ARTICLE VI
 

Manière de pratiquer cette dévotion dans la sainte communion.

§ I. AVANT LA COMMUNION

    1° Vous vous humilierez profondément devant Dieu. 2° Vous renoncerez à votre fonds tout corrompu et à vos dispositions, quelque bonnes que votre amour-propre vous les fasse voir. 3° Vous renouvellerez votre consécration en disant : Tuus totus ego sum, et omnia mea tua sunt : « je suis tout à vous, ma chère Maîtresse, avec tout ce que j'ai.» 4° Vous supplierez cette bonne Mère de vous prêter son coeur, pour y recevoir son Fils dans les mêmes dispositions. Vous lui représenterez qu'il y va de la gloire de son Fils de n'être pas mis dans un coeur aussi souillé que le vôtre et aussi inconstant, qui ne manquerait pas de lui ôter de sa gloire ou de le perdre ; mais si elle veut venir habiter chez vous pour recevoir son Fils, elle le peut par le domaine qu'elle a sur les coeurs, et que son Fils sera par elle bien reçu sans souillures, et sans danger d'être outragé ni perdu : Deus in medio ejus, non commovebitur (282). Vous lui direz confidemment que tout ce que vous lui avez donné de votre bien est peu de chose pour l'honorer ; mais que par la sainte communion vous voulez lui faire le même présent que le Père éternel lui a fait, et qu'elle en sera plus honorée que si vous lui donniez tous les biens du monde ; et qu'enfin Jésus, qui l'aime uniquement, désire encore prendre en elle ses complaisances et son repos, quoique dans votre âme plus sale et plus pauvre que l'étable où Jésus ne fit pas de difficulté de venir, parce qu'elle y était. Vous lui demanderez son coeur par ces tendres paroles : Accipio te in mea omnia, praebe mihi cor tuum, o Maria !(283)

§ II. DANS LA COMMUNION

    Près de recevoir Jésus-Christ, après le Pater, vous direz trois fois Domine, non sum dignus, etc., comme si vous disiez la première fois au Père éternel que vous n'êtes pas digne, à cause de vos mauvaises pensées et ingratitudes à l'égard d'un si bon Père, de recevoir son Fils unique ; mais que « voici Marie sa servante, » Ecce ancilla Domini, qui fit pour nous (284) et qui « nous donne une confiance et espérance singulière auprès de sa majesté. » Quoniam singulariter in spe constituisti me.

    Vous direz au Fils : Domine, non sum dignus, etc. ; que vous n'êtes pas digne de le recevoir, à cause de vos paroles inutiles et mauvaises, et de votre infidélité en son service; mais cependant que vous le priez d'avoir pitié de vous, que « vous l'introduirez dans la maison de sa propre Mère et de la vôtre, et que vous ne le laisserez point aller qu'il ne soit venu loger chez elle : » Tenui eum nec dimittam, donec introducam illum in domum matris mea, et in cubiculum genitricis meae.(Cant. III, 4.) Vous le prierez « de se lever et de venir dans le lieu de son repos et dans l'arche de sa sanctification ; » Surge, Domine, in requiem tuam, tu et arca sanctificationis tuae; que vous ne mettez aucunement votre confiance dans vos mérites, votre force et vos préparations, comme Esaü ; mais dans celle de Marie, votre chère Mère, comme le petit Jacob dans les soins de Rébecca ; que tout pécheur et Esaü que vous êtes, vous osez approcher de sa sainteté, appuyé et orné des vertus de sa sainte Mère.

    Vous direz au Saint-Esprit : Domine, non sum dignus, etc. ; que vous n'êtes pas digne de recevoir le chef d'oeuvre de sa charité, à cause de la tiédeur et iniquité de vos actions, et de vos résistances à ses inspirations ; mais que toute votre confiance est Marie, sa fidèle épouse ; et vous direz avec saint Bernard : Haec mea maxima fiducia, haec tota ratio spei meae (285). Vous pourrez même le prier de survenir en Marie, son épouse indissoluble ; que son sein est aussi pur et son coeur aussi embrasé que jamais ; que sans sa descente dans votre âme, ni Jésus ni Marie ne seront point formés, ni dignement logés (286).

§ III. APRÈS LA SAINTE COMMUNION.

    Après la sainte communion, étant intérieurement recueilli et tenant les yeux fermés, vous introduirez Jésus-Christ dans le coeur de Marie. Vous le donnerez à sa Mère qui le recevra amoureusement, le placera honorablement, l'adorera profondément, l'aimera parfaitement, l'embrassera étroitement, et lui rendra, en esprit et en vérité, plusieurs devoirs qui nous sont inconnus dans nos ténèbres épaisses. Ou bien vous vous tiendrez profondément humilié dans votre coeur, en la présence de Jésus résidant en Marie. Ou vous vous tiendrez comme un esclave à la porte du palais du Roi, où il est à parler à la Reine ; et tandis qu'ils se parlent l'un à l'autre sans avoir besoin de vous, vous irez en esprit au ciel et par toute la terre prier les créatures de remercier, adorer, et aimer Jésus et Marie en votre place : Venite, adoremus, venite (287). Ou bien vous demanderez vous-même à Jésus, en union de Marie, l'avènement de son règne sur la terre par sa sainte Mère, ou la divine sagesse, ou l'amour divin, ou le pardon de vos péchés, ou quelque autre grâce, mais toujours par Marie et en Marie, disant en vous regardant de travers (288): Ne respicias, Domine, peccata mea ; « Seigneur, ne regardez pas mes péchés ; » Sed oculi tui videant aequitates Mariae : « Mais que vos yeux ne regardent en moi que les vertus et mérites de Marie ; » et, en vous souvenant de vos péchés, vous ajouterez : Inimicus homo hoc fecit ; « C'est moi qui ai fait ces péchés ; » ou bien : Ab homine iniquo et doloso erue me (289) ; ou bien : Te oportet crescere, me autem minui ; « Mon Jésus, il faut que vous croissiez dans mon âme et que je décroisse ; » Marie, il faut que vous croissiez chez moi et que je sois moins que je n'ai été. Crescite et multiplicamini: « O Jésus et Marie, croissez en moi, et multipliez-vous au dehors dans les autres. »

    Il y a une infinité d'autres pensées que le Saint-Esprit fournit, et vous fournira si vous êtes bien intérieur, mortifié, et fidèle à cette grande et sublime dévotion que je viens de vous enseigner. Mais souvenez-vous toujours que plus vous laisserez agir Marie dans votre communion, et plus Jésus sera glorifié ; et vous laisserez d'autant plus agir Marie pour Jésus, et Jésus en Marie, que vous vous humilierez plus profondément, et que vous les écouterez avec paix et silence, sans vous mettre en peine de voir, goûter, ni sentir (290) ; car « le juste vit partout de la foi, » et particulièrement dans la sainte communion qui est une action de foi. Justus meus ex fide vivit.

FIN DE L'OUVRAGE
Vers l'Appendice (suite et fin)

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COMMENTAIRES

(282) « Dieu est au milieu d'elle ; rien ne pourra l'ébranler. »
(283) « Je vous prends pour mon tout ; donnez-moi votre coeur, ô Marie ! »
(284) Qui agit pour nous.
(285) « Elle est ma très grande sécurité ; elle est toute la raison de mon espoir. »
(286) Sans l'Esprit-Saint, la formation et la présence de Jésus et de Marie en notre âme ne sauraient se réaliser d'une manière digne d'eux.
(287) « Venez, venez, adorons ! » Est-il nécessaire de dire que l'adoration dont il est ici parlé ne s'adresse pas à Marie comme à Jésus ?
(288) En vous regardant vous-même indirectement et à la dérobée, afin de ne pas éloigner votre vue de Jésus et de Marie,
(289) « De l'homme injuste et trompeur que je suis, délivrez-moi, Seigneur. »
(290) De voir très distinctement et de réfléchir curieusement sur votre état ; de goûter et de sentir avec joie, avec satisfaction, avec émotion et larmes.