- I -
Jésus crucifié est notre ressource dans tous nos besoins
"Tout notre salut, dit saint Pierre, est en Jésus-Christ: (Ac 4, 12). C'est lui qui, par le moyen de la croix, où il a sacrifié sa vie pour nous, nous a ouvert la voie pour espérer de Dieu tous les biens, si nous sommes fidèles à ses préceptes.
Écoutons ce que dit de la croix saint Jean Chrysostome: "La croix (ou Jésus crucifié) est l'espérance des chrétiens, l'appui des boiteux, la consolation des pauvres, la ruine de l'orgueil, la victoire sur les démons, l'école des commençants, le guide des navigateurs, le port ouvert, le conseiller des justes, le repos des affligés, le remède des malades, la gloire des martyrs." Chacune de ces appellations mérite un bref commentaire.
L'espérance des chrétiens. Sans Jésus-Christ, nous n'aurions aucun espoir de salut.
L'appui des boiteux. Dans notre état présent, qui est un état de dégradation, nous sommes tous spirituellement boiteux; nous n'avons d'autre force pour marcher dans la voie du salut que celle que nous recevons de la grâce de Jésus-Christ.
La consolation des pauvres. Comment un chrétien ne se dirait-il pas pauvre? Tout ce que nous avons, nous le devons à la charité de Jésus-Christ.
La ruine de l'orgueil. Les disciples de Jésus crucifié ne sauraient être orgueilleux en voyant leur divin Maître mourir sur la croix comme un malfaiteur.
La victoire sur les démons. Le seul signe de la croix suffit pour mettre les démons en fuite.
L'école des commençants. Quels beaux enseignements la croix donne à ceux qui commencent à marcher dans les voies de Dieu!
Le guide des navigateurs. Oh! comme la croix nous dirige bien au milieu des tempêtes de la vie présente.
Le port ouvert. Tous ceux que les tentations ou de violentes passions mettent en danger de se perdre trouvent un abri sûr au pied de la croix.
Le conseiller des justes. Que de salutaires conseils ne puise-t-on pas dans la croix, c'est-à-dire dans les tribulations qu'on éprouve durant la vie!
Le repos des affligés. Où les personnes affligées trouvent-elles plus de consolation qu'au pied de la croix, sur laquelle elles voient un Dieu qui souffre pour leur amour?
Le remède des malades. Ceux qui embrassent la croix dans les maladies sont bientôt guéris de toutes les plaies de leur âme.
La gloire des Martyrs. Ce qui fait surtout la gloire des Martyrs, c'est de ressembler à Jésus crucifié, Roi des Martyrs.
En un mot, toutes nos espérances sont dans les mérites de Jésus-Christ. Paraphrasant à peine l'Apôtre (Ph 4, 12-13), on peut dire: Instruit par le Seigneur, je sais comment je dois me conduire en toutes circonstances. Quand Dieu m'humilie, je sais me résigner à sa volonté, et quand il m'élève, je sais lui en rendre tout l'honneur. S'il me fait jouir de l'abondance, je sais le remercier, et s'il me fait souffrir de la pénurie, je le bénis encore; mais je n'agis pas ainsi pas ma propre vertu, c'est l'effet de la grâce que Dieu me donne. Celui qui se défie de lui-même et se confie en Jésus-Christ acquiert par son secours une force invincible.
Le Seigneur rend tout-puissants ceux qui mettent en lui leur confiance. Ainsi parle saint Bernard, et il ajoute qu'une âme qui ne présume point de ses propres forces, mais qui est fortifiés par Jésus-Christ, pourra devenir tellement maîtresse d'elle-même qu'elle ne se laissera dominer par aucun péché. Il en conclut que, si quelqu'un s'appuie sur Jésus-Christ, il n'y a ni violence, ni fraude, ni plaisir qui puisse l'abattre.
L'Apôtre ayant prié Dieu par trois fois de le délivrer d'une épreuve qui le tenaillait, le Seigneur lui répondit que sa grâce le suffisait, et que la vertu se perfectionne dans la faiblesse (2 Co 12, 7-9). Mais, comment se fait-il que la vertu se perfectionne dans la faiblesse? Saint Thomas nous l'explique avec saint Jean Chrysostome: Plus nous sommes faibles et enclins au mal, plus Dieu nous communique de force, dès que nous recourons à lui avec confiance. C'est pourquoi l'Apôtre ajoute immédiatement: "Je me glorifierai donc volontiers de mes faiblesses, puisque ainsi la vertu de Jésus-Christ s'établira mieux en moi." Et il continue: "Je me plais conséquemment dans mes faiblesses, souffrant avec joie, pour Jésus-Christ, les injures, la pauvreté, les persécutions, les angoisses; car plus je me trouve faible, plus je me confie en lui, et j'en deviens d'autant plus fort." (2 Co 12, 9-10).
Saint Paul dit encore que la croix paraît une folie à ceux qui suivent la voie de la perdition, mais que pour nous, qui marchons dans la voie du salut, c'est la force de Dieu (1 Co 1, 18). Par ces paroles, il nous engage à ne pas imiter les mondains, qui mettent leur confiance dans les richesses, ou dans les parents et leurs amis, et qui regardent comme insensés les saints, qui font peu de cas des appuis terrestres. Au contraire, imitons ces derniers en plaçanmt comme eux toutes nos espérances dans l'amour de la croix, c'est-à-dire de Jésus crucifié, qui procure tous les biens à quiconque se confie en lui.
Il faut remarquer ici que la puissance du monde diffère entièrement de celle de Dieu: celle-là s'acquiert par les richesses et les honneurs, tandis que celle-ci s'obtient par l'humilité et la patience. Ce qui fait dire à saint Augustin que notre force est dans la connaissance de notre faiblesse et dans l'humble aveu de notre misère. Et, selon saint Jérôme, toute la perfection de la vie présente consiste à reconnaître ses imperfections. En effet, dès que nous nous reconnaissons imparfaits comme nous le sommes, nous défiant alors de nos propres forces, nous nous abandonnons entre les bras de Dieu, qui protège et sauve ceux qui se confient en lui, comme en témoigne le Psalmiste (Ps 17, 31 et 16, 7). Celui qui met sa confiance dans le Seigneur, ajoute-til, devient fort comme une montagne; tous les efforts de ses ennemis ne sauraient l'ébranler (Ps 124, 1). De là, saint Augustin nous donne cet avie que, dans les tentations, lorsque nous sommes en danger de pécher, nous devons recourir à Jésus-Christ et nous appuyer entièrement sur lui; loin de se retirer et de nous laisser tomber, il nous tiendra dans ses bras et remédiera à notre faiblesse.
En prenant sur lui les misères de notre humanité, Jésus-Christ nous a mérité une force qui surpasse notre faiblesse; car, ayant été lui-même tenté, dit l'Écriture, il peut nous secourir dans les tentations (He 2, 18). Comment cela? c'est que notre Sauveur, après avoir éprouvé les tentations, en est plus porté à compatir à nos maux et à nous aider lorsque nous sommes tentés. Cette explication nous est donnés dans un autre passage du même texte: "Nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout d'une manière semblable, à l'exception du péché" (He 4, 15). L'auteur nous exhorte conséquemment à recourir avec confiance au trône de la grâce, c'est-à-dire à la croix, pour recevoir du Sauveur, qui y est attaché pour nous, les secours dont nous avons besoin (HE 4, 16).
L'Évangile atteste que Jésus-Christ, dans le jardin de Gethsémani, la nuit qui précéda sa mort, fut en proie à la crainte, à l'ennui, à la tristesse (Mc 14, 33; Mt 26, 37). En se soummettant à ces peines, notre Sauveur nous a mérité le courage de résister aux menaces de ceux qui veulent nous pervertir, la vigueur nécessaire pour surmonter l'ennui que nous éprouvons dans l'oraison, dans les mortifications, et dans les autres exercices de piété, et la force de souffrir en paix la tristesse qui nous afflige dans les adversités.
Nous savons en outre que, dans cette même circonstance, à la vue des douleurs et de la mort désolée qu'on lui préparait, il voulut bien éprouver, dans son humanité, une telle faiblesse qu'il dit à ses disciples: "L'esprit est prompt, mais la chair est faible" (Mt 26, 41) et qu'il alla jusqu'à prier Dieu son Père d'éloigner de lui cet horrible supplice. Mais il ajouta aussitôt: "Néanmoins, non comme je veux, mais comme vous voulez" (Mt 26, 42). Durant tout le temps de sa pénible oraison dans le jardin des Olives, il ne fit que répéter la même prière. Ce Fiat nous mérita et nous obtint la résignation dans tout ce qui nous arrive de contraire, et valut aux Martyrs et aux Confesseurs de la foi la force de résister à toutes les persécutions et à toute la cruauté des tyrans, comme l'enseigne saint Léon.
De même, par l'hooreur qu'il eut alors de nos péchés, et qui lui cause une si dure agonie (Lc 22,43), Jésus nous a mérité la grâce de la contrition. Par l'abandon qu'il souffrit ensuite sur la croix, de la part de son Père, il nous a mérité la grâce de ne pas nous décourager dans les désolations et les obscurités spirituelles. En inclinant la tête, au moment d'expirer sur ce gibet pour obéir à la volonté de son Père (Ph 2, 8), il nous a mérité toutes les victoires que nous obtenons contre les passions et les tentations, ainsi que la patience dans les maux de cette vie, et principalement dans les douleurs et les angoisses qui accompagnent la mort. En un mot, dit saint Léon, Jésus-Christ est venu prendre sur lui nos infirmités et nos misères, pour nous communiquer sa vertu et sa constance.
L'Écriture nous assure que le Fils de Dieu a appris l'obéissance par tout ce qu'il a souffert (He 5, 8). Cela ne signifie pas que Jésus-Christ ait appris dans sa passion ce que c'est que la vertu d'obéissance, comme s'il l'eût ignoré auparavant; mais on entend par là, suivant l'explication de saint Anselme, que Notre-Seigneur, outre la connaissance qu'il en avait déjà, apprit par expérience, dans sa passion, combien était douloureuse la mort qu'il devait souffrir pour obéir à son père. Il éprouva aussi alors combien est grand le mérite de l'obéissance, puisque, par elle, il obtint pour lui-même le plus haut degré de gloire, qui est d'être assis à la droite de son Père, et pour nous le salut éternel. C'est pourquoi l'auteur sacré ajoute qu'ayant exercé une obéissance parfaite, en endurant patiemment tout ce qu'il eut à souffrir dans sa passion, Jésus-Christ a mérité la grâce du salut à tous ceux qui se montrent obéissants envers lui, en supportant avec patience les maux de la vie présente (He 5, 9).
C'est cette patience du divin Sauveur qui a procuré aux Saints Martyrs le courage et la force d'embrasser avec patience les tourments les plus atroces que la cruauté des tyrans ait pu inventer, et non seulement avec patience, mais avec joie et avec le désir de souffrir encore davantage pour l'amour de Jésus-Christ. Qu'on lise la célèbre lettre que saint Ignace Martyr, condamné aux bêtes, écrivit aux Romains avant d'arriver au lieu de son supplice: "Mes enfants, leur dit-il, je suis le froment de Dieu; laissez-moi broyer par les dents des bêtes féroces, afin que je devienne un pain agréable à mon Rédempteur. Je ne cherche que celui qui est mort pour nous. Permettez que j'imite la passion de mon Dieu. Il est l'unique objet de mon amour, il a été crucifié pour moi; l'amour que je lui porte, me fait désirer d'être crucifié pour lui". Saint Léon dit du martyr saint Laurent, que le feu qui brûlait son corps sur le gril était moins ardent que celui dont son âme était embrasée. Eusèbe et Pallade rapportent de sainte Potamiène, vierge d'Alexandrie, qu'étant condamnée à être jetée dans une chaudiède de poix bouillante, et désirant souffrir davantage pour l'amour de son Époux crucifié, elle pria le tyran de l'y faire descendre peu à peu, afin que sa mort fût plus douloureuse. Elle obtint ce qu'elle demandait: on commença par lui plonger les pieds dans la poix, de sorte que son tourment dura trois heures; elle n'expira que lorsque la poix lui fut arrivée au cou. Telles sont la patience et la force que les Martyrs reçrent de la passion de Jésus-Christ.
Plein de ce courage que Jésus crucifié inspire à ceux dont il est aimé, saint Paul s'écriait qu'aucune pein, aucune privation, aucun danger, aucun supplice, n'était capable de le séparer de l'amour de Jésus-Christ (Rm 8, 35). Il espérait triompher de tout par la grâce et pour l'amour de son divin Maître (Rm 8, 37). L'amour des Martyrs envers Jésus-Christ était invincible, parce qu'il recevait sa force de celui qui ne saurait être vaincu. Et ne pensons pas qu'un miracle les ait rendus insensibles aux tourments, ni que les consolations célestes aient absorbé la douleur qu'ils éprouvaient; cela a pu arriver quelquefois, mais d'ordinaire ils sentaient très bien leurs douleurs; on en voyait qui, par faiblesse, cédaient à la violence des tortures. Quant à ceux qui avaient la constance de résister jusqu'à la fin, c'est Dieu qui leur donnait la patience et la force nécessaire pour tout souffrir.
Le premier objet de notre espérance est la félicité éternelle, c'est-à-dire la jouissance de Dieu, comme l'enseigne saint Thomas. Quant aux moyens d'arriver à cette suprême béatitude, tels que le pardon des péchés commis, la persévérance finale dans la grâce de Dieu et la bonne mort, nous devons tout attendre des mérites et du secours de Jésus-Christ, sans compter sur nos propres forces ni sur nos bonnes résolutions. Ainsi, pour que notre confiance soit ferme, nous devons avoir la certitude infaillible que nous ne pouvons obtenir ces moyens de salut que par les mérites de notre Sauveur, et que nous en pouvons tout espérer.
- II -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir le pardon de nos péchés
Nous savons que c'est pour procurer aux pécheurs le pardon et le salut que le Fils de Dieu est venu sur la terre, comme il l'a déclaré lui-même (Mt 18, 11). Et lorsque saint Jean-Baptiste annonça aux Juifs la présence du Messie qu'ils attendaient, il s'exprima ainsi, en le montrant: "Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde" (Jn 1, 29). Il dit l'Agneau, avec l'article défini, d'après le texte grec; c'est donc comme si le saint Précurseur eût parlé de cette manière: Voici l'Agneau divin prédit par Isaïe (Is 53, 7) et par Jérémie (Jr 11, 19). Voici l'Agneau préfiguré par Moïse dans l'agneau pascal, ainsi que dans le sacrifice de l'agneau qu'on offrait à Dieu chaque matin, suivant la Loi, et dans plusieurs autres qui se faisaient le soir pour les péchés. Mais tous ces agneaux ne pouvaient abolir un seul péché; ils ne servaient qu'à représenter le sacrifice de l'Agneau divin, qui devait laver nos âmes de son sang, et les délivrer par ce moyen, tant de la tache du péché que de la peine éternelle encourue par le péché, notre Sauveur prenant sur lui la charge de satisfaire pour nous à la justice de Dieu par sa mort, selon ce qu'Isaïe a prédit: "Le Seigneur a fait retomber sur lui les crimes de nous tous" (Is 53, 6). C'est ce qui fait dire à saint Cyrille: Jésus-Christ a voulu se dévouer à la mort, pour gagner à Dieu tous les hommes qui étaient perdus.
Combien donc ne sommes-nous pas obligés envers ce généreux Rédempteur! Si, au moment où un condamné à mort est conduit au supplice, la corde au cou, un ami venait le délivrer en prenant sur lui la corde fatale pour mourir à sa place, quel droit cet ami n'aurait-il pas à sa reconnaissance et à son amour! Eh bien! voilà ce que Jésus a fait pour nous; il est mort sur la croix pour nous délivrer de la mort éternelle.
Notre-Seigneur, dit saint Pierre, s'est chargé de tous nos péchés et les a portés sur la croix, pour les expier par sa mort, nous en obtenir le pardon, et nous rendre ainsi la vie que nous avions perdue (1 P2, 24). Qu'y-a-t-il de plus admirable, s'écrie saint Bonaventure, que de voir les plaies de l'un guérir les plaies des autres, et la mort d'un seul rappeler à la vie tous ceux qui étaient morts? Saint Paul dit que, des pécheurs que nous étions, odieux et abominbles, Dieu nous a rendus, par Jésus-Christ, agréables et aimables à ses yeux; car, par les mérites de son sang, il nous a remis nos péchés, et nous a communiqué surabondamment les richesses de sa grâce (Ep 1, 6). Tel fut l'effet du pacte de Jésus-Christ avec son Père: le Seigneur nous a pardonné nos fautes et nous a reçus dans son amitié, en considération des souffrances et de la mort de son Fils bien-aimé.
C'est dans ce sens que l'Écriture appelle Jésus-Christ Médiateur du Nouveau Testament (He 9, 15). Dans nos Saints Livres, le mot Testament se prend en deux sens: celui de pacte, ou d'accord entre deux parties qui étaient en opposition, et celui de promesse, ou de disposition de dernière volonté, par laquelle on transmet son bien à des héritiers, disposition qui ne devient irrévocable que par la mort du testateur. Nous parlerons plus loin, à la section IV de ce chapitre, du Testament considéré comme promesse. Ici, il ne s'agit que du Testament considéré comme pacte, tel que l'entend l'Écriture lorsqu'elle dit que Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau Testament.
Le péché avait rendu l'homme débiteur envers la Justice divine et ennemi de Dieu. Le Fils de Dieu vint sur la terre, se revêtit de la chair humaine, et, dès qu'il fut tout à la fois Dieu et Homme, se fit Médiateur entre l'homme et Dieu, agissant comme Dieu et comme Homme. Afin de rétablir la paix entre eux, en obtenant pour l'homme la grâce de Dieu, il offrit de payer à la justice de Dieu, au prix de son sang et de sa mort, la dette de l'homme. Cette merveilleuse réconciliation avait été figurée d'avance, sous l'Ancien Testament, dans tous les sacrifices qui se faisaient alors, et dans tous les symboles que Dieu avait ordonnés, tels que le tabernacle, l'autel, le voile, le chandelier d'or, l'encensoir, et l'arche qui renfermait le rameau d'Aaron et les tables de la Loi. Tous ces objets étauient des signes et des figures de la rédemption promise. Comme cette rédemption devait s'accomplir par le sang de Jésus-Christ, Dieu avait prescrit que le sang des animaux, représentant celui de l'Agneau divin, fût versé dans tous les sacrifices, et que tous les objets symboliques que nous venons de mentionner fussent arrosés de ce sang (He 9, 18).
Le premier Testament, c'est-à-dire l'alliance, le pacte, ou la médiation, qui se fit dans l'Ancienne Loi, et qui représentait la médiation de Jésus-Christ dans la Loi Nouvelle, fut scellé par le sang des veaux et des boucs, que Moïse prit avec de la laine rouge et de l'hysipe (He 9, 19). La laine rouge était aussi une figure de notre Sauveur: comme la laine est naturellement blanche, et qu'elle ne devient rouge que par la teinture, de même Jésus, blanc par sa nature et par son innocence, parut tout rougi de son sang sur la croix, où il fut supplicié comme un malfaiteur. Ainsi s'est vérifié ce que l'Épouse des Cantiques disait de lui: "Mon Bien-Aimé éclate par sa blancheur et par sa rougeur" (Ct 5, 10). L'hysope, qui est une piante basse, marquait l'humilité de Jésus-Christ.
Le texte continue en ces termes: "Moïse ayant pris du sang des victimes, en jeta sur le livre où l'alliance était écrite, et sur tout le peuple, en disant: "C'est le sang su Testament que Dieu a fait pour vous. Il jeta encore du sang sur le tabernacle et sur tous les vases sacrés. Enfin, selon la Loi, presque tout se purifie avec le sang et les péchés ne sont pas remis sans effusion de sang. (He 9, 19-22), En parlant ainsi aux Hébreux, l'auteur sacré a voulu répéter plusieurs fois le mot de sang, afin d'imprimer dans l'esprit et dans le coeur de tous les hommes que, sans le sang de Jésus-Christ, il n'y aurait aucun espoir de pardon. Et comme, sous l'Ancienne Loi, le sang des victimes purifiait les Hébreux de la tache extérieure des fautes qu'ils commettaient contre la Loi, et leur remettait la peine temporelle que la Loi imposait, de même, sous la Loi Nouvelle, le sang de Jésus-Christ nous lave de la tache intérieure de nos péchés, suivant l'expression de saint Jean (Ap 4, 5), et il nous délivre de la peine éternelle de l'enfer.
Dans le présent contexte, il convient de reprendre ce qui a été dit plus haut, au Chapitre VII, section II. Le Pontife de l'Ancienne Loi entrait par le tabernacle dans le Saint des Saints et, au moyen de l'aspersion du sang des animaux, il purgeait les délinquants de la tache extérieure qu'ils avaient contractée et de la peine temporelle seulement. Pour obtenir la rémission de la coulpe et de la peine éternelle, il était absolument nécessaire aux Hébreux d'avoir la contrition avec la foi et l'espérance dans le Messie futur, qui devait mourir pour procurer aux hommes le pardon de leurs péchés; mais Jésus- Christ, le Pontife de la Loi Nouvelle, par un tabernacle plus grand et plus parfait, c'est-à-dire par son corps adorable, offert en sacrifice sur la croix, est entré dans le sanctuaire du ciel, qui nous était fermé et qu'il nous a ouvert par la rédemption.
Ensuite, pour porter à espérer le pardon de toutes nos fautes, en mettant notre confiance dans les mérites de notre Sauveur, le texte ajoute que, si le sang des animaux offerts en sacrifice avait la vertu d'ôter les souillures légales, à bien plus forte raison le sang de Jésus-Christ, qui s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, doit purifier notre conscience des oeuvres mortes et nous rendre capables de servir Dieu comme il convient. Notre divin Rédempteur s'est offert lui-même à Dieu, pur de toute tache, sans aucune ombre de faute; autrement, il n'eût pas été un digne médiateur, propre à réconcilier Dieu avec l'homme pécheur, et son sang n'eût pas eu la vertu de purifier notre conscience des oeuvres mortes, c'est-à-dire des péchés, qui sont des oeuvres mortes, ou sans mérites, et des oeuvres de mort, dignes des peines éternelles. Le Seigneur ne nous pardonne qu'à la condition que nous emploierons le reste de notre vie à le servir et à l'aimer.
Voilà pourquoi, conclut notre passage de la Lettre aux Hébreux, Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau Testament. Ainsi, notre Rédempteur, poussé par l'amour immense qu'il nous portait, a voulu nous racheter de la mort éternelle au prix de son sang; c'est par ce moyen qu'il nous a obtenu de Dieu le pardon de nos péchés, sa grâce en cette vie, et l'éternelle félicité en l'autre, si nous le servons fidèlement jusqu'à la mort. Tel fut le Testament, médiation ou pacte, entre Jésus-Christ et Dieu son Père, en vertu duquel le pardon et le salut nous furent promis. (Cf. He 9 passim.)
Cette promesse du pardon qui devait nous être accordé en considération des mérites du sang de Jésus-Christ, nous a été confirmée par notre Sauveur lui-même, la veille de la mort lorsqu'il dit en instituant le sacrement de l'Eucharistie: "Ceci est mon Sang, le Sang de la Nouvelle Alliance, qui sera répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés" (Mt 26, 28). Par le mot "répandu", il annonçait que son sacrifice était prochain, et qu'il devait y laisser son sang, non en partie, mais entièrement, pour expier nos péchés et nous en obtenir le pardon. Notre-Seigneur a voulu encuite que ce divin sacrifice se renouvelât tous les jours, à chaque Messe qui serait célébrée, afin que son sang intercédât continuellement en notre faveur.
C'est pour cela que Jésus-Christ fut appelé Prêtre selon l'ordre de Melchisédech (Ps 109, 4). Aaron offrit des sacrifices d'animaux, tandis que le sacrifice de Melchisédech fut de pain et de vin, figure du Sacrifice de l'autel. Notre Sauveur institua cet auguste mystère lors de la dernière cène, en offrant à Dieu, sous les espèces du pain et du vin, son corps et son sang, qu'il devait sacrifier le lendemain dans sa passion, pour continuer ensuite à les offrir tous les jours par la main des prêtres, renouvelant sans cesse par leur ministère le Sacrifice de la croix.
La Lettre aux Hébreux explique pourquoi David appelle Jésus-Christ, non seulement Prêtre, mais Prêtre éternel. La mort mettait fin au sacerdoce des anciens Pontifes; mais, comme Jésus-Christ demeure éternellement, son sacerdoce est éternel (He 7, 24). Et si l'on demande comment Notre-Seigneur continue dans le ciel l'exercice de son sacerdoce, le texte sacré fournit les réponses au verset suivant: "Du fait qu'il demeure pour l'éternité, il a un sacerdoce éternel" (He 7, 25). Le grand Sacrifice de la croix, représenté et perpétué par le Sacrifice de l'autel, ne cesse pas d'avoir la vertu de sauver tous ceux qui, dûment disposés par la foi et les bonnes oeuvres, s'approchent de Dieu par l'entremise de Jésus-Christ. Ce sacrifice, disent saint Ambroise et saint Augustin, le Fils de Dieu continue comme homme de l'offrir pour nous à son Père, ne cessant point de faire dans le ciel, comme il le faisait sur la terre, l'office de notre Avocat et Médiateur, et même de notre Pontife, office qui consiste à intercéder en notre faveur, suivant les dernières paroles du texte.
Saint Jean Chrysostome dit que les plaies de Jésus-Christ sont autant de bouches ouvertes, pour implorer de Dieu le pardon de nos péchés. C'est bien ce qu'affirme l'Écriture lorsqu'elle indique que son précieux sang parle bien plus efficacement en demandant miséricorde pour nous que celui d'Abel en réclamant la vengeance divine contre Caïn (He 12, 22). On lit dans les révélations de sainte Marie-Madeleine de Pazzi que Dieu lui adressa un jou ces paroles: "Ma justice s'est changée en clémence par la vengeance qu'a prise sur la chair innocente de mon Fils. Son Sang ne me crie pas vengeance comme celui d'Abel; il ne demande que miséricorde et, à sa voix, ma justice ne peut résister; le sang de Jésus lui lie les mains, de sorte qu'elle ne peut plus les lever pour punir les péchés comme auparavant."
Le Seigneur nous avait promis la rémission de nos péchés et la vie éternelle; mais, remarque saint Augustin, il a fait pour nous plus qu'il avait promis. Pour nous accorder le pardon et le paradis, il n'en eût rien couté à Jésus-Christ; mais, pour nous racheter, il a dû donner son sang et sa vie.
L'apôtre saint Jean nous exhorte à fuir le péché; mais, de peur que nous perdions la confiance envers Dieu, à cause des fautes que nous avons commises, il nous en fait espérer le pardon, pourvu que nous ayons la ferme résolution de n'y plus retomber. À cet effet, il nous dit que nous avons affaire à Jésus-Christ qui, non seulement est mort pour nous pardonner, mais de plus, après sa mort, s'est fait notre Avocat auprès de Dieu son Père (1 Jn 2, 1). Nos péchés, selon la justice, méritent la disgrâce de Dieu et la damnation éternelle; mais la passion du Sauveur réclame pour nous la grâce et le salut, et cela en toute justice. Car le Père éternel, en considération des mérites de son Fils, lui a promis de nous pardonner et de nous sauver, dès que nous sommes disposés à recevoir sa grâce et à observer ses commandements, selon ce que dit l'Écriture (He 5, 9). Ainsi, Jésus-Christ, en mourant sur la croix consumé de douleurs, a obtenu le salut éternel à tous ceux qui observent sa loi. De là cette exhortation: Courons avec ardeur, armés de courage et de patience, au combat contre les ennemis de notre salut, en tenant toujours les yeux fixés sur Jésus crucifié, qui, renonçant à une vie de plaisirs sur la terre, a préféré d'y passer ses jours dans des travaux pénibles, terminés par une mort pleine de douleurs et d'opprobresm et a voulu accomplir ainsi l'oeuvre de notre rédemption (He 12, 1-2).Ô précieux Sans de mon Sauveur, vous êtes mon espérance; purifiez un pauvre pécheur qui se repent de ses fautes! Mon Jésus! mes ennemis, après m'avoir entraîné à vous offenser, me disent que je n'ai plus rien à espérer de vous, qu'il n'y a plus de salut pour moi (Ps 3, 3). Mais au contraire, plein de confiance dans le sang que vous avez répandu pour moi, je vous dirai avec David que vous êtes mon refuge (Ps 3, 4). Mes ennemis cherchent à me troubler, en disant qu'après tant de péchés, si je recours à vous, je serai repoussé; mais saint Jean me rassure par votre promesse de ne point rejeter celui qui revient à vous (Jn 6, 37). Je recours donc à vous avec une entière confiance. Vous, mon Sauveur, qui avez répandu tout votre sang avec tant de douleur et tant d'amour pour ne pas me voir perdu à jamais, ayez pitié de moi, pardonnez-moi et sauvez-moi !
- III -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir la persévérance finale.
Pour persévérer dans le bien, nous ne devons pas nous fier aux résolutions que nous avons prises, ni ausx promesses que nous avons faites à Dieu. Dès que nous comptons sur nos propres forces, nous sommes perdus. C'est dans les mérites de Jésus-Christ que nous devons placer toute notre espérance pour nous maintenir dans l'état de grâce; son secours nous fera persévérer jusqu'à la mort, fussions-nous combattus par toutes les puissances de la terre et de l'enfer. Quelquefois, sans doute, nous nous trouverons tellement abattus et assaillis de tant de tentations que notre ruine nous paraîtra presque inévitable; gardons-nous alors de perdre courage eet de nous abandonner au désespoir; recourons à Jésus crucifiés, et il nous empêchera de tomber.
Le Seigneur permet que les saints eux-mêmes aient quelquefois à subir de pareilles tempêtes. Saint Paul assure que les afflictions et les craintesqu'il souffrit en Asie étaient telles qu'il avait pris du dégoût pour la vie (2 Co 1, 8). L'Apôtre déclare ainsi ce qu'il était selon ses propres forces, pour nous apprendre que Dieu nous laisse de temps en temps dans la désolation, afin que nous connaissions notre misère et que, nous défiant de nous-mêmes, et implorant humblement son assistance, nous obtenions de lui la force qui nous manque pour ne pas succomber (2 Co 1, 9). Il s'exprime plus clairement encore dans un autre endroit, où il dit: "Nous nous sentons oppressés par la tristesse et par les passions, mais sans nous abandonner au désespoir; nous sommes jetés sur des eaux agitées, mais sans y être submergés; car le Seigneur, par sa grâce, nous donne la force de résister à tous nos ennemis (2 Co 4, 8). Mais en même temps, l'Apôtre nous recommande de ne jamais oublier que nous sommes fragile, que nous pouvons facilement perdre le trésor de la grâce, et que le moyen de le conserver ne vient pas de nous, mais de Dieu seul (2 Co 4, 7).
Soyons donc fermement persuadés qu'en cette vie nous devons toujours nous garder d'avoir la moindre confiance en ce que nous pouvons faire. Notre arme la plus forte, avec laquelle nous ne manquerons jamais de remporter la victoire dans nos luttes contre l'enfer, c'est la prière. Elle fait la principale force de cette divine armure dont parle saint Paul, en nous recommandant d'en être sans cesse revêtus, pour triompher des ruses de nos ennemis, car, ajoute-t-il, nous n'avons pas à combattre contre les hommes, créatures de chair et de sang, mais contre les puissances infernales (Ep 6, 11-12). Tâchons de bien comprendre la description que l'Apôtre donne ici de l'armure du chrétien (Ep 6, 14-17).
Que la vérité soit la ceinture de vos reins. - Allusion à la ceinture que les soldats portaient comme une marque de la fidélité qu'ils avaient jurée à leur souverain. La ceinture du chrétien doit être la vérité de la doctrine de Jésus-Christ, suivant laquelle ils sont obligés de réprimer tous les mouvements déréglés, et surtout les mouvements impurs, qui sont les plus dangereux.
Que la justice soit votre cuirasse. - Le chrétien doit avoir pour cuirasse une bonne vie; sans quoi, il sera incapable de résister aux attaques de ses ennemis.
Que votre zèle à propager l'Évangile de la paix soit vos chaussures. - La chaussure militaire dont un chrétien doit faire usage pour arriver promptement où le bien l'appelle, à la différence de celui qui, allant pieds nus, marche avec peine et lenteur, c'est d'être toujours prêt à pratiquer les saintes maximes de l'Évangile et à les insinuer aux autres par son exemple.
Servez-vous surtout du bouclier de la foi, afin de pouvoir éteindre tous les traits enflammés de Satan. - Le bouclier qui doit protéger le soldat de Jésus-Christ contre les flèches ennemies, lesquelles pénètrent comme le feu, c'est une foi constante, animée par la sainte espérance et principalement par la divine charité.
Prenez encore le casque du salut, et l'épée de la parole de Dieu. - Le casque, selon saint anselme, c'est l'espérance du salut éternel. Enfin, l'épée de l'esprit doit être la parole sacrée par laquelle le Seigneur nous a promis plusieurs fois d'exaucer nos prières: "Invoque moi et je te répondrai" (Jr 33, 3), "Demandez et vous recevrez" (Mt 7, 7), "Quiconque demande reçoit" (Lc 11, 10).
L'Apôtre termine son tableau par ces paroles remarquables: Invoquant le Seigneur en esprit et en tout temps, par toute sorte de supplications et de prières, et cela avec vigilance, avec instance et persévérance, en priant aussi pour tous les saints (Ep 6, 18). La prière est donc notre arme principale; c'est par elle que nous obtenons de Dieu la victoire sur toutes nos mauvaises inclinations et sur toutes les tentations de l'enfer. Mais il faut qu'on prie en esprit, c'est-à-dire non seulement de bouche, mais encore de coeur. Il faut en outre prier en tout temps, durant toute la vie; comme nous avons toujours à combattre, notre prière ne doit jamais cesser. Il faut prier avec instance et persévérane: si la tentation ne cède pas à la première prière, on doit en faire une deuxième, une troisième, une quatrième; et si elle persiste malgré cela, il faut prier avec gémissements, avec larmes, jusqu'à l'importunité et la violence, comme si nous voulions forcer le Seigneur à nous accorder la grâce de la victoire; telle est la signification de ces mots. Enfin, l'Apôtre ajoute pour tous les Saints, ce qui veut dire que nous devons prier, non seulement pour nous, mais encore pour la persévérance de tous les fidèles, spécialement pour celle des prêtres, afin qu'ils travaillent avec zèle et avec fruit à la conversion des infidèles et de tous les pécheurs. Il faut supplier fréquemment Notre-Seigneur, dans nos oraisons, d'éclairer ceux qui sont aussi dans les ténèbres et dans les ombres de la mort, selon ce que Zacharie annonçait dans son Cantique (Lc 1, 79).
Il est fort utile, pour triompher dans les combats spirituels, de les prévenir dans nos méditations, en nous disposant d'avance à résister de toutes nos forces aux attaques qui peuvent nous surprendre. C'estainsi qu'on a vu les Saints parler avec douceur ou garder le silence, sans éprouver aucun trouble, en recevant une injure grave, en se voyant tout à coup persécutés avec violence, saisis d'une vive douleur dans le corps ou dans l'âme, en perdant un objet de grande valeur ou une personne chérie. De telles victoires sur soi-même ne s'obtiennent pas ordinairement sans avoir cette fermeté qu'on puise dans une vie bien réglée, dans la fréquentation des sacrements, et dans un continuel exercice de méditations, de lectures spirituelles et de prières. On ne les voit guère chez ceux qui ne sont pas fort attentifs à fuir les occasions dangereuses, ou qui sont attachés aux vanités ou aux plaisirs du monde et pratiquent peu la mortification des sens; chez ceux, en un mot, qui mènent une vie molle. Saint Augustin enseigne que, dans le combat spirituel, on doit vaindre d'abord le plaisir, et ensuite la douleur. Lorsqu'on est abandonné aux plaisirs sensuels, on résiste difficilement à une passion vive ou à une violente tentation; et lorsqu'on aime trop l'estime du monde, on ne peut guère essuyer un affront grave sans perdre la grâce de Dieu.
Il est vrai que c'est de Jésus-Christ seul, et nullement de nous-mêmes, que nous devons attendre la force nécessaire pour éviter le péché et faire de bonnes oeuvres; mais, pour obtenir cette grâce, il faut que nous prenions grand soin de ne pas nous rendre, par notre faute, de plue en plus faible. Certains défauts dont nous ne tenons pas compte peuvent être cause que la lumière divine nous manque, et que le démon devienne plus fort contre nous. Tels sont, par exemple, le désir de passer dans le monde pour savant ou pour noble, la vanité dans les habits, la recherche des commodités superflues, l'habitude de se piquer de toute parole choquante ou d'un simple manque d'attention, l'envie de plaire au monde au dépens du bien spirituel, la négligence des pratiques de piété par respect humain, les petites désobéissances, les petits murmures, les petites aversions conservées dans le coeur, les légers mensonges, les légères dérisions, le temps perdu en des conversations ou des curiosités inutiles. En un mot, tout attachement aux biens terrestres, tout acte d'amour-propre désordonné, peut servir à notre ennemi pour nous entraîner dans quelque précip[ice. Par suite de pareilles fautes commises de propos délibéré, Dieu nous privera de ses secours abondnts, sans lesquels nous ferons bientôt quelque lourde chute.
Nous nous plaignons de nous trouver plein de sécheresse et de dégoût dans l'oraison, dans la communion, et dans tous les exercices spirituels; mais, comment Dieu voudrait-il nous faire jouir de sa présence et nous prodiguer les marques de sa tendresse, lorsque nous sommes si avare envers lui et si négligent dans son service? L'Apôtre nous en avertit: "Celui qui sème peu moissonera peu" (2 Co 9, 6). Si nous donnons à Dieu tant de déplaisirs, quel droit avons-nous à ses consolations célestes? Tant que nous ne serons pas entièrement détachés de la terre, nous ne serons jamais tout entiers à Jésus-Christ; et qu sait où cela nous conduira? Et cependant, notre Sauveur nous a mérité, par son humilité, la grâce de vaincre l'orgueil; par sa pauvreté, la force de mépriser les biens terrestres; par sa patience, le courage de supporter les affronts et les injures. Ah! s'écrie saint Augustin, où en sommes-nous, si les exemples du Fils de Dieu, et tant de grâces qu'il nous a obtenues, ne peuvent nous guérir de nos vices? Si, d'un côté, nous laissons refroidir notre amour envers Jésus-Christ, et si nous négligeons de le prier sans cesse de nous secourir, tandis que, de l'autre, nous nourrisons dans notre coeur quelque affection terrestre, il nous sera bien difficile de persévérer dans la bonne voie. Prions donc, prions toujours; par la prière, nous obtiendrons tout.Ô Rédempteur du monde! ô mon unique Espérance! par les mérites de votre passion, délivrez-moi de toute affection impure et de tout ce qui pourrait faire obstacle à l'amour que je vous dois. Faites que je vive entièrement dépouillé de désirs mondains, et que je n'aspire qu'à vous posséder, vous qui êtes le bien suprême, le seul digne d'être aimé. Par vos plaies sacrées, guérissez les infirmités de mon âme, et accordez-moi la grâce de tenir éloigné de mon coeur tout sentiment qui n'est pas pour vous; c'est à vous que sont dues toutes mes affections. Jésus, mon Amour, vous êtes mon espérance! Ô douces paroles! ô douce consolation! Jésus, mon Amour, vous êtes mon espérance!
- IV -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir la félicité éternelle.
Revenons à la Lettre aux Hébreux, où on dit que Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau Testament, afin que, par sa mort, nous recevions l'héritage éternel qu'il nous a promis (He 9, 15). Dans la section II du présent chapitre, on a parlé du Nouveau Testament comme pacte; ici, il en sera question comme promesse, ou disposition de dernière volonté, par laquelle Notre-Seigneur nous a institués héritiers du royaume des cieux. Or, un testament n'étant valide qu'après la mort du testateur, il était nécessaire que Jésus-Christ mourût, pour que nous pussions, comme ses héritiers, entrer en possession du paradis (He 9, 16-17).
En vertu des mérites de Jésus-Christ, notre Médiateur, nous avons reçu la grâce d'être élevés, par le Baptême, à la dignité d'Enfants de Dieu, tandis que les Hébreux, dans l'Ancien Testament, quoiqu'ils fussent le peuple élu de Dieu, n'étaient cependant que ses serviteurs (cf. Ga 4, 24). La première médiation eut lieu sur le mont Sinaï, lorsque Dieu promit aux Hébreux, par l'entremise de Moïse, l'abondance des biens temporels, s'ils observaient la loi qu'il leur donnait. Quant aux chrétiens, écoutons saint Paul: "Vous, mes frères, à la manière d'Isaac, vous êtes mes enfants de la promesse" (Ga 4, 28). Si donc, nous chrétiens, nous sommes les enfants de Dieu, il s'ensuit, toujours d'après l'Apôtre, que nous sommes aussi ses héritiers; car tous les enfants doivent avoir part à l'héritage paternel; et l'héritage auquel nous avons droit - cohéritiers de Jésus-Christ - c'est la gloire éternelle du paradis, que Jésus-Christ nous a méritée par sa mort (Rm 8, 17).
Cependant, saint Paul ajoute aussitôt une condition. Il est vrai qu'en vertu du titre d'enfants de Dieu, que notre Sauveur nous a acquis au prix de son sang, nous avons droit au paradis; mais cela s'entend, si nous correspondons fidèlement à la grâce par la pratique des bonnes oeuvres, et surtout par la patience. C'est pourquoi l'Apôtre dit que, pour obtenir la gloire éternelle comme Jésus-Christ l'a obtenue, nous devons souffrir sur la terre comme Jésus-Christ y a souffert (Rm 8, 17). Il marche en avant comme notre Chef avec sa croix; c'est sous cette bannière que nous devons le suivre, chacun portant sa croix, ainsi qu'il nous l'a déclaré lui-même par ces paroles: "Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive" (Mt 16, 24).
L'Apôtre nous exhorte ensuite à souffrir avec constance, soutenus comme nous le sommes par l'espérance du ciel ; il nous assure que la gloire qui nous attend dans l'autre vie, sera incomparablement plus grande que le mérite de toutes nos souffrances d'ici-bas, si nous les supportons avec résignation à la volonté de Dieu (Rm 8, 18). Quel indigent serait assez insensé pour ne pas donner avec joie tous ses haillons pour acquérir un grand royaume? Nous ne jouissons pas à présent de cette gloire, parce que nous ne sommes pas encore sauvés, n'ayant pas encore terminé notre vie dans la grâce de Dieu; mais ce qui doit nous sauver, continue saint Paul, c'est l'espérance dans les mérites de notre Rédempteur. Il ne manquera pas de nous accorder toutes les grâces dont nous avons besoin pour nous sauver, si nous lui sommes fidèles, et si nous persévérons à les lui demander, vu la promesse qu'il a faite d'exaucer quiconque le prie (Lc 11, 10). On me dira peut-être: Je ne crains pas que Dieu refuse de m'exaucer, si je le prie; mais je crains de ne pas savoir prier comme il faut. Saint Paul répond qu'on ne doit pas craindre cela non plus, car, lorsque nous prions, Dieu vient lui-même au secours de notre faiblesse, et nous fait prier de manière à être exaucés (Rm 8, 26). L'Esprit-Saint prie pour nous, c'est-à-dire, selon saint Augustin, nous fait prier.
L'Apôtre augmente encore notre confiance en disant que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8, 28). Il nous fait entendre par là que les opprobres, les maladies, la pauvreté, les persécutions, ne sont point des disgrâces, comme le pensent les gens du monde; car Dieu les fait tourner au bien et à la gloire de ceux qui les supportent avec patience. Saint Paul dit enfin que le Seigneur a prédestinés ses élus pour être conformes à l'image de son divin Fils (Rm 8, 29). Par ces paroles, il veut nous persuader que, pour nous sauver, il faut que nous prenions la résolution de tout souffrir plutôt que de perdre la grâce de Dieu; car nul ne peut être admis à la gloire des Bienheureux si, au jour du jugement, sa vie ne se trouve pas avoir été conforme à celle de Jésus-Christ.
Mais, de peur que cette sentence ne décourage les pécheurs et ne les jette dans le désespoir au souvenir des fautes qu'ils ont commises, saint Paul les rassure en disant que le Père éternel n'a pas voulu pardonner à son propre Fils, qui s'était offert à expier nos péchés, et qu'il l'a livré à la mort sans miséricorde, afin de pouvoir pardonner aux pécheurs. Et pour accroître encore la confiance de ceux qui se repentent, il ajoute: "Qui donc condamner? Le Christ Jésus qui est mort?", comme s'il disait: Pécheurs, vous qui détestez vos fautes, pourquoi craignez-vous d'être condamnés à l'enfer? Dites-moi: qui est-ce qui doit vous juger? n'est-ce pas Jésus-Christ? Et comment pouvez-vous craindre d'être condamnés à la mort éternelle par ce tendre Sauveur, qui, pour n'avoir pas à vous condamner, a voulu se condamner lui-même au supplice ignominieux de la croix? (Cf. Rm 8, 31-34). Ce langage s'adresse, bien entendu, à ceux qui, pénétrés d'un sincère regret, ont purifié leurs âmes dans le sang de l'Agneau sant tache, suivant l'expression de saint Jean (Ap 7, 14).Mon Jésus! quand je considère mes péchés, j'ai honte de vous demander le ciel, après y avoir tant de fois renoncé en votre présence pour des plaisirs indignes et fugitifs. Mais, quand je vous vois attaché à cette croix, je ne puis m'empêcher d'espérer le paradis, sachant que vous avec voulu mourir sur ce gibet douloureux pour expier mes péchés et m'obtenir le bonheur céleste que j'ai méprisé. Ah! mon doux Rédempteur, j'ai la confiance que, par les mérites de votre mort, vous m'avez déjà pardonné les offenses que je vous ai faites; je m'en suis repenti, et maintenant encore je voudrais en mourir de douleurs. Hélas! comment ne pas penser que, quoique vous m'ayez pardonné, il sera toujours vrai que j'ai eu l'ingratitude de vous causer ces graves déplaisirs, à vous qui m'abvez tant aimé! Malheureusement, ce qui est fait, est fait. Au moins, Seigneur, pour le temps qu'il me reste à vivre, je veux vous aimer de toutes mes forces, je ne veux plus aimer que vous, je veux être tout à vous, tout entier et pour toujours. Mais c'est à vous de faire qu'il en soit ainsi: détachez-moi de touts les objets terrestres, et donnez-moi les lumières et la force dont j'ai besoin pour ne plus chercher que vous, mon unique Bien, mon unique Amour, mon Tout!
Et vous, ô Marie, qui êtes l'espérance des pauvres pécheurs, vous devez m'aider par vos prières; priez donc, ô ma Mère, priez pour moi, et ne cessez pas de priez que vous ne me voyiez tout à Dieu!