ARTICLE II
 
 

Discernement de la vraie dévotion à la sainte Vierge.



        Ayant dit jusqu'ici quelque chose de la nécessité que nous avons de la dévotion à la très sainte Vierge, il faut dire en quoi consiste cette dévotion : ce que je ferai, Dieu aidant, après que j'aurai présupposé quelques vérités fondamentales, qui donneront jour à cette grande et solide dévotion que je veux découvrir.

    Première vérité. Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, doit être la fin dernière de toutes nos autres dévotions ; autrement elles seraient fausses et trompeuses. Jésus-Christ est l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin de toutes choses. Nous ne travaillons, comme dit l'Apôtre, que pour rendre tout homme parfait en Jésus-Christ, parce que c'est en lui seul qu'habitent toute la plénitude de la divinité et toutes les autres plénitudes de grâces, de vertus et de perfections ; parce que c'est en lui seul que nous avons été bénis de toute bénédiction spirituelle ; parce qu'il est notre unique Maître qui doit nous enseigner, notre unique Seigneur de qui nous devons dépendre, notre unique Chef auquel nous devons être, notre unique Modèle auquel nous devons nous conformer, notre unique Médecin qui doit nous guérir, notre unique Pasteur qui doit nous nourrir, notre unique Voie qui doit nous conduire, notre unique Vérité que nous devons croire, notre unique Vie qui doit nous vivifier, et notre unique Tout en toutes choses qui doit nous suffire. Il n'a point été donné d'autre nom sous le ciel, que le nom de Jésus, par lequel nous devions être sauvés. Dieu ne nous a point mis d'autre fondement de notre salut, de notre perfection et de notre gloire, que Jésus-Christ : tout édifice qui n'est pas posé sur cette pierre ferme est fondé sur le sable mouvant, et tombera infailliblement tôt ou tard. Tout fidèle qui n'est pas uni à lui, comme une branche au cep de la vigne, tombera, séchera, et ne sera propre qu'à être jeté au feu. Si nous sommes en Jésus-Christ et Jésus-Christ en nous, nous n’aurons point de damnation à craindre ; ni les anges des cieux, ni les hommes de la terre, ni les démons des enfers, ni aucune autre créature ne nous peut nuire parce qu'elle ne nous peut séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ. Par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ, nous pouvons toutes choses : rendre tout honneur et gloire au Père, en l'unité du Saint-Esprit ; nous rendre parfaits, et être à notre prochain une bonne odeur de vie éternelle.

    Si donc nous établissons la solide dévotion de la très sainte Vierge, ce n'est que pour établir plus parfaitement celle de Jésus-Christ ; ce n'est que pour donner un moyen aisé et assuré pour trouver Jésus-Christ. Si la dévotion à la sainte Vierge éloignait de Jésus-Christ, il faudrait la rejeter, comme une illusion du diable ; mais tant s'en faut, qu'au contraire, comme j’ai déjà fait voir et ferai voir encore ci-après, cette dévotion ne nous est nécessaire que pour trouver Jésus-Christ parfaitement, l'aimer tendrement, et le servir fidèlement.

    Je me tourne ici un moment vers vous, ô mon aimable jésus, pour me plaindre amoureusement à votre divine majesté, de ce que la plupart des chrétiens, même les plus savants, ne savent pas la liaison nécessaire qui est entre vous et votre sainte Mère. Vous êtes, Seigneur, toujours avec Marie, et Marie est toujours avec vous, et ne peut être sans vous, autrement elle cesserait d'être ce qu'elle est ; elle est tellement transformée en vous par la grâce, qu'elle ne vit plus, qu'elle n'est plus(73) ; c'est vous seul, mon Jésus, qui vivez et régnez en elle, plus parfaitement qu'en tous les anges et les bienheureux. Ah ! si on connaissait la gloire et l'amour que vous recevez en cette admirable créature, on aurait de vous et d'elle bien d'autres sentiments qu'on n'a pas. Elle vous est si intimement unie, qu'on séparerait plutôt la lumière du soleil, la chaleur du feu, je dis plus, on séparerait plutôt tous les anges et les saints de vous, que la divine Marie ; parce qu'elle vous aime plus ardemment, et vous glorifie plus parfaitement que toutes vos autres créatures ensemble.

    Après cela, mon aimable Maître, n'est-ce pas une chose étonnante et pitoyable, de voir l'ignorance et les ténèbres de tous les hommes d'ici-bas, à l'égard de votre sainte Mère ? Je ne parle pas tant des idolâtres et païens qui, ne vous connaissant pas, n'ont garde de la connaître ; je ne parle pis même des hérétiques et schismatiques, qui n'ont garde d'être dévots à votre sainte Mère, s'étant séparés de vous et de votre sainte Église ; mais je parle des chrétiens catholiques, et même des docteurs parmi les catholiques, qui, faisant profession d'enseigner aux autres les vérités, ne vous connaissent pas, ni votre sainte Mère, si ce n'est d'une manière spéculative, sèche, stérile et indifférente (74). Ces Messieurs ne parlent que rarement de votre sainte Mère et de la dévotion qu'on lui doit avoir, parce qu'ils craignent, disent-ils, qu'on n'en abuse, qu'on ne vous fasse injure en honorant trop votre sainte Mère. S'ils voient ou entendent quelque dévot à la sainte Vierge parler souvent de la dévotion à cette bonne Mère, d'une manière tendre, forte et persuasive, comme d'un moyen assuré sans illusion, d'un chemin court sans danger, d'une voie immaculée sans imperfection, et d'un secret merveilleux pour vous trouver et vous aimer parfaitement, ils se récrient contre lui, et lui donnent mille fausses raisons pour lui prouver qu'il ne faut pis qu'il parle tant de la sainte Vierge, qu'il y a de grands abus en cette dévotion, et qu'il faut travailler à les détruire, et parler de vous plutôt que de porter les peuples à la dévotion à la sainte Vierge qu'ils aiment déjà assez.

    On les entend quelquefois parler de la dévotion à votre sainte Mère, non pas pour l'établir et la persuader, mais pour en détruire les abus qu'on en fait ; tandis que ces Messieurs sont sans piété et sans dévotion tendre pour vous, parce qu'ils n'en ont pas pour Marie : regardant le rosaire, le scapulaire, le chapelet, comme des dévotions propres aux esprits faibles et aux ignorants, sans lesquelles on peut se sauver (75) ; et s'il tombe en leurs mains quelque dévot à la sainte Vierge, qui récite son chapelet ou ait quelque autre pratique de dévotion envers elle, ils lui changeront bientôt l'esprit et le cœur ; au lieu du chapelet, ils lui conseilleront de dire les sept psaumes (76) ; au lieu de la dévotion à la sainte Vierge, ils lui conseilleront la dévotion à Jésus-Christ.

    O mon aimable Jésus, ces gens ont-ils votre esprit ? Vous font-ils plaisir d'en agir de même (78) ? Est-ce vous plaire que de ne pas faire tous ses efforts pour plaire à votre Mère, de peur de vous déplaire ? La dévotion à votre sainte Mère empêche-t-elle la vôtre ? Est-ce qu'elle s'attribue l'honneur qu'on lui rend ? Est-ce qu'elle fait bande à part ? Est-elle une étrangère qui n'a aucune liaison avec vous ? Est-ce vous déplaire que de vouloir lui plaire ? Est-ce se séparer ou s'éloigner de votre amour, que de se donner à elle et de l'aimer ? Cependant, mon aimable Maître, la plupart des savants(79) n'éloigneraient pas plus de la 'dévotion à votre sainte Mère et n'en donneraient pas plus d'indifférence (80), que si tout ce que je viens de dire était vrai (81). Gardez-moi, Seigneur, gardez-moi de leurs sentiments et de leurs pratiques, et nie donnez quelque part aux sentiments de reconnaissance, d'estime, de respect et d'amour que vous avez à l'égard de votre sainte Mère, afin que je vous aime et glorifie d'autant plus que je vous imiterai et suivrai de plus près.

    Comme si, jusqu'ici, je n'avais encore rien dit en l'honneur de votre sainte Mère, « faites-moi la grâce de la louer dignement », Fac me digne tuam Matrem collaudare, malgré tous ses ennemis qui sont les vôtres et que je leur dise hautement avec les saints : Non praesumat aliquis Deum se habere propitium qui benedictam Matrem offensam habuerit, « Que celui-là ne présume pas recevoir la miséricorde de Dieu qui offense sa sainte Mère. » Pour obtenir de votre miséricorde une véritable dévotion à votre sainte Mère, et pour l'inspirer à toute la terre, faites que je vous aime ardemment; et recevez pour cela la prière embrasée que je vous fais avec saint Augustin et vos véritables amis.

    « Tu es Christus, pater meus sanctus, Deus meus pius, tex meus magnus, pastor meus bonus, magister meus unus, adjutor meus optimus, dilectus meus pulcherrimus, panis meus vivus, sacerdos meus in aeternum, dux meus ad patriam, lux mea vera, dulcedo mea sancta, via mea recta, sapientia mea praeclara, simplicitas mea pura, concordia mea pacifica, custodia mea tota, portio mea bona, salus mea sempiterna...

    « Christe Jesu, amabilis Domine, cur amavi, quare concupivi in omni vita mea quidquam praeter te Jesum Deum meum ! Ubi eram quando tecum mente non eram ? Jam ex hoc nunc, omnia desideria mea, incalescite et effluite in Dominum Jesum ; currite, satis hactenus tardastis ; properate quo pergitis ; quaerite quem quaeritis. Jesu, qui non amat te, anathema sit ; qui te non amat, amaritudinibus repleatur... O dulcis Jesu, te amet, in te delectetur, te admiretur omnis sensus bonus tuae conveniens laudi. Deus cordis mei et pars mea, Christe Jesu, deficiat cor meum spiritu suo, et vivas tu in me, et concalescat spiritu meo vivus carbo amoris tui, et excrescat in ignem perfectum, ardeat jugiter in ara cordis mei, ferveat in medullis meis, flagret in absconditis animae meae ; in die consummationis meae consummatus inveniar apud te…Amen »

    J’ai voulu mettre en latin (82) cette admirable oraison de saint Augustin, afin que les personnes qui entendent le latin la disent tous les jours pour demander l’amour de Jésus, que nous cherchons par la divine Marie.

   Seconde vérité. Il faut conclure de ce que Jésus-Christ est à notre égard , que nous ne sommes point à nous, comme dit l’Apôtre, mais tout entiers à lui, comme ses membres et ses esclaves (83) qu’il a rachetés infiniment cher, par le prix de tout son sang. Avant le baptême, nous étions au diable comme ses esclaves, et le baptême nous a rendus les véritables esclaves de Jésus-Christ, qui ne doivent vivre, travailler et mourir que pour fructifier par ce Dieu-Homme, le glorifier en notre corps et le faire régner en notre âme, parce que nous sommes sa conquête, son peuple acquis et son héritage. C’est pour la même raison que le Saint-Esprit nous compare : 1° à des arbres plantés le long des eaux de grâce, dans le champ de l’Eglise, qui doivent donner leurs fruits en leur temps ; 2° aux branches d'une vigne dont Jésus-Christ est le cep, qui doivent rapporter de bons raisins ; 3° à un troupeau dont Jésus-Christ est le pasteur, qui se doit multiplier et donner du lait ; 4° à une bonne terre dont Dieu est le laboureur, et dans laquelle la semence se multiplie et rapporte au trentuple, au soixantuple, au centuple. Jésus-Christ a donné sa malédiction au figuier infructueux, et porté condamnation contre le serviteur inutile qui n'aurait pas fait valoir son talent. Tout cela nous prouve que Jésus-Christ veut recevoir quelques fruits de nos chétives personnes, savoir, nos bonnes œuvres, parce que ces bonnes œuvres lui appartiennent uniquement : Creati in operibus bonis in Christo Jesu, « créés dans les bonnes œuvres en Jésus-Christ ; » lesquelles paroles montrent, et que Jésus-Christ est l'unique principe et doit être l'unique fin de toutes nos bonnes œuvres, et que nous le devons servir, non seulement comme des serviteurs à gages, mais comme des esclaves d'amour (84). Je m'explique.

    Il y a deux manières ici-bas d'appartenir à un autre et de dépendre de son autorité, savoir, la simple servitude (85) et esclavage ; ce qui ce fait que nous appelons un serviteur et un esclave.

    Par la servitude commune parmi les chrétiens, un homme s'engage à en servir un autre pendant un certain temps, moyennant un gage ou une telle récompense.

    Par l'esclavage, un homme est entièrement dépendant d'un autre pour toute sa vie, et doit servir son maître sans en prétendre aucun gage ni récompense, comme une de ses bêtes sur laquelle il a droit de vie et de mort.

    Il y a trois sortes d'esclavage : un esclavage de nature, un esclavage de contrainte et un esclavage de volonté (86). Toutes les créatures sont esclaves de Dieu en la première manière : Domini est terra et plenitudo ejus(87) ; les démons et les damnés en la seconde ; les justes et les saints le sont en la troisième. L'esclavage de volonté est le plus glorieux à Dieu qui regarde le cœur, qui demande le cœur, et qui s'appelle le Dieu du cœur ou de la volonté amoureuse ; parce que, par cet esclavage, on fait choix, par dessus toutes choses, de Dieu et de son service, quand même la nature n'y obligerait pas (88).

    Il y a une totale différence entre un serviteur et un esclave. 1° Un serviteur ne donne pas tout ce qu'il est, tout ce qu'il possède et tout ce qu'il peut acquérir, par autrui ou par soi-même, à son maître, sans aucune exception. 2° Le serviteur exige des gages pour les services qu'il rend à son maître ; mais l'esclave n'en peut rien exiger, quelque assiduité, quelque industrie, quelque force qu'il ait à travailler. 3° Le serviteur peut quitter son maître quand il voudra, ou au moins quand le temps de son service sera expiré ; mais l'esclave n'est pas en droit de quitter son maître quand il voudra. 4° Le maître du serviteur n'a sur lui aucun droit de vie et de mort, en sorte que s'il le tuait comme une de ses bêtes de charge, il commettrait un homicide injuste ; mais le maître de l'esclave a, par les lois, droit de vie et de mort sur lui (89), en sorte qu'il peut le vendre à qui il voudra, ou le tuer, comme, sans comparaison, il le ferait de son cheval. 5° Enfin, le serviteur n'est que pour un temps au service d'un maître, et l'esclave pour toujours.

    Il n'y a rien parmi les hommes qui nous fasse plus appartenir à un autre que l'esclavage ; il n'y a rien aussi parmi les chrétiens qui nous fasse plus absolument appartenir à Jésus-Christ et à sa sainte Mère que l'esclavage de volonté, selon l'exemple de Jésus-Christ même, qui a « pris la forme d'esclave » pour notre amour : Formam servi accipiens, et de la sainte Vierge, qui s'est dite la servante et l'esclave du Seigneur. L'Apôtre s'appelle par honneur servus Christi (90). Les chrétiens sont appelés plusieurs fois dans l'Ecriture Sainte servi Christi ; lequel mot de servus, selon la remarque véritable qu'a faite un grand homme, ne signifiait autrefois qu'un esclave, parce qu'il n'y avait point encore de serviteurs comme ceux d'aujourd'hui, les maîtres n'étant servis que par des esclaves ou affranchis : ce que le Catéchisme du saint Concile de Trente, pour ne laisser aucun doute que nous soyons esclaves de Jésus-Christ, exprime par un terme qui n'est point équivoque, en nous appelant mancipia Christi, « esclaves de Jésus-Christ. »

    Cela posé, je dis que nous devons être à Jésus-Christ et le servir, non seulement comme des serviteurs mercenaires, mais comme des esclaves amoureux, qui, par un effet d'un grand amour, se donnent et se livrent à le servir en qualité d'esclaves, pour l'honneur seul de lui appartenir. Avant le baptême, nous étions esclaves du diable ; le baptême nous a rendus esclaves de Jésus-Christ. Oui, il faut que les chrétiens soient esclaves du diable ou esclaves de Jésus-Christ.

    Ce que je dis absolument de Jésus-Christ, je le dis relativement de la sainte Vierge (91). Jésus-Christ, l'ayant choisie pour la compagne indissoluble de sa vie, de sa mort, de sa gloire et de sa puissance au ciel et sur la terre, lui a donné par grâce, relativement à sa majesté, tous les mêmes droits et privilèges qu'il possède par nature : Quidquid Deo convenit per naturam, Maria convenit per gratiam: « Tout ce qui convient à Dieu par nature, convient à Marie par grâce, » disent les saints ; en sorte que, selon eux, n'ayant tous deux que la même volonté et la même puissance, ils ont tous deux les mêmes sujets, serviteurs et esclaves.

     On peut donc, suivant le sentiment des saints et de plusieurs grands hommes, se dire et se faire l'esclave amoureux de la très sainte Vierge, afin d'être par là plus parfaitement l'esclave de Jésus-Christ (92). La sainte Vierge est le moyen dont Notre Seigneur s'est servi pour venir à nous ; c'est aussi le moyen dont nous devons nous servir pour aller à lui : car elle n'est pas comme les autres créatures, lesquelles, si nous nous y attachions, pourraient plutôt nous éloigner de Dieu que nous en approcher; mais la plus forte inclination de Marie est de nous unir à Jésus-Christ son Fils, et la plus forte inclination du Fils est qu'on vienne à lui par sa sainte Mère ; et c'est lui faire honneur et plaisir, comme ce serait faire honneur et plaisir à un roi, si, pour devenir plus parfaitement son sujet et son esclave, on se faisait esclave de la reine. C'est pourquoi les saints Pères, et saint Bonaventure après eux, disent que la sainte Vierge est le chemin pour aller à Notre Seigneur : Via veniendi ad Christum est appropinquare ad illam.

    De plus, si, comme j'ai dit, la sainte Vierge est la reine et souveraine du ciel et de la terre, (Imperio Dei omnia subjiciuntur et Virgo ; ecce imperio Virginis omnia subjiciitntur et Deus (92), disent saint Anselme, saint Bernard, saint Bernardin, saint Bonaventure), n'a-t-elle pas autant de sujets et d'esclaves qu'il y a de créatures ? N'est-il pas raisonnable que, parmi tant d'esclaves de contrainte, il y en ait d'amour (93), qui, par une bonne volonté, choisissent, en qualité d'esclaves, Marie pour leur souveraine ? Quoi ! les hommes et les démons auront leurs esclaves volontaires, et Marie n'en aurait point ? Quoi ! un roi tiendra à honneur que la reine sa compagne ait des esclaves sur qui elle ait droit de vie et de mort, parce que l'honneur et la puissance de l'un est l'honneur et la puissance de l'autre ; et croire (94) que Notre Seigneur, qui, comme le meilleur de tous les fils, a fait part de toute sa puissance à sa sainte Mère, trouve mauvais qu'elle ait des esclaves ? A-t-il moins de respect et d'amour pour sa Mère qu’Assuérus pour Esther, et que Salomon pour Bethsabée ? Qui oserait le dire et même le penser ?

    Mais, où est-ce que ma plume me conduit ? pourquoi est-ce que je m’arrête ici à prouver une chose si visible ? Si on ne veut pas qu'on se dise esclave de la sainte Vierge, qu'importe (95) ? Qu'on se fasse et qu'on se dise esclave de Jésus-Christ, c'est l'être de la sainte Vierge, puisque Jésus est le fruit et la gloire de Marie : c'est ce qu'on fait parfaitement par la dévotion dont nous parlerons dans la suite.

   Troisième vérité. Nos meilleures actions sont ordinairement souillées et corrompues par le mauvais fonds qui est en nous. Quand on met de l'eau nette et claire dans un vaisseau (96) qui sent mauvais, ou du vin dans un tonneau dont l'intérieur est gâté par un autre vin qu'il y a eu dedans, l'eau claire et le bon vin sont gâtés et en prennent aisément la mauvaise odeur. De même, quand Dieu met dans le vaisseau de notre âme, gâté par le péché originel et actuel, ses grâces et rosées célestes ou le vin délicieux de son amour, ses dons sont ordinairement gâtés et souillés par le mauvais levain et le mauvais fonds que le péché a laissés chez nous ; nos actions, même les vertus les plus sublimes, s'en ressentent. Il est donc d'une très grande importance pour acquérir la perfection, qui ne s'acquiert que par l'union à Jésus-Christ, de nous vider de ce qu'il y a de mauvais en nous ; autrement Notre Seigneur, qui est infiniment pur, et hait infiniment la moindre souillure dans l'âme, nous rejettera de devant ses yeux, et ne s'unira point à nous.

    Pour nous vider de nous-mêmes, il faut : 1° bien connaître par la lumière du Saint-Esprit notre mauvais fonds, notre incapacité à tout bien utile au salut, notre faiblesse en toutes choses, notre inconstance en tout temps, notre indignité de toute grâce, et notre iniquité en tout lieu. Le péché de notre premier père nous a tous gâtés, aigris, élevés et corrompus, comme le levain aigrit, élève et corrompt la pâte où il est mis. Les péchés actuels que nous avons commis, soit mortels, soit véniels, quelque pardonnés qu'ils soient, ont augmenté notre concupiscence, notre faiblesse, notre inconstance et notre corruption, et ont laissé de mauvais restes dans notre âme. Nos corps sont si corrompus qu'ils sont appelés par le Saint-Esprit corps de péché, conçus dans le péché, nourris dans le péché et capables de tout péché, corps sujets à mille et mille maladies, qui se corrompent de jour en jour, et qui n'engendrent que de la gale, de la vermine et de la corruption.

    Notre âme, unie à notre corps, est devenue si charnelle qu'elle est appelée chair ; « toute chair ayant corrompu sa voie», nous n'avons pour partage que l'orgueil et l'aveuglement dans l'esprit, l'endurcissement dans le cœur, la faiblesse et l'inconstance dans l'âme, la concupiscence, les passions révoltées et les maladies dans le corps. Nous sommes naturellement plus orgueilleux que les paons, plus attachés à la terre que les crapauds, plus vilains que les boucs, plus envieux que des serpents, plus gourmands que des pourceaux, plus colères que des tigres et plus paresseux que des tortues, plus faibles que des roseaux et plus inconstants que des girouettes. Nous n'avons dans notre fonds que le néant et le péché, et ne méritons que l'ire de Dieu et l'enfer éternel(97).

    Après cela, faut-il s'étonner si Notre Seigneur a dit que celui qui voulait le suivre devait renoncer à soi-même et haïr son âme ; que celui qui aimerait son âme la perdrait, et que celui qui la haïrait la sauverait ? Cette Sagesse infinie, qui ne donne pas de commandements sans raison, ne nous ordonne de nous haïr nous-mêmes que parce que nous sommes grandement dignes de haine : rien de si digne d'amour que Dieu, rien de si digne de haine que nous-mêmes.

    2° Pour nous vider de nous-mêmes, il faut tous les jours mourir à nous-mêmes; c'est-à-dire qu'il faut renoncer aux opérations des puissances de notre âme et des sens du corps ; qu'il faut voir comme si on ne voyait point, entendre comme si on n'entendait point, se servir des choses de ce monde comme si on ne s'en servait point ; ce que saint Paul appelle « mourir tous les jours » : Quotidie morior. « Si le grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeure terre (98) et ne produit point de fruit qui soit bon ». Nisi granum fruinenti cadens in terram mortuum fuerit, ipsum solum manet. Si nous ne mourons à nous-mêmes, et si nos dévotions les plus saintes ne nous portent à cette mort nécessaire et féconde, nous ne porterons point de fruit qui vaille, et nos dévotions nous deviendront inutiles ; toutes nos justices seront souillées par notre amour propre et notre propre volonté : ce qui fera que Dieu aura en abomination les plus grands sacrifices et les meilleures actions que nous puissions faire ; qu'à notre mort nous nous trouveront les mains vides de vertus et de mérites ; et que nous n'aurons pas une étincelle du pur amour qui n'est communiqué qu'aux âmes mortes à elles-mêmes, dont la vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

    3° Il faut choisir, parmi toutes les dévotions à la très sainte Vierge, celle qui nous porte le plus à cette mort à nous-mêmes, comme étant la meilleure et la plus sanctifiante ; car il ne faut pas croire que tout ce qui reluit soit or, que tout ce qui est doux soit miel, et que tout ce qui est aisé à faire et pratiqué du plus grand nombre soit sanctifiant. Comme il y a des secrets de nature pour faire en peu de temps, à peu de frais et avec facilité, des opérations naturelles, de même il y a des secrets dans l'ordre de la grâce pour faire en peu de temps, avec douceur et facilité, des opérations surnaturelles, se vider de soi-même, se remplir de Dieu, et devenir parfait.

    La pratique que je veux découvrir est un de ces secrets de grâce, inconnu du grand nombre des chrétiens, connu de peu de dévots, pratiqué et goûté d'un bien plus petit nombre. Pour commencer à découvrir cette pratique, voici une quatrième vérité qui est une suite de la troisième.

    Quatrième vérité. Il est plus parfait, parce qu'il est plus humble, de ne pas approcher de Dieu par nous-mêmes sans prendre un médiateur. Notre fonds, comme je viens de montrer, étant si corrompu, si nous nous appuyons sur nos propres travaux, industries, préparations, pour arriver à Dieu et lui plaire, il est certain que toutes nos justices seront souillées, ou de peu de poids devant Dieu pour l'engager à s'unir à nous et à nous exaucer. Car ce n'est pas sans raison que Dieu nous a donné des médiateurs auprès de sa majesté : il a vu notre indignité et incapacité ; il a eu pitié de nous, et pour nous donner accès à ses miséricordes il nous a pourvus d'intercesseurs puissants auprès de sa grandeur ; en sorte que négliger ces médiateurs et s'approcher directement de sa sainteté sans aucune recommandation, c'est manquer d'humilité ; c'est manquer de respect envers un Dieu si haut et si saint ; c'est moins faire de cas de ce Roi des rois qu'on ne ferait d'un roi ou d'un prince de la terre, duquel on ne voudrait pas s'approcher sans quelque ami qui parle pour soi.

    Notre Seigneur est notre avocat et notre médiateur de rédemption auprès de Dieu le Père ; c'est par lui que nous devons prier avec toute l'Église triomphante et militante ; c'est par lui que nous avons accès auprès de sa majesté ; et nous ne devons jamais paraître devant lui qu'appuyés et revêtus de ses mérites, comme le petit Jacob de peaux de chevreaux devant son père Isaac, pour recevoir sa bénédiction.

    Mais n'avons-nous point besoin d'un médiateur auprès du Médiateur même ? Notre pureté est-elle assez grande pour nous unir directement à lui et par nous-mêmes ? N'est-il pas Dieu, en toutes choses égal à son Père, et par conséquent le Saint des saints, aussi digne de respect que son Père ? Si, par sa charité infinie, il s'est fait notre caution et notre médiateur auprès de Dieu son Père pour l'apaiser et lui payer ce que nous lui devions, faut-il pour cela que nous ayons moins de respect et de crainte pour sa majesté et sa sainteté ?

    Disons donc hardiment, avec saint Bernard, que nous avons besoin d'un médiateur auprès du Médiateur même, et que la divine Marie est celle qui est la plus capable de remplir cet office charitable : c'est par elle que Jésus-Christ est venu, et c'est par elle que nous devons aller à lui. Si nous craignons d'aller directement à Jésus-Christ notre Dieu, ou à cause de sa grandeur infinie, ou à cause de notre bassesse, ou à cause de nos péchés, implorons hardiment l'aide et l'intercession de Marie notre Mère : elle est bonne, elle est tendre, il n'y a rien en elle d'austère ni de rebutant, rien de trop sublime et de trop brillant. En la voyant, nous voyons notre pure nature : elle n'est pas le soleil qui, par la vivacité de ses rayons, pourrait nous éblouir à cause de notre faiblesse; mais elle est belle et douce comme la lune, qui reçoit sa lumière du soleil, et la tempère pour la rendre conforme à notre petite portée. Elle est si charitable qu'elle ne rebute personne de ceux qui demandent son intercession, quelque pécheurs qu'ils soient ; car, comme disent les saints, on n'a jamais ouï dire, depuis que le monde est monde, qu'aucun ait eu recours à la sainte Vierge avec confiance et persévérance, et en ait été rebuté. Elle est si puissante que jamais elle n'a été refusée dans ses demandes. Elle n'a qu'à se montrer devant son Fils pour le prier : aussitôt il accorde, aussitôt il reçoit ; il est toujours amoureusement vaincu par les mamelles, les entrailles et les prières de sa très chère Mère.

    Tout ceci est tiré de saint Bernard et de saint Bonaventure, en sorte que, selon eux, nous avons trois degrés à monter pour aller à Dieu : le premier, qui est le plus proche de nous et le plus conforme à notre capacité, est Marie ; le second est Jésus-Christ, et le troisième est Dieu le Père. Pour aller à jésus, il faut aller à Marie, c'est notre médiatrice d'intercession ; pour aller au Père éternel, il faut aller à jésus, c'est notre médiateur de rédemption. Or, par la dévotion que je dirai ci-après, c'est l'ordre qu'on garde parfaitement.

   Cinquième vérité. il est très difficile, vu notre faiblesse et fragilité, que nous conservions en nous les grâces et les trésors que nous avons reçus de Dieu, 1° parce que « nous avons ce trésor », qui vaut mieux que le ciel et la terre, « dans des vases fragiles » : Habemus thesaurum istum in vasis fictilibus, dans un corps corruptible, dans une âme faible et inconstante qu'un rien trouble et abat; 2° parce que les démons, qui sont de fins larrons, veulent nous surprendre à l'imprévu pour nous voler et nous dévaliser. Ils épient jour et nuit le moment favorable pour cela ; ils tournent incessamment pour nous dévorer et nous enlever en un moment, par un péché, tout ce que nous avons pu gagner de grâces et de mérites en plusieurs années. Leur malice, leur expérience, leurs ruses et leur nombre doivent nous faire infiniment craindre ce malheur, vu que des personnes plus pleines de grâces, plus riches en vertus, plus fondées en expérience et plus élevées en sainteté, ont été surprises, volées et pillées malheureusement. Ah! combien a-t-on vu de cèdres du Liban et d'étoiles du firmament tomber misérablement, et perdre toute leur hauteur et leur clarté en peu de temps ! D'où vient cet étrange changement ? Ce n'a pas été faute de grâce, qui ne manque à personne, mais faute d'humilité. Ils se sont crus plus forts et suffisants (99) qu'ils n'étaient ; ils se sont crus capables de garder leurs trésors ; ils se sont fiés et appuyés sur eux-mêmes ; ils ont cru leur maison assez sûre, et leurs coffres assez forts pour garder le précieux trésor de la grâce : et c'est à cause de cet appui imperceptible qu'ils avaient en eux-mêmes, quoiqu'il leur semblât qu'ils s'appuyaient uniquement sur la grâce de Dieu, que le Seigneur très juste a permis qu'ils aient été volés, en les délaissant à eux-mêmes. Hélas! s'ils avaient connu la dévotion admirable que je montrerai dans la suite, ils auraient confié leur trésor à une Vierge puissante et fidèle qui le leur aurait gardé comme son bien propre, et même s'en serait fait un devoir de justice. 3° Il est difficile de persévérer dans la justice, à cause de la corruption étrange du monde. Le monde est maintenant si corrompu qu'il est comme nécessaire que les cœurs religieux en soient souillés, sinon par sa boue, du moins par sa poussière ; en sorte que c’est une espèce de miracle quand une personne demeure ferme au milieu de ce torrent sans en être entraînée, au milieu de cette mer orageuse sans être submergée ou pillée par les pirates et corsaires, au milieu de cet air empesté sans en être endommagée. C'est la Vierge uniquement fidèle, dans laquelle le serpent n'a jamais eu de part (100), qui fait ce miracle à l'égard de ceux et celles qui la servent de la belle manière (101).

    Ces cinq vérités présupposées, il faut maintenant plus que jamais faire un bon choix de la vraie dévotion à la très sainte Vierge ; car il y a, plus que lamais, de fausses dévotions à la sainte Vierge, qu'il est facile de prendre pour de véritables dévotions. Le diable, comme un faux monnayeur et un trompeur fin et expérimenté, a déjà tant trompé et damné d'âmes par une fausse dévotion à la très sainte Vierge, qu'il se sert tous les Jours de son expérience diabolique pour en damner beaucoup d'autres, en les amusant et endormant dans le péché, sous prétexte de quelques prières mal dites (102) et de quelques pratiques extérieures qu'il leur inspire. Comme un faux monnayeur ne contrefait ordinairement que l'or et l'argent, et fort rarement les autres métaux parce qu'ils n'en valent pas la peine, ainsi l'esprit malin ne contrefait pas tant les autres dévotions que celles de jésus et de Marie, la dévotion à la sainte communion et à la sainte Vierge, parce qu'elles sont, parmi les autres dévotions, ce que sont l'or et l'argent parmi les métaux.

    Il est donc très important d'abord de connaître: 1° les fausses dévotions à la très sainte Vierge pour les éviter ; 2° la véritable pour l'embrasser. Ensuite, parmi tant de pratiques différentes de la vraie dévotion à la sainte Vierge, j'expliquerai plus en détail, dans la deuxième partie de cet écrit, quelle est la plus parfaite, la plus agréable à la sainte Vierge, la plus glorieuse à Dieu et la plus sanctifiante pour nous, afin de nous y attacher.
 


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COMMENTAIRES

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(73) On sait que ceci ne doit pas se prendre au pied de la lettre, mais moralement et comme saint Paul l'a entendu et l'a dit.
(74) Ce n'est donc pas tant de l'absence de savoir que de l'absence de piété que Montfort se plaignait. Il avait affaire à beaucoup de jansénistes et rigoristes, peu favorables à sa profonde et tendre dévotion envers Marie, peu disposés à maintenir les traditions de la foi simple et naïve du moyen âge. Aussi les combat-il ici de toutes ses forces, en véritable apôtre de l'ardente et candide piété des anciens temps.
(75) Assurément l'on peut se sauver sans le rosaire, le scapulaire, le chapelet ; mais, ce qui était insupportable de la part des jansénistes, et ce que notre pieux écrivain leur reproche, c'est d'avoir blâmé ces dévotions pour ce motif qu'elles ne sont pas nécessaires au salut : comme si une multitude de choses spirituelles ou temporelles, encore qu'elles ne soient qu'utiles, ne méritaient pas l'estime des personnes de sens et de foi.
(76) Les sept psaumes de la pénitence, excellents à coup sûr, mais qui ne doivent pas remplacer tout le reste.
(78) D'en agir de la sorte.
(79) Des savants d'alors, fréquemment gagnés aux tendances sinon aux erreurs janséniennes.
(80) N'inspireraient pas plus d'indifférence pour elle.
(81) Que si la dévotion à Marie était opposée à la dévotion à jésus, etc., etc.
(82) J'ai voulu reproduire dans son texte latin cette prière attribuée autrefois à saint Augustin. En voici la traduction française.
« Vous êtes, ô jésus, le Christ du Seigneur, mon père saint, mon Dieu de miséricorde, mon roi infiniment grand ; vous êtes mon pasteur charitable, mon unique maître, mon aide plein de bonté, mon bien-aimé d'une beauté ravissante, mon pain de vie, mon prêtre éternel ; vous êtes mon guide vers la patrie, ma vraie lumière, ma douceur toute sainte, ma voie droite et sans détour ; vous êtes ma sagesse brillante par son éclat, ma simplicité pure et sans tache, ma paix et ma douceur ; vous êtes enfin toute ma sauvegarde, mon héritage précieux, mon salut éternel.
» O Jésus-Christ, aimable maître, pourquoi, dans toute ma vie, ai-je aimé, pourquoi ai-je désiré autre chose que vous ? Jésus, mon Dieu, où étais-je, quand je ne pensais pas à vous ? Ah! du moins, à partir de ce moment, que mon cœur n'ait de désirs et d'ardeurs que pour le Seigneur Jésus ; qu'il se dilate pour n'aimer que lui seul. Désirs de mon âme, courez désormais, c'est assez de retard ; hâtez-vous d'atteindre le but auquel vous aspirez ; cherchez en vérité celui que vous cherchez. O Jésus! anathème à qui ne vous aime pas ! que celui qui ne vous aime pas soit rempli d'amertumes! O doux Jésus! soyez l'amour, les délices et l'admiration de tout cœur dignement consacré à votre gloire. Dieu de mon cœur, et mon partage, divin jésus, que mon cœur tombe dans une sainte défaillance, et soyez vous-même ma vie ; que dans mon âme s'allume un charbon brûlant de votre amour, et qu'il y soit le principe d'un incendie tout divin ; qu'il brûle sans cesse sur l'autel de mon cœur ; qu'il embrase le plus intime de mon être; qu'il consume le fond de mon âme ; qu'enfin, au jour de ma mort, je paraisse devant vous tout consommé dans votre amour. Ainsi soit-il. »
(83) L'esclavage des justes, des chrétiens, des saints, par rapport à Dieu, consiste précisément, d'après la doctrine de saint Paul ici allégué, dans le partait affranchissement des âmes par rapport au démon et au péché, dans la pleine et sainte liberté des enfants de Dieu.
(84) Si c'est l'amour divin qui nous réduit en esclavage, on comprend que c'est en nous donnant toute liberté pour le bien. Quant à la liberté du mal, qui ne se trouve ni en Dieu ni dans les élus, c'est un esclavage misérable, plus ou moins lourd, plus ou moins accepté, selon que l'âme se laisse plus ou moins séduire par les charmes apparents des faux biens.
(85) C'est ce qu'on nomme maintenant le simple service, la condition des serviteurs.
(86) Esclavage de nature, quand un être, par son essence même, dépend absolument d'un autre. - Esclavage de contrainte, quand cette dépendance est le résultat d'un contrat ou de la force. - Esclavage de volonté, quand on s'y soumet librement.
(87) « Au Seigneur est la terre et toute son étendue. »
(88) Mais on l'a vu, elle y oblige essentiellement.
(89) Non pas de par toutes les lois : ainsi la loi mosaïque s'y opposait formellement ; certaines lois civiles ont bien pu l'admettre, mais la conscience humaine n'y a jamais consenti. Notre bienheureux se place simplement au point de vue du fait.
(90) « Esclave ou serviteur du Christ. »
(91) Il le dit absolument de Jésus-Christ parce que nous sommes à lui sans réserve et sans condition, comme à notre maître suprême ; mais relativement de Marie, parce que nous sommes à elle sous la réserve et la condition d'appartenir premièrement et entièrement à jésus.
(92) Appartenir absolument et par amour à la très sainte Vierge, c'est incontestablement le plus sûr et le plus doux moyen d'appartenir absolument et par amour à son divin Fils. ? C'est aussi acquérir des droits admirables sur le Cœur sacré de celui-ci ; car, d'après plusieurs saints, si a toutes choses et Marie sont soumises à l'empire de Dieu, toutes choses et Dieu sont soumis à l'empire de Marie. » Dieu est soumis à l'empire de Marie, en raison de la toute-puissance suppliante de cette incomparable Vierge, et de la pleine conformité de ses vues et de ses demandes avec la volonté de Dieu.
(93) De droit, toute créature est contrainte d'appartenir à Marie; le démon même y est contraint par force. Ne convient-il pas qu'il y ait des âmes qui s'y dévouent par amour ?
(94) Et l'on pourrait croire.
(95) Ceci est remarquable: notre saint auteur ne tient vraiment qu'à une chose, au règne de Jésus-Christ ; s'il règne, Marie régnera avec lui. Il ne s'agit nullement d'établir autel contre autel, ou trône contre trône. Tout pour jésus par Marie !
(96) Dans un vase.
(97) Cette vive description de notre misère et de notre culpabilité s'applique à l'humanité déchue de l'état de grâce, et volontairement rebelle aux lumières mêmes de la raison. Pourtant notre nature déchue par le péché originel est demeurée capable de faire quelque bien dans l'ordre naturel, mais surtout de coopérer à la grâce qui la sollicite de rentrer dans l'ordre surnaturel.
(98) Le bienheureux, par une interprétation plus subtile que solide, prend le mot latin solum du texte de Notre Seigneur ici rapporté, non pour l'adjectif signifiant seul, mais pour le substantif signifiant sol, terre.
(99) Plus forts et plus puissants.
(100) N'a jamais pu dominer en rien.
(101) De la pieuse et bonne façon qui plait à Marie.
(102) De quelques prières, d'ailleurs mal dites.