Les Gloires de Marie Par Saint Alphonse-Marie de Liguori CHAPITRE I Salve Regina, Mater misericordiae ! Nous vous saluons, ô Reine, Mère de miséricorde. MARIE, NOTRE REINE, NOTRE MÈRE I - Combien doit être grande notre confiance en Marie, parce qu'elle est Reine de miséricorde. L'auguste Vierge Marie ayant été élevée à la dignité de Mère du Roi des rois, la sainte Église a raison de l'honorer et de vouloir que tous l'honorent du glorieux titre de Reine. Si le Fils est Roi, dit saint Anathase, la Mère a le droit d'être tenue pour Reine et d'en porter le nom. Oui, ajoute saint Bernardin de Sienne, quand Marie consentit à être la Mère du Verbe éternel, à l'instant même et par ce consentement, elle mérita et obtint la principauté de la terre, le domaine du monde, le sceptre et la qualité de Reine de toutes les créatures. Et, comme l'observe Arnauld de Chartres, si par la chair Marie est unie si intimement à Jésus, comment cette divine Mère serait-elle séparée de son Fils quant à la puissance souveraine ? Il faut donc le reconnaître, la dignité royale n'est pas seulement commune au Fils et à la Mère, mais ils n'ont qu'une seule et même royauté. Or, si Jésus est Roi de l'univers, c'est de l'univers aussi que Marie est Reine : " Reine du ciel, dit l'abbé Rupert, elle commande à bon droit à tout le royaume de son Fils ". De là cette conséquence exprimée par saint Bernardin de Sienne : Autant de créatures servent Dieu, autant doivent servir Marie. LEs anges, les hommes et tout ce qui existe au ciel et sur la terre, étant soumis à l'empire de Dieu, le sont pareillement à la domination de cette glorieuse Vierge. De là aussi cette exclamation de l'abbé Guéric, s'addressant à la divine Mère : Continuez donc, ô Marie, continuez de régner en toute sécurité ; disposez à votre gré des biens de votre Fils ; puisque vous êtes la Mère et l'Épouse du Roi de l'univers, vous êtes Reine, et avez droit à l'empire et à la domination sur toutes les créatures. Marie est notre Reine ; mais sachons-le pour notre commune consolation, elle est une Reine pleine de douceur et de clémence, toute disposée à répandreses bienfaits sur notre misère. C'est pourquoi, la sainte Église veut qu'en la saluant dans la belle prière que nous méditons, nous lui donnions le titre de Mère de miséricorde. Selon la remarque du Bienheureux Albert le Grand, le nom même de Reine éveille l'idée de compassion, de sollicitude en faveur des pauvres, à la différence du nom d'Impératrice, qui signifie sévérité et rigueur. Et, d'après Sénèque, la vraie grandeur des rois et des reines consiste à soulager les malheureux. A la différence donc des tyrans qui gouvernent dans des vues exclusivement personnelles, les rois doivent se proposer pour unique fin le bien de leurs peuples. Et voilà pourquoi, dans la cérémonie de leur sacre, on leur oint la tête d'huile, emblême de miséricorde ; ils sont avertis par là que, sur le trône, ils devront surtout nourrir, envers leurs sujets, des sentiments de commisération et de bonté. Il est donc dud evoir des rois de s'appliquer principalement aux oeuvres de miséricorde, mais non au point d'oublier l'exercice de la justice à l'égard des coupables, quand cela est nécessaire. Cependant, il n'en est pas ainsi de Marie : elle est Reine, mais elle n'est pas Reine de justice, obligée d'office à punir les malfaiteurs ; elle est Reine de miséricorde, et son unique attribution est d'avoir pitié des pécheurs et de leur ménager le pardon. Telle est la raison du nom de Reine de miséricorde, sous lequel l'Église nous apprend à l'invoquer. J'ai appris ces deux choses, chantait David, que la puissance appartient à Dieu, et que vous êtes, Seigneur, rempli de miséricorde. Voici sur ces paroles le commentaire du célèbre Gerson, chancelier de Paris : La royauté de Dieu comprend l'exercice de la justice et celui de la miséricorde ; or le seigneur l'a partagée : il s'est réservé à lui-même le règne de la justice, et il a cédé à Marie le règne de la miséricorde, voulant que toutes les grâces accordées aux hommes passent par les mains de cette douce Reine, pour être départies à son gré. Cette explication est confirmée par saint Thomas, dans sa préface aux Épîtres canoniques ; quand la Bienheureuse Vierge, dit-il, conçut et enfanta le Verbe divin, elle obtint la moitié du règne de Dieu, et devint Reine de miséricorde, Jésus-Christ restant Roi de justice. Le Père Éternel a établi Jésus-Christ Roi de justice, et, en cette qualité, Juge universel du monde ; c'est ce que le Prophète célèbre en ces termes : O Dieu, donnez votre justice au Fils du Roi. Seigneur, ajoute ici un savant interprète, vous avez donné à votre Fils la justice, parce que vous avez donné la miséricorde à sa Mère. Avec non moins de bonheur, saint Bonaventure paraphrase ainsi les mêmes paroles du Psalmiste : Seigneur ! donnez votre justice au Roi, et votre miséricorde à la Reine, sa Mère. - Ernest, archevêque de Prague, dit pareillement que le Père Éternel a confié au Fils l'office de juger et de punir et à la Mère celui de compatir et de soulager. A Marie peut donc s'appliquer la prophétie du même David : Dieu a fait couler sur votre front une huile d'allégresse. Oui, car Dieu a en quelque sorte sacré de ses propres mains Marie Reine de miséricorde, et nous a donné à nous tous, infortunés enfants d'Adam, un motif de vive allégresse dans la personne de cette grande Reine que nous avons au ciel, et qui est toute détrempée du baume de la miséricorde, comme dit saint Bonaventure, et toute pleine de l'huile d'une maternelle tendresse à notre égard. Le bienheureux Albert le Grand fait intervenir ici, de la manière la plus heureuse, l'histoire de la reine Esther, qui fut d'ailleurs une des figures de notre Reine Marie. On lit au livre d'Esther, que, sous le règne d'Assuérus, un édit fut publié qui condamnait à la mort tous les Juifs de ses États. Alors MArdochée, l'un des condamnés, recommanda leur salut à Esther, et la pria d'intercéder pour eux auprès du Roi, afin d'obtenir les révocations de la sentence. Au premier abord, Esther refusa de faire cette démarche, craignant d'accroître par là l'indignation d'Assuérus. Mais Mardochée lui envoya quelqu'un, chargé de lui faire des remontrances : elle ne devait pas, lui faisait-il dire, songer uniquement à sa propre sûreté, puisque le Seigneur l'avait élevée sur le trône pour procurer le salut de tous les Juif. Ne croyez pas que vous puissiez vous sauver seule, parce que, dans la maison du roi, vous tenez un rang supérieur à tous les Juifs. Ainsi parlait Mardochée à la reine Esther ; ainsi pourrions-nous aussi, nous, pauvres pécheurs, parler à notre Reine Marie, si jamais elle répugnait à nous obtenir de Dieu la remise de la peine due à nos péchés : Ne pensez pas qu'il vous soit permis de vous sauver seule, parce que, dans la maison du Roi, vous occupez un rang plus haut qu'aucun homme. Non, auguste Souveraine, ne pensez pas que Dieu vous ait élevée à la dignité de Reine du monde, uniquement en vue de votre bonheur ; il a voulu aussi que cette sublime grandeur vous mît à même de compatir plus efficacement à nos misères et de les soulager mieux. Lorsqu'Assuérus vit Esther en sa présence, il lui demanda avec amour ce qu'elle désirait. O mon Roi, répondit-elle, si j'ai trouvé grâce devant vos yeux, accordez-moi le salut de mon peuple pour lequel j'implore votre clémence. - Assuérus l'exauça et ordonna aussitôt que la séquence fût révoquée. Or, si Assuérus accorda le salut des Juifs à Esther, parce qu'il l'aimait, comment Dieu, qui aime Marie d'un amour immense, pourrait-il ne pas l'exaucer lorsqu'elle le prie pour les pauvres pécheurs qui réclament son intercession, et qu'elle lui dit : O mon Roi et mon Dieu, si j'ai trouvé grâce devant vous, si vous m'aimez, accordez-moi le salut de ces pécheurs pour lesquels j'intercède auprès de vous. - Si vous m'aimez !... Ah ! elle n'ignore pas, cette divine Mère, qu''elle est la bénie, la bienheureuse, celle qui, seule entre tous les enfants d'Adam, a trouvé la grâce perdue par l'homme ; elle sait qu'elle est la Bien-Aimée de son Seigneur, plus aimée que tous les saints et tous les anges ensemble ; comment donc Dieu pourrait-il ne pas l'exaucer ? Qui ne connaît pas la force des prières de Marie auprès de Dieu ? Une loi de clémence sort de ses lèvres, dit le Sage, chacune de ses prières est comme une loi aussitôt sanctionnée par le Seigneur, et qui garantit un arrêt de miséricorde à tous ceux pour qui elle intercède. - Saint Bernard demande pourquoi l'Église appelle Marie Reine de miséricorde, et il répond : C'est que l'on croit qu'elle ouvre l'abîme de la miséricorde divine à qui elle veut, quand elle veut, et comme elle veut ; en sorte que nul pécheur, si criminel soit-il, ne se perd, pourvu que Marie le protège. Mais n'est-il pas à craindre que Marie ne refuse de s'entremettre our certains pécheurs qui lui paraîtront trop souillés ? ou bien ne devons-nous pas nous laisser intimider par la majesté et la sainteté de cette grande Reine ? - Oh ! non, réponds saint Grégoire VII ; autant elle est sainte et élevée, autant elle est douce et miséricordieuse envers les pécheurs qui l'invoquent avec un vrai désir de s'amender. Les airs de grandeur que prennent les rois et les reines de la terre, inspirent la terreur, et sont cause que leurs sujets craignent de paraître en leur présence ; mais demande saint Bernard, quelle appréhension pourrait empêcher les malheureux d'aller à cette Reine de miséricorde ? Elle ne laisse rien paraître de terrible ou d'austère en sa présence, elle ne montre que douceur et bonté à quiconque va la trouver ; " à tous, elle offre le lait et la laine " ; non contente de les donner à qui les lui demande, elle les offre même à tous ; elle leur offre le lait de la miséricorde pour les animer à la confiance, et la laine de sa protection pour les garantir des foudres de la justice divine. Au rapport de Suétone, quelque faveur qu'on demandât à l'empereur Titus, il ne savait la refuser ; parfois même, il promettait plus qu'il ne pouvait tenir ; et à ceux qui l'avertissaient : un prince, répondait-il, ne doit renvoyer mécontent aucun de ceux qu'il a une fois admis en sa présence. Ainsi parlait Titus, mais, dans le fait, il lui arrivait peut-être souvent de faire de fausses promesse ou de manquer à sa parole. Notre Reine, au contraire, est incapable de nous tromper, et elle est assez puissante pour procurer tout ce qu'elle veut à ses dévots ; elle a d'ailleurs le coeur si bon, si compatissant, assure Lansperge, qu'elle ne saurait renvoyer sans consolation un malheureux qui la prie. Mais, ô Marie, s'écrie saint Bernard, comment pourriez-vous refuser votre appui aux misérables, quand vous êtes Reine de miséricorde ? quels sont les sujets de la miséricorde, sinon les misérables ? Vous êtes Reine de miséricorde, et moi, je suis le plus misérable de tous les pécheurs ; je tiens donc le premier rang parmi vos sujets, et vous devez prendre soin de moi plus que de tous les autres. Ayez donc pitié de nous, ô Reine de miséricorde, et pensez à nous sauver. Et ne dîtes pas, ô Vierge sainte, semble ajouter saint Georges de Nicomédie ; ne dîtes pas que la multitude de nos péchés vous empêche de nous secourir ; car telles sont votre puissance et votre bonté, qu'il n'est pas de fautes si nombreuses qui puissent en dépasser les bornes. Rien ne résiste à votre puissance, parce que votre Créateur, qui est aussi le nôtre, regarde votre gloire comme la sienne, et croit se faire honneur à lui-même en honorant sa Mère ; aussi le fait-il avec une joie extrême : on dirait qu'en exauçant vos prières, il acquitte une dette. Oui, une dette, car, veut dire le saint, bien que Marie soit infiniment obligée envers son Fils, qui l'a choisie pour Mère, on ne peut nier qu'à son tour il ne soit, lui-même fort obligé envers Marie, puisqu'elle lui a donné l'être humain. Eh bien ! pour payer en quelque sorte à sa Mère tout ce qu'il lui doit, Jésus se plaît à accroître sa gloire, qui lui est si chère, et spécialement en lui accordant toutes ses requêtes. Quelle confiance ne devons-nous donc pas avoir en cette auguste Reine, nous qui la savons si puissante auprès de Dieu, et en même temps si riche de miséricorde, que personne au monde n'est exclu de sa tendresse et de ses faveurs ! C'est ce que la bienheureuse Vierge a révélé elle-même à Sainte Brigitte : " Je suis, lui dit-elle un jour, la Reine du ciel et la Mère de miséricorde ; je suis la joie des justes et la porte par laquelle les pécheurs ont accès auprès de Dieu. Il n'est pas de pécheur maudit au point d'être privé des effets de ma miséricorde tant qu'il vit sur la terre ; car il n'en est aucun qui ne doive quelque grâce à mon intercession, ne fût-ce que celle d'être moins tenté par les démons. Aucun pécheur, ajute-t-elle, à moins qu'il ne soit tout à fait maudit (c'est-à-dire frappé de la malédiction finale et irrévocable qui se prononce contre les damnés), aucun pécheur n'est tellement rejeté de Dieu, qu'il ne puisse, en m'appelant à son aide, retourner à Dieu et obtenir miséricorde. Tout le monde, dit-elle encore, m'appelle Mère de miséricorde, et vraiment, c'est la miséricorde de Dieu envers les hommes qui m'a rendue si miséricordieuse à leur égard. Enfin, elle conclut en ces termes : Bien malheureux sera donc, dans la vie future, et malheureux à jamais, celui qui se sera damné faute de recourir à moi, comme il le pouvait, dans la vie présente, à moi, si miséricordieuse envers tous les hommes, et si désireuse de venir en aide aux pécheurs. " Voulons-nous donc assurer notre salut, allons souvent, allons sans cesse nous réfugier aux pieds de cette douce Reine, et, si la vue de nos péchés nous épouvante et nous décourage, souvenons-nous que Marie a été établie Reine de miséricorde pour sauver, par sa protection, les pécheurs les plus coupables et les plus désespérés pourvu qu'ils se recommandent à elle. Ils doivent former sa couronne dans le ciel, comme lui lui fait entendre l'Époux divin, en lui disant : Viens du Liban, mon Épouse ; viens du Liban, viens, tu seras couronnée . . . des cavernes des lions et des montagnes qui servent de retraite aux léopards. Quelles sont, en effet, ces retraites de bêtes monstrueuses, sinon les malheureux pécheurs ? leurs âmes ne sont-elles pas réceptacles de péchés divers, monstres les plus affreux que l'on puisse concevoir ? - Oui, ô Marie ! je le dis avec l'abbé Rupert, c'est le salut de ces pauvres pécheurs qui sera votre couronne en paradis, couronne bien digne de vous et la mieux appropriée à une Reine de miséricorde. On peut lire à ce sujet l'exemple suivant. EXEMPLE Il est raconté dans la vie de la soeur Catherine de Saint-Augustin, que, dans l'endroit où habitait cette servante de Dieu, se trouvait une femme appelée Marie, qui avait mené une vie scandaleuse dès sa jeunesse, et qui, parvenue à un âge avancé, persistait avec obstination dans ses désordres. Chassée enfin par les habitants, et réduite à se retirer dans une grotte solitaire, elle y mourut consumée par une horrible maladie, sans secours humains et sans sacrements. Après une telle vie et une telle mort, son cadavre fut enfoui comme celui d'un animal immonde. Soeur Catherine avait coutume de recommander instamment à Dieu les âmes de tous ceux qui passaient à l'autre vie ; néanmoins, ayant appris la triste fin de cette malheureuse, elle ne songea nullement à prier pour elle, la croyant, comme tout le monde, à jamais perdue. Quatre ans s'étaient écoulés, lorsqu'un jour se présenta devant elle une âme du purgatoire, qui lui dit : " Soeur Catherine, quel malheur est le mien ! vous recommandez à Dieu les âmes de tous ceux qui meurent ; je suis la seule dont vous n'ayez pas eu compassion ! - Et qui êtes-vous ? demanda la servante de Dieu. - Je suis, répondit-elle, cette pauvre Marie qui mourut dans la grotte. - Quoi ! êtes-vous donc sauvée ? - Oui, je suis sauvée, grâce à la miséricorde de la sainte Vierge. - Et comment ? - Quand je me vis près de mourir, me trouvant ainsi abandonnée de tout le monde et chargée de tant de péchés, je me tournai vers la Mère de Dieu et lui dis : " Reine du ciel, vous êtes le refuge des pauvres délaissés, et me voici abandonnée de tout le monde ; vous êtes mon unique espérance, vous seule pouvez me secourir, ayez pitié de moi ". La douce Marie m'obtint la grâce de faire un acte de contrition, je mourus et je fus sauvée. Cette bonne mère m'a procuré en outre la faveur de voir ma peine abrégée, en rachetant par l'intensité de mes souffrances une bonne partie des années qu'elles devaient durer. Il ne faut que quelques messes pour me délivrer du purgatoire ; je vous prie de me les faire dire, et je vous promets de ne jamais cesser, après cela, de prier Dieu et la bienheureuse Vierge pour vous ". Soeur Catherine fit aussitôt célébrer des messes pour elle, et, au bout de quelques jours, cette âme lui apparut de nouveau, plus brillante que le soleil, et lui dit : " Je vous remercie, ma chère Catherine ; je vais maintenant en paradis chanter les miséricordes de mon Dieu et prier pour vous ". PRIÈRE O Marie, Mère de mon Dieu et ma souveraine Maîtresse, tel que se présenterait à une grande reine un misérable tout couvert de plaies et de souillures, tel je me présente à vous, qui êtes la Reine du ciel et de la terre ; du haut de ce trône glorieux où vous êtes assise, ne dédaignez pas, je vous en supplie, d'abaisser vos regards sur ce pauvre pécheur, Dieu vous a rendue riche comme vous l'êtes, pour que vous secouriez les pauvres, et il vous a établie Reine de miséricorde pour vous mettre à même de soulager les misérables L regardez-moi donc, et prenez compassion de moi ; regardez-moi et ne m'abandonnez pas que vous ne m'ayez changé de pécheur en saint. Je reconnais que je ne mérite rien, ou plutôt, en punition de mon ingratitude, je mériterais de me voir dépouillé de toutes les grâces qui me sont venues du Seigneur par votre entreprise ; heureusement, la Reine de miséricorde, ne va pas cherchant des mérites, mais des misères ; tout son désir est de scourir les nécessiteux ; et qui est plus pauvre et plus nécessiteux que moi ? O glorieuse Vierge, je sais que vous êtes la Reine du monde, et par conséquent ma Reine ; je veux me consacrer à votre service d'une manière plus spéciale, et vous laisser disposer de moi comme il vous plaît. Je vous dis donc avec saint Bonaventure : Gouvernez-moi, ô ma Reine, et ne me laissez pas à moi-même ; commandez-moi, employez-moi selon votre gré, et même châtiez-moim quand je ne vous obéis point ; oh ! combien me seront salutaires les châtiments de votre main ! J'estime plus l'honneur de vous servir que celui de commander à toute la terre. JE SUIS A VOUS, SAUVEZ-MOI. Recevez-moi au nombre des vôtres, ô Marie, et, comme tel, pensez à me sauver. Non, je ne veux plus m'appartenir à moi-même, je me donne à vous ! Et si dans le passé, je vous ai mal servie, ayant laissé échapper tant d'occasions de vous honorer, je veux désormais m'unir à vos serviteurs les plus affectionnés et les plus fidèles. Je ne veux pas qu'à partir de ce jour personne vous honore et vous aime plus que moi, ô mon aimable Reine. Je vous le promets et cette promesse, j'espère la tenir avec votre secours. Amen. II - Combien notre confiance en Marie doit être plus grande encore, parce qu'elle est notre Mère. Les serviteurs de Marie se plaisent à l'appeler leur Mère ; ils ne savent même, ce semble, l'invoquer sous un autre titre ; jamais ils ne se lassent de la nommer ainsi. Ce n'est pas au hasard ni sans motif, car elle est bien réellement leur Mère. Marie est notre Mère à tous, non pas selon la chair, mais selon l'esprit : elle est la Mère de nos âmes et de notre salut. Le péché avait dépouillé nos âmes de la grâce divine, qui est leur vie, et les avait livrées à la plus déplorable des morts. Dans l'excès de sa miséricorde et de son amour, Jésus, notre Rédempteur, vint à nous et nous rendit, au prix de sa mort sur la croix, la vie que nous avions perdue : Je suis venu, a-t-il dit lui-même, afin que mes brebis aient la vie, et qu'elles l'aient plus abondamment. Il dit : Plus abondamment, car selon les théologiens, Jésus-Christ nous apporta plus debien en nous rachetant, qu'Adam ne nous avait causé de mal par son péché. Ainsi, en nous réconciliant avec Dieu, Jésus est devenu, sous le régime de la loi de grâce, le Père de nos âmes ; c'est là ce qu'Isaïe avait prédit, en l'appelant le Père du siècle futur, le Prince de la paix. Or, si Jésus-Christ est le Père de nos âmes, Marie en est la Mère ; car, en nous donnant Jésus, elle nous a donné la véritable Vie, et, en offrant ensuite sur le Calvaire la vie de son Fils pour notre salut, elle nous a enfantés à la vie de la grâce. Ce fut donc en deux circonstances, comme nous l'aprennent les saints Pères, que Marie devint Mère spirituelle. Ce fut premièrement quand elle conçut dans son sein virginal le Fils de Dieu ; tel est l'enseignement du bienheureux Albert le Grand ; et saint Bernardin de Sienne nous l'explique en ces termes : Quand Marie, instruite par l'Ange des desseins de Dieu sur elle, donna le consentement que le Verbe éternel attendait pour devenir son Fils, elle demanda en même temps à Dieu, avec un amour immense, le salut du genre humain, et elle se dévoua tellement à l'oeuvre de notre rédemption que, comme la plus tendre des mères, elle nous porta tous dès lors dans les entrailles de sa charité. Dans le récit de la naissance de notre Sauveur, saint Luc dit que Marie mit au monde son premier-né. Cela fait supposer, observe un auteur, qu'elle a eu d'autres enfants après celui-là ; mais, continue-t-il, puisqu'il est de foi que la Vierge n'a pas eu, selon la chair d'autres enfants que Jésus-Christ, il s'ensuit qu'elle a dû en avoir selon l'esprit, et c'est nout tous. Cette explication fut révélée par le Seigneur lui-même à sainte Gertrude : lisant un jour dans l'Évangile le passage en question, elle en fut troublée ; elle ne pouvait comprendre comment Jésus-Christ peut s'appeler le premier-né d'une Mère dont il est le Fils unique ; or, Dieu lui fit comprendre que Jésus est le premier-né de Marie selon la chair, et les autres hommes ses puînés selon l'esprit. Ainsi s'entend encore ce qui est dit de la bienheureuse Vierge dans les Cantiques : Votre sein est comme un monceau de froment, tout environné de lis. - Saint Ambroise commente ces paroles en disant que, dans le sein très pur de Marie, il n'y eut qu'un seul grain, à savoir, Jésus-Christ, lequel est néanmoins comparé à un morceau de froment, parce que dans ce seul grain étaient renfermés tous les élus, dont Marie devait être aussi la Mère. La même pensée est ainsi exprimée par l'abbé Guillaume : En mettant au monde Jésus-Christ, notre Sauveur et notre Vie, Marie nous a tous enfantés au salut et à la vie. En second lieu, Marie nous a enfantés à la grâce sur le Calvaire, lorsque, d'un coeur brisé par la douleur, elle offrit au Père Éternel pour notre salut la vie de son Fils bien-aimé. Saint Augustin affirme en effet qu'en contribuant alors par sa charité à faire naître les fidèles à la vie de la grâce, Marie devint notre Mère à tous, la Mère spirituelle de tous les membres du corps mystique de Jésus-Christ. Et c'est dans ce sens qu'on applique à la bienheureuse Vierge ces mots des Cantiques : Ils m'ont placée comme gardienne dans les vignes, et je n'ai pas gardé ma propre vigne. Car, dans son désir de sauver nos âmes, Marie consentit à sacrifier, à livrer à la mort son propre Fils : En vue du salut d'un grand nombre d'âmes, dit Guillaume, elle a abandonné son âme propre à la mort. Or, l'âme de Marie, n'était-ce pas son Jésus ? n'était-il pas la vie et l'unique amour de sa Mère ? Saint Siméon avait donc raison de prédire à cette tendre Mère qu'un jour son âme bénie serait transpercée d'un glaive cruel ; ce glaive fut la lance qui perça le côté de Jésus, et, je le répète, Jésus était l'âme de Marie. Eh bien ! ce fut en ce moment que, par ses douleurs, elle nous enfanta à la vie éternelle, et dès lors tous nous pouvons nous dire les enfants des douleurs de Marie. Cette Mère très aimante fut toujours parfaitement unie à la volonté de Dieu ; c'est pourquoi, voyant le Père porter l'amour enver nous jusqu'à vouloir sacrifier son Fils à notre salut, et le Fils nous aimer jusqu'à vouloir mourir pour nous, elle conforma son amour envers le genre humain à l'amour excessif du Père et du Fils. C'est la pensée de saint Bonaventure : " Il ne faut nullement douter, écrit-il, que Marie n'ai voulu, elle aussi, livrer son Fils pour le salut du genre humain, afin que la Mère fût de toute façon la fidèle imitatrice du Père. " Il est vrai que Jésus a voulu être le seul à mourir pour la rédemption du genre humain, et, selon l'expression d'Isaïe, à fouler le vin de notre salut ; néanmoins, ayant égard à l'ardent désir qui pressait Marie de coopérer de son côté à ce grand ouvrage, il décida qu'elle y prendrait part en l'offrant, lui, Jésus, à l'autel du sacrifice, et qu'ainsi elle deviendrait la Mère de nos âmes. Ce mystère nous fut dévoilé par notre Sauvuer lui-même : sur le point d'expirer, il abaissa ses regards sur sa Mère et sur son disciple saint Jean, tous deux debout au pied de sa croix, et dit d'abord à Marie : Ecce filius tuus, " voilà votre fils ". C'est comme s'il eût dit : Voilà l'homme que vous venez de faire naître à la grâce en offrant ma vie pour son salut. S'adressant ensuite au disciple : Ecce Mater tua, lui dit-il, " voilà votre Mère ". Par ces paroles, remarque saint Bernardin, Jésus donnait Marie pour mère, non pas au seul saint Jean, mais à tous les hommes, en raison de son amour pour eux. Et c'est là, selon Silveira, le motif pour lequel saint Jean, qui rapporte lui-même ce fait dans son Évangile, se désigne sous le nom commun de disciple : Jésus dit au disciple : Voilà votre Mère ; le Sauveur ne parlait donc pas à Jean, mais au disciple ; c'est-à-dire qu'en lui il voyait tous ceux qui, par la foi, sont ses disciples ; et c'était à eux tous qu'il donnait Marie pour Mère. Je suis la Mère du bel amour, dit Marie. Elle parle ainsi, observe un auteur, parce que son amour pour nos âmes les rend belles aux yeux de Dieu, et l'engage elle-même à nous adopter avec toute la tendresse d'une mère. Et quelle mère, s'écrie saint Bonaventure, quelle mère aune ses enfants et prend soin de leur bien-être, comme vous, ô très douce Reine, vous nous aimez et veillez sur tous nos intérêts ? Heureux ceux qui vivent sous la protection d'une Mère si aimante et si puissante ! Bien qu'au temps de David Marie ne fut pas encore née, cependant, au dire de saint Augustin, ce prophète demandait déjà à Dieu de le sauver à titre d'enfant de cette Vierge glorieuse : Sauvez, disait-il, le fils de votre Servante. De quelle servante ? demande ce saint Docteur, si ce n'est de celle qui a dit : Je suis la Servante du Seigneur ? Eh ! s'écrie Bellarmin, qui aura l'audace d'arracher les bras de Marie ses enfants, lorsqu'ils y cherchent un asile contre les poursuites de leurs ennemis ? Quel démon assez furieux, quelle passion assez violente pour les vaincre, s'ils placent leur confiance dans la protection d'une Mère si puissante ? Quand la baleine voit son petit exposé à périr dans une tempête ou à être pris par les pêcheurs, elle ouvr la bouche, dit-on, et le reçoit dans son sein. Ce qui est sûr, c'est qu'ainsi fait Marie : quand cette bonne Mère voit ses enfants exposé à de trop grand périls par la violence des tentations, elle les cache avec amour comme dans ses propres entrailles, assure Novarin, les y tient à l'abri du danger, et ne cesse de les garder jusqu'à ce qu'elle les ait mis en sûreté dans le port du salut. O Mère pleine de tendresse ! ô Mère pleine de bonté ! soyez à jamais bénie ! et béni soit à jamais le Dieu qui vous a donnée à nous pour Mère, et pour refuge assuré contre tous les hasards de cette vie ! - Dans une révélation faite par elle-même à sainte Brigitte, la très sainte Vierge s'est comparée à une mère qui, voyant son fils entre les épées de ses ennemis, n'épargnerait aucun effort pour lui sauver la vie. C'est ainsi que j'agis, ajouta-t-elle, et que j'agirai toujours en faveur de mes enfants, quelque coupables qu'ils soient, pourvu qu'ils invoquent mon secours. Voilà donc le moyen de vaincre l'enfer, et de le vaincre à coup sûr, dans tous les combats qu'il nous livre ; nous n'avons qu'à recourir à celle qui est la Mère de Dieu et la nôtre, en disant et en répétant sans cesse : Je me réfugie sous votre protection, ô sainte Mère de Dieu ! - Combien de victoires les fidèles n'ont-ils pas remportées sur l'enfer par cette courte, mais puissante prière ! C'est par ce moyen qu'une grande servante de Dieu, la soeur Marie-Crucifiée, bénédictine, triomphait toujours des démons. Courage donc, ô vous qui êtes les enfants de Marie ; et nous savons qu'elle reçoit pour ses enfants tous ceux qui désirent l'être ; courage et confiance ! Pouvez-vous craindre de périr, défendus et protégés comme vous l'êtes par une telle Mère ? Voici ce que doit se dire, à la suite de saint Bonaventure, quiconque aime cette bonne Mère et se met sous sa protection : O mon âme ! que crains-tu ? tu ne saurais perdre la cause de ton salut éternel, puisque la sentence est laissée à la décision de Jésus, qui est ton Frère, et de Marie, qui est ta Mère. - La même pensée remplissait saint Anselme d'une joie qu'il nous communique en s'écriant : O heureuse confiance ! ô refuge assuré ! La Mère de Dieu et ma Mère ; avec quelle certitude ne devons-nous pas espérer, puisque l'affaire de notre salut est entre les mains d'un Frère si bon et d'une Mère si compatissante ! Écoutons donc la voix de notre Mère, qui nous appelle : Si quelqu'un est petit et faible comme un enfant, nous crie-t-elle, qu'il vienne à moi. Les enfants ont toujours à la bouche le nom de leur mère ; et, dans tous les dangers qui les menacent, à la moindre crainte qui les saisit, on les entend aussitôt s'écrier : Ma mère ! ma mère ! - Ah ! douce Marie, ah ! douce Mère, c'est là précisément ce que vous désirez que, comme vos enfants, nous vous appelions à notre secours dans tous les périls, parce que vous voulez nous protéger et nous sauver, ainsi que vous avec toujours fait quand vos enfants ont eu recours à vous. EXEMPLE L'histoire des fondations de la Compagnie de Jésus au royaume de Naples rapporte ce qui suit d'un jeune gentilhomme écossais, nommé Guillaume Elphinstone, et parent du roi Jacques. Né dans l'hérésie, il en suivait les fausses doctrines ; mais, éclairé d'une lumière divine qui lui faisait entrevoir son erreur, il vint en France, où, grâce surtout à l'intercession de la bienheureuse Vierge, il connut enfin la vérité, abjura l'hérésie, et se fit catholique. Il passa ensuite à Rome. Là, un de ses amis, le voyant un jour fort affligé et en pleurs, lui en demanda la cause. Le jeune homme répondit que, pendant la nuit, sa mère lui était apprue et lui avait dit : " Mon fils, que tu es heureux d'être entré dans le sein de la véritable Église ! pour moi, ayant eu le malheur de mourir dans l'hérésie, je suis à jamais perdue ! " Dès lors, i redoubla de ferveur dans la dévotion à Marie, qu'il choisit pour son unique Mère ; elle lui inspira la pensée d'embrasser la vie religieuse, et il en fit le voeu. Cependant, comme il était malade, il se rendit à Naples, espérant que le changement d'air rétablirait sa santé ; mais le Seigneur voulait qu'il y mourût ; et qu'il mourût religieux. Peu après son arrivée en cette ville, sa maladie ayant été jugée mortelle, il obtint des pères jésuites, à force de prières et de larmes, son admission dans leur Ordre ; et lorsqu'il reçut le Viatique, il prononça ses voeux en présence du saint sacrement, et fut déclaré membre de la Compagnie. Ainsi consolé, il attendrissait tout le monde par la vie effusion avec laquelle il remerciait Marie, sa bonne Mère, de l'avoir arraché à l'hérésie, ramené dans le sein de la véritable Église, et conduit enfin dans la maison de Dieu, pour y mourir au milieu des religieux, ses frères. " Oh ! s'écriait-il, quelle gloire de mourir environné de tous ces anges " ! Comme on l'exhortait à prendre un peu de repos, il répondit : " Ah ! ce n'est pas le moment de me reposer, maintenant que la fin de ma vie approche ". Au moment de mourir, il dit à ceux qui étaient présents : " Mes frères, ne voyez-vous pas ici les anges du ciel qui m'assistent ? " Un des religieux, l'ayant entendu prononcer quelques mots à vois basse, lui demanda ce qu'il disait. Il répondit que son ange gardien lui avait révélé qu'il n'aurait que fort peu de temps à passer en purgatoire, et qu'il entrerait bientôt dans le ciel. Il reprit ensuite ses doux entretiens avec Marie, sa Mère bien-aimée ; et, en répétant : " Ma Mère ! ma Mère ! " comme un enfant qui s'endort dans les bras de sa mère, il expira paisiblement. Peu après, un saint religieux sut par révélation qu'il était déjà en paradis. PRIÈRE O Marie, ma très sainte Mère, comment est-il possible qu'ayant une Mère si sainte, je sois si pervers ; qu'ayant une Mère si embrasée d'amour pour Dieu, je sois si attaché aux créature ; qu'ayant une Mère si riche de vertus, j'en sois si dénué ? Ah ! ma très aimable Mère, il est vrai, je ne mérite plus d'être appelé votre enfant, je m'en suis rendu trop indigne par ma mauvaise vie ; je serai content si vous daignez me recevoir au nombre de vos serviteurs ; pour être compté parmi les derniers de vos serviteurs, bien volontiers je donnerais tous les royaumes de a terre. Oui, je serai content, si vous m'accordez cette grâce ; cependant, ne me refusez pas celle de vous appeler ma Mère ; ce nom me console, me touche le coeur, et me rappelle l'obligation où je suis de vous aimer ; ce nom m'inspire une grande vonfiance en vous ; quand le souvenir de mes péchés et de la justice divine me remplit de terreur, je me sens fortifié et tout rassuré par la pensée que vous êtes ma Mère. Permettez-moi donc de vous dire : Ma Mère, ma très aimable Mère ! C'est ainsi que je vous appelle et veux toujours vous appeler. Après Dieu, vous devez être en tout temps dans cette vallée de larmes, mon espérance, mon refuge et mon amour. J'espère mourir dans ces sentiments, en remettant, à mon dernier soupir, mon âme entre vos mains bénies, et en vous disant : Ma Mère Marie, Marie ma Mère ! assistez-moi, ayez compassion de moi, Amen. III - Combien est grand l'amour que nous porte Marie, notre Mère. Après avoir établi que Marie est notre Mère, il est juste de considérer à quel point elle nous aime. L'amour des parents envers leurs enfants est un amour nécessaire ; c'est pour cette raison, suivant la remarque de saint Thomas, que la loi divine, qui impose aux enfants l'obligation d'aimer leurs parents, ne fait point aux parents un précepte formel d'aimer leurs enfants. La nature a si profondément implanté dans les entrailles de tout être vivant l'amour de sa progéniture, que, comme le dit saint Ambroise, les bêtes même les plus sauvages ne peuvent s'empêcher d'aimer leurs petits. On raconte même qu'aux cris de leurs petits, embarqués par les chasseurs, les tigres se jettent à la met, et suivent le vaisseau à la nage jusqu'à ce qu'ils le rejoignent. Si donc, nous dit notre tendre Mère Marie, si les tigres mêmes aiment tant leurs petits, comment pourrais-je, moi, cesser de vous aimer, d'aimer mes enfants ? Une mère peut-elle oublier son enfant, et perdre toute tendresse à l'égard du fruit de ses entrailles ? mais, quand même elle l'oublierait, moi, je ne l'oublierai point, disait le Seigneur à son peuple ; Marie nous dit la même chose : Non, quand même, par impossible, une mère oublierait son fils, il n'arrivera jamais que je renonce à ma tendresse envers une âme. Marie, est notre Mère, comme nous l'avons dit, non par la chair, mais par l'amour : Je suis la Mère de belle dilection. C'est donc uniquement en raison de sa tendresse à notre égard qu'elle est notre Mère ; et voilà, remarque un auteur, pourquoi elle se glorifie d'être Mère d'amour ; nous ayant adoptés pour ses enfants, elle est toute amour pour nous. Qui pourrait expliquer l'amour que Marie nous porte parmi nos misères ? Selon le même auteur, en assistant à la mort de Jésus-Christ, elle brûlait d'un extrême désir de mourir avec son divin Fils pour l'amour de nous. Ainsi, ajoute saint Ambroise, pendant que le Fils mourait pour nous sur la croix, la Mère se présentait aux bourreaux, toute prête à donner également sa vie pour notre amour. Mais nous nous ferons une plus juste idée du grand amour de cette bonne Mère envers nous, si nous en considérons les motifs. Le premier, c'est son immense amour pour Dieu. Selon saint Jean, l'amour de Dieu et celui du prochain, sont l'objet du même précepte : C'est là un commendement que nous avons reçu de Dieu : elui qui aime Dieu, doit aimer aussi son frère ; aussi ces deux amours sont toujours unis, et l'un ne peut grandir sans que l'autre grandisse d'autant. Voyez les saints, qui aimaient Dieu si ardemment, que n'ont-ils pas fait pour le bien du prochain ! Dans leur désir de le sauver, ils en sont venus jusqu'à exposer et sacrifier leur liberté, et même leurs jours. Leurs histoires sont pleines de traits de la plus héroïque charité. Afin de venir en aide aux peuplades barbares de l'Inde, saint François Xavier gravissait en rampant des montagnes escarpées, et allait à travers milles dangers, trouver au fond des cavernes les malheureux qui y vivaient comme des bêtes sauvages, et qu'il voulait amener à Dieu. Dans ses missions aux hérétiques du Chablais, saint François de Sales se hasarda chaque jour, une année durant, à passer une rivière en se cramponnant des mains et des pieds sur une poutre parfois couverte de glaçons, afin d'aller sur l'autre rive prêcher ses obstinés. Saint Paulin se fit esclave, pour rendre à liberté le fils d'une pauvre veuve ; saint Fidèle de Sigmaringen s'estima heureux de perdre la vie en prêchant la vraie foi à un peuple hérétique. Comment les saints ont-ils pu pousser si loin l'amour du prochain ? C'est qu'ils aimaient Dieu très ardemment. Or, qui l'a plus aimé que Marie ? Elle a plus aimé Dieu au premier moment de sa vie, que ne l'ont aimé tous les saints et tous les anges dans tout le cours de leur existence, comme nous le feront voir au long, en parlant de ses vertus. D'après une révélation de la bienheureuse Vierge elle-même à la soeur Marie-Crucifiée, le feu dont elle brûle pour Dieu, mettrait en cendres en un instant le ciel et la terre, et, auprès de ses ardeurs, toutes celles des séraphins sont comme le souffle d'un vent frais. Si donc, parmi tous les esprits célestes, aucun n'aime Dieu plus que Marie, nous n'avons ni n'auront jamais, Dieu seul excepté, qui nous aime plus que cette tendre Mère. Quand même on réunirait l'amour de toutes les mères pour leurs enfants, de tous les époux pour leurs épouses, de tous les saints et de tous les anges pour leurs protégés, tous ces amours n'égaleraient point ensemble celui que Marie porte à une seule âme. La tendresse de toutes les mères pour leurs enfants est une ombre en comparaison de celui que Marie porte à chacun de nous, assure Nieremberg ; et elle nous aime, à elle seule, immensément plus que tous les anges et tous les saints ensemble. Un autre motif pour lequel notre sainte Mère nous aime beaucoup, c'est que nous lui fûmes donnés pour enfants, et recommandés par son bien-aimé Jésus, quand, sur le point d'expirer, il lui dit : Femme, voilà votre Fils. Comme il a été vu plus haut, il lui désignait ainsi tous les hommes dans la personne de saint Jean. Ces paroles furent les dernières que son divin Fils lui adressa en ce monde. Trop précieuses sont les suprêmes recommandations d'une personne chérie aux prises avec la mort, pour qu'on en puisse jamais perdre la mémoire. De plus, nous sommes des enfants excessivement chers à Marie, parce que nous lui coûtons d'excessives douleurs. Une mère ressent toujours une affection spéciale pour l'enfant auquel elle n'a conservé la vie qu'à force de soins et de peines. Tels sommes-nous à l'égard de Marie : pour nous faire naître à la vie de la grâce, il lui a fallu - quel supplice pour son coeur ! - il lui a fallu sacrifier elle-même la vie si précieuse de son Jésus, et se résigner à voir de ses yeux ce fils qui expirait dans les tourments. C'est à ce grand sacrifice de Marie, je le répète, que nous sommes redevables de la vie de la grâce ; sa tendresse pour nous, pour des enfants qui lui ont coûté tant de peines, est donc extrême. Ainsi, ce qui est dit du Père éternel, à savoir, qu'il a aimé les hommes jusqu'à livrer pour eux son Fils unique, nous pouvons, remarque saint Bonaventure, le dire pareillement de Marie : elle nous a aimés, elle aussi, au point de nous donner son Fils unique. Et quand nous le donna-t-elle ? Elle nous le donna,. répond le père Nieremberg, d'abord, quand elle lui permit d'aller à la mort. Elle nous le donna quand, les autres manquant à leur devoir par haine ou par crainte, elle pouvait bien, elle seule, défendre auprès des juges la vie de son Fils. Ne doit-on pas croire, en effet, que les paroles d'une mère si sage, si tendre à l'égard de son Fils, eussent pu faire assez d'impression, du moins sur Pilate, pour le dissuader de condamner à mort un homme dont il avait lui-même reconnu et proclamé l'innocence ? Mais non, Marie ne voulut pas prononcer le moindre mot en faveur de son Fils, afin de ne pas s'opposer à sa mort, à laquelle notre salut était attaché. Elle nous le donna enfin, elle nous le donna mille et mille fois, pendant ces trois heures qu'elle passa au pied de la croix, veillant sur l'agonie de son Fils. Oui, autant d'instants il y eut dans ces trois heures, autant de fois elle fit pour nous, avec une douleur extrême et un extrême amour enver nous, le sacrifice de son Jésus. Et, selon saint Anselme et saint Antonin, telle était sa constance, qu'au défaut des bourreaux, elle l'eût crucifié elle-même pour obéir au Père éternel, qui voulait nous sauver par la mort de son Fils. Et, en effet, si Abraham eut la force de consentir à immoler son Fils de sa propre main, nous ne devons pas en douter, bien plus sainte plus obéissante qu'Abraham, Marie eût accompli le sacrifice avec plus de courage encore. Mais, pour revenir à notre sujet, combien de reconnaissance ne devons-nous pas à Marie en retour d'un acte d'amour si généreux, je veux dire, du douloureux sacrifice qu'elle a fait de la vie de son Fils unique, afin de nous voir tous sauvés ! Magnifique fut le prix dont le Seigneur récompensa le sacrifice qu'Abraham avait voulu lui faire de son fils Isaac : mais nous, que pouvons-nous rendre à Marie pour nous avoir réellement sacrifié la vie de son Jésus, Fils bien plus auguste et bien plus aimé que le fils d'Abraham ? Cet amour de Marie nous impose une grande obligation de l'aimer ; car, selon la remarque de saint Bonaventure, jamais créature ne nous aimera à l'égal de Celle qui nous a abandonné son unique Fils, un Fils qui lui était plus cher que sa propre vie. De là pour Marie un nouveau mortif qui la presse de nous aimer : elle considère en nous le prix auquel nous fûmes achetés, la mort de Jésus-Christ. Une reine qui aurait un serviteur racheté par son fils chéri au prix de vingt années de prisons et de souffrances, combien, à ce seul point de vue, n'estimerait-elle pas ce serviteur ! Marie sait que son Fils est venu en ce monde à l'unique fin de nous arracher à notre misère, ainsi qu'il l'a déclaré lui-même : Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ; elle sait que, pour nous racheter, il a bien voulu donner jusqu'à son sang, et s'est fait obéissant jusqu'à la mort. Nous aimer peu après cela, ce serait, de la part de Marie, faire peu de cas du sang versé par son Fils pour notre rançon. Il fut révélé à la vierge sainte Élisabeth, qu'à partir de son entrée dans le temple, la vie de Marie fut une prière incessante pour qu'il plût à Dieu d'envoyer sans retard son Fils au secours du monde perdu ; or, nous devons le penser, elle nous aime bien plus encore, depuis qu'elle a vu son Fils nous priser si haut, et payer si cher notre délivrance. Et, comme tous les hommes ont été rachetés par Jésus-Christ, Marie les aime et ne refuse à aucun ses faveurs. C'est d'elle qu'il s'agit dans ce passage de l'Apocalypse : Un grand signe parut dans le ciel : une Femme revêtue du soleil. Elle fut montrée ainsi à saint Jean, pour signifier que comme, selon le psaume, il n'est personne sur la terre qui échappe à la chaleur du soleil, de même nul homme vivant n'est exclu de la tendresse de Marie. C'est l'explication de l'Idiot : Par la chaleur du soleil, dit-il, il faut entendre ici l'amour de Marie. Eh ! s'écrie saint Antonin, qui pourrait comprendre la sollicitude de cette tendre Mère envers chacun de nous ? Elle ouvre à tous le sein de sa miséricorde, à tous elle prodigue ses bienfaits. Car elle a désiré le salut de tous les hommes et contribué au salut de tous. Il est certain, dit saint Bernard, qu'elle s'est vivement intéressées au bien du genre humain tout entier. On voit par là combien est utile la pratique familière plusieurs serviteurs de Marie, de prier le Seigneur qu'il leur accorde les grâces dont la bienheureuse Vierge lui fait pour eux la demande. Or, cette manière de prier, est fondée en raison, remarque Conelius a Lapide, car notre céleste Mère nous souhaite des biens plus excellents que nous n'en pouvons nous-mêmes désirer. Et, comme l'assure le pieux Bernardin de Bustis, Marie est plus empressée à nous combler de ses bienfaits, à nous dispenser des grâces, que nous-mêmes à les recevoirs. Aussi le bienheureux Albert le Grand lui applique-t-il ces paroles de la Sagesse : Elle prévient ceux qui la désirent, et elle se montre à eux la première. Oui, Marie, elle la trouvent avant de l'avoir cherchée. Telle est à notre égard la tendresse de cette bonne Mère, ajoute Richard, qu'à la première vue de nos besoins et avant même d'être invoquée par nous, elle vient à notre secours. Mais si Marie est si bonne envers tout le monde, sans en excepter les ingrats qui l'aiment peu et qui sont négligents à l'invoquer, combien plus tendre sera-t-elle à l'égard de ceux qui l'aiment sincèrement et l'invoquent fréquemment ? Ceux qui l'aiment la découvrent aisément, et ceux qui la cherchent la trouve. Oh ! s'écrie le même bienheureux Albert, qu'il est facile à qui aime Marie de la trouver, et de faire l'heureuse expérience de sa bonté, de son amour ! J'aime ceux qui m'aiment, dit-elle par la bouche du Sage. Or, bien que cette très aimante Souveraine aime tous les hommes comme ses enfants, elle sait néanmoins ceux qui l'aiment davantage, assure Saint Bernard, et elle a pour eux des tendresses de choix. Selon l'Idiot, quand une âme est assez heureuse pour brûler ainsi de l'amour de Marie, celle-ci ne se contente pas de la chérir, elle s'abaisse jusqu'à la servir : " Trouvez la Vierge Marie, dit-il, c'est trouver tous les biens, car elle aime ceux qui l'aiment, elle sert même ceux qui la servent. " Il est question, dans les chroniques des Dominicains, d'un frère nommé Léodat, qui avait coutume de se recommander deux cent fois le jour à cette Mère de miséricorde. Quand il fut sur le point de mourir, il vit tout à coup près de son lit une reile d'une merveilleuse beauté, qui lui dit : " Léodat, voulez-vous mourir, et venir auprès de mon Fils et de moi " ? Il répondit : " Mais, qui êtes-vous " ? Et la sainte Vierge reprit : " Je suis la Mère de miséricorde, que vous avez tant de fois invoquée ; me voici venue pour vous prendre avec moi, allons-nous en en paradis ". Léodat mourut ce jour-là même ; et, comme il y a tout lieu de le croire, il alla rejoindre Marie au séjour des Élus. O douce Marie ! heureux celui qui vous aime ! - Le saint frère Jean Berchans, de la Compagnie de Jésus, disait : " Si j'aime Marie, je suis assuré de la persévérence, et j'obtiendrai de Dieu tout ce que je désire ". Aussi, le pieux jeune homme ne se lassait pas de renouveler sa résolution de l'aimer ; il répétait souvent en lui-même : " Je veux aimer Marie ! Je veux aimer Marie ! " Oh ! combien cette bonne Mère surpasse en amour tous ses enfants ! Qu'ils l'aiment autant qu'ils le pourront, dis saint Ignace martyr, jamais ils ne l'égaleront en amour. Qu'ils l'aiment donc autant qu'un saint Stanislas Kotska, dont la tendresse pour sa céleste Mère était si vive, qu'à l'entrendre seulement parler d'elle on sentait le désir de l'aimer aussi. Il avait imaginé des expressions nouvelles et de nouveaux titres pour l'honorer. Il ne commençait aucune action, sans s'être tourné d'abord vers une image de Marie pour demander sa bénédiction. Quand il récitait en son honneur l'office, le rosaire, ou d'autres oraisons, c'était avec le sentiment, l'expression d'une personne qui parlerait face à face avec Marie. Entendait-il chanter le Salve Regina, l'embrasement de son coeur colorait son visage. Comme il allait un jour visiter une image de la bienheureuse Vierge avec un père de la Compagnie, celui-ci lui demanda s'il aimait beaucoup Marie : " Mon père, répondit Stanilas, elle est ma Mère ! Que puis-je vous dire de plus ? " Mais, racontait ensuite ce religieux, le saint jeune homme prononça ces mots d'une vois si émue, d'un air si affectueux, d'un coeur si pénétré, qu'on eût dit un ange qui parlait de Marie. Qu'ils l'aiment autant qu'un bienheureux Herman Joseph, qui l'appelait son Épouse d'amour, Marie ayant daigné l'honorer du nom d'Époux ; autant qu'un saint Philippe de Néri, qui était tout consolé au seul souvenir de Marie, et qui la nommait ses Délices ; autant qu'un saint Bonaventure, qui, non content de lui donner les titre de Dame et de Mère, osait encore, pour mieux exprimer la tendresse de son affection, l'appeler son Coeur et son Ame. Qu'ils l'aiment autant que ce grand serviteur de Marie, saint Bernard : il aimait tant cette douce Mère, qu'il l'appelait la Ravisseuse des coeurs : Raptrix cordium ; et, ne sachant comment lui dire l'amour dont il brûlait pour elle : N'est-il pas vrai, lui disait-il, que vous avez ravi mon coeur ? Qu'ils l'appellent leur Amante, comme un saint Bernardin de Sienne, qui allait la visiter chaque jour dans une dévote image ; là il épanchait son coeur dans de tendres colloques avec sa Reine bien-aimée ; et, quand on lui demandait où il se rendait tous les jours, il répondait qu'il allait trouver son Amante. Qu'ils l'aiment autant qu'un saint Louis de Gonzague, qui brûlait continuellement d'un sigrand amour envers Marie : rien qu'à entendre le nom si doux de cette Mère chérie, il sentait son coeur tout embrasé ; la flamme qui le consumait apparaissait à l'extérieur ; son visage en rougissait et attirait tout les regards. Qu'ils l'aiment autant qu'un saint François Solano qui semblait transporter d'une sainte folie d'amour envers Marie ; parfois, devant une de ses images, on le voyait qui chantait en s'accompagnant d'un instrument de musique ; il voulait, disait-il, à l'imitation des amants du monde, donner une sérénade à la Reine de son coeur. Qu'ils l'aiment comme l'ont aimée un si grand nombre de ses serviteurs, qui croyaient n'avoir jamais assez fait pour lui témoigner leur amour. - Le père Jean de Trexo, de la Compagnie de Jésus, prenait plaisir à s'appeler esclave de Marie, et, en signe de sa serviture, il allait souvent la visiter dans une de ses églises ; là, que faisait-il ? à peine arrivé, il se livrait tellement aux tendres émotions de son amour pour Marie qu'il arrosait l'église de ses larmes, puis les essuyait avec la langue et le visage, baisant mille fois le pavé, tant il était touché de se trouver dans la maison de sa chère Dame. - En récompense de sa dévotion, le père Jacques Martinez, de la même Compagnie, se voyait porté au ciel par les anges, en chacune des fêtes de Notre-Dame, pour être témoin de la pompe avec laquelle elles s'y célèbrent. Il avait coutume de dire : " Je voudrais avoir tous les coeurs des anges et des saints, afin d'aimer Marie comme ils l'aiment ; je voudrais avoir les vies de tous les hommes, pour les consacrer toutes à l'amour de Marie. Qu'ils parviennent à l'aimer autant que l'aimait Charles, fils de sainte Brigitte ; rien au monde, assurait-il, ne le réjouissait comme de savoir combien Marie est aimée de Dieu. " Et, disait-il encore, si la grandeur de Marie pouvait subir quelque amoindrissement, de bon coeur je souffrirais n'importe quelle peine pour lui épargner cette perte ; il y a plus : si la gloire de Marie m'appartenait, j'y renoncerais en sa faveur, sachant qu'elle en est incomparablement plus digne que moi. " (NOTE DE L'ÉDITEUR) Nous qui traduisons notre Bienheureux Père, pourquoi n'ajouterions-nous pas : Qu'ils l'aiment autant qu'un saint Alphonse-Marie de Liguori, fondateur de la Congrégation du très saint Rédempteur, lequel sera dorénavant cité avec les Bernard, les Bonaventure, les Anselme, parmi les plus fidèles et les plus zélés serviteurs de cette glorieuse Vierge. Encore enfant, il passait déjà des heures entières dans une oraison extatique devant l'image de la Madone. Ce fut à ses pieds que, résolu de quitter le monde, il déposa son épée. Il s'obligea par voeu à réciter chaque jour le chapelet et à prêcher tous les samedis les gloires de Marie. Il récitait l'Ave Maria à tous les quarts d'heure ; il jeûnait tous les samedis et la veille de toutes les fêtes de la Vierge, s'abstenant alors de toute boisson et se contentant d'un morceau de pain pour toute nourriture. Jusque dans son extrême vieillesse il se plaisait à appeler Marie sa Mère : " Le démon a voulu me jeter dans le désespoir, disait-il au sortir d'une violente tentation ; mais ma Mère Marie m'a secouru, je n'ai pas offensé Dieu ". Il aspirait à tenir après Dieu la première place parmi ceux qui aiment la Reine du ciel ; le nom béni de Marie se retrouve presque à toutes les pages de ses nombreux ouvrages, sans compter le livre des Gloires, le plus beau peut-être que l'ont ait composé sur ce sujet. Enfin, il fit un précepte spécial aux membres de son Ordre de professer un amour filial envers la divine Mère. De son côté, Marie sut bien faire éclater sa tendresse envers son cher Alphonse. Elle le guérit subitement d'une maladie mortelle occasionnée par un excès de travail. Elle lui apparaissait fréquemment dans une grotte où il se livrait à la prière et à la pénitence, et lui donnait conseil sur tout ce qui concernait la Congrégation fondée par lui. A plusieurs reprises, elle se montra à lui et le ravit tandis qu'il prêchait et s'efforçait d'animer ses nombreux auditeurs à la confiance envers elle. Elle lui apparut encore deux fois la veille de sa mort, comme il l'en avait priée tant de fois, et changea son agonie en une douce extase. (FIN DE LA NOTE DE L'ÉDITEUR) Qu'à l'exemple d'Alphonse Rodriguez, ils désirent donner leur vie en preuve de leur amour pour Marie ; qu'à l'imitation du saint religieux François Binans, et de sainte Radegonde, femme du roi Clotaire, ils aillent jusqu'à graver avec une pointe de fer, l'aimable nom de Marie sur leur poitrine, ou bien que, pour rendre l'empreinte plus profonde et ineffaçable, ils l'y impriment à l'aide d'un fer rouge, comme firent dans le transport de leur amour ses dévots serviteurs Jean-Baptiste Archinto et Augustin d'Espinosa, tous deux de la Compagnie de Jésus. En un mot, qu'ils fassent ou aspirent à faire tout ce qui est possible à un amant désireux de témoigner son affection à la personne qu'il aime : jamais ils n'arriveront à aimer Marie autant qu'elle les aime. Gracieuse Souveraine, s'écriait saint Pierre Damien, je sais qu'en fait d'amour vous l'emportez sur tous ceux qui vous aiment ; vous nous aimez d'un amour qui ne se laisse vaincre par aucun autre amour. Le saint frère Alphonse Rodriguez, de la Compagnie de Jésus, se trouvant un jour au pied d'une image de Marie, se sentit tellement embrasé d'amour pour cette glorieuse Vierge, qu'il laissa échapper ces paroles : " Ma très aimable Mère, je sais que vous m'aimez ; mais vous ne m'aimez pas autant que je vous aime. " Alors Marie, comme blessée en son amour, lui répondit par cette image : " Que dis-tu, Alphonse ? que dis-tu ? oh ! combien mon amour pour toi l'emporte sur ton amour envers moi ! Il y a, sache-le bien, moins de distance entre le ciel et la terre, qu'entre mon amour et le tien ". Saint Bonaventure a donc raison de s'écrier : Heureux ceux qui aiment et servent fidèlement cette tendre Mère ! - Oui, heureux sont-ils, car cette Reine généreuse ne se laisse jamais vaincre en amour par ses dévots serviteurs : elle leur rend amour pour amour, dit un auteur, et, à ses faveurs passées, elle en ajoute toujours de nouvelles. Pareille en cela à Jésus, notre très aimant Rédempteur, elle leur paie au double, en les comblant de grâces, l'amour qu'ils ont pour elle. J'emprunterai donc ici les amoureux accents de saint Anselme et je m'écrierai comme lui : Que mon coeur brûle à jamais, que mon âme se consume tout entière pour vous, ô Jésus, mon bien-aimé Sauveur, et ma chère Mère Marie ! Et, puisque, sans votre grâce, je ne puis vous aimer, ô Jésus et Marie, faites, je vous en supplie par vos mérites, et non par les miens, faites que je vous aime autant que vous le méritez. O Dieu plein d'amour pour les hommes ! vous avez pu mourir pour vos ennemis, et vous pourriez refuser, à qui vous le demande, la grâce de vous aimer, vous et votre sainte Mère ? EXEMPLE Une pauvre jeune fille chargée de la garde d'un troupeau, aimait tendrement la Vierge Marie, raconte le père Auriemma ; tout son plaisir était de se rendre sur une montagne, à une petite chapelle de Notre-Dame ; tandis que ses brebis paissaient à l'entour, elle se retirait dans ce sanctuaire, s'y entretenait avec sa Mère chérie et lui offrait ses hommages. Voyant la petite statue de la sainte Vierge sans ornements, elle entreprit de lui faire un manteau du travail de ses mains ; et un jour, ayant cueuilli quelques fleurs dans la campagne, elle en composa une guirlande, monta ensuite sur l'autel, et la mit sur la tête de la statue, en disant : " Ma Mère ! je voudrais poser sur votre front une couronne d'or et de pierres ; mais, parce que je suis pauvre, recevez de moi cette pauvre couronne de fleurs, et acceptez-la en signe de l'amour que je vous porte ". Cette pieuse bergère ne cessait point de servir et d'honorer ainsi sa Dame bien-aimée. Voyons maintenant comment, de son côté, la bonne Mère récompensa les visites et l'affection de sa fille. Il arriva que deux religieux passant dans cette contrée, s'arrêtèrent sous un arbre pour se remettre des fatigues du voyage ; l'un s'endormit, pendant que l'autre veillait, et néanmoins tous deux eurent la même vision. Ils virent une troupe de vierges extrêmement belles, au milieu desquelles il s'en trouvait une qui surpassait toutes les autres en beauté et en majesté. L'un d'eux dit à celle-ci : " Auguste Dame, qui êtes-vous ? et où allez-vous par ce chemin ? - Je suis, répondit-elle, la Mère de Dieu ; je vais avec ces saintes vierges visiter, au hameau voisin, une jeune bergère qui est sur le point de mourir et qui m'a rendu visite bien des fois. " Cela dit, la vision disparut ; et aussitôt les deux serviteurs de Dieu s'écrièrent en même temps : " Allons aussi la voir ". Ils se mirent en chemin, et trouvèrent bientôt l'habitation où était la mourante ; c'était une pauvre chaumière, où, étant entrés, ils la virent couchée sur un peu de paille. Ils la saluèrent, et elle leur dit : " Mes frères, priez Dieu qu'il vous fasse voir la compagnie qui m'assiste ". Ils se mirent à genoux, et aperçurent Marie, qui se tenait à côté de la mourante, avec une couronne en main, et la consolait. Alors, les saintes qui formaient son cortège, se mirent à chanter : et à ces doux accents, l'âme bénie de la pauvre fille s'étant détachée de son corps, Marie lui posa la couronne sur la tête, et la conduisit avec elle en paradis. PRIÈRE O douce Souveraine, vous dirai-je avec saint Bonaventure ; vous qui, par les marques de votre amour et par vos bienfaits, ravissez les coeurs de ceux qui vous servent, ravissez aussi mon misérable coeur, qui désire vous aimer beaucoup. Quoi ! auguste Mère, par votre beauté, vous avez touché le coeur d'un Dieu, vous l'avez attiré du ciel dans votre sein ; et moi je vivrais sans vous aimer ? Non, certes ; et je dis avec un autre de vos enfants qui vous a tant aimée, le pieux Jean Berchmans : Je suis résolu de ne me donner aucun repos, jusqu'à ce que je sois sûr d'avoir obtenu un amour tendre et constant pour vous, ma Mère, qui m'avez si tendrement aimé, lors même que j'étais ingrat envers vous. Où en serais-je maintenant, ô Marie ! si vous ne m'aviez pas aimé et ne m'aviez pas obtenu tant de miséricordes ? Si donc vous m'avez tant aimé et favorisé quand je ne vous aimais pas, combien plus dois-je espérer de votre bonté maintenant que je vous aime ! Oui, je vous aime, ô ma Mère ! et je voudrais avoir un coeur capable de vous aimer pour tous les malheureux qui ne vous aiment point ; je voudrais avoir une langue capable de vous louer autant que mille langues, pour faire connaître à tout le monde votre grandeur, votre sainteté, votre miséricorde, et votre amour envers ceux qui vous aiment. Si j'avais des richesses, je voudrais les employer toutes à vous honorer ; si j'avais des sujets, je voudrais leur inspirer à tous votre amour ; je voudrais enfin sacrifier pour votre amour et votre gloire, s'il le fallait, ma vie même. Je vous aime donc, ô ma Mère ! mais, en même temps, hélas ! je crains de na pas vous aimer ; car j'entends dire que l'amour rend ceux qui aiment semblable à la personne aimée. Je dois donc croire que je vous aime bien peu, en me voyant si loin de vous ressembler ; vous si pure, et moi si souillé ! vous si humble, et moi si orgueuilleux ! vous si sainte, et moi si criminel ! Mais, ô Marie, c'est à vous de rémédier à mes maux ; montrez-moi votre amour en me rendant semblable à vous. Vous êtes assez puissante pour changer les coeurs ; prenez donc mon coeur et le changez ; faites voir au monde de quelle puissance vous disposez en faveur de ceux que vous aimez ; rendez-moi saint, faites que je sois votre digne enfant. Ainsi j'espère, ainsi soit-il. IV Marie est aussi la Mère des pécheurs repentants La bienheureuse Vierge n'est pas seulement la Mère des âmes justes et innocentes ; elle nourrit encore, comme elle le déclarait un jour à sainte Brigitte, des sentiments tout maternels pour les pécheurs, pour ceux du moins qui sont résolus de s'amender. Oh ! quand un pécheur veut changer de vie, vient se jeter aux pieds de Marie il trouve cette bonne et miséricordieuse Mère bien plus empressée à l'embrasser et à le secourir, qu'aucune mère selon la chair ! C'est ce qu'écrivait Grégoire VII à la comtesse Mathilde, qu'il engageait à en faire l'expérience. Ainsi, quiconque aspire à la dignité d'enfant de cette divine Mère, doit d'abord renoncer au péché ; après cela, il peut espérer d'être bien reçu par elle. Sur ces paroles des Proverbes, appliquées à la sainte Vierge : Ses enfants se sont levés, Richard de Saint-Laurent observe que le mot surrexerunt, "se sont levés", est placé dans le texte avant les mots filii ejus, "ses enfants", pour faire entendre qu'on ne peut être enfant de Marie, si l'on ne songe d'abord à sortir du péché. En effet, suivant la remarque de saint Pierre Chrysologue, ne pas marcher sur les traces de ses parents, c'est les renier ; et celui qui dans sa conduite se met en opposition avec Marie, celui-là déclare en fait qu'il ne veut pas être son enfant. Marie est humble, Marie est pure, Marie est charitable ; et lui, il est orgueilleux, il est adonné au vice, il hait son prochain : qu'est-ce à dire, sinon qu'il répudie le nom d'enfant d'une Mère si sainte ? - Les enfants de Marie, reprend Richard, sont ceux qui tâchent de lui ressembler par la pratique des vertus, spécialement de la chasteté, de l'humilité, de la douceur, de la charité. De quel front donc prétendrait-il à la qualité d'enfant de Marie, celui qui, par les désordres de sa vie, l'abreuve de déplaisirs ? Un pécheur la priait un jour et lui disait : " Montrez que vous êtes ma Mère. - Et toi, lui répondit-elle, montre que tu es mon fils " Un autre l'ayant invoquée en l'appelant Mère de miséricorde, elle lui dit : " Vous autres, pécheurs, quand vous voulez que je vous aide, vous m'appelez Mère de miséricorde ; et puis vous ne cessez, par vos péchés, de faire de moi une Mère de misère et de douleur ". Celui-là est maudit de Dieu, qui afflige sa Mère, dit le Sage. Quelle est cette mère, demande Richard, sinon Marie ? Ainsi Dieu maudit ceux qui par leur mauvaise vie, ou plutôt par leur obstination, contristent le coeur de cette bonne Mère. J'ai dit : " par leur obstination " ; car lorsqu'un pécheur, quoique non encore dégagé des liens du péché, s'efforce néanmoins d'en sortir, et réclame pour cela le secours de Marie, cette tendre Mère ne laisse pas de lui venir en aide et de le faire rentrer en grâce avec Dieu. C'est ce que Sainte Brigitte entendit un jour de la bouche de Jésus-Christ même ; il disait, en s'adressant à sa mère : Vous prêtez cotre appui à quiconque désire sincèrement revenir à Dieu, et jamais vous n'en laissez aucun sans consolation. Ainsi, quand le pécheur s'obstine, Marie ne peut l'aimer, mais si, se trouvant retenu dans l'esclavage de Satan par quelque passion violente, il se recommande du moins à la Sainte Vierge, et la prie avec confiance et persévérance de le retirer du péché, sans aucun doute cette bonne Mère étendra vers lui sa main puissante, elle brisera ses chaînes, et le remettra au chemin du salut. C'est une hérésie condamnée par le Concile de Trente, de prétendre que toutes les prières et toutes les oeuvres faites en état de péché, sont des péchés. Bien que difforme, faute d'être accompagnée de charité, la prière du pécheur ne laisse pas de lui être utile, dit Saint Bernard ; elle peut du moins l'aider à sortir du péché. C'est que, selon l'enseignement de saint Thomas, toute dénuée qu'elle est de mérite, elle conserve néanmoins la vertu de lui attirer la grâce du pardon ; parce que la force d'impétration de la prière ne lui vient pas des mérites de celui qui pries, mais de la bonté divine et des mérites et des promesses de Jésus-Christ, qui nous a dit : Quiconque demande, reçoit. Il n'en est pas autrement des prières adressées à la Mère de Dieu. Si celui qui prie ne mérite pas d'être exaucé, il le sera néanmoins, en vertu des mérites de Marie à qui il se recommande. Aussi, saint Bernard exhorte tous les pécheurs à prier Marie, et à le faire avec une grande confiance ; le pécheur est, à la vérité, indigne d'être exaucé dit-il ; mais les mérites de Marie lui ont valu le privilège d'obtenir aux pécheurs toutes les grâces qu'elle sollicite de Dieu en leur faveur. Et en cela, ajoute le même saint, elle ne fait que s'acquitter du devoir d'une bonne mère : une mère qui saurait ses deux fils divisés par une haine mortelle, au point d'en vouloir aux jours l'un de l'autre, pourrait-elle faire moins de mettre tout en oeuvre pour les réconcilier ? Eh bien ! Marie est la Mère de Jésus et la Mère de l'homme ; quand elle voit l'homme devenu par le péché l'ennemi de Jésus-Christ, elle ne sait le souffrir, elle ne néglige rien en vue de rétablir la paix entre eux. Tout ce que cette Reine très clémente exige du pécheur, c'est qu'il se recommande à elle et ait l'intention de se corriger. Lorsqu'elle voit à ses pieds un coupable qui implore sa miséricorde, elle ne regarde pas aux péchés dont il est chargé, mais seulement à l'intention qui l'amène : eût-il commis tous les péchés du monde, pourvu qu'il vienne avec une bonne volonté, cette tendre Mère ne dédaigne pas de l'embrasser et de guérit toutes les plaies de son âme ; car, non contente de porter le titre de Mère de miséricorde, elle prétend l'être en effet, et elle se montre telle par l'amour plein de tendresse qu'elle déploie en faveur des misérables. Tout cela a été dit expressément à sainte Brigitte par la Bienheurese Vierge elle-même en ces termes : " Si coupable que soit un homme, s'il revient à moi touché d'un vrai repentir, je suis prête à l'accueillir sans retard ; et je ne refuse point d'appliquer le remède à ses plaies et de les guérir, car je m'appelle et je suis réellement la Mère de miséricorde. " Marie est la Mère des pécheurs qui veulent se convertir, et elle ne peut s'empêcher de s'apitoyer sur eux ; elle semble même ressentir, comme s'ils lui étaient propres, les maux des ses propres enfants. Lorsque la Chananéenne vint supplier le Sauveur de délivrer sa fille, elle lui dit : Ayez pitié de moi, Seigneur, Fils de David, ma fille est cruellement tourmentée par le démon. - Mais puisque que ce n'était pas elle, mais sa fille, qui était en proie aux tourments, ne semble-t-il pas qu'elle dût dire, non pas : " Ayez pitié de moi ", mais plutôt : " Ayez pitié de ma fille " ? - Oh ! non, c'est avec raison qu'elle a dit : Ayez pitié de moi, parce que toutes les douleurs des enfants sont ressenties par leurs mère comme des douleurs personnelles. Et voilà précisément, assure Richard de Saint-Laurent, comment parle Marie, quand, invoquée par un pécheur, elle le recommande à Dieu : Seigneur, semble-t-elle lui dire, cette pauvre âme en état de péché est mon enfant ; ayez donc pitié, non pas tant d'elle que de moi, qui suis sa Mère. Ah ! plût à Dieu que tous les pécheurs eussent recours à cette douce Mère ! assurément tous obtiendraient le pardon. - O Marie, s'écrie tout émerveillé saint Bonaventure, vous recevez dans vos bras maternels le pécheur méprisé de tout le monde, et vous ne l'abandonnez point que vous ne l'ayez réconcilié avec son Juge. La pensée du saint est que l'homme en état de péché est haï et repoussé de tous les êtres ; il ne l'est pas jusqu'aux créatures inanimées, le feu, l'air, la terre, qui ne voulussent le châtier et venger sur lui l'honneur de leur Maître outragé. Mais, si ce malheureux a recours à Marie, le repossera-t-elle ainsi ? Non, certes ; s'il vient dans le but d'être aidé à se corriger, elle l'embrasse avec la tendresse d'une mère, et fait si bien, par sa puissante intercession, qu'elle le remet dans la grâce de Dieu. Le second livre des Rois nous a conservé le discours adressé à David par le sage Thécuite : " Seigneur, j'avais deux fils ; pour mon malheur, l'un des deux a tué l'autre, en sorte que j'ai déjà perdu un de mes fils ; or, la justice veut maintenant m'enlever mon autre fils, le seul qui me reste. Ayez pitié d'une pauvre mère ; faites que je ne demeure pas privée à la fois de mes deux enfants ". - David eut compassion de cette mère affligée, et lui accorda la grâce du coupable. Tel est, ce semble, le langage que Marie tient à Dieu, quand elle le voit irrité contre un pécheur qui se recommande à elle : Mon Dieu, lui dit-elle, j'avais deux fils, Jésus et l'homme ; l'homme a fait mourir mon Jésus sur la croix, et maintenant votre justice veut condamner l'homme. Seigneur, mon Jésus est mort, ayez compassion de moi ; et, si j'ai perdu l'un de mes fils, ne me faites pas perdre encore l'autre. Oh ! non, assurément, Dieu ne condamne pas les pécheurs qui recourent à Marie, et pour qui elle intercède, puisqu'il l'a lui-même chargée de veiller sur eux comme sur ses enfants. Voici comment le dévot Lansperge fait parler le Seigneur : J'ai recommandé les pécheurs à Marie en les lui donnant pour enfants ; aussi, dans sa sollicitude à remplir son devoir de Mère, elle ne veut pas qu'aucun de ceux qui lui sont confiés, surtout s'ils l'invoquent, vienne à périr, et elle s'efforce autant qu'il est en elle, de me les ramener tous. - Et Louis de Blois dit à son tour : Il n'est pas de termes pour exprimer la bonté, la miséricorde, la fidélité et la charité avec lesquelles notre Mère Marie cherche à nous sauver, quand nous l'appelons à notre secours. Prosternons-nous donc devant cette bonne Mère conclut saint Bernard, embrassons ses pieds sacrés, et ne la quittons pas qu'elle ne nous ait bénis et acceptés pour ses enfants. Et qui pourrait douter de sa tendresse maternelle ? Quand même elle me donnerait la mort, dit un auteur, je ne cesserais point d'espérer en elle ; plein de cette confiance, je désire mourir auprès de son image, car, si j'ai ce bonheur, je serai sauvé. Tout pécheur qui recourt à cette Mère compatissante, doit donc lui dire aussi : Ma Souveraine et ma Mère, je suis un pécheur, je mérite que vous me chassiez de votre présence et me traitiez en toute rigueur de justice ; néanmoins, quand même vous me rebuteriez, quand même vous me donneriez la mort, je ne cesserai jamais d'avoir la confiance que vous me sauverez. Oui, je mets toute ma confiance en vous ; que j'aie seulement le bonheur de mourir devant une de vos images, en me recommandant à votre miséricorde, et je suis assuré de ne point me perdre, mais d'aller vous louer dans le ciel en compagnie de vos nombreux serviteurs, qui, vous ayant invoquée au moment de la mort, on tous été sauvés par votre puissante intercession. En lisant l'exemple suivant, on verra si jamais aucun pécheur peut douter de la miséricorde et de la tendresse maternelle de Marie, lorsqu'il réclame sa protection : EXEMPLE Vincent de Beauvais raconte que, dans une ville d'Angleterre, un jeune homme de sang noble, nommé Ernest, avait donné aux pauvres tout son patrimoine, et était entré dans un monastère, où il avait bientôt conquis l'estime de ses supérieurs par une vie très parfaite et spécialement par sa grande dévotion à la Sainte Vierge. Survint une peste qui obligea les habitants de la ville à s'adresser aux moines et à réclamer le secours de leurs prières. L'abbé commanda à Ernest d'aller se mettre en prières devant l'autel de Marie, et de ne pas se retirer que la Reine du ciel ne lui eût donné une réponse. Au bout de trois jours, Marie lui indiqua certaines prières que l'on devait réciter ; on le fit, et le fléau cessa. Or, il advint qu'Ernest s'étant ensuite refroidi dans sa dévotion à Notre-Dame, se vit assailli de fréquentes tentations, principalement contre la pureté ; le démon lui suggéra même l'idée de sortir du monastère ; et, faute de s'être recommandé à Marie, le malheureux en vint à former le projet de s'enfuir en escaladant le mur de clôture. Comme donc il passait dans un corridor vis-à-vis d'une image de Marie, il entendit la Mère de Dieu qui lui disait : " Mon fils, pourquoi me quittes-tu ? " A ces mots, Ernest, interdit et confus, tomba par terre et répondit : " Mais Vierge sainte, ne voyez-vous pas que je ne puis plus résister ? pourquoi ne venez-vous pas à mon secours ? " La bonne Mère reprit : " Et toi, pourquoi ne m'as-tu pas invoquée ? Si tu n'avais pas négligé de te recommander à moi, tu n'en serais pas venu là. A l'avenir, invoque-moi dans le péril, et ne crains rien. ". Le jeune homme retourna à sa cellule ; mais, les tentations revenant à la charge, il négligea, comme par le passé de se recommander à Marie, et il finit par s'enfuir du couvent. Dès lors, il se livra à une vie criminelle, et, de péché en péché, il en vint jusqu'à louer une auberge pour y assassiner de nuit les voyageurs et s'emparer de leurs dépouilles. Il égorgea ainsi entre autres le cousin du gouverneur de l'endroit. Celui-ci lui fit son procès et, sur les indices qu'il put recueillir, il le condamna à la potence. Mais, pendant que le procès s'instruisait, arriva à l'auberge un jeune cavalier, et aussitôt le scélérat de songer à le traiter, comme d'ordinaire il traitait ses hôtes. Il entre la nuit dans la chambre de l'étranger pour l'assassiner, et que voit-il ? Au lieu du cavalier, il voit sur le lit un crucifix tout couvert de plaies, qui, le regardant avec bonté, lui dit : " Ne te suffit-il pas, ingrat, que je sois mort une fois pour toi ? veux-tu de nouveau m'oter la vie ? eh bien ! lève le bras, et tue-moi ! ". Tout hors de lui-même, à cette vue, Ernest fond en larmes : " Seigneur, s'écrie-t-il en sanglotant, je me rends à vous ; puisque vous daignez me faire miséricorde, je veux me convertir. " Il quitte aussitôt l'auberge et se dirige vers son monastère pour y faire pénitence ; mais, rencontré en chemin par les ministres de la justice, il est saisi et mené au juge ; il avoue tous ses forfaits ; on le condamne à la corde, on ne lui donne pas même le temps de se confesser. Pendant qu'on le traînait au supplice, il se recommanda à Marie ; elle lui conserva la vie, le détacha elle-même de la potence et lui dit : " Retournes au couvent, fait pénitence ; et, quand tu me verras à la main la sentence du pardon de tes péchés, prépare-toi à la mort :. Ernest rentra au monastère, raconta le tout à l'abbé, et fit une rigoureuse pénitence. Plusieurs années après, il vit Marie tenant à la main l'acte de son pardon ; aussitôt, il se prépara à la mort, et il mourut saintement. PRIÈRE O ma Souveraine, digne Mère de mon Dieu, très sainte Vierge, en me voyant si méprisable et si souillé, je ne devrais pas oser m'approcher de vous et vous appeler ma Mère ; mais je ne veux pas que mes misère me privent de la consolation et de la confiance dont je suis pénétré en vous donnant ce doux nom. J'ai mérité, il est vrai, que vous me repoussiez ; mais je vous prie de considérer ce qu'a fait et souffert pour moi votre divin Fils, Jésus ; et puis, repoussez-moi si vous le pouvez. Je suis un misérable pécheur ; plus que les autres, j'ai outragé la Majesté divine ; mais le mal est fait ; j'ai recours à vous, vous pouvez me secourir ; ô ma Mère, venez à mon aide. Ne me dites pas que vous ne pouvez m'aider ; car je sais que vous êtes toute-puissante, vous obtenez de votre Dieu tout ce que vous désirez. Et si vous me répondez que vous ne voulez pas me secourir, dites-moi du moins à qui je dois m'adresser pour être soulagé dans mon excessive détresse. Souffrez qu'avec saint Anselme, je vous dise, à vous et à votre divin Fils : Ou bien ayez pitié de moi, vous mon Rédempteur, en me pardonnant et vous ma Mère, en intercédant pour moi ; ou apprenez-moi à qui je dois recourir, montrez-moi en qui je puis trouver plus de miséricorde et avoir plus de confiance. Ah ! certes, je ne saurais trouver personne, ni sur la terre, ni dans le ciel, qui ait plus que vous compassion des malheureux, et qui puisse mieux me secourir. Vous, Jésus, vous êtes mon Père ; et vous, Marie, vous êtes ma Mère. Vous aimez jusqu'aux plus misérables, et vous allez les chercher pour les sauver. Je suis un coupable digne de l'enfer, le plus misérable de tous les pécheurs ; mais vous n'avez pas besoin d'aller me chercher, et je ne prétends pas que vous le fassiez : je me présente à vous dans la ferme espérance que vous ne m'abandonnerez pas. Me voici à vos pieds : mon Jésus, pardonnez-moi ; Marie, ma Mère, secourez-moi.
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