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L'HOMME ET SES CHAÎNES
 
 

« C'est en la Parole qu'est
la vie, et la vie est la
lumière des hommes. »
(St Jean 1, 4).





     Nous sommes tous dans ce monde comme des étrangers aveugles et ignorants, cheminant dans les ténèbres et la privation, car tout enfant de la Terre, quelque riche qu'il soit en esprit, sciences et autres, selon le monde, n'est qu'un esprit enfermé dans une prison ; et il reste tel jusqu'à ce que la Lumière du monde ou le Christ devienne son instructeur et, par là, son Libérateur ; car c'est la vérité en l'homme qui le met en liberté.

     Ce qui constitue notre ignorance, c'est la privation de la vie et de l'Esprit de Dieu en nous. Il est grand l'abîme où l'homme est tombé, et le bouleversement subi dans tout son être est considérable, puisque le néant est tout pour lui et que Dieu, la seule réalité, n'est qu'une idée chimérique.

     Cependant il ne saurait être question de punition, de châtiment, mais bien de l'action de la Loi de l'homme, pesant sur son prévaricateur ; tandis que sa fidélité lui aurait assuré le bonheur et la satisfaction. C'est librement, avant sa génération physique que l'homme s'est mis en opposition avec sa Loi et qu'il a déterminé ainsi ce malheureux état de pâtiment, si contraire à la sagesse et à l'amour du Tout-Puissant.

     Tout dans l'univers rend témoignage à ce cataclysme, qui aurait été bien plus terrible encore sans l'intervention de la Miséricorde Divine, qui plaça un organe entre le coupable et la justice. Le Temps est ce mystérieux instrument ; il lie les humains à un ordre de choses qui, ayant eu un commencement, doit avoir une fin. Le but du Temps est d'opérer en dissolution sur l'être faux et de l'amener graduellement au terme de son œuvre. Or, les inconvénients de cette vie secondaire deviennent d'autant plus sensibles à l'être humain et la mort plus redoutable, qu'il s'enfonce et s'identifie avec toutes les choses périssables qui l'entourent.

     Par sa racine de vie éternelle, l'homme est réfractaire à toute idée de limites et cependant il ne s'attache qu'à des illusions. Il sent en lui des besoins incommensurables, qui prouvent sa sublime origine, cependant que l'impossibilité de les satisfaire atteste sa fatale transposition. Né pour le bonheur, mais tombé dans ce monde, l'homme exige de lui ce qu'il ne pourra jamais lui donner. Sa chute lui a fait perdre tous les avantages de grandeur, de félicité et de sagesse, sans lui ôter le désir et le vif besoin d'en jouir ; alors dans son aveuglement, il fait de vains et inutiles efforts pour trouver le bonheur, dans les ruines du royaume des anges ; il sollicite les ruines, qui constituent ce monde, avec l'espoir d'y trouver satisfaction et joie ; mais ce royaume qui n'est pas fait pour lui, ne peut lui fournir que le bonheur animal et lui faire sentir qu'il n'est qu'un malheureux exilé....

     On peut dire de l'homme qu'il est l'être le plus misérable de cette vie inférieure, où il est en exil.

     Tout ce qui possède un degré de vie, dans ce monde, procède de la Nature éternelle, et toutes ces vies jaillissantes des unes des autres constituent la manifestation et la gloire extérieure de Dieu. Elles révèlent la Divinité-Tri-une, dans une triple vie, base de toutes les propriétés qui sont dans les créatures.

     Chaque homme terrestre est ainsi l'expression d'une propriété de l'éternelle Nature. ; C'est au moyen de cette propriété que l'être humain se crée lui-même un esprit de vie particulier, qui le fait vouloir et agir dans sa manière propre ; tandis que son étincelle divine, provenant directement de l'Unité universelle, pousse l'homme à constituer son unité apparente comme centre universel, par tous les moyens possibles. C'est ainsi que le Genre Humain présente une arène de lutteurs, où chacun veut l'emporter sur les autres.

     Tant que l'homme ne vit que par son être faux et apparent, il subit une dépendance complète, car le principe de vie naturelle, dont il jouit, ne lui est que prêté ce principe s'identifie avec lui et devient l'âme de la vie propre de l'homme, qui est alors poussé à ne considérer que son intérêt particulier, à vouloir tout pour lui. Or, si ce principe n'était arrêté dans son action jusqu'à la fin des temps, il est aisé de comprendre que les guerres et les révolutions seraient encore plus fréquentes et que tous les hommes s'extermineraient sans répit les uns les autres.

     C'est de cette vie fausse, qui donne comme terme la décomposition de l'unité composée de l'être humain, le laissant nu et sans aliment, de cette vie ténébreuse qui est nous par nous que le Christ a dit : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, celui qui consent à la perdre la sauvera. »

     Il ne saurait être question ici du corps physique, du corps matériel comme victime, car cet organisme n'est dans le fait que signe passif et passager, au même titre que tous les phénomènes matériels. Par le mode de son existence, par la corruption et les maladies de tous genres dont ce malheureux est le siège, il n'est que trop visible que c'est là la manifestation, le miroir du coupable : de l'égoïsme, de ce moi, véritable prison de l'Être réel, et qui constitue un abîme séparant l'homme de la Réalité et du bonheur.

     Pour atteindre la vie sublime, volontairement l'homme doit faire dissoudre, en lui, cette horrible vie par laquelle « chacun est contre tous et tous contre un » ; mais la véritable félicité ne pourra s'enfanter qu'avec douleur, car nous dit Saint Paul : « Nous venons de Dieu, mais nous sommes sous la puissance de Satan. » Et l'homme s'est vendu à d'inflexibles tyrans, il leur a même livré la nature entière, qui gémit sous l'oppression de tous ces ennemis ; ce qui a fait dire à l'Esprit par Moïse « Et la Terre fut maudite à cause de l'homme. »

     Dans cet ébranlement l'homme a perdu le souvenir de son état antérieur et même celui de sa chute ; et, s'enfonçant de plus en plus dans la matière, il ne discerne pas plus qu'elle, la dégradation et les contrastes si repoussants attachés à son existence ; car dans quelque état que se trouve cette matière, elle n'a que le caractère de l'inertie ; elle ne s'aperçoit ni de son ordre ni de son désastre. La Nature est la vie de la matière, elle possède un instinct et une sensibilité qui lui font sentir son altération et gémir de son esclavage. La Nature, qui est l'ensemble de toutes les propriétés actives de la vie créaturelle, aspire sans cesse après son complément, après Dieu, sa source, qui peut seul lui donner le bonheur, combler tous ses besoins et apaiser sa grande souffrance au milieu de cette vie de nécessité, figurative et animale, déterminée par la chute de l'homme ; la seule vie cependant dont l'homme fut alors capable. « Au jour où tu en mangeras, tu mourras », c'est-à-dire tu mourras à la vie merveilleuse, pour laquelle tu as été créé.

     Pour se réveiller de ce somnambulisme dans lequel il est plongé, l'homme doit se retourner vers cette malheureuse nature qu'il abandonne de plus en plus ; et, au moyen des facultés qu'elle lui prête, il doit reprendre le chemin de la Réalité.

     C'est au moyen de la vie divine, seul témoin de sa prévarication, que l'homme rentrera dans les facultés célestes de son être réel et qu'il aura l'intelligence de son malheureux état sur cette Terre ; où actuellement il ne soupçonne même pas l'existence de l'ordre éternel, car c'est par l'ordre faux et apparent qu'il a l'idée et le sentiment de la vie.

     Pour reprendre sa liberté et échapper à l'ennemi, c'est dans un esprit de droiture et de simplicité que l'homme opposera, à cet ennemi, des forces analogues aux siennes ; mais pour que ces forces employées au nom du Tout-Puissant soient triomphantes, l'homme doit leur donner asile au-dedans de lui, c'est-à-dire qu'il doit pratiquer les vertus qui émanent de cette source sacrée ; et par les facultés qui constituent son être, il s'assimilera ces forces divines par la pensée, le désir, la volonté et l'action. Car c'est en plongeant dans l'Unité universelle, dans le sein de sa mère, que notre racine reprend sa puissance primitive, plus grande et plus profonde que celle de notre nature inférieure, laquelle est alors pénétrée et inondée dans toutes ses propriétés, par les rayons divins, sans cependant comprendre ce qui se passe en elle ; mais chacune de ses propriétés, se tournant vers le vrai soleil, lui livre son droit naturel ; alors toutes ces propriétés inférieures sont remplies de lumière et de joie, car de nouveau elles sont engendrées, pour leur manifestation dans l'harmonie universelle.

     C'est ainsi que, le feu de la Vie éternelle allumé dans l'homme par l'Amour ou l'Esprit Saint, cet homme réintègre le divin sanctuaire, d'où il avait été chassé. Il devient le témoin des manifestations divines et peut dire, avec raison, qu'il était présent lorsque la sagesse faisait toutes ces choses : la création est un éternel recommencement.

     Puis c'est chaque jour, à chaque instant, que l'homme régénéré offre le sacrifice par excellence au fond de son âme. La Nature et l'Humanité entrent avec lui dans le Lieu très saint, renfermées dans sa robe ; et ce nouvel Abel prie pour tous. Il demande que ses frères soient éclairés sur la grande importance de leur passage sur la Terre, en employant ce Temps miséricordieux à leur réintégration dans la vie heureuse et réelle. Combien il souhaite que tous comprennent la profondeur des paroles sacrées : « Rachète le Temps », en traversant ce monde, comme des voyageurs conscients de leur tâche, ne s'arrêtant ni aux illusions ni aux convoitises de cette vie inférieure, pour reporter tous leurs désirs, leur activité vers la source de l'Amour, de la Vérité et du bonheur.
 
 

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