Ste Thérèse de l'Enfant Jésus

HISTOIRE PRINTANIERE D'UNE PETITE FLEUR BLANCHE

ÉCRITE PAR ELLE-MÊME

C'est à vous, ma Mère chérie, à vous qui êtes deux fois ma Mère, que je viens confier l'histoire de mon âme... Le jour où vous m'avez demandé de le faire, il me semblait que cela dissiperait mon coeur en l'occupant de lui-même, mais depuis Jésus m'a fait sentir qu'en obéissant simplement je lui serais agréable ; d'ailleurs je ne vais faire qu'une seule chose : Commencer à chanter ce que je dois redire éternellement : " Les Miséricordes du Seigneur... " (NHA 101) (Ps 89,2) Avant de prendre la plume, je me suis agenouillée devant la statue de Marie (NHA 102) (celle qui nous a donné tant de preuves des maternelles préférences de la Reine du Ciel pour notre famille,) je l'ai suppliée de guider ma main afin que je ne trace pas une seule ligne qui ne lui soit agréable. Ensuite ouvrant le Saint Evangile, mes yeux sont tombés sur ces mots : " Jésus étant monté sur une montagne, il appela à Lui ceux qu'il lui plut ; et ils vinrent à Lui. " (Saint Marc, chap. III, v. 13). (Mc 3,13) Voilà bien le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière et surtout le mystère des privilèges de Jésus sur mon âme... Il n'appelle pas ceux qui en sont dignes, mais ceux qu'il lui plaît ou comme le dit Saint Paul : " Dieu a pitié de qui Il veut et Il fait miséricorde à qui Il veut faire miséricorde. " Ce n'est donc pas l'ouvrage de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. " (Épître aux Romains, chap. IX. v. 15 et 16). (Rm 9,15-16) Longtemps je me suis demandé pourquoi le bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas un égal degré de grâces, je m'étonnais en Le voyant prodiguer des faveurs extraordinaires aux Saints

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qui l'avaient offensé, comme Saint Paul, Saint Augustin et qu'Il forçait pour ainsi dire à recevoir ses grâces ; ou bien, en lisant la vie de Saints que Notre-Seigneur s'est plu à caresser du berceau à la tombe, sans laisser sur leur passage aucun obstacle qui les empêchât de s'élever vers Lui et prévenant ces âmes de telles faveurs qu'elles ne pouvaient ternir l'éclat immaculé de leur robe baptismale, je me demandais pourquoi les pauvres sauvages, par exemple, mouraient en grand nombre avant d'avoir même entendu prononcer le nom de Dieu... Jésus a daigné m'instruire de ce mystère. Il a mis devant mes yeux le livre de la nature et j'ai compris que toutes les fleurs qu'Il a créées sont belles, que l'éclat de la rose et la blancheur du Lys n'enlèvent pas le parfum de la petite violette ou la simplicité ravissante de la pâquerette... J'ai compris que si toutes les petites fleurs voulaient être des roses, la nature perdrait sa parure printanière, les champs ne seraient plus émaillés de fleurettes... Ainsi en est-il dans le monde des âmes qui est le jardin de Jésus. Il a voulu créer les grands saints qui peuvent être comparés aux Lys et aux roses ; mais il en a créé aussi de plus petits et ceux-ci doivent se contenter d'être des pâquerettes ou des violettes destinées à réjouir les regards du bon Dieu lorsqu'Il les abaisse à ses pieds. La perfection consiste à faire sa volonté, à être ce qu'Il veut que nous soyons... J'ai compris encore que l'amour de Notre-Seigneur se révèle aussi bien dans l'âme la plus simple qui ne résiste en rien à sa grâce que dans l'âme la plus sublime ; en effet le propre de l'amour étant de s'abaisser, si toutes les âmes ressemblaient à celles des Saints docteurs qui ont illuminé l'Eglise par la clarté de leur doctrine, il semble

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que le bon Dieu ne descendrait pas assez bas en venant jusqu'à leur coeur ; mais Il a créé l'enfant qui ne sait rien et ne fait entendre que de faibles cris, Il a créé le pauvre sauvage n'ayant pour se conduire que la loi naturelle et c'est jusqu'à leurs coeurs qu'Il daigne s'abaisser, ce sont là ses fleurs des champs dont la simplicité Le ravit... En descendant ainsi le Bon Dieu montre sa grandeur inouïe. De même que le soleil éclaire en même temps les cèdres et chaque petite fleur comme si elle était seule sur la terre, de même Notre-Seigneur s'occupe aussi particulièrement de chaque âme que si elle n'avait pas de semblables ; et comme dans la nature toutes les saisons sont arrangées de manière à faire éclore au jour marqué la plus humble pâquerette, de même tout correspond au bien de chaque âme. Sans doute, ma Mère chérie, vous vous demandez avec étonnement où je veux en venir, car jusqu'ici je n'ai rien dit encore qui ressemble à l'histoire de ma vie, mais vous m'avez demandé d'écrire sans contrainte ce qui me viendrait à la pensée ; ce n'est donc pas ma vie proprement dite que je vais écrire, ce sont mes pensées sur les grâces que le Bon Dieu a daigné m'accorder. Je me trouve à une époque de mon existence où je puis jeter un regard sur le passé ; mon âme s'est mûrie dans le creuset des épreuves extérieures et intérieures ; maintenant comme la fleur fortifiée par l'orage je relève la tête et je vois qu'en moi se réalisent les paroles du psaume XXII. (Le Seigneur est mon Pasteur, je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans des pâturages agréables et fertiles. Il me conduit doucement le long des eaux. Il conduit mon âme sans la fatiguer... Mais lors (Ps 23,1-4)

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même que je descendrai dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne craindrai aucun mal, parce que vous serez avec moi, Seigneur !...) (NHA 103) (Ps 22,1-4) Toujours le Seigneur a été pour moi compatissant et rempli de douceur... Lent à punir et abondant en miséricordes !... (Ps.CII,v.8.) (Ps 103,8) Aussi, ma Mère, c'est avec bonheur que je viens chanter près de vous les miséricordes du Seigneur... (Ps 89,2) C'est pour vous seule que je vais écrire l'histoire de la petite fleur cueillie par Jésus, aussi je vais parler avec abandon, sans m'inquiéter ni du style ni des nombreuses digressions que je vais faire. Un coeur de mère comprend toujours son enfant, alors même qu'il ne sait que bégayer, aussi je suis sûre d'être comprise et devinée par vous qui avez formé mon coeur et l'avez offert à Jésus... Il me semble que si une petite fleur pouvait parler, elle dirait simplement ce que le Bon Dieu a fait pour elle, sans essayer de cacher ses bienfaits. Sous le prétexte d'une fausse humilité elle ne dirait pas qu'elle est disgracieuse et sans parfum, que le soleil lui a ravi son éclat et que les orages ont brisé sa tige, alors qu'elle reconnaîtrait en elle-même tout le contraire. La fleur qui va raconter son histoire se réjouit d'avoir à publier les prévenances tout à fait gratuites de Jésus, elle reconnaît que rien n'était capable en elle d'attirer ses regards divins et que sa miséricorde seule a fait tout ce qu'il y a de bien en elle... C'est Lui qui l'a fait naître en une terre sainte et comme tout imprégnée d'un parfum virginal. C'est Lui qui l'a fait précéder de huit Lys éclatants de blancheur. Dans Son amour, Il a voulu préserver sa petite fleur du souffle empoisonné du monde ; à peine sa corolle commençait-elle à s'entr'ouvrir que ce divin Sauveur l'a transplantée sur la montagne du Carmel où déjà les deux Lys qui l'avaient entourée et doucement bercée au printemps de sa vie répandaient leur suave parfum... Sept années

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se sont écoulées depuis que la petite fleur a pris racine dans le jardin de l'Epoux des vierges et maintenant trois Lys balancent auprès d'elle leurs corolles embaumées ; un peu plus loin un autre lys s'épanouit sous les regards de Jésus et les deux tiges bénies qui ont produit ces fleurs sont maintenant réunies pour l'éternité dans la Céleste Patrie... Là elles ont retrouvé les quatre Lys que la terre n'avait pas vus s'épanouir... Oh ! que Jésus daigne ne pas laisser longtemps sur la rive étrangère les fleurs restées dans l'exil ; que bientôt la branche de Lys soit complète au Ciel ! (NHA 104) Je viens, ma Mère, de résumer en peu de mots ce que le bon Dieu a fait pour moi, maintenant je vais entrer dans le détail de ma vie d'enfant ; je sais que là où tout autre ne verrait qu'un récit ennuyeux votre coeur maternel trouvera des charmes... et puis, les souvenirs que je vais évoquer sont aussi les vôtres puisque c'est près de vous que s'est écoulée mon enfance et que j'ai Ie bonheur d'appartenir aux Parents sans égaux qui nous ont entourées des mêmes soins et des mêmes tendresses. Oh ! qu'ils daignent bénir la plus petite de leurs enfants et lui aider à chanter les miséricordes divines !... (Ps 89,2) Dans l'histoire de mon âme jusqu'à mon entrée au Carmel je distingue trois périodes bien distinctes ; la première malgré sa courte durée n'est pas la moins féconde en souvenirs ; elle s'étend depuis l'éveil de ma raison jusqu'au départ de notre Mère chérie pour la patrie des Cieux.

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Le Bon Dieu m'a fait la grâce d'ouvrir mon intelligence de très bonne heure et de graver si profondément en ma mémoire les souvenirs de mon enfance qu'il me semble que les choses que je vais raconter se passaient hier. Sans doute, Jésus voulait, dans son amour, me faire connaître la Mère incomparable qu'il m'avait donnée, mais que sa main Divine avait hâte de couronner au Ciel !... Toute ma vie le bon Dieu s'est plu à m'entourer d'Amour, mes premiers souvenirs sont empreints des sourires et des caresses les plus tendres !... mais s'Il avait placé près de moi beaucoup d'Amour, Il en avait mis aussi dans mon petit coeur, le créant aimant et sensible, aussi j'aimais beaucoup Papa et Maman et leur témoignais ma tendresse de mille manières, or j'étais très expansive. Seulement les moyens que j'employais étaient parfois étranges, comme le prouve ce passage d'une lettre de Maman. " Le bébé est un lutin sans pareil, elle vient me caresser en me souhaitant la mort : " Oh ! Que je voudrais bien que tu mourrais, ma pauvre petite Mère !... on la gronde, elle dit : " C'est pourtant pour que tu ailles au Ciel, puisque tu dis qu'il faut mourir pour y aller. " Elle souhaite de même la mort à son père quand elle est dans ses excès d'amour ! ". (NHA 105) Le 25 Juin 1874 alors que j'avais à peine dix-huit mois, voici ce

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que maman disait de moi : " Votre père vient d'installer une balançoire, Céline est d'une joie sans pareille, mais il faut voir la petite se balancer ; c'est risible, elle se tient comme une grande fille, il n'y a pas de danger qu'elle lâche la corde, puis quand ça ne va pas assez fort, elle crie. On l'attache par devant avec une autre corde et malgré cela je ne suis pas tranquille quand je la vois perchée là dessus. " Il m'est arrivé une drôle d'aventure dernièrement avec la petite. J'ai l'habitude d'aller à la messe de cinq heures et demie, dans les premiers jours je n'osais pas la laisser, mais voyant qu'elle ne se réveillait jamais, j'ai fini par me décider à la quitter. Je la couche dans mon lit et j'approche le berceau si près qu'il est impossible qu'elle tombe. Un jour j'ai oublié de mettre le berceau. J'arrive et la petite n'était plus dans mon lit ; au même moment j'entends un cri, je regarde et je la vois assise sur une chaise qui se trouvait en face de la tête de mon lit, sa petite tête était couchée sur le traversin et là elle dormait d'un mauvais sommeil car elle était gênée. Je n'ai pas pu me rendre compte comment elle était tombée assise sur cette chaise, puisqu'elle était couchée. J'ai remercié le Bon Dieu de ce qu'il ne lui est rien arrivé, c'est vraiment providentiel, elle devait rouler par terre, son bon Ange y a veillé et les âmes du purgatoire auxquelles je fais tous les jours une prière pour la petite l'ont protégée ; voilà comment j'arrange cela... arrangez-le comme vous voudrez... " A la fin de la lettre maman ajoutait : " Voilà le petit bébé qui vient me passer sa petite main sur la figure et m'embrasser. Cette pauvre petite ne veut point me quitter, elle est continuellement

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avec moi ; elle aime beaucoup à aller au jardin, mais si je n'y suis pas elle ne veut pas y rester et pleure jusqu'à ce qu'on me la ramène ! "  (NHA 106) (Voici un passage d'une autre lettre) : " La petite Thérèse me demandait l'autre jour si elle irait au Ciel. Je lui ai dit que oui, si elle était bien sage ; elle me répond : " Oui, mais si je n'étais pas mignonne, j'irais dans l'enfer... mais moi je sais bien ce que je ferais, je m'envolerais avec toi qui serais au Ciel, comment que le Bon Dieu ferait pour me prendre ?... tu me tiendrais bien fort dans tes bras ? " J'ai vu dans ses yeux qu'elle croyait positivement que le Bon Dieu ne lui pouvait rien si elle était dans les bras de sa mère... (NHA 107) " Marie aime beaucoup sa petite soeur, eIle la trouve bien mignonne, elle serait bien difficile car cette pauvre petite a grand-peur de lui faire de la peine. Hier j'ai voulu lui donner une rose sachant que cela la rend heureuse, mais elle s'est mise a me supplier de ne pas la couper, Marie l'avait défendu, elle était rouge d'émotion, malgré cela je lui en ai donné deux, elle n'osait plus paraître à la maison. J'avais beau lui dire que les roses étaient à moi, " mais non, disait-elle, c'est à Marie... " C'est une enfant qui s'émotionne bien facilement. Dès qu'elle a fait un petit malheur, il faut que tout le monde le sache. Hier ayant fait tomber sans le vouloir un petit coin de la tapisserie, elle était dans un état à faire pitié, puis il falIait bien vite le dire à son Père ; l est arrivé quatre heures après, on n'y pensait plus, mais elle est bien vite venue dire à Marie : " Dis vite à Papa que j'ai déchiré le papier. " Elle est là comme un criminel qui attend sa condamnation, mais elle a dans sa petite idée qu'on va lui pardonner plus facilement si elle s'accuse. " (NHA 108) J'aimais beaucoup ma chère Marraine. (NHA 109) Sans en avoir l'air, je faisais une grande attention à tout ce qui se faisait et se disait autour de moi, il me semble que je jugeais des choses comme maintenant. J'écoutais bien attentivement

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ce que Marie apprenait à Céline afin de faire comme elle ; après sa sortie de la Visitation, pour obtenir la faveur d'être admise dans sa chambre pendant les leçons qu'elle donnait à Céline, j'étais bien sage et je faisais tout ce qu'elle voulait ; aussi me comblait-elle de cadeaux qui, malgré leur peu de valeur, me faisaient beaucoup de plaisir. J'étais bien fière de mes deux grandes soeurs, mais celle qui était mon idéal d'enfant, c'était Pauline... Lorsque je commençais à parler et que Maman me demandait : " A quoi penses-tu ? " la réponse était invariable " A Pauline !... " Une autre fois, je faisais aller mon petit doigt sur les carreaux et je disais " J'écris : Pauiine ! ... " Souvent j'entendais dire que bien sûr Pauline serait religieuse ; alors sans trop savoir ce que c'était, je pensais : " Moi aussi je serai religieuse. " C'est là un de (mes) (NHA 110) premiers souvenirs et depuis, jamais je n'ai changé de résolution !... Ce fut vous ma Mère chérie, que Jésus choisit pour me fiancer à Lui, vous n'étiez pas alors auprès de moi, mais déjà un lien s'était formé entre nos âmes... vous étiez mon idéal, je voulais être semblable à vous et c'est votre exemple qui dès l'âge de deux ans m'entraîna vers l'Epoux des vierges... Oh ! que de douces réflexions je voudrais vous confier ! Mais je dois poursuivre l'histoire de la petite fleur, son histoire complète et générale, car si je voulais parler en détail de mes rapports avec " Pauline, " il me faudrait laisser tout le reste !... Ma chère petite Léonie tenait aussi une grande place dans mon coeur. Elle m'aimait beaucoup, le soir c'était elle qui me gardait quand toute la famille allait se promener... Il me semble entendre encore les gentils refrains qu'elle chantait afin de m'endormir... en toute chose elle cherchait le moyen de me faire plaisir aussi j'aurais eu bien du chagrin de lui causer de la peine.

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Je me rappelle très bien sa première communion. (NHA 111) surtout du moment où elle me prit sur son bras pour me faire entrer avec elle au presbytère ; cela me paraissait si beau d'être portée par une grande soeur tout en blanc comme moi !... Le soir on me coucha de bonne heure car j'étais trop petite pour rester au grand dîner mais je vois encore Papa qui vint au dessert, apportant à sa petite reine des morceaux de la pièce montée... Le lendemain ou peu de jours après, nous sommes allées avec maman chez la petite compagne de Léonie. (NHA 112) Je crois que c'est ce jour-là que cette bonne petite Mère nous a emmenées derrière un mur pour nous faire boire du vin après le dîner (que nous avait servi la pauvre dame Dagorau) car elle ne voulait pas faire de peine à la bonne femme, mais aussi voulait que nous ne manquions de rien... Ah ! comme le coeur d'une Mère est délicat, comme il traduit sa tendresse en mille soins prévoyants auxquels personne ne penserait ! Maintenant il me reste parler de ma chère Céline, la petite compagne de mon enfance, mais les souvenirs sont en telle abondance que je ne sais lesquels choisir. Je vais extraire quelques passages des lettres que maman vous écrivait à la Visitation, mais je ne vais pas tout copier, ce serait trop long... Le 10 Juillet 1873 (NHA 113) (l'année de ma naissance), voici ce qu'elle vous disait : " La nourrice (NHA 114) a amené la petite Thérèse Jeudi, elle n'a fait que rire, c'était surtout la Petite Céline qui lui plaisait, elle riait aux éclats avec elle ; on dirait qu'elle a déjà envie de jouer, cela viendra bientôt, elle se tient sur ses petites jambes, raide comme un petit piquet. Je crois qu'elle marchera de bonne heure et qu'elle aura bon caractère, elle paraît très intelligente et a une bonne figure de prédestinée... "

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Mais ce fut surtout après ma sortie de nourrice que je montrai mon affection pour ma chère petite Céline. Nous nous entendions très bien, seulement j'étais bien plus vive et bien moins naïve qu'elle ; quoique de trois ans et demi plus jeune, il me semblait que nous étions du même âge. Voici un passage d'une lettre de Maman qui vous montrera combien Céline était douce et moi méchante " Ma petite Céline est tout à fait portée à la vertu, c'est le sentiment intime de son être, elle a une âme candide et a horreur du mal. Pour le petit furet, on ne sait pas trop comment ça fera, c'est si petit, si étourdi ! Elle est d'une intelligence supérieure à Céline, mais bien moins douce et surtout d'un entêtement presque invincible, quand elle dit " non " rien ne peut la faire céder, on la mettrait une journée dans la cave qu'elle y coucherait plutôt que de dire " oui... " " Elle a cependant un coeur d'or, elle est bien caressante et bien franche ; c'est curieux de la voir courir après moi, pour me faire sa confession : Maman, j'ai poussé Céline qu'une fois, je l'ai battue une fois, mais je ne recommencerai plus. (C'est comme cela pour tout ce qu'elle fait). Jeudi soir nous avons été nous promener du côté de la gare, elle a absolument voulu entrer dans la salle d'attente pour aller chercher Pauline, elle courait devant avec une joie qui faisait plaisir, mais quand elle a vu qu'il fallait s'en retourner sans monter en chemin de fer pour aller chercher Pauline, elle a pleuré tout le long du chemin. "  (NHA 115) Cette dernière partie de la lettre me rappelle le bonheur que j'éprouvais en vous voyant revenir de la Visitation ; vous, ma mère, me preniez sur vos bras et Marie prenait Céline ; alors je vous faisais mille caresses

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et je me penchais en arrière afin d'admirer votre grande natte... puis vous me donniez une tablette de chocolat que vous aviez gardée trois mois. Vous pensez quelle relique c'était pour moi !... Je me rappelle aussi du voyage que j'ai fait au Mans, (NHA 116) c'était la première fois que j'allais en chemin de fer. Quelle joie de me voir en voyage seule avec Maman... Cependant je ne sais plus pourquoi je me suis mise à pleurer et cette pauvre petite Mère n'a pu présenter à ma tante du Mans (NHA 117) qu'un vilain petit laideron tout rouge des larmes qu'il avait répandues en chemin... Je n'ai gardé aucun souvenir du parloir mais seulement du moment où ma tante m'a passé une petite souris blanche et un petit panier en papier bristol rempli de bonbons sur lesquels trônaient deux jolies bagues en sucre, juste de la grosseur de mon doigt ; aussitôt je m'écriai " Quel bonheur ! " il y aura une bague pour Céline. " Mais, ô douleur ! je prends mon panier par l'anse, je donne l'autre main à Maman et nous partons ; au bout de quelques pas, je regarde mon panier et je vois que mes bonbons étaient presque tous semés dans la rue, comme les pierres du petit Poucet... Je regarde encore de plus près et je vois qu'une des précieuses bagues avait subi le sort fatal des bonbons... Je n'avais plus rien à donner à Céline !... alors ma douleur éclate, je demande à retourner sur mes pas, maman ne semble pas faire attention à moi. C'en était trop, à mes larmes succèdent mes cris... Je ne pouvais comprendre qu'elle ne partageât pas ma peine et cela augmentait de beaucoup ma douleur... Maintenant je reviens aux lettres où maman vous parle de Céline et de moi, c'est le meilleur moyen que je puisse employer pour vous faire bien connaître mon caractère ; voici un passage où mes défauts brillent d'un vif éclat : " Voilà

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Céline qui s'amuse avec la petite au jeu de cubes, elles se disputent de temps en temps, Céline cède pour avoir une perle à sa couronne. Je suis obligée de corriger ce pauvre bébé qui se met dans des furies épouvantables ; quand les choses ne vont pas à son idée, elle se roule par terre comme une désespérée croyant que tout est perdu, il y a des moments où c'est plus fort qu'elle, elle en est suffoquée. C'est une enfant bien nerveuse, elle est cependant bien mignonne et très intelligente, elle se rappelle tout. (NHA 118) Vous voyez, ma Mère, combien j'étais loin d'être une petite fille sans défauts ! On ne pouvait même pas dire de moi " que j'étais sage quand je dormais, "  car la nuit j'étais encore plus remuante que le jour, j'envoyais promener toutes les couvertures et puis (tout en dormant) je me donnais des coups contre le bois de mon petit lit ; la douleur me réveillait, alors je disais : " Maman, je suis toquée... " Cette pauvre petite Mère était obligée de se lever et constatait qu'en effet j'avais des bosses au front, que j'étais toquée ; elle me couvrait bien, puis allait se recoucher ; mais au bout d'un moment je recommençais à être toquée, si bien qu'on fut obligé de m'attacher dans mon lit. Tous les soirs, la petite Céline venait nouer les nombreux cordons destinés à empêcher le petit lutin de se toquer et de réveiller sa maman ; ce moyen ayant bien réussi, je fus désormais sage en dormant... Il est un autre défaut que j'avais (étant éveillée) et dont Maman ne parle pas dans ses lettres, c'était un grand amour-propre. Je ne vais vous en donner que deux exemples afin de ne pas rendre mon récit trop long. Un jour Maman me dit : " Ma petite Thérèse, si tu veux baiser la terre, je vais te donner un sou. " Un sou, c'était pour moi toute une richesse ; pour le gagner je n'avais pas besoin d'abaisser ma grandeur car ma petite taille ne mettait pas une grande distance entre moi et la terre, cependant ma fierté se révolta à

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la pensée de " baiser la terre, " me tenant bien droite, je dis à Maman " Oh ! non, ma petite Mère, j'aime mieux ne pas avoir de sou !... " Une autre fois nous devions aller à Grogny chez Madame Monnier. Maman dit à Marie de me mettre ma jolie robe bleu Ciel, garnie de dentelles, mais de ne pas me laisser les bras nus, afin que le Soleil ne les brunisse pas. Je me laissai habiller avec l'indifférence que devaient avoir les enfants de mon âge, mais intérieurement je pensais que j'aurais été bien plus gentille avec mes petits bras nus. Avec une nature comme la mienne, si j'avais été élevée par des Parents sans vertu ou même si comme Céline j'avais été gâtée par Louise (NHA 119) je serais devenue bien méchante et peut-être me serais perdue... Mais Jésus veillait sur sa petite fiancée, Il a voulu que tout tournât à son bien, même ses défauts qui, réprimés de bonne heure, lui ont servi à grandir dans la perfection,.. Comme j'avais de l'amour-propre et aussi l'amour du bien, aussitôt que j'ai commencé penser sérieusement (ce que j'ai fait bien petite) il suffisait qu'on me dise qu'une chose n'était pas bien, pour que je n'aie pas envie de me le faire répéter deux fois... je vois avec plaisir dans les lettres de Maman qu'en grandissant je lui donnais plus de consolation. N'ayant que de bons exemples autour de moi je voulais naturellement les suivre. Voici ce qu'elle écrivait en 1876 " Jusqu'à Thérèse qui veut parfois se mêler de faire des pratiques. (NHA 120) C'est une charmante enfant, elle est fine comme l'ombre, très vive, mais son coeur est sensible. Céline et elle s'aiment beaucoup, elles se suffisent à elles deux pour se désennuyer ; tous les jours aussitôt qu'elles ont dîné Céline va prendre son petit coq, elle attrape tout d'un coup la poule à Thérèse, moi je ne puis en venir à bout, mais elle est si vive que du premier bond elle la tient ; puis elles arrivent toutes les deux avec leurs bêtes s'asseoir au coin du

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feu et s'amusent ainsi fort longtemps, (C'était la petite Rose qui m'avait fait cadeau de la poule et du coq, j'avais donné le coq à Céline). L'autre jour Céline avait couché avec moi, Thérèse avait couché au second dans le lit à Céline ; elle avait supplié Louise de la descendre en bas pour qu'on l'habille. Louise monte pour la chercher, elle trouve le lit vide. Thérèse avait entendu Céline et était descendue avec elle. Louise lui dit : " Tu ne veux donc pas venir en bas t'habiller ? " " Oh non ! ma pauvre Louise, on est comme les deux petites poules, on ne peut pas se séparer ! " Et en disant cela elles s'embrassaient et se serraient toutes les deux... Puis le soir Louise, Céline et Léonie sont parties au cercle catholique et ont laissé cette pauvre Thérèse qui comprenait bien qu'elle était trop petite pour y aller, elle disait : " Si seulement on veut me coucher dans le lit à Céline !... " Mais non, on n'a pas voulu... elle n'a rien dit et est restée seule avec sa petite lampe, elle dormait un quart d'heure après d'un profond sommeil... (NHA 121) "  Un autre jour Maman écrivait encore : " Céline et Thérèse sont inséparables, on ne peut voir deux enfants s'aimer mieux ; quand Marie vient chercher Céline pour faire sa classe, cette pauvre Thérèse est tout en larmes. Hélas que va-t-elle devenir, sa petite amie s'en va !... Marie en a pitié, elle la prend aussi et cette pauvre petite s'assied sur une chaise pendant deux ou trois heures ; on lui donne des perles à enfiler ou une chiffe à coudre, elle n'ose bouger et pousse souvent de gros soupirs. Quand son aiguille se désenfile, elle essaie de la renfiler, c'est curieux de la voir, ne pouvant y parvenir et n'osant déranger Marie ; bientôt on voit deux grosses larmes qui coulent sur ses joues... Marie

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la console bien vite, renfile l'aiguille et le pauvre petit ange sourit au travers de ses larmes " (NHA 122) Je me rappelle qu'en effet je ne pouvais pas rester sans Céline, j'aimais mieux sortir de table avant d'avoir fini mon dessert que de ne pas la suivre, aussitôt qu'elle se levait. Je me tournais dans ma grande chaise, demandant qu'on me descende et puis nous allions jouer ensemble ; quelquefois nous allions avec la petite " préfète, " ce qui me plaisait bien à cause du parc et de tous les beaux jouets qu'elle nous montrait, mais c'était plutôt afin de faire plaisir à Céline que j'y allais, aimant mieux rester dans notre petit jardin à gratter les murs, car nous enlevions toutes les petites paillettes brillantes qui s'y trouvaient et puis nous allions les vendre à Papa qui nous les achetait très sérieusement. Le dimanche, comme j'étais trop petite pour aller aux offices, Maman restait à me garder ; j'étais bien sage et ne marchais que sur le bout du pied pendant la messe ; mais aussitôt que je voyais la porte s'ouvrir, c'était une explosion de joie sans pareille ; je me précipitais au-devant de ma jolie petite Soeur qui était alors parée comme une chapelle... (NHA 123) et je lui disais : " Oh ! ma petite Céline, donne-moi bien vite du pain bénit ! " Parfois elle n'en avait pas, étant arrivée trop tard... Comment faire alors ? Il était impossible que je m'en passe, c'était là " ma messe... " Le moyen fut bien vite trouvé. " Tu n'as pas de pain bénit, eh bien, fais-en ! " Aussitôt dit, aussitôt fait, Céline prend une chaise, ouvre le placard, attrape le pain, en coupe une bouchée et très sérieusement récite un Ave Maria dessus, puis elle me le présente et moi, après (avoir) fait le signe de la Croix avec, je le mange avec une grande dévotion, lui trouvant tout à fait le goût du pain bénit...

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Souvent nous faisions ensemble des conférences spirituelles ; voici un exemple que j'emprunte aux lettres de Maman " Nos deux chères petites Céline et Thérèse sont des anges de bénédiction, des petites natures angéliques. Thérèse fait la joie, le bonheur de Marie et sa gloire, c'est incroyable comme elle en est fière. C'est vrai qu'elle a des réparties bien rares à son âge, elle en remontre à Céline qui est le double plus âgée. Céline disait l'autre jour : " Comment que cela se fait que le bon Dieu peut être dans une si petite hostie ?. " " La petite a dit : " Ce n'est pas si étonnant puisque le bon Dieu est Tout-puissant. " " Qu'est-ce que veut dire Tout-puissant ? " " Mais c'est de faire tout ce qu'Il veut !... " (NHA 124) Un jour Léonie pensant qu'elle était trop grande pour jouer à la poupée vint nous trouver toutes les deux avec une corbeille remplie de robes et de jolis morceaux destinés à en faire d'autres ; sur le dessus était couchée sa poupée. " Tenez mes petites soeurs, nous dit-elle, choisissez, je vous donne tout cela. " Céline avança la main et prit un petit paquet de ganses qui lui plaisait. Après un moment de réflexion j'avançai la main à mon tour en disant : " Je choisis tout ! " et je pris la corbeille sans autre cérémonie ; les témoins de la scène trouvèrent la chose très juste, Céline elle-même ne songea pas à s'en plaindre (d'ailleurs elle ne manquait pas de jouets, son parrain la comblait de cadeaux et Louise trouvait moyen de lui procurer tout ce qu'elle désirait). Ce petit trait de mon enfance est le résumé de toute ma vie ; plus tard lorsque la perfection m'est apparue, j'ai compris que pour devenir une sainte il fallait beaucoup souffrir, rechercher toujours le plus parfait et s'oublier soi-même ; j'ai compris qu'il y avait bien des

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degrés dans la perfection et que chaque âme était libre de répondre aux avances de Notre-Seigneur, de faire peu ou beaucoup pour Lui, en un mot de choisir entre les sacrifices qu'Il demande. Alors comme aux jours de ma petite enfance, je me suis écriée : " Mon Dieu, je choisis tout ". Je ne veux pas être une sainte à moitié, cela ne me fait pas peur de souffrir pour vous, je ne crains qu'une chose c'est de garder ma volonté, prenez-la, car " Je choisis tout " ce que vous voulez !... " Il faut que je m'arrête, je ne dois pas encore vous parler de ma jeunesse, mais du petit Lutin de quatre ans. Je me souviens d'un rêve que j'ai dû faire vers cet âge et qui s'est profondément gravé dans mon imagination. Une nuit, j'ai rêvé que je sortais pour aller me promener seule au jardin. Arrivée au bas des marches qu'il fallait monter pour y arriver, je m'arrêtai saisie d'effroi. Devant moi, auprès de la tonnelle, se trouvait un baril de chaux et sur ce bariI deux affreux petits diablotins dansaient avec une agilité surprenante malgré des fers à repasser qu'ils avaient aux pieds ; tout à coup ils jetèrent sur moi leurs yeux flamboyants, puis au même moment, paraissant bien plus effrayés que moi, ils se précipitèrent au bas du baril et allèrent se cacher dans la lingerie qui se trouvait en face. Les voyant si peu braves je voulus savoir ce qu'ils allaient faire et je m'approchai de la fenêtre. Les pauvres diablotins étaient là, courant sur les tables et ne sachant comment faire pour fuir mon regard ; quelquefois ils s'approchaient de la fenêtre, regardant d'un air inquiet si j'étais encore là et me voyant toujours, ils recommençaient à courir comme des désespérés. Sans doute ce rêve n'a rien d'extraordinaire, cependant je crois que le Bon Dieu a permis que je m'en rappelle, afin de me prouver qu'une âme en état de grâce n'a rien à craindre des démons qui sont des lâches, capables de fuir devant le regard d'un enfant... Voici encore un passage que je trouve dans les lettres

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de maman. Déjà cette pauvre petite Mère pressentait la fin de son exil : (NHA 125) " Les deux petites ne m'inquiètent pas, elles sont si bien toutes les deux, e sont des natures choisies, certainement elles seront bonnes. Marie et toi vous pourrez parfaitement les élever. Céline ne fait jamais la plus petite faute volontaire. La petite sera bonne aussi, elle ne mentirait pas pour tout l'or du monde, elle a de l'esprit comme je n'en ai jamais vu aucune de vous (NHA 126) " L'autre jour elle était chez l'épicier avec Céline et Louise, elle parlait de ses pratiques et discutait fort avec Céline ; la dame a dit à Louise : " Qu'est-ce qu'elle veut donc dire, quand elle joue dans le jardin on n'entend parler que de pratiques ? Madame Gaucherin avance la tête par sa fenêtre pour tâcher de comprendre ce que veut dire ce débat de pratiques... " cette pauvre petite fait notre bonheur, elle sera bonne, on voit déjà le germe ; elle ne parle que du bon Dieu, elle ne manquerait pas pour tout à faire ses prières. Je voudrais que tu la voies réciter de petites fables, jamais je n'ai rien vu de si gentil, elle trouve toute seule l'expression qu'il faut donner et le ton, mais c'est surtout quand elle dit : " Petit enfant à tête blonde, où crois-tu donc qu'est le bon Dieu ? " Quand elle en est à : " Il est là-haut dans le Ciel bleu " elle tourne son regard en haut avec une expression angélique ; on ne se lasse pas de le lui faire dire tant c'est beau, il y a quelque chose de si céleste dans son regard qu'on en est ravi !... " (NHA 127) O ma Mère ! Que j'étais heureuse à cet âge ! Déjà je commençais à jouir de la vie, la vertu avait pour moi des charmes et j'étais, il me semble, dans les mêmes dispositions où je me trouve maintenant ayant déjà un grand

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empire sur mes actions. Ah ! comme elles ont passé rapidement les années ensoleillées de ma petite enfance, mais quelle douce empreinte elles ont laissée en mon âme ! e me rappelle avec bonheur les jours où papa nous emmenait au pavillon, (NHA 128) les plus petits détails se sont gravés dans mon coeur... Je me rappelle surtout les promenades du Dimanche où toujours maman nous accompagnait... Je sens encore les impressions profondes et poétiques qui naissaient en mon âme à la vue des champs de blé émaillés de bluets et de fleurs champêtres. Déjà j'aimais les lointains... L'espace et les sapins gigantesques dont les branches touchaient la terre laissaient en mon coeur une impression semblable à celle que je ressens encore aujourd'hui à la vue de la nature... Souvent pendant ces longues promenades nous rencontrions des pauvres et c'était toujours la petite Thérèse qui était chargée de leur porter l'aumône, ce dont elle était bien heureuse ; mais souvent aussi, Papa trouvant que la route était trop longue pour sa petite reine, la ramenait plus tôt que les autres au logis (à son grand déplaisir.) Alors pour la consoler Céline remplissait de pâquerettes son joli petit panier et le lui donnait au retour, mais hélas la pauvre bonne-maman (NHA 129) trouvait que sa petite-fille en avait trop, aussi en prenait-elle une bonne partie pour sa sainte Vierge... Ceci ne plaisait pas à la petite Thérèse mais elle se gardait bien d'en rien dire, ayant pris la bonne habitude de ne se plaindre jamais, même quand on lui enlevait ce qui était à elle, ou bien lorsqu'elle était accusée injustement, elle préférait se taire et ne pas s'excuser, ceci n'était point mérite de sa part, mais vertu naturelle... Quel dommage que cette bonne disposition se soit évanouie !...

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Oh ! véritablement tout me souriait sur la terre : je trouvais des fleurs sous chacun de mes pas et mon heureux caractère contribuait aussi à rendre ma vie agréable, mais une nouvelle période allait commencer pour mon âme, je devais passer par le creuset de l'épreuve et souffrir dès mon enfance afin de pouvoir être plus tôt offerte Jésus. De même que les fleurs du printemps commencent à germer sous la neige et s'épanouissent aux premiers rayons du Soleil, ainsi la petite fleur dont j'écris les souvenirs a-t-elle dû passer par l'hiver de l'épreuve... Tous les détails de la maladie de notre mère chérie sont encore présents à mon coeur, je me souviens surtout des dernières semaines qu'elle a passées sur la terre ; nous étions, Céline et moi, comme de pauvres petites exilées, tous les matins. Madame Leriche (NHA 201) venait nous chercher et nous passions la journée chez elle. Un jour, nous n'avions pas eu le temps de faire notre prière avant de partir et pendant le trajet Céline m'a dit tout bas : " Faut-il le dire que nous n'avons pas fait notre prière ? ... " " Oh ! oui " lui ai-je répondu ; alors bien timidement elle l'a dit à Madame Leriche, celle-ci nous a répondu " Eh bien, mes petites filles, vous allez la faire " et puis nous mettant toutes les deux dans une grande chambre elle est partie... Alors Céline m'a regardée et nous avons dit : " Ah ! ce n'est pas comme Maman... toujours elle nous faisait faire notre prière !... " En jouant avec les enfants, toujours la pensée de notre Mère chérie nous poursuivait ; une fois Céline ayant reçu un bel abricot se pencha et me dit tout bas : " Nous n'allons pas le manger, je vais le donner à Maman. " Hélas ! cette pauvre petite Mère était déjà trop malade pour manger les fruits de la terre, elle ne devait plus se rassasier qu'au Ciel de la gloire de Dieu et boire avec Jésus le vin mystérieux dont Il parla dans sa dernière Cène, disant qu'Il le partagerait avec nous dans le royaume de son Père. (NHA 202) (Mt 26,29) La cérémonie touchante de l'extrême-onction s'est aussi imprimée en mon âme ; je vois encore la place où j'étais à côté de Céline, toutes les cinq nous étions par

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rang d'âge et ce pauvre petit Père était là aussi qui sanglotait... Le jour ou le lendemain du départ de Maman, (NHA 203) il me prit dans ses bras en me disant : " Viens embrasser une dernière fois ta pauvre petite Mère. " Et moi sans rien dire, j'approchai mes lèvres du front de ma Mère chérie... Je ne me souviens pas d'avoir beaucoup pleuré, je ne parlais à personne des sentiments profonds que je ressentais... Je regardais et j'écoutais en silence... personne n'avait le temps de s'occuper de moi aussi je voyais bien des choses qu'on aurait voulu me cacher ; une fois, je me trouvai en face du couvercle du cercueil... je m'arrêtai longtemps à le considérer, jamais je n'en avais vu, cependant je comprenais... j'étais si petite que malgré la taille peu élevée de Maman, j'étais obligée de lever la tête pour voir le haut et il me paraissait bien grand... bien triste.. . Quinze ans plus tard, je me trouvai devant un autre cercueil, celui de Mère Geneviève (NHA 204) il était de la même grandeur que celui de maman et je me crus encore aux jours de mon enfance !... Tous mes souvenirs revinrent en foule, c'était bien la même petite Thérèse qui regardait, mais elle avait grandi et le cercueil lui paraissait petit, elle n'avait plus besoin de lever Ia tête pour le voir ; elle ne la levait plus que pour contempler le Ciel qui lui paraissait bien joyeux, car toutes ses épreuves avaient pris fin et l'hiver de son âme était passé pour toujours... (Ct 2,10-11) Le jour où l'Eglise bénit la dépouille mortelle de notre petite Mère du Ciel, le bon Dieu voulut m'en donner une autre sur la terre et il voulut que je la choisisse librement. Nous étions ensemble toutes les cinq, nous regardant avec tristesse, Louise était là aussi et voyant Céline et moi, elle dit : " Pauvres petites, vous n'avez plus de Mère !... Alors Céline se jeta dans les bras de Marie disant " Eh bien ! c'est toi qui seras Maman. " Moi, j'étais habituée à faire

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comme elle, cependant je me tournai vers vous, ma Mère, et comme si déjà l'avenir avait déchiré son voile, je me jetai dans vos bras en m'écriant : " Eh bien ! moi, c'est Pauline qui sera Maman ! " Comme je l'ai dit plus haut, c'est à partir de cette époque de ma vie qu'il me fallut entrer dans la seconde période de mon existence, la plus douloureuse des trois, surtout depuis l'entrée au Carmel de celle que j'avais choisie pour ma seconde " Maman. " Cette période s'étend depuis l'age de quatre ans et demi jusqu'à celui de ma quatorzième année, époque où je retrouvai mon caractère d'enfant tout en entrant dans le sérieux de la vie. Il faut vous dire, ma Mère, qu'à partir de la mort de Maman, mon heureux caractère changea complètement ; moi si vive, si expansive, je devins timide et douce, sensible à l'excès. Un regard suffisait pour me faire fondre en larmes, il fallait que personne ne s'occupât de moi pour que je sois contente, je ne pouvais pas souffrir la compagnie de personnes étrangères et ne retrouvais ma gaieté que dans l'intimité de la famille... Cependant je continuais à être entourée de la tendresse la plus délicate. Le coeur si tendre de Papa avait joint à l'amour qu'il possédait déjà un amour vraiment maternel !... Vous, ma Mère, et Marie n'étiez-vous pas pour moi les mères les plus tendres, les plus désintéressées ? Ah ! si le Bon Dieu n'avait pas prodigué ses bienfaisants rayons à sa petite fleur, jamais elle n'aurait pu s'acclimater à la terre, elle était encore trop faible pour supporter les pluies et les orages, il lui fallait de la chaleur, une douce rosée et des brises printanières ; jamais elle ne manqua de

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tous ces bienfaits, Jésus les lui fit trouver, même sous la neige de l'épreuve ! Je ne ressentis aucun chagrin en quittant Alençon. Les enfants aiment le changement et ce fut avec plaisir que je vins à Lisieux. (NHA 205) (NHA 206) Je me souviens du voyage, de l'arrivée le soir chez ma tante, je vois encore Jeanne et Marie nous attendant à la porte... J'étais bien heureuse d'avoir des petites cousines si gentilles, je les aimais beaucoup ainsi que ma tante et surtout mon oncle, seulement il me faisait peur et je n'étais pas mon aise chez lui comme aux Buissonnets, c'est là que ma vie était véritablement heureuse... Dès le matin vous veniez auprès de moi, me demandant si j'avais donné mon coeur au bon Dieu, ensuite vous m'habilliez en me parlant de Lui et puis, à vos côtés, je faisais ma prière. Après venait la leçon de lecture, le premier mot que je pus lire seule fut celui-ci : " Cieux. " Ma chère marraine se chargea des leçons d'écriture et vous, ma Mère, de toutes les autres ; je n'avais pas une très grande facilité pour apprendre mais j'avais beaucoup de mémoire. Le catéchisme et surtout l'histoire sainte avaient mes préférences, je les étudiais avec joie, mais la grammaire a fait souvent couler mes larmes... Rappelez-vous le masculin et le féminin ! Aussitôt que ma classe était finie, je montais au belvédère portant ma rosette et ma note à papa. Que j'étais heureuse quand je pouvais lui dire : J'ai cinq sans exception, c'est Pauline qui l'a dit la première... " Car lorsque je vous demandais si j'avais cinq sans exception et que vous me disiez oui, c'était à mes yeux un degré de moins ; vous me donniez aussi des bons points, quand j'en avais amassé un certain nombre, j'avais une récompense et un jour de congé. Je me rappelle que ces jours-là

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me semblaient bien plus longs que les autres, ce qui vous faisait plaisir puisque cela montrait que je n'aimais pas à rester sans rien faire. Toutes les après-midi, j'allais faire une petite promenade avec papa ; nous faisions ensemble notre visite au Saint-Sacrement, visitant chaque jour une nouvelle église, c'est ainsi que j'entrai pour la première fois dans la chapelle du Carmel, papa me montra la grille du choeur, me disant que derrière étaient des religieuses. J'étais bien loin de me douter que neuf ans plus tard je serais parmi elles !... Après la promenade (pendant laquelle papa m'achetait toujours un petit cadeau d'un ou deux sous) je rentrais à la maison ; alors je faisais mes devoirs, puis tout le reste du temps, je restais à sautiller dans le jardin autour de papa, car je ne savais pas jouer à la poupée. C'était une grande joie pour moi de préparer des tisanes avec des petites graines et des écorces d'arbres que je trouvais par terre, je les portais ensuite à papa dans une jolie petite tasse, ce pauvre petit père quittait son ouvrage et puis en souriant il faisait semblant de boire. Avant de me rendre la tasse il me demandait (comme à la dérobée) s'il fallait en jeter le contenu ; quelquefois je disais oui, mais plus souvent je remportais ma précieuse tisane, voulant la faire servir plusieurs fois... j'aimais à cultiver mes petites fleurs dans le jardin que Papa m'avait donné ; je m'amusais à dresser de petits autels dans l'enfoncement qui se trouvait au milieu dans le mur ; quand j'avais fini, Je courais vers Papa et l'entraînant je lui disais de bien fermer les yeux et de ne les ouvrir qu'au moment où je lui dirais de le faire, il faisait tout ce que je voulais et se laissait conduire devant mon petit jardin, alors je criais : " Papa ouvre les yeux : " Il les ouvrait

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et s'extasiait pour me faire plaisir, admirant ce que je croyais être un chef d'oeuvre !... Je ne finirais pas si je voulais raconter mille petits traits de ce genre qui se pressent en foule dans ma mémoire... Ah ! comment pourrai-je redire toutes les tendresses que " Papa " prodiguait à sa petite reine ? Il est des choses que le coeur sent, mais que la parole et même la pensée ne peuvent arriver à rendre... Ils étaient pour moi de beaux jours, ceux où mon " roi chéri " m'emmenait à la pêche avec lui, j'aimais tant la campagne, les fleurs et les oiseaux ! Quelquefois j'essayais de pêcher avec ma petite ligne, mais je préférais aller m'asseoir seule sur l'herbe fleurie, alors mes pensées étaient bien profondes et sans savoir ce que c'était (que) de méditer, mon âme se plongeait dans une réelle oraison... J'écoutais les bruits lointains... Le murmure du vent et même la musique indécise des soldats dont le son arrivait jusqu'à moi mélancolisaient doucement mon coeur... La terre me semblait un lieu d'exil et je rêvais le Ciel... L'après-midi passait vite, bientôt il fallait rentrer aux Buissonnets, mais avant de partir je prenais la collation que j'avais apportée dans mon petit panier ; la belle tartine de confitures que vous m'aviez préparée avait changé d'aspect et au lieu de sa vive couleur je ne voyais plus qu'une légère teinte rose, toute vieillie et rentrée... alors la terre me semblait encore plus triste et je comprenais qu'au Ciel seulement la joie serait sans nuages... A propos de nuages, je me souviens qu'un jour le beau Ciel bleu de la campagne s'en couvrit et que bientôt l'orage se mit à gronder, les éclairs sillonnaient les nuages sombres et je vis à quelque distance tomber le tonnerre ; loin d'en être effrayée, j'étais ravie, il me semblait que le Bon Dieu

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était si près de moi !... Papa n'était pas tout à fait aussi content que sa petite reine, non que l'orage lui fît peur, mais l'herbe et les grandes pâquerettes (qui étaient plus hautes que moi) étincelaient de pierres précieuses, il nous fallait traverser plusieurs prairies avant de trouver une route et mon petit père chéri, craignant que les diamants mouillent sa petite fille, la prit malgré son bagage de lignes et l'emporta sur son dos. Pendant les promenades que je faisais avec papa, il aimait à me faire porter l'aumône aux pauvres que nous rencontrions ; un jour nous en vîmes un qui se traînait péniblement sur des béquilles, je m'approchai pour lui donner un sou, mais ne se trouvant pas assez pauvre pour recevoir l'aumône, il me regarda en souriant tristement et refusa de prendre ce que je lui offrais. Je ne puis dire ce qui se passa dans mon coeur, j'aurais voulu le consoler, le soulager ; au lieu de cela je pensais lui avoir fait de la peine, sans doute le pauvre malade devina ma pensée, car je le vis se détourner et me sourire. Papa venait de m'acheter un gâteau, j'avais bien envie de le lui donner mais je n'osai pas, cependant je voulais lui donner quelque chose qu'il ne puisse me refuser, car je sentais pour lui une sympathie très grande, alors je me rappelai avoir entendu dire que le jour de la première communion on obtenait tout ce qu'on demandait cette pensée me consola et bien que je n'eusse encore que six ans, je me dis : " Je prierai pour mon pauvre le jour de ma première communion. " Je tins ma promesse cinq ans plus tard et j'espère que le bon Dieu exauça la prière qu'Il m'avait inspirée de Lui adresser pour un de ses membres souffrants...

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J'aimais beaucoup le Bon Dieu et je lui donnais bien souvent mon coeur en me servant de la petite formule que maman m'avait apprise, cependant un jour ou plutôt un soir du beau mois de Mai je fis une faute qui vaut bien la peine d'être rapportée, elle me donna un grand sujet de m'humilier et je crois en avoir eu la contrition parfaite. Etant trop petite pour aller au mois de Marie je restais avec Victoire (NHA 207) et faisais avec elle mes dévotions devant mon petit mois de Marie que j'arrangeais à ma façon ; tout était si petit : chandeliers et pots de fleurs que deux allumettes-bougies l'éclairaient parfaitement ; quelquefois Victoire me faisait la surprise de me donner deux petits bouts de rat-de-cave mais c'était rare. Un soir tout était prêt pour nous mettre en prière, je lui dis " Victoire, voulez-vous commencer le souvenez-vous je vais allumer. "Elle fit semblant de commencer, mais elle ne dit rien et me regarda en riant ; moi qui voyais mes précieuses allumettes se consumer rapidement, je la suppliai de faire la prière, elle continua de se taire ; alors me levant, je me mis à lui dire bien haut qu'elle était méchante, et sortant de ma douceur habituelle, je frappai du pied de toutes mes forces... Cette pauvre Victoire n'avait plus envie de rire, elle me regarda avec étonnement et me montra du rat-de-cave qu'elle m'avait apporté... après avoir répandu des larmes de colère, je versai des larmes d'un sincère repentir ayant le ferme propos de ne plus jamais recommencer !... Une autre fois il m'arriva une autre aventure avec Victoire mais de celle-ci je n'eus aucun repentir, car je gardai parfaitement mon calme. Je voulais avoir un encrier qui se trouvait sur la cheminée de la cuisine ; étant trop petite pour le prendre, je demandai bien gentiment à Victoire de

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me le donner, mais elle refusa me disant de monter sur une chaise. Je pris une chaise sans rien dire, mais en pensant qu'elle n'était pas aimable ; voulant le lui faire sentir, je cherchai dans ma petite tête ce qui m'offensait le plus, elle m'appelait souvent quand elle était ennuyée de moi : " petite mioche ", ce qui m'amusait beaucoup. Alors avant de sauter au bas de ma chaise, je me détournai avec dignité et je lui dis : " Victoire, vous êtes une mioche " Puis je me sauvai, la laissant méditer la profonde parole que je venais de lui adresser... Le résultat ne se fit pas attendre, bientôt je l'entendis qui criait : " M'amzelle Mari... Thérasse vient d'me dire que j'suis une mioche ! " Marie vint et me fit demander pardon, mais je le fis sans contrition, trouvant que puisque Victoire n'avait pas voulu allonger son grand bras me rendre un petit service elle, méritait le titre de mioche. Cependant elle m'aimait beaucoup et je l'aimais bien aussi ; un jour elle me tira d'un grand péril où j'étais tombée par ma faute. Victoire repassait ayant à côté d'elle un seau avec de l'eau dedans, moi je la regardais en me balançant (comme à mon habitude) sur une chaise, tout à coup la chaise me manque et je tombe, non pas par terre, mais dans le fond du seau !... Mes pieds touchaient ma tête et je remplissais le seau comme un petit poulet remplit son oeuf !... Cette pauvre Victoire me regardait avec une surprise extrême, n'ayant jamais vu pareille chose. J'avais bien envie de sortir au plus tôt de mon seau, mais impossible, ma prison était si juste que je ne pouvais pas faire un mouvement. Avec un peu de peine elle me sauva de mon grand péril, mais non pas ma robe et tout le reste qu'elle fut obligée de me changer, car j'étais trempée comme une soupe. Une autre fois je tombai dans la cheminée, heureusement le feu n'était

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pas allumé. Victoire n'eut que le mal de me relever et de secouer la cendre dont j'étais remplie. C'était le mercredi, alors que vous étiez au chant avec Marie, que toutes ces aventures m'arrivaient. Ce fut aussi un mercredi que Monsieur Ducellier (NHA 208) vint pour faire une visite. Victoire lui ayant dit qu'il n'y avait personne à la maison que la petite Thérèse, il entra dans la cuisine pour me voir et regarda mes devoirs ; j'étais bien fière de recevoir mon confesseur, car peu de temps avant je m'étais confessée pour la première fois. Quel doux souvenir pour moi !... O ma Mère chérie ! avec quel soin ne m'aviez-vous pas préparée me disant que ce n'était pas à un homme, mais au Bon Dieu, que j'allais dire mes péchés ; j'en étais vraiment bien convaincue aussi je fis ma confession avec un grand esprit de foi et même je vous demandai s'il ne fallait pas dire à Monsieur Ducellier que je l'aimais de tout mon coeur puisque c'était au Bon Dieu que j'allais parler en sa personne... Bien instruite de tout ce que je devais dire et faire, j'entrai dans le confessionnal et me mis à genoux, mais en ouvrant le guichet Monsieur Ducellier ne vit personne, j'étais si petite que ma tête se trouvait sous la banquette où l'on s'appuie les mains, alors il me dit de rester debout ; obéissant aussitôt, je me levai et me tournant juste en face de lui pour bien le voir, je fis ma confession comme une grande fille et je reçus sa bénédiction avec une grande dévotion, car vous m'aviez dit qu'à ce moment les larmes du Petit Jésus allaient purifier mon âme. Je me souviens que la première exhortation qui me fut adressée m'invita surtout à la dévotion envers la Sainte Vierge et je me promis de redoubler de tendresse pour elle. (NHA 209) En sortant du confessionnal, j'étais si contente et si légère que jamais je n'avais senti autant de joie dans mon

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âme. Depuis je retournai me confesser à toutes les grandes fêtes et c'était une vraie joie pour moi à chaque fois que j'y allais. Les fêtes !... ah ! que ce mot rappelle de souvenirs !... Les fêtes, je les aimais tant !... Vous saviez si bien m'expliquer ma Mère chérie, tous les mystères cachés sous chacune d'elles que c'étaient vraiment pour moi des jours du Ciel. J'aimais surtout les processions du Saint-Sacrement, quelle joie de semer des fleurs sous les pas du Bon Dieu... mais avant de les y laisser tomber je les lançais le plus haut que je pouvais et je n'étais jamais aussi heureuse qu'en voyant mes roses effeuillées toucher l'ostensoir sacré... Les fêtes ! ah ! si les grandes étaient rares, chaque semaine en ramenait une bien chère à mon coeur : " Le Dimanche ! Quelle journée que celle du Dimanche !... C'était la fête du Bon Dieu, la fête du repos. D'abord je restais dans le dodo plus longtemps que les autres jours et puis maman Pauline gâtait sa petite fille, lui apportant son chocolat dans son dodo, ensuite elle l'habillait comme une petite reine... Marraine venait friser filleule qui n'était pas toujours gentille quand on lui tirait les cheveux, mais ensuite elle était bien contente d'aller prendre la main de son Roi qui, ce jour-là, l'embrassait encore plus tendrement qu'à l'ordinaire, puis toute la famille partait à la Messe. Tout le long du chemin et même dans l'église, la petite " Reine à Papa " lui donnait la main, sa place était à côté de lui et quand nous étions obligés de descendre pour le sermon il fallait trouver encore deux chaises l'une auprès de l'autre. Ce n'était pas bien difficile, tout le monde avait l'air de trouver cela si gentil de voir un si beau vieillard avec une si petite fille que les personnes se dérangeaient pour donner leurs places. Mon oncle qui se trouvait dans les bancs des marguilliers se réjouissait de nous voir arriver, il disait que j'étais son petit

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rayon de Soleil... Moi je ne m'inquiétais guère d'être regardée, écoutant bien attentivement les sermons auxquels cependant je ne comprenais pas grand'chose ; le premier que je compris et qui me toucha profondément fut un sermon sur la Passion prêché par Monsieur Ducellier et depuis je compris tous les autres sermons. Quand le prédicateur parlait de Sainte Thérèse, papa se penchait et me disait tout bas : " Écoute bien, ma petite reine, on parle de ta Sainte Patronne " J'écoutais bien en effet, mais je regardais papa plus souvent que le prédicateur, sa belle figure me disait tant de choses !. .. Parfois ses yeux se remplissaient de larmes qu'il s'efforçait en vain de retenir, il semblait déjà ne plus tenir à la terre, tant son âme aimait à se plonger dans les vérités éternelles... Cependant sa course était bien loin d'être achevée, de longues années devaient s'écouler avant que le beau Ciel s'ouvrît à ses yeux ravis et que le Seigneur essuyât les larmes de son bon et fidèle serviteur !... (Ap 21,4 Mt 25,21) Mais je reviens à ma journée du Dimanche. Cette joyeuse journée qui passait si rapidement avait bien sa teinte de mélancolie. Je me souviens que mon bonheur était sans mélange jusqu'a complies, pendant cet office, je pensais que le jour du repos allait finir... que le lendemain il faudrait recommencer la vie, travailler, apprendre des leçons, et mon coeur sentait l'exil de la terre... je soupirais après le repos éternel du Ciel, le Dimanche sans couchant de la Patrie !... Il n'est pas jusqu'aux promenades que nous faisions avant de rentrer aux Buissonnets qui ne laissaient un sentiment de tristesse dans mon âme ; alors la famille n'était plus au complet puisque pour faire plaisir à mon Oncle, Papa lui laissait le soir de chaque Dimanche Marie ou Pauline ;