblables pendant cette vie

1. La seconde question : Comment l'homme, dans son présent état de vie, communique-t-il ses pensées à ses semblables, est d'une solution facile, si nous considérons que notre langue est l'organe du discours, par lequel nous pouvons exprimer nos pensées et qui, en fixant l'attention de l'auditeur, lui fait saisir ce que veulent transmettre nos paroles. L'écriture, les gestes et autres signes conventionnels ne sont que des remplaçants de l'organe du langage. Notre commerce intellectuel avec nos semblables est ainsi effectué, partie au moyen de nos organes naturels fournissant les moyens de communication et partie par un accord préalable concernant la signification des mots ou signes employés.

2. La question qui nous intéresse tout particulièrement ici est d'une solution beaucoup plus difficile. Cette question est la suivante : Une communication entièrement spirituelle peut-elle avoir lieu directement entre personnes vivantes par certains moyens mystérieux, pour le moment peut-être assez mal connus, mais qui nous placent dans une situation semblable à celle des anges et des âmes séparées communiquant entre eux? Par exemple, un homme peut-il, en concentrant ses pensées et sa volonté, se mettre en communication directe avec son prochain, que celui-ci soit présent ou absent, sans se servir d'aucun signe ou d'aucun instrument ? Cette question est extrêmement importante, car de sa solution dépend le fait d'accepter ou de rejeter la théorie télépathique.

3. On prétend en effet, d'après cette théorie, qu'il existe des moyens physiques (inconnus jusqu'ici de la science) autres que l'emploi du langage, de l'écriture ou de tout autre signe sensible et conventionnel, par lesquels il est possible à une personne de faire connaître ses pensées et ses intentions à une autre personne ou à plusieurs, non seulement celles-ci étant présentes, mais aussi quand de grandes distances les séparent l'une de l'autre. Comme, de toute façon, nous aurons à traiter plus tard ex professo, de la théorie télépathique, nous nous occuperons maintenant d'examiner la principale question posée : Une âme séparée peut-elle communiquer avec nos intelligences dans le présent état de vie, c'est-à-dire quand notre âme est encore unie au corps ?


VIII. - Une âme séparée peut-elle nous communiquer ses pensées ?

1. La question, qui est des plus importantes, revient à savoir si l'âme humaine, une fois séparée du corps, peut avoir un commerce intellectuel avec les vivants et leur manifester soit des choses ayant trait à son nouvel état, soit des vérités ou des faits naturellement cachés aux yeux des mortels.

Avant de répondre directement à cette question, rappelons-nous tout d'abord combien est limité le cercle de la connaissance de l'âme après la mort. Nous avons vu, en effet, qu'on doit naturellement lui dénier la connaissance des choses à venir, des pensées secrètes, des événements ordinaires du monde et aussi, pour la plus grande part, des secrets de la nature. Ainsi donc, si un tel commerce entre les morts et les vivants était possible, il devrait nécessairement être de nature très limitée, c'est-à-dire qu'il devrait se borner aux manifestations de certaines vérités ou de certains faits se reliant au nouvel état de l'âme.

Mais ce genre de communication lui-même peut-il être fait par une âme séparée de son corps à une âme que la mort n'en a pas encore libérée ?

2. La réponse à cette question doit être, comme la précédente, négative. Notre esprit ou intellect, en effet, dans le présent état d'union de l'âme et du corps, ne peut être affecté ou mû par une simple créature, corporelle ou spirituelle, si ce n'est par le moyen de l'imagination, d'autant que nous sommes naturellement conduits par les images sensibles à la connaissance de la vérité. Connaître les choses en cette vie sans le secours de ces images est au-dessus de la condition de notre nature. Or l'âme séparée du corps n'a aucun pouvoir sur les phantasmes de notre imagination, la matière, en ce qui concerne le mouvement local, n'étant pas soumise à son influence comme elle l'est à l'influence des anges. Une âme séparée du corps ne peut donc par elle-même nous éclairer ou nous instruire d'aucune façon.

Cette vérité, toutefois, qui veut que l'âme séparée du corps soit sans pouvoir sur la matière, sera plus spécialement examinée quand nous parlerons du pouvoir des âmes des trépassés.

3. Nous pouvons donc conclure que l'âme séparée du corps, n'ayant pas le pouvoir d'influencer notre intellect ou de l'illuminer, est encore, sous ce rapport, dans une condition très inférieure à celle des anges qui, en attirant notre attention sur les phantasmes sensibles de l'imagination qu'ils ont le pouvoir de susciter en nous, peuvent très bien nous manifester des vérités supérieures à nos sens ou même des choses inconnues à un homme mortel quelconque. L'âme séparée du corps ne peut, au contraire, exercer sur nous une influence semblable, et, pour cette raison, on peut dire qu'elle est naturellement privée de toute communication avec les vivants.

4. Mais si l'âme séparée est incapable de mouvoir ou d'éclairer notre esprit et de nous faire connaître ses pensées ou ses désirs, pouvons-nous, pour notre part, manifester nos pensées aux âmes séparées, soit par des signes sensibles, soit par une communication intérieure et directe de notre esprit ?

Cette question est d'une très grande importance, sa solution devant nous permettre de compléter ce que nous avons dit au sujet de la nature et des opérations des âmes séparées. Nous étudierons le problème sous un double aspect, c'est-à-dire : premièrement, pouvons-nous au moyen de signes sensibles, manifester nos pensées aux âmes séparées, et, deuxièmement, pouvons-nous le faire au moyen de communications intérieures ?

Nous nous proposons d'examiner ces deux points séparément et l'on verra qu'une réponse négative doit entraîner la conclusion finale qu'une communication directe entre les vivants et les âmes séparées est tout à fait impossible.


IX. - Pouvons-nous, au moyen de signes sensibles, manifester nos pensées aux âmes séparées ?

1. Tout d'abord, en ce qui concerne les moyens sensibles à notre disposition, tels que le langage, l'écriture, le geste ou autres signes semblables, il a déjà été démontré que ces signes, n'ayant aucune sorte de rapport avec la condition nouvelle de l'âme séparée du corps, n'arrivent pas naturellement à sa portée, bien qu'ils soient parfaitement compris par les substances angéliques.

La raison en est que la connaissance directe de l'ange embrasse non seulement les objets spirituels, mais aussi tous les phénomènes matériels de ce monde, parmi lesquels nous pouvons compter ces signes sensibles, dont nous parlons, tandis que l'âme humaine séparée du corps a bien une connaissance des substances spirituelles, mais elle ne connaît des phénomènes sensibles de ce monde que ceux avec lesquels elle a une affinité spéciale, comme nous l'avons déjà expliqué plus haut. Or, parmi les phénomènes que peut connaître l'âme, on ne peut compter ces signes sensibles, qui sont pour nous les véhicules de la pensée, car ils dépendent complètement du libre vouloir de ceux qui les ont les premiers découverts ou qui en font actuellement usage; aussi n'ont-ils aucune affinité naturelle avec l'âme séparée, pour laquelle ils demeurent totalement inconnus.

2. Mais, demandera-t-on encore, quelle est la raison définitive du fait qu'un ange connaît tous les phénomènes matériels de ce monde, alors que l'âme séparée du corps ne les connaît pas ? L'âme séparée n'est-elle pas semblable aux êtres angéliques ?

Le fait qu'un ange embrasse, dans sa connaissance, simple et directe, les objets matériels de ce monde avec tous leurs phénomènes particuliers, et que l'âme séparée du corps, au contraire, est incapable de le faire, s'explique par la supériorité spécifique des êtres angéliques sur l'âme humaine, que celle-ci soit unie au corps ou qu'elle en soit séparée.

3. Un simple regard sur la constitution du monde nous démontrera la vérité de cette loi fondamentale qu'un être d'un ordre supérieur contient, dans son unité et sa simplicité, les différentes qualités des êtres distincts d'un ordre inférieur. Ainsi voyons-nous que notre âme, être raisonnable, possède, dans la simple unité de sa nature, les degrés de perfection propres aux âmes sensitives des animaux aussi bien qu'aux âmes végétatives des plantes, et qu'elle est en état d'assurer par elle-même les mêmes fonctions que ces âmes exercent séparément dans l'ordre animal et végétatif. De même les anges, supérieurs en espèce à l'âme humaine, comprennent, dans leur connaissance simple et directe, non seulement les principes généraux, mais aussi les objets matériels avec leurs phénomènes particuliers.

Mais il n'en est pas ainsi de l'âme humaine qui, étant d'une espèce inférieure à celle des anges, n'embrasse, pendant cette vie, dans sa connaissance directe, que les principes généraux des choses et ne peut connaître qu'indirectement les objets ou les phénomènes particuliers, c'est-à-dire en tant que les principes généraux ou essences des choses sont contenus dans les objets particuliers ou matériels de l'univers.

4. En effet, nous arrivons, pendant cette vie, à la connaissance des objets matériels et des phénomènes particuliers par l'application de nos facultés sensitives, par lesquelles nous percevons directement les objets matériels et singuliers. Ensuite, par le pouvoir d'abstraction de notre intellect, nous arrivons à la connaissance des principes généraux ou des natures des choses, qui constituent l'objet propre et direct de notre connaissance intellectuelle, tandis que les choses singulières et matérielles de ce monde sont les objets propres et directs de notre connaissance sensitive. De là vient que l'intellect humain n'embrasse, dans sa connaissance directe, que les principes généraux ou les natures universelles des choses, et ne connaît les objets singuliers ou matériels qu'indirectement, c'est-à-dire en tant que les essences générales des choses sont contenues dans ces objets particuliers.

5. Pour éclairer encore davantage ce que nous venons de dire, remarquons que, quand nous voyons une plante, cet objet particulier et les phénomènes qui s'y rattachent sont d'abord perçus par l'oeil matériel et deviennent par là les objets directs de notre faculté visuelle sensitive. Mais la nature ou l'essence de la plante, contenue dans chaque plante et commune à toutes, est abstraite de cette plante particulière par notre intellect qui la perçoit directement. C'est pourquoi la nature ou l'essence de la plante constitue l'objet de la connaissance directe de notre intellect, bien que celui-ci, distinct comme il est de notre organe visuel, arrive à connaître indirectement cette plante particulière et les phénomènes qui l'accompagnent, en tant que c'est précisément de cette plante particulière qu'il a abstrait la nature universelle qui est l'objet direct de sa considération.

6. En résumé, nous arrivons en cette vie à la somme totale de notre connaissance par une double voie, par la sensation et par l'intelligence. La sensation ne saisit que les objets individuels ou matériels et leurs phénomènes particuliers ; l'intellect saisit à la fois les principes généraux ou essences et les objets individuels, les essences générales directement, les objets individuels indirectement. Les anges, au contraire, en raison de la supériorité de leur intellect, saisissent directement, dans leur connaissance, aussi bien les principes généraux que les objets matériels en même temps que tous les phénomènes particuliers accompagnant ces objets.

7. Il est donc clair que tant que nous avons l'usage des organes de nos sens, c'est-à-dire, les facultés sensitives du composé qu'est le corps uni à l'âme, c'est-à-dire aussi longtemps que dure la vie présente, nous pouvons toujours arriver à la connaissance des objets sensibles particuliers, de même que de leurs phénomènes respectifs, qui tous sont à la portée de nos sens et d'où nous abstrayons cette connaissance universelle qui a trait à la nature générale des choses. Mais aussitôt que l'âme est séparée du corps, elle ne connaît la vérité que par l'influence immédiate et directe des images universelles et purement intelligibles, que Dieu infuse dans son intellect. Aussi n'est-elle plus capable de percevoir les objets ou les phénomènes particuliers de ce monde, sinon de la façon et dans la mesure expliquée ci-dessus.

Nous pouvons donc conclure que les signes sensibles au moyen desquels nous manifestons en cette vie nos pensées à nos semblables sont lettre close pour les âmes séparées du corps. Nous ne pouvons, par conséquent, leur faire connaître directement par ce moyen nos pensées, nos sentiments, nos affections ou nos désirs quels qu'ils soient.


X. - Pouvons-nous manifester mentalement nos pensées aux âmes séparées ?

1. Nous venons de montrer qu'il nous est impossible de manifester, par des signes sensibles, nos pensées aux âmes séparées de leurs corps. Il nous faut examiner maintenant s'il est également hors de notre pouvoir de communiquer avec elles intellectuellement, c'est-à-dire en dirigeant directement, par une opération mentale intérieure, notre esprit vers le leur, de la manière dont nous conversons avec les esprits angéliques.

Non, une telle communication de notre intellect avec les âmes séparées n'est pas possible. Telle est en effet la condition naturelle de nos pensées pendant la vie présente que, bien qu'elles soient en elles-mêmes de nature spirituelle, elles sont toujours accompagnées d'une modification correspondante de notre cerveau. De là vient que parmi les intelligences créées, celles-là seules sont capables de lire nos pensées intérieures, qui ont quelque connaissance des images sensibles ou phantasmes de notre imagination, dont les diverses modifications correspondent à nos pensées, de même que les divers arrangements des lettres de l'alphabet correspondent aux sens divers que veut exprimer celui qui écrit.

2. Mais ici la question se pose encore : Comment se fait-il que nous pouvons manifester directement nos pensées aux anges et ne pouvons le faire aux âmes séparées ?

La raison en est que les modifications sensibles de notre cerveau qui accompagnent chacune de nos opérations intellectuelles peuvent très bien être connues des anges, qui sont de cette manière conduits à connaître nos pensées intimes. Ce n'est pas qu'un simple examen de nos modifications cérébrales soit en lui-même suffisant pour faire connaître exactement aux anges nos pensées intimes, puisque ces modifications peuvent recéler des pensées bien diverses, comme nous avons déjà eu l'occasion de le remarquer ; mais la volonté que nous avons de dévoiler nos pensées à ces purs esprits, leur donne pour ainsi dire la clef leur permettant de comprendre le sens qu'expriment ces modifications cérébrales.

3. Pour bien saisir cette profonde vérité, il faut se rappeler que les modifications de notre cerveau peuvent être employées de bien des manières par notre volonté, comme une même parole de notre langage ordinaire peut avoir des significations bien différentes, et nous ne pouvons nous-mêmes interpréter un document si nous ne savons pas le sens des signes dont l'écrivain s'est servi. C'est ainsi qu'une simple vue des phantasmes de notre cerveau ne suffit pas pour qu'un ange connaisse nos pensées intimes. Il doit en outre lire dans notre esprit, ce qui ne peut se faire sans le consentement de notre volonté. Et en quoi consiste ce consentement ? Il consiste à tourner vers l'ange le contenu de notre entendement, lui donnant ainsi la clef qui lui permet de comprendre ces modifications cérébrales, accompagnement ordinaire, nous l'avons dit, de nos pensées pendant la vie présente.

4. Or ceci peut-il se faire quand il s'agit de l'âme humaine séparée de son corps ?

Il nous faut, ici encore, répondre que la chose est impossible, et cela pour la raison qui vient d'être donnée, c'est-à-dire que l'âme séparée n'a par elle-même rien qui la puisse relier à la connaissance des modifications matérielles et particulières de notre cerveau qui, à moins d'être comprises, forment une barrière interceptant la lumière de notre esprit et l'empêchant de briller hors de nous. L'âme désincarnée peut donc très bien communiquer avec les esprits angéliques et d'autres âmes séparées de leur corps ; mais de même qu'elle ne peut se manifester à nous, de même elle ne peut percevoir les pensées d'un être vivant, même si celui-ci consent à ce que ses pensées soient connues de l'âme désincarnée. Pour une telle manifestation, un intermédiaire d'un certain genre est nécessaire, intermédiaire qui, lisant nos pensées, peut aussi converser avec les âmes séparées. Mais c'est là précisément un pouvoir appartenant en propre à la substance angélique.

5. L'idée que nous pouvons librement et sans la médiation d'aucun agent avoir commerce avec les âmes de nos amis ou parents trépassés doit donc être considérée comme une fiction poétique et non comme une vérité philosophique. Ce qui est vrai, c'est que l'âme séparée du corps est, naturellement parlant, entièrement exclue de toute communication avec les vivants. De même que le mode de localisation qui lui appartient après la mort est tout à fait différent du mode de localisation qu'elle possède dans notre monde matériel, de même son mode de conversation n'a rien de commun avec celui qui lui appartenait quand elle était unie au corps. L'âme séparée nous est tout à fait étrangère, elle ne comprend pas notre langage et ne peut être comprise par nous. Un vaste abîme la sépare de nous.

La providence de Dieu peut, cependant, par le ministère des anges, jeter un pont par-dessus cet abîme. Nous aurons plus loin l'occasion de parler de ces interventions extraordinaires des substances angéliques dans le monde des âmes des défunts.

Rappelons ici, afin d'éviter tout malentendu, que si les âmes séparées nous sont tout à fait étrangères dans l'ordre naturel, ces mêmes âmes, arrivées à la gloire dans le ciel, sont, tout comme les bons anges eux-mêmes, en relation avec nous et entendent nos prières.



CHAPITRE III - POUVOIR DES AMES SÉPARÉES

1. Après avoir parlé de la connaissance que possède l'âme séparée du corps, il est juste que nous examinions maintenant si elle peut exercer un pouvoir quelconque sur la matière.

Nous avons vu que les êtres angéliques peuvent transférer les objets matériels d'un endroit à l'autre. Ils peuvent élever dans l'air des corps pesants, rassembler les éléments dispersés de la matière, les grouper et les unir en un tout et les dissoudre à nouveau comme il leur plaît. Par ce pouvoir qu'ils possèdent sur le mouvement local, ils peuvent produire dans la nature les phénomènes les plus étranges et les plus étonnants. Ils peuvent illuminer l'intellect de l'homme, mettre en jeu son imagination, le rendre partiellement ou totalement insensible aux impressions externes, et produire dans son corps des modifications diverses.

2. La question est donc celle-ci : L'âme séparée du corps peut-elle aussi produire des effets semblables ? A-t-elle un pouvoir sur les éléments de la matière ?

Nous aurons à ce propos à rechercher quelle est la véritable nature de l'apparition des morts, et puisque les effets produits par les pratiques spirites offrent souvent l'apparence de miracles, nous aurons ensuite à établir une comparaison entre les miracles et les phénomènes spirites.


I. - L'âme séparée du corps a-t-elle un pouvoir sur les éléments de la matière ?

1. La ressemblance qui existe entre un esprit angélique et l'âme humaine après la mort, et l'habitude que nous avons d'attribuer aux âmes séparées ce qui est propre aux anges, peuvent expliquer l'opinion si répandue qui veut que nos âmes, après la mort, soient capables d'agir sur les objets matériels de la même manière que les anges agissent sur eux, c'est-à-dire en les transférant d'un lieu à un autre.

2. Or cela est une erreur, les âmes séparées n'ayant pas de pouvoir naturel sur les éléments de la matière. Nous disons pouvoir naturel, car nous ne nions pas que Dieu puisse, par une intervention extraordinaire, accorder à l'âme un pouvoir pareil à celui que possèdent les anges, du même genre que celui accordé à l'âme de Moise, quand ce législateur des juifs conversa avec Jésus-Christ sur le Thabor. Mais nous n'avons pas ici l'intention de parler des interventions extraordinaires de la puissance divine : nous ne traitons que de ce qui se produit dans la marche ordinaire des choses.

3. La raison de ce que nous affirmons ici se trouve dans ce principe, si souvent exprimé dans le présent ouvrage, que l'âme humaine étant déterminée dans son essence par son rapport avec son corps, au point de ne former qu'un seul et même tout avec lui, n'a pas de puissance motrice naturelle, sauf sur le corps particulier qu'elle anime, tandis que la puissance motrice des anges s'étend naturellement à toute espèce de corps, précisément parce que ces purs esprits ne sont liés dans leur essence à aucun corps particulier. En d'autres mots, nous pouvons dire que l'énergie motrice de notre âme, limitée en elle-même par sa propre nature, est restreinte au corps qu'elle informe, de telle sorte qu'elle s'y dépense, pour ainsi dire, complètement.

4. D'autre part, bien que le nouvel état acquis par l'âme désincarnée amène un grand changement dans sa manière de comprendre, aucune condition n'existe pour elle, qui exige alors un changement dans sa manière d'opérer par rapport aux substances matérielles, et ainsi l'âme séparée est parfaitement incapable de mouvoir le plus petit élément de la matière. Et la question n'est pas ici entre une âme et une autre, entre un corps plus lourd ou un corps plus léger ; car, du fait que l'âme humaine, en général, est, dans son essence même, ordonnée à informer et mouvoir une substance matérielle déterminée qui est son propre corps, elle ne peut mouvoir un autre corps matériel, quel qu'il soit.

5. Nous irons plus loin et dirons que l'âme désincarnée non seulement ne possède pas le pouvoir naturel de mouvoir des corps, même celui auquel elle était unie pendant la vie, mais ne peut même pas se mouvoir elle-même, ayant perdu par la mort ce pouvoir de locomotion qu'elle possédait étant unie au corps.

En effet, en vertu de la proportion naturelle existant entre l'âme et le corps, ce pouvoir de locomotion, bien qu'enraciné dans l'âme, réside, formellement comme dans son siège propre, dans le composé, c'est-à-dire dans l'âme et le corps unis substantiellement. Il cesse donc d'exister positivement à la mort, de même que cessent les autres facultés matérielles ou organiques, telles que la vue, l'ouïe ou l'imagination. Par conséquent l'âme, après la mort, non seulement est incapable de mouvoir un corps quel qu'il soit, mais elle ne peut même pas se déplacer d'un lieu à un autre. Elle doit naturellement demeurer pour ainsi dire immobilisée dans un lieu déterminé. Nous devons donc conclure que le pouvoir possédé par notre âme de mouvoir notre corps ne dure que le temps de la vie présente. L'âme après la mort ne peut plus mettre en mouvement ce qui fut jadis son propre corps, le lien qui les unissait l'un à l'autre ayant été complètement rompu.

6. Mais bien que l'âme séparée ne puisse, de par son pouvoir naturel, mouvoir aucun corps quel qu'il soit, elle doit cependant nécessairement adhérer à quelque élément matériel, cet élément étant une condition essentielle de sa localisation. De fait, l'élément matériel par lequel l'âme est localisée est, comme la foi nous l'enseigne, ou le ciel, ou l'enfer ou le purgatoire, suivant que l'âme est sauvée, ou perdue éternellement, ou bien destinée à une purification temporaire. Cependant, quand nous disons que l'âme est localisée par le ciel, par l'enfer ou par le purgatoire, nous n'excluons pas le fait que, par une disposition spéciale de la Providence divine, elle puisse quitter, pour un temps donné, ces lieux qu'elle doit ensuite réintégrer.

7. Si l'on demande pourquoi l'âme séparée, au cas où elle n'aurait pas été élevée à l'ordre surnaturel, c'est-à-dire au cas où elle n'aurait pas été destinée, par ses mérites ou démérites, à un lieu de bonheur parfait dans le ciel, de malheur complet en enfer, ou d'expiation dans le purgatoire, serait obligée de demeurer immobile là où sont ses cendres, la réponse est que, n'ayant plus aucune relation avec les corps, excepté toutefois son propre corps envers lequel elle conserve un certain ordre de dépendance, comme nous l'avons expliqué, elle doit, sauf une disposition spéciale et extraordinaire de la Providence, demeurer dans sa propre dépouille, non pas comme une forme demeure dans la matière qui lui est propre, ni comme une force de mouvement dans une matière qui est sienne, mais seulement comme dans un corps qui lui a appartenu et avec lequel elle a eu, pendant la vie présente, des liens intimes.

D'où il suit que si l'homme n'avait pas été élevé à l'ordre surnaturel, selon lequel sa fin dernière consiste soit dans la vision de Dieu face à face, soit dans la perte totale de cette suprême béatitude, nous dirions que l'âme séparée demeure localisée par ce qui fut son corps et qu'elle est obligée de s'attacher à lui pour toujours.

8. Ceci explique, en partie, la superstition païenne des libations répandues sur les cendres des morts, acte religieux, motivé par la persuasion que l'âme survivante est attachée à ses cendres et bénéficie réellement de cet acte de piété offert à ce qui a été, pendant la vie, son compagnon inséparable.

Il est facile de comprendre également, d'après ce que nous avons dit, pourquoi les païens tenaient tant à ce que les corps des époux, des amis et des parents fussent inhumés dans une seule et même tombe. La philosophie naturelle leur donnait, non sans fondement, la persuasion que les âmes ayant leur demeure là où sont les corps, le voisinage des corps serait, pour des personnes qui s'étaient aimées durant la vie, un gage de bonheur tout spécial.



II. - Réponse à quelques objections

1. Nous nous sommes efforcés d'exposer aussi clairement que possible l'enseignement authentique de la théologie catholique au sujet du rapport de l'âme séparée avec les éléments de la matière. Mais cette doctrine a eu pour adversaire une certaine école de pensée, l'école de Duns Scot, opposée sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, à celle du Docteur Angélique que nous avons suivi. Comme, d'autre part, ce que nous venons d'exposer est de la plus haute importance dans le sujet que nous traitons, nous croyons utile de rappeler ici les objections soulevées par cette école contre l'enseignement susdit et d'y joindre les réponses qui conviennent. Nous ne craignons pas de l'affirmer : si l'esprit du lecteur n'est pas nettement fixé sur ce point, la position catholique, quant à l'illégitimité des pratiques spirites, ne peut plus se soutenir. Voyons donc quelles sont ces objections' .

2. Tout d'abord on nous objecte que la faculté motrice que nous possédons n'est pas une faculté immanente, telles que le sont, par exemple, notre imagination et notre puissance visuelle ou auditive, mais qu'elle appartient à la catégorie des forces qui déploient leur action en dehors du sujet, telle qu'est chez nous la faculté du langage. Or, disent les adversaires, il est évident qu'une faculté organique, dont l'opération est immanente, ne peut agir sinon d'une manière organique. C'est ainsi que, par exemple, nous ne pouvons voir sans faire usage de nos yeux ou nous représenter à nous-mêmes quelque objet sans l'aide de notre imagination. Mais on ne peut en dire de même d'une faculté organique dont l'opération est transitive, c'est-à-dire dont l'opération s'accomplit en dehors du sujet ; d'où il suit qu'il n'est nullement prouvé que la faculté motrice de l'âme séparée ne puisse agir sur une matière étrangère et ainsi mouvoir les corps d'un lieu à un autre. Ne voyons-nous pas, d'ailleurs, que l'exercice initial de notre faculté motrice est inorganique, étant déterminé par un mouvement de notre volonté, laquelle est une faculté essentiellement inorganique?

3. Nous répondons à ceci qu'une faculté organique, soit qu'elle ait une action immanente, soit qu'elle ait une action transitive dans le sens indiqué plus haut, ne peut jamais s'exercer, même dans son mouvement initial, sans le concours d'un organe, c'est-à-dire sans le concours du corps auquel elle est unie. Les deux agents vont toujours ensemble et attribuer à notre faculté de locomotion une action inorganique c'est ignorer le mode d'agir qui lui est propre.

4. On ne peut pas dire non plus que l'exercice initial de notre faculté motrice, pendant cette vie, soit inorganique ou qu'il y ait, cachée dans l'âme pendant son union avec le corps, outre la faculté motrice organique, une autre faculté capable de mouvoir les corps inorganiquement, laquelle faculté se mettrait en jeu seulement après la mort. En effet, si l'exercice initial de la faculté motrice en nous est, durant cette vie, inorganique, c'est seulement en ce sens que notre volonté, qui est inorganique, commande chacun de nos mouvements locaux ; mais ces mouvements procèdent de notre faculté motrice organique par laquelle ils sont mis en exercice, aucun mouvement local ne pouvant avoir lieu sauf par le moyen de nos organes corporels.

5. On ne peut davantage faire appel à une motricité inorganique qui serait latente au plus intime de notre âme, et inopérante pendant la vie actuelle, mais qui se mettrait en action dès que l'âme est séparée du corps. Une telle supposition, inventée par les opposants de la doctrine thomiste, pourrait peut-être se soutenir si, comme le veulent certains philosophes, notre âme était unie à notre corps à la manière dont un ressort est uni à la roue qu'il met en mouvement, et s'il existait, dans la substance de l'âme, une certaine forme corporelle qui servît de lien entre elle et le corps.

Mais cette opinion contredit ouvertement le principe fondamental de l'union de l'âme avec le corps dont elle est essentiellement la forme. En vertu de ce principe, l'âme meut le corps immédiatement et formellement par elle-même, puisqu'elle est unie au corps comme une forme l'est à la matière qui est sienne et qui constitue avec elle une seule substance complète. Il est donc impossible que l'âme mette en mouvement aucun corps autre que le sien, et elle ne peut d'ailleurs mouvoir celui-ci que lorsqu'elle lui est formellement unie, c'est-à-dire pendant la vie présente ou après la résurrection.

6. Les partisans de l'école que nous venons de nommer insinuent encore qu'il appartient aux âmes séparées de gouverner les hommes vivant sur la terre, afin de les porter au bien et de les écarter du mal. Or, pour ce faire, ces âmes doivent être douées du pouvoir de mouvoir les corps localement, pour qu'elles puissent apparaître aux hommes sous des formes empruntées.

Mais cette opinion ne peut pas davantage se soutenir, car selon l'enseignement de l'Église, la mission de gouverner le monde raisonnable aussi bien que le monde privé de raison appartient en propre aux anges qui, s'ils sont bons, agissent comme ministres de Dieu pour le bonheur de la race humaine, et s'ils sont mauvais, ont la permission de nous tenter, afin que, en résistant à leurs suggestions, nous puissions recevoir un accroissement de vertu et de grâce.

7. Enfin ces mêmes adversaires de l'école thomiste font appel à l'état de l'âme humaine après la résurrection du corps. Nos corps, disent-ils, acquerront alors le don d'agilité, par laquelle notre âme sera capable de transporter à volonté, d'une manière inorganique, ce corps qui est nôtre d'un lieu à un autre, et cela, ajoutent-ils, est un transfert inorganique tel précisément que nous le proclamons accompli par les anges.

Nous répondons à ceci que le don d'agilité chez les Saints, après la résurrection, ne peut en aucune manière s'expliquer par le moyen d'une action inorganique, puisque la vie sensitive leur sera rendue alors dans toute sa plénitude. L'âme, après la résurrection, mettra son corps en mouvement par l'entremise de ses organes, comme c'est le cas dans la vie présente, la seule différence étant que le corps obéira alors entièrement au commandement de l'âme, se prêtant de lui-même à suivre avec promptitude et sans la moindre difficulté tous les mouvements et toutes les directions de l'âme.

Disons donc, pour conclure, que la philosophie thomiste, qui en fin de compte exprime fidèlement la doctrine catholique, rejette entièrement l'idée que les âmes séparées possèdent un pouvoir direct sur les éléments de la matière corporelle.


III. - Les Phénomènes spirites ne Peuvent être attribués à l'action des âmes séparées

1. Si l'âme séparée du corps ne peut, par son pouvoir naturel, mettre en mouvement les éléments de la matière corporelle, que dirons-nous, touchant les nombreux phénomènes ayant lieu dans les séances spirites, où l'on voit des objets mus apparemment d'une manière spontanée ? Le transfert de corps d'un lieu à un autre, les bruits mystérieux provenant spontanément de chaises, de tables ou d'instruments de musique, l'ouverture automatique de portes et de fenêtres, et tant d'autres phénomènes si souvent rapportés et parfaitement attestés, peuvent-ils être attribués à l'action d'âmes séparées ? Si non, à quelle cause devons-nous les attribuer ?

Nous répondons qu'il est impossible de rattacher ces phénomènes à l'action des âmes des défunts, vu que de tels effets sont absolument en dehors de leur pouvoir naturel, bien qu'ils ne soient pas, comme nous l'avons dit, en dehors du pouvoir des substances angéliques dont l'action sur le mouvement local des corps ne peut être mise en doute.

2. La même réponse s'applique aux phénomènes connus sous le nom de matérialisation des esprits, tel que la formation, par le moyen des éléments subtils dont abonde la nature, des traits d'une personne décédée, formation réalisée de telle sorte que ces traits sont susceptibles d'être reproduits par la photographie. Il faut dire la même chose des réponses intelligentes données à des questions précises, réponses octroyées au moyen de coups conventionnels ou de l'écriture ordinaire. La même remarque s'applique, en général, à tous les phénomènes de même nature, tels que la télépathie ou la clairvoyance. Étant donné que ces phénomènes surpassent les pouvoirs de l'âme séparée, qui non seulement est incapable de produire ces `signes sensibles, mais est aussi naturellement ignorante des choses ainsi communiquées, nous concluons qu'aucun de ces phénomènes ne peut être attribué à l'action de l'âme séparée.

3. Mais s'il en est ainsi, peut-on demander, qu'avons-nous à dire de ces apparitions des morts dont nous trouvons de nombreux exemples rapportés dans l'histoire ? De tels phénomènes sembleraient à la vérité comporter, de la part d'âmes désincarnées, le pouvoir de mettre en mouvement et de transporter des éléments matériels d'un lieu à un autre, en vue de s'en servir pour la réalisation de leurs desseins. Ceci est un point que nous devons étudier avec un soin particulier.


IV. - Apparitions des morts

1. Nous avons dit que les âmes séparées du corps ne possèdent, naturellement, aucun pouvoir sur les éléments matériels. Nous n'avons nullement, par là, l'intention de mettre en doute et encore moins de nier les apparitions occasionnelles des morts dans ce monde visible. Sans discuter l'authenticité de chaque apparition de ce genre, nous admettons, en principe, non seulement la possibilité pour les âmes des trépassés d'apparaître aux vivants, mais nous prétendons en outre que des cas de ce genre, vrais et reconnus authentiques, ont réellement existé. La question est donc de savoir comment s'explique ce phénomène à la lumière de la philosophie chrétienne.

2. Nous devons, tout d'abord, admettre la possibilité, pour une âme séparée, qu'elle soit sauvée ou perdue, d'apparaître en personne, toutes les fois qu'il peut plaire à l'Auteur de la nature d'accorder à cette âme, par une intervention miraculeuse, le même pouvoir que possèdent les anges sur les éléments matériels. L'âme séparée, dans ce cas, se formerait, avec ces éléments, un corps visible, dans lequel elle apparaîtrait et par lequel elle se mettrait en communication avec les vivants.

3. Ceci n'implique aucune contradiction. De même que Dieu peut suspendre les propriétés d'une substance déterminée, de même peut-il donner à une substance des propriétés supérieures à sa nature. Il peut ainsi annexer à l'eau la propriété de la solidité, ou celle de la dureté à l'air et de la légèreté à la pierre. Il peut donner au feu une qualité réfrigérante, comme ce fut le cas lorsque les trois jeunes hommes ayant été jetés dans la fournaise de Babylone, les flammes eurent pour eux l'effet d'une brise caressante.

Dieu peut donc donner à une âme séparée le pouvoir de mettre en mouvement les éléments matériels et de les unir ensemble de façon à former un corps semblable au nôtre. C'est de cette façon que l'on interprète ordinairement l'apparition de Moise sur le Mont Thabor en compagnie de Notre Seigneur et du prophète Élie.

Cette concession d'un pouvoir surnaturel n'implique aucun changement substantiel dans la nature intrinsèque de l'âme humaine. L'âme demeure ce qu'elle était, mais elle reçoit de Dieu, Auteur de toutes choses, un pouvoir supérieur à ses forces, en vertu duquel elle produit des effets que d'elle-même elle serait incapable de réaliser.

4. Nous devons noter, toutefois, que l'on peut très bien aussi concevoir les apparitions des âmes des morts comme ayant lieu d'une autre manière plus conforme à l'ordre naturel des choses. On peut les considérer comme dues à l'instrumentalité des anges qui sont capables de reproduire la ressemblance matérielle d'une personne, vivante ou morte, et peuvent parler et agir, dans un corps ainsi formé, exactement comme le firent ou l'auraient fait les personnes ainsi représentées. Et les anges pouvant, dans une certaine mesure, arriver à connaître les pensées des défunts, ils peuvent de même communiquer de cette façon ces mêmes pensées aux vivants, agissant ainsi comme médiateurs entre les vivants et les âmes des trépassés.

En outre, de même qu'un ambassadeur est supposé parler au nom de son prince qu'il représente, de même un ange qui représente l'âme d'un défunt et parle en son nom, peut, dans un certain sens, se présenter comme étant cette personne même. Il pourra donc répondre à l'appel de son nom. Nous disons : dans un certain sens, car, en fait, jamais un ambassadeur ne serait autorisé à s'identifier avec son prince au point de faire croire à d'autres qu'il est ce prince lui-même, ce qui serait une véritable imposture. Ainsi donc un ange apparaissant au nom d'une personne décédée, peut, sans s'identifier avec elle, répondre lui-même avec sincérité à l'appel qui est fait de cette personne.

Il faut tenir présentes à l'esprit toutes ces observations quand on raisonne sur les apparitions matérialisées qui se produisent au cours des séances spirites.

5. Mais pour décider de quelle manière et jusqu'à quel point les apparitions des morts peuvent être attribuées à l'action des anges, nous avons, en premier lieu, à faire une distinction entre les différentes classes d'anges, distinction qui sera expliquée plus au long au cours des chapitres suivants.

Certains anges sont bons, d'autres sont déchus de leur premier état et sont devenus moralement pervers. Les premiers sont amis de Dieu et n'agissent jamais dans ce monde visible que sur son ordre ; les mauvais anges, au contraire, sont en état de rébellion contre Dieu et agissent habituellement de leur propre initiative. Les premiers sont comme les ambassadeurs de leur suprême Seigneur ; les autres, au contraire, se réservent toute la responsabilité de leurs actions, bien qu'ils soient parfois contraints d'agir comme ministres de la justice divine.

Rappelons-nous, en outre, que toute intervention extraordinaire de la Divinité dans la marche de la nature a pour objet une fin surnaturelle, c'est-à-dire une fin qui surpasse toutes les forces créées.

6. Il suit de là que les effets visibles, dépassant la marche ordinaire de la nature, produits par les bons anges, sont toujours accomplis par eux sur un ordre divin et par l'action divine, et par conséquent sont tous de vrais miracles ; tandis que les effets produits par les mauvais anges sont dus ordinairement à leur action privée et par conséquent ne sont pas de vrais miracles, puisqu'ils ne dépassent pas les forces de la nature. Nous pouvons donc dire que les apparitions des morts sont toujours des miracles quand elles ont lieu par le ministère des bons anges et qu'elles n'en sont pas quand elles sont dues à l'action des mauvais anges, à moins que ceux-ci n'agissent d'après un commandement exprès de Dieu.

7. Mais c'est là une vérité qui appelle une explication plus complète. La solution, en effet, de la question : si les apparitions des morts ou autres manifestations spirites peuvent être ou ne pas être considérées comme de vrais miracles, dépend de cette autre question : ces apparitions ou manifestations ont-elles pour auteurs les bons ou les mauvais anges ?


V. - Différentes sortes d'apparitions des morts

1. Nous devons ici, pour la solution du doute exposé, introduire une distinction entre les âmes sauvées et les âmes damnées, distinction qui sera l'objet d'une explication plus complète dans le chapitre suivant. Il nous faut aussi nous rappeler la différence qu'il y a entre les bons et les mauvais anges. Deux cas distincts sont à considérer : l'apparition des âmes sauvées et, deuxièmement, celle des âmes damnées.

En ce qui concerne le premier genre d'apparitions, il est bien évident que celles-ci ne peuvent avoir lieu que par l'office des bons anges; de même, le second genre d'apparitions ne peut être dû qu'aux mauvais anges, car il serait nettement inconcevable qu'une représentation de saintes âmes fût faite par les démons, ou de damnés par les saints anges.

2. Examinons d'abord le cas d'apparition d'une âme sauvée ayant lieu, comme nous l'avons dit, par le ministère d'un bon ange. La théologie catholique reconnaît, dans une telle manifestation, la présence d'un vrai miracle, c'est-à-dire d'une œuvre dont la cause principale est Dieu qui, dérogeant aux lois de la nature, forme, par le ministère de ce bon ange, la ressemblance corporelle d'une âme sainte ayant quitté la terre. De telles formations, il est vrai, n'excèdent pas par elles-mêmes l'étendue du pouvoir d'un ange, et considérées dans leur nature, elles ne seraient pas des miracles. Ce qui, en réalité, constitue le miracle, c'est le fait que les bons anges ne dérogeant aux lois de la nature que sur l'ordre de Dieu et précisément pour la fin surnaturelle qu'il a en vue, agissent formellement comme ses ministres et comme les instruments de sa volonté. L'œuvre accomplie par eux doit donc être attribuée à Dieu comme à l'auteur principal, ce qui est exactement le cas dans les miracles.

3. Peut-on dire la même chose des apparitions des damnés produites par l'action des mauvais anges ?

Il faut tout d'abord observer que ce serait une erreur de conclure du fait que les mauvais anges prétendent représenter une personne en particulier, que cette personne doit en réalité compter parmi les âmes perdues. C'est la caractéristique des anges déchus de fausser la vérité autant qu'il est en leur pouvoir. Il se peut donc très bien, et c'est souvent le cas, qu'ils affirment, dans les apparitions suscitées par eux, la présence d'une personnalité connue, d'une haute élévation morale, alors que rien n'existe de ce genre, les manifestations étant, du commencement à la fin, une pure supercherie.

C'est ainsi que les grandes et nobles figures des Papes Pie IX, Léon XIII, Pie X, des cardinaux Newman, Manning et Vaughan et d'autres insignes personnages, sont souvent évoquées dans les séances spirites. Or ce serait une erreur d'en conclure que ces séances étant inspirées par l'action des mauvais anges, les personnes ainsi représentées doivent être comptées parmi les damnés. En vérité il peut très bien se faire que non seulement ces personnes ignorent complètement ces apparitions, mais que ces apparitions elles-mêmes soient en opposition directe avec leur volonté. De telles manifestations ne sont donc autre chose que mensonge et duperie.

4. Nous pouvons maintenant examiner le cas où un ange déchu choisit de son propre chef de représenter vraiment, comme ambassadeur, non une âme sauvée, ce qui est impossible, mais une âme perdue, qui partage sa damnation et ses tourments sans fin. En ce cas, l'esprit déchu serait l'agent principal de l'apparition, non, bien entendu, sans la permission de Dieu, mais toutefois sans son ordre. Une telle apparition ne serait donc pas un miracle, puisque dans tous les miracles, Dieu est le principal agent et la créature un simple instrument. Nous ne pouvons jamais, toutefois, avoir les moyens d'identifier de telles apparitions, vu que le démon est un esprit de mensonge et que nous ne saurions concevoir quel avantage il pourrait tirer d'une déclaration sincère de ce qui se produit en réalité.

5. Mais le cas prend un aspect différent si nous considérons ces apparitions comme ordonnées par Dieu qui, pour un sage dessein, peut commander à l'un ou à l'autre des mauvais esprits de produire, au moyen d'éléments sensibles, l'apparition d'une âme damnée, lui enjoignant en même temps de nous manifester, pour notre conduite, son état et ses pensées.

Bien que la formation d'un corps humain ne soit pas au-dessus du pouvoir des anges déchus et bien que ces anges puissent connaître les pensées et les sentiments des âmes damnées, dès l'instant que Dieu ordonne à l'un d'eux de prendre la ressemblance d'une de ces,âmes et de manifester ainsi son état pour sa plus grande gloire et aussi pour le salut de l'homme, une telle apparition, si elle a lieu, doit être tenue pour un véritable miracle. Il n'y a pas lieu de répugner à cette idée que les anges déchus peuvent eux-mêmes, non moins que les bons anges, devenir les instruments de Dieu dans l'accomplissement de miracles, car ils sont, comme ceux-ci, ses ministres dans le gouvernement du monde, contraints d'exécuter ses ordres, et de servir, à leur façon, la cause de la gloire divine. Mais alors ces esprits déchus ne pourraient mentir, obligés qu'ils seraient de dire la vérité, puisqu'ils agiraient dans ce cas comme serviteurs du Dieu de vérité.

6. Un autre cas existe encore où les démons peuvent agir comme ministres de Dieu dans la production du miracle et c'est quand, en son nom, ils infligent à l'homme, durant cette vie, des châtiments spéciaux. Ils sont, dans ce cas, contraints d'obéir à l'ordre que Dieu leur a donné et coopèrent ainsi à la fin surnaturelle qu'Il a en vue en infligeant de telles punitions.

7. Les apparitions authentiques des morts, quel que soit le point de vue où l'on se place pour les examiner, ne peuvent donc avoir lieu que par une dérogation spéciale aux lois de la nature et sont, par conséquent, de vrais miracles. Il s'ensuit qu'admettre toutes les matérialisations spirites, dont on ne compte plus le nombre, comme autant de manifestations authentiques des morts voulues par Dieu, serait admettre des interventions miraculeuses de la toute-puissance divine, telles que non seulement elles surpasseraient tout ce que les Saintes Écritures nous enseignent sur ces interventions extraordinaires, mais au delà de ce que peut concevoir un esprit normal et réfléchi.

Il sera bon toutefois que nous montrions plus clairement encore comment il est absolument impossible que les manifestations spirites soient ordonnées ou commandées par Dieu et soient des miracles, et comment elles ne peuvent par conséquent être considérées comme de réelles apparitions des morts.


VI. - Les manifestations spirites ne sont pas des miracles

1. L'hypothèse que les apparitions des séances spirites, attribuées à l'action d'âmes séparées de leur corps, mais qui sont en réalité, l'œuvre de purs esprits, sont de réels et vrais miracles, ne peut se soutenir, pour diverses raisons.

Nous signalerons, en premier lieu, la fréquence anormale de ces manifestations extraordinaires. Il est admis en effet que l'une des caractéristiques des vrais miracles est leur rareté. Un miracle est la suspension momentanée des lois de la nature, et comme la sagesse de Dieu garantit de tout dérangement l'ordre de la nature, sauf pour une cause adéquate, c'est-à-dire pour un motif surnaturel, on ne peut s'attendre à ce que les miracles aient lieu très fréquemment comme c'est le cas pour les apparitions ou matérialisations d'esprits.

2. En second lieu, les circonstances particulières dans lesquelles ont lieu les apparitions rendent encore plus improbable cette idée qu'elles sont une œuvre divine. Il est vrai que parfois, Dieu, répondant aux ardentes supplications des hommes, suspend momentanément les lois de l'ordre naturel et ordonne à ses anges de faire réapparaître en ce monde quelque trépassé ; mais ceci n'a jamais lieu et en réalité ne pourrait jamais se vérifier, sinon dans des circonstances d'une moralité claire et évidente et pour un bien d'ordre supérieur. Or le but moral, en vue d'un bien surnaturel à procurer ou à promouvoir, est précisément ce qui manque à ces manifestations des cercles spirites.

3. De plus, les miracles, en général, sont une réponse à la prière intense et jaillie du cœur; ils ont pour but de manifester l'un ou l'autre des attributs infinis de Dieu : sa bonté, sa justice, sa sagesse, sa sainteté ; ils encouragent chez les hommes la pratique de la vertu et les poussent à rechercher avec zèle ce qui est saint et pur. D'autre part les circonstances qui accompagnent les apparitions des séances spirites sont ordinairement d'un caractère des plus frivoles, le but poursuivi étant simplement de satisfaire à une curiosité malsaine. D'ailleurs les médiums, agents de ces phénomènes, ne sont pas toujours au dessus de tout soupçon. Aux réponses qu'ils donnent, le mensonge et la contradiction se mêlent souvent à des éléments véridiques et les pratiques elles-mêmes ne sont pas sans danger pour le corps et pour l'âme.

4. Ajoutons que les miracles étant uniquement l'œuvre de la libre volonté de Dieu, nous ne pouvons jamais être sûrs, si intenses que soient nos supplications et nos prières, que le plus léger miracle y répondra. Dans le spiritisme, au contraire, la simple présence d'un médium doué du pouvoir nécessaire suffit pour que se produise une variété de manifestations des plus extraordinaires et des plus surprenantes. Si nous considérons en outre le fait que des actes d'immoralité d'une nature très évidente accompagnent trop souvent ces exhibitions, il devient clair qu'elles ne peuvent être l'œuvre d'un Dieu trois fois saint.

5. Or, si les manifestations spirites ne sont pas des miracles, elles doivent être jugées comme n'ayant pas lieu par l'ordre de Dieu, mais simplement par sa permission. L'ordre de Dieu n'a jamais pour objet que ce qui est essentiellement bon, tandis que sa permission comprend le mal moral, bien qu'il sache, dans son infinie sagesse, le faire tourner, en dernier ressort, à sa plus grande gloire, c'est-à-dire, au bien moral par excellence. Ces manifestations ne doivent donc pas être attribuées aux bons anges qui n'agissent que sur l'ordre de Dieu, mais aux esprits déchus, comme nous le ferons voir plus en détail.

Ce que nous venons de dire regarde particulièrement les apparitions ou manifestations des morts obtenues par le moyen des pratiques spirites.

6. En ce qui concerne les différentes sortes de phénomènes dus à ces pratiques, nous avons déjà fait remarquer qu'il faut les regarder comme étant au delà du pouvoir de l'âme désincarnée. Quand ils sont de nature intellectuelle, ils dépassent de beaucoup l'étendue de sa connaissance; quand ils sont d'ordre psychologique ou mécanique, ils sont au delà de son pouvoir d'opération.

D'autre part il a été montré, dans les paragraphes précédents, que ces phénomènes, en tant qu'ils comportent la révélation de choses ou d'événements inconnus et supposent l'action d'une force mystérieuse opérant dans les séances spirites, doivent être attribués à des êtres angéliques. La conclusion s'impose donc à nous que ces êtres angéliques doivent être tenus pour responsables de la production de ces divers phénomènes, car, outre les purs esprits et les âmes désincarnées, il n'existe pas d'autres agents invisibles, auxquels ces effets puissent être attribués.

7. Or, puisque les substances angéliques ne sont pas toutes d'un même caractère de bonté morale, et puisque d'autre part les phénomènes spirites s'accompagnent de circonstances qui font soupçonner chez leurs auteurs un niveau de moralité douteuse, il devient nécessaire que nous déterminions plus particulièrement à quelle classe ou à quel ordre de substances angéliques ces effets doivent être attribués, et quel est le dessein de ces esprits, lorsqu'ils donnent naissance à une telle variété de phénomènes extraordinaires.

8. Pour dissiper tout malentendu, nous devons insister de nouveau auprès du lecteur sur ce fait que nous nous occupons ici du spiritisme proprement dit, c'est-à-dire des pratiques qui visent à obtenir de nouvelles informations par le commerce avec les âmes des morts. Nous ne voulons d'aucune façon déprécier les efforts faits par les savants de tous temps et spécialement du siècle présent en vue de parvenir à des découvertes nouvelles et utiles au moyen de recherches physiques, menées avec patience et sagesse. Nous leur devons, au contraire, des remerciements pour l'accroissement de richesses intellectuelles que leurs recherches ont procuré à l'humanité. Nous savons tous de quels résultats splendides ont été couronnés leurs labeurs. Mais à toutes ces découvertes il y a eu des causes naturelles en rapport avec les effets désirés.

D'autre part, prétendre que nous pouvons légitimement prévoir un agrandissement du domaine de la science en entrant en communication directe avec les âmes des trépassés, équivaut à détruire le rapport naturel de cause à effet.Une telle prétention est une perversion de l'ordre de la nature. La disproportion entre l'objet visé et les moyens adoptés pour l'atteindre est précisément ce que nous nous proposons d'examiner dans le chapitre qui suit.



TROISIÈME PARTIE - LES PHÉNOMÈNES SPIRITES EXAMINÉS PAR RAPPORT AUX ÊTRES ANGÉLIQUES ET A LA PERSONNE SACRÉE DE N.-S. JÉSUS-CHRIST

1. De ce que nous avons dit dans les précédents chapitres, on aura vu que les phénomènes spirites dont nous nous occupons ne peuvent être attribués comme à leur vraie cause efficiente, ni aux âmes désincarnées ni à une sorte de fluide magnétique, ces deux sortes d'agents étant tout à fait incapables de produire de tels effets. Ils ne peuvent, d'autre part, être attribués à l'action immédiate de Dieu, que l'on ne peut supposer agir comme un simple instrument entre les mains de ses créatures. Nous devons donc chercher en dehors de ces facteurs un agent qui soit capable de produire les phénomènes en question.

2. Quelle est cette cause ? C'est ce que nous allons maintenant rechercher. Au cours de notre enquête nous nous proposons d'examiner d'abord la nature des pratiques spirites et, en second lieu, les différentes classes d'êtres angéliques. Ainsi serons-nous à même de résoudre la question concernant la nature des substances spirituelles auxquelles doivent être attribués ces phénomènes et de montrer en même temps quelle est la moralité des pratiques spirites.

3. Mais comme le résultat final des manifestations spirites se trouve dans la promulgation, de la part des esprits, d'un nouveau Credo qui, dit-on, doit remplacer l'enseignement traditionnel conservé et prêché par l'Église Catholique, nous aurons à explorer rapidement ce nouveau Credo, du moins dans ses grandes lignes. Nous ajouterons aussi une réfutation des théories de ceux qui voudraient nous faire croire que le spiritisme fut pratiqué par notre Sauveur Jésus-Christ lui-même, qu'ils n'ont pas honte de considérer comme un médium extraordinaire, le chef et le maître de tous les médiums d'une haute puissance, tels qu'auraient été surtout ses premiers disciples.

4. Tandis que la vérité est prudente dans ses recherches et lente dans ses affirmations, c'est la propriété de l'erreur de ne reculer devant aucune invention, si audacieuse qu'elle soit. Le devoir d'un ami de la vérité est de la démasquer



CHAPITRE I - NATURE DES PRATIQUES SPIRITES

1. Une étude attentive de la nature et des propriétés des substances angéliques nous a conduits à la conclusion que, mise à part la question de leur qualité morale, ces êtres spirituels sont capables de produire tous les effets se vérifiant dans les séances spirites. Leur connaissance des secrets de la nature et des événements de la vie présente étant d'une si vaste étendue, et leur pouvoir par rapport au transfert local des éléments de la matière étant si grand, les divers phénomènes spirites n'excèdent pas les limites de leurs pouvoirs naturels.

La question qui se présente maintenant est donc celle-ci : Ces êtres spirituels ont-ils la volonté de produire ces phénomènes et, acquiesçant au désir de l'homme soucieux de communiquer avec le monde invisible, produisent-ils ces changements merveilleux dans l'univers visible, changements qui dépassent les événements ordinaires de la nature ?

2. Pour trouver la réponse exacte à cette question, nous aurons à examiner deux choses. Premièrement : que doit-on dire de ce désir que certains peuvent avoir de communiquer avec le monde invisible ? Et, deuxièmement, quel est le caractère moral attribuable à ces manifestations, surtout quand on les considère par rapport à la libre volonté qu'exerce l'homme dans la poursuite de ces pratiques.

D'autre part, comme l'une des conditions essentielles pour la plupart des manifestations spirites est la présence et l'action d'un « médium », nous aurons à rechercher également sous quel jour nous devons considérer ces pratiques en tant qu'elles concernent le médium, et quel est le rapport de celui-ci avec ces mêmes pratiques. Cela nous fournira l'occasion de discuter brièvement un incident rapporté dans les Saintes Écritures, savoir l'évocation de l'âme de Samuel sur l'ordre de la pythonisse d'Endor.

3. Toutefois, pour comprendre nettement quelle est la nature morale des pratiques spirites, nous en ferons un bref examen, les classant et montrant qu'elles diffèrent essentiellement des effets qui sont uniquement l'œuvre de l'imagination. Il sera facile alors de passer à la question qui nous intéresse spécialement, savoir : si le désir d'entrer en communication directe avec le monde invisible au moyen de ces manifestations spirites est en harmonie avec les données de la justice et de la morale.


I. - Pratiques voisines du spiritisme

1. Bien que nous nous occupions ici principalement du spiritisme et de ses phénomènes, ce que nous allons dire s'applique également à d'autres pratiques occultes voisines du spiritisme, telles que le magnétisme, l'hypnotisme et les tables tournantes, vu que ces pratiques prétendent nous mettre en communication avec les habitants de l'autre monde.

Considérées sous cet aspect, ces diverses pratiques ont bien une différence d'origine, mais non de nature, puisqu'elles tendent toutes au même but : le commerce avec le monde invisible.

Elles sont en outre une reproduction, sous une forme moderne, de ce qui a été connu et pratiqué à toutes les époques de l'histoire du monde. Les augures, les aruspices, les auspices et les présages des anciens Romains, le pythonisme de la Grèce, l'astrologie, la géomancie, l'aéromancie, l'hydromancie, la pyromancie et la rabdomancie du moyen âge et enfin l'art plus récent de la divination par les cartes et les lignes de la main, ont, avec le spiritisme et autres pratiques modernes, une finalité commune, c'est-à-dire la prétention de connaître la vérité cachée par l'entremise d'âmes désincarnées, ce qui constitue, à proprement parler, le péché de superstition.

2. En ce qui concerne l'astrologie, dont le nom classique est astrologia judiciaria, forme de superstition frappée d'une condamnation spéciale de l'Église, il sera bon d'observer que les théologiens catholiques n'ont jamais nié l'influence des corps célestes sur les perturbations atmosphériques. Ils ont volontiers admis tout ce que la science peut nous dire de l'influence physique qu'exercent ces agents sur les marées et les saisons, sur la croissance des plantes, sur le système nerveux et sur des formes particulières de maladies humaines échappant au contrôle de la recherche médicale. Ils vont même jusqu'à accorder, ce qui pourra peut-être sembler excessif, que cette influence peut s'étendre jusqu'aux facultés sensitives de l'homme et déterminer, dans sa nature animale, une disposition particulière à certaines passions, telles que la jalousie, la lubricité ou la colère. Ce que l'Église a condamné dans l'astrologie, c'est la tentative de découvrir, par ce moyen, quels événements dépendant du libre arbitre pourront avoir lieu dans l'avenir, comme si la volonté de l'homme était nécessairement déterminée par l'influence des corps célestes et comme si Dieu n'était pas libre d'agir dans l'âme humaine comme il lui plaît, indépendamment de ces événements.

3. La même observation s'applique aux pratiques mentionnées ci-dessus. Ce que l'Église condamne en elles est leur abus, non leur usage juste et légitime, si l'on peut parler ainsi de quelques-unes d'entre elles. L'Église approuve ces pratiques dès lors qu'elles n'exigent aucune sorte de pacte avec les esprits du monde invisible, et que leur résultat peut servir à un dessein utile et louable.

4. Or, tandis que le but final de toutes les pratiques occultes modernes est identique, c'est-à-dire la communication avec l'autre monde, une différence existe dans les diverses formes employées à cette fin. Parfois la communication est recherchée au moyen d'objets matériels, comme c'est le cas des tables tournantes ; parfois le médium dont on se sert est une personne vivante, jouissant du libre usage de ses sens ou plongée dans un état de léthargie cataleptique, cette dernière condition étant procurée par le magnétiseur ou l'hypnotiseur et d'un usage ordinaire dans les pratiques spirites.

Dans ces cas, la personne magnétisée ou hypnotisée devient soumise à un état de sommeil artificiel ou de transe accompagné d'un travail très actif de l'imagination et de spasmes nerveux.

5. D'autre part, le pacte avec les esprits du monde invisible peut être soit explicite, c'est-à-dire formulé par la parole, par l'écriture ou par d'autres signes extérieurs, soit implicite, c'est-à-dire réalisé par le simple consentement de la volonté sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à des expressions extérieures. Ce consentement de la volonté peut, bien entendu, être donné, même si la personne proteste extérieurement qu'elle ne désire entrer en aucune sorte de communication avec les puissances des ténèbres.

6. Il est nécessaire de bien se mettre dans l'esprit les façons multiples dont peuvent se développer les pratiques spirites. Car, tandis que la vérité est une, l'erreur est multiple et, comme telle, se présente sous d'innombrables formes, dont chacune lui sert comme d'un moyen pour se dissimuler. Quand éventuellement nous la découvrons sur un point et la mettons en fuite, elle se réfugie sans tarder sur un autre point, d'où l'on doit à nouveau la déloger. D'où l'absolue nécessité de connaître tous les endroits où elle se cache et de l'en chasser de telle sorte que l'on arrive à rendre vains tous ses efforts et à faire échec à son influence.


II. - Classification des phénomènes

1. Les phénomènes que nous examinons sont si variés dans leur forme et leur caractère, qu'il est difficile de les ramener tous à des classes bien distinctes. Nous pouvons toutefois les grouper en trois catégories.

Dans la première nous placerons les phénomènes d'ordre intellectuel, tels que l'illumination de l'esprit ou de l'intellect appelée clairvoyance, ou vision mentale d'objets situés à distance du voyant ; la révélation d'événements cachés ; la manifestation des pensées secrètes d'une autre personne ; le diagnostic de maladies corporelles, l'indication de leur cause et de leur remède ; la lecture d'écrits cachés de diverses façons, par exemple, enfermés dans un pupitre ; les phénomènes de psychométrie, terme qui désigne le pouvoir de découvrir l'origine, le mode de fabrication et, en général, toutes les vicissitudes que peut avoir eues un objet particulier, tel qu'un crayon, un canif, une canne, un portrait, etc.

2. Dans la seconde catégorie, nous grouperons les phénomènes que nous pouvons appeler physiologiques, parce qu'ils sont en rapport spécial avec l'ordre végétatif ou sensitif, tels que l'accélération de la végétation, la suspension des fonctions vitales permettant à un homme de vivre un certain temps sans boire ni manger, et même sans air respirable ; la perte soudaine de la mémoire ; l'accélération de la respiration et de la circulation du sang ; l'apparition de mouvements fibrillaires et convulsifs ; l'exécution, pendant l'hypnose, d'un plan suggéré mentalement par une autre personne ; la clairaudience ou faculté de percevoir des sons hors de portée de l'ouïe ; la formation soudaine de gonflements ou d'excroissances sur une partie déterminée du corps ; l'insensibilité totale ou partielle et même la rigidité complète des membres ; l'aorasie ou cécité momentanée ; l'allongement spontané du corps humain ; le contact sans brûlure avec un fer chaud ; la faculté de parler des langues inconnues ; la vision d'un objet placé en contact immédiat avec une partie quelconque du corps, etc.

3. En ce qui concerne ce dernier phénomène, on doit observer que la vision dont il vient d'être parlé n'a pas lieu, comme certains l'ont imaginé, par la transposition des sens, de telle sorte que, par exemple, le sens de la vue soit transféré aux doigts, aux genoux ou aux oreilles, ou que le sens de l'ouïe ou du toucher devienne l'organe de la vue (chose intrinsèquement impossible) ; mais ce phénomène a lieu en tant que le sens de la vue, par exemple, subit l'action des puissances occultes au point de présenter, comme une réalité objective, ce qui n'est qu'une modification subjective du sens lui-même, phénomène dont plusieurs exemples sont rapportés dans la Sainte Écriture .

4. En ce qui concerne le phénomène spirite consistant dans la faculté de parler des langues inconnues, nous devons noter qu'il est grandement différent du don des langues, nommé glossolalie , dont saint Paul fait mention quand il énumère les neuf genres de dons qu'en théologie on appelle gratiae datis datae. Ces dons sont l'œuvre du Saint-Esprit dans certaines âmes, pour le bien commun de toute l'Église, comme nous le constatons dans ce qui advint aux Apôtres le jour de la Pentecôte, miracle qui, d'ailleurs, a été renouvelé au cours des âges.

On ne peut trop insister sur cette différence, parce que le don de parler diverses langues, tel qu'il est parfois accordé par Dieu, porte toujours avec lui quelque utilité surnaturelle pour les auditeurs, en rapport avec la diversité des hommes auxquels la parole est adressée. En outre, celui qui bénéficie de ce don a généralement la claire compréhension de ce qu'il dit. Au contraire, les personnes que l'esprit de ténèbres fait parler des langues inconnues ont coutume d'émettre machinalement des sons sans rien comprendre à ce qu'elles disent, et les auditeurs, la plupart du temps, ne perçoivent pas eux-mêmes le sens des paroles proférées. En tout cas, ce genre de locution est sans avantage surnaturel pour les auditeurs.

5. Dans la troisième catégorie nous placerons les phénomènes mécaniques, qui consistent en quelque changement dans les éléments de ce monde. De ce genre sont : la production soudaine de lumière, de chaleur, d'odeur et de son ; le transfert d'objets d'un endroit à un autre ; la formation de visages, de membres ou même d'un corps humain tout entier ; l'écriture automatique ou par le moyen de la planchette ; des inscriptions sur des feuilles de papier enfermées dans une boîte ou dans un pupitre, ou cachées parmi d'autres objets ; des changements subits de température ; l'écholalie ou la reproduction exacte (semblable à celle du phonographe) et par l'organe vocal du médium, de paroles ou de sons musicaux ; l'attraction ou la répulsion d'une personne magnétisée ; la lévitation ou élévation de corps organiques ou inorganiques ; l'altération du poids des corps ou du volume des liquides et autres phénomènes de même ordre.

Tels sont les principaux phénomènes provoqués par les pratiques spirites et occultistes dans les trois règnes de l'intelligence, de la vie sensitive ou végétative, et des forces physiques et chimiques.

6. Ce qu'il faut noter avec soin c'est que ces phénomènes ne sont pas tous produits par une seule et même cause immédiate. Les tables tournantes, par exemple, ne sont pas un phénomène supposant le pouvoir de produire une altération dans le corps d'un homme, et beaucoup moins encore d'illuminer directement son esprit ou de mouvoir sa volonté. De plus, ces phénomènes n'ont pas toujours lieu de la même manière et dans les mêmes formes. L'irrégularité est, du reste, une caractéristique de ces diverses pratiques traduisant, chez leur auteur, une disposition à la légèreté et au caprice. Il y a néanmoins avantage à classer les différents phénomènes dans l'une ou l'autre des trois catégories que nous venons de décrire. Le lecteur est ainsi mis à même de voir d'un coup d'œil si l'effet produit est une modification 1) de la matière sensible, ou 2) des organes végétatifs et sensitifs de l'homme, ou encore 3) de son intelligence et de sa volonté.

7. On observera en outre qu'aucune classification de ces phénomènes ne saurait prétendre à la précision parfaite. Les effets psychologiques et physiologiques que nous étudions ici ne sont pas produits sans quelque changement mécanique dans la constitution humaine et ces deux effets peuvent quelquefois se réaliser dans un seul et même phénomène. C'est ainsi que lorsque la langue est mise en mouvement pour proférer des assertions concernant des choses ou des événements inconnus, ou pour parler une langue étrangère, l'esprit est quelquefois, mais non toujours, instruit à comprendre ce que la langue articule, et par suite le phénomène psychologique ou intellectuel est uni au phénomène physiologique.

8. En réalité, la multiplicité des effets auxquels donnent naissance les pratiques spirites, la variété des formes qu'ils sont susceptibles de prendre, la façon irrégulière et incohérente dont ces effets se produisent, tendent à entourer le spiritisme d'un air de mystère, qui non seulement rend impossible de distinguer toujours exactement entre les divers phénomènes, mais sert en même temps à les situer au delà des recherches de la critique ordinaire et de l'investigation superficielle. Il serait difficile, pour un observateur inexpérimenté, de ne pas se perdre dans les méandres inextricables de ce sombre labyrinthe.

9. Dans bien des cas aussi, le mélange de fraude aux phénomènes authentiques contribue à accroître, dans de très grandes proportions, la confusion qui déjà entoure ces mêmes phénomènes. Et l'on ne saurait trop insister sur ce fait qu'une grande partie de ce que nous lisons dans les livres et les brochures sur les manifestations spirites ne peut soutenir l'épreuve d'une enquête attentive et consciencieuse. Beaucoup de ces écrits sont publiés avec trop peu de discernement pour mériter un examen sérieux. Ils sont pour la plupart le fruit d'une imagination surchauffée. Certaines personnes en effet sont très fortement disposées à voir dans les événements ordinaires de la vie des manifestations d'outre-tombe. Elles ne voient dans le cours ordinaire des choses de la nature rien que des incidents vulgaires et cherchent partout des interventions préternaturelles. Elles n'ont de goût que pour les histoires de fantômes et pour le merveilleux, et c'est dans ce domaine qu'elles cherchent une explication de manifestations parfaitement naturelles.

Il y a là, par conséquent, une grande difficulté à distinguer avec justesse les phénomènes réels de ceux qui ne le sont pas. Nous affirmons, néanmoins, et cela sans exagération, qu'il existe des preuves abondantes et solides d'authentiques manifestations spirites, et c'est uniquement de celles-ci que nous nous occupons ici.

10. Mais avant de procéder à l'examen de la valeur morale intrinsèque des manifestations spirites, il faut indiquer en outre comment les véritables phénomènes peuvent être distingués de ce qui à première vue paraît merveilleux mais ne surpasse pas en réalité le pouvoir des forces naturelles. Nous avons l'intention de parler maintenant de ce pouvoir mystérieux qui s'exerce en nous et que nous nommons l'imagination. Les effets que produit cette faculté sont parfois si étonnants, qu'ils semblent voisins du miracle.


III. - La Puissance de l'Imagination

1. Nous avons vu comment les phénomènes extraordinaires occasionnés par les pratiques spirites ou occultes s'exercent dans un domaine très vaste et sont d'un caractère varié. Ce serait cependant une erreur de conclure qu'ils doivent tous être attribués aux opérations du monde spirituel invisible. Nous ne devons pas oublier combien sont merveilleuses les forces de ce vaste univers étalé à nos yeux, et combien est grande cette partie du domaine de l'énergie humaine qui n'a pas encore été entièrement explorée. En réalité, ces forces et cette énergie sont si grandes, qu'il serait antiscientifique d'avoir toujours recours à l'action d'agents invisibles et spirituels pour expliquer tous ces phénomènes. Nous pouvons soutenir avec vérité que quelques-uns au moins des phénomènes attribués au spiritisme peuvent très bien être mis au compte des forces latentes et encore inexplorées de la nature.

2. Nous examinerons plus tard la question de savoir à quel point le sommeil magnétique ou hypnose peut être attribué à des causes naturelles. Pour le moment nous observerons que notre système nerveux, si complexe, et qui, comme un délicat réseau, occupe tous les points de notre corps, peut très bien donner lieu, spécialement chez les personnes de tempérament sensible, à des manifestations très extraordinaires. De même les personnes souffrant d'affections morbides d'un caractère nerveux peuvent être sujettes à des phénomènes d'ordre pathologique, qui ne se rencontrent pas chez celles jouissant d'une constitution normale.

Dans tous ces cas, on trouvera efficaces les remèdes physiques, pour rendre à l'âme l'équilibre qu'elle a perdu et dont le trouble a été cause des phénomènes anormaux. Un corps sain est, nous le savons, une condition nécessaire aux opérations d'un esprit sain.

3. Nous voudrions maintenant attirer l'attention du lecteur sur le pouvoir de cette faculté de l'imagination, que Dante a si magnifiquement décrit

« O imaginative, qui tellement nous sépares quelquefois des choses du dehors, qu'autour de nous sonneraient mille trompettes, point ne les entendrions... »1 .

A vrai dire, il est difficile de décrire les nombreux phénomènes extraordinaires auxquels peuvent donner naissance les cellules nerveuses du cerveau humain, surtout quand celui-ci est dans un état de surexcitation. Le cerveau est l'organe central de l'imagination, le siège de nos affections et de nos passions sensitives et le point de départ du système si complexe des fibres délicates qui enveloppent et compénètrent tous les tissus de notre corps.

C'est ainsi que lorsque notre imagination s'exerce et que nos passions sont excitées, un changement correspondant se produit dans quelque partie de notre organisme physique. Qu'un objet extérieur laisse une impression sur nos nerfs sensitifs périphériques, les vibrations de ces nerfs sont transmises à l'encéphale, de là aux nerfs moteurs, et les membres de notre corps sont aussitôt mis en mouvement. Et puisqu'il est au pouvoir de la volonté d'impressionner l'imagination comme il lui plaît, nous pouvons être nous-mêmes la cause d'une grande variété d'étranges phénomènes somatiques.

4. Toutefois, ces phénomènes, causés par l'imagination, sont d'un certain caractère et sont limités quant à leur étendue. Toutes les parties de notre corps, en effet, n'obéissent pas également à notre commandement, tandis que toutes demandent à être perfectionnées par un exercice constant. C'est ainsi que nos doigts n'acquièrent qu'à force de pratique l'aisance et l'agilité nécessaires pour jouer habilement d'un instrument de musique.

5. Dans certains cas, l'imagination est à elle seule capable de produire des effets appartenant à la vie végétative ou animale. Ainsi la seule pensée de la salive peut produire sa sécrétion et la vue d'une personne qui bâille peut amener chez nous la même contraction musculaire. L'imagination peut de même produire en nous un désordre physique tel que l'hypocondrie, et dans les affections nerveuses la guérison peut souvent être amenée par la persuasion, chez le malade, qu'il va réellement mieux, et que son indisposition était due à quelque cause accidentelle, à laquelle on peut facilement porter remède. D'autre part, des passions non réprimées, des émotions subites, une tristesse accablante, ont rendu bien des gens victimes de désordres physiques, tandis que des remèdes moraux ont eu le pouvoir, dans un grand nombre de cas, de guérir des maladies corporelles.

6. Les animaux, eux aussi, ne sont pas étrangers à l'influence de l'imagination, certains étant facilement impressionnés par la musique, tandis que d'autres arrivent à émettre des sons articulés en imitation de la voix d'autres animaux et de l'homme lui-même. Les animaux peuvent aussi être excités par la colère ou opprimés par la tristesse. Ils conservent parfois, pendant de longues années, le souvenir de la bonté dont ils furent l'objet ou du mauvais traitement qu'ils ont reçu.

7. C'est encore un fait bien connu que l'imagination peut déterminer en nous des mouvements contraires à nos propres désirs. Si nous marchons pleins de sécurité sur une planche posée à terre, nous sommes prêts à chanceler et peut-être à tomber, si cette planche est élevée de quelques mètres. L'appréhension du danger de chute cause en effet une modification dans l'état de nos nerfs et déterminé positivement la chute redoutée. Le même phénomène peut arriver lorsque nous nous trouvons au bord d'un puits profond ou sur la plate-forme d'un édifice élevé, le sentiment de vertige qui nous saisit provenant de notre imagination apeurée. L'alarme en effet et l'appréhension ressenties peuvent être si fortes que l'homme, pris de vertige, se jette en bas, un tel mouvement n'étant pas autre chose que l'effet de l'imagination surexcitée au point de présenter la chute comme une réalité en train de se produire.

8. Mais c'est surtout dans le sommeil que l'imagination est tout à fait débridée, l'opération des sens extérieurs étant alors suspendue, et nulle possibilité n'existant de contrôler ce qu'elle présente. La combinaison des phantasmes perçus pendant la veille et laissés désormais à eux-mêmes sans aucun lien qui les coordonne, produit alors des rêves et ceux-ci sont d'ordinaire d'un caractère si vif, qu'ils prennent pour le dormeur l'apparence de la réalité.

Il y a plus encore. Le rapport intime existant entre l'imagination et les centres qui contrôlent le système musculaire peut produire le phénomène naturel appelé somnambulisme, état où la personne marche et accomplit divers actes tout en étant profondément endormie. Dans ce cas le libre arbitre est suspendu, si bien qu'une personne ne peut être alors tenue pour responsable de ses actes, même si, pendant ce temps, elle affirmait explicitement sa liberté. Nous aurons d'ailleurs l'occasion de nous étendre davantage sur ce sujet quand nous traiterons de l'hypnotisme.

9. Ce qu'il faut noter ici, c'est que, si remarquables que puissent être les phénomènes dus à l'imagination, ils sont tous limités à l'individu déterminé auquel cette faculté appartient. Ce n'est que d'une façon indirecte et médiate que l'imagination d'une personne peut agir sur une autre. Pour que mon imagination puisse influencer mon voisin, un moyen de communication est exigé qui soit proportionné aux effets à produire. En d'autres termes, ce moyen doit être d'ordre intellectuel, physiologique ou mécanique, suivant que l'effet voulu appartient à l'une ou à l'autre de ces classes.

10. On peut de même attribuer au pouvoir de l'imagination cet autre phénomène connu sous le nom de fascination ou enchantement, phénomène qui a été l'inspirateur de tant de romans et de fictions littéraires dans le passé et sur lequel des notions exagérées sont encore entretenues par les masses illettrées. Les sorts jetés sur des enfants ou sur des animaux (si vraiment une telle chose se passe) ne doivent leurs effets qu'au travail de l'imagination. Les yeux sont le miroir de l'âme et l'intensité du regard de certains individus peut impressionner l'imagination d'un enfant au point de le rendre incapable de diriger son attention sur d'autres objets. Bien qu'il en garde le pouvoir radical, il ne peut cependant l'exercer comme le ferait un adulte dont la volonté est plus forte et le jugement plus mûri. Il est donc inutile d'avoir recours, pour l'explication de ces phénomènes, à une théorie postulant l'existence d'une sorte de fluide subtil ou de force occulte émanant des yeux de l'opérateur, et exerçant une influence décisive sur l'esprit du sujet, le pouvoir de l'imagination étant plus que suffisant pour expliquer le phénomène.

11. Cela étant, on doit prendre grand soin de distinguer les phénomènes spirites authentiques de ce qui peut être simplement l'effet d'une modification dans le fonctionnement de l'imagination, tel que nous venons de l'expliquer. On ne doit pas davantage recourir à la théorie d'agents supérieurs invisibles, tant que l'effet produit ne surpasse pas le pouvoir de l'imagination ou de toute autre cause positive.

12. Il faut d'autant mieux fixer ce point dans notre esprit que chez certains, comme nous le savons, l'imagination, se trouvant dans un état anormal, peut outrepasser ses frontières naturelles et devenir la source de manifestations étranges, présentant à première vue une certaine affinité avec des incidents préternaturels. Sans parler des personnes qui ont le malheur d'être affligées d'aliénation mentale, et qui ne peuvent par suite être tenues pour responsables de leurs actes, nous savons parfaitement quels désordres une maladie nerveuse peut susciter chez ceux qui, par exemple, souffrent d'hystérie. Il est évident que, chez de tels malades, bien des actions sont susceptibles d'exciter l'étonnement. Une extrême légèreté d'esprit, une tendance prononcée à l'exagération, la simulation et la vanité accompagnent ordinairement ce désordre. Mais c'est surtout dans les périodes de paroxysme, que l'hystérie est susceptible de donner lieu à de très sérieux phénomènes dont le principal est l'hallucination.

On peut donc voir, d'après cela, combien il est nécessaire de distinguer soigneusement entre de tels phénomènes et ceux qui sont dus à des causes préternaturelles.

13. Il est à propos de faire ici une observation au sujet des causes de béatification dont s'occupe à Rome la Sacrée Congrégation des Rites. Toutes les fois qu'il s'agit d'instruire, devant le tribunal compétent, le procès des vertus d'un serviteur de Dieu réputé pour avoir été gratifié de manifestations extraordinaires, une des premières démarches prescrites est d'examiner avec soin si cette personne jouissait, pendant sa vie, d'une imagination saine et d'un jugement équilibré, ou si elle était victime de dérangements cérébraux. La condition sine qua non pour la continuation du procès, est que tout doute soit écarté sur ce fait, de sorte que l'on n'ait pas à prendre pour des manifestations surnaturelles ce qui peut être simplement le produit d'une imagination malade et chimérique.

14. Bien que nous ne puissions comprendre parfaitement le travail intérieur de notre imagination ni les effets que cette faculté est capable de produire, nous en savons cependant assez pour être en mesure de tracer une ligne que ne peut franchir le pouvoir de cette faculté. Cette observation s'applique à toute la série des agents physiques. Leur énergie peut ne pas être connue d'une manière complète, mais nous en savons assez sur leur nature, pour être à même de dire ce qu'ils ne sont pas capables de produire.

Dans le cas de l'imagination nous pouvons dire qu'elle ne peut agir hors de son propre sujet. Elle ne peut mouvoir des corps extérieurs ; elle ne peut connaître ce qui se passe à distance; encore moins peut-elle déterminer chez les autres la révélation de vérités inconnues. Pour tous ces phénomènes une cause supérieure est nécessaire, dont nous allons maintenant examiner la nature. Mais nous devons d'abord rechercher si le désir qui de nos jours pousse tant de gens à entrer en communication avec le monde des esprits, est lui-même en harmonie avec les lois de la nature.


IV. - Nos rapports avec le monde invisible

1. Quand nous posons la question : quel jugement doit-on prononcer sur le désir qu'ont les vivants, d'entrer en communication avec le monde invisible, il faut qu'il soit bien entendu tout d'abord que nous ne parlons pas ici du désir ou de la tentative d'entrer en communication directe avec les âmes des morts. Il a été démontré qu'une telle communication est naturellement impossible. A moins donc que ce désir puisse être excusé en raison de la bonne foi ou d'une invincible ignorance, il doit être jugé d'après la règle générale qui condamne les désirs et les actes qui ne sont pas en harmonie avec l'ordre de la nature.

2. Nous ne parlons donc ici que des tentatives de communication directe et sensible avec les substances angéliques, tentatives faites en utilisant des moyens naturels, tels que le magnétisme, l'hypnotisme ou les tables tournantes. Et la question est celle-ci : Ces essais sont-ils permis ?

Nous répondons également que toutes ces tentatives et les pratiques qui s'y rapportent sont naturellement illégitimes, quelle que soit la qualité morale des êtres dont on recherche le commerce, et cela parce qu'un tel procédé est directement opposé à l'ordre de la nature.

Cette réponse pourra ne pas rencontrer l'approbation de certains de nos lecteurs, mais on verra que la nature même de ces tentatives et de ces désirs, quand on les examine de près, n'admet pas d'autre solution, vu la différence naturelle qui existe entre l'homme et l'ange.

3. C'est à dessein que nous avons dit : par des moyens naturels, car nous ne nions pas qu'il soit permis de demander à Dieu, par une humble prière, et en nous soumettant entièrement aux dispositions de sa sainte volonté, qu'il veuille bien nous accorder de communiquer directement et d'une manière visible, avec notre Ange gardien. Ce serait là, en réalité, un véritable miracle ; or, comme nous l'enseigne la théologie, il n'y a rien d'irrégulier ou de contraire à l'ordre moral dans une humble supplication adressée au Tout-Puissant en vue d'obtenir un miracle pour le bien de nos âmes.

Nous rencontrons en effet des exemples d'une telle faveur accordée à quelques saints, comme à Sainte Françoise Romaine, qui jouissait de fréquents entretiens avec son Ange gardien. Et nous pouvons supposer que cette grâce lui fut accordée en raison des humbles et ferventes prières qu'elle avait faites dans ce but.

Nous n'examinons donc ici que la possibilité d'une telle communication avec les êtres angéliques, recherchée par des moyens naturels, et nous disons qu'un tel effort est illicite, n'étant pas en harmonie avec la marche établie par l'Auteur de la nature.

4. L'homme, être raisonnable composé d'une âme et d'un corps, a été dès l'origine doué par Dieu de sens externes par lesquels il peut entrer en communication avec le monde extérieur et plus particulièrement avec ses semblables. L'homme fut ainsi formé pour que, par une étude attentive du livre de la nature, il pût obtenir une connaissance des choses invisibles et plus spécialement de Dieu, son Créateur, son premier principe et sa fin suprême. Ces sens externes dont Dieu nous a dotés, sont amplement suffisants pour conduire notre raison à la connaissance du monde invisible. Il n'est donc pas nécessaire que nous ayons recours à des manifestations extérieures d'êtres spirituels, même si certains de ces êtres, en raison de leur office, peuvent illuminer nos pensées par des révélations intérieures.

Nous ne nions pas qu'ils puissent aussi, parfois, se manifester à nous par des signes visibles, mais ceci appartient au miracle et dépend tout à fait de l'ordre établi par la Divine Providence qui se sert à l'occasion de ces événements extraordinaires pour nous faire atteindre plus facilement le but en vue duquel nous avons été créés.

5. Mais prétendre obtenir, par des moyens naturels, ces communications sensibles avec les purs esprits, et en particulier chercher, par des moyens mécaniques ou autres, à obtenir d'eux des manifestations extraordinaires, est contre l'ordre de la nature, non seulement parce que les êtres angéliques sont supérieurs à l'homme en nature et en perfection, et par conséquent ne peuvent être évoqués par lui, mais aussi parce que les moyens matériels, quels qu'ils soient, mis en œuvre dans ce but, sont tout à fait inadéquats à la fin désirée.

La prière elle-même, bien qu'étant la plus sainte des pratiques, serait contraire au bon ordre, si elle avait pour but direct d'obtenir un commerce visible avec les esprits angéliques, indépendamment d'une disposition intérieure d'entière conformité à la très sainte volonté de Dieu sur ce sujet. Et si un commerce visible de ce genre a jamais lieu, ce ne peut être que par un acte spécial de la faveur divine que nous appelons un miracle, ou par un pacte antérieur avec ces substances spirituelles, auquel cas celles-ci ne pourraient être que des êtres d'un degré moral très bas, c'est-à-dire des esprits déchus.

6. Et ceci s'applique même aux cas où de telles pratiques seraient entreprises en vue d'en rechercher la véritable nature et d'ajouter ainsi à notre patrimoine scientifique. Si les moyens employés sont inadéquats, c'est-à-dire contraires à l'ordre naturel des choses, ils ne peuvent se justifier, si légitime et si digne d'éloges que soit le but poursuivi. La loi de la nature nous interdit de faire le mal le plus léger quand même on pourrait en attendre un bien immense.

7. Il nous faut signaler ici une grave erreur regardant la mission de l'ange gardien à notre égard, erreur qui tend à se répandre dans certains pays.

Il est de foi que Dieu a donné à chacun de nous un bon ange pour nous assister dans la vie, nous illuminer et nous protéger. Mais cette assistance et cette protection s'accomplissent normalement d'une manière invisible, telle que le requiert la nature toute spirituelle de l'ange. Or des personnes à la foi peu éclairée ont pensé qu'on pourrait pousser la dévotion à l'ange gardien jusqu'à s'abandonner passivement et totalement à sa conduite de telle sorte qu'il exerce une domination absolue sur nos pensées et notre volonté, nous suggérant des révélations qu'il nous pousse lui-même à transcrire automatiquement. Ainsi donc cet ange se tiendrait pour ainsi dire en permanence à nos ordres, prêt à répondre à toute question que nous pouvons lui poser et dirigeant même notre plume pour transcrire ses réponses.

Il est facile, d'après ce que nous avons dit de l'action des substances spirituelles sur notre intellect, de comprendre à quel point un tel concept est erroné. Les anges, en général, peuvent certainement nous illuminer intérieurement, et c'est l'office de notre ange gardien de le faire pour ce qui se rapporte à la vie spirituelle de l'âme ; mais quant à nous illuminer sur les choses de ce monde, sur les arts et les sciences, ou nous assister visiblement, ceci n'entre pas dans ses attributions ordinaires ; encore moins peut-il, indépendamment d'un ordre exprès de Dieu, mouvoir notre main à écrire, nos yeux ou nos oreilles à voir ou entendre des choses éloignées de nous. Pour de telles manifestations extérieures, un miracle serait nécessaire. La prétendue dévotion à l'ange gardien telle que nous venons de la décrire, relève non de la mystique catholique, mais bien du spiritisme.


V. - Immoralité inhérente aux Pratiques spirites

1. Mais il y a encore à considérer d'autres points se rapportant à ce sujet, et un examen plus sérieux des agents moraux engagés dans la production des phénomènes spirites ne doit pas manquer d'être fait.

Ces sortes d'expériences sont, nous le savons, dans bien des cas, entreprises pour des motifs frivoles et même illicites. Le désir de satisfaire une vaine curiosité, parfois même de viles passions, porte bien des gens avides d'émotions à rechercher l'excitation d'une séance occulte.

2. Mais c'est surtout chez les esprits qui se manifestent que la malhonnêteté et la bassesse morale sont susceptibles de se révéler. Des assertions fausses ou contradictoires sont fréquemment prononcées; un langage obscène et blasphématoire se mêle parfois à des paroles morales et religieuses et une impulsion intérieure à commettre le mal est souvent sentie par les assistants. Les expériences elles-mêmes entreprises avec un esprit sérieux, se terminent bien des fois en farces stupides et grossières.

3. D'autre part, les communications obtenues par le spiritisme n'apportent à l'humanité aucun avantage méritant d'être cité. Elles ne nous ont donné aucune révélation au sujet des secrets de la nature, aucune invention améliorant ou facilitant les relations de la vie, aucune impulsion nouvelle à l'art, à la science ou à la littérature. Et rien ne permet d'envisager pour l'avenir aucune communication utile de ce genre. En outre, un grand nombre de savants distingués et des hommes aux intentions pures et d'un jugement sain, ont, après une observation prolongée, déclaré que s'engager dans les expériences spirites est une chose très dangereuse, aussi bien pour le corps que pour l'âme. Ils se sont au reste en bien des cas élevés fortement contre ces pratiques.

4. De tout cela il nous faut conclure que les essais de communication avec les êtres invisibles non seulement sont illicites mais encore coupables, en raison des motifs qui les font entreprendre et des conséquences auxquelles ils conduisent. Et ce qui par-dessus tout devrait éveiller notre soupçon est le fait que, dans ces manifestations, d'après la confession des spirites eux-mêmes, on voit apparaître, dans une odieuse promiscuité, les âmes de personnes connues pour leurs bonnes et leurs saintes vies avec celles d'individus qui se sont rendus notoires par leur perversion et leurs tristes exploits.

5. Ce que nous disons ici s'applique plus spécialement aux séances où sont présents des catholiques et où les âmes de catholiques bien connus sont supposées apparaître. Non seulement dans ces communications il n'est pas fait allusion à la différence fondamentale entre le Catholicisme et les autres formes de religion, ou à la réalité d'une distinction finale entre les âmes à raison de l'état où la mort les a trouvées, mais des personnes qui, pendant la vie, ont atteint le niveau moral le plus élevé, sont représentées comme placées dans la même condition que des pécheurs notoires.

À vrai dire, on découvre fréquemment une réticence calculée en ce qui concerne la distinction essentielle entre un état d'éternelle récompense et celui de châtiment sans fin, comme entre les moyens qui conduisent à l'un ou à l'autre de ces états. Les exposés sur l'ordre surnaturel donnés dans les séances sont, en règle générale, d'un vague permettant les croyances les plus larges possibles, et si l'on insiste pour obtenir plus de clarté et de précision, les esprits d'où émanent les communications ne reculent pas devant les opinions du caractère agnostique le plus prononcé.

6. N'omettons pas de noter que, parfois, ces communications spirites indiquent bien l'Église Catholique et ses institutions comme un moyen de salut, engageant ceux qui les écoutent à entrer dans sa communion et conduisant ainsi des fidèles de bonne foi à la conclusion que le spiritisme et les pratiques spirites peuvent bien, après tout, être vrais et légitimes. Il est à peine besoin d'insister sur ce fait que, par ces concessions d'opportunité, les agents mystérieux qui dirigent les phénomènes atteignent le plus haut degré de duplicité, puisqu'ils réussissent de la sorte à mettre l'Église Catholique en contradiction avec elle-même et conduisent des âmes excellentes hors du droit chemin. Malheureusement, ce dernier aspect de l'erreur spirite n'est pas toujours apparent pour un esprit superficiel et beaucoup s'égarent complètement en prêtant l'oreille à de tels sophismes.


VI. - L'abandon du Libre Arbitre dans le Spiritisme

1. Ce que nous avons dit jusqu'ici a rapport à la nature intrinsèque des pratiques spirites. Mais il existe, dans ces pratiques, une circonstance extrinsèque particulière qui, si l'on y réfléchit, porte à considérer ce genre d'expériences avec une forte suspicion. Cette circonstance est l'abandon de la volonté, entraînant, jusqu'à un certain point, la perte du contrôle de la pensée et de la volonté.

Cet abandon du libre arbitre entraînant avec lui la perte du contrôle personnel, ne doit pas toujours nécessairement être explicite, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer. Il suffit qu'une personne, en s'engageant dans ces expériences, soit prête à se soumettre implicitement à la condition requise. Or c'est cette condition même, nécessaire à l'exécution de ces pratiques, qui doit nous convaincre de leur nature injustifiable.

2. Le fait qu'une opposition résolue de la part d'une personne présente aux séances spirites suffit à empêcher une manifestation des pensées de cette personne, tandis que ces phénomènes se produisent généralement quand une telle opposition est absente, est une preuve évidente qu'un consentement au moins tacite est nécessaire à leur réalisation. « En vérité, la passivité de l'esprit, écrit M. Raupert, semblerait être la clef de toute expérience spirite et la condition exigée par le monde des esprits, pour réaliser effectivement leurs opérations sur le plan physique»' .

3. Il a été en outre observé par des hommes parlant avec autorité (et leur remarque est née de l'expérience), que ces pratiques ont pour résultat d'affaiblir considérablement l'énergie naturelle de la volonté. Les personnes habituées à subir l'influence des esprits acquièrent insensiblement une disposition mentale d'une telle passivité, qu'elles finissent par devenir sans force morale aucune et incapables de produire un acte résolu de volonté. C'est là un signe évident que ces pratiques n'ont pas lieu sans l'abandon, du moins dans une certaine mesure, du libre arbitre, à ces mystérieux agents que l'on peut considérer comme tendant ainsi à prendre possession de l'homme tout entier.

4. Or, parmi les dons que Dieu a faits à l'homme, il est hors de doute que le premier et le plus précieux est le pouvoir du libre arbitre, par lequel nous sommes capables de faire le bien ou de faire le mal. C'est dans la possession de cette prérogative que réside principalement notre supériorité sur la créature brute, car du bien ou du mal que nous faisons pendant cette vie dépend notre récompense ou notre châtiment éternels.

Si donc, le libre arbitre occupe en nous une place si importante et si c'est par lui que nous sommes directement ordonnés à Dieu, il s'ensuit que nous ne pouvons y renoncer aveuglément et absolument, si ce n'est entre les mains de Dieu, notre Créateur et Seigneur. Si donc on peut abandonner sa volonté aux représentants autorisés de Dieu, cela ne peut être qu'autant qu'ils tiennent sa place, et par conséquent jamais pour des choses qui seraient intrinsèquement illicites ou déshonnêtes.

5. Or comment se produit l'abandon de la volonté dans les séances spirites ? Tout d'abord cet abandon n'est pas fait à Dieu, ni aux êtres raisonnables reconnus comme ses ministres autorisés ou ses représentants. Il est fait à des médiums d'un caractère douteux et n'ayant aucune autorité sur nous, ou bien à des esprits mystérieux dont nous ne connaissons que peu de chose, ce peu étant cependant suffisant pour nous convaincre qu'ils suivent un chemin tout à fait différent de celui indiqué et voulu par Dieu.

Dans la plupart des cas, d'ailleurs, cet abandon ne se limite pas aux choses licites  ; au contraire, il est très souvent fait aveuglément et sans limite aucune, excepté celle que les agents invisibles consentent eux-mêmes à admettre.

D'après tout ce qui vient d'être dit, on voit combien illégitimes sont les pratiques spirites, la volonté pouvant ainsi être conduite à obéir passivement à toute impulsion qui lui vient de ces mêmes esprits aux mains desquels elle s'est remise.

6. Nous devons donc conclure que s'adonner aux expériences spirites est une chose non seulement dangereuse, mais digne de blâme et de condamnation, la plus haute faculté d'un être raisonnable devenant de cette manière un outil aux mains d'agents sans scrupules, qui peuvent ainsi la contrôler et la dominer, au point de mettre en péril non seulement le caractère moral, mais aussi la santé physique des individus.

Nous ne devons pas omettre d'observer que, dans bien des cas, ces agents invisibles nient effrontément l'existence même du libre arbitre, - fait qui à lui seul suffirait pour nous convaincre de ce que ces pratiques ont d'illicite, vu qu'elles s'attaquent au fondement même de l'ordre moral.


VII. - La Présence du médium aux séances spirites

1. Il n'est pas sans intérêt d'examiner ici le rapport qui relie les spirites aux personnes qui servent d'intermédiaires et que l'on nomme médiums. Un médium, on le sait, est une personne d'un tempérament et d'une constitution nerveuse particulière, agissant comme intermédiaire entre les hommes vivants et le monde des esprits et par qui les communications des âmes désincarnées sont supposées nous être transmises.

Ces personnes dénommées aussi, dans le langage psychique moderne, sujets sensibles, (en anglais sensitive), sont considérées non seulement comme les canaux par lesquels les manifestations du monde invisible nous atteignent, mais aussi comme des instruments passifs dont se servent les esprits qui opèrent ces manifestations, en prenant possession de l'organisme de ces personnes et en contrôlant leurs mouvements.

2. On prétend en outre que les médiums ou sensitifs fournissent, tirée de leur propre organisme, cette matière psychique épurée que manient les esprits, dans le but de construire ou tout au moins de parfaire ces formes sous lesquelles ils apparaissent. Pour réaliser ce phénomène un état de transe profonde est habituellement requis, si bien que c'est de l'état complet d'inconscience du médium que dépend ordinairement le succès des matérialisations spirites. Mais les assistants, eux aussi, fournissent, affirme-t-on, sous de favorables conditions, une partie de cette force nerveuse et vitale, bien que dans leur cas l'état de transe ne soit pas nécessaire.

3. Nous n'avons pas l'intention de décider ici jusqu'à quel point cette dernière prétention correspond aux faits et nous ne désirons pas davantage émettre aucune réflexion sur le caractère moral de ces médiums qui peuvent s'imaginer rendre service de la sorte au progrès de la science et au bien de l'humanité . Ce que nous affirmons c'est que la prétention des médiums à évoquer réellement les esprits des trépassés est tout à fait insoutenable.

Nous ne pouvons que nous en référer à ce qui a été dit aux paragraphes précédents. Si les âmes des trépassés ne peuvent nous manifester leurs pensées pas plus que nous ne pouvons leur manifester les nôtres et si toute communication de ce genre entre les vivants et les morts due à l'initiative humaine est naturellement impossible, comment peut-on supposer qu'un médium ait le pouvoir d'évoquer les morts et de nous transmettre leurs pensées et leurs désirs ? Et l'état de transe par lequel passe habituellement le médium ne nous aide pas à vaincre cette difficulté, vu qu'il n'est pas d'état d'insensibilité, de catalepsie ou d'excitation nerveuse qui puisse changer la condition des trépassés ou leur rapport avec le monde visible.

4. Pour réaliser une communication directe de ce genre entre l'esprit du médium et l'âme d'un défunt, il serait nécessaire que la pensée du médium perçoive la vérité de la même manière qu'une âme désincarnée, c'est-à-dire sans l'aide de phantasmes sensibles. Mais aussi longtemps que l'homme vit sur la terre, c'est-à-dire aussi longtemps que l'âme demeure unie au corps, une telle intuition simple et pure de la vérité et par suite une communication purement spirituelle avec les âmes d'outre-tombe n'est pas possible, sauf par une intervention immédiate de Dieu. Or ceci ne pourrait avoir lieu sans une dérogation aux lois de la nature que nous appelons un miracle, ce qui ne se vérifie que dans le cas des plus grands parmi les prophètes, le mode d'illumination pour l'esprit d'un prophète ordinaire étant la formation d'images sensibles par le ministère des anges. L'âme séparée, nous l'avons dit, n'a aucun pouvoir sur le cerveau de l'homme, et qui pourrait soutenir cette opinion déraisonnable que toutes les communications faites aux médiums sont de vrais miracles ?

5. Un médium, pour être capable d'agir entre l'homme et les âmes désincarnées, devrait donc être de la nature des intelligences angéliques elles-mêmes. À ces intelligences les âmes séparées peuvent manifester leurs pensées, et les anges pourraient à leur tour, strictement parlant, nous manifester les pensées des défunts avec lesquels ils sont en communication directe. Mais alors la présence d'un intermédiaire n'est pas requise, puisque nous pouvons, comme nous l'avons déjà montré, communiquer directement nos pensées aux anges, et vice versa, l'intervention d'une tierce personne étant, en réalité, entièrement superflue.

6. Il ne faudrait pas néanmoins conclure de ceci que nous pouvons espérer obtenir, à notre gré, des communications sensibles avec les trépassés par le ministère des anges, car ces êtres angéliques ne nous sont pas soumis comme des agents prêts à obéir à notre volonté. Leur ministère en ce qui concerne le gouvernement du monde est essentiellement soumis à l'ordre de Dieu : par suite ils ne peuvent rien faire sans son commandement, ou du moins sans sa permission. Quand, sur l'ordre de Dieu, ils opèrent une dérogation aux lois de la nature, ils agissent comme ses instruments ; ce qui n'est pas le cas quand leurs actes n'ont lieu qu'avec la seule permission de Dieu.

7. Or, la loi de nature exige que nous n'ayons pas de communication habituelle avec les âmes des morts, dont l'état est totalement différent du nôtre. Quand donc nous recevons d'eux quelque communication, celle-ci est une exception à la marche ordinaire des choses et peut être ou ne pas être, suivant le cas, un miracle. Elle est toujours un vrai miracle quand elle a lieu par l'ordre de Dieu, les anges agissant alors comme ses instruments ; elle ne l'est pas en d'autres circonstances. Et non seulement les bons, mais aussi les mauvais anges peuvent agir comme instruments de Dieu, qui peut faire usage de tel instrument qui lui plaît. Si donc une communication avec les morts a lieu par ordre de Dieu, que ce soit par l'intermédiaire des bons anges ou des mauvais, cette communication est toujours un miracle.

8. Or il est évident que les communications obtenues par les médiums dans les séances spirites ne sont pas des miracles, aucune des conditions accompagnant les miracles réels n'étant alors remplie. Ces communications sont dues par conséquent à l'intervention des anges déchus, agissant avec la seule permission de Dieu, et la présence de médiums doit en elle-même être regardée comme une circonstance n'ayant rien de nécessaire et qui ne peut amener que fraude et déception.

9. Toutefois, de même que des médiateurs sont parfois le moyen efficace d'obtenir de mains étrangères des choses que nous ne pourrions espérer obtenir nous-mêmes, ainsi l'étroite intimité existant entre les médiums et les démons peut induire ces derniers à faire les communications désirées, comme ce fut précisément le cas pour les pythonisses des temps anciens, en rapport avec les esprits infernaux qu'elles avaient l'habitude de consulter.


VIII. - Matérialisation des esprits

1. Quand nous parlons de matérialisation d'esprits, nous ne voulons pas dire que les substances ou intelligences séparées qui sont purement spirituelles, peuvent se matérialiser ou devenir un composé tel qu'est l'homme, leur nature étant inaltérable. Le seul doute que nous avons à dissiper concerne le problème posé par le fait d'esprits qui revêtent des formes humaines d'une manière si parfaite, qu'ils semblent accomplir des actions humaines : manger et boire, converser, marcher et le reste.

La première question à examiner est de savoir si la Théologie catholique admet l'idée que le phénomène de matérialisation est dû à la manipulation, par les esprits, d'une substance délicate, vitale ou psychique, nommée ectoplasme ou matière astrale, émanant du sujet sensible ou des assistants.

2. Nous pouvons répondre à cette question que les substances angéliques ayant le pouvoir de transporter les éléments de la matière d'un lieu à un autre, rien ne s'oppose au fait que des démons soustraient des parties de matière nerveuse ou cérébrale et s'en servent pour construire des formes ayant l'apparence de la vie et montrant toutes les caractéristiques et toutes les fonctions d'un véritable corps humain . Et cela est d'autant plus possible, que le médium ou sujet sensible (sensitive), en se prêtant à cette pratique, est dans un certain sens tout entier sous l'empire de ces esprits purement spirituels. Cette matière organique excessivement délicate peut, en outre, être considérée comme mieux adaptée qu'aucune autre matière connue de nous au dessein de donner à ces formes l'apparence de la vie et du mouvement.

3. Que le démon puisse, avec la permission de Dieu, agir directement sur les éléments constitutifs du corps humain et, ce faisant, ruiner la santé physique de l'homme, est une vérité non seulement connue et admise universellement, mais encore attestée par la Sainte Église elle-même qui, parmi les fins qu'elle se propose dans ses exorcismes, a celle de délivrer l'homme de ces maléfices. D'ailleurs. ne lisons-nous pas que ce fut par l'opération de l'esprit mauvais que le saint homme Job fut couvert de la tête aux pieds de plaies horribles et repoussantes, Dieu l'ayant permis pour la plus grande sanctification de son serviteur fidèle ?

4. De quelque façon néanmoins que le fait se produise, une telle extraction de substance nerveuse, faite sur le sujet sensible ou sur les assistants,. ne doit pas être considérée comme absolument nécessaire pour les manifestations dont il s'agit, les anges pouvant emprunter les éléments requis dans la nature inférieure, animée ou inanimée. Quand l'ange Raphaël apparut à Tobie sous la forme d'un jeune homme marchant et conversant avec lui pendant plusieurs jours , il dut certainement prendre les éléments utiles à son dessein ailleurs que chez un être humain.

Il existe, en effet, dans la nature plus d'éléments que nous n'en connaissons réellement et de ces éléments aucun ne peut échapper à la conscience angélique. Ces mêmes éléments qui entrent dans la composition de notre corps, tels que l'oxygène, l'hydrogène, l'azote, le fluor, le fer, la chaux, la potasse, la magnésie, etc., se trouvent à l'état dilué dans l'atmosphère.

Or un ange connaît à la perfection tous ces éléments, aussi bien que les lois de leurs combinaisons. Il peut donc les unir dans la proportion nécessaire à la construction d'un corps semblable au corps humain.

5. Nous ajouterons qu'un corps ainsi formé peut subsister de deux façons, c'est-à-dire dans un état aérien, transparent et éphémère, de telle sorte que les éléments conservent leur fluidité gazeuse, ou dans un état solide, palpable et résistant.

Le premier mode est poétiquement décrit par Dante dans le récit qu'il fait de sa rencontre avec son ami Casella :

«Hélas! ombre vaine, excepté d'aspect ! Trois fois autour d'elle j'étendis les bras et trois fois je les ramenai sur ma poitrine » .

Nous avons un exemple authentique du second mode dans le fait déjà cité de l'ange Raphaël, et de nombreuses manifestations spirites se révèlent d'une nature consistante et palpable. Il suffit de rappeler le cas de l'esprit qui se présenta sous le nom de John King et de sa prétendue sœur, Katie King, tous deux souvent évoqués par sir William Crookes, qui, prétend-il, reçut d'eux les communications les plus extraordinaires.

6. De même le fait que ces esprits matérialisés sont vus parfois mangeant et buvant ne doit pas nous étonner outre mesure, car manger et boire est une chose, et goûter la nourriture et la boisson et s'en nourrir en est une autre. Une goutte d'eau absorbée par la terre desséchée ne représente pas un fait analogue à celui de la goutte d'eau bue par les rayons du soleil. Seul un corps organisé que vivifie une âme substantielle peut goûter la nourriture et parfaire les fonctions de la nutrition ; manger et boire peuvent, d'autre part, n'être que des apparences d'actes et ne rien comporter de plus qu'une dissolution des éléments de la nourriture et du breuvage, laquelle dissolution peut être suivie de la reconstitution de ces éléments en leur première substance respective.

7. Peut-on dire, au reste, qu'un esprit matérialisé mange et boit réellement ? Non, car le corps qui semble absorber la nourriture et la boisson n'est pas son propre corps; il ne peut donc goûter aucune nourriture ni se l'assimiler, n'étant pas un corps doué de vitalité. D'où il suit que l'acte de manger et de boire chez les anges n'est qu'une apparence. Un corps glorifié, d'autre part, tel que celui de Notre-Seigneur, peut goûter la nourriture et ainsi réellement manger et boire, bien qu'il soit incapable de s'en nourrir et de croître.

8. En ce qui concerne le phénomène de la diminution de poids chez le médium ou sujet sensible (ce qui a lieu parfois à l'occasion de la matérialisation d'esprits), on doit observer que ce phénomène peut très bien s'expliquer par l'action directe de purs esprits suspendant la loi de gravité par l'application de leur propre énergie. Mais s'il arrivait que, par la permission de Dieu, un sujet sensitif souffrît la perte réelle d'une partie de sa substance, il faudrait veiller à ne pas donner à ce fait une fausse interprétation. Une hypothèse doublement erronée est à examiner à ce sujet.

9. Premièrement : on pourrait prétendre que ces éléments de matière raffinée, cérébrale ou nerveuse, conservent, dans les formes qu'elles ont servi à construire, la même nature qu'ils avaient chez les sensitifs ou les assistants de qui ils proviennent. Cette opinion est à écarter résolument, puisque dès l'instant où ces éléments sont enlevés du corps auquel ils appartenaient, ils cessent d'être informés ou vivifiés par l'âme humaine et doivent par conséquent subir un changement substantiel.

Deuxièmement : l'idée que ces éléments peuvent, après l'expérience, être restitués à leur propre sujet de la même manière qu'ils en ont été extraits, doit être abandonnée comme la première. Il n'est pas, en effet, au pouvoir de l'ange de changer une matière, quelle qu'elle soit, en la substance d'un individu vivant, sinon en utilisant le procédé naturel de l'assimilation et de la nutrition ; or, les éléments en question, extraits du sujet sensitif, cessent, nous l'avons vu, d'être sa propre substance vitale.

10. Pour conclure, nous pouvons donc affirmer, en admettant même comme probable cette opinion que le médium et les assistants fournissent, dans les matérialisations spirites, la substance nécessaire à la manipulation et à la construction de formes sensibles, que cette supposition n'est pas vraiment nécessaire pour expliquer le phénomène, puisqu'on peut facilement en rendre compte par l'introduction d'éléments dont abonde la nature et qui sont parfaitement connus des esprits angéliques.

11. Que les esprits eux-mêmes expliquent les procédés de matérialisation de manière à faire croire que les éléments qu'ils manipulent sont identiquement les mêmes éléments vitaux qu'ils ont empruntés au sensitif et qu'ils restituent ensuite dans leur plénitude et leur intégrité, ce n'est d'aucune façon une preuve en faveur de ce fait invoqué par eux. Le but des anges déchus étant de créer la confusion dans les esprits des hommes, en les induisant, au nom de la science, à croire ce qui n'est que fausseté, au lieu de leur enseigner la vérité, nous n'avons pas à donner crédit à leurs assertions au sujet du modus operandi invoqué par eux. Le manque de sincérité que démontrent un grand nombre de leurs déclarations est un obstacle à l'acceptation sans condition de tout ce qu'ils affirment. C'est ce que nous montrerons quand nous en viendrons à parler de la distinction entre les bons et les mauvais anges et de leurs caractères moraux respectifs.



IX. - La nature du médium envisagée sous le rapport de la moralité des pratiques spirites

1. Outre ce qui a été dit sur ce fait qu'un homme vivant est foncièrement incapable d'agir vraiment comme médium entre nous et les esprits des morts, ou même entre nous et les êtres angéliques, il y a lieu d'observer que la pratique de la médiumnité, à quelque degré que ce soit, est entourée de bien des dangers autant pour le corps que pour l'âme.

La considération des maux qui résultent habituellement de l'exercice de ces fonctions doit certainement suffire pour en détourner quiconque a le souci de son bien-être physique et moral. L'effet ordinaire de ces pratiques est de ruiner la constitution corporelle, d'affaiblir les facultés mentales, d'introduire dans l'esprit un penchant aux actes illicites et de paralyser l'énergie de la volonté. Elles engendrent, en outre, chez le sujet, une tendance à tomber en transe à la plus légère provocation, ce qui entraîne une perte de santé physique que les plus grands soins n'arrivent pas à compenser. Dans bien des cas, le médium devient une épave physique et morale qui souvent va échouer pour y mourir dans un asile d'aliénés .

Or si l'on connaît l'arbre à ses fruits, que dire d'une pratique engendrant des maux aussi considérables ?

2. D'autre part, si l'action ou la présence d'une tierce personne, c'est-à-dire d'un médium, n'est pas, strictement parlant, nécessaire pour obtenir des rapports avec les purs esprits, quel peut être, demandera-t-on, le but de ces esprits, quand ils réclament, exigent même la médiation d'une telle personne comme condition essentielle au succès des pratiques spirites ?

On peut suggérer les réponses suivantes. En premier lieu, il se peut que, de même qu'en bien des circonstances de la vie, une fraude est employée pour en couvrir une autre, la présence d'un soi-disant médium, devant posséder certaines qualités, ait pour but de faire naître l'idée que des conditions extraordinaires sont requises pour entrer en communication avec les morts, et que, par conséquent, ces communications sont, dans ces conditions, naturelles et licites, et que les âmes des défunts sont réellement évoquées par l'intervention du médium.

On peut dire en outre que les démons réclament la présence de certaines personnes à cause des qualités sensibles dont elles sont douées. Comme ils ont besoin de certaine matière corporelle pour remplir leurs fonctions et comme, d'autre part, ils peuvent aussi faire usage de la substance du sujet sensitif, plus la personne est propre au but qu'ils se proposent, plus facile et plus parfait est le résultat de leurs manœuvres.

3. S. Thomas précise excellemment ce double motif quand, en parlant des constellations dont les pratiques occultes de son temps tenaient compte comme aujourd'hui elles ont recours aux médiums, il dit : «Lorsque les démons sont appelés en rapport avec certaines constellations, ils répondent promptement pour une double raison : la première, afin d'induire les hommes à croire à cette erreur, que les astres sont habités par quelque divinité; la seconde, parce qu'ils considèrent la matière corporelle, mise en rapport avec certaines constellations, comme mieux disposée à produire les effets pour lesquels les esprits sont évoqués » .

4. Il semble bien toutefois que le motif principal amenant le démon à demander et, parfois, à exiger absolument la présence d'un médium aux séances spirites, est de nous faire croire à l'existence, chez tout homme, d'un corps subtil et éthérique, moyen terme entre la matière et l'esprit, d'un corps qui soit, pour ainsi dire, le dédoublement de la personnalité humaine, en même temps que la source et l'origine des manifestations merveilleuses et multiformes qui ont lieu par lui, et que certains nomment le corps astral. De fait, la forme matérialisée ainsi reproduite quand le médium est en transe, ressemble généralement à ce même médium d'une façon si parfaite, qu'on pourrait la prendre pour la personne elle-même.

5. Quoi qu'il en soit, l'effet pratique d'une telle médiation est de favoriser le but réel des séances spirites en faisant que tous ceux qui y sont présents se conforment implicitement, par leur comportement, à la condition requise pour les manifestations. Le médium, en effet, est, pour ainsi dire, un centre autour duquel se groupent tous les assistants, recevant de lui l'unité de but et d'intention. La présence du médium est donc, pour les personnes présentes, la condition naturelle qui les induit implicitement à adhérer à sa volonté, et permettre ainsi ces manifestations extraordinaires de la part des esprits ou intelligences angéliques. Cette condition, comme nous l'avons dit, est un état de passivité mentale, ou l'abandon au moins implicite du libre arbitre aux mains de ces mystérieux opérateurs qui choisissent d'agir précisément par l'entremise du médium.

6. Nous ne pouvons nous empêcher de signaler ici le but ultime qui nous semble diriger ces esprits déchus dans le déploiement de leur puissance par le ministère de sujets sensitifs ou médiums. Selon toute apparence ce but est de créer une sorte de caricature de l'institution des sacrements par le Christ, dont la dispensation a été confiée par Lui aux prêtres de l'Église, au ministère desquels les hommes par conséquent se soumettent. En réalité, le rapport qui relie le sujet sensitif aux pratiques spirites a plus d'un point de ressemblance avec la place qu'occupe le prêtre dans l'Église Catholique.

7. Mais pour apporter toutes les précisions nécessaires, nous devons ajouter que la présence d'un bon médium, bien « entraîné », quoique n'étant pas strictement nécessaire, facilite néanmoins grandement le commerce entre les purs esprits et l'homme. Les substances spirituelles, pour mouvoir l'homme, intellectuellement ou physiquement, doivent se servir de son organisme matériel, c'est-à-dire des énergies latentes dont son système nerveux abonde ce qui fait qu'un pur esprit agit avec une facilité plus grande sur un sujet doué d'une extrême sensibilité nerveuse.

Telle est la raison pour laquelle les bons offices de médiums bien « entraînés » sont si recherchés de nos jours. Et plus souvent ce médium subit l'action des esprits, plus sa substance cérébrale devient apte à recevoir l'impression d'images sensibles et plus sa langue est prompte à formuler les connaissances correspondantes.

8. Il ne peut y avoir aucun doute sur ce fait qu'agir comme médium c'est s'exposer au danger d'une réelle obsession diabolique, la seule différence entre ce genre d'obsession et les formes ordinaires étant que ces dernières sont plus violentes, d'un ordre inférieur, et non limitées à un temps ou à un lieu particulier, tandis que l'obsession dont nous parlons est d'une nature moins brutale et plus raffinée, ne revenant qu'à des périodes fixes, c'est-à-dire quand le médium est positivement sous l'influence des mauvais esprits. Cette différence, toutefois, n'est qu'accidentelle, et les signes donnés par le Rituel Romain pour le discernement des obsessions sont précisément les mêmes que ceux qui accompagnent les phénomènes évoqués par le médium moderne. Mais il arrive assez fréquemment que cette forme plus bénigne d'obsession aboutit à la forme ordinaire, aiguë et violente.

9. Si maintenant l'on nous demande de quelle façon le médium influe sur le caractère moral des pratiques spirites, nous répondons que sa présence confirme ce qu'elles ont d'illicite. Car s'il est vrai que le ministère d'un médium est inadéquat au but poursuivi, c'est-à-dire à la communication avec les âmes des morts, et qu'une tromperie est ainsi faite pour en dissimuler une autre, s'il est vrai que ce médium, en outre, devient un moyen de mettre en péril la plus haute faculté de l'homme, c'est-à-dire son libre arbitre, au simple sentiment de suspicion doit faire place une condamnation formelle. Avoir recours à un médium équivaut à coopérer à une obsession réelle du démon.

10. En rapport avec ces observations, il est à propos de citer ici les paroles de la Sainte Écriture, où le recours aux magiciens et aux sorciers, dont l'intervention fut jadis ce qu'est de nos jours celle du médium dans les pratiques spirites modernes, est l'objet de la réprobation la plus catégorique

« Si quelqu'un s'adresse aux magiciens et aux devins, pour se prostituer après eux, je tournerai ma face contre cet homme et je le retrancherai du milieu de son peuple ». « Qu'on ne trouve chez toi personne qui... consulte les devins, ou qui observe les songes et les augures, ou qui use de maléfices, de sortilèges et d'enchantements... ou qui interroge les morts pour apprendre d'eux la vérité... car le Seigneur a en abomination toutes ces choses  ».

Ce sont là de solennels avertissements qu'on ne saurait trop répéter.


X. - Saül et la Pythonisse d'Endor

1. Il est possible que certains esprits aiment à trouver une justification des pratiques spirites dans le récit bien connu de la Bible, où il est question du roi Saül consultant la pythonisse d'Endor. Il est dit de cette femme qu'elle avait un esprit de divination et que Saül, entrant par elle en communication avec l'âme de Samuel, apprit des choses qui devaient lui arriver, à lui et à ses fils. On verra toutefois que, si ce récit est examiné à la lumière même des circonstances dans lesquelles la chose se passa, il représente une condamnation bien plutôt qu'une approbation des pratiques spirites.

2. Tout d'abord, étant admis, comme l'enseignent la majorité des Pères de l'Église et des interprètes de la Sainte Écriture, qu'il y eut vraiment dans cette apparition une communication d'outre-tombe, nous devons observer que ce fait ne saurait être attribué au pouvoir magique de la pythonisse, le prophète étant apparu avant qu'elle eût eu le temps de commencer ses incantations. Cette manifestation doit donc avoir été l'oeuvre de Dieu même qui, tournant au bien l'infidélité de Saül, fit apparaître l'âme de Samuel pour que le mal près de tomber sur le roi pécheur lui fût ainsi révélé.

3. Si l'on objecte, contre la réalité de cette apparition, le fait que les démons ne peuvent évoquer l'âme d'un Saint ou le contraindre à agir ou à parler, saint Thomas répond qu'il peut très bien se faire, en vertu de la puissance divine, que les démons étant consultés, Dieu Lui-même manifeste la vérité par l'un de ses messagers, comme il arriva lorsque, par la médiation de son prophète Élie, il déclara ce qui devait arriver à ceux que le Roi Ochozias avait envoyés consulter le dieu d'Accaron .

4. S. Thomas, cependant, tient comme plus probable que ce ne fut pas l'âme de Samuel qui apparut, mais un démon parlant en sa personne, à raison de quoi l'esprit mauvais est nommé du nom même du prophète, d'accord avec l'opinion de Saül et des personnes qui étaient présentes.

5. Quoi qu'il en soit, la Sainte Écriture condamne expressément cet acte de Saül, comme impliquant un péché d'infidélités  : « Saül mourut à cause de ses iniquités; parce qu'au lieu de garder le commandement que le Seigneur lui avait fait, il l'avait violé, et en outre parce qu'il avait consulté une pythonisse et qu'il n'avait point mis son espérance dans le Seigneur. C'est pour cela que Dieu le fit mourir, et qu'il transféra son royaume à David, fils d'Isaïe ».

Ce qu'eut d'illicite l'acte de Saül est d'autant plus évident qu'il avait lui-même auparavant condamné ces pratiques en « exterminant les magiciens et les devins de tout le pays » .

6. Pour conclure, ces paroles de la Sainte Écriture devraient toujours être présentes à notre esprit  : « Je ne veux pas que vous soyez en société avec les démons. Vous ne pouvez pas boire le calice du Seigneur et le calice des démons. Vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur, et à la table des démons ».

Il est donc à désirer que l'on puisse affirmer des chrétiens ce que nous lisons des Hébreux craignant le Seigneur: « Il n'y a point d'augures dans Jacob, ni de devins dans Israël » .


XI. - Critères erronés dans l'étude du spiritisme

1. Avant de terminer ce chapitre, où nous nous sommes efforcés de montrer quelle est la nature des pratiques spirites, il est utile d'attirer l'attention du lecteur sur certains critères invoqués par des auteurs modernes dans l'étude du spiritisme, et qui sont ou d'une fausseté absolue ou du moins extrêmement dangereux au point de vue de la foi.

Le premier critère consiste à admettre indistinctement et sans les garanties nécessaires, les citations de soi-disant savants matérialistes ou athées ayant pratiqué ou pratiquant sur une grande échelle des expériences de cette sorte, et qui émettent leurs opinions fantastiques sans aucun souci de la philosophie ou de la Révélation chrétienne. Pour n'en citer que quelques-uns parmi les plus connus, mentionnons Sir William Crookes, Sir Oliver Lodge, le Révérend William Stainton Moses, W. H. Frederick Myers et Sir Arthur Conan Doyle.

Ce serait de même une grave erreur d'accepter aveuglément cette kyrielle de menus faits que l'on nous conte à propos de médiums célèbres, Eusapia Palladino, Mme Piper, Mme Verrall, Mme Sidwick et autres personnes du même genre. On trouve des gens qui ne croient ni aux saints Évangiles ni aux Pères et Docteurs de l'Église, mais qui acceptent, sans l'ombre d'un doute, des récits purement imaginaires débités librement par ces personnes.

2. Plus grave encore est l'erreur de ceux qui prétendent que le devoir de prononcer un jugement sur les phénomènes spirites appartient d'une manière si exclusive au domaine de la psychologie ou des sciences physiques, que la théologie n'a pas plus le droit d'y pénétrer que, par exemple, dans le domaine de la biologie. En réalité, du moment que ce régulateur suprême du savoir, qu'est la Théologie catholique, est banni du terrain de la recherche, aucun contrôle ne subsiste quant aux sciences naturelles, et personne ne peut plus se former un jugement sérieux sur la finalité des découvertes physiques. Ne serait-ce pas folie de nier la nécessité de la lumière solaire, parce qu'on a découvert la lumière électrique ? Or, de même que la lumière du soleil et celle de l'ampoule électrique existent côte à côte et ne se font mutuellement aucun tort, de même devons-nous laisser à la sainte Théologie, maîtresse suprême de vérité, sa propre place dans le royaume de la science, si nous voulons tirer de celle-ci tout le profit que son développement pourra nous offrir. Nous pouvons être sûrs que l'athéisme scientifique n'est pas moins funeste à la cause de la vérité que ne l'est l'athéisme civil et politique.

3. Certains auteurs modernes, et ceux-ci sont nombreux, prétendent tirer un grand avantage du fait que nous ne connaissons pas toutes les lois de la nature et que les forces des agents physiques ne nous ont pas encore été pleinement révélées. C'est l'argument principal dont se servent ces auteurs, pour s'efforcer de présenter comme des effets naturels, c'est-à-dire comme des effets proportionnés aux forces des agents physiques, tous les phénomènes extraordinaires ayant lieu dans les séances spirites, rejetant ainsi la nécessité de faire appel, pour les expliquer, à l'intervention des anges. L'application illimitée de cette manière de raisonner conduit, on le voit sans peine, à l'exclusion de toute manifestation surnaturelle ou miraculeuse, même de celles contenues dans la Sainte Écriture et que la Théologie catholique invoque comme preuves de la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

4. Il est facile de répondre à cette difficulté. Nous admettons que la somme des possibilités de la nature ne nous est pas connue et que l'extrême limite qui doive être attribuée aux diverses énergies du Cosmos demeure pour nous une énigme. Il est cependant quelque chose que nous connaissons avec pleine certitude. Autrement à quoi nous serviraient l'expérience de tant de siècles et les découvertes si vantées de la science moderne ? Dans tous les cas, personne ne songera à nier que si nous ne connaissons pas, dans toute son étendue, l'objet adéquat de ces forces, nous connaissons néanmoins, dans sa nature ainsi que dans sa mesure, le champ propre dans lequel leur action se déploie. Par exemple, si nous ne pouvons assigner une limite positive aux applications de l'électricité, nous pouvons toujours indiquer la limite négative que cette force ne pourra jamais franchir, l'ordre de Dieu s'appliquant à tout objet physique : « Tu viendras jusqu'ici, non au delà ; ici se brisera l'orgueil de tes flots » .

De même qu'un poirier, restant ce qu'il est, ne pourra jamais produire une grappe de raisin, de même est-il vain d'attendre que la matière arrive à penser ou l'œil à percevoir le son. Raisonner autrement est la marque d'un esprit dérangé. Cela équivaudrait à renverser les principes fondamentaux de la nature et ouvrir toute grande la porte aux plus étranges extravagances devant lesquelles les métamorphoses d'Ovide ne seraient plus qu'un jeu d'enfant.

5. D'une importance bien plus grave encore, est l'assertion que «l'état de transe (chez le médium) est indicatif de la dissociation de la personnalité, telle que nous la trouvons en divers états psychologiques anormaux, où apparaissent à la fois l'automatisme et des personnalités secondes ». Et encore : « Des personnalités secondes se développent aussi dans les rêves, mais d'une manière encore plus distincte dans les phases avancées de dissociation, telles que l'épilepsie, l'hystérie, et comme conséquence de la suggestion, chez les personnes de tendances hystériques ».

6. Or, nous le demandons, comment est-il possible de proposer, même à titre de simple hypothèse, une telle théorie, forgée de toutes pièces en opposition à l'enseignement formel de la saine philosophie, qui définit la personne comme une « substance individuelle et incommunicable, de nature raisonnable », reconnaissant ainsi comme impossible une division ou une multiplication quelle qu'elle soit de cette personne ? Une telle division ou multiplication réduit à néant l'enseignement traditionnel sur la responsabilité de nos actes et la sanction qu'ils entraînent, et détruit complètement le fondement philosophique de cette responsabilité.

7. Il convient de noter ici la grave conséquence que peut avoir en théologie cette fameuse théorie du dédoublement de la personnalité. Un tel enseignement, poussé jusqu'à sa conclusion ultime, tend à ébranler la foi aux mystères augustes de l'Incarnation et de la Rédemption.

Il est de foi que le Verbe de Dieu a pris notre nature et se l'est unie dans l'unité de sa personne, afin de nous racheter du péché par ses mérites, qui furent à la fois, sous des aspects différents, des œuvres humaines et divines et ainsi d'une valeur infinie. Or, si l'on admet la possibilité d'une personnalité seconde, latente en chacun de nous, pourquoi ne pourrait-on pas en dire de même de notre Divin Sauveur, et, dans ce cas, pourquoi ne pas attribuer sa passion et sa mort avec tous ses mérites, non pas, comme l'enseigne la foi catholique, à la seconde personne de la Sainte Trinité, mais plutôt à une forme inférieure de personnalité que le langage des médiums nomme subconsciente ou subliminale ?

8. On peut voir, d'après tout ce qui vient d'être dit, à quel point se trompe l'auteur déjà cité quand il écrit : « Dans les pratiques spirites proprement dites, les phénomènes, de quelque nature qu'ils soient, sont attribués à l'action des âmes des morts... Bien entendu la question dépend dans une large mesure de celle-ci : peut-on imaginer que les morts exercent, par leurs propres forces, une activité quelconque dans notre monde ? Les théologiens que nous avons cités nient qu'un tel pouvoir soit naturel à l'âme séparée... Mais cet argument n'est nullement convaincant... Nous devons admettre que nous n'avons pas une connaissance absolue de la nature de l'âme. En fait, c'est cette connaissance même que l'on recherche dans les expériences spirites ».

Celui qui a écrit ces lignes trahit une ignorance grossière de la nature de l'âme humaine et de ses opérations, tout en exagérant considérablement son pouvoir après la mort. C'est là une chose dangereuse pour un auteur qui prétend au titre de savant, de négliger cette source authentique d'information qu'est la psychologie catholique.


XII. - Les pratiques spirites condamnées par l'Église

1. Les observations que nous venons de faire tendent à montrer à quel point est justifiée l'aversion que l'Église Catholique a toujours eue pour le spiritisme, et justifient amplement l'opportunité des diverses mesures par lesquelles elle n'a cessé, dans tous les temps, de combattre la nécromancie et autres pratiques occultes.

2. Nous pouvons, comme conclusion, transcrire ici le décret suivant du Saint-Office sur le spiritisme.


24 avril 1917 .

« A la séance plénière tenue par les Éminentissimes et Révérendissimes Cardinaux, Inquisiteurs généraux en matière de foi et de morale, la question suivante a été posée :

«Est-il permis d’assister aux conférences ou manifestations spirites, qu’elles aient lieu avec ou sans le concours d’un médium, avec ou sans hypnotisme et quelles que puissent être ces conférences ou manifestations, même si elles semblaient devoir inspirer confiance par une honnêteté ou une piété apparente, qu'il s’agît d'interroger les âmes ou les esprits, ou d’écouter leurs réponses, ou encore d’être simplement assistants, même en protestant, d’une manière tacite ou expresse, que l’on désire n’avoir aucun rapport avec les mauvais esprits ? » Les dits Éminentissimes et Révérendissimes Pères ont rendu la réponse : « Non, dans tous les cas ». Cette réponse a été transmise au Pape Benoît XV et Sa Sainteté, le jeudi suivant, 26 du même mois, a approuvé la décision des Éminentissimes Pères.

«Donné à Rome, au Palais du Saint-Office,

27 avril 1917 ».

Aloysius Castellano

Notaire de la Ste Inquisition romaine.


Précédemment, la réponse suivante avait été donnée par le Saint-Office : « Il est absolument illicite d'évoquer les âmes des morts, même si une protestation a été faite auparavant prétendant exclure toute intention d'en appeler à l'intervention diabolique  »

De son côté la Sacrée Pénitencerie avait en outre déclaré illicite l'assistance même passive aux consultations et pratiques spirites, en raison du scandale et du danger pour le salut, qui ne sont jamais entièrement absents .

3. En présence de paroles si formelles, nous ne pouvons nous défendre d'un sentiment de surprise, en voyant quelques auteurs catholiques soutenir, sans l'ombre d'un doute, qu'on peut licitement recourir à la médiation de personnes en transe pour connaître les secrets de l'au-delà.

La chose est différente, lorsque les expériences se font sur une base purement psychique, et en n'interrogeant ni âmes ni esprits. Le décret de l'Inquisition semble bien, en effet, se rapporter exclusivement à des expériences où l'on essaie d'entrer en communication avec des âmes séparées ou des esprits angéliques.



CHAPITRE II - DIVERSES CLASSES D'ÊTRES ANGÉLIQUES

1. Il a été démontré que les manifestations obtenues par le spiritisme sont au delà du pouvoir des âmes désincarnées et qu'elles surpassent de toute évidence l'activité de n'importe quel élément matériel ; d'où nous avons conclu que ces manifestations doivent être attribuées à un genre différent d'agents spirituels, c'est-à-dire à des êtres angéliques. Or, un examen approfondi de la nature de ces communications ayant prouvé qu'elles sont accompagnées de dangers physiques et moraux et, pour le moins, du renoncement implicite au libre arbitre, chose illicite et conduisant à des actes d'immoralité et de désordre, la question qui maintenant se pose d'elle-même est celle-ci : à quelle classe d'êtres spirituels doivent être attribuées ces manifestations ? Pour répondre à cette question, nous ferons de nouveau appel à la Théologie catholique.

2. Comme notre but a été, dès le commencement, de montrer les êtres angéliques, leurs propriétés et opérations, tels qu'ils existèrent dans le principe selon l'ordre naturel des choses et non tels qu'ils ont été par la suite modifiés par l'action personnelle de ces mêmes substances spirituelles, nous nous sommes jusqu'ici abstenus à dessein d'entrer pleinement dans la question de savoir comment ces êtres doivent être distingués entre eux et en quoi consiste précisément cette distinction. C'est ce que nous avons dessein d'examiner maintenant.

À vrai dire, il est impossible de déterminer exactement la nature des phénomènes spirites, si l'on n'a recours à une classification des anges en deux catégories : les bons et les mauvais. Ce partage, bien qu'il ne se rencontre pas au premier moment de la création des anges, est néanmoins aussi réel que l'existence même des êtres angéliques.

3. Le but de la présente enquête est donc d'établir aussi clairement et aussi brièvement que possible ce que la Théologie catholique enseigne quant à l'état dans lequel tous les anges furent d'abord créés, quant à la révolte de certains d'entre eux contre Dieu, source de tout bien, quant à la séparation subséquente des bons anges d'avec les mauvais et à la condition finale de ceux qui furent infidèles à leur Créateur.


I. - État dans lequel les anges furent créés au commencement

1. Au commencement, c'est-à-dire quand les éléments matériels de ce monde furent tirés du néant, Dieu, par une parole de sa puissance infinie, produisit en un instant et de rien, des myriades de substances spirituelles qui furent distribuées, d'après un plan établi avec sagesse, en hiérarchies et en ordres, et qui formèrent un chœur immense destiné à l'honneur et à la gloire du Tout-Puissant.

2. Mais ce n'était pas assez pour Dieu d'avoir orné ces nobles créatures spirituelles des plus précieuses qualités de l'esprit et de la volonté. Il les dota, en les créant, du don de la grâce divine, les rendant ainsi participantes de son amitié et héritières d'un bonheur infini, choses qu'elles n'auraient pu atteindre sans cette aide surnaturelle. Cependant le paradis spirituel de grâce où elles étaient déjà placées n'était que le vestibule de ce royaume étincelant de gloire qui leur était destiné comme séjour éternel, la seule condition pour une telle récompense étant la persévérance dans le bien.

3. Ces merveilleux esprits étaient tous doués de libre arbitre, cette puissance mystérieuse capable de tant de bien et de tant de mal et dont Dante a parlé en ces termes

« Si elle le veut, la volonté ne fléchit point, mais fait ce que le feu fait par sa nature, quand la violence mille fois le courberait» .

Tous, sans exception, dès le premier moment de leur création, firent l'usage de leur liberté, en consentant, sous la motion de l'Esprit-Saint, à l'infusion de la grâce divine en eux, car c'est une loi, que la grâce n'est donnée à aucune créature, ayant l'usage de son intellect, sans son consentement personnel.

4. Ainsi ornés de la grâce divine et riches de l'amitié surnaturelle de Dieu, les anges n'avaient qu'à recevoir de la main de leur Créateur la récompense due à leur mérite et entrer ainsi en possession du bonheur éternel dans la vision de l'Essence Divine. En réalité tous les esprits angéliques auraient été introduits immédiatement dans les demeures du bonheur sans fin, si certains d'entre eux n'avaient, par un acte de suprême apostasie commis contre l'Auteur de tout bien, établi un obstacle insurmontable à la réception de cette récompense. Mais comment eut lieu cet acte de rébellion ou d'apostasie ?


II. - La grande révolte dans le Ciel

1. L'acte de rébellion, qui fut cause de la grande division dans l'armée angélique, fut accompli en un instant. Tandis que le plus grand nombre de ces purs esprits persévéra dans la soumission aux ordres de Dieu et demeura par suite dans son amitié, entrant immédiatement en possession du bonheur éternel, les autres choisirent une voie différente et prétendirent atteindre leur béatitude finale par les propres forces de la nature, méprisant ainsi et rejetant la grâce de Dieu. Bien que désirant posséder le bonheur parfait, ils adoptèrent des moyens pervers pour l'atteindre et c'est en cela que consista leur acte d'apostasie.

2. Il est de foi que notre dernière fin ne peut consister qu'en la pleine possession de Dieu et ne peut être atteinte qu'avec son aide, puisqu'Il est la Voie, la Vérité et la Vie . Mais ces anges rebelles prétendirent suivre leur propre voie, cherchant à être parfaitement heureux sans Dieu, ou peut-être à être heureux avec lui, mais d'une manière différente de celle qu'il avait ordonnée.

Ils mirent donc ainsi entre eux et leur fin dernière une barrière infranchissable, détruisant leur mérite antérieur et encourant la réprobation éternelle. La conséquence fut que tandis que le plus grand nombre des substances angéliques furent immédiatement introduites dans la vie éternelle, les autres furent précipitées dans le malheur éternel.

3. Pour savoir comment eut lieu une telle catastrophe, nous devons encore avoir recours à l'enseignement catholique.

De même que toute révolte est conduite par une individualité inspirant aux autres l'esprit inquiet d'insubordination, ainsi cette armée des esprits rebelles eut pour chef un ange, Lucifer, le plus brillant et le plus élevé de l'armée céleste, dont le cri séditieux fut repris par des milliers d'autres esprits, qui suivirent leur capitaine dans son attitude de révolte contre Dieu, l'Auteur de tout bien.

On peut citer ici les vers de Dante

« S'il fut aussi beau qu'il est maintenant hideux, après avoir élevé ses sourcils contre son Créateur, doit certes de lui procéder tout deuil » .

4. Ce fut ce seul acte de révolte qui fixa pour toujours le sort de ces esprits orgueilleux. Ils furent, avec leur chef, exclus à l'instant et irrévocablement du bonheur éternel. Certains allèrent au lieu de leur punition, tandis que les autres, par une juste dispensation de Dieu, demeurèrent sur cette terre, emportant avec eux leurs tourments sans fin. Ils ont, par permission divine, le pouvoir de rôder çà et là, causant divers maux physiques et poussant les hommes à se révolter contre Dieu, afin de les entraîner avec eux dans la perdition éternelle.



III. - Les bons et les mauvais anges

1. Pour ce qui regarde la distinction des bons et des mauvais anges dont nous venons de parler, il faut d'abord observer que le seul acte de révolte des anges rebelles, par lequel ils perdirent la grâce divine, a décidé de leur sort pour l'éternité, si bien qu'il n'y a, dans l'ordre naturel des choses, aucune possibilité de changement dans leur condition de malheur et de souffrance.

De même que l'état des bons anges est fixé dans la possession du bonheur parfait, de même l'état des mauvais anges l'est dans la douleur sans fin. Tandis que les premiers demeurent confirmés à jamais dans le bien et la félicité, les autres restent irrévocablement obstinés dans le mal et plongés dans un abîme de tourments, la nature même de l'opération mentale des anges étant un obstacle à un changement dans leur état. Le choix une fois fait, le sort de chacun demeure pour toujours sans changement possible.

2. L'intellect angélique, en effet, ne s'avance pas, comme l'intellect humain, graduellement et pas à pas vers la connaissance de la vérité, pas plus qu'il n'est soumis aux hésitations dont nous faisons l'expérience. L'ange obtient, d'un seul coup d'œil, une intuition parfaite des choses et s'attache, avec une immuable ténacité, aux objets de son choix, car il est impossible qu'une puissance spirituelle revienne sur le choix qu'elle a fait. Un sort éternel et nécessaire est pour l'ange l'œuvre même du premier choix fait par lui ; il est pour toujours heureux dans la possession de Dieu ou pour toujours malheureux loin de Lui dans la passion absorbante de son propre moi. «Deux amours, dit saint Augustin, ont bâti deux cités, l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu, la cité de la terre ; l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi, la cité de Dieu » .

3. De même que les bons anges, dans leur acte de soumission à Dieu, ont consacré pour toujours à son service leurs facultés intellectuelles et morales, tous leurs dons naturels et leur être même, ainsi les anges déchus, dans leur cri de révolte, ont avili, une fois pour toutes, toutes leurs facultés, perdant les dons surnaturels dont Dieu les avait gratifiés. La profanation de leur nature même et de leur être fut consommée dès l'instant qu'ils se détournèrent de Dieu.

4. Nous devons maintenant rechercher quel est le sort final de ces anges déchus et tenter de répondre aux questions suivantes : Quels changements se sont opérés dans leur condition ? Quelles furent les conséquences de leur acte de révolte ? Ces conséquences sont-elles d'un caractère permanent et sans changement possible ?

Toutes ces questions sont d'une grande importance et jetteront sur notre sujet une abondante lumière.


IV. - L'état final des anges déchus

1. Les anges déchus, par suite de leur révolte contre Dieu, furent privés de la grâce divine et des dons surnaturels de vertu et de sainteté qu'elle apporte avec elle. Au lieu de demeurer les amis de Dieu comme le sont les bons anges, ils devinrent ses ennemis déclarés, leur seul but étant de supplanter leur Créateur et de dresser leur royaume contre le sien.

Exclus de l'ordre de la miséricorde divine, ces esprits orgueilleux n'ont pas accès à la source de faveurs que Dieu nous a ouverte par son Fils unique, Jésus-Christ. Tandis que les opérations multiples de la grâce sont rendues évidentes aux bons anges, dans la vision béatifiante de Dieu, ces merveilleux mystères de la vie surnaturelle, tels qu'ils se déroulent au sein de l'Église catholique, demeurent un livre fermé pour les esprits rebelles et déchus. Non seulement ils sont retranchés pour toujours de l'arbre de vie, mais leur disposition habituelle, qui est un orgueil très subtil et concentré dans l'amour de soi, ne leur permet pas de comprendre le merveilleux travail de la grâce, connu seulement des humbles, l'humilité de cœur et l'abaissement du moi étant le fondement sur lequel la grâce divine opère.

2. La divinité de Jésus-Christ et le caractère surhumain de sa mission, ses miracles prodigieux d'une part et de l'autre son état inconcevable de faiblesse et d'abaissement sont pour ces esprits d'orgueil d'incompréhensibles mystères. Ils se trouvent, en présence du Messie, complètement impuissants, et cela sans connaître la raison de cette impuissance et sans pouvoir résoudre le problème si surnaturel de la Rédemption. « Qu'avons-nous à faire avec Toi, jésus, Fils de Dieu? » est leur cri continuel, dont ils ne comprennent pas même tout le sens. S'ils l'avaient compris, écrit saint Paul, «  ils n'auraient pas crucifié le Roi de gloire » . Mais l'orgueil les aveuglait.

3. A vrai dire, Satan aurait pu facilement savoir que le Christ était le Messie promis par la Loi, sachant que ce qui s'accomplissait en Lui n'était autre chose que ce qu'avaient prédit les prophètes. En voyant les œuvres que Jésus-Christ réalisait, il aurait pu conclure aussi que ce thaumaturge était plus qu'un homme ordinaire ; bien plus, si évidents étaient les signes de la divinité du Christ, que Satan aurait pu facilement le reconnaître comme le vrai Dieu, si la haine et l'envie n'avaient enténébré son intelligence et rendu impossible pour lui le fait de recevoir le pur rayon de la foi divine.

4. Nous disons donc que le démon n'eut pas une claire connaissance du merveilleux mystère de l'Incarnation et de son rapport avec le salut de l'humanité. Quoi qu'il en soit, il est certainement dans l'ignorance actuelle du mystère de l'élection et de la prédestination des fils de Dieu : mystère par lequel notre adoption comme fils de Dieu s'accomplit dans le temps par les mérites de Jésus-Christ. Pareillement, les anges déchus ne connaissent pas non plus les merveilleuses opérations de la grâce divine par lesquelles le salut est procuré aux élus, la volonté de Dieu, par rapport aux prédestinés, leur étant entièrement inconnue.

5. Enivré de la satisfaction de ses victoires partielles, dédaignant l'affront de ses défaites et animé par l'espoir de plus grands triomphes, Satan poursuit follement sa course, cherchant à entraîner les âmes des hommes dans la damnation éternelle. Son étendard est toujours levé et son cri de ralliement reste toujours celui du défi et de la révolte : «Je ne servirai pas » .

Dans ce but il rôde autour de l'homme, cherchant à pénétrer ses inclinations, à connaître ses faiblesses, lui tendant des pièges et le soumettant à l'épreuve de la souffrance et de la persécution, l'attaquant ouvertement ou par ruse et se retirant pour un temps, afin de l'attaquer plus sûrement par surprise. Son arme principale est le mensonge, « car il est menteur et le Père des mensonges » . Cependant bien que sa volonté soit fixée dans le mal et son esprit privé de la lumière de la grâce, ses dons naturels lui restent et il est sous ce rapport dans la même condition que les bons anges.

6. Il est bien évident que Dieu aurait pu condamner tous les anges rebelles au bannissement immédiat en enfer, c'est-à-dire à un état d'existence où ils auraient été incapables de tenter l'homme comme ils le font maintenant et de nuire à son salut éternel. Mais, il décréta, dans sa sagesse et sa bonté infinies, qu'un certain nombre d'entre ces esprits mauvais resteraient sur la terre, afin de leur permettre de travailler, bien que malgré eux, à l'accomplissement de ses desseins, dont cependant ils ne comprennent pas la portée.

7. En agissant ainsi, Dieu ne fait que suivre la règle si sage qui le guide dans le gouvernement du monde, dont chaque partie, d'après cette règle, doit contribuer au bien des autres parties et finalement au bien de l'univers tout entier et à la gloire du Créateur. De même que l'homme tire profit de la société des bons anges, de même aussi peut-il, avec l'aide de Dieu, tourner au bien final les plans pervers des démons, qui sont ainsi obligés de contribuer, en dépit d'eux-mêmes, « au rétablissement de toutes choses dans le Christ . »

Cela cependant ne pourrait avoir lieu, si tous les démons étaient confinés en enfer ; mais du fait que certains d'entre eux ont permission de hanter ce monde et de tenter l'homme, ils sont ainsi contraints de servir au dessein de Dieu, dont la sagesse « atteint avec force d'une extrémité à l'autre et dispose tout avec douceur » .

Par conséquent, tandis que les démons s'activent toujours à exécuter les ordres de Lucifer et à entraîner les hommes dans la perdition, ils sont, en fait, par une insondable disposition de la sagesse divine, les exécuteurs du plan divin, en procurant la sanctification des bons, de même que le feu purifie l'or, et en passant au crible l'homme juste, pour le séparer de l'injuste.

8. La sagesse de Dieu se manifeste en outre plus clairement encore si nous réfléchissons qu'il a mis pour toujours les démons sous l'empire des bons anges, et qu'il a placé à côté de chaque homme, dès son entrée dans ce monde, un bon ange qui l'illumine, dirige ses pas et le garde contre ses ennemis. Et c'est ainsi que le démon voit ses assauts repoussés par l'action de ceux des purs esprits qui demeurèrent fidèles à Dieu, et qu'il contribue, en fin de compte, à la plus grande gloire de son Créateur.

9. Disons maintenant de quelle façon le démon attaque l'homme et le tente. Nous savons quelle est la pénétration de l'esprit angélique, sa merveilleuse activité et l'étendue du domaine où s'exerce sa connaissance. Nous avons aussi montré le grand pouvoir que ces êtres spirituels possèdent dans l'univers et comment ils peuvent l'exercer en ce qui concerne la matière organique, produisant, grâce à ce pouvoir qu'ils ont de mouvoir les éléments matériels, les plus étonnantes transformations. Et nous avons vu qu'en ce qui concerne l'homme lui-même, ils peuvent exercer sur lui une très grande influence, excitant et mettant en mouvement à un degré considérable ses facultés sensitives, l'imagination en particulier étant influencée par eux d'une manière surprenante. Nous pouvons conclure de tout ceci que les mauvais anges peuvent nous attaquer de bien des façons et qu'il leur est facile de nous conduire au mal, si nous ne nous tenons sur nos gardes.

10. On ne doit cependant pas perdre de vue, que si grand que puisse être le pouvoir du démon, des limites lui ont été fixées par le Tout-Puissant, au delà desquelles il lui est impossible d'agir. Il peut à la vérité nous nuire, mais non au-delà de ce qui lui est permis et il sait parfaitement que son pouvoir doit avoir une fin et cela avant bien longtemps. Peut-être sa connaissance de la brièveté du temps assigné à son règne lui fait-elle redoubler d'activité dans le présent ; mais tous ses efforts ne peuvent aboutir qu'à servir les insondables desseins de la Providence divine. Celle-ci ne permet, en effet, que jusqu'à un certain point, à l'influence maligne, de s'exercer contre nous, afin que, nous tournant vers notre Créateur, nous implorions son secours, et nous puissions, par sa grâce, remporter la victoire et gagner une couronne de gloire immortelle en récompense de nos mérites.

11. Un pieux auteur anonyme, généralement cité sous le nom de saint Augustin, a dit sur ce sujet d'excellentes choses. Commentant ce passage de saint Matthieu  : « Comment quelqu'un peut-il entrer dans la maison de l'homme fort, et piller ses meubles, sans avoir auparavant lié cet homme fort ? Alors seulement il pillera sa maison », il dit «  Quelqu'un objectera : Si le démon a été lié, pourquoi donc a-t-il encore une telle force ? Il est vrai, mes chers frères, le démon est vraiment puissant. Mais il règne sur les tièdes et les négligents et ceux qui ne craignent pas Dieu en vérité. Il est vrai qu'il est lié comme un chien par sa chaîne et ne peut mordre que ceux qui s'approchent de lui avec une fatale sécurité. Beaucoup en effet, sans souci de la loi du Christ, s'abandonnent aux mains de cet ennemi irréconciliable et exposent ainsi leur vie à ses assauts ».,



CHAPITRE III - COMMENT DOIT-ON JUGER LA MORALITÉ DES PHÉNOMÈNES SPIRITES

1. Après avoir montré la nature intrinsèque des pratiques spirites, et la différence fondamentale qui existe entre les bons et les mauvais anges, nous devons maintenant passer à l'application des principes ci-dessus exposés et répondre à la question : quel jugement doit-on prononcer sur la moralité des phénomènes spirites, examinés par rapport aux êtres angéliques ? Tel est le problème que nous devons résoudre dans ce chapitre.

2. Nous devrons tout d'abord insister à nouveau sur le principe déjà invoqué, savoir : que les phénomènes spirites, tels qu'ils sont, doivent être attribués à l'action des anges déchus. Mais la question néanmoins demeure : ces substances intelligentes nous mettent-elles réellement en communication avec les âmes des trépassés, quels que soient le caractère et la destinée de ces âmes ?

Pour résoudre cette question dont la solution doit guider notre jugement sur la moralité des pratiques spirites, il sera nécessaire, en premier lieu, d'examiner si les anges, en général, peuvent agir comme médiateurs entre nous et les âmes des morts ; et, deuxièmement, s'il est possible que les esprits déchus représentent une âme désincarnée, que celle-ci soit sainte ou qu'elle appartienne à la catégorie des âmes condamnées à la mort éternelle.

3. En outre, comme le but principal du spiritisme semble être de prêcher un nouvel évangile et de fonder une religion nouvelle essentiellement différente de celle instituée par Jésus-Christ et proclamée par l'Église Catholique, nous devrons rechercher en quoi consiste cette nouvelle forme de religion et de quelle nature est le credo que les spirites voudraient substituer à l'ancien.

4. On ne peut nier que cette question ne soit difficile à traiter, puisqu'il faut tenir compte d'un grand nombre de considérations de nature différente ; mais la Théologie catholique possède des principes nettement établis, et c'est en les suivant que nous espérons, avec l'aide de Dieu, éclairer le doute qui nous occupe actuellement.


I. - Les phénomènes spirites doivent être attribués à l'action des anges déchus

1. Les phénomènes, dont il vient d'être question, surpassent, nous l'avons vu, les pouvoirs des éléments visibles de ce monde et l'on ne peut en rendre compte (ce que tous les spirites expérimentés avouent) que par l'action de causes immatérielles. Or la première de ces causes immatérielles est Dieu, et attribuer ces phénomènes à son action immédiate serait manifestement un blasphème. Une telle assertion équivaudrait à affirmer que Celui qui est la justice et la sainteté même, dérange, obéissant au caprice de l'homme, la marche ordinaire de la nature et participe directement à des pratiques qui sont, à un moment ou à un autre, accompagnées de circonstances d'un caractère immoral.

2. Il faut, en second lieu, admettre que ces phénomènes ne peuvent être supposés l'œuvre des bons anges. Ces purs esprits seraient sans doute, strictement parlant, capables de produire ces merveilleux effets ; mais, comme ils sont les ministres de la justice et de la sainteté de Dieu, on ne peut les imaginer coopérant à des pratiques opposées à ces attributs divins.

3. Ces effets ne peuvent davantage être dus aux âmes des morts, celles-ci étant, en raison de leur nature, incapables de les produire. Nous avons vu comment la condition innée des âmes des défunts les empêche de prendre part à la production d'événements appartenant au monde terrestre.

4. Il ne reste donc qu'une solution possible. Les phénomènes sont en réalité l'œuvre des anges déchus qui, de tout temps, ont cherché à entrer en communication de diverses manières avec l'humanité et, de nos jours, ont substitué les phénomènes en question aux stratagèmes bien connus d'autrefois.

Or si nous réfléchissons que ces anges déchus s'efforcent de détruire le Royaume de Dieu et d'attirer les âmes des hommes dans la perdition et qu'en exécution de leurs plans ils peuvent adopter un grand nombre de stratagèmes pour atteindre leur but, ne reculant devant aucun moyen, si vil et si immoral qu'il soit, nous avons la clef qui nous donne la solution du grand problème. Nous conclurons que les auteurs des phénomènes en question ne sont autres que les anges déchus qui, en réponse à l'invocation des expérimentateurs, prennent l'apparence des âmes des morts, étalant ainsi, devant les multitudes étonnées, leur grande connaissance naturelle et le pouvoir qu'ils ont sur la création, tout cela dans le but de ruiner les âmes rachetées par le Sang de Jésus-Christ.

5. On sera peut-être surpris d'apprendre comment, au second siècle de l'ère chrétienne, un des plus célèbres écrivains ecclésiastiques, Tertullien, dans sa fameuse Apologie du Christianisme, où il défend les dogmes de notre foi contre les attaques des rationalistes, décrit la nature des démons en même temps que leur merveilleuse connaissance et la puissance qu'ils possèdent sur les éléments matériels.

Il y avait alors, comme aujourd'hui, des médiums qui suscitaient d'étranges phénomènes et prétendaient évoquer les âmes des morts. Ces médiums faisaient parler à des enfants des langues mystérieuses, accomplissaient des prodiges sans fin devant les foules, provoquaient des songes prophétiques et faisaient se mouvoir des bancs et des tables, en prétendant, par ce moyen, prédire l'avenir et révéler les événements cachés. Tertullien ajoute que si le pouvoir des démons est d'une telle force quand ils agissent au moyen de médiums, on peut se demander quelle sera la mesure de ce pouvoir quand ils agissent par eux-mêmes. Rien de surprenant, conclut-il, au fait que ces esprits poussent des hommes à se jeter du sommet de tours élevées, à se mutiler ou à s'infliger une mort cruelle et prématurée. Tout cela, conclut le célèbre auteur, est l'œuvre des démons .

6. À vrai dire, cette vaste connaissance et ce pouvoir extraordinaire des anges déchus sont des dons de Dieu, destinés par Lui, à l'origine, à un usage meilleur et plus noble. Cependant, bien que les mauvais esprits s'efforcent, autant qu'ils peuvent, de rendre vains les desseins de la Providence, ils ne réussissent jamais complètement, puisque Celui qui dirige toutes choses avec une sagesse infinie ne permet le mal que dans le but de procurer un plus grand bien.

7. Mais, demandera-t-on, ne peut-on pas concevoir que ces manifestations spirites, bien qu'on ne puisse directement les attribuer aux âmes désincarnées, nous mettent toutefois, d'une manière indirecte, en communication avec celles-ci, c'est-à-dire, par la médiation des anges représentant ces âmes et agissant ainsi en leur nom ? Et ne peut-on pas dire, après tout, que nous entrons en communication avec les âmes des morts, même si le fait n'a lieu que d'une manière indirecte ?

C'est là une question qui mérite un sérieux examen, si l'on veut qu'aucun doute ne demeure quant à la nature réelle de ces manifestations.


II. - Les Anges peuvent-ils agir comme médiateurs entre nous et les âmes des morts?

1. Nous avons montré, dans les paragraphes précédents, que les pures substances spirituelles, étant des intelligences immatérielles, peuvent converser avec les âmes des trépassés et nous faire connaître les pensées et les désirs de ces mêmes âmes. Mais pour qu'on ne puisse s'imaginer que les communications spirites dont nous parlons peuvent, après tout, venir des âmes des morts par l'intervention des esprits, une nouvelle observation est à consigner ici.

D'abord, il ne faut pas oublier que nous ne parlons ici que des anges déchus, car, bien que les bons anges connaissent l'état de l'âme après la mort, et puissent, strictement parlant, être le moyen de communication entre nous et les âmes désincarnées, les manifestations spirites ne peuvent cependant pas leur être attribuées, ainsi que nous l'avons fait voir plus haut. Il est tout à fait inadmissible, en effet, que ces esprits de sainteté, qui voient Dieu face à face et le servent jour et nuit, se fassent les serviteurs de la frivolité de l'homme et de sa coupable curiosité. En outre, les circonstances elles-mêmes, qui accompagnent d'habitude de telles communications, ne permettent nullement d'attribuer ces phénomènes à la médiation de bons et saints esprits.

2. Mais nous affirmons également que la théorie d'après laquelle ces communications peuvent être dues à la médiation de mauvais esprits, par l'entremise desquels nous recevrions réellement des messages des trépassés, est également insoutenable.

3. Nous devons tout d'abord observer que nous ne nions pas ici la possibilité absolue, pour les démons, de représenter de cette façon une âme en particulier, car, absolument parlant, les substances spirituelles ou anges, en prenant l'apparence d'une âme désincarnée et en nous manifestant ses pensées et ses désirs, peuvent être un moyen de communication entre nous et les morts.

De tels phénomènes, s'ils se produisaient, ne devraient pas être regardés comme mensongers, du moment que l'image apparaissant correspondrait réellement à la personnalité qu'elle représente, c'est-à-dire dans le cas où l'âme séparée serait consciente de la manifestation et consentirait à apparaître ainsi. Dans ce cas le corps formé par la substance angélique se trouverait, par rapport à l'âme désincarnée, dans la même relation qu'une image envers la personne qu'elle représente. Or, nous savons que l'honneur rendu à une image ne va pas à cette image elle-même, mais à la personne dont elle offre la ressemblance. Si donc un ange produisait une forme représentant le corps ayant appartenu jadis à une âme désincarnée, et si cette âme consentait à l'apparition, on pourrait dire que nous conversons avec cette âme plus réellement encore que lorsqu'un sujet, ne pouvant parler à son roi que par le truchement de son ambassadeur, est censé converser avec le roi lui-même.

4. Mais bien qu'il puisse arriver parfois que les bons anges prennent ce moyen de communication entre nous et les âmes désincarnées, comme c'est le cas, par exemple, dans des manifestations des âmes du Purgatoire qui peuvent se montrer à nous par le ministère de leurs anges gardiens, une telle révélation ne peut se produire que par une faveur spéciale de Dieu (ce qui n'est rien moins qu'un miracle) et ne peut d'aucune façon être mise au compte des pratiques spirites.

Ce que nous affirmons, c'est que de telles communications ne peuvent avoir lieu par l'action des mauvais esprits, sauf peut-être quand il s'agit des âmes des damnés, cette communication ayant lieu, suivant le cas, avec ou sans l'intervention immédiate et miraculeuse de la divine Providence, comme nous le dirons tout à l'heure.

5. Mais nous avons dit qu'il nous est impossible de discerner les cas où un démon représenterait vraiment, de son propre chef, une âme damnée, vu que tout élément de contrôle nous fait défaut pour juger de l'authenticité du fait. Quant à la représentation d'âmes saintes par médiation du démon dans les séances spirites, nous devons dire une fois de plus qu'une telle pensée ne peut être admise même un seul instant. Une telle représentation, quelles que soient à son sujet les affirmations des esprits, n'est que fraude et mensonge.

6. Toutefois, il est nécessaire, pour la pleine exposition de cette doctrine, que nous nous tournions de nouveau vers l'enseignement catholique concernant le sort final de l'âme humaine et la disposition de la divine Providence à son égard.


III. - Le sort final de l'âme humaine

1. La foi catholique nous enseigne que l'âme, à son départ de cette vie, est jugée par Dieu et, suivant ses mérites, voit fixer sa destinée éternelle. Elle se trouve dans une de ces alternatives : ou bien jouir de l'amitié et de la faveur de Dieu, ou bien se trouver en état de révolte contre Lui. Le premier état lui donne droit au bonheur éternel, le second l'exclut à jamais de la présence divine.

2. Il existe, en outre, cette différence entre ces deux états que, tandis que l'âme ayant quitté cette vie, coupable de péché et de révolte contre Dieu, reçoit aussitôt sa punition méritée, l'âme destinée à la béatitude éternelle a, dans bien des cas, une dette temporelle à payer à la justice divine pour des fautes commises par elle durant son pèlerinage terrestre. Elle ne peut donc entrer tout de suite dans son éternelle récompense, mais doit attendre au purgatoire qu'elle ait «payé jusqu'à la dernière obole » : L'âme humaine, après la mort, peut donc être au ciel, au purgatoire, ou en enfer.

3. L'âme, dans le purgatoire, est cependant sauvée. Elle jouit de l'amitié de Dieu et possède la certitude de le voir un jour face à face. Elle appartient de droit à la société des Saints qu'elle est destinée à partager, dès qu'elle aura payé sa dette. Il n'y aura donc à la fin que deux classes d'âmes humaines : les âmes sauvées et les âmes perdues, les premières jouissant d'un bonheur sans fin, les dernières accablées d'un malheur éternel.

4. Il faut noter ici une différence dans la façon dont les âmes séparées de leur corps peuvent être dites occuper le lieu qui leur est destiné et celle dont les anges, d'après leur qualité, sont dits être dans le ciel, sur la terre ou en enfer.

Bien que les purs esprits ne soient d’aucune façon composés de matière, ils n’en occupent pas moins des lieux déterminés, de telle sorte qu'ils ne peuvent occuper en même temps deux endroits différents. La demeure propre des bons anges est au ciel, celle des anges déchus en enfer, bien que bons et mauvais anges puissent aussi se trouver sur la terre, mais d’une manière différente.

L’archange Raphaël, par exemple, était localement présent avec Tobie dans le voyage qu'il fit avec lui, et notre ange gardien est toujours à nos côtés. Ces bons anges, bien que jouissant de la vision de Dieu (ce qui fait que l'on peut dire qu'ils sont en même temps dans le ciel), sont cependant, à proprement parler, tout le temps que dure leur mission parmi les hommes, non pas dans le ciel, mais sur la terre. Ce n'est qu'une fois leur mission accomplie, qu'ils retourneront au lieu d'où ils sont venus. Il existe, néanmoins, dans la grande armée des anges, des esprits sans nombre, qui ne quittent jamais le trône de Dieu et forment pour ainsi dire sa cour d'honneur. Ce sont les esprits supérieurs que l'on nomme les anges assistant au trône de l'Éternel .

5. Les anges déchus qui sont en enfer ne quittent jamais ce lieu de tourments ; mais ceux qui sont sur terre peuvent se trouver successivement en divers endroits, suivant qu’ils choisissent de rôder çà et là sur la terre, cherchant ceux qu'ils veulent dévorer et s'efforçant de nuire en différents endroits et à différentes personnes. On peut, néanmoins, dire de ces démons qu’ils sont en enfer, en ce sens qu'ils portent toujours avec eux la conscience de leur éternelle réprobation et parce que l'enfer est leur demeure finale. Mais en réalité ils n’y habiteront définitivement qu’après le jugement dernier, quand le temps de nuire à l'humanité et de l'affliger sera passé pour eux.

6. En ce qui concerne les âmes des morts, nous pouvons dire, en général, qu’elles ne quittent jamais le lieu qui leur est assigné. Il faut toutefois excepter les saintes âmes souffrant au purgatoire, lesquelles, le temps de leur épreuve étant achevé, passent de ce lieu d’affliction au ciel des saints anges et des bienheureux.

Quant aux âmes des réprouvés, elles ne peuvent abandonner leur séjour, puisque l’un de leurs châtiments consiste précisément à se voir prisonnières dans un lieu pour lequel elles n’éprouvent en réalité qu’une indicible répulsion.

Enfin, les âmes des bienheureux pourraient, strictement parlant, quitter le ciel pour un temps donné et venir sur cette terre ; mais, dans l’ordre ordinaire des choses, elles ne le font pas, n’ayant pas, comme les anges, le pouvoir de se former un corps visible ni la mission d'assister les hommes sur cette terre. Si un tel fait se produisait, il faudrait l’enregistrer comme un miracle.

7. Une raison convaincante existe donc pour que l’on doive attribuer à toute autre cause qu’aux âmes des trépassés, de quelque caractère qu'elles soient, les apparitions des séances spirites. Ces âmes ne peuvent visiter cette terre. Le pourraient-elles que, n'ayant aucun contrôle sur les éléments matériels, il leur serait impossible de nous apparaître, à moins que Dieu ne décidât d'accomplir un miracle, supposition qui, nous l'avons dit, ne saurait s’accorder avec la nature des pratiques spirites. D’autre part, nous devons nous rappeler que nous-mêmes nous ne pouvons pas nous manifester aux âmes désincarnées, la médiation d'un ange, bon ou mauvais, étant pour cela indispensable. C'est la raison pour laquelle l’apparition des morts, nous l’avons dit, n'a lieu que par le moyen des substances angéliques, à moins que Dieu n'ordonne que ces âmes apparaissent elles-mêmes, comme ce fut le cas pour Moise quand, sur le Mont Thabor, il fut vu des trois Apôtres en compagnie de jésus et d'Élie.

Il nous faut maintenant rechercher si les esprits déchus peuvent représenter, premièrement, les âmes des saints, et, secondement, les âmes des damnés.


IV. - Les esprits déchus ne peuvent pas représenter les âmes des saints

1. Pour commencer par les âmes des Bienheureux dans le ciel ou celles qui souffrent encore au purgatoire, nous disons qu’il est inadmissible que les esprits déchus puissent agir comme intermédiaires pour les représenter. Car ces âmes sont les amis particuliers de Dieu, à qui elles sont aussi chères que peuvent l’être des fils adoptifs et qui les garde avec autant de tendresse et de soin que si elles étaient la pupille même de ses yeux.

Ces âmes saintes, qu’elles soient au ciel ou au purgatoire, sont sous l’influence immédiate de la divinité, influence qui s'exerce, par rapport aux apparitions extérieures, par le ministère des bons anges. Il est inconcevable que les démons, bannis comme ils le sont à jamais de la société des Saints, puissent être admis à représenter les amis du Dieu trois fois saint, surtout dans des réunions où les pires frivolités dominent et où se passent fréquemment des scènes d'irréligion et de basse immoralité.

2. Cette remarque, avons-nous dit, a toute sa valeur aussi bien pour les âmes du purgatoire que pour les âmes régnant dans le ciel. Les premières, bien que placées encore dans un lieu de souffrance, n'en sont pas moins confirmées dans le bien à ce point qu'elles appartiennent exclusivement à la société des Saints. Si donc, les mauvais esprits représentaient réellement les âmes de quelques trépassés, ce ne pourrait être que celles des damnés, qui partagent les peines du démon et dont la compagnie sera pour jamais la leur.

3. Mais ici une difficulté se présente. Nous avons affirmé que les âmes damnées pouvaient seules être représentées par les anges déchus qui doivent être considérés comme les auteurs des phénomènes spirites en question. Cette assertion peut-elle être maintenue, en présence de ce fait que des personnes mortes après une vie de pureté et de sainteté apparaissent souvent dans les séances spirites ? On nous assure, par, exemple, qu'au cours de séances spirites tenues à Londres, on voit fréquemment figurer les personnes du Cardinal Vaughan, de saint Charles Borromée, de saint Ignace, etc. Sommes-nous donc contraints, demandera-t-on, d'accepter cette conclusion que, puisque les anges déchus produisant les phénomènes, ne peuvent, strictement parlant, représenter que des damnés, les personnages en question doivent être comptés parmi ceux-ci ?

Hâtons-nous de répondre qu'une telle conclusion est loin de notre pensée et que c'est le contraire qui découle logiquement de ce que nous avons dit.

4. Du fait que les anges déchus sont d'un caractère moral le plus vil et que leur mode d'opération ne s'exerce que par le mensonge et la supercherie, notre devoir est de bien nous tenir sur nos gardes par rapport à toutes leurs actions et toutes leurs paroles. Pour être en mesure de découvrir la vérité à propos de leurs manifestations, nous devons rechercher quel est le but final qu'ils ont en vue. Or il est évident que si les communications spirites doivent être présentées comme des pratiques méritant créance, les anges déchus choisiront, pour champ d'opération, la représentation de personnalités remarquables pendant leur vie, de personnalités qui aient accompli de grandes et nobles actions, réalisé des progrès notables dans le royaume de la science ou qui se soient distinguées par la sainteté de leur vie. Rien n'est plus naturel, en effet, que de s'attendre à ce que les hommes soient amenés à pratiquer le spiritisme, si on peut leur montrer que ces pratiques les mettent en communication avec de telles personnalités. Le fait que les ombres ou images d'hommes et de femmes d'une vie vertueuse et sainte sont constamment présentées dans les séances spirites est, pour un esprit ordinaire, la meilleure apologie possible de la légitimité de ces pratiques.

5. Cette présentation de saints personnages dans les séances spirites constitue donc une des fraudes les plus considérables et les plus subtiles que l'on puisse imaginer. Car ces apparitions sont, sans aucun doute, faites en dehors de toute coopération ou consentement de la part des personnes soi-disant évoquées. Elles sont simplement l'œuvre d’esprits qui connaissent les traits et les caractéristiques des personnages en question, et qui possèdent le pouvoir de faussement les représenter de cette manière.

De fait, quoi de plus invraisemblable, demandons-nous, que le cardinal Newman ou le cardinal Vaughan délèguent actuellement des anges mauvais pour exhiber, dans les cercles spirites, leur soi-disant image, et pour agir comme leur porte-paroles, désavouant, comme c’est souvent le cas, la doctrine qu’ils ont enseignée pendant leur vie ? En vérité, il n'est pas un vendeur de faux produits qui ait jamais atteint, même de loin, les procédés malhonnêtes pratiqués sous ce rapport par les esprits déchus.

6. Les démons, nous le répétons, ne peuvent d'aucune manière représenter les âmes des Bienheureux dans le ciel ou de celles qui souffrent encore dans le purgatoire. On ne saurait admettre un instant que ces âmes consentent à manifester leurs pensées aux esprits mauvais et à se servir de leur médiation pour communiquer avec l'homme mortel. D'autre part, Dieu, qui est la sainteté même, ne pourrait permettre, encore moins ordonner, que ceux qui sont ses amis spirituels soient ainsi représentés par ses ennemis jurés.

7. Or, s'il est interdit aux esprits de ténèbres de représenter les âmes des Saints, rien ne les empêche pourtant de recourir à de pieuses et belles expressions afin d'amener l'homme à les prendre pour des anges de lumière et des amis de Dieu, ce qui est la meilleure façon de tromper les fidèles qui ne sont pas sur leurs gardes. C'est ainsi qu'en usa Satan quand il tenta Notre-Seigneur dans le désert. Ne lisons-nous pas qu'il cita les paroles de la Sainte Écriture, désirant ainsi amener le Sauveur à se jeter du pinacle du Temple ? Il arrive aussi parfois que, au cours des exorcismes accomplis par les prêtres en vertu d'une délégation spéciale de leur évêque, le démon donne des réponses exactes. S’il agit ainsi, c'est afin de paraître autre, que ce qu'il est en réalité, ou parce que Dieu le contraint, malgré lui, à dire la vérité.

8. En 1821, un jeune garçon de douze ans, soumis aux exorcismes de l'Église, à Ariane, dans la province des Pouilles en Italie, reçut l'ordre des Pères dominicains, Cassitti et Pignatara, présents aux exorcismes, d'exprimer théologiquement et dans un sonnet à rimes imposées, le fait de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge. L'adolescent, bien qu'illettré, improvisa le beau poème suivant, qu'un théologien d'une science profonde n'aurait pu composer qu'avec une grande difficulté. On dit que le Pape Pie IX, lisant ce poème en 1854, l'année où fut promulgué le dogme de l'Immaculée Conception, versa des larmes de pieuse émotion. Le sonnet écrit en italien peut être traduit comme il suit :


« Je suis vraiment la Mère d'un Dieu qui est mon fils,

Et je suis sa fille, bien qu'étant sa mère ;

Il est né de toute éternité et il est mon fils,

Je suis née dans le temps et pourtant je suis sa mère.


Il est mon Créateur, et il est mon fils ;

Je suis sa créature, et je suis sa Mère,

Prodige divin ! être mon fils

Un Dieu éternel et m'avoir pour Mère.

L'être est quasi commun dans la Mère et le fils ;

Puisque c'est du fils que la mère a son être,

Et que l'être du fils vient aussi de sa mère.

Or si l'être du fils vient de la Mère,

Ou il faut dire que le fils n'est pas pur,

Ou dire que sans tache est la Mère ».


9. Ce que nous avons dit par rapport à la littérature, nous pouvons également l'affirmer de toute composition dans les diverses branches de l'art. Nous pouvons donc sans hésiter croire à ce que l'on rapporte d'une image exacte de Notre-Seigneur crucifié, qui aurait été peinte par le mauvais esprit. Le démon peut certainement produire avec grande habileté un objet de cette sorte, usant de la connaissance qu'il possède aussi bien de l'art en lui-même que de toutes les circonstances qui ont marqué la mort douloureuse de notre Sauveur.

Toutefois il est certain que, ce faisant, le démon n'agit pas pour la sanctification des hommes, mais bien pour un dessein pervers, tout comme aujourd'hui nous voyons les juifs fabriquant et vendant des objets religieux, non certes pour l'édification de l'acheteur, mais pour leur propre intérêt matériel. Par conséquent rien n'empêche le démon de faire que des représentations de personnes et de choses saintes aient lieu dans l'air, par exemple, images de notre Sauveur crucifié, de Saints, d'églises, etc. Pour cette raison l'Église procède toujours avec la plus grande prudence quand il s'agit d'examiner de tels phénomènes. Elle condamne même assez fréquemment certaines apparitions que cependant la faveur populaire avait peut-être déjà consacrées comme étant d'une origine surnaturelle et sainte.


V. - Les mauvais esprits peuvent-ils représenter les dures des damnés?

1. Nous avons dit dans le paragraphe précédent que les mauvais esprits, bien qu'ils puissent se transformer en anges de lumière pour tromper les imprudents, ne peuvent pas représenter les âmes des justes qui sont au ciel, cela s'opposant à la sainteté et à la bonté de Dieu, qui ne peut permettre que ceux qu'il aime soient rendus visibles sous des traits formés par ses ennemis irréconciliables. Nous devons rechercher maintenant si ces mêmes esprits de ténèbres peuvent représenter à nos yeux les âmes des damnés, c'est-à-dire, si l'on peut admettre l'idée que les pratiques spirites nous mettent, par l'opération des démons, en communication avec les âmes des damnés.

2. Notre réponse est que rien ne s'oppose en principe à l'idée que les âmes des réprouvés, condamnées à partager pour toujours la société des démons, puissent parfois, sur un ordre spécial de Dieu, se manifester à nous, par l'intermédiaire des anges déchus. Car ces âmes peuvent, d'une part, manifester leurs pensées aux mauvais esprits ; et les mauvais esprits peuvent, de leur côté, nous faire connaître les pensées et les désirs de ces mêmes âmes.

La question se pose donc ainsi : arrive-t-il quelque fois, dans les séances spirites que les démons agissent comme médiateurs entre l'âme réprouvée et l'homme ?

3. Si nous devions accepter ce qui se dit dans les communications spirites, il nous serait difficile de donner à cette question une réponse précise. Dans ces pseudo-révélations, en effet, il est de règle de ne faire aucune distinction entre les âmes sauvées et les âmes damnées, tous les individus qui apparaissent prétendant se trouver dans un état de bonheur relatif. Il y a ici, toutefois, une évidente contradiction, vu que les personnalités que l'on suppose évoquées au cours de ces séances sont souvent connues pour avoir mené des existences d'un caractère très douteux, et qu'il est improbable qu'elles soient toutes, comme le prétendent les esprits, dans un même lien de récompense éternelle.

4. Mais ici nous devons distinguer entre deux questions qui se posent : Premièrement, les mauvais anges représentent-ils, de leur propre initiative, à la façon que nous avons décrite, les âmes des damnés ? Deuxièmement, le font-ils jamais sur l'ordre de Dieu et comme ses instruments ?

5. La réponse à la première question est que, strictement parlant, rien ne s'oppose à l'idée qu'avec la permission divine, une telle représentation ait lieu. Les démons et les âmes damnées communiquant entre eux, la possibilité d'une telle communication par les pratiques spirites n'est pas à rejeter complètement. Il reste cependant le fait qu'il est pratiquement impossible d'affirmer quand et comment cela se produit, vu le manque de véracité chez les mauvais esprits.

Les révélations spirites ayant souvent été prises en flagrant délit de fausseté et duperie, rien ne nous garantit la vérité d'une seule communication spirite.

6. Mais, demandons-nous, quel but peut poursuivre le démon en agissant ainsi comme médiateur entre les âmes damnées et nous ? Quel dessein peut-il avoir, en se faisant le porte-parole d'une âme damnée ? Ce ne peut être évidemment pour nous faire éviter le péché dont il se réjouit, ou pour nous empêcher de perdre notre bonheur éternel dont il est mortellement jaloux. Ce ne peut être davantage pour demander nos prières en faveur d’une âme perdue, le démon et les damnés sachant très bien que la rédemption n'est plus possible en enfer. D’autre part, il n’est rien que les âmes perdues puissent désirer nous faire connaître sur leur état ou le lieu de leur captivité, que le démon ne connaisse également bien.

7. On pourra peut-être objecter ici la prière faite par l'homme riche à Abraham , suppliant ce patriarche d'envoyer Lazare à la maison de son père, pour servir de témoin devant ses parents, afin qu'ils ne vinssent pas dans ce lieu de tourments. Mais il faut observer, d’abord, que la prière fut adressée directement à Abraham, et que l'intervention du démon ne fut pas recherchée ; en outre, que le motif qui excita l’homme riche à faire cette demande, ne fut pas le désir du salut de ses parents, mais plutôt la crainte que ses propres tourments ne fussent accrus par leur damnation, qu'il prévoyait sans doute pouvoir être due à son mauvais exemple. Or le démon n'a d'autre désir que de voir s’augmenter les tourments de ses victimes ; on ne pourrait donc pas s’attendre à ce qu’il se prêtât à la transmission d'un message tel que celui du riche débauché.

8. En conséquence, nous pouvons dire qu’aucune assertion, venant des esprits déchus, en rapport avec les pratiques spirites ou avec toute autre manifestation de ce genre, sauf celles ordonnées par Dieu, n'est suffisante pour établir le fait que les vivants sont, par leur intermédiaire, mis en communication avec les âmes damnées. On peut, au contraire, affirmer en toute sécurité que prétendre se mettre en communication avec les âmes des morts, quel que soit leur destin, n'est autre chose qu'une manœuvre habile des anges déchus, pour cacher, grâce à des apparences trompeuses et à de vains fantômes, la redoutable réalité de la perte irréparable de la vie éternelle, conséquence du péché mortel.

9. La seconde question à examiner a rapport au fait des anges déchus agissant non seulement avec la permission de Dieu, mais par son ordre exprès. Le doute est celui-ci : les anges déchus peuvent-ils, par ordre de Dieu, représenter occasionnellement une âme damnée ?

La réponse est qu'il peut y avoir des cas où, Dieu l'ordonnant, l'âme du damné peut, à la demande de l'homme, ou même sans cette demande, manifester son état ou ses pensées par l'intermédiaire du démon, bien que, ainsi que nous l’avons dit, ceci ne puisse se produire dans les séances spirites, auxquelles Dieu n’accorde pas sa sanction. Il n'est donc pas inconcevable que les démons, sur l'ordre de Dieu, puissent mouvoir la langue d'un mort condamné à la mort éternelle, afin qu'il manifeste, pour sa propre confusion et pour l'instruction du genre humain, sa perte irréparable, ou qu'ils représentent, par une apparition fantastique, le malheur et les tourments de l'âme de cet individu, Dieu l'ordonnant ainsi dans le but de détourner du mal, par cette terreur salutaire, les hommes vivant encore en ce monde.

10. Mais des événements de ce genre seraient de véritables miracles ; et comme, d'autre part, la sainteté est la condition d'un miracle réel, il s'en suit que des interventions diaboliques de ce genre ne sauraient être acceptées, que si elles sont accompagnées de circonstances excluant la possibilité de la fraude et de l'illusion.

L'idée que des manifestations miraculeuses de ce genre peuvent avoir lieu grâce aux pratiques spirites est à écarter complètement, ces pratiques étant habituellement accompagnées d'irrégularité et de légèreté, souvent même de choses déshonnêtes, le miracle, au contraire, étant toujours, suivant la belle définition du célèbre cardinal Newman, « la signature que Dieu donne à un message transmis par des instruments humains  ».

Si quelque doute restait encore dans l'esprit de qui étudie cette question, il faudrait dire que la fréquence extraordinaire des communications spirites suffirait à elle seule pour rendre inadmissible l'idée que ces phénomènes sont en réalité des manifestations miraculeuses des morts, la rareté étant une des marques distinctives du véritable miracle.

11. Nous devons donc conclure que les pratiques spirites ne nous mettent pas en communication, par l'entremise du démon, avec les âmes des damnés. D'autre part, il est impossible, comme nous l'avons dit, que les anges déchus représentent les âmes des Saints qui sont au ciel ou au purgatoire. Par conséquent, les manifestations spirites, en tant qu'elles prétendent nous mettre en rapport avec les âmes humaines désincarnées, ne sont que duperie et rien de plus.

Si donc il en est ainsi, quel jugement doit-on prononcer sur des pratiques dont le but n'est que fourberie et fraude ?


VI. - Illégitimité des pratiques spirites

1. L'enquête que nous avons faite sur les sources diverses d'où l'on peut supposer qu'émanent les manifestations spirites, nous a conduits à la conclusion que ces manifestations ne peuvent être attribuées ni à Dieu, ni à l'action des bons anges, ni aux âmes des trépassés, que celles-ci soient sauvées ou perdues.

Il faut donc nécessairement les rapporter à l'action des anges déchus qui, sous la forme et l'apparence de quelque personnalité défunte et connue, parlent et agissent comme peuvent le dicter la fantaisie ou les circonstances d'un cas particulier. S'il s’agit de saintes âmes, ces communications ne sont que duperie et fraude, ces âmes se refusant à apparaître aux hommes de cette façon. Quant aux âmes des damnés, leur apparition, par le ministère des démons dans les cercles spirites, ne saurait être admise, en raison du caractère immoral de ces acteurs pleins de fraude et d'imposture.

2. Nous ne devons, par suite, jamais conclure que, lorsque certaines âmes sont dites apparaître dans une séance spirite, ces âmes doivent être réputées perdues. Les paroles des mauvais esprits étant tout à fait indignes de créance, les communications spirites ne peuvent nous fournir aucune base sérieuse pour affirmer quoi que ce soit sur la condition finale d'une âme humaine dont on proclamerait l'apparition.

3. Il est hors de doute que l'on ne peut avoir aucune confiance dans les communications obtenues au cours des séances spirites, la nature même de ces réunions se prêtant à la fraude et à l'illusion. Il est vrai que quelque vérité importante peut parfois être exprimée par le moyen des communications spirites. Mais il faut observer qu'en de tels cas, le désintéressement des intelligences à l'œuvre n'est pas au delà de tout soupçon. Bien au contraire, il y a tout lieu de présumer que de tels propos sont, de la part des esprits qui les formulent, un moyen très efficace de faire croire à d'autres assertions d'une nature douteuse et d'attirer la faveur générale sur les pratiques mêmes d'où ces assertions émanent.

4. C'est ainsi que nous lisons dans les Actes des Apôtres que saint Paul réprimanda fortement une jeune fille possédée par un esprit de pythonisse et qui ne cessait de crier : «Ces hommes sont les serviteurs du Dieu très-haut ; ils vous annoncent la voie du salut ». Cette affirmation, bien que véridique, était évidemment formulée sous l'inspiration du démon, comme on peut le voir par ce fait que saint Paul, s'adressant à l'esprit, lui commanda au nom de Jésus-Christ de sortir de la jeune fille.

Shakespeare dans Macbeth met cette vérité dans la bouche de Banquo :


« Mais chose étrange,

Souvent pour nous séduire à notre dam,

Les instruments de ténèbres nous disent des vérités,

Nous gagnent par d'honnêtes vétilles, pour nous trahir

Plus profondément ».


C'est un fait que ces esprits malins donnent quelquefois, au cours de séances spirites, à des personnes d'habitudes perverses ou négligeant leurs devoirs religieux, le conseil salutaire de changer de vie et même de s'approcher des sacrements de l'Église. De cette manière, ils se posent en défenseurs de l'honneur divin et du salut des âmes, mais c'est uniquement pour prendre dans leurs filets les simples d'esprit et les imprudents.

5. Si maintenant on demande pourquoi nous ne devons pas recourir aux mauvais esprits pour nous procurer quelque connaissance sur l'état de certaines âmes que nous ne pouvons guère concevoir être parmi les Bienheureux, nous répondrons qu'il nous est interdit d'admettre, même pour un instant, la certitude que telle ou telle personne, ayant à la connaissance de tous vécu dans le péché, est parmi les réprouvés. La miséricorde de Dieu est infinie, et les plus grands pécheurs peuvent très bien s'être tournés vers Lui au dernier moment de leur vie, si bien que c'est un devoir non seulement de charité, mais de justice, de nous interdire de placer n'importe qui parmi les damnés. Un tel jugement serait essentiellement téméraire, et agir en conséquence serait une faute grave contre la charité due à tous ceux que nous ne savons pas, de connaissance certaine, être éternellement séparés de Dieu. C'est seulement des anges déchus que nous pouvons dire avec certitude qu'ils sont irréconciliablement éloignés de Dieu.

6. Les mauvais esprits, d'autre part, étant pour jamais privés de l'amitié de Dieu, ne peuvent nous servir de truchements autorisés pour être renseignés sur quoi que ce soit. Ils sont retranchés de la société des Saints, et privés de toute influence surnaturelle. Un libre commerce avec eux ne peut donc que nous exposer à la duperie et à la tentation, ce qui constituerait un des plus grands maux de notre vie. Enfin ces pratiques ayant été condamnées par Dieu, nous continuerions, en les favorisant, la révolte de Satan contre Lui. «Car la rébellion est un péché aussi grave que la divination, et la résistance l'est autant que le crime d'idolâtrie  ».


VII. - Le spiritisme a pour but d'introduire une nouvelle religion

1. Nombreux sont les dangers, avons-nous dit, qui accompagnent les pratiques spirites. Il en est un, toutefois, de beaucoup le plus grave, qui doit persuader quiconque a le souci de son bien spirituel, du mal profond que ces pratiques peuvent causer à l'âme.

On sait comment,dans les communications spirites, les moyens de salut offerts par le christianisme sont déclarés ouvertement n'être que de vaines institutions ou, tout au plus, des pratiques sans importance. Ce que visent ces communications, c'est avant tout de promulguer la doctrine d'un bonheur final que l'on peut atteindre sans égard pour le caractère moral de la vie présente et indépendamment de Dieu et des moyens de grâce institués par Jésus-Christ. Le silence même que les esprits observent invariablement sur le caractère surnaturel de la mission du Christ et la nécessité de lui obéir ainsi qu'à son Église, sont une preuve de la vérité que nous affirmons. Ce silence implique une complète émancipation des règles de la vie surnaturelle de la grâce et le mépris de la loi chrétienne gouvernant la vie spirituelle.

2. Mais il est important que le lecteur soit mis au courant des dogmes principaux de la croyance spirite, proposée de nos jours avec tant d'insistance par les partisans des doctrines occultes. Un auteur moderne qui a réuni sur ce sujet une abondante documentation présente comme il suit les dogmes dont nous parlons .

« On peut affirmer, écrit-il, que les manifestations spirites sont d'accord sur les points suivants :

I. - « Le Christianisme ne doit pas être considéré comme une révélation d'un caractère unique et spécifique, préfigurée dans la loi des Juifs, prédite par les prophètes et complétée et consommée sur le Calvaire et au jour de la Pentecôte ; mais c'est une des nombreuses formes des grandes manifestations spirituelles destinées à inculquer à l’homme l'importance des obligations de la loi morale inhérente à sa nature et à lui rappeler le véritable caractère de son origine et de sa destinée supérieures.

II. – « Le Christ n'est pas divin au sens où l'Église à travers les âges a compris ce terme et a cru et enseigné qu'il était divin. Il est, au contraire, un être humain comme nous-même et, tout au plus, un esprit d'un ordre supérieur possédant des dons et des pouvoirs remarquables. Descendant des sphères les plus hautes et prenant un corps humain, il a voulu donner sa vie en témoignage de la vérité des doctrines qu'il enseignait.

III. – « L'enseignement de l'Église catholique sur son caractère et sa personne et sur la fin qu'il voulut réaliser par sa mort, est basé sur une fausse conception due à l'erreur et à la faiblesse humaines ainsi qu'à la pensée et à la spéculation philosophique des âges qui ont suivi.

IV. – « Il n'y a pas de sacerdoce spécialement choisi et ordonné par le Christ dans le but de perpétuer son oeuvre, et de former le lien entre la sphère des choses humaines et celle du divin.

V. – « L'Église, avec ses institutions sacramentelles ordonnées à l'accomplissement efficace de cette œuvre, et destinées à élever l'âme humaine à la vie surnaturelle, pour lui communiquer des dons et des grâces surnaturelles, est une chose vaine inventée à la légère et tout au plus une institution d'origine simplement humaine, accomplissant une œuvre d'ordre purement humain.

VI. – « La notion scripturaire de rétribution après la mort et de punition pour le péché commis dans la chair provient d'une méprise et d'une fausse interprétation des paroles du Christ et de ces expériences d'échec et de perte qui accompagnent nécessairement la marche lente de l'évolution humaine, la rétribution n'existant que dans le sens où la souffrance doit suivre le mal accompli volontairement ou par ignorance, pour que le chemin soit ainsi trouvé qui mène aux bonnes actions et à la bonne conduite.

VII. – « L'homme, jour par jour et heure par heure, en raison de ses actes et de ses méfaits, et par la formation générale de son caractère, se prépare à lui-même son propre ciel ou son propre enfer ; bien que ce ciel et cet enfer soient très différents de ceux que la théologie enseigne et inculque.

VIII. – « La mort physique ne détermine d'aucune façon la destinée de l'esprit humain ; mais, indépendamment soit de ses croyances personnelles, soit de son incrédulité et de ses fausses croyances, son instruction et son éducation se continuent et se prolongent indéfiniment dans les sphères de l'esprit.

IX. – « L'homme est en fait, au sens le plus vrai du mot, son propre Sauveur ».

3. Parmi les nombreux spirites qui, de nos jours, ont cherché à donner aux communications du monde invisible la signification et la forme d'une religion nouvelle, il faut compter, en premier lieu, des auteurs protestants dont les écrits ont servi, aux spirites depuis cinquante ans environ à formuler une nouvelle croyance religieuse. Nous pouvons citer parmi ces auteurs : Robert Dale Owen , William Stainton Moses , Frederick W. H. Myers , Frank Podmore , et sir William Fletcher Barrett .

Le but de ces auteurs et de leurs émules est de donner au lecteur des descriptions minutieuses et souvent fastidieuses d'expériences psychiques ou de phénomènes spirites, présentant comme des révélations nouvelles et authentiques les déclarations obtenues des esprits évoqués, substituant ainsi graduellement et insensiblement un nouveau code de doctrine spéculative et morale à l'enseignement traditionnel de l'Évangile ou du moins interprétant cet enseignement à la lumière des communications obtenues par les pratiques spirites.

4. Parmi ceux qui ont le plus contribué, au cours de ces dernières années, à donner aux communications des esprits un caractère dogmatique et à composer, pour ainsi dire, un nouveau credo en forme, il faut nommer Sir Oliver Lodge et Sir Conan Doyle.

Le premier, bien connu pour ses expériences dans le domaine des sciences physiques, est l'un des membres les plus en vue de la « Society for Psychical Research », laquelle société a deux branches, l'une à Londres et l'autre à New-York. Ayant perdu, dans la grande guerre, son fils Raymond, il eut la pensée d'entrer en communication avec lui, en usant des pratiques spirites. Le résultat fut qu'il obtint des réponses sans nombre, en apparence dictées par son fils, où celui-ci apprenait à son père quel était son nouvel état et lui révélait quels étaient l'état général et les opérations de l'âme après la mort. Ces réponses furent recueillies par Sir Oliver Lodge lui-même dans un livre qui eut une grande vogue en Angleterre et contribua beaucoup à populariser les pratiques spirites ;

5. Mais la plus grande impulsion donnée dans ces dernières années au spiritisme est venue de Sir Arthur Conan Doyle, mort récemment, et que ses romans ont rendu si célèbre. Ayant abandonné la religion catholique où il avait été élevé, il défendit avec ardeur l'enseignement de Sir Oliver Lodge et en devint le propagateur zélé dans l'ancien et le nouveau monde. Il se rendit plus tard en Amérique, où il trouva un terrain tout prêt pour la diffusion de la nouvelle croyance spirite, qu'il vulgarisa dans un livre ayant pour titre The New Revelation. Cette croyance peut se résumer ainsi :

6. En premier lieu on affirme, comme base de la religion nouvelle, ce principe, que les croyances religieuses en vogue dans le passé ne peuvent plus être admises de nos jours, alors que la science a fait de si grands progrès. Par conséquent, l'interprétation du texte de l'Évangile, acceptée par les personnes ignorant l'art de la critique, ne répond plus aux besoins d'une génération aussi avancée que la nôtre. Partant de ce principe, le réformateur attaque l'idée fondamentale de la Rédemption, niant la chute et rappelant le principe de l'évolution de l'homme comme venant du singe.

Le péché originel n'existant pas, l'expiation est inutile et l'idée d'un sacrifice propitiatoire accompli par le Christ disparaît. Le Christ est mort en enthousiaste, il est vrai ; il fut martyr d'un idéal. Mais sa vie seule et non sa mort a quelque importance pour l'humanité. Il s'ensuit que le christianisme ne doit pas être rejeté, mais modifié, en harmonie avec le principe, déjà énoncé, que le spiritisme a mission de développer.

7. Passant ensuite à l'idée de la divinité, le spirite moderne substitue, à la foi en un Dieu personnel, Père de l'humanité, une sorte de Déité universelle et impersonnelle incompréhensible, ou principe vital existant chez tous les hommes et, mieux encore, identifié à eux, assez proche de ce que le panthéisme ancien et moderne a enseigné touchant l'âme du monde. Quant à Jésus-Christ, il n'est, pour Conan Doyle, rien de plus qu'un homme, un homme il est vrai de la plus haute perfection, en fait, le modèle suprême mais toujours et seulement homme. Le Christ fut, pour cet auteur, un médium doué de la plus haute puissance, par qui des œuvres merveilleuses ont été produites ; un médium moderne ne pourrait mieux faire que de l’imiter .

8. Quant à l'homme, il n'est qu'une infime partie de la divinité, en un sens formel et univoque, destiné par l'évolution, la culture et le progrès, à croître en perfection jusqu'à ce qu'il s'élève au rang des esprits, ce qui est sa destination finale. La mort est donc le passage de l'esprit quittant son corps matériel pour entrer dans un monde invisible, sans changement essentiel. Ce passage est tout d'abord suivi d'une phase d'existence mortelle, ayant pour but de parfaire ce que l'homme n'a pu accomplir dans sa vie précédente. Enfin l'âme monte dans les sphères supérieures éthérées sans cesser cependant d'être en communication avec notre monde.

9. Tels sont, largement esquissés, les principaux enseignements pouvant être saisis dans l’écheveau embrouillé des déclarations spirites qu'on nous propose. Mais il est difficile pour ne pas dire impossible, de trouver deux auteurs parfaitement d'accord dans l'explication des divers points mentionnés ci-dessus.

Tous, néanmoins, sont d’accord pour déclarer que l'enfer ne comporte pas un état immuable ou une éternité de peine, mais bien une purification progressive, un passage successif de l'imparfait au parfait. Quant au paradis, il serait vain d'attendre des spirites cette conception du bonheur qui se trouve, suivant l'enseignement de l'Église, dans la Vision béatifique. Pour eux le bonheur suprême consiste en des plaisirs ne différant que très peu de ceux promis par Mahomet à ses fidèles sectateurs.


VIII. - Principes essentiels de la philosophie spirite

1. Il convient de placer maintenant devant le lecteur, comme une sorte de précis, les principales doctrines de la philosophie spirite qui, retenons-le, coïncident, du moins dans les lignes générales, avec les enseignements du théosophisme moderne.

Nous puisons ces renseignements dans le livre de Léon Denis, Après la mort  :

I. « Une divine intelligence régit les mondes. À elle s'identifie la Loi, loi immanente, éternelle, régulatrice, à laquelle êtres et choses sont soumis.

II. « De même que l'homme, sous son enveloppe matérielle sans cesse renouvelée, conserve son identité spirituelle, son moi indestructible, cette conscience en qui il se reconnaît et se possède, de même l'univers, sous ses apparences changeantes, se possède et se réfléchit dans une unité vivante qui est son moi. Le moi de l'univers, c'est Dieu, unité suprême, où viennent aboutir et s'harmoniser tous les rapports, foyer immense de lumière et de perfection, d'où rayonnent et se répandent sur toutes les humanités justice, Sagesse, Amour !

III. «Tout évolue dans l'univers et tend vers un état supérieur. Tout se transforme et se perfectionne. Du sein des abîmes, la vie s'élève, d'abord confuse, indécise, prenant des formes innombrables de plus en plus parfaites, puis s'épanouissant dans l'être humain, en qui elle acquiert conscience, raison, liberté et constitue l'âme ou l'esprit.

IV. « L'âme est immortelle. Couronnement et synthèse des puissances inférieures de la nature, elle contient en germe toutes les facultés supérieures, est destinée à les développer par ses travaux et ses efforts, en s'incarnant sur les mondes matériels, et à monter, à travers des vies successives de degré en degré, vers la perfection.

« L'âme a deux enveloppes : l'une temporaire, le corps terrestre, instrument de lutte et d'épreuve, qui se désagrège à la mort; l’autre permanente, le corps fluidique, dont elle est inséparable et qui progresse et s'épure avec elle.

V. « La vie terrestre est une école, un moyen d'éducation et de perfectionnement par le travail, l'étude, la souffrance. Il n'y a ni bonheur, ni malheur éternels. La récompense ou le châtiment consistent dans l'extension ou l'amoindrissement de nos facultés, de notre champ de perception, résultant de l'usage bon ou mauvais que nous avons fait de notre libre arbitre, et des aspirations ou des penchants que nous avons développés en nous. Libre et responsable, l'âme porte en soi la loi de ses destinées : dans le présent, elle recueille les conséquences du passé, elle sème les joies ou les douleurs de l'avenir. La vie actuelle est l'héritage de nos vies précédentes et la préparation de celles qui suivront.

L'esprit s'éclaire, grandit en puissances intellectuelles et morales, en raison du travail effectué et de l'impulsion donnée à ses actes vers le bien et le vrai.

VI. « Une étroite solidarité unit les esprits identiques dans leur origine et dans leurs fins, différents seulement par leur situation transitoire : les uns à l'état libre dans l'espace, les autres revêtus d'une enveloppe périssable, mais passant alternativement d'un état à l'autre, la vie de l'esprit n'étant qu'un temps de repos entre deux existences terrestres. Issus de Dieu, leur père commun, tous les esprits sont frères et ne forment qu'une immense famille. Une communion perpétuelle et de consolants rapports relient les morts aux vivants.

VII. « Les esprits se classent dans l'espace en raison de la densité de leur corps fluidique, corrélative à leur degré d'avancement et d'épuration. Leur situation est déterminée par des lois précises ; ces lois jouent dans le domaine moral un rôle analogue à celui que remplissent dans l'ordre physique les lois d'attraction et de pesanteur. La justice règne dans ce domaine, comme l'équilibre dans l'ordre matériel. Les esprits coupables et mauvais sont enveloppés d'une épaisse atmosphère fluidique, qui les entraîne vers les mondes inférieurs, où ils doivent s'incarner pour dépouiller leurs imperfections. L'âme vertueuse, revêtue d'un corps subtil, éthéré, participe aux sensations de la vie spirituelle et s'élève vers les mondes heureux, où la matière a moins d'empire, où règnent l'harmonie, la félicité. L'âme, dans sa vie supérieure et parfaite, collabore avec Dieu, coopère à la formation des mondes, en dirige les évolutions, veille au progrès des humanités, à l'accomplissement des lois éternelles.

VIII. « Le bien est la loi suprême de l'univers et le but de l'évolution des êtres. Le mal n'a pas d'existence propre, il n'est qu'un effet de contraste ; c'est l'état d'infériorité, la situation passagère que traversent tous les êtres dans leur ascension vers un état meilleur.

IX. « L'éducation de l'âme étant l'objet même de la vie, il importe d'en résumer les préceptes en peu de mots

Comprimer les besoins grossiers, les appétits matériels ; se créer des besoins intellectuels et, élevés. Lutter, combattre, souffrir au besoin pour l'avancement des hommes et des mondes. Initier ses semblables aux splendeurs du vrai et du beau. Aimer la vérité et la justice, pratiquer envers tous la charité, la bienveillance : tel est le secret du bonheur dans l'avenir, tel est le devoir ! »

2. Il ne sera pas sans intérêt de rappeler ici la doctrine d'un écrivain notoire, partisan des théories spirites sur le sort final des âmes.

Voici ce qu'écrit à ce sujet Louis Figuier : « Si pendant son séjour ici-bas, l'âme a perdu de sa force et de ses qualités, si elle a été le partage d'un individu pervers, elle ne quittera pas la terre. Après la mort de cet individu, elle ira se loger dans un autre corps humain, en perdant le souvenir de son existence antérieure. Ces réincarnations dans un corps humain peuvent être nombreuses. Elles doivent se répéter jusqu'au moment où les facultés de l'âme se seront assez développées, où ses instincts se seront assez améliorés et perfectionnés... Alors seulement cette âme pourra quitter la terre et s'élancer dans l'espace pour passer dans l'organisme nouveau qui fait suite à celui de l'homme dans la hiérarchie de la nature...

« L'espace où habitent les âmes ainsi justifiées est occupé par l'éther planétaire... Elles ont un corps... mais ce corps doit être pourvu de qualités infiniment supérieures à celles qui sont l'apanage du corps humain... Après un intervalle dont nous n'essaierons pas de fixer la durée, l'être surhumain meurt et entre dans un corps nouveau, orné de facultés encore plus puissantes. Et ce n'est pas à une troisième ou à une quatrième génération que peut s'arrêter la chaîne des créations sublimes que nous entrevoyons, flottant dans l'infini des cieux.

« Après avoir parcouru cette longue succession d'étapes et de stations dans les cieux, les êtres que nous considérons doivent finalement arriver en un lieu... Ce lieu, terme définitif de leur cycle immense à travers les espaces, selon nous, c'est le soleil... Ce qui entretient la radiation solaire, ce sont les arrivées continuelles des âmes dans le soleil... Ces ardents et purs esprits viennent remplacer les émanations continuellement envoyées par le soleil à travers l'espace sur les globes qui l'environnent... Les êtres spiritualisés réunis dans le soleil envoient sur la terre et sur les planètes des émanations de leur essence, c'est-à-dire des germes animés qui distribuent sur les planètes la vie, l'organisation, le sentiment et la pensée.

3. Nous avons donc ici, en résumé, tout ce que contient le catéchisme spirite sur le sort final des âmes humaines. Il est bon de faire remarquer à quel point les principes spirites qui viennent d'être énoncés représentent, en grande partie tout au moins, l'enseignement de plusieurs écrivains modernistes, qui ont abandonné la doctrine traditionnelle de l'Église pour embrasser des nouveautés aussi fausses que dangereuses.

Ce n'est pas trop de dire que, tandis que l'influence des esprits de ténèbres s'exerce ouvertement sur les personnes vulgaires au moyen de manifestations empreintes de merveilleux, cette même influence se fait sentir d'une manière plus subtile et plus raffinée sur des intelligences mieux cultivées, les poussant à embrasser une croyance, nouvelle dans sa forme et sa substance, et diamétralement opposée au symbole de la foi catholique. Dans les deux cas, le but que poursuivent les puissances de ténèbres est le même : ce but, c'est la destruction du Christianisme.


IX. - Réalité objective des manifestations diaboliques

1. Nous avons amplement discuté les divers phénomènes auxquels donnent lieu les pratiques spirites. Nous avons aussi montré quelle est la nature des agents auxquels on doit attribuer ces phénomènes. Enfin nous avons indiqué les critères qui peuvent nous guider dans le jugement que l'on doit porter sur la moralité de ces pratiques. Mais notre raisonnement serait incomplet, si nous n'insistions à nouveau sur ce qui a été dit plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage, c'est-à-dire qu'on ne saurait douter, non seulement de la possibilité, mais aussi de la réalité de certaines manifestations diaboliques, comme prétendent le faire certains écrivains qui croient par là se donner un air de supériorité. Ces manifestations ont lieu réellement, encore de nos jours, les esprits des ténèbres exerçant visiblement, par ce moyen, leur funeste influence sur ce monde.

2. En vérité, il est assez étrange de constater que, tandis que certains sont portés à voir partout des manifestations surnaturelles, d'autres, au contraire, repoussent énergiquement a priori non seulement le fait, mais aussi la possibilité de toute intervention du monde des esprits dans les choses qui nous concernent ici-bas. Ces esprits forts, que l'on rencontre un peu partout, s'imaginent faire preuve d'indépendance de jugement en rejetant et même ridiculisant toutes les manifestations spirites qui, d'après eux, ne correspondent plus au progrès des temps modernes.

3. Nous ne nions pas que l'on doive procéder avec beaucoup de prudence avant de prononcer un jugement sur la véritable origine des phénomènes d'apparence diabolique. La nature même de ces phénomènes mystérieux suggère une sage lenteur dans le jugement à porter sur ces manifestations, et le Rituel Romain impose expressément cette règle de conduite quand, sous le titre «de Exorcizandis obsessis », il avertit le ministre sacré de ne pas facilement donner créance au fait de l'obsession diabolique de telle et telle personne, mais d'observer les signes par lesquels la personne obsédée peut se distinguer de ceux qui souffrent d'un tempérament mélancolique ou de quelque maladie. Le même Rituel énumère ensuite ces divers signes, observant que plus ils sont nombreux et évidents, plus il est facile de se faire une opinion juste du cas examiné. À ces indications se conforme la prescription du Droit Canon qui ne permet pas aux ministres sacrés l'usage du pouvoir d'exorcisme sans la permission expresse de l' « Ordinaire », et sans qu'ils aient auparavant constaté, sans erreur possible, la réalité de l'obsession diabolique.

4. S'il est d'un esprit sage d'user de la plus grande prudence avant d'admettre, dans certains cas déterminés, la réalité des faits en question, ce serait, d'autre part, faire preuve de grande frivolité d'esprit de rejeter a priori la vérité objective de ces phénomènes en général.

Le Nouveau Testament est rempli de récits concernant des personnes possédées par le démon, ou cruellement traitées et tourmentées par lui, et qui furent délivrées par Notre-Seigneur et par les Apôtres. Des faits de cette nature sont également très fréquents dans les annales de l'Église. Qu'il nous suffise de citer ici quelques cas.

Tout le monde connaît l'affaire des obsessions des Ursulines de Loudun, en France, alors que le Cardinal de Richelieu était ministre, affaire qui causa une telle sensation que le Parlement lui-même eut à s'en occuper. Pendant les exorcismes ordonnés par l'Évêque, les esprits, auteurs des obsessions, donnèrent des réponses tout à fait extraordinaires et qui nous ont été conservées.

En 1864 eut lieu un cas très intéressant d'obsession en la personne de deux frères, les jeunes Thiébaut et

Joseph Burner, d'Illfurt, en Alsace. Ces malheureux énergumènes ne furent délivrés, par les exorcismes de l'Église, qu'après quatre années d'obsession diabolique.

Un cas plus récent et lion moins intéressant est celui d'Hélène Poirier, de Coullons (Loiret, France), étrange et triste affaire qui prouve avec netteté que les esprits de ténèbres ne sont pas moins à l'œuvre de nos jours que dans les siècles Passés.

5. Nous avons dit que le démon peut beaucoup en opérant sur les sens et l'imagination de l'homme, mais qu'il est complètement impuissant en ce qui concerne la volonté de celui-ci. Toute son activité se limite donc au corps ou aux facultés corporelles lesquelles, comme disent les philosophes, appartiennent au composé humain. Or il peut exercer son action sur le corps de deux façons : premièrement, en l'attaquant par le dehors ; secondement, en pénétrant dans le corps et y établissant sa demeure pour s'en servir à son gré.

6. Le premier mode d'action consiste en ce fait que le démon ne tourmente les personnes que du dehors, leur apparaissant, par exemple, sous la forme de visions horribles, les frappant, les jetant violemment sur le sol, leur faisant entendre des bruits terrifiants ou les enlevant dans les airs comme il enleva Simon le magicien. Ceci s'appelle proprement obsession, vexation ou harcèlement.

7. La seconde manière dont le démon agit sur le corps de l'homme consiste à prendre possession de son intérieur, en vivant en lui comme dans une citadelle lui appartenant et en privant l'homme du libre usage de ses sens et de ses membres, de sa langue, de ses oreilles, de ses mains, etc., et même en se servant de ces membres comme d'instruments à lui propres. Il peut ainsi, par exemple, exciter la langue du possédé à formuler, malgré lui, des blasphèmes, des mensonges ou des paroles déshonnêtes. Il peut également torturer le corps de diverses façons, causer des éruptions et des tumeurs et produire des maladies étranges et incurables.

8. Il convient de noter que la différence entre l'obsession et la possession n'est pas une différence de genre, mais de degré, ces formes de harcèlement diabolique différant plus ou moins, suivant le degré plus ou moins grand de puissance exercée par le démon sur le corps de sa malheureuse victime. Quant aux phénomènes d'obsession, ils ne sont pas moins affligeants que ceux de la possession. En fait, le Rituel Romain ne fait pas entre eux de différence, et la langue latine n'a qu'un mot classique pour désigner les deux formes, celui d' « obsession diabolique ».

9. Ce serait, d'autre part, une grave erreur de croire que les démons ne peuvent exercer leur activité funeste que sur les personnes qui leur sont soumises par le péché. Car Dieu peut permettre à l'esprit de ténèbres d'exercer son pouvoir sur les bons, aussi bien que sur les méchants. Il semble d'ailleurs que Notre-Seigneur lui-même ait voulu nous faire connaître cette vérité quand il a permis au démon de le transporter sur une haute montagne ou sur le pinacle du Temple de Jérusalem.

10. Dans l'Ancien Testament, Dieu permit à l'ennemi du genre humain de tourmenter le saint homme Job. La même chose se rencontre dans la vie de plusieurs Saints canonisés, comme dans celle du saint curé d'Ars, Dieu permettant qu'ils fussent, pendant un certain temps, harcelés par le démon. Ce fait ne doit pas trop nous étonner, si nous considérons, d'une part, la haine violente et sans répit dont le démon est enflammé contre nous, la malice subtile qui l'inspire et le merveilleux pouvoir qu'il possède, et d'autre part, la sagesse de la Providence divine qui est si grande, qu'elle peut très bien faire tourner au profit spirituel de la personne possédée, l'humiliation et la souffrance qui résultent de ces pénibles vexations.

11. Nous avons une preuve évidente du fait que l'emprise diabolique est indépendante de la bonté morale de la personne tourmentée, dans cette prescription de la loi canonique par laquelle les ministres de l'Église ont licence d'user des exorcismes, même quand il s'agit de non catholiques et de personnes excommuniées . D'une part, en effet, ces personnes, nonobstant la profession d'hérésie ou les censures de l'Église, continuent à être soumises à celle-ci ; d'autre part le démon, qui ne connaît pas l'état intime de l'âme, peut également, avec la permission de Dieu, molester les bons aussi bien que les méchants. D'où il suit que le fait de vexation diabolique ne permet pas de conclure que le tourmenté n'est pas en grâce avec Dieu.

12. Il ne faudrait pas non plus s'imaginer que l'activité du démon en ce monde est moins grande qu'elle ne le fut dans les siècles passés. Nous dirions plutôt qu'elle croît à mesure que les derniers temps s'approchent. Nous en avons le témoignage de saint jean dans l'Apocalypse : « Quand les mille ans seront accomplis », c'est-à-dire, suivant les interprètes sacrés, vers le temps fixé par Dieu pour la fin du monde, « Satan sera relâché de sa prison, et il en sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre extrémités de la terre » .

13. Des auteurs récents, éblouis par le progrès des sciences expérimentales modernes, ont pensé que le temps était proche où les phénomènes attribués jusqu'ici à la puissance et à l'action des purs esprits pourront être pleinement expliqués par les découvertes qui s'annoncent dans les régions encore inexplorées du monde physique et astral.

C'est là une vaine prétention. Si, d'un côté, c'est un procédé antiscientifique d'attribuer aux opérations du démon ce qui n'est que le résultat des forces de la nature, d'un autre côté il n'est pas moins vain de nier que les esprits d’outre-monde, en perpétuelle rébellion avec Dieu, puissent donner origine à des phénomènes surpassant tout ce que les agents physiques sont capables de produire.

14. Sans doute, il faut tenir compte des progrès des sciences expérimentales, comme d'ailleurs l'Église n'a jamais cessé de l'inculquer, et une sage circonspection requiert que l'on aille lentement quand il s'agit de se prononcer sur l'origine des faits merveilleux se déroulant dans les séances spirites.

D'autre part, vouloir rester sceptique en présence de faits d'un caractère ouvertement préternaturel, est un procédé antiscientifique à l'excès, qui équivaut à favoriser la cause du démon, désireux de cacher ses propres opérations sous le masque de la science. Mais, de même que les manifestations de faux mysticisme n'empêchent pas l'existence d'une mystique chrétienne vraie et sincère, ou que la fausse sainteté n'arrive pas à supprimer la vraie, ainsi les fausses manifestations diaboliques n'empêchent pas qu'il y en ait de vraies, bien plus qu'on ne le croit généralement.

15. Que l'on cultive donc en toute diligence les sciences expérimentales ; qu'on examine avec grand soin la nature des phénomènes; mais qu'on renonce à croire qu'avec le progrès des sciences on arrivera à trouver la clef des nombreuses manifestations préternaturelles auxquelles le spiritisme donne origine.



CHAPITRE IV - AFFIRMATION ÉHONTÉE DE CEUX QUI PRÉTENDENT QUE JÉSUS-CHRIST FUT UN MÉDIUM D'ORDRE SUPÉRIEUR

1. Nous avons vu comment le spiritisme s'est efforcé de tous temps à substituer au dépôt de la foi catholique une nouvelle croyance destituée de tout caractère surnaturel. Des spirites modernes ont été jusqu'à ranger le Divin Fondateur de notre religion parmi les principaux promoteurs de l'occultisme. Jésus-Christ, prétendent-ils, fut un parfait spirite, un médium de premier ordre, qui, par son pouvoir psychique, a pu accomplir ces actes extraordinaires que le vulgaire appelle des miracles, mais qui en réalité ne dépassent pas le pouvoir radical d'un médium doué de la perception la plus sensible et de la plus haute puissance.

2. C'est donc ainsi que certains spirites tentent d'expliquer toutes les œuvres merveilleuses accomplies par notre Divin Maître pendant sa vie, œuvres de l'ordre intellectuel ou de l'ordre physique, telles que les guérisons nombreuses rapportées dans les quatre Évangiles. D'après le théosophisme moderne, l'ensemble de ces œuvres merveilleuses n'est pas dû à une intervention directe de la Divinité, mais au pouvoir psychique de médium que possédait Jésus-Christ, opérant de concert avec ses Apôtres. Eux aussi, paraît-il, étaient doués d'une qualité sensitive extraordinaire, formant avec lui, au cours de séances spéciales, en se tenant les mains, un cercle psychique de la plus haute potentialité.

En conséquence la doctrine prêchée par le Christ ne doit pas être comprise au sens où l'Église Catholique nous la présente. Il faut l'expliquer à la lumière des déclarations spirites, amplement expliquées par la science théosophiste moderne la plus avancée.

3. Bien qu'il soit odieux et répugnant à l'amour et à l'adoration que nous avons pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, de nous arrêter à une hypothèse aussi injurieuse pour sa sainteté que pour sa bonté, nous ne pouvons omettre de démontrer brièvement à quel point une telle supposition est en contradiction directe avec ce que les Saints Évangiles nous disent des paroles et des actes de l'Homme-Dieu. Il sera bon tout d'abord de préciser les différences capitales existant entre les œuvres merveilleuses de Jésus-Christ et les phénomènes spirites.


I. - Différence entre les œuvres de Jésus-Christ et les phénomènes spirites

1. Pour montrer la grande différence qu'il y a entre les œuvres de Jésus-Christ et les phénomènes spirites, il faut observer, premièrement, que notre Sauveur, en accomplissant ses œuvres miraculeuses, si nombreuses et si variées, n'a jamais eu recours à cette mise en scène compliquée et théâtrale, dont les spirites professionnels entourent leurs réunions mystérieuses. Les miracles de Jésus-Christ ne s'accompagnent d'aucune de ces manœuvres étudiées qui abondent dans les séances occultes, telles que le choix habile de lieu, de temps et de personnes, de chambres noires ou demi-obscures, de position spéciale des assistants, assis autour d'une table ou d'un meuble de forme déterminée ; le Christ ne recherchait pas, pour accomplir ses œuvres surnaturelles, un état comateux ou cataleptique, soit en lui-même, soit dans les personnes sur lesquelles il opérait.

Le Sauveur, en effet, faisait ses miracles sans préparation antérieure et sans appareil d'aucune sorte ; il les faisait n'importe en quel lieu et n'importe en quel temps, sur toutes sortes de personnes, sans l'ombre d'une hésitation ; la plupart du temps il opérait instantanément sans jamais s'inquiéter de savoir si les circonstances étaient favorables ou non à ce qu'il avait dessein d'accomplir.

2. En outre, les agents spirites exigent, comme une règle nécessaire, comme une condition de succès, l'exclusion de personnes hostiles à leurs pratiques. Jésus-Christ, au contraire, accomplissait ses miracles aussi bien parmi ses amis que parmi ses ennemis, ces derniers étant souvent plus nombreux que les premiers et prêts à le convaincre d'erreur ou l'accuser de fraude, si le cas avait pu se présenter.

3. Tout ce que le Christ a réalisé de merveilleux porte toujours la marque d'une simplicité, d'un naturel et d'une dignité incomparables, que nous chercherions en vain dans les pratiques spirites. Dans les actes de Notre-Seigneur jamais de ces étranges incidents qui caractérisent les phénomènes des séances occultes : coups répétés, introduction d'un objet dans une boîte fermée ou sortie de cet objet sans ouverture de la boîte, élévation soudaine d'un meuble ou d'une personne, émission spontanée de sons musicaux, et choses semblables. Nous ne voyons pas non plus que Jésus-Christ ait jamais mis en oeuvre sa puissance dans le but d'amuser les multitudes ou de satisfaire leur curiosité, même quand il fut sollicité de le faire par un roi aussi puissant qu'Hérode . En outre, dans les faits spirites, l'intérêt propre, la vaine gloire, et, en général, l'avantage privé sont clairement visibles. Jamais il n'est arrivé, au contraire, que Jésus ait fait usage de sa puissance dans un but de lucre, d'avancement ou de profit personnel d'aucune sorte.

4. Observons encore que les séances spirites ont pour résultat habituel de fatiguer outre mesure la constitution physique de ceux qui y prennent part et plus spécialement du médium, les laissant déprimés nerveusement pendant plusieurs jours, si bien qu'un médium donne rarement plus d'une séance ou deux par semaine, et chaque fois pendant une heure ou deux seulement. Les miracles accomplis par Jésus-Christ, au contraire, l'ont toujours laissé en santé parfaite, en pleine possession de ses facultés physiques et intellectuelles, capable de se livrer à ses saints labeurs tout le long du jour et même tard dans la nuit.

5. Ce que nous venons maintenant d'établir à propos de la différence entre les œuvres merveilleuses du Christ et la production des phénomènes spirites vaut également pour tous les miracles de notre Sauveur, y compris celui de sa glorieuse Transfiguration. Nous faisons mention de ce miracle, parce que les spirites modernes ont tenté de réduire cet événement à une simple manifestation due au contact de Notre-Seigneur avec les âmes des défunts, Moïse et Élie qui, d'après eux, étaient simplement des esprits matérialisés, tels que ceux apparaissant aujourd'hui au cours des séances médiumniques. Si simple, cependant, si sincère est le récit de l'Évangile, qu'il exclut tout soupçon de l'une ou l'autre de ces manœuvres accompagnant d'habitude les phénomènes spirites. Remarquons, en outre, que l'apparition d'Élie ne pouvait en aucune manière être une matérialisation, puisque son âme n'est pas encore séparée de son corps.


II. - Différence entre l'enseignement de Jésus-Christ et les prétendues révélations du Spiritisme

1. Nous arrivons maintenant à la différence entre la doctrine prêchée par Jésus-Christ et les allégations des médiums modernes, présentées par eux comme étant les révélations des esprits désincarnés. Ceux-là même qui sont peu familiers avec le texte des Saintes Écritures peuvent facilement apercevoir la différence immense qui sépare ces racontars futiles des discours de Notre-Seigneur, si remplis de vérités sublimes et pénétrés d'une sagesse et d'une onction toute céleste. Les messages provenant soi-disant d'esprits vivant dans l'au delà, ressemblent plus aux extravagances d'un malade en délire, qu'aux paroles raisonnables d'un homme en bonne santé. Au contraire les paroles prononcées par le Christ et que les Saints Livres nous ont transmises, révèlent toutes une sagesse et une sainteté surhumaines.

2. Ajoutons que les sermons de Notre-Seigneur sont tous marqués au sceau d'une vérité absolue et d'une sincérité parfaite, tandis que le verbiage des esprits est le plus souvent mêlé de fraude et de mensonge. Très fréquemment les esprits se montrent en contradiction flagrante avec eux-mêmes ; il n'est pas rare qu'ils donnent de faux noms ou fournissent des indications dont le contrôle est impossible. Ils se plaisent à des facéties vulgaires et indécentes, soulèvent les assistants par les cheveux ou les tirent par les vêtements, caressent leurs joues, les embrassent, ou se livrent à d'autres actions également ridicules. Or tout ceci répugne à l'idéal élevé qu'incarne la personne sacrée de Jésus-Christ, idéal de dignité, de bonté, de perfection et de vérité.

3. Il y a plus. Non seulement une différence immense existe entre les pratiques spirites et les miracles de Jésus-Christ, entre les révélations des esprits et l'enseignement de notre Sauveur, mais nous voyons en outre que Jésus-Christ s'est proclamé l'ennemi juré des superstitions du spiritisme qu'il n'a cessé de combattre de tout son pouvoir, ainsi que nous allons le démontrer.


III. - Les pratiques spirites combattues par Jésus-Christ

1. On a peine à croire que l'idée puisse venir à un esprit pondéré d'attribuer à Jésus-Christ le caractère d'un médium, voire du plus grand des médiums, alors que toute la vie du Sauveur, nous le savons, oppose la contradiction la plus formelle à une telle assertion. Jamais Jésus ne nous dit que notre devoir est d'aller chercher la vérité auprès des esprits désincarnés. Jamais il ne nous indique la manière de communiquer avec eux. Jamais il ne dicte de règle pour discerner le bien du mal, le vrai du faux dans ces communications. Bien que, en plusieurs occasions, les esprits mauvais l'aient reconnu pour le Messie promis et aient proclamé sa Divinité, néanmoins il refusa toujours d'entrer en communication avec eux. Jamais il n'a cherché à obtenir par eux de secrètes informations.

2. Il y a plus. En racontant les miracles de notre Sauveur, les Évangélistes ont grand soin de rappeler les cas nombreux de possédés qu'on lui présentait pour qu'il les délivrât ; et nous savons comment il chassait effectivement le démon du corps de ces pauvres affligés.

3. Bien loin d'ailleurs de révoquer les condamnations sévères prononcées dans l'ancienne Loi contre la communication avec les esprits des morts, Jésus-Christ les a confirmées de son autorité, protestant qu'il n'était pas venu détruire la Loi mais l'accomplir. Nous pouvons donc, en toute vérité, dire que notre Sauveur, loin d'encourager les pratiques spirites, les a, au contraire, sévèrement condamnées.


IV. - Comparaison impossible entre les miracles de Jésus-Christ et les pratiques spirites

1. Comme conclusion de ce que nous venons d'exposer, nous pouvons affirmer qu'entre les œuvres merveilleuses de Jésus-Christ, démontrant et confirmant par des miracles sa mission divine, et les manifestations spirites, il existe un vaste abîme impossible à franchir.

Tous les prodiges de notre Sauveur, quelle que soit leur nature, furent accomplis par Lui avec une dignité surhumaine, une paix, une possession de soi parfaites, sans une ombre de doute et loin de toute ostentation. Ses miracles furent accomplis pour corroborer un enseignement clairement défini dans les Saintes Écritures, une doctrine qui élève l'homme au-dessus de l'ordre naturel et est en harmonie parfaite avec les plus nobles aspirations de nos cœurs.

Les phénomènes spirites, d'autre part, sont toujours marqués par la variabilité et l'incertitude. Ils apportent avec eux l'empreinte de quelque chose d'antinaturel qui offense la dignité humaine. Ils laissent chez ceux qui les évoquent des signes indubitables d'affaiblissement moral et intellectuel, aussi bien que de dommage physique. Les messages transmis par le moyen de ces phénomènes, au lieu d'améliorer et de perfectionner la vie de l'individu ou de la société, conduisent l'homme à l'ignorance de sa fin réelle qui est le bonheur parfait dans la vision de Dieu.

2. C'est donc une supposition fausse et absurde que de représenter Jésus-Christ comme un spirite, si hautement évolué qu'on puisse le supposer. C'est aussi la plus grave des insultes que l'on puisse faire au Roi divin de l'humanité venu sur la terre dans le but exprès de détruire le règne de Satan, cet ennemi irréconciliable de Dieu et de l'homme, qui manifeste son pouvoir et propage l'erreur dans le monde par le moyen des pratiques spirites.

3. Par conséquent, quiconque a l'amour de la vérité et conserve encore un certain degré de respect et de vénération pour la personne sacrée de Jésus-Christ, quiconque est conscient de sa propre dignité et soucieux du salut de son âme, doit comprendre que son devoir strict est d'éviter des pratiques qui sont une injure grave pour notre divin Rédempteur, qui exposent l'homme à des maux sans nombre pour le corps et pour l'âme et qui ont pour effet immédiat de rabaisser le caractère intellectuel et moral. L'amour et le respect que nous devons à notre Créateur doivent nous persuader de nous abstenir de toute communication avec des êtres qui sont les ennemis jurés de la Divinité. «Ne prenez aucune part, dit saint Paul, aux œuvres stériles des ténèbres, mais plutôt condamnez-les. »



CHAPITRE V - LES EXORCISMES DE L'ÉGLISE

1. C'est une loi divine, dit le docteur angélique, saint Thomas , que quiconque cède à la suggestion d'un autre pour commettre une faute, est, par punition, soumis au pouvoir de celui à la suggestion duquel il a obéi. Saint Pierre a solennellement affirmé cette vérité quand il a dit : « On est esclave de celui par qui on s'est laissé vaincre ».

Nous comprenons par là facilement comment les spirites professionnels et surtout les médiums, qui se mettent eux-mêmes sous l'influence du démon dont ils deviennent les humbles serviteurs, se placent en même temps sous le joug des passions effrénées dont il est l'instigateur et qui les portent fréquemment à commettre des actions irraisonnables et même immorales et indignes d'un être humain. Le démon, une fois servi par l'homme, grâce à ces pratiques superstitieuses, le soumet aisément à sa tyrannie cruelle et implacable.

2. C'est précisément pour nous affranchir de cette tyrannie diabolique que Jésus-Christ a donné à son Église le pouvoir de délivrer ceux qui sont obsédés par le démon. Ce pouvoir s'exerce par des rites spéciaux que l'on nomme exorcismes. De même que notre Sauveur n'a jamais cessé, pendant sa vie mortelle, de faire la guerre à l'ennemi commun de tout bien, de même il a confié à son Église, qui continue son œuvre sur la terre, le pouvoir de chasser les démons du corps des hommes.

3. Il convient de parler ici de ce pouvoir. Toutefois, pour renseigner le lecteur plus complètement, nous parlerons d'abord des exorcismes que pratiquaient les juifs. Nous expliquerons ensuite brièvement la nature des exorcismes chrétiens et nous terminerons en examinant, pour la résoudre, la question qui se pose au sujet de la différence existant entre les exorcismes et les miracles véritables.


I. - Les Exorcismes chez les Juifs

1. C'est un fait avéré que la Synagogue eut, avant la fondation de l'Église Chrétienne, ses exorcistes, ainsi qu'en témoigne la Sainte Écriture. C'est ainsi que lorsque les juifs accusèrent Jésus-Christ de chasser les démons par le prince des démons, le Sauveur leur répondit : « Si moi je chasse les démons par Béelzébub, par qui vos fils les chassent-ils ? » . Il reconnaissait donc ainsi à la Synagogue un certain pouvoir d'exorciser les possédés. Et quand certains Juifs, qui ne comptaient pas parmi ses disciples, se servirent du nom du Christ pour exorciser les possédés, chose que les disciples voyaient avec déplaisir, Jésus ne les priva pas pour autant de ce pouvoir.

2. Encore plus explicite est le témoignage des Actes des Apôtres, où il est raconté que des exorcistes juifs ayant vu que saint Paul chassait les démons au nom de Jésus-Christ, essayèrent, mais vainement, de faire de même.

3. La manière dont ces exorcistes juifs exerçaient leur office comportait, pour la plus grande partie, un mélange de pratiques superstitieuses. Ils se servaient de charmes, d'herbes et de filtres, comme les magiciens et les sorciers avaient coutume de le faire et le font encore aujourd'hui. Josèphe rapporte qu'ils se servaient, d'une certaine manière, de poèmes spéciaux, qu'ils prétendaient avoir été composés par Salomon lui-même.

4. Le docteur angélique, saint Thomas, examinant cette question , dit que si Salomon a vraiment composé ces poèmes avant sa chute dans l'idolâtrie, on doit les garder comme de pures et saintes prières sinon, on doit les rejeter comme superstitieuses, magiques et illicites. De fait, ni la tradition juive, ni la tradition chrétienne, ne reconnaissent comme authentiques ces poèmes attribués au célèbre roi. On les rejette donc avec raison comme apocryphes, sinon comme une production littéraire sans intérêt d'aucune sorte.


II. - Les Exorcismes chrétiens

1. L'office d'exorciste, dans l'Église Catholique, est un ordre ecclésiastique par lequel un clerc reçoit le pouvoir spirituel d'imposer les mains aux énergumènes, baptisés ou non, et de lire sur eux les exorcismes rituels, pour contraindre les démons à quitter les corps des possédés.

2. Cet ordre n'a pas été directement institué par Notre-Seigneur, mais plutôt par l'Église, en vertu du pouvoir surnaturel que son divin fondateur lui a transmis d'instituer des rites ordonnés au bien général de la société chrétienne.

Nous n'avons pas de preuve que cet ordre fut conféré ou exercé au cours des trois premiers siècles de l'Église. Mais au commencement du quatrième, nous trouvons des clercs spécialement députés dans les Églises chrétiennes des diverses parties du monde, pour se servir de ce rite et délivrer de la tyrannie de Satan ces malheureuses victimes.

3. Aux premiers siècles de l'Église, alors que, la foi était extrêmement vive, les chrétiens possédaient en général, ce pouvoir, de même qu'ils possédaient le don des langues, de prophétie ou d'interprétation des langues. Non que tous les chrétiens possédassent ces dons, tous et chacun sans distinction, mais l'Esprit de Dieu « qui les distribue à chacun en particulier comme il lui plaît » , les répandait parmi les fidèles, donnant tel don à celui-ci, tel autre à celui-là, pour l'édification de l'Église.

4. Il semble que les fidèles aient exercé ce pouvoir même en faveur des païens, et l'on peut à ce sujet citer l'autorité de Tertullien, écrivant dans son Apologie : «Qui donc, hors les chrétiens, pourrait arracher vos âmes et vos corps à ces ennemis cachés qui mènent tous les hommes à la ruine ? Je parle des démons qui vous assiègent et dont nous vous délivrons sans récompense et sans salaire. Ce nous serait une vengeance suffisante de les laisser vous posséder librement. Mais vous, par contre, oubliant le bienfait d'une telle protection, vous avez préféré traiter en ennemis des personnes qui non seulement ne vous font aucun mal, mais qui vous sont, en réalité, nécessaires : soit, ces personnes sont bien des ennemis, mais des ennemis de l'erreur, non pas de l'homme.  »

5. Mais ce n'est pas seulement aux premiers temps de l'Église que des chrétiens privilégiés ont exercé ce pouvoir de chasser les démons. L'histoire ecclésiastique nous apprend, en effet, qu'un grand nombre de Saints l'ont, de tout temps, exercé. Il suffit de lire la vie des serviteurs de Dieu qui se distinguèrent par leur vertu et leur sainteté pour se convaincre du pouvoir que Notre-Seigneur leur a donné sur ces ennemis de l'humanité. Nous voyons en effet, que les Saints, tantôt par la parole, tantôt par leur seule présence ou par le contact d'un objet leur appartenant ou encore par leurs reliques corporelles, ont mis fréquemment en fuite les mauvais esprits, soit des corps que ceux-ci affligeaient, soit des lieux qu'ils infestaient.

6. L'Église, pour sa part, a institué le rite spécial dont nous avons parlé, pour obtenir de Dieu, au moyen d'exorcismes appropriés, la délivrance des énergumènes assaillis par ces esprits malins, qui cherchent à nuire à l'homme non seulement en le molestant dans son corps et dans ses facultés, internes et externes, mais aussi en infestant ses demeures, ses animaux, ses plantes, etc. C'est précisément pour fournir un remède à ces maux que la Sainte Église a institué ces exorcismes qui, cependant, ne peuvent être pratiqués que par permission expresse des Ordinaires du lieu. Cette permission est nécessaire en particulier quand il s'agit d'obsession occasionnée par les pratiques spirites, et cela précisément à cause de la difficulté de distinguer les effets diaboliques des phénomènes d'ordre naturel.


III. - Comparaison entre les exorcismes et les miracles

1. On aimera peut-être à savoir si cette libération de l'obsession diabolique ou des attaques de la part d'animaux nuisibles, qui s'opère, soit par les prières des Saints, soit par les exorcismes de l'Église, est un miracle dans le sens strict du mot.

Nous répondons à cette question : si ces effets sont produits sans qu'il soit fait usage du rite d'exorcisme institué dans ce but, on peut les qualifier justement de miracles. La raison en est que, dans ce cas, le thaumaturge opère formellement comme ministre ou instrument de Dieu et partage d'une certaine façon son pouvoir d'autorité. C'est pour cela que ce genre de délivrance a lieu en général instantanément et sans aucune résistance de la part du démon, comme l'insinue la Sainte Écriture parlant des délivrances de cette sorte, accomplies par Jésus-Christ pendant sa vie mortelle.

2. Le cas est tout à fait différent quand cette délivrance a lieu par les exorcismes de l'Église. A vrai dire, les effets de ces exorcismes n'appartiennent pas au domaine des miracles proprement dits, puisque la personne autorisée qui les accomplit en vertu du rite institué dans ce but, n'est pas, strictement parlant, un instrument dans la production de ces effets, mais agit comme cause principale. De fait, l'exorciste ne dit pas au démon : « Que Dieu t'exorcise », mais : « Je t'exorcise au nom de Dieu ». De même quand il s'agit de chasser des champs ou des maisons les animaux nuisibles, l'exorciste se sert de termes de commandement, usant ainsi du pouvoir qu'il possède en vertu de son ordination et de la délégation de l'Évêque.

Les effets de cette nature appartiennent donc plutôt aux « ministères » dont parle saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens qu'à cette grâce spéciale « gratis data », que l'on appelle « operatio virtutum ».

3. Mais, quel que soit le cas, l'effet désiré ne peut en règle générale se produire, là où la foi fait défaut. Or la foi peut faire défaut dans la personne obsédée, ou dans l'exorciste.

Il est bien naturel que si un énergumène ne croit pas en la puissance des exorcismes de l'Église ou dans celle des Saints, il ne mérite pas d'être par eux délivré du démon, sauf dans le cas où Dieu veut, pour l'édification de son Église, montrer sa puissance même sur les sujets rebelles à ses bienfaits, comme dans le cas des païens auxquels, avons-nous dit , Tertullien fait allusion.

4. Quant à la personne qui chasse le démon, il est évident que la foi, chez elle, est nécessaire pour obtenir ce résultat. Car, si c'est un Saint qui produit cet effet, il possède certainement, avec les autres vertus, la foi surnaturelle ; si c'est un exorciste, il doit au moins avoir la foi requise dans les ministres des sacrements. Une preuve convaincante que l'usage d'objets sacrés, l'invocation du nom de Jésus-Christ ou même les exorcismes de l'Église sont insuffisants quand la foi manque, nous est fournie dans les Actes des Apôtres, là où saint Luc fait mention de certains exorcistes juifs, fils du grand-prêtre Sceva. Ceux-ci, ayant vu que saint Paul, en invoquant le nom de Jésus-Christ, avait chassé les démons du corps des possédés, voulurent opérer de même. Mais comme ils manquaient de cette foi véritable qui est l'âme même des exorcismes, ils échouèrent misérablement. Le malheureux qu'ils avaient tenté d'exorciser « se jeta sur eux, s'en rendit maître et les maltraita si fort, qu'ils s'enfuirent de cette maison nus et blessés ».



QUATRIÈME PARTIE - HYPNOTISME ET TELEPATHIE

1. Nous avons vu, dans la précédente partie de cet ouvrage, comment les divers phénomènes spirites qui suscitent l'admiration d'un grand nombre et auxquels sont reliées des communications nouvelles et étranges dans l'ordre spéculatif aussi bien que dans l'ordre moral et pratique, surpassent le pouvoir des agents physiques et non seulement peuvent, mais doivent être attribués à une classe de substances ou intelligences spirituelles d'un caractère immoral, bas et pervers, bien que douées d'une science et d'un pouvoir merveilleux.

Toutefois, comme le spiritisme, pris dans son acception générale, a donné naissance, au cours des temps, à de nouvelles formes d'occultisme, parmi lesquelles l'hypnotisme et la télépathie tiennent une place éminente, il sera utile d'examiner quelle relation ces pratiques et autres semblables ont avec les phénomènes que nous avons étudiés jusqu'ici. Nous serons ainsi à même de savoir ce qu'il faut penser de la moralité des expériences liées à ces pratiques.

2. Nous traiterons donc ici de l'hypnotisme et de la télépathie. Mais il convient d'observer que sous ces deux titres sont comprises toutes les diverses formes d'occultisme qui, développées surtout au cours des années récentes, dérivent comme d'une même source du spiritisme intellectuel. Nous voulons parler de la clairvoyance, de la clairaudience, des pressentiments et de ce que l'on appelle communément transmission de pensée. Toutes ces formes et autres semblables ne sont pas logiquement distinctes entre elles et par suite ne s'excluent pas l'une l'autre ; ainsi l'hypnotisme et la télépathie, par exemple, n'ont pas de ligne de démarcation bien précise. De même que la netteté et la précision sont la propriété de la vérité, ainsi la confusion est la marque de fabrique de l'erreur et du mensonge.

3. Néanmoins, pour jeter un peu de lumière sur ce qui n'est que ténèbres et confusion et pour nous guider dans ce labyrinthe où toutes les voies sont enchevêtrées, nous traiterons séparément, en premier lieu, de l'hypnotisme et, en second lieu, de la télépathie. Sous le premier titre, nous comprendrons tous les phénomènes qui tirent leur origine d'un sommeil provoqué artificiellement. Sous le second titre, nous examinerons les manifestations d'un caractère intellectuel, ayant lieu à distance.



CHAPITRE I - L'HYPNOTISME

1. Pour bien connaître les traits distinctifs de l'hypnotisme et son mode d'action, il est nécessaire tout d'abord de découvrir quels effets cette forme d'occultisme, unie à la suggestion mentale, peut produire sur l'esprit humain. Nous aurons en outre à étudier la question de moralité ou de légitimité des pratiques hypnotiques en général et, d'une manière spéciale, de celles qui impliquent l'abandon de l'usage du libre arbitre. Nous montrerons ensuite la différence entre la forme d'abandon de la volonté que nécessitent les pratiques hypnotiques et celle que professent les religieux par le vœu d'obéissance, vœu qui semble, à première vue, offrir une ressemblance avec ce qu'exigent les expériences hypnotiques.

2. Nous serons alors en mesure de déterminer quelle condition est requise pour justifier l'usage de l'hypnotisme et de montrer en quoi consiste l'abus de cette forme de sommeil artificiel. Il nous faudra de plus distinguer entre les cures hypnotiques purement naturelles et les phénomènes diaboliques auxquels donne naissance l'abus de ces pratiques. Enfin nous établirons un critérium pour distinguer les phénomènes hypnotiques des faits véritablement miraculeux.

3. On ne peut douter que Dieu ne se serve parfois de l'état de sommeil, soit pour faire connaître à l'homme sa volonté, soit pour lui révéler des événements futurs. Nous avons de ce fait des preuves abondantes dans la Sainte Écriture, aussi bien dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament.

En outre, il peut se faire, étant donné cet état de perception aiguë auquel peuvent s'élever, dans les rêves, nos facultés d'imagination et de réceptivité, que nous en arrivions à connaître, par conjecture, grâce à des pressentiments fondés, les événements à venir; c'est à cet état que se rapportent les songes fatidiques si bien décrits par Dante «Ainsi ruminant, et ainsi les regardant (les étoiles), me prit le sommeil, le sommeil qui souvent, avant qu'il soit, sait ce qui sera. »

4. Mais si le sommeil prend parfois un caractère prophétique, il est le plus souvent en nous l'origine, nous le savons par expérience, de bien des illusions étranges. Le grand poète florentin a décrit l'un des plus curieux aspects de ce genre d'illusion

« Et comme celui qui songe quelque sien dommage, et songeant souhaite que ce ne soit qu'un songe, de sorte qu'il désire ce qui est, comme s'il n'était pas... » .

Or, si le sommeil naturel est capable d'aussi curieux effets, combien de résultats encore plus étranges peut produire en nous le sommeil hypnotique !

Telle est donc la question qui nous occupe ici et que nous nous efforcerons de résoudre à la double lumière de la théologie et de l'expérience scientifique.


I. - Nature de l'hypnotisme

1. L'hypnotisme, son nom l'indique, est une forme particulière de sommeil, que la science moderne nous a rendue familière, et qui diffère du sommeil ordinaire en ce sens qu'il n'est pas amené par une cause naturelle, mais par la volonté ou l'influence d'une autre personne.

Cette influence peut s'exercer de bien des façons. La plus habituelle consiste en gestes, paroles de commandement, toucher des mains de l'opérateur, fixation prolongée des yeux du sujet sur les yeux de l'hypnotiseur, sur une boule de cristal, sur un disque lumineux, et choses semblables.

2. Le sommeil hypnotique diffère de caractère non seulement avec le sommeil naturel, mais aussi avec le sommeil provoqué par des moyens artificiels et des substances narcotiques, telles que l'éther, le chloroforme, l'opium et l'alcool, ce genre de sommeil étant produit par l'absorption et l'assimilation des substances susdites, tandis que, dans les manœuvres hypnotiques, il n'est dû qu'à l'action d'agents mécaniques et extérieurs. Le sommeil hypnotique comporte la suspension partielle ou entière de la sensibilité extérieure.

3. Mais une différence encore plus radicale existe entre le sommeil hypnotique et les autres formes de sommeil naturel ou artificiel. Cette différence gît dans le fait que pour ces dernières formes, l'abandon habituel, explicite ou tacite, de la volonté n'est pas nécessaire, comme c'est souvent le cas pour l'hypnotisme. La simple fatigue, ou, dans le cas du sommeil artificiel, la simple absorption et assimilation des substances narcotiques désignées plus haut, suffit pour produire l'effet désiré. Le sommeil hypnotique, au contraire, ne se produit pas habituellement, si le patient ne soumet pas, au moins implicitement, sa volonté à la volonté de l'hypnotiseur.


II: - Effets de l'hypnotisme

1. Parmi les effets de l'hypnotisme il en est un assez grand nombre qui sont plus ou moins communs aux autres genres de sommeil artificiel. Tels sont les phénomènes dits somatiques : sommeil prolongé, frappante rigidité des membres, trouble profond, bien que temporaire, du système nerveux. Tels sont aussi, dans une certaine mesure, la léthargie ou le coma, la catalepsie et le somnambulisme. Tous ces effets, d'autre part, sont communs également à, une forme spéciale de sommeil naturel intense, dans lequel peuvent se produire une très grande variété de phénomènes, dus à diverses circonstances, telles que la nourriture et la boisson, et à l'état particulier du sujet au point de vue de sa santé physique et mentale.

2. Ce qui constitue la caractéristique particulière du sommeil hypnotique est la suggestion, par laquelle une personne peut, au commandement de l'opérateur, tomber dans un état cataleptique, perdre le contrôle de ses sensations et obéir à la voix et à la volonté de l'hypnotiseur. Celui-ci et celui-ci seulement, peut alors provoquer une suggestion, dans le but de faire disparaître une maladie, une douleur quelconque ; seul, il peut exiger l'obéissance et faire accomplir au sujet une action de son choix, à un moment fixé par lui et comme il le veut. Au moment fixé, par conséquent, le sujet s'éveillera, n'ayant aucune conscience de l'idée suggérée, mais néanmoins, à la minute indiquée, il obéira à la suggestion faite ou exécutera l'ordre reçu.

3. Une autre forme d'influence hypnotique est celle qui consiste à donner à distance un ordre mental à une personne que l'on fait ainsi tomber dans un profond sommeil et que l'on pousse de cette manière à exécuter l'ordre donné, tant que continue l'état d'hypnose.

4. On sait que les phénomènes hypnotiques sont d’un caractère complexe et varié et remarquables par leur production capricieuse et irrégulière. Ils ont cependant ceci de commun que tandis que l'imagination travaille activement, le libre arbitre, aussi bien que la sensibilité extérieure, sont suspendus, sauf qu'en bien des cas la vue, de même que l'ouïe, restent sensibles à l'impression des objets extérieurs, et que la langue demeure capable de formuler des phrases articulées. Toutefois ces organes, aussi bien que les autres sens, souffrent d'un tel désordre et les nerfs sensitifs sont troublés et paralysés à tel point, que les phénomènes en question n'ont rien de commun avec ceux qui accompagnent la marche ordinaire de la nature.

5. Quel jugement pouvons-nous formuler sur la légitimité des pratiques hypnotiques ? Doit-on les condamner sans réserve, ou bien y a-t-il des circonstances où nous puissions, dans certaines conditions avoir recours à ce moyen essentiellement artificiel ?


III. - Est-il permis de recourir à l'hypnotisme?


1. Tout d'abord il est à peine nécessaire de dire que si l'on s'adonne aux pratiques hypnotiques dans un but délibérément mauvais, et avec l'intention d'éluder ainsi les lois de l'ordre moral, une telle manière d'agir ne peut se justifier en aucune circonstance. Cela est de toute évidence pour un esprit sensé et se passe de tout commentaire.

2. La question principale est celle-ci : Est-il licite d'avoir recours à ces pratiques, par exemple, dans un but médical, afin de découvrir quelque nouveau remède à des maladies ou à des désordres corporels invétérés ? Peut-on s'en servir pour obtenir quelque nouvelle application des lois physiques, en vue de promouvoir l'avancement des sciences et des arts ?

En réponse à cette question, nous ne pouvons que signaler le verdict que donnent unanimement les théologiens catholiques, c'est-à-dire: que c'est l'abus de l'hypnotisme et du magnétisme et non leur usage qui doit être condamné. Tel est, en substance, le sens des jugements rendus à diverses reprises par les Congrégations Romaines.

La question proposée se réduit donc à ceci: en quoi consiste l'usage et en quoi consiste l'abus des pratiques hypnotiques ?

3. Il faut bien admettre que les formes sous lesquelles se présentent ces pratiques sont si variées et les phénomènes qui en résultent si nombreux et complexes, que ce n'est pas chose facile de tracer une ligne de démarcation très nette et de dire avec précision où finit l'usage légitime et où commence l'abus de l'hypnotisme. Nous ne pouvons donc prétendre d'aucune façon offrir une solution finale à ce problème extrêmement compliqué ; nous essaierons néanmoins d'indiquer comment nous pouvons distinguer ces pratiques les unes des autres et reconnaître celles qui sont convenables et licites.

4. Qu'un médecin, soucieux d'épargner à un patient la torture d'une opération grave, lui fasse respirer du chloroforme et que le patient, tombant alors dans un profond sommeil, ne ressente aucune douleur pendant la dite opération, il n'y a là rien que l'on puisse considérer comme une infraction à la loi morale. Il n'en serait ainsi qu'au cas où l'on se servirait de l'état d'inconscience dans une intention mauvaise et où le patient, privé de l'usage de son libre arbitre, serait amené à commettre des actes d'un caractère immoral.

De même il ne peut rien y avoir de blâmable à ce que l'on prie une personne de fixer un objet lumineux dans le but de créer chez elle un état passager de strabisme qui finisse par la plonger dans le sommeil artificiel. Un tel procédé voulu, pour une bonne fin, n'a certainement rien que de légitime. Il ne deviendrait immoral que si l'effet était produit pour un motif coupable et si l'état d'inconscience devait servir à un but illicite.

5. Par conséquent, tant que l'intention de l'opérateur est bonne et qu'il n'y a rien à objecter aux moyens matériels employés pour amener le sommeil, qui n'est pour le sujet qu'un état d'insensibilité avec ses conséquences naturelles, on peut considérer qu'aucune loi n'est enfreinte et qu'aucune obligation n'est violée. L'hypnotisme peut donc être employé comme n'importe quel autre remède médical mis en oeuvre dans un but bienfaisant et respectueux des lois morales.


IV. - L'abandon du libre arbitre dans l'hypnotisme

1. Ce que nous avons dit jusqu'à présent de l'hypnotisme est loin d'avoir épuisé notre sujet. Il reste en effet beaucoup à dire sur les pratiques hypnotiques. En effet, des circonstances existent, où celles-ci doivent être nettement dénoncées comme une infraction à la loi morale et comme constituant l'abus dont nous venons de parler.

Cet abus n'est autre que l'abandon du libre arbitre de l'homme au contrôle de l'hypnotiseur. Cet abandon n'a pas besoin d'être nécessairement explicite, le libre arbitre étant abandonné par le simple fait que le sujet accepte de se soumettre à l'influence de l'hypnotiseur en obéissant à sa suggestion.

Que cet abandon soit une condition essentielle du succès des expériences, c'est ce qui ressort avec évidence du fait que le sujet hypnotisé n'a aucun contrôle de lui-même dans l'acte d'obéir à la suggestion reçue et qu'il ne garde aucun souvenir des actes accomplis dans l'état d'hypnose.

2. Nous savons, en outre, que c'est justement la résistance de la volonté du sujet qui constitue le réel obstacle à la production du phénomène. Il peut se faire que le sommeil hypnotique s'empare d'une personne contre sa volonté, mais alors aucun pouvoir de suggestion ne peut la contraindre à exécuter un ordre donné, surtout quand, au lieu d'un acte de soumission, il y a eu auparavant une résistance active et formelle à l'exercice d'un tel pouvoir.

3. Or, si nous considérons que le libre arbitre est pour l'homme le plus précieux des biens et en même temps le plus utile, puisque par lui nous pouvons mériter le ciel, c'est-à-dire la vision béatifique, il devient évident qu'un tel don ne peut être livré qu'à Dieu seul qui en est l'Auteur et que son abandon, pour le but indiqué, c'est-à-dire pour exécuter les ordres de l'hypnotiseur, est une pratique illicite et constitue un abus réel.

4. Mais une autre raison existe, qui oblige à regarder comme illicite l'abandon implicite ou explicite de la volonté dans l'hypnotisme.

Un tel abandon, fait d'une façon générale, ouvre la porte à toutes sortes d'irrégularités, aussi bien de la part du sujet, que de celle de l'opérateur, et peut amener des résultats opposés à la loi de l'ordre et de la morale. L'histoire de l'hypnotisme fournit de nombreux exemples à l'appui de cette assertion.

5. Si l'on objecte que cet abandon peut se borner à des effets purement thérapeutiques, nous répondrons qu'on ne peut, même dans ce cas, le tenir pour légitime. Ce qui appartient à notre santé physique, comme les fonctions de notre vie végétative, ne dépend pas réellement de notre volonté qui n'est pas naturellement capable de rétablir par elle-même la santé de notre corps.

6. Il est vrai que la suggestion, sans accord préalable, peut, dans certaines formes de maladies mentales, persuader le patient que le trouble a disparu ; elle devient alors un moyen de soulager la douleur et de rétablir la santé, soit tout à fait, soit du moins en partie. Mais, dans ce cas, c'est l'imagination, et non la volonté, qui se trouve sous l'empire de l'opérateur, et c'est à l'imagination que les effets obtenus doivent être attribués. Le lecteur voudra bien se rappeler ici ce que nous avons dit du pouvoir de l'imagination. Ce qui est certain c'est que le cas serait différent s'il y avait de la part du patient un abandon explicite ou tacite du libre arbitre. Il serait alors permis de reconnaître l'action d'un agent supérieur invisible, introduit dans le champ d'opération, précisément par suite de cet abandon du libre arbitre.

7. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que les effets susceptibles d'être produits par la simple suggestion sont toujours enfermés dans certaines, limites, proportionnés qu'ils sont à la cause par laquelle ils sont produits et qui est une cause naturelle. Aussi, les cures ainsi obtenues appartiennent-elles au domaine de la science médicale et ne sauraient être confondues avec les miracles véritables, qui sont l'œuvre immédiate de Dieu surpassant toutes les forces de la nature créée.

8. C'est pour déterminer jusqu'à quel point les maladies en rapport avec le système nerveux peuvent être soulagées ou même complètement éliminées par l'activité de notre imagination, que la question touchant l'hypnotisme a été étudiée récemment avec tant de persévérance par des médecins sérieux. Les résultats obtenus jusqu'ici sont, il est vrai, peu nombreux et incertains ; mais nous pouvons espérer que, grâce à de nouvelles expériences ajoutées à la somme de connaissances que nous possédons déjà, il deviendra possible de déterminer avec une suffisante précision ce que peut réaliser la simple suggestion naturelle et ce dont elle est incapable.

Il est clair cependant que tout essai tendant à établir dans le détail des cas quelles opérations sont propres à chacun de ces deux ordres d'agents, est condamné à l'insuccès. Les esprits invisibles, en effet, travaillant sur l'imagination du patient, nous ne pouvons jamais savoir avec certitude si les effets surprenants qui se produisent sont uniquement le résultat d'une imagination fonctionnant dans des conditions anormales ou s'ils sont dus, au moins en partie, à l'influence exercée sur elle par les esprits.

9. Quoi qu'il en soit, nous pouvons dire avec certitude que des effets existent, dépassant complètement les limites dans lesquelles le pouvoir de l'imagination peut s'exercer. Ce sont les phénomènes appartenant à l'ordre intellectuel et qui sont communs à la suggestion et au spiritisme. Telles sont, par exemple, les diverses formes de clairvoyance, les remarques que nous avons faites à leur sujet s'appliquant également à la clairvoyance provoquée par l'hypnose.

Puisque l'abandon de la volonté, condition nécessaire pour obtenir ces effets, est un moyen inadéquat à leur égard et du reste pernicieux de soi, l'emploi de ce moyen doit être tenu pour illicite. Des agents, autres que les agents visibles, opèrent certainement ici, et avec ceux-là nous ne saurions avoir aucun commerce.

10. En résumé nous disons : l'hypnotisme, employé d'une façon licite, c'est-à-dire simplement comme moyen pour produire un sommeil artificiel et cela dans le but d'obtenir certains effets thérapeutiques, n'a rien en soi qui appelle une condamnation. Mais quand il s'accompagne de l'abandon explicite ou implicite de la volonté, complètement ou en partie, il devient certainement illégitime, quel que soit le fruit que l'on espère en tirer.


V. – Le Vœu d’obéissance

1. Ici peut se présenter une objection fondée sur le fait que le voeu d'obéissance, fait pour la vie à une autre personne dans les Ordres religieux, comporte réellement un abandon de la propre volonté. Or aucune raison ne peut s'opposer à ce qu'un abandon de même nature soit légitimement fait à un médecin dans un but honnête.

Cette objection a du poids et veut qu'on s'y arrête. Nous allons donc essayer d'établir la différence existant entre ces deux formes d'abandon de la volonté humaine : celle qui se fait dans l'hypnose et celle qui se pratique dans l'état religieux.

2. Tout d'abord le vœu fait par un religieux est ordonné à un bien moral supérieur, c'est-à-dire à la vie éternelle, but essentiel de l'ordre surnaturel. D'autre part, le rétablissement de la santé corporelle, pour lequel l'hypnotisme et la suggestion semblent tout d'abord avoir été inventés, n'est pas une chose d'une valeur supérieure et dont la possession exigerait l'abandon du libre arbitre. En effet, l'hypnotisme, dans la plupart des cas, n'implique pas seulement une simple suspension de la volonté, comme cela se produit dans le sommeil ordinaire, mais il comporte la soumission de la personne de l'hypnotisé à celle de l'hypnotiseur. Or souffrir une telle perte - celle du bien naturel le plus grand que nous possédions - ne serait-ce que pour un temps, dans l'espoir d'un bien inférieur qui est la santé corporelle, est un acte qui ne peut que répugner à une personne jouissant d'un jugement droit et sain.

3. Une autre différence existe encore quant au degré d'importance entre l'abandon du libre arbitre dans le cas de l'hypnotisme et dans celui de la profession religieuse. Un religieux, par le vœu qu'il prononce, non seulement ne s'oblige pas à obéir à ses supérieurs dans des choses illicites, mais, même dans celles qui sont bonnes et saintes, il ne s'engage que par rapport aux prescriptions établies dans sa règle, le voeu d'obéissance étant fait par un religieux conformément à la règle qu'il professe. Une personne, au contraire, qui se soumet aux procédés de l'hypnotisme, s'expose au danger de suivre aveuglément la volonté de l'hypnotiseur, que l'ordre qu'elle reçoit soit moral ou immoral. L'hypnotisme ouvre donc la porte à la possibilité d'une personne commettant un crime, serait-il monstrueux, tel que peut le lui suggérer l'hypnotiseur, sans que l'on soit en mesure de découvrir le vrai coupable ou de punir conformément à la justice le forfait qui a pu être perpétré. C'est pour ce motif que des hommes ayant souci des mœurs publiques se sont prononcés contre des pratiques entraînant d'aussi redoutables conséquences.

4. Mais une différence encore plus marquée existe entre la profession religieuse et la suggestion hypnotique. Elle consiste dans la diversité des formes que revêt l'abandon de la liberté en l'un et l'autre cas. Une personne hypnotisée, par le fait qu'elle est contrainte d'exécuter les ordres qu'elle reçoit, alors qu'elle est privée de l'usage de son libre arbitre, perd en même temps sa liberté physique et morale; elle devient un simple instrument aux mains de l'hypnotiseur, qui s'en sert comme il lui plaît. En exécutant ainsi les ordres de l'hypnotiseur, cette personne est incapable de mérite ou de démérite ; elle n'a pas la responsabilité réelle de ses actes, sinon d'une manière générale, c'est-à-dire en tant que, par son consentement préalable à subir les manœuvres hypnotiques, elle assume virtuellement toutes les conséquences possibles de cet acte. Un religieux, au contraire, est toujours libre de toutes ses actions; son vœu ne lui retire pas la possibilité physique de rompre ses promesses et l'accomplissement de ses obligations est toujours pour lui une source de mérites nouveaux.

5. Nous pouvons donc conclure qu'il existe une immense différence entre la profession religieuse et l'abandon du libre arbitre qu'exigent les pratiques hypnotiques. La première ennoblit l'homme, le mettant dans la nécessité morale de faire le bien et d'éviter le mal ; le second l'avilit, en le dépouillant de ce don très précieux qui nous élève au-dessus des créatures inférieures, et nous fait, dans un certain sens, ressembler à la Divinité.

6. C'est, nous le savons, l'ambition des démons d'être, autant que possible, les singes de Dieu. Or il y a dans l'hypnotisme une contrefaçon de cet acte de générosité sublime que Jésus-Christ lui-même a consacré, quand il a invité les âmes élues à le suivre de près, en faisant à Dieu l'oblation parfaite de leur volonté entre les mains de ses représentants sur la terre.


VI. - Usage et abus de l'hypnotisme

1. L'abandon du libre arbitre étant ce qui donne à l'hypnotisme une étroite affinité avec le spiritisme, il suit que les pratiques hypnotiques encourent nécessairement la condamnation portée contre le spiritisme, sous réserve du cas où, comme nous l'avons indiqué, aucun abandon de la volonté n'a lieu, soit explicite, soit implicite.

2. Tandis que le spiritisme n'a rien en soi qui en justifie les pratiques, l'hypnotisme et le magnétisme, au contraire, peuvent être légitimement employés comme moyens artificiels en vue de produire des effets naturels et bienfaisants. Il n'y a rien qui blesse la loi morale dans le fait d'amener, par des regards, des gestes, des contacts, des sons, de la lumière, etc., un état de repos artificiel. Tant qu'il n'est question que de soulager la douleur et de rétablir la santé au moyen de l'hypnotisme, nous ne pouvons qu'accueillir volontiers ce procédé thérapeutique et remercier Dieu pour ce nouveau bienfait qu’il daigne accorder à l'humanité. L'abus de cette pratique ne commence qu'avec l'abandon du libre arbitre. À part cela, il n'y a pas plus de désordre dans l'hypnotisme que dans l'usage des substances anesthésiques, alcooliques ou narcotiques. Ainsi compris, l'hypnotisme se réclame de la même influence thérapeutique que peuvent exercer ces agents naturels.

3. Mais quand l'hypnose est mise en œuvre pour obtenir des effets d'ordre psychologique ou intellectuel surpassant le pouvoir des agents matériels et impliquant un abandon préalable de la volonté; quand, par exemple, la vue d'une personne hypnotisée devient capable de percer un écran opaque et de contempler des scènes ayant lieu à de grandes distances, quand le patient se met à parler des langues inconnues et à exécuter avec la plus grande précision des actes dont le plan lui est tracé par l'hypnotiseur, c'est alors que commence l'abus de l'hypnotisme et que l'action d'êtres invisibles, tacitement invoqués, doit être admise comme la seule cause capable de produire de tels effets.

4. On doit observer en outre que même si les effets de l'hypnotisme se bornaient à ce sommeil extatique qui s'accompagne de fortes impressions de vivre dans un monde imaginaire, cela suffirait pour le tenir en grande suspicion. Une pratique n'est bonne qu'autant qu'elle dispose l'homme à vivre sa vie présente, de telle sorte qu'il puisse atteindre son véritable but qui est la vie éternelle.

Or le sommeil hypnotique fait vivre l'homme d'une vie irréelle dans un monde irréel. Le bien-être procuré par cet état est d'autant plus séduisant que tout le système corporel y participe. Par conséquent une telle pratique, loin de mettre l'homme en état de vivre sa vraie vie et de remplir les devoirs de sa charge, n'a d'autre effet que de le rendre mécontent de lui-même et de lui faire chercher un renouvellement de ces plaisirs, dont le résultat habituel est d'abaisser le niveau du caractère moral et souvent de faire perdre la santé physique. L'expérience a donc encore à nous faire savoir si, même en mettant de côté, dans l'hypnotisme, la question de l'abandon de la volonté et de la communication illicite avec les esprits déchus, ces pratiques sont vraiment une chose avantageuse à l'humanité.

5. Que doit-on dire maintenant des effets thérapeutiques découlant de l'hypnotisme ? Les cures qu'on attribue à ce sommeil artificiel ont-elles un rapport quelconque avec ces faits surnaturels que nous nommons miracles ?


VII. - Guérisons dues à l'hypnotisme

1. Les guérisons hypnotiques, vraies ou fausses, ayant, au cours des années récentes, servi d'argument contre le caractère surnaturel des miracles qui se produisent dans certains sanctuaires catholiques ou par l'invocation des Saints, il est nécessaire que nous déterminions en quoi consiste la différence entre ces guérisons et les miracles authentiques. Nous disons les miracles authentiques, parce que l'on ne doit pas oublier que l'Église Catholique est loin de reconnaître comme tels tous les faits extraordinaires que de pieux fidèles, à la foi peu éclairée, ont parfois coutume d'appeler de ce nom.

2. On sait quel contrôle sévère l'Église a toujours exercé dans ce domaine. Ce que la voix du peuple proclame comme miracles de la puissance divine est souvent ramené par l'autorité ecclésiastique au rang de simples événements ordinaires ne dépassant pas les forces de la nature. Un examen rigoureux des témoins, une discussion approfondie faite par des hommes compétents avant de prononcer un jugement sur des événements merveilleux, ce sont là les épreuves auxquelles l'Église soumet invariablement l'étude des faits d'un caractère insolite qui sont soumis à son tribunal. Tant que reste le plus léger soupçon que, par exemple, une guérison ait pu être effectuée par des moyens naturels ou artificiels, l'Église s'abstient de conclure au miracle.

3. Mais s'il existe de faux miracles, il en est aussi un grand nombre sur lesquels aucun doute n'est permis. Non seulement la Sainte Écriture est remplie de faits merveilleux de ce genre, mais, même de nos jours, des guérisons extraordinaires ont lieu, par l'invocation du nom de Dieu et l'intercession des Saints. Ces guérisons s'accompagnent de signes tellement indiscutables de véracité, que des savants éminents n'hésitent pas à se prononcer en leur faveur, les déclarant au-dessus de toutes les forces de la nature.

4. D'autre part, les guérisons obtenues par l'hypnose sont pour la plupart de nature névropathique et hystérique. Les moyens employés, c'est-à-dire le sommeil et la suggestion, suffisent à expliquer les cures obtenues dans ce genre de maladies ou tout au moins l'amélioration des symptômes qui les accompagnent. D'ailleurs ces guérisons sont assez souvent suivies de rechutes ou d'un désordre quelconque, mental ou physique.

Les guérisons miraculeuses, au contraire, s'opèrent sur des personnes dont les organes sont profondément atteints et que ni le sommeil magnétique ni aucun agent anesthésique, ni la concentration de la volonté ne pourraient rendre à la santé. Ces guérisons sont, en règle générale, physiquement parfaites et ne s'opèrent jamais au détriment des facultés intellectuelles du malade.

5. Les guérisons hypnotiques ne peuvent donc que mieux mettre en évidence la grandeur de la puissance que Dieu manifeste en exerçant, par de vrais miracles, son empire sur les éléments de la nature et en produisant des effets qui surpassent les lois de l'univers, afin d'amener les hommes à l'aimer de tout leur cœur et à le servir avec toutes les facultés de leur âme.


VIII. - Affinité entre l'hypnotisme et le spiritisme

1. Après avoir montré en quoi consiste la nature de l'hypnotisme et où se trouve l'abus qui souvent accompagne ces pratiques, nous avons maintenant à examiner la question de l'affinité existant entre l'hypnotisme et le spiritisme. Et nous devons rechercher également si, dans l'hypnotisme, la présence occasionnelle d'agents spirituels invisibles doit être admise.

Il n'est pas facile de donner à cette question une réponse aussi catégorique que dans le cas du spiritisme, l'hypnotisme admettant, comme nous l'avons dit, la possibilité d'un usage juste et légitime, et ses phénomènes préternaturels étant reliés très intimement à des effets purement naturels. Ces mêmes effets, toutefois, peuvent nous fournir le moyen de déterminer à quel moment et dans quelles circonstances on peut supposer que des agents spirituels invisibles opèrent dans l'hypnotisme.

2. Aussi longtemps que les pratiques hypnotiques ne donnent lieu qu'à des effets tels qu'il s'en produit dans d'autres formes de sommeil, naturel ou artificiel, il n'y a là aucune raison d'y soupçonner l'action d'agents spirituels supérieurs. De plus, ces états anormaux qui se manifestent sous forme de léthargie et de somnambulisme, d'hallucination, d'insensibilité profonde et de rigidité des membres, voire même d'une certaine faculté de percevoir des objets imaginaires, sont tous en eux-mêmes des phénomènes naturels, n'ayant pas de lien nécessaire avec des causes préternaturelles.

3. Mais il en va tout autrement quand une personne, soumise à la suggestion d'un hypnotiseur, se met à parler une langue inconnue, lit de l'écriture cachée sous une matière opaque, discute sur des sujets scientifiques qui lui sont inconnus, décrit des événements se produisant hors de portée de sa vue naturelle, ou se transporte mentalement dans un pays éloigné, donnant un récit détaillé et précis de ce qu'elle y voit.

La même observation s'applique à la facilité avec laquelle un hypnotiseur, par l'exercice de sa volonté, provoque le sommeil hypnotique d'une personne éloignée du lieu où il se trouve lui-même et entièrement inconsciente du fait qu'une telle influence s'exerce actuellement sur elle.

4. Or si, d'une part, nous réfléchissons que nous ne possédons pas de pouvoir direct sur la volonté de nos semblables ; que nous ne pouvons, par le simple exercice de notre volonté, mettre leurs membres en mouvement ou agir sur leur système nerveux ; que l'esprit de l'homme ne peut pas connaître naturellement par intuition ce qui se passe en des lieux éloignés ; et si, d'autre part, nous nous rappelons que les substances angéliques peuvent agir directement sur les nerfs de notre corps et sur notre imagination et peuvent ainsi déterminer en nous les plus étonnants phénomènes physiologiques, intellectuels et mécaniques, nous n'aurons pas de difficulté à conclure que si, parmi les effets de l'hypnotisme, certains peuvent être attribués à des causes naturelles, d'autres ne peuvent s'expliquer que par l'action immédiate de pures substances spirituelles que nous nommons des anges.

5. Ajoutons que, comme ces esprits ne peuvent appartenir à la classe des anges fidèles, qui n'agissent jamais en ce monde que sur l'ordre de Dieu et comme ses ministres, il s'ensuit que les effets en question doivent être attribués à l'action des anges déchus qui, par permission divine, peuvent exercer leur pouvoir naturel sur les éléments de la matière, causant ainsi une très grande variété d'effets merveilleux, d'ordre mécanique, physiologique et psychologique.

Il ne faut pas du reste s'étonner si ces anges déchus se mettent de la sorte librement au service de l'homme, vu qu'ils peuvent plus aisément atteindre par là le but qu'ils se proposent, c'est-à-dire le contrôle de l'esprit humain et la ruine morale de celui qui est ainsi soumis à leur influence. Les esprits mauvais, nous pouvons le croire, ne font aucune concession à l'homme, sans exiger pour eux-mêmes un gain et un avantage infiniment plus considérables.

6. Concluons donc que l'hypnotisme, bien que sans danger en lui-même, c'est-à-dire, quand il n'est employé que comme moyen d'amener l'insensibilité pour assurer le sommeil artificiel, devient une pratique immorale et illicite quand il comporte l'abandon de la volonté du sujet, et que, par suite, il participe dans ces conditions au caractère du spiritisme et mérite alors la même condamnation que celui-ci.



CHAPITRE II - TÉLÉPATHIE ET TÉLESTHÉSIE

1. C'est un fait bien connu que toutes les manifestations ayant rapport au spiritisme sont caractérisées par l'obscurité et la confusion. Il est par suite souvent difficile de discerner clairement la différence entre une pratique ou une autre ou de remonter aux véritables causes des phénomènes.

La difficulté est encore plus grande quand il est question de cette forme spéciale de spiritisme nommée télépathie . On entend par ce nom, en général, la connaissance ou la vision de personnes ou d'événements éloignés ou l'apparition soudaine de personnes absentes - spécialement de celles qui sont sur le point de mourir, - le pressentiment d'un événement prochain ou l'annonce mystérieuse de quelque infortune touchant des parents ou des amis ; tout cela ayant lieu par des voies différentes de celles ordinairement en usage, telles que nos sens extérieurs aidés par l'écriture ou par d'autres instruments de communication à notre disposition ; télégraphe, téléphone, radio, etc.

2. Certains préfèrent user, pour désigner ce phénomène, du terme de télesthésie . La télépathie, disent-ils, signifie passivité pure, tandis que la télesthésie comporte l'idée d'une connaissance réelle dont le sujet se sert pour ses propres desseins.

3. Pratiquement, un grand nombre de faits se produisent qui sont liés à cette forme d'occultisme. Nous lisons assez souvent dans les journaux le récit d'apparitions soudaines de personnes éloignées ou d'annonce mystérieuse d'événements qui autrement seraient demeurés inconnus.

4. On ne peut nier que la plupart de ces récits ne supportent pas l'épreuve d'un examen sérieux. Le fait que beaucoup d'histoires qui circulent sur ce sujet sont le résultat d'une imagination exaltée ou d'une véritable hallucination serait facile à démontrer. Toutefois, si l'on considère, d'une part, le grand nombre de récits de ce genre, et, de l'autre, le caractère moralement supérieur de certains, du moins, parmi ceux qui les rapportent, il n'est ni prudent ni scientifique de les rejeter a priori. Le point difficile est de trouver une explication de ces phénomènes qui soit en harmonie aussi bien avec la Théologie Catholique qu'avec les données de la science.

5. Pour procéder avec ordre dans notre enquête sur les divers systèmes élaborés par les savants modernes pour l'interprétation de ces phénomènes, nous examinerons d'abord l'hypothèse d'un inconscient subliminal ou moi inférieur qui, se substituant à la personnalité supérieure, dont il ne serait que le dédoublement, peut être censé servir à la représenter dans les diverses manifestations télépathiques. - Nous examinerons ensuite cet autre système des ondes mentales vibratoires, par lesquelles un homme pourrait, dit-on, transmettre à un autre, même à une grande distance, une manifestation de sa propre personne sous la forme d'un signe extérieur, un phantasme, une parole, un écrit, etc. - Le troisième système, qui a rencontré la plus vive approbation parmi les savants modernes et qui, à première vue, semble le mieux répondre aux exigences de ces faits merveilleux, consiste dans l'hypothèse d'un fluide nerveux magnétique, d'une nature encore inexpliquée, dont les radiations, semblables à celles des rayons cathodiques, se modifieraient suivant les variations électriques de notre système.

6. Après avoir examiné et discuté chacune de ces théories physiques, et à supposer que nous les trouvions inadéquates à la solution du problème en question, nous devrons nous tourner vers la Théologie Catholique, pour lui demander une explication authentique. Ici toutefois nous aurons à établir une distinction parmi les phénomènes eux-mêmes, vu qu'un grand nombre d’entr’eux, bien que d'un caractère en apparence préternaturel, n'excèdent pas en réalité la marche ordinaire de la nature.


I. - Hypothèse de la personnalité subconsciente ou subliminale

1. En parlant de l'état de l'âme séparée du corps, nous avons fait quelques observations sur une théorie récente, - hypothèse du moi subconscient ou subliminal, - qui prétend diviser en deux notre personnalité. Du fait que dans. certaines conditions de la vie, telles que le sommeil naturel et artificiel, l'hypnose ou l'état de transe, il semblerait se manifester chez l'homme une sorte de faculté mentale secondaire, distincte de notre esprit supérieur, faculté tout occupée à mettre en œuvre les éléments accumulés, consciemment ou inconsciemment, au cours du temps, par l'entremise de l'un ou de l'autre de nos sens, et donnant naissance à des opérations qui sont souvent pour celui qui les accomplit une source d'étonnement, - on a conclu qu'une seconde individualité est contenue dans notre personnalité humaine. Cette seconde individualité non seulement serait responsable d'une série de manifestations, distinctes des opérations de notre personnalité supérieure, mais différerait aussi du mode d'action de notre moi conscient.

2. Cette individualité spéciale a été appelée le moi subconscient, second ou subliminal, par opposition au moi normal, conscient et supraliminal, qui, à l'état de veille, est ordinairement sous le contrôle de notre esprit. Ce moi subconscient est, prétend-on, d'une sensibilité excessive et possède un pouvoir extraordinaire de recevoir et conserver les impressions, même les plus légères, dont le moi supraliminal peut la plupart du temps n'avoir aucune connaissance.

3. Quant à la manière dont, moyennant ce moi subliminal, on peut rendre compte des divers phénomènes spirites, M. J. G. Raupert écrit ce qui suit :

I. « Ce moi peut, dans certaines conditions anormales, se poser comme une entité, entièrement distincte et séparée du moi normal, et mettant la connaissance dont il dispose sous une forme dramatique, jouer le rôle d'une intelligence étrangère agissant du dehors.

II. « Dans les cercles spirites, où la pensée dominante est celle du commerce avec les morts, et où l'on peut supposer que cette pensée agit comme suggestion sur l'esprit du sensitif, ce rôle peut devenir celui d'un défunt, ami ou parent, sur lequel l'esprit du sensitif peut avoir une somme exceptionnelle d'informations et de qui l'on désire particulièrement une communication.

III. « L'expérience semblerait indiquer (nous dit-on) que cette conscience subliminale peut, dans certaines circonstances exceptionnellement favorables, entrer en contact télépathique avec l'esprit de personnes ayant avec elle une affinité psychique ou rapport, et peut emprunter aux esprits de ceux qui sont présents ou peut-être recevoir d'eux passivement, l'information qui lui manque, arrangeant à sa façon ce qu'elle reçoit, dans le but de compléter effectivement sa présentation de la personnalité défunte.

IV. « Nous avons donc ici (prétend-on) tout ce qui est nécessaire pour établir une théorie favorisant une explication purement naturelle d'une quantité considérable de phénomènes en apparence indépendants et que l'on suppose être spirites. On peut en effet en rendre compte par l'action de la conscience subliminale, qui opère en obéissant aux suggestions reçues par les chercheurs spirites, et en conjonction avec les esprits des assistants, et produit, par un procédé naturel de personnification, toute l'apparence d'une action spirite indépendante et étrangère.»

Quel que soit le rôle qu'on veuille attribuer à ce moi subliminal, et ne le considérant que comme une entité distincte de notre moi supérieur, la question est celle-ci : Que doit-on dire de cette théorie ?

4. Si par le moi subliminal on entend non pas une entité, mais uniquement une certaine classe de manifestations inconscientes qui sont en nous l'effet d'habitudes antérieures échappant à notre contrôle, aucune difficulté ne s'oppose à l'acceptation de cette théorie.

Mais ce que nous avons à examiner ici et ce qu'entendent en réalité les tenants de la théorie subliminale, c'est la prétention que cette sorte de manifestation subconsciente est due à une personnalité séparée, distincte de la personnalité normale et opérant sur un plan tout à fait différent. Or admettre l'existence d'une telle personnalité distincte est contraire aux principes de la philosophie catholique.

5. Comme nous l'avons déjà fait observer, l'introduction d'un moi subliminal ou inférieur, distinct de notre entité supérieure ou supraliminale, outre son caractère arbitraire et indémontré, se heurte à cette difficulté fondamentale, qu'elle divise notre personnalité humaine dont la nature est d'être essentiellement une.

6. En outre, cette théorie a le défaut de nous présenter, comme faisant partie de nous-mêmes, un objet dont notre conscience ne nous dit absolument rien. Ce moi subliminal échappe, prétend-on, à notre connaissance et à notre contrôle, à ce point que si profondément que nous examinions notre être le plus intime, nous ne pouvons jamais le « réaliser » comme une part de nous-mêmes. Mais si cette entité était réellement intégrée à notre moi, elle devrait, d'une façon ou d'une autre, entrer dans le champ de notre connaissance intime, et nous devrions, au moins à un certain degré, en être conscients. Et cela semble d'autant plus évident du fait que nous reconnaissons comme nôtres même ces actes qui, au moment où nous les accomplissons, échappent à notre attention, mais que nous savons, d'après notre propre expérience ou celle des autres, venir de nous, bien qu'il y ait évidemment une très grande différence entre un acte qui passe et une entité qui dure, telle que serait, prétend-on, le moi subliminal.

7. Mais passons outre à cette objection, et contrairement à ce que nous avons dit sur l'impossibilité de diviser la personnalité, acceptons pour un moment l'existence d'un tel être, soit en nous, soit dans le médium dont nous voulons nous servir, il resterait encore cette difficulté insurmontable qu'un tel moi ne pourrait être ni influencé par nos esprits, ni agir sur les esprits de ceux à qui nous désirons communiquer nos pensées. Notre esprit est, dans son essence, d'une nature entièrement immatérielle, tandis que cet être subliminal est, d'après la nature même qu'on lui attribue, composé d'un certain genre de matière entièrement différente de l'esprit, si subtile que l'on puisse imaginer cette matière. Or il est impossible que notre esprit agisse directement sur la matière, et vice versa, que la matière agisse directement sur notre esprit.

8. Un moi matériel subconscient qui agirait comme un intermédiaire par lequel nous pourrions communiquer, sans paroles et sans signes d'aucune sorte, avec des personnes présentes ou absentes, est au-dessus des forces et des lois de la nature, notre esprit étant incapable de communiquer ses pensées à la matière, et la matière à son tour étant inadéquate à la réception ou à la transmission de la pensée, sinon par des signes conventionnels, tels que l'habileté humaine a pu les inventer ou du moins les perfectionner. Un moi subconscient, tel que l'imaginent les spirites ou les savants matérialistes, devrait être à la fois matériel et immatériel : matériel, puisqu'on le dit visible dans certaines conditions ; immatériel, puisqu'on veut qu'il reçoive et transmette les pensées immatérielles.

9. Ce point qui regarde la relation de la matière à la pensée a déjà été amplement expliqué au cours de cet ouvrage . Les explications que l'on a données ouvriront la voie pour bien comprendre et aussi pour juger à sa valeur la seconde des hypothèses ci-dessus mentionnées , selon laquelle les communications spirituelles dont nous parlons seraient dues à certaines vibrations mentales ou ondes éthérées qui transmettraient à la personne qui les perçoit les pensées et les sentiments de celle dont elles émanent. C'est précisément ce que nous allons examiner dans le paragraphe suivant.


II. - Théorie des vibrations mentales

1. La théorie des vibrations mentales est une de ces hypothèses qui, en raison de leur simplicité apparente, obtiennent facilement crédit auprès des personnes, très nombreuses, qui se contentent de n'importe quelle explication faisant appel aux sens. Et que peut-on imaginer de plus simple que le transfert de la pensée d'un individu à un autre au moyen des vibrations d'ondes éthérées ?

Cependant pour que cette théorie puisse être sérieusement envisagée, une condition nécessaire et primordiale doit être remplie. Il faut d'abord démontrer que notre volonté possède et peut exercer un contrôle direct sur cette matière subtile, que l'on dit être le moyen de transmission des pensées d'un esprit à un autre, de la même manière que nous exerçons notre contrôle sur les paroles que nous formulons, ou sur la plume dont nous nous servons pour traduire à l'extérieur ce qui est dans notre esprit.

2. Or, bien que nous possédions un certain contrôle sur les organes de notre corps, notre volonté n'a aucun pouvoir direct sur une matière qui nous est étrangère. Et la raison de cette incapacité ne réside pas dans le fait de la spiritualité de notre âme - car les anges sont, eux aussi, spirituels et possèdent néanmoins un grand pouvoir sur la matière - mais précisément dans la différence qui existe entre la nature de l'âme et celle des êtres angéliques. Les substances angéliques, libres et au-dessus de toute matière, peuvent agir sur n'importe quel genre de matière ; mais l'âme humaine, liée à un corps organique, ne peut agir que sur la matière qui compose ce corps. C'est ainsi que nous pouvons former dans notre imagination n'importe quel phantasme et formuler n'importe quelle parole ainsi qu'il nous plaît, mais toute la puissance de notre volonté ne saurait rendre notre âme capable de lever même un fétu de paille sans l'emploi de moyens externes.

3. On pourrait ici objecter que bien que notre volonté n'ait pas de pouvoir direct sur la matière, elle exerce néanmoins un pouvoir de ce genre en se servant d'un organe, tel que le doigt pour mettre en branle une sonnerie électrique ou la langue pour converser par téléphone, et qu'ainsi le cerveau peut de la même façon, sur l'ordre du libre arbitre, faire entrer en vibration une substance subtile émanant du corps et en faire un moyen de communication assez semblable à celui que la télégraphie sans fil et les appareils de radio-diffusion nous ont fait récemment connaître. C'est là une objection qui mérite un sérieux examen.

4. Mais écartons d'abord une fiction trop grossière. L'idée que nos pensées pourraient n'être que certaines formes d'une substance matérielle d'un caractère déterminé et capable d'être projetée dans n'importe quelle direction, est une conception si puérile et si souvent réfutée, que s'y arrêter nous entraînerait dans une discussion beaucoup trop longue, car elle nous obligerait à revenir sur la question de la spiritualité de l'âme humaine. Comme, d'une part, cette vérité n'est pas niée par les spirites intelligents, et que de l'autre, il est manifestement impossible d'être d'accord avec les matérialistes endurcis sur le vrai caractère des opérations mentales, nous nous abstiendrons de donner ici un exposé détaillé de la doctrine catholique sur la spiritualité de l'âme humaine et la nature de ses opérations. Nous avons dès le début accepté l'autorité de cette doctrine pour base de notre présent examen.

5. Tenant donc pour admis que l'âme est une substance spirituelle et que les opérations qui lui sont propres, savoir l'intelligence et la volonté, sont des opérations également spirituelles, et considérant en outre que ce qui est spirituel ne dépend pas de la matière et ne peut être transféré localement comme les corps d'un endroit à l'autre, nous devons rejeter, comme contraire à la nature intrinsèque de l'âme, tout système cherchant une explication des phénomènes spirites soit dans une transmission locale de la pensée, soit dans la projection de la volonté.

6. Ce que nous examinons ici est la question de savoir si la pensée humaine peut faire usage d'une substance matérielle, de la nature d'un fluide magnétique émanant des nerfs périphériques, et devenant, sous l'impulsion de la volonté, l'instrument susceptible de produire ces manifestations psychologiques, physiologiques ou mécaniques, qui sont l'effet des pratiques spirites.


III. - Hypothèse d'un fluide magnétique

1. L'hypothèse d'un fluide magnétique agissant comme un moyen de communication intellectuelle entre plusieurs individus, a récemment obtenu une faveur spéciale chez certains savants. Toutefois cette hypothèse est expliquée par eux de plusieurs façons. Certains supposent l'existence d'un fluide magnétique nerveux, émanant du cerveau et voyageant dans la direction de la personne vers laquelle est dirigée l'attention.

À cette théorie peut se rapporter l'hypothèse du baron von Reichenbach, attribuant à une substance très subtile, qu'il nommait Od et supposait douée de qualités sensitives spéciales, le pouvoir de nous mettre en communication directe avec d'autres hommes.

D'autres prétendent que des particules de la substance cérébrale, d'une petitesse extrême, sont projetées avec une rapidité vertigineuse du cerveau émetteur au cerveau récepteur. D'autres encore supposent la formation et la projection d'ondes cérébrales, assez semblables aux ondes hertziennes, qui, ayant leur point de départ dans les cellules cérébrales et aboutissant à celles du cerveau récepteur, servent à susciter dans celui-ci des pensées et des sensations correspondantes.

2. Toutes ces théories, disons-le de suite, ont ceci de commun, qu'elles prétendent toutes que, de même que notre cerveau et les autres organes de notre corps sont mis en mouvement sur l'ordre de notre volonté, ainsi, par l'exercice de la même faculté, une substance extrêmement subtile, mais d'une grande potentialité, unie intrinsèquement à notre corps, est mise en mouvement, étant capable de recevoir et de communiquer toute pensée de notre esprit qui peut affecter son état vibratoire.

3. Ces ondes mentales, nous dit-on, expliquent les communications anormales que l'on sait avoir eu lieu entre des personnes éloignées l'une de l'autre ou peut-être occupant la même maison ou la même chambre, mais ne faisant pas usage du langage ou de signes conventionnels, et l'on affirme que ce procédé qui n'est encore qu'à l'état embryonnaire, se développera, avec le temps, c'est-à-dire quand la science connaîtra mieux ce mystérieux élément, et l'exposera en un système ordonné de communication entre les esprits.

Pour expliquer cette théorie, ses tenants en appellent à la télégraphie sans fil, où les ondes hertziennes servent à transmettre les sons, même à très grande distance, à travers cette substance très subtile, l'éther, qui pénètre les corps même les plus durs et les plus compacts.

Que faut-il dire d'une telle explication des phénomènes dont il s'agit ?

4. Il faut d'abord faire remarquer, une fois de plus, que si la substance que l'on suppose être réceptrice de ces impressions mentales doit être regardée comme étrangère à notre corps, il est évident que, par ce fait même, la théorie en question ne saurait être admise, puisqu'il est établi que notre volonté est sans pouvoir en ce qui concerne l'usage de la matière existant en dehors de notre être propre. L'hypothèse n'est donc admissible qu'à la condition que la matière imaginée comme substratum de ces ondes mentales soit considérée comme intrinsèquement et vitalement reliée à notre substance, et ayant son origine en nous-mêmes, de telle façon que, rayonnant de notre centre cérébral, aucune distance, si grande qu'elle soit, ne puisse lui faire perdre contact avec cette substance : en un mot, il faut regarder ce fluide magnétique comme étendant au dehors notre propre personnalité.

Dans ce cas, il n'y aurait aucune objection à faire à cette théorie, aucune raison ne s'opposant à ce que notre volonté ait le pouvoir de mettre en mouvement la matière dont il s'agit, puisque cette même faculté peut produire des modifications dans notre cerveau et mouvoir également les membres de notre corps.

5. La science, on le sait, a, depuis quelque temps, dirigé très attentivement ses études sur cette théorie des « ondes mentales »; mais les conclusions auxquelles elle est arrivée ne sont certainement pas suffisantes pour lui donner une base scientifique, tous les résultats des recherches récentes étant limités à des phénomènes purement physiques, tels que la chaleur, la lumière et l'électricité, forces auxquelles les ondes mentales que nous considérons ne sauraient être rattachées.

Rien cependant ne nous empêche d'envisager la possibilité d'une telle substance. Il n'y a pas de raison pour que, si le Créateur l'avait ainsi établi dès le commencement, notre corps ne puisse posséder, strictement parlant, outré les autres éléments connus, une substance de nature très subtile qui, mise en mouvement par l'action de notre volonté, produirait des changements et des modifications de formes très variées dans les éléments qui l'entourent, et ceci même à distance de la source d'où elle émane.

6. Mais la question n'est pas : qu'est-ce que Dieu aurait pu faire ? mais bien : qu'a-t-il fait en réalité? On ne demande pas ce que notre nature aurait pu être, mais de quelle manière elle a été réellement constituée. Or l'évidence nous oblige à dire qu'aucune preuve, aucun indice ne nous permet de conclure que nous possédons une matière ou une substance qui, comme on le suppose, émanant de notre cerveau, serait à la disposition de notre volonté et serait mise en mouvement par elle, à dessein de transférer nos pensées à des personnes éloignées de nous.

7. Supposons cependant, pour un moment, qu'une telle substance existe. La question qui se pose tout d'abord est de savoir à quel ordre appartiendraient les phénomènes auxquels elle donnerait naissance ; seraient-ils d'ordre intellectuel ou simplement d'ordre physique ou mécanique ? En d'autres termes, ces ondes matérielles pourraient-elles recevoir l'impression de nos idées et ainsi les porter à une personne éloignée ? Telle est la première question qui se pose. La seconde aura trait aux phénomènes de nature purement physique ou mécanique.

8. Tout d'abord il est bien évident que si ce fluide ou substance imaginaire doit porter nos pensées à quelqu'un en particulier de telle sorte que cette personne soit capable de les percevoir, ce fluide devra obéir à notre volonté, prendre la direction voulue par nous et trouver le point qu'il doit atteindre. Et ici se présente notre première grande difficulté. Pour être capable en effet, d'accomplir une telle démarche, il serait nécessaire que ce fluide fût comme une extension de nous-mêmes, une substance animée par notre âme, la volonté étant par elle-même sans pouvoir sur la matière extérieure, et aucune substance ne demeurant sous notre contrôle dès qu'elle a franchi le seuil de notre être corporel, ainsi que nous l'avons déjà fait observer.

9. En supposant encore que ce fluide fasse partie de notre substance de telle façon que nous soyons capables de le diriger de même que nous dirigeons nos mains et nos pieds, une autre question se poserait : ce fluide est-il capable de recevoir les impressions de nos pensées, de la même façon du moins dont notre cerveau les reçoit ?

Comme nous l'avons déjà établi, cette substance éthérée pourrait, strictement parlant, agir comme notre cerveau, c'est-à-dire recevoir des impressions sensibles correspondant à nos pensées, pourvu, cependant, qu'elle demeure unie à notre être et qu'elle soit vivifiée par notre âme, car la matière inorganique ne peut, par elle-même, servir d'organe de sensation. D'où il suit que ces images, que l'on suppose reçues par cette substance éthérée, ne peuvent servir à transmettre les pensées, à moins d'être reliées à notre âme. Elles ne sont par elles-mêmes que de simples modifications physiques de la matière et ne deviennent un principe de connaissance que si le sujet auquel elles appartiennent peut lire ce qu'elles signifient. Ces images ne pourraient, par conséquent, devenir un moyen de connaissance que dans le sujet auquel elles appartiennent et pour lui seulement. Ce serait comme si notre âme, au lieu de se servir de l'organe cérébral, se servait du fluide magnétique pour un but analogue.

10. On voit donc combien de postulats cette théorie du fluide magnétique exige pour être au moins acceptable ; premièrement : ce fluide doit être une extension vitale de la matière de notre cerveau ; deuxièmement : il doit pouvoir recevoir et conserver les images sensibles des choses ; troisièmement la volonté doit posséder la faculté de projeter cette matière fluide dans n'importe quelle direction et à n'importe quelle distance.

11. Nous avons jusqu'ici répondu à la question concernant cette matière éthérée que l'on suppose être le véhicule de la pensée, en nous plaçant au point de vue de celui dont la pensée est censée émaner,

Mais pour arriver à une véritable communication intellectuelle entre celui-ci et un autre individu placé à distance, il est en outre nécessaire que ce fluide, mis en mouvement par le cerveau du premier, vienne réellement en contact avec le cerveau de la personne avec laquelle nous désirons communiquer intellectuellement. Or, de quelle façon pouvons-nous imaginer les pensées du premier cerveau s'imprimant sur le second ? Ces pensées ou images, chose évidente, sont essentiellement celles du premier. Or est-il possible que le second cerveau, supposé mis en contact avec la substance émanant du premier, saisisse ces images de telle sorte qu'il sache ce que pense le premier ?

12. Nous ne pouvons admettre une telle possibilité. Car ces images mentales sont des images vitales et ne sont des principes de connaissance que pour la personne dans laquelle elles ont leur origine. Le fluide cérébral d'une personne peut peut-être exciter une autre personne d'une certaine façon générale ; mais les images qu'il porte avec soi doivent rester pour cette seconde personne un livre scellé, pour cette simple raison que la connaissance n'est pas communiquée par le transfert d'images mentales d'un sujet à un autre, mais par le fait qu'un être intelligent excite en soi son pouvoir inné de former pour lui-même des images, l'acquisition de la connaissance aussi bien que l'usage de cette même connaissance étant des actions vitales personnelles.

13. Par conséquent les seuls effets que l'on pourrait attribuer aux vibrations supposées de ce fluide magnétique seraient une sorte de stimulation matérielle de l'esprit récepteur, mais cela d'une façon confuse et générale, et sans le faire penser à un objet particulier plus qu'à un autre. Cette matière éthérée ne ferait que ce que nous voyons accomplir autour de nous par les agents physiques. Le froid et la chaleur, la lumière et l'obscurité ou des sons de nature indéfinie, sont ainsi capables d'exciter en nous une réflexion d'ordre général, tout comme le ferait cette matière éthérée, sans toutefois fixer nos pensées sur un sujet particulier.

Pour que ce fluide magnétique, que l'on suppose émaner d'un cerveau, produise, dans un autre cerveau, une pensée ou une impression correspondante à celle du premier cerveau, il serait nécessaire qu'il agît d'une manière conventionnelle et conforme à un accord fait à l'avance, de même que l'écriture opère comme un signe conventionnel entre des amis éloignés l'un de l'autre. Mais aucun accord n'existe dans le cas qui nous occupe et les tenants de cette théorie ne prétendent pas en établir.

14. La théorie d'un fluide magnétique, inadmissible par conséquent comme fait basé sur l'expérience, ne peut être raisonnablement admise même comme hypothèse. On ne saurait davantage reconnaître qu'elle fournit une explication plausible de ces communications invisibles et directes ayant lieu par le moyen du spiritisme ou des pratiques qui en sont voisines et, dans certains cas, entre personnes placées à une grande distance l'une de l'autre. Cette théorie n'est en somme qu'un amas de suppositions et de propositions gratuites qui s'évanouit aussitôt qu'on l'examine de près.

15. Qu'avons-nous à dire maintenant des effets physiologiques et mécaniques que quelques spirites prétendent être dus à la simple énergie de la volonté ? Pouvons-nous estimer suffisante l'hypothèse du fluide nerveux vibratoire pour expliquer les phénomènes de mouvements locaux dans les corps naturels, d'insensibilité totale ou partielle chez l'homme et les animaux, d'états cataleptiques et hypnotiques chez les personnes influencées par l'opérateur en télépathie ou en télesthésie ?

Tout d'abord, il faut noter que les agents matériels, si subtils et actifs qu'ils soient, n'agissent jamais instantanément. Leur énergie est soumise aux lois fixes du temps et de l'espace. C'est ainsi que nous pouvons mesurer avec une parfaite exactitude le temps employé pour la transmission de la lumière ou de l'électricité, et déterminer également la quantité d'énergie dépensée par ces agents naturels ou requise pour leurs effets spécifiques. Mais dans les phénomènes ayant lieu, suppose-t-on, par le moyen de ce fluide nerveux radiant, aucun intervalle de temps défini ne peut être enregistré entre le moment où la volonté émet son ordre et celui où l'effet se produit; il n'est pas moins impossible de déterminer la distance admise pour faire naître le phénomène ou la proportion exacte entre la cause et l'effet.

16. Mais ce que nous voudrions indiquer particulièrement ici, c'est que, même en admettant qu'un tel fluide émane de notre cerveau ou soit en rapport vital avec lui au point d'être le récepteur d'une série de vibrations éthérées sous le contrôle de la volonté, de tels effets devraient être d'une nature définie et sujets à contrôle, de même que les propriétés et les opérations des corps naturels sont contenues dans certaines limites et soumises à certaines lois déterminées. Ils devraient se vérifier constamment, non par caprice, par crises ou comme par sursauts, mais de la même manière ordonnée et avec la même régularité qui régissent les effets des autres agents naturels. Le pouvoir magnétique, bien connu de tout le monde, par exemple, est soumis à des lois invariables, et ses effets ont lieu d'après un ordre fixe et déterminé.

Les phénomènes télépathiques, au contraire, ne se produisent que sous certaines conditions conventionnelles et avec un consentement, implicite ou explicite, à certaines pratiques mystérieuses. Et quand ces phénomènes se vérifient, ils ont lieu d'une manière si irrégulière et si capricieuse, qu'on est tenté de croire qu'ils sont dus non pas à l'action d'un fluide mystérieux quel qu'il soit, ou de certaines vibrations indéfinissables, mais plutôt à l'influence d'intelligences très subtiles, cachées à nos yeux et agissant d'après un plan complètement indépendant des intentions de l'agent télépathique visible.

17. Nous devons donc répéter ici ce que nous avons déjà dit, à savoir que si la science peut enregistrer quelque modification corporelle d'une nature accidentelle, comme résultat d'une certaine forme d'activité cérébrale, telle que la chaleur et le froid, la transpiration ou le frisson, de telles modifications n'ont qu'un caractère purement matériel et sont tout à fait incapables de créer ce système de vibrations magnétiques ondulatoires, auquel on fait appel pour expliquer la production des phénomènes extraordinaires de télépathie ou de télesthésie.

18. Ajoutons que quand bien même l'existence de la prétendue substance ödique, ou fluide magnétique, donnée, nous l'avons dit, comme cause proportionnée aux phénomènes télépathiques modernes, serait chose prouvée, toujours faudrait-il se rappeler que ces émanations corporelles, quelles qu'elles soient, ne peuvent avoir qu'un caractère matériel et ne sauraient servir d'explication suffisante de ces phénomènes télépathiques que l'on constate dans le spiritisme.

19. Enfin, si dans le cas de quelques médiums, on voit émaner, des nombreux nerfs capillaires qui occupent toute la surface du corps humain, une sorte de fluide d'une nature plus ou moins magnétique, il ne faut pas oublier que la production de ce genre de phénomène n'est pas au delà du pouvoir des purs esprits, capables de créer ainsi l'impression que ce qui est dû en réalité à leur énergie personnelle résulte, au contraire, de l'action de causes purement naturelles.

20. Avant de clore ce chapitre, disons un mot d'une pratique par laquelle, dans des temps assez récents, on prétendait expliquer ce que certains appellent l'extériorisation de la sensibilité. Ce phénomène s'appelle en français, envoûtement, mot servant à désigner une opération magique consistant à pratiquer, sur une image de cire, effigie d'une personne à laquelle on veut nuire, des blessures qu'elle est elle-même supposée ressentir.

Un occultiste, le Colonel de Rochas, prétendit qu'en endormant un sujet du sommeil hypnotique, on pouvait arriver à reporter sa sensibilité à une certaine distance de son corps ; de sorte que, en approchant, par exemple, une épingle à un demi-mètre de distance du sujet, celui-ci se sent lui-même piqué. Il alla jusqu'à prétendre localiser, dans un verre d'eau, toute la sensibilité du sujet, de sorte qu'une épingle, enfoncée dans cette eau, aurait provoqué dans le sujet un cri de douleur.

Mais c'est en vain qu'on voudrait voir ici un effet de télépathie proprement dite. Car il a été prouvé que ce phénomène n'est autre chose que le résultat de l'autosuggestion, le sujet en question ayant été averti au préalable et croyant sentir ce qui, en réalité, n'était que dans son imagination. Que si, d'autre part, le sujet n'était pas mis au courant de la chose, il ne sentait rien. En effet de Rochas avait fabriqué des statuettes de cire représentant l'individu qu'il avait en vue. Si celui-ci savait qu'on perçait la figure ou le bras de cette statuette avec une épingle, il s'écriait : « Oh! comme j'ai mal à la figure, comme j'ai mal au bras » ; au contraire, s'il ne savait pas ce qui arrivait dans la salle voisine, il ne disait rien.


IV. - Insuffisance des hypothèses scientifiques modernes pour expliquer les phénomènes de télépathie

1. Ce que nous avons dit des phénomènes de télépathie, de leur nature et de la manière dont ils se déroulent suffit pour nous convaincre qu'ils ne peuvent avoir pour cause directe la volonté humaine, soit seule, soit agissant avec le concours d'un fluide ödique ou magnétique ou de quelque autre substance subtile, que nous ne connaissons pas, mais que l'on peut imaginer être mise en mouvement sous l'empire de la volonté. De telles explications non seulement sont arbitraires, mais sont aussi en opposition avec les données de la philosophie aussi bien que de l'expérience.

Ce que nous disons s'applique également à d'autres théories similaires, récemment inventées pour expliquer ces mêmes phénomènes, telles que, par exemple, le système d'une force radiante ou astrale, ou celui de l'extériorisation d'une force motrice. De telles théories sont enveloppées d'un mystère presque aussi obscur que les problèmes pour la solution desquels elles ont été élaborées.

2. D'autre part, c'est un procédé trop facile, superficiel et antiscientifique d'introduire, comme un deus ex machina, une force mystérieuse destinée à produire et à expliquer tous les phénomènes télépathiques qui suscitent notre étonnement. Comment peut-on croire, par exemple, qu'une femme du peuple très ordinaire et sans éducation, dépourvue de toute connaissance en science physique, qu'une telle femme présentée comme un médium pour les effets en question, soit capable non seulement de produire, à une grande distance, des sons intelligibles, mais aussi de former des images de personnes vivantes, des simulacres de visages et de corps humains dans les attitudes les plus variées, et de fournir les renseignements les plus extraordinaires, suscitant, en même temps, chez des individus très éloignés, des impressions d'une extrême vivacité ? À quelle classe d'êtres peut bien appartenir une telle force qui, d'un côté, ne surpasse pas, par sa nature, l'ordre matériel des choses, et, de l'autre, est capable de produire des effets spirituels aussi surprenants ?

Que l'on veuille bien aussi remarquer que ces effets sont produits, non seulement quand cette force est réellement mise en jeu par le médium, mais encore lorsque ni cette personne ni aucune autre n'est consciente de sa présence, les phénomènes télépathiques se produisant souvent subitement, sans qu'on ait le temps de remarquer la mise en jeu, par qui que ce soit, de ce mystérieux agent psycho-magnétique. Si donc nous voulons découvrir la cause réelle des phénomènes télépathiques, nous devons avoir recours à quelque agent autre que cette force psychique aveugle, à un agent d'un ordre supérieur à la matière.

3. Il nous faut cependant déclarer ici que bien des phénomènes, considérés comme télépathiques, sont, en réalité, tout à fait naturels. Du fait que deux amis très désireux de se voir se rencontrent par hasard dans la rue, on conclut que cette rencontre s'est produite parce que l'un d'eux, par une forte impulsion de sa volonté, dont il n'était peut-être pas conscient lui-même, a projeté vers l'autre un certain fluide magnétique qui l'a déterminé à se diriger vers l'endroit où se ferait la rencontre.

Une telle assertion est contredite par le fait qu'une telle rencontre, s'il en était ainsi, aurait lieu chaque fois que des amis exprimeraient de semblables désirs, les forces de la nature étant constantes et régulières. Les rencontres de ce genre sont, bien au contraire, assez rares et provoquent, quand elles ont lieu, un étonnement marqué chez les personnes en question. Il est donc évident que de tels événements n'appartiennent pas, à proprement parler, ,à la télépathie. Ils tombent sous la loi de la Providence divine qui règle et ordonne même les cas les plus fortuits, et cela pour ses fins infiniment sages et justes.

4. On peut dire la même chose de certains pressentiments qui parfois s'emparent subitement de nos âmes au point même de nous soumettre à une véritable torture, pressentiments qu'à notre grande surprise, nous voyons après coup vérifiés par les faits eux-mêmes. Il peut se faire, par exemple, qu'un père, sans aucun motif apparent, se sente tout à coup saisi d'un sentiment étrange de crainte et d'angoisse sur le sort de son fils. Et voici que peu de temps après il reçoit une lettre lui annonçant que son fils est mort, peut-être au moment même où il était en proie à sa douloureuse anxiété.

Or ce fait prouve-t-il qu'il y ait là un motif suffisant de recourir à une force cachée, opérant la transmission de cette triste nouvelle ?

5. Nous répondons par la négative. Même dans ce cas il n'y a aucune nécessité de faire appel à l'action d'un fluide magnétique.

Qu'un tendre père ne cesse pas d'avoir souci du bien-être de son fils, est chose tout à fait naturelle. Il est naturel également que cette sollicitude revête, à l'occasion, un caractère d'anxiété aiguë, causée par la passion de l'amour qui a besoin de temps à autre de se manifester en mouvements véhéments, surtout si ce père sait que son fils est malade ou exposé à un grand danger. Mais, généralement parlant, ces sentiments d'inquiétude paternelle n'ont aucun rapport avec des malheurs qui pourraient regarder l'enfant. Cela est si vrai que, très souvent, c'est le père lui-même qui sera le premier à rire de ses craintes sans fondement. S'il arrive quelquefois que la mort du fils coïncide avec le pressentiment paternel, il n'y a là qu'un de ces cas extraordinaires qui se rencontrent dans la vie, cas en apparence fortuits, mais en réalité dirigés par les lois ordonnatrices de la Providence.

6. Si l'on veut trouver un rapport juste et raisonnable entre un pressentiment et sa vérification par le fait, il faut recourir à une cause proportionnée, qui ne saurait certainement pas être une sorte de fluide aveugle, mais un agent doué d'intelligence et de volonté et dont la médiation est précisément la cause, soit du pressentiment dont il s'agit, soit d'effets télépathiques du même ordre dont nous parlons.

7. Que peuvent donc être ces agents, sinon des substances angéliques, qui ont une connaissance parfaite des événements de ce monde et qui possèdent, en vertu de leur pouvoir mystérieux sur les éléments matériels et même sur les sens de l'homme, les moyens de communiquer la connaissance ou la vision de ces événements, même à des personnes éloignées du lieu où ils se produisent, et cela aussi bien dans le sommeil que dans l'état de veille ?

Or, comme les anges peuvent produire tous les phénomènes, même les plus étranges, qui ont lieu journellement au cours des séances spirites, ils peuvent aussi rendre visible à nos yeux ou à notre imagination, sans aucune sorte de difficulté, ce qui peut survenir à nos amis ou à nos parents éloignés de nous, et nous mettre ainsi en rapport intime avec des événements que nous aurions autrement tout à fait ignorés.

8. Mais la question se pose encore : Les auteurs de ces phénomènes sont-ils de bons ou de mauvais anges ?

À première vue, il semblerait plus vraisemblable de dire que ces phénomènes doivent être attribués aux bons anges, rien d'immoral n'apparaissant dans ces manifestations dont le but, du moins en apparence, est bon et saint. Quel mal y a-t-il, par exemple, à ce que la mort ou l'infortune d'un ami ou d'un parent vivant loin de moi, me soit révélée ? Y a-t-il quelque mal à ce que je déduise, de certains signes purement intelligibles, que des tremblements de terre ou des ouragans se sont produits dans une partie éloignée de notre globe? D'ailleurs, c'est un fait que ces manifestations se produisent d'habitude sans qu'il y ait eu aucune entente préalable avec les puissances des ténèbres et sans la présence d'un médium qui se serait, au moins par un pacte implicite, livré au démon.

9. Nous affirmons, néanmoins, que les manifestations télépathiques dont nous parlons doivent être attribuées non aux bons, mais aux mauvais anges.

Les bons anges n'opèrent jamais, nous l'avons dit, que sur l'ordre de Dieu, et leurs manifestations sont de véritables miracles, qui ne se produisent que dans des cas extraordinaires, comme conséquence d'une prière instante et comme signe de sainteté et de mérite de la part de certaines personnes. Or les communications télépathiques ont lieu, au contraire, dans des circonstances qui ne semblent pas réclamer, comme les miracles, l'intervention spéciale de la Divinité.

10. Ces manifestations, en effet, au lieu d'être accompagnées de ce sérieux et de cette dignité qui distinguent les œuvres de Dieu, portent la marque du caprice, de la légèreté et du désordre. Des individus y sont introduits ayant peu de religion ou même n'en ayant aucune et dont le caractère moral n'est pas toujours au-dessus de tout soupçon. Les communications ont lieu, en outre, sans qu'il soit fait aucune invocation du saint nom de Dieu. Elles ont lieu quand les personnes mêmes auxquelles elles sont faites y pensent le moins. Enfin, il n'y a dans ces communications aucune trace de cette intention, toujours pleine de bonté, de piété et de vertu surnaturelles, qui distingue les œuvres divines.

11. Peut-être le lecteur trouvera-t-il un certain intérêt au récit d'un fait de télépathie qui, s'il était authentique, pourrait être considéré comme un type remarquable de ce genre de phénomènes. Il a trait à Napoléon Ier et a été rappelé dans un grand nombre de journaux au moment du centenaire du célèbre empereur.

Napoléon mourut, on le sait, sur le rocher de Ste-Hélène, le 5 mai 1821, à six heures du soir, âgé de cinquante et un ans et quelques mois. Or on rapporte que, le même jour, un ouragan d'une violence exceptionnelle détruisit le peu d'arbres que possédait l'île, et que le saule, à l'ombre duquel l'Empereur avait coutume de se reposer, fut déraciné par la violence du vent. Mais la circonstance la plus merveilleuse qui accompagna cette mort est celle que le chevalier Colonna, chambellan de Marie Letizia, la mère de l'Empereur, alors résidant à Rome, a relatée dans le journal de notes qu'il dictait à sa lectrice, Mme de Sartrouville.

« Le 5 mai 1821, un gentilhomme d'allure distinguée s'est présenté au Palais Bonaparte, Place de Venise, insistant pour parler à la mère de Napoléon. Le portier lui demanda s'il avait une lettre d'audience, faute de quoi il ne pourrait être reçu. Le gentilhomme répondit qu'il n'en avait pas mais qu'il lui fallait de toute nécessité parler à Marie Letizia, et, sans plus de cérémonie, il alla droit à l'appartement de « Madame », répondant au valet de pied qui lui demandait son nom, qu'il ne le dirait qu'à Son Altesse.

« Frappée d'une telle insistance, Letizia donna des ordres pour qu'on fit entrer l'étranger. Elle avait auprès d'elle le chevalier Colonna et la Signorina Mellini, sa dame de compagnie. Le gentilhomme déclara qu'il devait parler à Son Altesse sans témoins. Letizia congédia donc sa petite cour et demeura seule avec l'étrange visiteur qui lui dit sans préambule «En ce moment même où je vous parle, Napoléon a fini de souffrir. Il est maintenant heureux ». Et après avoir prononcé ces quelques mots, il fit un profond salut et disparut. Toutes les recherches faites dans Rome et dans les environs pour obtenir des nouvelles du singulier visiteur demeurèrent sans résultat. »

12. Il n'est pas douteux qu'une histoire aussi étrange soit de nature à éveiller des doutes sérieux. Bien que Marie Letizia ait fait souvent allusion à la mystérieuse visite, il est permis, sans manquer au respect dû à cette mère angoissée, de voir dans cet événement le résultat d'une illusion personnelle plutôt qu'un fait réel. Hantée comme elle l'était continuellement par la pensée de son malheureux fils, elle se refusait à le croire mort et vivait dans l'espoir de le revoir heureux et glorieux.

Quoi qu'il en soit, comment un événement de ce genre pourrait-il s'expliquer par la télépathie ? Aurait-il eu lieu par le moyen d'un fluide magnétique ? Une telle explication est encore plus mystérieuse que le fait dont elle prétendrait donner la clef. Le message a-t-il été envoyé par l'intermédiaire d'un bon ange ? Mais comment supposer qu'un envoyé de Dieu, non invoqué, puisse annoncer d'une manière aussi étrange que Napoléon était délivré de toute souffrance et venait d'entrer dans le bonheur parfait ? De quel bonheur s'agit-il ? Il n'en est, au delà de la tombe, qu'au séjour des Bienheureux. Napoléon, par conséquent, aurait été admis immédiatement à la vision béatifique. Or, même si nous nous reportons à l'histoire des plus grands Saints canonisés par l'Église, nous n'y trouvons aucun message semblable. Comment donc le phénomène, si l'on admet son authenticité, peut-il s'expliquer, sinon en ayant recours à la médiation de l'ange des ténèbres, dont les opérations et les manifestations sont irrégulières et anormales et faites pour induire les hommes en erreur par rapport à la vie future.

13. C'est la conclusion à laquelle nous arrivons. Les phénomènes télépathiques ou télesthésiques, surpassant les forces connues de la nature, doivent être regardés comme produits par certains agents spirituels d'une nature: corrompue qui, par ce moyen; cherchent à produire la confusion et le désordre chez les individus, dans les familles et dans la société ; pour pêcher plus facilement en eau trouble.

14. On ne saurait non plus objecter que les manifestations télépathiques; dont nous venons de parler, ne contiennent, généralement parlant, rien d'immoral. C'est en tout cas un mal et un véritable désordre de rechercher ou d'attendre une communication concernant des choses cachées d'une manière non conforme à l'ordre établi par la nature ou par un moyen que Dieu n'a pas indiqué expressément. Il y a donc lieu de soupçonner, dans un procédé de ce genre, l'intervention diabolique, puisque l'irrégularité et la variabilité sont les caractéristiques des œuvres des anges rebelles.

15. Ceci paraît encore plus évident quand on constate l'absence de tout dessein moralement utile dans les communications télépathiques dont on nous fait souvent le récit. Le plus grand nombre des personnes auxquelles sont faites ces communications paraissent complètement dépourvues de sentiment religieux, et on ne lit généralement pas que ces communications les portent à offrir des prières pour ceux dont ils apprennent le malheur ou la mort d'une manière si étrange. Tout se borne à exciter ou à nourrir une curiosité morbide. Ces communications laissent, en outre, dans l'esprit de qui les reçoit un vague sentiment de doute et d'inquiétude. Elles font croire à une nouvelle théorie de la vie présente et future, différente de celle enseignée par l'Église et admise jusqu'à ce jour par les chrétiens en ce qui concerne nos rapports avec les absents ou la méthode de communiquer avec eux.

16. Certains écrivains, pour écarter tout à fait l'idée de l'instrumentalité d'esprits intermédiaires dans les phénomènes de télépathie ou de télesthésie, admettent comme un fait hors de doute des communications intermentales entre des individus éloignés l'un de l'autre. Nous ne savons pas, disent-ils , comment cette transmission de pensée d'un esprit à un autre et d'une âme à une autre s'opère sans agent physique intermédiaire ; « si la chose se passe d'un cerveau à un autre par le moyen de vibrations éthériques, ou d'âme à âme sans intermédiaire physique, ou par extériorisation de la force psychique. Nous ne savons pas quel procédé assure son émission du côté de l'agent ni sa réception du côté de celui qui perçoit. En fait nous ne savons qu'une chose, c'est que l'agent a essayé de transmettre l'idée et que celle-ci a été transmise. »

17. Ceux qui raisonnent ainsi montrent qu'ils ne tiennent aucun compte ni de la vraie nature de la pensée ni de la manière dont nous pouvons communiquer intellectuellement pendant cette vie avec les autres hommes. Quiconque possède une connaissance sérieuse de la philosophie catholique sait combien il est vain de parler de projection de pensée et de volonté au moyen d'une force psychique ou autre et à quel point une telle supposition est contraire à l'essence même de l'âme raisonnable et de la pensée. Essayer de supprimer, d'un trait de plume, l'action des anges dans cette communication soi-disant directe qui a lieu à travers le spiritisme entre l'esprit d'un homme et celui d'un autre, est une méthode trop catégorique, pour ne pas dire puérile.

18. Il faut donc prendre garde de ne pas attribuer à l'effet d'un fluide magnétique mystérieux ou à l'action des bons anges ces manifestations télépathiques où, par l'apparition de personnages étranges, par des voix ou des sons sensibles, par des images subitement formées dans l'air ou dans un miroir, un événement est annoncé qui se serait, suppose-t-on, passé à une grande distance et dont la personne à laquelle cette annonce est faite n'aurait jamais pu avoir la moindre idée.

19. Si cela est vrai pour ce qui a trait aux événements passés ou présents, ce l'est bien davantage quand il s'agit de communications concernant l'avenir, telle, par exemple, l'annonce de la mort imminente d'un parent ou d'un ami. La raison et la foi s'accordent pour nous enseigner que les futurs contingents - c'est-à-dire les choses qui ne dépendent pas de causes nécessaires - sont connus de Dieu seul. Il s'ensuit que des annonces de ce genre sont ou de pures inventions d'un cerveau exalté, ou des conjectures des anges déchus qui, ayant connaissance de bien des circonstances particulières ignorées de nous, peuvent deviner ce qui doit arriver dans un avenir prochain et donner ainsi l'impression qu'ils ont une science certaine des événements futurs.


V. - Comparaison entre les messages télépathiques et les communications de Dieu à l'âme

1. De ce que nous avons établi, il suit que l'on doit tenir fortement en suspicion la source d'où nous viennent les messages transmis par la télépathie. Ceci ne saurait toutefois s'appliquer d'aucune façon aux manifestations dont la bonté de Dieu daigne de temps à autre honorer et encourager ses fidèles serviteurs et dont nous lisons des exemples authentiques dans les Saintes Écritures et dans les Vies des Saints. Dieu étant la vérité parfaite et connaissant toutes choses, passées, présentes et futures, est libre de communiquer cette connaissance à qui il lui plaît, même en substituant aux voies ordinaires d'information le ministère de ses anges, exécuteurs de sa volonté. Toutefois, en agissant ainsi, il observe un ordre si merveilleux, que l'on comprend clairement qu'il n'y a rien de commun entre ses manifestations et les méthodes capricieuses par lesquelles s'opèrent les phénomènes de télépathie.

2. Tout d'abord, les révélations divines ne sont pas faites à tout le monde. Généralement parlant, elles ne le sont qu'à des personnes d'une extraordinaire sainteté de vie, qui, par leurs vertus, sont élevées au-dessus du niveau commun de l'humanité, et sont, au vrai sens du mot, les amis de Dieu. Ceux, au contraire, qui reçoivent les communications télépathiques sont aussi bien des chrétiens que des non-chrétiens, des personnes d'un caractère moral supérieur ou d'autres menant une vie licencieuse. En réalité, il semble que les agents mystérieux de ces communications choisissent de préférence des hommes ou des femmes d'une moralité douteuse, et n'ayant qu'une foi chrétienne fort débile, sinon aucune.

3. Une différence à noter, plus grande encore, entre les communications venant de Dieu et celles obtenues par la télépathie, découle de la nature même de ces dernières. Tandis que l'information venant par télépathie porte en général la marque d'un pur naturalisme et n'ouvre pas l'esprit à la connaissance des vérités de la foi ni le cœur à un plus grand amour de Dieu, source de tout bien, les révélations faites par Dieu à ses serviteurs ont toutes, au contraire, un caractère surnaturel. Elles élèvent l'âme au-dessus des choses de ce monde, réconfortent le cœur, et inspirent à l'homme une énergie nouvelle, l'aidant à marcher courageusement dans le sentier de la vertu. Par suite, tandis que les premières manifestations sont dépourvues de toute utilité pratique, les secondes ont un but bien déterminé, qui est celui de toutes les œuvres divines, le don de la vie éternelle par la possession du royaume de Dieu.

4. Enfin, si l'on considère la façon dont se passent ces deux sortes de manifestations, on voit que si les communications télépathiques se présentent d'ordinaire entourées de circonstances étranges et sans signification, produisant ainsi la confusion dans l'esprit et troublant la paix dont il aurait pu jouir, les révélations divines au contraire, sont toujours accompagnées de ce sérieux, de cette dignité et de cette sainteté, qui leur impriment la marque du Saint-Esprit dont la Sainte Écriture dit qu'il « nous gouverne tous avec le plus grand respect » . Quiconque se trouve par conséquent en présence de telles communications est obligé de s'écrier : « Ici est le doigt de Dieu » .

5. Dieu est véritablement merveilleux dans les communications dont il favorise ses Saints, quand il les rend participants, comme des amis intimes, aux secrets de son cœur. C'est ainsi qu'à une pauvre et simple femme, fervente catholique, élevée récemment par l'Église à l'honneur des autels, il accorda la connaissance des choses les plus secrètes, passées, présentes et futures, que l'Esprit de Dieu lui montrait, comme représentées dans un soleil rayonnant et brillant toujours devant ses yeux. C'est là un don appartenant à cette classe de faveurs surnaturelles connues sous le nom de gratiae gratis datac, dont saint Paul parle longuement dans sa première Épître aux Corinthiens . Le grand Apôtre désigne ces grâces sous les noms de foi, de sagesse, de connaissance, de discernement et d'interprétation des langues, toutes choses appartenant à la prophétie et possédées, non comme des dons permanents, mais comme des jets de lumière surnaturelle que le Saint-Esprit projette, d'une manière transitoire, sur le sujet favorisé de ces dons.

6. Nous mentionnerons encore ici le don des langues, que l'on nomme aussi « glossolalie », accordé parfois aux Saints, comme ce fut le cas pour les Apôtres, à la Pentecôte. Ce don, toutefois, est d'une nature spéciale, vu qu'il peut être possédé d'une façon permanente et comme faveur définitive, et que, dans ce cas, la personne qui le détient peut en user comme et quand il lui plaît, ainsi que le fit saint Paul qui disait de lui-même : «Je remercie mon Dieu de m'avoir donné de parler toutes vos langues ».

La raison de cette différence entre le don des langues et les autres charismes, tient dans le fait que les autres dons librement accordés par Dieu, tels que la prophétie, le discernement des esprits - que l'on nomme aussi la pénétration des cœurs - et autres dons semblables, comportent une somme infinie de connaissances, et ne peuvent pour cela être possédés par une simple créature pendant cette vie d'une manière parfaite et permanente. Au contraire, le don des langues ne se rapporte qu'à un genre particulier de connaissance - c'est-à-dire à la parole de l'homme - et peut par conséquent être possédé parfaitement et d'une manière permanente pendant la vie d'ici-bas .

Nous pouvons donc conclure, avec le cardinal Newman, que le don des langues, «une fois accordé, était, dans sa nature même, possédé comme un talent ordinaire et n'exigeait pas une nouvelle influence divine pour être exercé par la suite » .

Il faut néanmoins observer que ce don n'est pas égal chez tous ceux qui le reçoivent et qu'il ne comporte pas la connaissance de toutes les langues du globe. Il est plus ou moins étendu, suivant le degré du don divin, sa mesure correspondant au but pour lequel il est accordé. C'est pourquoi saint François-Xavier, par exemple, bien que favorisé par Dieu, comme nous le croyons, de la connaissance d'un grand nombre de dialectes orientaux, se croyait tenu, dès qu'il arrivait dans une région nouvelle dont il ignorait la langue, d'étudier celle-ci avec un soin spécial.

7. C'est très justement que les Pères de l'Église ont appelé le démon le singe de Dieu. En réalité, son but est de faire la guerre à l'œuvre du Christ et de perdre les âmes. Mais ce but il cherche à l'atteindre au moyen du spiritisme, de l'hypnotisme et de la télépathie, et par ces pratiques superstitieuses, il s'efforce de contrefaire l'œuvre de Dieu.

Il produit ainsi de merveilleux effets qui ressemblent beaucoup aux miracles. Il prétend manifester des choses cachées comme le firent les Prophètes. Toutes ces œuvres néanmoins trahissent toujours, par quelque point, la faiblesse de l'ange des ténèbres, en même temps que l'esprit de fraude et d'illusion qui l'anime. Ceux-là seuls, par conséquent, qui se détournent de la lampe de vérité que l'Église Catholique élève au-dessus de nos têtes, tombent misérablement dans ses filets.

8. Le mystère d'iniquité inauguré par le démon dès les premiers jours du monde, s'achèvera, à la fin, par l'œuvre de l'Antéchrist. Inspiré par l'ennemi juré de la race humaine, ayant pour complices les hérétiques et les pervers, celui-ci s'aidera, grâce à des prodiges inouïs, de tout l'appareil de son art trompeur, afin de conduire les élus eux-mêmes, s'il était possible, à l'erreur et à la perdition. Le spiritisme et les pratiques qui lui sont connexes appartiennent à cet art diabolique par lequel le prince des anges déchus, employant tout ce qu'il possède de connaissance et de pouvoir sur la nature, cherche à imiter les prodiges divins pour se faire adorer à la place de Dieu. Mais «le Seigneur Jésus le fera mourir par le souffle de sa bouche et le détruira par l'éclat de sa venue » .



CONCLUSION

1. Les diverses considérations exposées dans les pages qui précèdent, montrent clairement quel est le but suprême des pratiques spirites et quelle est l'intention poursuivie par les anges déchus lorsqu'ils produisent ces phénomènes remarquables par lesquels ils prétendent représenter les âmes des morts.

Nous avons dit que le péché des anges rebelles a consisté dans leur détermination orgueilleuse d'atteindre leur fin dernière par leurs propres moyens naturels, sans l'aide de la grâce divine, et c'est là précisément ce à quoi tendent les pratiques et les pseudo-révélations du spiritisme et des sciences occultes qui se rattachent à cette forme de superstition.

2. Il est vrai que les phénomènes en question, démontrant comme ils le font l'existence d'un monde spirituel, supérieur au monde de la matière, tendent à confirmer les données philosophiques et théologiques de l'Église Catholique sur l'immortalité de l'âme humaine et portent ainsi un coup mortel au matérialisme. Mais c'est là un profit bien vague. En vérité, nous n'avions pas besoin des déclarations d’esprits mystérieux ou de médiums en transe, pour nous convaincre que l'âme humaine ne finit pas avec la mort. La concession faite par les anges rebelles en faveur de la spiritualité et de l'immortalité de l'âme humaine a pour but d'obtenir une compensation qui dépasse ce qu'ils concèdent et les aide à mieux atteindre leurs véritables buts. Car rien ne peut mieux servir leur cause que la croyance en une doctrine d'après laquelle l'homme peut atteindre un état de béatitude finale par ses propres forces et sans l'aide de la grâce surnaturelle qui lui est offerte par l'Incarnation du Verbe. Ainsi donc, tandis que maintenant ils combattent ce bas matérialisme qu'autrefois ils ont tant contribué à répandre dans le monde, ils sèment les germes d'une autre erreur non moins pernicieuse, à savoir que l'homme peut être finalement heureux, quelle que puisse avoir été sa conduite dans la vie présente.

3. Nous ne saurions trop insister sur l'importance de cette vérité, à savoir que l'immortalité de l'âme humaine peut être établie avec des preuves pleinement convaincantes par le simple raisonnement naturel de l'esprit humain. Ce que les déclarations explicites et les merveilleux phénomènes du spiritisme prétendent démontrer quant au fait de la survivance de l'âme après la mort est en vérité en harmonie avec la voix de la nature et de la raison. Mais en faisant cette déclaration véridique concernant l'immortalité de l'âme, les mauvais esprits réussissent à gagner créance pour un grand nombre de fausses assertions, en particulier sur les moyens d'obtenir le bonheur final et sur l'état de l'âme après la mort. Le fait que ces agents occultes admettent l'immortalité de l'âme est bien propre à induire les gens imprudents et crédules à accepter leurs autres affirmations, quelle qu'en soit la fausseté.

4. Il convient d'observer ici que ces exposés constituent entièrement ou en partie, la somme totale des doctrines que certains écrivains modernes ont choisies pour s'écarter de l'enseignement traditionnel de l'Église. Ce n'est pas trop de dire que si l'influence démoniaque s'exerce ouvertement sur les esprits ordinaires par la manifestation de faits surprenants, elle agit d'une façon plus subtile et plus raffinée sur les esprits des écrivains de marque, en les incitant à promulguer un credo tout à fait nouveau. Dans les deux cas le but poursuivi est la destruction même du Christianisme.

5. Tout cela démontre avec la plus complète évidence, pour tout esprit impartial, que le spiritisme, tout en paraissant favoriser le bien intellectuel et physique de l'homme, est en réalité le moyen le plus radical de l'arracher à Dieu et de l'égarer hors de la seule voie qui peut le mener à Lui, c'est-à-dire hors l'Église.

Comme moyen de communication avec les pures substances intellectuelles, le spiritisme a existé de tout temps. Ce n'est que dans sa forme qu'il a subi quelque changement. Cette forme qu'il a revêtue de nos jours semble en rapport très direct avec le mouvement actuel des sciences de la nature et c'est à ce fait, sans aucun doute, que les phénomènes du spiritisme doivent leur attraction particulière, si grande à l'heure présente.

6. Il était tout naturel que, devant les découvertes extraordinaires faites récemment en physique, en mécanique et en chimie, l'esprit humain se trouvât comme fasciné par des phénomènes nouveaux du même ordre en apparence, phénomènes admettant l'examen scientifique et offrant tant de promesses de découvertes surprenantes. Or, en imitant et même en surpassant les effets que réalisent les agents naturels, les pures substances spirituelles peuvent ainsi dissimuler aisément leur opération propre et susciter l'intérêt de l'homme en leur faveur. Ils peuvent même, sous prétexte de progrès scientifiques, amener un esprit léger et superficiel à s'adonner à ces pratiques illicites, et ainsi l'attaquer par surprise.

7. Bien que les esprits des ténèbres se soient efforcés de tout temps d'attirer les âmes, par le moyen de pratiques occultes, dans leurs filets mortels, cela leur est toutefois rendu plus facile à l'époque où nous vivons, à cause de la grande ignorance qui règne dans le monde sur l'âme humaine et ses facultés, comme aussi sur la nature de l'ange et du monde spirituel en général.

Nous redisons, en y insistant, que seule une étude approfondie des principes de la philosophie catholique et des conclusions qui en découlent, peut nous faire connaître la vraie nature du spiritisme et des pratiques qui s'y rapportent. D'autres formes de philosophie, si plausibles qu'elles puissent paraître au premier abord, ne sauraient conduire à ce résultat.

8. Quand nous en venons à considérer le bouleversement de l'ordre moral qu'engendrent les pratiques spirites, quand nous constatons les ravages terribles qu'elles produisent dans les âmes, les dangers moraux dont elles menacent la société, il est impossible de ne pas prononcer un jugement défavorable sur ces pratiques.

9. Une circonstance significative, d'autre part, c'est qu'en dépit de tout ce que l'on peut avancer en faveur de ces phénomènes, la Théologie catholique juge que pas plus aujourd'hui qu'autrefois il ne lui est possible de se réconcilier avec ces pratiques. Comme, dans les temps passés, l'Église s'est toujours montrée opposée aux pratiques superstitieuses de la magie, ainsi, de nos jours, elle est en contradiction ouverte avec les manifestations et les déclarations des médiums. Quelle que soit la prétention du spiritisme moderne, elle maintient que celui-ci n'est que la continuation de la révolte de Satan contre Dieu et n'a pour terme que la ruine irréparable des âmes. Et l'on ne doit pas oublier que des savants éminents ont fait écho à la voix de l'Église. Tout à fait conscients de la nature et de la tendance de ces pratiques, ils en ont dénoncé l'influence pernicieuse, et ils ont mis en garde les hommes contre les dangers moraux et physiques menaçant ceux qui voudraient s'y livrer.

10. Nous avons l'espoir que leur voix et celle de l'Église seront entendues et que les chrétiens, se souvenant d'avoir été faits à l'image et à la ressemblance de Dieu, et d'avoir été rachetés par le Précieux Sang du Christ, cesseront d'être victimes des pièges que leur tend l'ennemi juré de Dieu et de l'humanité. Celui qui recherche sincèrement la vérité, peut la trouver dans le livre de la nature et dans la révélation. Il n'a nullement besoin de recourir à des esprits trompeurs et déguisés.

11. Si nous désirons des faveurs temporelles et spirituelles, une voie normale nous est ouverte : le recours à l'humble prière en conformité avec la loi et la volonté du Tout-Puissant, le distributeur de tous les biens. Si nous aspirons au bonheur, nous avons le gage de la béatitude à venir dans la promesse de voir Dieu face à face. Mais l'accomplissement de cette promesse dépend d'une condition formelle la pratique des bonnes œuvres par l'observance de la loi divine : «Faites-moi comprendre la voie de vos commandements et je méditerai sur vos merveilles » .

FIN - Merci à www.christ-roi.net pour la numérisation de ce texte -