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Sainte Rita
 

Vie
de Sainte Rita de Cascia

La sainte
des cas impossibles et désespérés

 Par Mgr Louis DE MARCHI

 Traduit de l'italien
par Mme Mathilde ROSSI

 Officier de l'Instruction Publique

 ÉDITIONS PUBLIROC — MARSEILLE

 

CHAPITRE  PREMIER

CASCIA.

 CARACTERES DU SIECLE DE SAINTE RITA


Cascia est aujourd'hui une commune d'environ cinq mille habitants répartis en trente-six bourgades et fait partie de la province de Pérouse. Elle appartint pendant quelque temps au diocèse voisin de Spoleto, et elle dépend actuellement du diocèse de Norcia, la terre natale de saint Benoît, le fondateur du monachisme d'Occident.
Comme presque toutes les villes et les bourgs de l'Ombrie, Cascia apparaît comme perchée sur la cime et la déclivité d'une colline, situation agréable, loin du fracas des grandes villes, laissant ainsi le repos à ses habitants et facilitant le recueillement aux âmes assoiffées de Dieu.
A peu de distance se trouve Assise, la ville du Poverello, qui laissa à l'Ombrie, à l'Italie et au monde entier tant et de si beaux exemples de son incommensurable charité et de son amour de la pauvreté et de la paix.
Cascia eut, pendant de longues années, à lutter contre les hommes et contre les éléments. Passée de seigneurie à seigneurie, souvent impatiente du joug, révoltée, en armes, finalement domptée, parfois dévastée par les tremblements de terre, elle ressuscitait de ses ruines. Mais le séisme du 14 janvier 1708 causa de telles dévastations qu'elle ne put être reconstruite entièrement.
Une des bourgades appartenant à la commune de Cascia s'appelle Rocca-Porena et est située à plus de 700 mètres au-dessus du niveau de la mer; c'est un petit groupe de maisons comportant une centaine d'habitants : c'est là que naquit, sainte Rita.

Le schisme d'Occident

Sainte Rita vécut dans la seconde moitié du XIVe siècle et dans la première moitié du XVe, époque pendant laquelle la barque de Pierre était agitée par des tempêtes qui l'auraient submergée si elle n'avait été d'essence divine.
Le 5 juin 1305 monta sur le trône de Pierre l'archevêque de Bordeaux, qui prit le nom de Clément V, et, soit pour avoir une plus grande tranquillité, soit par amour pour sa patrie, le nouveau pape ne voulut plus résider à Rome et fixa le siège de la papauté en Avignon.
Les papes qui lui succédèrent, jusqu'à Grégoire XI, c'est-à-dire pendant soixante-treize ans, abandonnèrent le siège romain jusqu'à ce dernier pontife qui, sur les exhortations répétées de sainte Brigitte de Suède et de sainte Catherine de Sienne, se décida à laisser sa demeure bien-aimée d'Avignon. Il fit son entrée à Rome le 17 janvier 1377, et il trouva la ville dans la plus grande désolation.
Le séjour des papes en Avignon fut comparé à la captivité de Babylone et porta un grand préjudice à l'Église. La venue du pape à Rome fit renaître la confiance dans les coeurs si longtemps affligés. Mais un nouveau et plus grand désastre ne tarda pas à s'abattre sur la chrétienté.
A la mort de Grégoire XI, le 27 mars 1378, on élut comme pape Bartholomé Prignano, archevêque de Bari, qui prit le nom de Urbain VI. Homme de m_urs intègres et de grande vertu, il se montra assez sévère envers les cardinaux, en majeure partie français, lesquels, impatients du joug, firent valoir que Urbain n'avait pas été élu canoniquement et proclamèrent pape Robert de Ginevra, qui prit le nom de Clément VII.
On ne peut imaginer le mal que ce malheureux schisme fit à l'Église. Eclaté en 1378, il ne prit fin qu'en 1417 avec l'élection de Martin V, faite par le Concile de Costanza. Après plus de soixante-dix ans de captivité babylonienne, et presque quarante ans de schisme, les choses furent portées à une telle confusion que l'on ne savait plus quel était le vrai vicaire de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. La discipline fut moindre dans le clergé, et le peuple devint toujours plus débauché.

Les flagellants

Les âmes pieuses gémissaient de cet état de choses et priaient Dieu de délivrer son Église d'un tel fléau.
On vit alors un fait qui aurait été une source féconde de bien s'il avait été bien discipliné et dirigé. Tout le monde sentait la nécessité de la prière et de la pénitence pour obtenir de Dieu la paix et la tranquillité de l'Église et des nations, et il ne manquait que la première étincelle pour faire jaillir un grand incendie.
Déjà, en 1260, à Pérouse, il s'était produit un mouvement de dévotion tel qu'on n'en avait jamais vu d'égal. Nobles et gens du peuple, jeunes et vieux, femmes de toutes conditions, allaient processionnellement dans la ville, tenant tous à la main un fouet avec lequel ils se flagellaient à sang, implorant la miséricorde de Dieu et l'aide de la Sainte Vierge. Ils confessaient à haute voix leurs péchés, se pardonnant l'un l'autre les offenses et excitant ainsi à la pénitence les coeurs les plus endurcis. Leur exemple fut imité en Allemagne, en Pologne et ailleurs.
Mais une exaltation ainsi déréglée et impétueuse, venue de gens pleins de foi, mais profondément ignorants, ne tarda pas à déchoir; les exaltés tombèrent dans de graves erreurs, si bien que l'autorité ecclésiastique, devant leur obstination, dut les condamner.
Le même fait se renouvelle environ un siècle plus lard, lorsque éclata la peste en 1346. On songea encore, à ce moment-là, à l'autoflagellation, mais il se produisit des excès parce que la mortification de la chair n'était pas accompagnée de l'humilité de l'esprit. Les faits ci-dessus nous montrent l'état d'âme des gens en ces temps-là.
Au cours de notre histoire, nous aurons l'occasion de connaître des âmes vraiment grandes, âmes qui comprirent dans leur juste sens la nécessité de l'expiation, d'unir, en somme, nos douleurs à celles de Nôtre-Seigneur, non seulement pour notre salut personnel, mais pour le salut de toute l'humanité, et de joindre la mortification de l'esprit à celle des sens.

Le péril musulman

Il était grand besoin d'expiation. Pendant que l'Église était troublée par les faits ci-dessus, un nouveau péril surgit de l'Orient.
Les musulmans, féroces ennemis de la croix, profitant de la faiblesse et de la discorde des princes chrétiens, songèrent à conquérir toute l'Europe et à lui arracher la foi et la civilisation chrétiennes. Ils défendaient avec ténacité ces belles villes d'Espagne qu'ils avaient déjà conquises, et le 29 mai 1453 ils entrèrent à Constantinople, occupèrent la basilique de Sainte-Sophie, plaçant le croissant à la place de la croix. Enhardis par une si grande victoire, ils se proposaient de conquérir l'Italie et Rome et de donner l'avoine à leurs chevaux sur l'autel de la tombe de saint Pierre.
Mais Dieu n'abandonna pas son Église, qui peut bien être combattue, mais non vaincue. Les Turcs, vainqueurs en Grèce, furent peu d'années après chassés de l'Espagne, et, pendant que les Grecs, manquant toujours à leur parole, se séparaient de l'Église, Christophe Colomb lui gagnait un continent entier.
Il est merveilleux de voir comment, en ces temps orageux, Dieu envoya une pléiade de saints, qui, soit par la parole, soit par l'exemple, prêchant la vérité, la concorde et la paix, tinrent ardent le flambeau de la foi. Tels furent les saints d'une ardeur apostolique comme Bernardin de Sienne, Jacques Della Marca, Antoine de Florence, Laurent Giustiniani de Venise et ceux qui eurent une grande influence sur les destinées de l'Église, comme sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne; d'autres enfin, qui, dans le silence du cloître, dans l'union intime avec Dieu et par leurs sacrifices, obtinrent du Seigneur la paix du monde. C'est de l'une de ces âmes dont nous entreprenons l'histoire.

CHAPITRE II

NAISSANCE DE SAINTE RITA

Tous ceux qui écrivirent la vie de sainte Rita se plurent à remémorer les belles vertus de ses parents. Quant à nous, tout au début de ce récit, nous remarquerons, avec saint Grégoire le Grand, qu'il n'est pas une chose rare d'être bon quand on vit au milieu des justes, mais il est beaucoup plus méritoire de mener une vie sainte parmi les scélérats et les pécheurs.
Or, Antoine Mancini de Rocca-Porena et Aimée Ferri de Fogliano, les heureux parents de la sainte, furent admirables par la sainteté de leurs m_urs, par leur fervente piété et par leur inépuisable charité, pendant que dans les contrées d'Italie se propageaient la débauche, les hérésies, les malversations, la violence.
D'âme simple, et retirés dans une petite bourgade de montagne, ils ne s'inquiétaient nullement des choses du monde, si ce n'est lorsque la faiblesse et la misère frappaient à leur porte. Alors les bons époux, bien que ne possédant pas les biens de la fortune, trouvaient toujours le moyen d'essuyer les larmes et d'assouvir la faim des malheureux.
Leur méditation favorite était la Passion du Rédempteur; le Crucifix : voilà le seul livre qu'ils savaient lire et qu'ils savaient si bien imiter le cas échéant, tout particulièrement dans la patience et dans la charité.
Durant cette époque troublée, on en venait facilement aux disputes, aux armes, au sang. Antoine et Aimée, aimant cette paix que Nôtre-Seigneur apporta aux hommes, s'interposaient entre les rivaux, et ce n'était pas petite chose, au milieu de ces montagnards se disputant si facilement, soit pour une délimitation mal tracée, soit pour une parole mal comprise.
C'était périlleux : on sait par expérience qu'il est difficile, pour celui qui se met au milieu, de ne pas recevoir les coups, soit d'un côté, soit de l'autre.
Mais nous savons que les deux époux étaient des âmes droites et craignant Dieu, et, comme le disent leurs biographes, ils eurent facilement le don de l'oraison, don que le Saint-Esprit accorde seulement aux âmes simples qui vivent de la foi.
Ce fait est bien connu des directeurs de conscience, car il n'est pas rare de trouver la facilité de méditation chez les personnes les plus humbles, mais qui savent prier, et chez lesquelles une seule pensée sur la Passion de Nôtre-Seigneur peut fixer leur esprit pendant des heures entières; et non seulement leur esprit, mais leur coeur est encore affligé de la plus grande douleur pour leurs péchés, et elles éprouvent dans leur âme un vif désir d'amour de Dieu et un grand élan pour le sacrifice.
Antoine et Aimée, mariés probablement vers 1309, pouvaient se dire un couple heureux, si le bonheur était chose de ce monde. Ce qui leur manquait, ce qu'ils désiraient et demandaient à Dieu, c'était de la descendance.
Un foyer sans enfant est un foyer sans vie. L'homme qui, le soir, rentre fatigué du travail souhaite voir venir à son encontre de nombreux bambins qui lui feront oublier la fatigue de sa longue journée; et la femme, retenue au foyer par les soins domestiques, se fatigue et s'ennuie si elle est seule et envie les jeunes mamans qui, le dimanche, vont à la messe, tenant par la main de jolis enfants gais et babillant.
Mais Aimée, comme la mère de Samuel, le prophète, et celle de Jean-Baptiste, n'avait pas cette consolation, et, bien que résignée à la divine volonté, un voile de tristesse ombrageait son visage en voyant son foyer désert.
L'espérance a de profondes racines dans le coeur humain, et Aimée espéra et attendit pendant longtemps. Mais sa jeunesse passa, et avec l'âge mûr son espoir s'évanouit, et la pauvre femme dut se résigner à la volonté de Dieu. Se résigner est une belle chose, un grand acte de vertu, et, cependant, le coeur de la pauvre femme conservait un léger rayon d'espérance; son coeur (il est si facile de croire ce qu'on désire) continuait secrètement à espérer contre toute espérance.
Notre histoire est celle des cas impossibles, et nous en verrons plus d'un, rendus possibles par cette foi qui transporte les montagnes.
Le vénérable P. Marc d'Avrano, capucin, mort en 1699, à qui l'on demandait comment il pouvait guérir, par sa seule bénédiction, tant d'infirmes, répondait : "Je me fie sur la parole du Christ".
Les bons époux passèrent ainsi cinquante-trois ans dans l'attente toujours plus faible d'un don qui ne pouvait venir que de Dieu, quand un jour Aimée, étant plongée dans une profonde et fervente oraison, eut la vision d'un ange qui lui assura que sa prière était montée au trône du Très-Haut, qu'elle aurait une fille qui serait grande devant Dieu.
Au premier trouble que la pieuse femme éprouva à la vue de l'esprit céleste succéda une joie pleine de reconnaissance. Ses lèvres pâles s'ouvrirent au sourire, son visage s'illumina et elle attendit le don de Dieu avec tout le respect des âmes saintes.
Il n'est pas inutile de rappeler que ce que nous racontons est confirmé par des historiens diligents et consciencieux et examiné avec la plus scrupuleuse exactitude par l'autorité suprême de l'Église et confirmé par elle. Et puis, comment est-il possible de raconter la vie des saints sans tomber, à tout moment, dans le surnaturel ? Tout en eux est en dehors de la vie commune. C'est Dieu lui-même qui oeuvre dans ses créatures, et nous savons que rien n'est impossible à Dieu.
L'ange qui avait apparu à Aimée pour lui annoncer l'heureuse nouvelle lui apparut une seconde fois pour lui dire que l'enfant devait s'appeler Rita. Cette circonstance rapproche notre sainte du grand saint Jean-Baptiste, obtenu lui aussi après de longues oraisons, annoncé par l'Ange et appelé Jean par la volonté divine. Et Rita fut toujours dévote à saint Jean-Baptiste, qui la prit sous sa spéciale protection. Nous en aurons plus tard la preuve.
Les biographes de la sainte, appuyés sur le fait que le nom de Rita a été révélé par un ange, se sont demandés s'il n'avait pas dit Margherita, dont Rita n'était que l'abréviation populaire habituelle. Il est certain que le nom de Marguerite convient bien à notre sainte, soit que ce nom désigne une pierre précieuse, soit qu'il indique la fleur bien connue qui porte ce nom.
Le divin Sauveur compare le royaume du ciel à une marguerite précieuse que nous devons chercher à acquérir à n'importe quel prix; et à la marguerite ne se compare-t-il pas lui-même dans le divin sacrement, quand il dit aux apôtres : Ne veuillez pas donner aux chiens les mystères sacrés, ni jeter les marguerites aux animaux impurs.
De plus, la marguerite est une fleur symbolique ; fleur des champs au coeur d'or entouré d'une couronne de petites feuilles d'un blanc lilial, elle peut fort bien indiquer une créature née dans un village alpestre, élevée simplement, mais ayant un coeur d'or et une grande pureté de vie dans ses trois états de vierge, épouse et veuve, comme la fleur dont elle porte le nom, sans excès de feuillage, avec la tige sévère et droite, pure dans ses m_urs, et l'esprit toujours élevé vers Dieu.
La naissance de sainte Rita eut encore une autre particularité qui, ainsi qu'on le raconte, caractérisa la naissance des saints Docteurs Jean Chrysostome et Ambroise.
Rita, née vers 1381, le 22 mai, d'après une ancienne tradition de son monastère, fut baptisée à Sainte-Marie de la Plèbe de Casera, parce que le petit bourg de Rocca-Porena n'eut les fonts baptismaux que vers 1720.
Peu de jours après le baptême survint un événement merveilleux. Nous le raconterons d'après les paroles de Corrado Ricci, fait rapporté par Nediani dans sa brillante et poétique vie de la sainte.
Lorsque Antoine et Aimée allaient travailler aux champs, ils mettaient leur enfant dans un corbillon d'osier, l'emportaient avec eux et l'abritaient à l'ombre des arbres. Un jour, pendant que les laboureurs et les oiseaux chantaient à l'unisson et que les saules d'argent bruissaient au long du fleuve Corno, l'enfant rêvait, ses yeux d'azur tournés vers le ciel bleu, et agitait ses frêles petites mains, lorsqu'un gros essaim d'abeilles l'entoura, faisant entendre un bourdonnement spécial. Beaucoup d'entre elles entraient dans sa bouche et y déposaient le miel, sans jamais la piquer, comme si elles n'avaient pas d'aiguillons... Aucun gémissement de l'enfant réclamant ses parents : elle fait entendre, au contraire, de petits cris joyeux.
Pendant ce temps, un moissonneur qui était dans le voisinage se fit, avec la faux, une large entaille à la main droite. Il se dirige immédiatement vers Cascia pour se faire donner les soins nécessaires par le médecin, lorsque, en passant à côté de l'enfant, il vit les abeilles qui bourdonnaient autour de sa tête. Il s'arrête et secoue les mains pour délivrer l'enfant, quand, à l'instant même, sa main cesse de saigner et sa blessure se ferme. Il pousse des cris de surprise, Antoine et Aimée accourent. L'essaim, dispersé pour peu, retourne là où son travail prend de la saveur. Et plus tard, lorsque Rita ira au monastère de Cascia, les abeilles en peupleront les murs et ne s'en iront plus.
Urbain XIII, le pape des abeilles héraldiques, demanda à ce qu'on lui apporte quelques-unes de ces abeilles; il les regarda attentivement, en entoura une d'un fil de soie et la laissa aller. Et cette abeille retourna à son essaim, à Cascia.
D'ailleurs le cas n'est pas rare où Dieu ait voulu manifester la future sainteté de ses serviteurs lors de leur apparition ici-bas. Ce sont les fils de prédilection qu'il donna à son Église dans ses moments difficiles, et nous pensons, avec les auteurs qui nous ont précédés dans l'étude de la signification mystique de ces abeilles, que ce fait indique la douceur et la pureté d'âme de cette enfant de bénédiction.
Le fait des abeilles blanches est raconté par tous les biographes de la sainte et transmis par les traditions et les peintures qui la concernent. L'Église, si difficile pour accepter les traditions, insère cette circonstance dans les leçons du bréviaire, et pour nous cela suffit et au-delà.

CHAPITRE III

EDUCATION DE SAINTE RITA

Nous pouvons nous imaginer l'éducation qui fut donnée à cette enfant. Ses parents étaient vieux et, selon l'expression d'un ancien biographe, sur le seuil de la décrépitude. La naissance de Rita avait été un miracle, et eux, dans leur foi ingénue (qui est souvent celle qui voit plus clair et plus loin), attribuaient également au miracle les abeilles blanches. Et nous devons croire que ce fait a produit dans l'âme simple des montagnards de Rocca-Porena une profonde impression. L'on en parla beaucoup, puisque tous les biographes sont d'accord pour raconter le fait comme miraculeux et ne se différencient que dans des circonstances d'aucune valeur historique.
Rita était donc, pour ses parents, un don précieux accordé à leur foi et à leurs prières, et comme ils ignoraient totalement les choses profanes, ils s'appliquèrent à élever leur enfant dans les sentiments religieux. Ils guidaient sa petite main à faire le signe de la croix et à envoyer des baisers aux images de Jésus en croix ou de la Sainte Vierge, actes que l'enfant répétait inconsciemment, mais qui, cependant, étaient non seulement agréables à Dieu, mais travaillaient dans l'imagination de la fillette et imprimaient en elle la vérité profonde qu'un chrétien doit être tout à Jésus et s'habituer à porter la croix avec lui. On ne peut douter que ces sentiments aient été ressentis par Rita si on se reporte aux années de son enfance.
Celui qui écrit se rappelle fort bien un enfant au berceau qui montrait souvent des signes d'épouvante et poussait de hauts cris. Son père accourait aussitôt et lui récitait une des antiennes finales des vêpres : Regina Cœli, ou Aima Redemptoris Mater, ou bien Ave Regina Cœlorum, et ces paroles mystérieuses, avec leur cadence rythmique, procuraient immédiatement à l'enfant un calme parfait : c'était une semence de piété que le bambin recevait inconsciemment et qui produirait ses fruits par la suite.
La même chose advint à Loreto Starace, l'héroïque saint officier mort pendant la dernière guerre, qui se plaignait facilement étant enfant, et pour l'apaiser il suffisait de chanter les Litanies de la Sainte Vierge.
A peine arrivée à l'Age de raison, on vit chez Rita les premiers rayons de la vertu, qui, sous l'influence de la divine grâce, allait se développant dans sa belle âme.
Une docilité, une obéissance prompte et joyeuse, un grand amour de la retraite et de l'oraison, un instinctif et délicat sentiment de modestie et une soif inextinguible de la connaissance de Dieu et de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ.
Ce que ses yeux avaient tant de fois contemplé dans l'inconscience de l'enfance jusqu'à l'imprimer profondément dans son imagination, son esprit voulait actuellement le connaître et son coeur l'aimer. Nous devons croire que ses bons parents lui parlaient souvent de la vie de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, de la Sainte Vierge et des saints plus populaires.
Selon toute probabilité ses parents ne devaient pas savoir lire les livres écrits par les hommes, soit parce qu'on ne connaissait pas, à l'époque, les écoles populaires, soit parce que l'alpestre vallée de Rocca-Porena était trop éloignée de la ville de Cascia. Mais à cette époque la foi était très vive, et les églises, maisons de Dieu et du peuple, étaient presque toutes recouvertes par des peintures représentant les légendes des saints ou bien les faits les plus importants de l'Evangile.
L'Ombrie, en ce temps-là, fut très féconde en peintres, dont l'art naïf devait ensuite se développer et resplendir avec le Pérugin et Raphaël Sanzio, dont les _uvres étaient magnifiques et plus émotionnantes parce qu'elles étaient inspirées par l'esprit chrétien.
Il s'ensuit que les bons époux, par ce qu'ils voyaient et entendaient à l'église, étaient suffisamment instruits pour acheminer l'enfant à la connaissance des choses divines compatibles avec son âge. Sans doute, Rita, comme sainte Catherine de Sienne, ne sut jamais bien lire ni écrire. Et, comme la vierge siennoise, devant traiter avec les pontifes et des hauts prélats les plus grands intérêts de l'Église, eut de la Sainte Vierge la grâce d'écrire dans sa gracieuse et pure langue maternelle, Rita préféra lire un livre seul : le Crucifix
Et peut-être ressentit-elle ce que nous lisons de l'évêque martyr polonais, saint Josaphat, lequel, étant encore enfant, lorsqu'il entendait raconter par sa mère la Passion de Nôtre-Seigneur, se sentait le coeur percé à vif comme par un dard aigu.
Il est certain que les premières impressions sont ineffaçables et sont souvent décisives pour la vie.
Enfin, dans ces riantes vallées de l'Ombrie était encore vivace l'image de saint François d'Assise, qui y avait vécu, qui y avait prêché avec tant de fruit et qui avait reçu du Christ les saintes stigmates. Le héraut du grand Roi, les mains, les pieds et le côté percés comme le Maître, avait parcouru ces routes sur le dos d'un petit âne; sa vie, ses souffrances et sa patience étaient encore à la mémoire des habitants des vallées.
Rita en entendit certainement parler avec admiration et éprouva en elle-même le désir d'être crucifiée avec Jésus, ou, tout au moins, d'avoir part à ses douleurs : nous verrons comment elle fut exaucée. En attendant, l'étude du Crucifix faisait naître en elle le désir de la pénitence.
La vie d'une pauvre enfant de la montagne est loin d'être facile, et nous pouvons penser que Rita, étant donné l'état de vieillesse de ses parents dont elle était l'unique soutien, devait travailler du matin au soir, et on peut répéter avec le psalmiste qu'elle a été accablée par le travail depuis ses plus tendres années. En plus du travail, elle s'appliquait à l'obéissance, au sacrifice de sa propre volonté, toutes choses si difficiles pour les enfants chez lesquels prévaut l'irréflexion et le caprice.
Nous verrons comment Rita,  quand elle put entrer au couvent, était déjà une religieuse formée et accomplie. Et qu'y a-t-il d'étonnant puisque dès sa plus tendre enfance elle s'exerça à suivre  les  conseils  évangéliques   dans   lesquels consiste la perfection chrétienne ? Un autre fait raconté par ses biographes nous fait connaître le haut degré de sainteté auquel elle parvint dès son enfance : et c'est une chose admirable si on la compare aux deux âmes vraiment extraordinaires de sainte Thérèse de Jésus et de l'autre, plus récente, de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus.
La première s'était laissée vaincre par la vanité et par la curiosité de lire quelques livres mondains que sa mère tenait sur une table. Ayant été avertie que ce n'était pas bien, elle se corrigea et, quand elle se fut donnée entièrement à Dieu, Jésus lui montra, dans l'enfer, une place vide, lui disant : Voici la place qui t'était destinée si tu ne t'étais pas corrigée de ta vanité.
Et aussi la petite sainte Thérèse eut un moment de faiblesse, lorsque, enfant encore, elle avait désiré un vêtement sans manches disant : « Comme je serais plus jolie avec mes petits bras nus ! »
Les parents de Rita, pauvres montagnards, ne pouvaient certainement pas donner à leur fille des vêtements élégants; mais la vieille maman, par une complaisance facilement excusable, se laissa aller quelquefois à lui acheter une frivolité, un ruban, un de ces riens qui suffisent parfois à rendre une enfant plus gracieuse. Rita n'en veut rien savoir. Et il est merveilleux de voir un tel sentiment chez une fillette qui, difficilement, pouvait trouver un directeur de conscience qui la guide, d'une main experte et sûre, dans les voies ardues de la perfection chrétienne.
Le Saint-Esprit répand ses dons là où il trouve des âmes humbles, chastes et mortifiées. Et c'est pour cela qu'il fut aussi généreux avec Rita.
Une âme aussi enflammée d'amour de Dieu ne se trouve pas bien dans le monde et aime la solitude. Elle n'est pas cependant inutile et oisive : c'est le don parfait de soi-même à Dieu, demandant à la terre le strict nécessaire pour vivre, refusant ce qui plaît aux sens. La solitude qui n'est pas oisive n'est pas improductive, mais, à l'amour de Dieu, elle joint la charité envers le prochain, et, fuyant les séductions du monde, elle recherche ce qui est misère et douleur. En un mot, Rita aspirait à la vie religieuse, mais Dieu voulait que tout d'abord elle gravisse son calvaire.

CHAPITRE IV

LE MARIAGE DE SAINTE RITA

Pendant que la pieuse enfant ne pensait qu'à Dieu et à ses vieux parents, ceux-ci, qui n'avaient pu comprendre pleinement les secrets de son âme virginale, cherchaient à la marier. Sur le déclin de leur vie, ils ne voulaient pas la laisser seule au monde, et peut-être même espéraient-ils voir grandir autour d'eux leurs petits-enfants.
On ne sait pas exactement quel était l'âge de Rita à cette époque-là; certains auteurs disent qu'elle avait dix-huit ans, d'autres douze seulement. Il nous importe peu de le savoir, et il nous est difficile de croire que ses parents aient engagé la parole d'une enfant aussi jeune, bien que les parents de sainte Catherine de Sienne aient également essayé de le faire.
Quelles luttes, quelles douleurs pour le coeur de Rita ! Elle ne se sentait pas le courage de donner à un homme ce coeur que dès son plus jeune âge elle avait consacré à Dieu, et, d'autre part, ses vieux parents, très âgés, à qui elle était accoutumée à obéir dans les plus petites choses, lui faisaient pitié. Par surcroît, le jeune homme qui demandait sa main n'était certainement pas assorti à elle, si timide, si délicate et tellement détachée des choses du monde.
Pendant que la pauvre Rita, avec une immense douleur, se disposait à obéir à ses parents, une autre enfant romaine et de famille noble était de même sacrifiée par les siens. On aime rapprocher l'enfant romaine de l'humble fille de la montagne, parce que leur vie a beaucoup de ressemblance.
Le mari de Françoise (qui passa dans l'histoire sous le nom de Françoise Romaine) s'appelait Laurent de Ponzani, jeune seigneur romain, riche et de noble famille.
On ne sait si c'est à cause de la peine qu'elle avait éprouvée pour accepter un mariage qu'elle ne désirait pas, ou bien est-ce par une disposition de la divine Providence, Françoise, à peine arrivée chez son époux, tomba dans une maladie grave qui dura près de deux ans, et de laquelle elle guérit miraculeusement le 17 juillet 1398, le jour de saint Alexis.
Françoise eut des enfants qu'elle éleva avec le plus grand soin Elle souffrit l'exil de son mari et la confiscation de ses biens avec un coeur pleinement résigné. A la mort de son mari, elle entra dans la vie religieuse et fut un modèle incomparable d'humilité, de patience et de charité.
La suite de notre histoire montrera les principaux points de ressemblance de ces deux saintes, et tout particulièrement la dévotion qu'elles eurent, toutes deux, pour la Passion de Nôtre-Seigneur, dévotion si profondément sentie et vécue jusqu'à les rendre, non seulement dans l'esprit mais aussi dans le corps, de vivantes copies du Christ souffrant.
Revenant à sainte Rita, nous verrons une grande ressemblance à ce sujet avec la sainte matrone romaine. Le livre de chevet de l'une et de l'autre sainte fut le Crucifix, elles devaient toutes deux porter la croix; l'une et l'autre portèrent dans leurs membres les plaies de Nôtre-Seigneur. Et toutes deux durent sacrifier leur intime aspiration à se donner entièrement à Dieu.
Rita était née et avait grandi dans l'alpestre village de Rocca-Porena, à peu de distance de Cascia, mais les moines Augustins, qui avaient leur monastère dans cette ville, s'étaient éparpillés aux alentours et certains vivaient dans des grottes pour la sanctification de leur âme. Parmi ceux-ci l'histoire nous rappelle le bienheureux Jean, des ducs de Chiavano, qui, après avoir revêtu l'habit religieux vers 1320, s'était retiré pendant vingt-cinq ans dans l'ermitage de Sainte-Euphémie de Atino et y était mort vers 135o en odeur de sainteté.
On se rappelle également le bienheureux Ugolin, Augustin de Cascia, mort aussi en odeur de sainteté à l'ermitage de Sainte-Marie de Castellano. Ces solitaires exerçaient, sans aucun doute, une salutaire influence sur les âmes simples et bonnes, et nous croyons que les gens qui les entouraient devaient les visiter pour leur demander conseil et en recevoir le réconfort et les directives de vie chrétienne.
Rita, qui, tout enfant, avait aspiré à la vie parfaite, aurait voulu les imiter, mais, ne pouvant abandonner ses vieux parents, elle s'isola dans la maison paternelle. Elle choisit pour cela, avec l'assentiment de son père et de sa mère, une petite chambre écartée, elle la convertit en oratoire qu'elle décora avec les images de la Passion et elle s'y enferma comme en un lieu de délices. C'est ici que l'attendait le divin Epoux pour parler à son cœur.
Étant donné son état d'âme, quel dut être l'effroi de la pieuse enfant lorsque ses parents lui parlèrent de mariage. Un refus catégorique ne pouvait sortir de ses lèvres, car elle était accoutumée à obéir aveuglément à ses parents et elle ne voulait pas les attrister. Mais il est permis de croire que c'est plus avec des larmes qu'avec des paroles que Rita supplia de lui laisser suivre sa vocation religieuse.
Ils se seraient certainement laissés attendrir par ses supplications ardentes si le jeune homme qui l'avait demandée en mariage, et à qui ils l'avaient certainement promise, eût été autre de ce qu'il était.
Mais Paul de Ferdinand _ à cette époque-là on ne tenait pas compte des noms de famille chez les pauvres gens _ était un homme avec lequel on ne pouvait raisonner ni être quitte. Les écrivains le dépeignent comme un homme débauché, violent, et certains parmi eux supposent qu'il avait même déjà été mêlé à des rixes; il aurait été capable de faire un scandale si Rita et ses parents n'avaient pas consenti à ce mariage.
Songez quelle fut alors la consternation de la pauvre enfant de se voir jeter inconsciemment dans cette impasse.
Rita multiplia les pénitences, les aumônes et les prières. Mais Dieu, qui a ses voies, n'écouta pas ses prières, ou plutôt ne voulut pas lui retirer cette croix, car il avait sur elle d'autres desseins. En retour, il lui accorda d'autres grâces, parmi lesquelles celle de gagner l'âme de son époux et de donner aux épouses martyrisées un éclatant exemple de patience héroïque. Ainsi Rita fut épouse, embrassant sa croix et gravissant le chemin de son calvaire.
Certains auteurs, se basant sur une phrase du sarcophage renfermant les reliques de la sainte, affirment que le sacrifice de Rita servit non seulement à son mari, mais encore à la vallée entière : nous verrons de quelle façon.
Cascia, avec d'autres territoires, avait été annexée aux domaines de l'Église romaine, qui envoyait ses gouverneurs. Mais, pendant que le pape Grégoire XI était en Avignon, les Gibellins de Cascia, ennemis du gouvernement pontifical, appelèrent à leur aide Thomas de Chiavano, qui accourut avec ses partisans, lesquels, non contents d'avoir chassé le gouverneur et les autres officiers de la Curie romaine, commirent de graves délits : dévastation des pays, vols, homicides, incendies.
Il paraîtrait que Paul de Ferdinand fut des plus enragés et que Rocca-Porena eût été pour quelque temps sous le coup de ses menaces et de son oppression.
Après environ trois ans d'une domination qui ne fut qu'un brigandage, nous pouvons bien le dire, les rebelles se soumirent de nouveau au pontife et furent pardonnes, et nous pouvons conjecturer que c'est l'influence salutaire de Rita qui avait amené son mari à de meilleurs sentiments.
Le loup étant apprivoisé, la bourgade entière respira. Ainsi s'explique la citation de plusieurs historiens qui disent que les Mancini (les parents de Rita, et Rita elle-même) furent appelés : Les conciliateurs de Jésus-Christ.

CHAPITRE V

L'AGNEAU VAINC LE LOUP

Nous avons fait, dans le précédent chapitre, un rapprochement entre sainte Rita et sainte Françoise Romaine; nous sommes obligés actuellement de la comparer à une autre sainte célèbre dans l'Église pour nous avoir donné le plus grand Docteur de l'Occident, saint Augustin : c'est sainte Monique.
Mariée contre son inclination à un païen buveur et coléreux, entrée dans une maison où l'attendait une belle-mère qui la regardait comme une intruse, Monique prit tout de suite la résolution de respecter la mère de son mari comme sa propre mère et de faire tout ce qu'elle pourrait pour donner satisfaction à son époux tant que cela ne serait pas contraire à la loi divine, et souffrant par amour de Nôtre-Seigneur afin d'obtenir sa conversion. S'il se mettait en colère, Monique ne répondait jamais, et elle réussit si bien que les autres femmes, habituées à être corrigées par leurs maris, s'émerveillaient de voir que Monique ne l'était jamais. Elle réussit enfin, à force de patience et de prières, à faire inscrire Patrice (tel était le nom de son mari) parmi les catéchumènes et à le préparer à mourir en bon chrétien.
Sans doute, Rita aura entendu parler de la mère de saint Augustin. On peut le dire avec beaucoup de probabilité parce que les solitaires des environs de Cascia étaient tous Augustins, comme nous l'avons dit précédemment, et célébraient les fêtes de saint Augustin et de sainte Monique avec solennité et grand concours de peuple, faisant le panégyrique des deux saints. Comment Rita, si pieuse, pouvait-elle ne pas assister à ces saints exercices et ne pas être profondément émue de ce qu'elle voyait et entendait ? Elle avait donc déjà un modèle à imiter en entrant dans son nouveau foyer.
Comme Monique, elle aura prié pour la conversion de son mari; comme elle encore, elle aura supporté en silence ses emportements et ses injures et elle aura fait tout ce qui dépendait d'elle pour rendre sa maison attrayante, afin que son mari ait tout ce qu'il pouvait désirer.
Ce sont des choses que l'on dit et que l'on écrit en peu de mots, mais les femmes ayant un pareil époux savent que leur patience est mise à une dure épreuve et combien il est difficile de contenter un mari qui, pour un rien, se fâche, blasphème, injurie, brise ce qui lui tombe sous la main et charge d'insultes grossières et malhonnêtes sa pauvre femme qui, sous cette tempête, ou répond d'une langue envenimée, ou, effrayée, se soulage en pleurant.
Le mari de Rita avait, par suite de son caractère belliqueux, des ennemis; il avait été offensé et cherchait à se venger; lorsqu'il ne pouvait arriver à ses fins, la tempête grondait chez lui, et sa pauvre timide et innocente femme devait en supporter les conséquences. C'étaient alors des scènes violentes et brutales. Excité par le vin et la colère, Paul se laissait aller à des rages folles, brisant tout ce qui lui tombait sous la main ou lui résistait, apostrophant ou blasphémant ignominieusement, faisant ainsi frémir d'horreur et de désespoir la pauvre Rita. Le jour ne tarda pas à venir où Paul, las de ne s'en prendre qu'aux choses, dévia sa colère sur sa femme, et les coups grondèrent aussi sur Rita. Un jour, même, elle ne dut son salut qu'à l'intervention inattendue et providentielle de ses parents.
Le mari de la bienheureuse Anne-Marie Taïgi avait, lui aussi, ses colères; mais comme il était, au fond, un bon chrétien, le pire qu'il pouvait faire était de briser quelques plats. Mais Paul avait un autre tempérament, et sa pauvre femme s'attendait tous les jours ou de le voir arrêté pour délit de meurtre, ou de le voir ramené à la maison blessé ou mort.
Mais que ne peuvent faire la foi et la charité ? Rita se rappelait les paroles du Maître : Si vous aviez la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à la montagne : Lève-toi et jette-toi dans la mer, et la montagne obéirait.
Sa patience devint si héroïque que ses voisines l'appelaient : la femme sans rancune. Cette merveilleuse force morale provenait de sa prière fervente, de la sainte communion et de sa méditation préférée de la Passion de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. En pensant aux ingratitudes, aux insultes, aux moqueries, aux coups reçus par Jésus innocent, sa propre croix lui paraissait légère. Ce qui l'affligeait, ce qui lui transperçait le coeur, c'était de penser que Paul était l'ennemi de Dieu et qu'il allait ainsi à la perdition éternelle.
Pour obtenir de Dieu sa conversion, elle joignait à ses prières de dures pénitences. Elle faisait chaque année trois carêmes au lieu d'un, et les carêmes étaient, à l'époque, très rigoureux. Un seul repas, tout à fait maigre, que l'on prenait le soir; rien hors des repas. Songez à cette jeune femme, chargée de travail et de douleurs, qui souffre tout en silence en bénissant Dieu, et vous ne serez pas étonné si, petit à petit, elle amène son mari à être plus calme, moins violent et moins éloigné de Dieu.
Injuriée sans raisons, elle n'avait aucune parole de ressentiment; battue, elle ne se plaignait pas, et elle était si obéissante qu'elle n'allait même pas à l'église sans la permission de son brutal mari.
Mais le jour vint où l'agneau triompha du loup. Paul commença à réfléchir et à admirer l'incomparable patience de sa victime et il eut honte de lui.
Lorsqu'il sentait que la colère grondait en lui, il sortait de la maison jusqu'à ce qu'elle se fût dissipée et ne rentrait qu'après avoir retrouvé le calme.
La grâce de Dieu triomphait donc de cette nature sauvage, et ce fut un jour d'immense consolation pour Rita que celui où Paul, sincèrement repenti, se jetant à ses pieds et couvrant ses pieuses mains de baisers et de larmes, il lui dit en sanglotant : « Pardonne-moi, Rita; je fus indigne de toi, mais c'est fini maintenant. Ton immense bonté m'a racheté, m'a fait comprendre enfin la vraie vie. » Et il tint sa promesse.
Rita profita de la circonstance pour ramener à Dieu l'âme de son mari. Maintenant il l'écoutait avec admiration; les paroles de Rita sortant d'un coeur illuminé par la foi et enflammé du plus pur amour de Dieu faisaient impression sur le coeur de l'égaré, lui rappelant les vérités qu'il avait apprises étant enfant et qu'il avait oubliées, lui mettant sous les yeux l'image de Jésus Crucifié qui, après avoir tant aimé et comblé de bienfaits les hommes, en avait été aussi mal récompensé et était mort pardonnant à ses bourreaux.
Les pensées de haine et de vengeance se dissipaient dans le coeur de Paul. Des sentiments nouveaux et qu'il n'avait jamais éprouvé naquirent en lui comme les fleurs lors de la fonte des glaces hivernales, et, où avait dominé l'esprit du mal, l'Esprit-Saint agissait actuellement.
Le village s'aperçut du changement de cet homme et respira. Il respira et bénit l'héroïque femme qui avait su apprivoiser ce loup. Il y en eut sûrement qui, ayant été gravement offensés par lui, lui pardonnèrent de tout coeur. Mais pas tous, comme nous le verrons.

CHAPITRE  VI

BREFS SOURIRES ET LARMES NOUVELLES

L'une et certainement la plus grave difficulté que l'on éprouve pour raconter l'histoire de sainte Rita est le manque de dates précises. En ce temps-là on ne tenait pas les registres d'état-civil, et si les familles illustres peuvent avoir des renseignements sûrs, il n'en est pas de même de la famille Mancini, pauvre et perdue dans les rochers des Apennins.
Les historiens nous disent avec certitude que Rita eut deux fils. Certains les disent jumeaux, d'autres non. Il y en a qui disent que le premier fut appelé Jacques-Antoine, d'autres qu'il se nommait Jean-Jacques; toutefois, tous sont d'accord sur le nom du second fils, qui s'appelait Paul-Marie.
L'âme animée d'un grand esprit de foi, Rita reçut ses deux fils des mains de Dieu comme un trésor précieux à conserver avec le plus grand soin. Elle regardait en eux l'âme plus que le corps, et nous devons croire qu'elle les consacra à Dieu et pria pour eux, à peine s'aperçut-elle de leur présence.
Saint Lucien baisait sur la poitrine son petit enfant Origène, qui devint par la suite un des plus illustres Docteurs de l'Église, en pensant qu'il était le temple du Dieu vivant. Il n'y a pas de doute que Rita ne considéra en ses enfants l'image de Dieu. Sachant qu'elle avait besoin de plus grandes grâces, elle multiplia ses prières et ses mortifications.
« Elle jeûnait, disent les Bollandistes, la veille de toutes les fêtes de la Sainte Vierge, ne s'alimentant qu'avec du pain et de l'eau, observant également avec le plus grand soin les autres jours de jeûnes établis par l'Église _ et ils étaient beaucoup plus nombreux que maintenant _ et elle pratiquait deux carêmes supplémentaires en plus de celui obligatoire. Elle était également très charitable envers les pauvres, et son mari approuvait ses actions. »
La visite aux pauvres et aux infirmes fut toujours la passion de la pieuse femme, et quand ses fils furent en âge de comprendre, elle les amenait avec elle pour les habituer aux _uvres de charité. Elle craignait qu'ils n'eussent en eux l'hérédité de l'inclination paternelle; elle tremblait pour leur avenir en pensant qu'ils devaient vivre en un monde de troubles, d'oppression et de scandales. C'est la raison pour laquelle elle s'appliquait à déposer dans leurs tendres coeurs le germe de ces vertus qu'elle possédait elle-même à un si haut degré et qui, développées en temps voulu, seraient à même de les préserver de l'influence des passions.
Son mari, revenu dans le droit chemin, la secondait dans ce devoir sacré; et quand, malgré ses bonnes résolutions, il sentait monter en lui quelque mouvement imprévu de colère, il quittait immédiatement la maison, afin de ne pas donner à ces innocents un spectacle offensant de la dignité paternelle.
Pendant que Rita s'occupait de l'éducation de ses fils, ses bons parents moururent. Ils avaient vécu toujours unis et aimants, et ils moururent la même année _ 1402 _ l'un le jour de Saint-Joseph, 19 mars, et la femme le jour de l'Annonciation, le 25 mars, à quatre-vingt-dix ans.
Les passions violentes durent peu : l'expérience nous montre des unions contractées par sensualité qui, après la lune de miel (et parfois même celle-ci est empoisonnée), sont malheureuses et sont la source de disputes, d'infidélités et de péchés ; tandis que l'amour ordonné et chrétien, béni de Dieu, s'écoule comme un fleuve paisible, sans tempêtes, avec seulement quelques légers plissements _ puisque les choses humaines ne peuvent être parfaites _ et les époux, même fort âgés, s'aiment d'un pur amour, se soutiennent l'un l'autre, et se suivent, presque, dans la tombe.
Nous ne pouvons douter que Rita se trouva très affligée du décès de ses parents. Mais ce fut une douleur sans regrets, car elle les avait toujours aimés, respectés; elle avait été envers eux d'une obéissance exemplaire et elle les avait aidés dans la mesure de ce qu'elle pouvait faire. Quand ils furent décédé, elle les soulagea encore par d'ardentes prières. Ainsi, ayant accompli avec soin ses devoirs de fille, d'épouse et de mère, Rita acquérait toujours de nouveaux mérites pour le ciel.
Une autre pensée qui devait être d'un grand réconfort à la pieuse femme en cette circonstance, c'était la vie vraiment chrétienne de ses parents et de les savoir sauvés pour l'éternité.
Ce fut la pensée qui réconforta saint Augustin à la mort de sa mère :" Il ne faudrait pas trop pleurer notre mère, car elle n'est pas morte misérablement, elle n'est pas morte du tout. Nous sommes bien persuadés de cela en pensant aux bons exemples qu'elle nous avait donnés par sa conduite exemplaire et par sa foi sincère. Et j'allais me remémorant sa vie pieuse et sainte envers Dieu, si douce et si affectionnée pour nous, et je laissais couler mes larmes. Qu'on ne me reproche pas d'avoir pleuré un peu celle qui, pendant tant d'années, avait pleuré pour que je retourne à Dieu."
La famille de Rita, dès que Paul cessa d'être obsédé par la passion du parti et la soif de vengeance, pouvait se dire parfaitement heureuse. Les enfants grandissaient braves et gentils, et l'on jouissait de ce bien-être qu'éprouvé l'homme de la campagne lorsque le ciel s'éclaire et que le soleil resplendit après un orage menaçant.
Mais si pour tout le monde ici-bas les quelques rosés ne s'épanouissent qu'au milieu de beaucoup d'épines, Rita, qui s'était vouée dès son jeune âge à l'imitation de Jésus Crucifié, fut bien vite transpercée par une douleur aiguë, plutôt par un amas de douleur qui la rendirent semblable au saint homme Job qui, en un seul jour, se trouva privé de tout.
Ame héroïquement généreuse, elle avait demandé au Seigneur de souffrir, de souffrir beaucoup, et le Seigneur l'écouta.
Tout le monde n'avait pas oublié les torts causés par Paul, et lorsque ce dernier, revenu à de meilleurs sentiments, parut moins terrible, certains songèrent à en profiter pour mettre à exécution leur désir de vengeance.
« Rentrant un soir (ceci d'après un écrit laissé par le curé qui avait la direction spirituelle de Rocca-Porena), rentrant donc un soir de Cascia, où il s'était rendu pour ses affaires, Paul, passant par le petit chemin longeant le fleuve Carno, ne portant aucune arme depuis qu'il avait entrepris, d'après les bons exemples, les insinuations et les ferventes prières de sa sainte femme, de vivre honnêtement, fut attaqué par ses ennemis qui le tuèrent férocement.
« A peu de distance de Rocca-Porena, sous les vignes de Collegiacone près du moulin des seigneurs de Poggiodomo, on montre encore l'endroit où, d'après la tradition, il fut tué à son retour de Cascia à Rocca-Porena. »
Le cadavre ensanglanté découvert par des passants, la bourgade fut bouleversée, et Rita apprit bientôt la funeste nouvelle.
Si, dans le pays, le crime produisit une profonde impression, qu'elle n'aura pas été la douleur et la défaillance de la pauvre épouse ? Faisant effort sur elle-même, elle court sur les lieux, traînant ses enfants par la main, et, connaissant leur nature fière qu'ils tenaient de leur père, elle eut soin de cacher à leurs yeux le sang du malheureux et les exhorta au pardon.
Plus qu'à elle-même, elle pensait à l'âme de son mari, parue à l'improviste au tribunal de Dieu, après une vie de passions violentes. Elle pensait aux conséquences que ce triste fait aurait pu avoir sur le coeur de ses fils. Bien qu'élevés avec soin par cette sainte mère et retenus autant que possible loin des mauvaises compagnies, ils avaient grandi en un temps de brigandages et ils avaient dû respirer cet air empoisonné des discordes intestines et de la haine.
Porté à la maison, et ensuite à l'église par des mains pieuses, la dépouille mortelle de Paul eut, par les soins de son épouse, de dignes obsèques, et Rita multiplia encore ses prières et ses pénitences en suffrage de l'âme de son mari. Elle fit encore l'acte héroïque de pardonner de tout coeur aux assassins. Et c'est peut-être à cause de cet acte héroïque que Dieu daigna lui révéler que l'âme de son mari était sauvée.
Une autre femme pardonna à l'assassin de son mari : ce fut sainte Françoise Frémiot de Chantal. Mais le cas est différent, et Rita n'a rien à perdre à la comparaison. Rappelons brièvement le fait raconté tout au long et brillamment par Bougaud.
Sainte Françoise avait épousé le baron Christophe de Chantal. Les deux époux étaient encore jeunes lorsque le baron tomba dans une maladie grave qui le conduisit au seuil du tombeau. La violence du mal ayant été surmontée et, étant entré en convalescence, il reçut un jour la visite d'un de ses cousins, M. d'Anlezy, qui était un de ses meilleurs amis. Celui-ci lui proposa de faire une promenade dans le parc, à la recherche de gibier. Le baron accepta avec plaisir l'aimable proposition et ils s'avancèrent dans le bois, en directions diverses. Peu de temps après, on entendit un coup de fusil et un cri d'angoisse : Je suis mort ! M. d'Anlezy, croyant tirer un lièvre, avait tué son cousin.
Personne ne pourra décrire l'affliction de son épouse qui, après avoir veillé de longues nuits au chevet de son mari, craignant de le perdre, se le voyait ravir aussi tragiquement à peine revenu à la santé. La douleur fut si grande, écrit M. Bougaud, qu'elle ne pouvait se décider à accepter de la main de Dieu une pareille épreuve, et aucune parole de résignation ne pouvait sortir de ses lèvres.
Elle resta un certain temps sans pouvoir se décider à revoir le meurtrier inconscient de son mari, puis, cicatrisant la plaie de son coeur, victorieuse d'elle-même, elle voulut que M. d'Anlezy soit le parrain de confirmation de son fils.
Pardonner à celui qui avait été un ami, à celui qui a tué par inadvertance, c'est toujours un grand acte de vertu chrétienne, étant donné que dans le coeur humain il y a un grand désir de justice et par cela même de vengeance. Mais Rita devait pardonner à un vil assassin qui avait assailli traîtreusement sa victime, la sachant désarmée.
Sainte Françoise de Chantal apprendra plus tard à pratiquer de mâles vertus que lui inculquera saint François de Sales et elle gravira son calvaire. Mais Rita était déjà avancée dans la perfection, car Jésus lui avait destiné ce genre de sainteté que l'on peut appeler un véritable Chemin de la Croix.
La première impression causée par la mort de son mari s'étant apaisée, la pieuse femme concentra toute sa sollicitude sur ses deux fils, dont elle étudiait toujours plus profondément les inclinations et les dispositions. Ils étaient très jeunes encore, mais à l'oeil expérimenté de la mère, certains symptômes ne pouvaient passer inaperçus; peut-être certains mots lui laissèrent croire à de idées de vengeance. Sans doute les bonnes paroles et les exemples de leur mère pouvaient influencer favorablement leur coeur, mais plus encore était puissante la grâce de Dieu que Rita implorait par ses larmes et ses prières ardentes.
Toutefois, on ne peut garder les enfants toujours renfermés; ils devaient sortir pour les affaires de la maison, et, étant dehors, ils entendaient forcément d'autres paroles, ils voyaient d'autres exemples, et furent probablement excités à la vengeance. La force du mal réussit souvent à étouffer celle du bien. Il vint un moment où Rita s'aperçut que ses enfants ne l'écoutaient plus avec la même docilité et que l'instinct du sang les aurait un jour entraînés au mal.
La mère, qui avait beaucoup plus à coeur le salut de leur âme que de leur vie, quand elle se vit dans une telle situation, prit un parti héroïque, et demanda à Jésus Crucifié de prendre ses enfants innocents s'il était humainement impossible d'éviter qu'ils ne devinssent criminels.
Pour une mère qui, en très peu de temps, a perdu ses parents, son mari et qui avait concentré toutes ses affections terrestres sur ses deux enfants, ce fut vraiment un acte héroïque. Mais dans cette femme tout est grand quand il s'agit de la douleur. Jésus la voulait toute à lui et détachait, un à un, tous les liens qui l'attachaient à la terre.
L'un après l'autre, les deux enfants tombèrent malades, et Rita les soigna avec le plus grand soin, veillant à ce que rien ne leur manquât, leur procurant tous les remèdes nécessaires pour conserver leur vie, et cela au prix des plus grands sacrifices.
« Mais, direz-vous, est-ce qu'elle n'avait pas prié Jésus de les prendre avec lui ? »
C'est vrai; mais ce n'était pas elle qui devait les laisser mourir. Elle savait que son devoir était de les secourir, et ce devoir elle voulait l'accomplir généreusement. Et puis les deux enfants n'étaient pas aussi bons qu'elle le désirait; elle voulait bien les donner à Jésus si cela était nécessaire, mais purifiés par la pénitence : c'est ce qui arriva. La longueur de la maladie calma en eux leurs projets de vengeance; ils se repentirent de leurs péchés et se réconcilièrent avec Dieu. Seulement alors le coeur de cette mère sainte et généreuse retrouva la paix.
Les jeunes gens moururent à peu d'intervalle l'un de l'autre, environ un an après la mort de leur père.
Rita conduisit leur dépouille près de celle de son mari  et se trouva seule au monde,  seule, mais avec son Dieu; seule, mais libre.
A ce monde qui, sous quelques roses, cache tant d'épines; qui, sous le manteau de la civilisation, cache encore tant de barbarie; qui, à côté des pratiques religieuses, laisse subsister des instincts aussi païens et aussi féroces, Rita dit adieu. Elle put dire avec le Psalmiste :" Le filet s'est brisé et j'ai reconquis ma liberté."

CHAPITRE VII

VERS  LE  NID  DESIRE

Dans ses rêves de jeune fille, Rita avait toujours soupiré après le cloître comme à un asile de paix où elle aurait pu servir Dieu de toutes les forces de son âme. Quand elle allait en ville, passant devant les portes des monastères, il lui semblait qu'une force intérieure et puissante l'y attirait et elle portait une sainte envie aux vierges qui y étaient recluses.
Le monastère des Augustines, auquel était annexée l'église de Sainte-Marie-Madeleine l'attirait tout particulièrement et elle pouvait y entrer et exhaler son coeur devant le saint tabernacle.
Mais quel abîme entre ses premières années et son état actuel ! Bien que la voix qui l'appelait à la vie religieuse fût toujours forte, impérieuse, pressante, Rita savait qu'elle ne pouvait plus y apporter la fraîcheur virginale de sa vie d'enfant et elle devait se croire un être indigne.
Sainte Françoise Romaine éprouva le même sentiment. Elle avait fondé la congrégation des Oblates à Tor de Specchi, à Rome, et construit de ses deniers un vaste monastère.
Devenue veuve, elle désira y entrer pour donner entièrement à Dieu le reste de sa vie, mais elle se croyait indigne de vivre parmi les vierges consacrées à Dieu. Sa demande fut acceptée, mais bien qu'elle fût la fondatrice, elle n'entra au monastère que pour servir les religieuses, s'abaissant, elle, noble matrone, aux travaux les plus humbles de la maison.
Rita, très humble, s'encouragea : elle savait que les difficultés étaient, humainement, insurmontables, mais elle espérait en Dieu. Rappelons-nous que c'est la sainte des cas impossibles.
Elle résolut cependant d'entreprendre une démarche. Pour arriver à Cascia, elle devait prendre le chemin le plus fréquenté et passer près de l'endroit où son mari avait été tué. Un émoi au coeur, une prière, peut-être une larme, et en avant.
Et la voilà à Cascia, au couvent des Augustines. Le couvent n'existe plus, ou plutôt il n'est plus dans l'état où le trouva notre sainte. Il avait tout d'abord appartenu aux religieuses bénédictines. Mais lorsque le tremblement de terre de 1328 le réduisit à un état pitoyable, celles-ci l'abandonnèrent et il devint la propriété des Augustines qui, environ deux ans après, l'occupèrent après l'avoir fait restaurer, avec son annexe de l'église de Sainte-Marie-Madeleine.
Selon certains auteurs, sainte Rita aurait même concouru aux frais de cette restauration avec l'argent qu'elle avait retiré de la vente de ses biens.
Plusieurs fois, par la suite, le monastère fut endommagé par le tremblement de terre, et pendant que les religieuses faisaient les plus grands sacrifices pour pouvoir, au moins, agrandir l'église, dans la nuit du 14 janvier 1708, un nouveau et plus terrible tremblement de terre détruisit l'église et rendit le monastère inhabitable. Mais au milieu d'un si grand désastre, les pauvres religieuses eurent la preuve éclatante de la protection de celle qui avait été leur s_ur et qui était montée au ciel.
Jean V, roi de Portugal, guérit miraculeusement d'une gangrène à l'oeil gauche par l'intercession de sainte Rita, et il offrit alors en plusieurs dons 13.229,36 écus pour la reconstitution du couvent. Avec cette somme et d'autres offrandes, on construisit une aile nouvelle au monastère, et c'est celle que l'on voit encore aujourd'hui. Les travaux commencés en 1747 furent conduits à bon terme et inaugurés le 8 septembre 1762.
Confiante dans le secours du bon Dieu, Rita frappa à la porte des Augustines de Sainte-Marie-Madeleine et exposa à la supérieure son ardent désir. Son aspect humble et pieux aura fait sûrement une excellente impression sur la bonne religieuse; mais le couvent, habitué à recevoir les jeunes filles, n'avait jamais, jusqu'alors, ouvert ses portes à une veuve, et la pauvre femme, malgré ses supplications, s'en vit refuser l'entrée.
Dans quel état d'âme Rita revint à Rocca-Porena, vous pouvez vous l'imaginer. Elle avait craint d'être indigne de vivre parmi les vierges consacrées à Dieu, et voilà que Dieu lui-même semblait la rejeter dans le monde. Mais, en même temps, une voix intérieure, cette voix mystérieuse qu'elle avait entendue dès ses premières années, lui disait d'espérer.
Retournée au pays, elle recourut à la prière, aux mortifications, aux bonnes _uvres, et, ayant repris confiance, elle alla encore, à deux reprises différentes, frapper à la porte du monastère de Sainte-Marie-Madeleine et elle essuya à nouveau deux refus.
Les biographes de la sainte notent que Cascia possédait d'autres couvents, dont un de religieuses Augustines. Pour quel motif Rita a-t-elle toujours frappé à la porte du premier monastère, dont l'entrée lui était cependant refusée ? Se voyant ainsi repoussée, Rita aurait pu penser que Dieu la voulait à lui, mais vouée à l'apostolat dans le monde et non dans le cloître, comme sainte Catherine de Sienne, qui, née quinze ans avant elle, ne put se faire religieuse de Saint-Dominique, mais simplement tertiaire de cet Ordre et, instruite directement par le Saint-Esprit, prêcha au peuple, convertit d'innombrables pécheurs et exerça une salutaire influence sur les destinées de l'Église, décidant le pape à retourner à son siège de Rome.
Rita comprit bien que telle n'était pas sa voie. Les religieuses de Sainte-Marie-Madeleine la repoussaient Dieu l'attirait avec une force irrésistible et elle s'abandonna à sa sainte volonté, se recommandant plus que jamais à ses saints protecteurs. Jésus ne la rejetait pas, mais il différait sa grâce pour mettre sa foi à l'épreuve et lui donner l'occasion de nouveaux mérites.
Du reste, la sainte femme qui, à ce moment-là, atteignait ses quarante ans, bien que vivant dans le monde, menait une vie toute monastique et, sans avoir prononcé des voeux solennels, observait si fidèlement les conseils évangéliques et était ainsi si adroitement unie à Dieu que bien peu d'âmes auraient pu la suivre dans les ascensions mystiques de son esprit.
Lorsque Dieu la vit pleinement résignée et confiante, il la prit en pitié, et une nuit, pendant qu'elle était en oraison, elle entendit appeler : Rita, Rita !
Peut-être un peu craintive, car la nuit était avancée, elle s'approcha de la fenêtre pour voir qui l'appelait et ce qu'on voulait, mais elle ne vit personne. Pensant s'être trompée, elle se remit en oraison, mais, peu de temps après, le même appel se répéta : Rita, Rita !
Cette fois-ci elle était sûre de ne pas s'être trompée. Se dressant, elle ouvrit la porte et alla dans la rue. Qui était-ce ? Un homme d'aspect vénérable, accompagné de deux autres. S'il s'était agi de créatures mortelles, la pieuse femme en aurait été épouvantée, ou bien elle aurait supposé qu'il s'agissait de voyageurs désirant le gîte et le couvert; mais, par une lumière divine, Rita ne tarda pas à les reconnaître; c'étaient ses saints protecteurs tant de fois invoqués : saint Jean-Baptiste, saint Augustin et saint Nicolas de Tolentino, qui l'invitèrent à les suivre.
En extase, comme dans un songe, elle les suivit : en très peu de temps ils sont à Cascia, devant le couvent de Sainte-Marie-Madeleine. Les religieuses dorment, la porte est fermée et bien cadenassée. Cette porte qui, par trois fois, s'était fermée devant elle, cette porte qui, pour elle, était l'entrée du paradis terrestre était fermée.
Mais ce n'est pas sans raisons que l'on appelle Rita la sainte des impossibles.
Il était en effet impossible d'ouvrir cette porte par des moyens humains, mais Rita était en bonne compagnie. Les saints que Dieu avait envoyés pour l'accompagner firent qu'elle se trouva à l'intérieur du monastère. Elle s'y trouva, mais seule, car ses saints avaient disparu. Elle était sûre maintenant, après un miracle aussi évident, qu'elle serait admise.
Le monastère, en cette nuit silencieuse, sans qu'aucune des bonnes religieuses s'en aperçut, recevait de Dieu le don d'une bien précieuse marguerite.
 

DEUXIÈME   PARTIE

DANS LA MAISON DE DIEU

CHAPITRE VIII

RITA AU COUVENT

Lorsque les religieuses, recueillies et silencieuses, descendirent pour se rendre au ch_ur, elles furent stupéfaites de trouver la sainte femme qui avait été itérativement repoussée ! Comment était-elle entrée, puisque le monastère était fermé de toutes parts, qu'on ne voyait aucun signe d'ouverture ou d'effraction ? Rita, en toute simplicité, raconta le fait miraculeux qui avait récompensé sa foi et sa constance, et elles furent obligées de s'incliner tant était évidente la preuve de sa sincérité. Rita pour un motif, les religieuses pour un autre, rendirent de vives actions de grâces au Seigneur, celle-là pour avoir été si miraculeusement exaucée, et celles-ci pour avoir acquis, comme l'on dit, un sujet que l'on prévoyait devoir donner un lustre nouveau à leur Ordre.
La supérieure, ainsi qu'il est d'usage, n'aura pas manqué de parler à la novice aussi âgée des devoirs des religieuses et des voeux qui forment l'essence de la vertu propre à cet état. Mais, à ce sujet, les connaissances de la novice étaient si grandes que l'on ne tarda pas à s'apercevoir que Rita avait bien peu à apprendre, parce qu'elle était déjà très avancée dans la voie de la perfection.
Dès l'enfance, elle avait appris à obéir en toutes choses à ses vieux parents, et l'on sait par expérience combien il est difficile de contenter les personnes âgées, remplies d'infirmités et ayant besoin de continuelle assistance Elle avait ensuite obéi à un mari brutal qui la maltraitait et exhalait sur les innocents la colère de ne pouvoir se venger de ses ennemis.
Rita connaissait bien aussi la pauvreté, parce que, née de condition modeste, elle dut grandir dans une vie austère et laborieuse, et ne pouvant se dire pauvre, au sens strict du mot, elle se fit volontairement pauvre, se privant de nourriture et de vêtements pour rassasier les affamés et pour vêtir les malheureux.
Rita était veuve, mais elle avait tant aimé la virginité et elle avait toujours vécu dans une chasteté très grande. Nous en avons une preuve évidente dans les grâces singulières dont elle fut comblée par Dieu et par le don de la contemplation que le Seigneur n'accorde qu'aux âmes profondément humbles et jalouses de leur pureté.  Cependant,  malgré ces grandes faveurs,  certains auteurs disent que Rita n'aurait pu être admise parmi les religieuses choristes, parce qu'elle ne savait pas lire et qu'elle n'aurait pu, comme les autres, réciter l'Office divin. Elle aurait dû être Soeur converse, ou, comme l'on dit vulgairement, Soeur de second ordre, quelque chose comme servante des religieuses. Mais, ainsi qu'il en ressort de la tradition et d'après les vêtements qu'elle portait quand elle fut inhumée, on passa outre à cet empêchement. Rita fut choriste, et l'on commua l'obligation de la récitation de l'Office divin par d'autres prières.
Cela  démontre  le  discernement  de  la  supérieure et  des  conseillères,   qui  reconnurent  le trésor que Dieu leur avait confié et la grande estime  que  l'humble  femme de  Rocca-Porena s'était acquise dès son entrée en ce lieu sacré.
L'auteur Vannutelli démontre que Rita ne pouvait être converse, mais qu'elle fut Soeur choriste. « Remarquons, écrit-il, que, avant le Concile de Trente, donc à l'époque où vécut sainte Rita, le monastère de Sainte-Marie-Madeleine de Cascia ne renfermait aucune religieuse converse et, en leurs lieu et place, il y avait deux ou trois servantes séculières, lesquelles ne prononçaient pas de voeux religieux, mais s'engageaient à ce travail par acte notarié. Nous trouvons, de plus, que de telles habitudes étaient encore en usage en 1639, trouvant dans un livre de l'administration du monastère de cette époque la description de la communauté entière de Sainte-Marie-Madeleine de Cascia, où l'on cite l'Abbesse, la Mère vicaire, vingt-deux Mères choristes, trois Novices et deux Servantes séculières. On ne fait aucune mention de religieuses converses. »

CHAPITRE IX

NOVICIAT ET PROFESSION

Le noviciat est un temps d'épreuve, et, même pour les âmes choisies, une épreuve quelquefois assez dure, et pour des motifs qui pourraient paraître saints : par exemple, pour être attachées à certaines pénitences, à certaines pratiques religieuses desquelles on doit se détacher malgré soi. Qui connaît le fond des coeurs ? Qui peut deviner les effets variés que certaines règles, certaines recommandations, certaines prohibitions, font sur l'âme des novices si diverses par l'inclination, par l'éducation, soit même par la nationalité et par la race ?
Le noviciat est un creuset où se sépare le bon du mauvais, et dans lequel les coeurs doivent perdre leurs particularités, laissant certaines caractéristiques personnelles pour prendre la même forme extérieure. Nous disons extérieure, parce que les dons du Saint-Esprit sont divers et différentes les voies qui mènent à la perfection.
L'_uvre éclairée du directeur spirituel est ici plus que jamais nécessaire, lequel est à même de donner aux âmes les directives utiles.
Les âmes ordinaires, nous voulons dire celles qui n'ont pas été favorisées par Dieu de dons exceptionnels, sont vite comprises, parce qu'étant à peu près à un niveau moyen, elles n'excitent ni jalousie ni suspicion. Mais les âmes privilégiées, qui craignent de perdre les faveurs divines en les révélant, ou qui, obligées à l'obéissance, les dévoilent à qui ne peut parfois les apprécier, sont incomprises et finissent, au moins pour un certain temps, à être mal jugées et, ce qui est pire, à être mal dirigées.
La vénérable Soeur Benigna Consolata Ferrero, morte il y a peu d'années à la Visitation de Corne, était entrée tout d'abord aux Visitandines de Milan. Ame simple, pure, expansive, elle s'ouvrit vite à sa supérieure, lui révélant les grâces spéciales qu'elle recevait de Jésus. Quel fut le résultat ? La supérieure, certainement de par la volonté de Dieu, épouvantée d'un tel degré de vertu, la renvoya chez elle. La pauvre fille demanda alors à entrer à la Visitation de Corne, où elle fut acceptée, et elle s'y trouva assez mal au début, parce que, craignant d'avoir les mêmes ennuis qu'à Milan, elle cacha ses dons, et la supérieure, cependant très bonne, ne l'ayant pas comprise, la traita pendant un an assez durement.
Le même fait arriva à sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. C'était aussi une âme délicate, douce, expansive, accoutumée dès son enfance à obéir aveuglément et à se mortifier en tout, et elle souffrit d'être incomprise. La petite novice de quinze ans s'ouvrit à sa supérieure, Mère Gonzague, comme à une mère, mais celle-ci la repoussa.
Le caractère respectueux, mais non cajoleur de la novice, son unique et scrupuleuse recherche du devoir lui parut de l'orgueil, et son énergie à l'accomplir lui apparut comme de la présomption. Elle crut devoir l'humilier sans pitié, ne s'occupant pas d'elle, la réprimandant et la tenant au loin. Thérèse souffrait et se taisait. Et il est héroïque et édifiant de voir comment la petite Soeur, qui ne trouvait du réconfort qu'en Jésus, remercia la supérieure : "Comme je vous remercie, ma Mère, de ne pas m'avoir épargnée. Sans l'eau vivifiante de l'humiliation, la pauvre petite fleur n'aurait pu prendre racine, étant donnée sa faiblesse. Le Seigneur le savait bien, et c'est à lui, ma Mère, que je dois cet inestimable bienfait."
Thérèse ne trouva pas une meilleure compréhension chez la Maîtresse des novices, qui la comprit encore moins. Elle l'estimait, elle l'aimait et, croyant bien faire, elle la tourmentait par de longues et monotones exhortations, lui donnant des obéissances qu'elle oubliait de révoquer en temps opportun.
Nous pourrions multiplier les exemples, mais nous pensons que les faits ci-dessus suffiront pour permettre au lecteur de se faire une idée, au moins approximative, des épines que trouvent souvent dans la vie religieuse les âmes privilégiées qui s'écartent de la voie commune.
Les biographes de sainte Rita ont pu raconter les faits extérieurs de sa vie, mais, que je sache, ils ne se sont pas étendus sur les secrets de son âme. Nous ne pouvons donc faire que des conjectures. Mais, pensant à la grande dévotion de Rita pour Jésus crucifié et à son ardent désir de prendre part à sa Passion, considérant ses grandes vertus et les grâces particulières qu'elle recevait de Dieu, nous pouvons dire, sans crainte de témérité, qu'elle non plus n'a pas été bien comprise et que, par suite de cette incompréhension, elle a dû souffrir des peines et des humiliations qui perfectionnèrent son âme.
Sainte Thérèse était traitée « d'enfant », il n'est pas étonnant que sainte Rita, entrée en religion à quarante ans, déjà très avancée dans la perfection, ait été traitée de « vieille ». Tout est possible en ce monde.
Même dans le jardin fermé où Dieu perfectionne ses âmes privilégiées, entre l'esprit du mensonge qui sait si bien se transformer en ange de lumière pour entraîner dans l'erreur les plus expérimentés. Durant le noviciat, des vocations qui semblaient certaines apparaissent seulement superficielles, et la vertu mise à l'épreuve n'est plus de l'or, mais du clinquant.
Mais on y découvre encore de purs trésors de grâces et aussi des urnes qui, étant bien dirigées et cultivées, donnent des résultats inattendus et qui nous laissent stupéfaits. Des cloîtres solitaires où florissait la vie contemplative sortirent les grands génies du christianisme qui, concentrant en eux les rayons de la science acquise et infuse, écrivirent des _uvres immortelles, ou bien, se vouant à l'enseignement et à la prédication, amenèrent des peuples entiers à Jésus-Christ, réformant les m_urs, éteignant des haines invétérées, pacifiant les villes les unes après les autres, vainquant des obstacles qui paraissaient insurmontables.
Rita, élevée à l'école du Crucifix, surmonta de rudes difficultés et s'exerça héroïquement dans la pratique des vertus les plus difficiles.
Elle pratiqua l'humilité, étouffant ses mouvements d'amour-propre, se chargeant des travaux les plus humbles et les plus fatigants, se croyant indigne de vivre parmi les vierges consacrées à Dieu et ne se considérant que comme leur servante.
Elle pratiqua la patience qui supporte tout, le mépris, les paroles amères, les réprimandes imméritées, les désagréments inhérents à la vie commune, la maladie, les douleurs acerbes et prolongées.
Elle pratiqua la charité par laquelle elle se faisait toute à tous pour relever, autant qu'elle le pouvait, les misères physiques et morales du prochain.
Ainsi, cette belle âme avançait dans la vertu et se préparait à recevoir de Dieu les plus insignes faveurs.

CHAPITRE  X

LA  CHARITE  ENVERS  LE  PROCHAIN

A mesure que, dans le coeur de Rita, croissait l'amour de Dieu, grandissait également en elle l'amour du prochain; elle aurait voulu guérir toutes les plaies, adoucir toutes les douleurs.
En ce temps de fortes passions, mais de foi profonde, on pratiquait le principe évangélique de nourrir, vêtir et soigner le Christ dans la personne des pauvres.
Aucun Père de l'Église n'était alors autant lu et étudié que saint Augustin, et peut-être aucun des Pères et Docteurs de l'Église ne le surpassa dans l'explication claire et précise de ce devoir primordial du chrétien. Il disait à ses fidèles d'Hippone : « Voulez-vous être sauvés au jour du jugement final ? Faites que Jésus-Christ puisse dire de vous : J'avais faim et vous m'avez donné à manger; j'avais soif et vous m'avez donné à boire; j'étais nu et vous m'avez vêtu; j'étais en prison, j'étais infirme et vous m'avez visité. Mais, me direz-vous, où est Jésus-Christ pour que nous puissions le secourir ? » _ Et le saint évêque rappelait les autres paroles de l'Évangile : « Ce que vous avez fait au plus misérable de mes pauvres, vous l'avez fait à moi. » « Sur la porte du temple, il concluait : Vous trouverez Jésus-Christ sous la figure d'un mendiant. »
Et il enseignait que, à la ressemblance du Christ, nous devons nous donner nous-mêmes au prochain.
Il est merveilleux de voir le bien immense produit par les paroles du Christ.
Saint François commença sa conversion en distribuant ses biens aux pauvres et en soignant un lépreux. Il est imité par sainte Elisabeth de Hongrie, qui transporte un lépreux sur son lit, et le lépreux disparaît en laissant un parfum de paradis.
Sainte Catherine de Sienne, pendant longtemps, soigna maternellement une femme méchante, impatiente, même calomniatrice, rongée par un horrible et fétide cancer. Pourquoi une telle charité ? Parce que, dans la personne des pauvres et des malheureux, ils voyaient la personne du Christ.
Et Rita, qui aimait tant Nôtre-Seigneur, ne pouvait pas ne pas aimer ses membres pauvres et infirmes ! C'était ses délices de continuer l'habitude qu'elle avait prise dans sa famille de se priver d'une partie de la nourriture qu'elle recevait de la communauté pour la distribuer aux indigents qui, certainement, ne manquaient pas à ce moment-là à la porte des couvents. Et comme à cette époque, la loi de la clôture n'était pas aussi rigoureuse que de nos jours, la sainte femme, bien qu'aimant la solitude et le recueillement, sortait lorsqu'elle savait qu'il y avait des affligés à consoler, des infirmes à secourir.
Elle s'était même donné la peine de s'opposer aux scandales publics; et ses paroles, enflammées par la charité du Christ, étaient si efficaces qu'elles ramenaient à la pénitence les pécheurs les plus obstinés.
Ainsi, par la contemplation des choses célestes, l'exercice héroïque des vertus chrétiennes et des œuvres de miséricorde, Rita avançait toujours, se modelant sur l'exemple divin, et se préparait à recevoir le sceau des prédestinés, qui est celui de vouloir et savoir s'immoler par amour de Dieu et pour le salut de l'humanité pécheresse.

CHAPITRE  XI

LA VIE DU CLOITRE

Étant entrée aussi prodigieusement dans le monastère, Rita éprouva certainement une sensation de liberté, de soulagement, de paix. Elle aurait pu répéter avec le psalmiste : " Le lacet s'est brisé et je suis libre de suivre la voix du Seigneur, qui sera mon repos, qui consumera ma vie."
Du monde, elle ne regrettait rien et, s'il lui restait quelques souvenirs, c'était pour les malades de corps et d'âme, les infirmes et les pécheurs.
La vêture ne fut certainement pas pour elle une simple cérémonie, mais le prélude d'une transformation intérieure, voulue par le changement de vie, un don parfait d'elle-même, un entier abandon à la volonté de Dieu.
 L'amitié qui, en fait, n'est que de l'amour, ou trouve égales les personnes amies, ou les rend égales.
Parmi les personnes humaines qui ont toujours quelques défauts, quelque chose qui peut déplaire de l'une à l'autre, il y a donc toujours quelque chose à sacrifier entre les deux parties, pour que l'amitié dure. Mais quand il s'agit d'une âme qui veut vraiment aimer Dieu, c'est elle seule qui doit se sacrifier, parce que en Dieu et dans son Fils Unique incarné il n'y a et ne peut y avoir de défauts, étant lui la sainteté par essence. L'âme qui aspire à l'amour divin a devant elle un modèle d'une infinie perfection et comprend combien est long et difficile le chemin conduisant à pareil sommet. Elle comprend qu'elle n'est rien et s'abîme dans son humilité.
Mais elle comprend encore combien Dieu mérite d'être aimé, et la félicité de l'âme ne vivant que pour Dieu. Et, se sachant faible, sentant les ailes de son âme accablées, appesanties par le poids du corps, ne donne à celui-ci que ce qu'il lui faut pour le soutenir et tend toutes les forces de son âme vers Jésus Crucifié, de qui elle implore la grâce de l'aimer jusqu'au sacrifice total d'elle-même.
L'amour ne se reconnaît que par l'amour, le sacrifice par le sacrifice.
Les mondains qui comprennent cependant comment l'on peut souffrir et même se sacrifier pour une personne aimée, pour une idée, pour la patrie, ne comprennent pas comment l'on peut se sacrifier pour l'amour de Dieu et disent que la vie contemplative est une vie sotte et inutile. La langue humaine ne peut exprimer toute la félicité de l'âme ravie en Dieu, mais qui en éprouve la joie s'élève à une hauteur que les plus savants ne peuvent atteindre.
Rita, qui pouvait dire avec l'Apôtre : "Je suis morte au monde, et le monde est mort pour moi", arriva bien vite à un haut degré de contemplation. Ce n'était pas de ces âmes dévotes qui, tant qu'elles sont dans le monde, semblent parées des plus belles vertus, mais qui, entrées en religion, ne peuvent se gouverner, parce que, habituées à se conduire elles-mêmes, elles recherchent des directeurs de conscience qui leur donnent raison en tout et qui ne savent pas imposer leurs directives.
Rita était habituée à se soumettre, à se laisser diriger, à se laisser commander. Elle était faible à ses yeux, elle était de ces âmes qui firent dire à Jésus : Je te remercie, mon Père, de ce que Tu as caché ces choses aux sages et aux savants et de ce que tu les as révélées aux petits enfants.
Le démon tente toujours les âmes aimées de Dieu, et il tendit aussi des embûches à notre sainte. Il lui disait que la vie religieuse n'était pas faite pour elle et qu'il était préférable qu'elle retourne dans le monde. Mais la femme forte répondait qu'elle s'était consacrée à Dieu pour toujours et qu'elle lui aurait conservé une fidélité inviolable.
Il la tenta contre la chasteté; mais Rita recourut à la discipline et le fit enfuir couvert de honte.
Lorsqu'à son imagination il se présentait des images laides et tentatrices, elle mettait promptement le doigt sur la flamme d'une bougie, ou, si l'on était en hiver, elle s'exposait immédiatement au froid ou à la glace pour réagir contre ces tentations.
Elle se donnait la discipline trois fois par jour : la première fois, et le plus longtemps, avec les chaînettes de fer, en suffrage des défunts; la seconde fois avec des lanières de cuir, pour les bienfaiteurs; la troisième fois avec des cordelettes, pour tous les pécheurs. On aurait dit que le démon en personne recevait ces coups, tellement il s'efforçait de l'arrêter, lui suggérant que faire telle chose c'était vouloir se tuer. Mais Rita ne se laissait pas séduire, répondant comme saint Paul : Je châtie mon corps pour le réduire en servitude.
Aux personnes qui lui demandaient où elle allait quand elle se retirait pour se donner la discipline, Rita répondait : Je vais briser la hardiesse de l'ennemi et prendre des armes contre lui. Elle portait toujours sur elle un cilice tissé avec des crins de porc et les vêtements parsemés d'épines qui lui déchiraient les chairs.
Le démon la tentait encore par l'orgueil et la rébellion; et là encore elle demeura victorieuse.
Dieu voulut récompenser la vertu de sa servante par un miracle perpétuel. Voici le fait.
La supérieure, pour mettre à l'épreuve l'obéissance de la bonne novice, lui commanda d'arroser matin et soir un bois aride, probablement une branche de vigne desséchée et déjà destinée au feu. Rita ne fit aucune difficulté, et la voilà matin et soir, avec une admirable simplicité, accomplissant cette tâche, pendant que les Sœurs l'observaient et s'en édifiaient, ou bien la regardaient peut-être avec un sourire ironique, suivant leur état d'esprit.
La chose dura longtemps (un an, d'après certaines biographies de la sainte), chose inutile en apparence et ridicule, mais qui faisait gagner à la bonne novice des trésors de mérites pour le ciel.
Un beau jour, cependant, les Soeurs durent ouvrir tout grands leurs yeux; la vie, dont Dieu seul est l'auteur, était revenue en ce bois aride; les bourgeons gonflèrent, les feuilles apparurent, et une belle vigne se développa merveilleusement et donna en temps voulu des raisins exquis qui furent appréciés par le Saint-Père, les cardinaux, les princes et les bienfaiteurs du monastère.
Ce fait nous rappelle saint Pierre d'Alcantara, qui, à ses confrères affamés, obtint prodigieusement des aliments, et qui, plantant en terre son bâton, le vit croître rapidement en un figuier touffu. Et sainte Françoise Romaine qui, en plein hiver, pour étancher la soif de quelques-unes des Soeurs qui se trouvaient avec elle dans la campagne à ramasser du bois sec, obtint du Seigneur du raisin très frais, apparu sur les branches de vigne sans feuilles.
C'est ainsi que le Seigneur récompense la foi ingénue de ses enfants les plus chers.
La vigne miraculeuse du jardin du couvent des Augustines de Cascia est encore là pour témoigner de l'obéissance de Sœur Rita. Le raisin qu'elle produit (comme aussi ses feuilles et son bois réduits en poussière) est béni, et par son usage avec l'invocation de la sainte, on obtient de grandes grâces, et surtout de merveilleuses guérisons.

CHAPITRE  XII

LE  SCEAU DU CHRIST
 ET LE DIVIN ENIVREMENT DE LA CROIX

Le culte qui prédomina au Moyen-Age fut celui de la Croix. Le christianisme menacé, d'une part, par le paganisme, dur à mourir, d'autre part, par les barbares qui descendaient du Nord vers Rome pour se venger de la domination de tant de siècles, tenait les yeux fixés sur la croix qui avait brillé sur le « labarum » de Constantin avec promesse d'une victoire certaine. Et quand l'Eglise, grâce au levain divin de la foi et au secours du Christ, eut adouci et civilisé les barbares du Septentrion, voici que fondit de l'Orient sur les contrées de l'Europe, de l'Afrique, de l'Asie, le péril des Turcs qui, en peu de temps, envahirent tant de belles provinces et détruisirent la chrétienté qui s'était déjà rendue illustre pour avoir donné à l'Église un grand nombre de Docteurs et de martyrs.
Ce qui affligea le plus le coeur des chrétiens, ce fut la prise de la Palestine, des lieux sanctifiés par la vie et la mort de Nôtre-Seigneur, spécialement le Saint-Sépulcre.
Les Souverains Pontifes, les rois, les princes, les peuples chrétiens ne purent jamais se résigner à cet état de choses, et plusieurs fois au cours des siècles ils armèrent des troupes et firent des expéditions pour ravir aux infidèles les Lieux Saints.
Ces expéditions qui, en grande partie, échouèrent, s'appelèrent les Croisades, parce que les combattants avaient la croix pour devise. Les tentatives des chrétiens durèrent, plus ou moins intenses, de l'an 1000 à l'an 1600. Depuis cette époque le péril turc tendit à disparaître; mais, par un juste jugement de Dieu, après tant de guerres et tant de vicissitudes, le croissant règne encore sur la Cité sainte, bien que sous le contrôle des nations chrétiennes.
Poussé par son amour de Jésus Crucifié, saint François d'Assise partit lui aussi avec les Croisés pour l'Orient, en l'année 1219, avec l'intention toutefois de convertir le Sultan des Turcs ou de donner sa vie pour Jésus-Christ.
Son entreprise ne réussit pas, mais son amour de la croix le tourmentait toujours, ainsi qu'il apparaît de cette instruction qu'il adressait à ses frères : Personne ne doit s'enorgueillir, mais seulement se glorifier de la croix du Sauveur. La pensée est de saint Paul, qui revient souvent, de diverses manières, dans ses écrits. Et saint François l'avait si profondément fixée dans son coeur qu'il ne permettait jamais que ses frères piétinent deux brins de paille ou deux petits morceaux de bois placés en croix.
Cet amour de la croix et sa perpétuelle méditation sur le crucifix lui méritèrent de recevoir sur son corps les saintes stigmates, c'est-à-dire les plaies des mains, des pieds et du côté qui lui donnèrent ainsi une part aux souffrances de Nôtre-Seigneur.
Cascia n'est pas éloignée d'Assise, et Rita vécut un peu plus d'un siècle après saint François. Elle aussi éprouva toujours un attrait singulier pour la Passion du Sauveur, qui formait le thème . favori de ses méditations; elle aussi désirait être marquée de la croix du Christ, mais, dans sa profonde humilité, elle ne s'en jugeait pas digne. Son biographe Cavallucci dit, à ce sujet, qu'elle se plongeait si profondément dans cette méditation qu'elle en perdait parfois connaissance, et souvent les religieuses la retrouvaient dans un tel état qu'elles la croyaient morte.
Jésus voulut finalement l'exaucer et il se servit d'une circonstance spéciale.
En l'année 1443, il vint à Cascia pour prêcher le carême saint Jacques della Marca, ami et compagnon d'apostolat de ces grands disciples de saint François que furent saint Bernardin de Sienne et saint Jean de Capistrano.
Sa parole, jaillissant d'un coeur apostolique, pénétrait toujours les coeurs et les attirait à Dieu; mais son sermon sur la Passion de Nôtre-Seigneur fut d'une efficacité toute particulière, spécialement pour Rita, qui était accourue avec les autres religieuses, chose possible en ce temps-là, car la clôture n'était pas rigoureuse comme elle l'est actuellement.
Rentrée au couvent, toute émotionnée encore de ce qu'elle avait entendu, elle se prosterna devant l'image du crucifix qui se trouvait dans une chapelle intérieure, voisine du ch_ur, et elle supplia ardemment Nôtre-Seigneur de lui faire prendre part à ses douleurs.
Et voici qu'une épine, détachée de la couronne du crucifix, vint à elle et se planta sur son front si profondément et avec tant de violence qu'elle tomba évanouie et presque mourante. Personne n'était présent lorsque le fait se produisit et personne ne l'assista lorsque Rita revint à elle; mais la plaie était là, attestant le douloureux prodige.
Si l'on pensait attribuer le fait à une cause humaine et accidentelle, d'ores et déjà nous dirions que non seulement ce serait traiter de naïfs et de menteurs tous les historiens dignes de foi qui ont narré le fait, mais que le ciel lui-même donna plus tard d'autres preuves indiscutables de la vérité. Nous le verrons en son temps.
A la douleur, Jésus voulut ajouter l'humiliation et la ségrégation.
Pendant que les plaies de saint François d'Assise et des autres saints étaient de la couleur du sang pur et non rebutantes, celle de Rita se changea en une plaie purulente et fétide, en sorte que la pauvre patiente, pour ne pas empester la maison, fut reléguée en une cellule lointaine où une religieuse lui apportait ce qu'il lui fallait pour vivre.
Quand on pense que Rita porta cette plaie pendant quinze ans, qu'elle fut toujours excessivement douloureuse, qu'elle n'avait pas de soulagement même pendant son repos; qu'elle la supporta non seulement avec patience, mais encore avec reconnaissance envers celui qui la faisait ainsi souffrir, on ne peut qu'admirer sa constance, son amour, son sacrifice et la placer au nombre des martyrs volontaires.
II se présente ici un phénomène qui mérite d'être mis en relief.
La nature humaine fuit instinctivement devant la douleur; c'est une chose qu'il n'est pas nécessaire de démontrer. Il suffit de penser à l'infinité de remèdes qui existent, ou que l'on invente continuellement pour guérir les malades, et mourir le plus tard possible. Comment donc se fait-il qu'il y eut toujours, et qu'il y a encore des âmes qui, non seulement ne refusent pas la douleur, mais la cherchent avidement comme la très grande majorité cherche le plaisir ?
C'est là une question de point de vue.
Celui qui n'a pas la foi ou qui l'a trop faible s'arrange pour se faire une petite situation commode dans la vie présente et dit avec les incrédules dont parle Salomon : Couronnons-nous de roses pendant qu'il en est temps encore, parce que bientôt nous mourrons.
Cueillir le moment qui fuit, jouir quand on le peut, puis, ce sera ce que ce sera; de demain je ne m'en inquiète pas !
Mais celui qui a la foi, une foi vive, agissante, qui vit de la foi, raisonne bien autrement. Il connaît et médite les paroles de l'Apôtre, que nous n'avons pas ici une demeure stable, que notre patrie est le ciel; que nous ne devons pas accumuler les richesses que les voleurs, _ et qui est plus voleur que la mort ? _ peuvent nous ravir. Ce qui ne peut pas nous être ravi, c'est le mérite des bonnes _uvres. Celui qui aime trop la vie présente risque de perdre la vie éternelle.
Il médite encore les autres paroles du Christ : « Celui qui veut venir avec moi, qu'il prenne la croix sur ses épaules et qu'il me suive. » Et, craignant que les séductions du monde n'affaiblissent et ne renversent les forces de l'âme, que les instincts du corps n'étouffent les vertus du coeur, il dit comme saint Paul : Je châtie mon corps, et je le rends esclave de mon âme pour ne pas finir avec les réprouvés.
Le premier motif, pour celui qui a  la  foi, de fuir les plaisirs et de mortifier sa propre chair est donc de sauver son âme pour acquérir la vie éternelle.
C'est ce que font et doivent faire les fidèles disciples du Christ.
Mais les âmes plus généreuses ne s'arrêtent pas là. Entrant dans la divine économie de la Rédemption, elles savent que, comme dans le monde il se perpétue le péché, on doit également perpétuer l'expiation. Elles savent que Jésus Rédempteur souffrit dans son divin Corps tout ce qu'il était possible de souffrir, mais qu'il doit encore souffrir jusqu'à la consommation des siècles en son Corps mystique qui est l'Eglise. Pour cela elles supportent avec une parfaite résignation les peines physiques et morales qui accompagnent notre pauvre existence, mais elles désirent faire encore plus : elles veulent s'unir aux douleurs de Nôtre-Seigneur et expier pour les autres. Ce sont les victimes volontaires qui, ayant entendu la parole de Jésus : J'ai soif des âmes, veulent lui en procurer à n'importe quel prix.
Saint Paul nous donne sa pensée à ce sujet, lorsqu'il écrit aux Coliséens : Je jouis de souffrir pour vous et je donne dans mon corps le complément de ce qui manque aux souffrances du Christ, à l'avantage de son corps qui est l'Église.
Expliquant ces profondes paroles, saint Augustin dit : « Jésus consomma sa Passion, mais ses souffrances furent de l'esprit et il fallait que le Christ souffrît dans son corps : ces membres du Christ c'est vous. L'Apôtre, sachant qu'il était membre de ce corps, dit : Je donne à mon corps le complément de ce qui restait à souffrir de l'immolation du Christ. »
Il y eut toujours des âmes généreuses qui, comme l'apôtre Paul, pouvaient dire : « Je porte dans mes membres les stigmates de la Passion du Christ », puisqu'il est nécessaire et utile d'expier pour soi et pour les autres. Mais les stigmates extérieures apparurent spécialement en saint François d'Assise, qui fut blessé aux mains, aux pieds et au côté par des rayons de lumière et de douleur aiguë partant de Jésus Crucifié.
Sainte Catherine de Sienne eut la même faveur; elle avait prié Jésus de lui laisser les douleurs de ses plaies, tout en en faisant disparaître les signes extérieurs. Jésus lui-même lui avait appris à souffrir, lui disant : « Si tu veux être forte et vaincre toutes les puissances ennemies, prends la croix sur tes épaules, comme j'ai fait moi-même, et comme dit l'Apôtre : J'ai couru avec allégresse à la croix, cette croix si humiliante et si dure. Ce qui veut dire qu'au milieu des peines et des afflictions, non seulement elle t'aidera à les supporter avec patience, mais à les embrasser avec joie. Et cela est vrai, parce que plus tu peines à cause de moi, plus lu deviens semblable à moi. Et si tu me ressembles dans la souffrance, il s'ensuit nécessairement, selon la doctrine de mon apôtre, que tu me seras semblable en grâce et en gloire. Prends donc, mon enfant, à cause de moi, ce qui est doux comme amer, et ce qui est amer comme doux, et ne doutes pas que tu ne puisses être forte en toute chose. »
L'historien Rhorbacher écrit au sujet de sainte Françoise Romaine : « Quand elle méditait sur la Passion du Sauveur, elle en était si profondément touchée et elle versait de si abondantes larmes que sa belle-fille et ses servantes craignirent plusieurs fois qu'elle ne mourût de douleur. Et cette douleur la pénétrait non seulement dans son âme, mais dans son corps.
« Si elle pensait aux pieds et aux mains du Sauveur transpercés par les clous elle sentait ses pieds et ses mains tellement endoloris qu'elle ne pouvait plus en faire aucun usage. La couronne d'épines lui occasionnait à la tête une couronne de douleurs; la flagellation lui laissait les membres brisés. Si pendant cette contemplation douloureuse elle était ravie en extase, ses pieds et ses mains suintaient du sang. Méditant sur le côté ouvert du Sauveur, elle avait la poitrine couverte de plaies. Et cette souffrance lui dura longtemps, et il s'écoulait de ces plaies un liquide semblable à de l'eau. »
Celui qui veut discuter et expliquer tous ces phénomènes par la suggestion ou par l'hystérisme, qu'il le fasse; mais il restera toujours vrai qu'il y eut, qu'il y a et qu'il y aura des âmes à qui Jésus-Christ a dit et non en vain : "Qui veut venir après moi, qu'il prenne sa croix sur ses épaules et qu'il me suive". C'est à ces victimes cachées que le monde est redevable de ne pas avoir les châtiments qu'il mérite par sa mollesse et sa rébellion envers Dieu.
Malheur à vous qui riez maintenant, dit le divin Maître, parce que vous gémirez demain. Et, au contraire : Heureux vous qui pleurez maintenant, car vous serez dans la joie.

CHAPITRE  XIII

LA REGLE  DE  SAINT-AUGUSTIN

L'Ordre augustinien est plus connu dans ses dérivations que dans ses origines et en lui-même.
Nous disons dans ses dérivations parce que saint Benoît lui-même, le fondateur et le Père des moines d'Occident, fonda son Ordre sur la Règle de Saint-Augustin, et environ mille ans après, saint François de Sales se servit de cette Règle pour son Ordre de la Visitation.
Saint Augustin, avant même d'être prêtre, dans l'enthousiasme de sa récente conversion, pensa modeler sa vie sur celle des premiers chrétiens qui vivaient en frères, mettant tout leur avoir en commun et n'étant qu'un seul coeur et une seule âme
Il avait dit à sa mère : "Il ne me suffit pas d'être chrétien, je veux me faire saint". Il tint parole Et comme ses aberrations du coeur et de l'esprit avaient été grandes, et comme il fut toujours grand dans le génie, il voulut être grand aussi dans la sainteté.
La médiocrité ne lui plaisait pas. Il n'aurait pas dit à ses disciples ce que saint François de Sales écrivait à la sainte Mère de Chantal : "Faisons comme les colombes; que les aigles volent dans les nuages; nous, contentons-nous de voler sur les toits. Le chemin est moins ardu, mais plus sûr".
Il voulut être, et il fut un aigle. Et comme ses écrits formèrent la principale étude des savants de l'Occident pour un espace de mille ans, ainsi sa Règle monastique fut celle qui, pour tout le moyen âge jusqu'à la Renaissance, montra la voie aux âmes assoiffées de Dieu
Augustin retourna de Milan à Tagaste _ petit bourg de la Numidie _ après sa conversion, et rassembla autour de lui ses amis les plus intimes pour mener une vie commune et pour s'appliquer à l'étude des Saintes Écritures et à la sanctification de leur âme.
Appelé à Hippone _ sa ville épiscopale _ pour discuter avec l'hérétique Fortuné _ qui en cette affaire démentit son nom _ Augustin y fut retenu, puis appelé à être prêtre et prédicateur; finalement il y occupa le siège épiscopal à la mort de Valère, qui se l'était choisi comme successeur.
La maison épiscopale d'Augustin devint bientôt un vrai monastère parce qu'il voulait que prêtres et clercs vivent avec lui, soumis à la Règle qu'il avait écrite et qu'il s'était imposée à lui-même. Cette Règle, d'une grande simplicité et très pratique, mais sortie d'un grand esprit et d'un grand coeur, est celle qui donna son origine à l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin.
Nous avons déjà vu comment, aux alentours de Cascia, des moines s'étaient retirés dans les grottes des monts pour mener une vie contemplative. Plusieurs d'entre eux atteignirent un haut degré de sainteté, et ce furent précisément les ermites qui suivirent, dans son esprit, la Règle augustinienne.
L'Ordre augustinien ne tarda pas à se répandre en Afrique : l'exemple du saint évêque d'Hippone incita d'autres évêques à faire de même. Mais il survint les vandales qui soumirent ces pays, d'abord si florissants, au fer et au feu. Les moines, ou subirent le martyre, ou durent se réfugier en Europe, tout particulièrement en Italie et en France, formant diverses congrégations qui vivaient chacune pour elle-même jusqu'à ce que, en 1254, le pape Alexandre IV les réunit en un seul Ordre qui s'appela « Augustinien », soumis à un seul supérieur général.
L'Ordre fit honneur à l'Église et lui donna de grands saints. Il nous suffît de citer saint Nicolas de Tolentino; saint Thomas de Villeneuve, doux et élégant orateur de la Renaissance; saint Jean de Facondo et la sainte dont nous écrivons l'histoire. Les ermites de Cascia se glorifient également du bienheureux Simon Fidati, célèbre orateur et écrivain; du bienheureux Ugolino de Cascia, qui abandonna tout son avoir, et ce n'était pas peu de choses, et vécut dans une grande austérité; du vénérable André Casotti et d'autres encore. Tous vécurent dans le siècle où naquit sainte Rita.
A l'imitation des hommes, beaucoup de femmes aussi voulurent embrasser la Règle de Saint-Augustin, et il y avait deux couvents à Cascia, desquels certainement le plus observant était celui de Sainte-Marie-Madeleine, où voulut entrer sainte Rita, qui en devint le plus brillant ornement, et qui porte actuellement son nom.
C'est ici que Dieu la voulut, c'est ici qu'elle répandit les trésors de son grand coeur et les exemples d'une vie éminemment sainte, et c'est ici enfin que sa dépouille mortelle, non corrompue, y est l'objet de pèlerinages et en grande vénération.

 CHAPITRE XIV

 LA PROFESSION RELIGIEUSE
 ET LA VOIE MYSTIQUE

La vie chrétienne, suivant l'esprit de l'apôtre  saint Paul, est une naissance suivie d'une ascension, récompensée par la gloire.
Nôtre-Seigneur avait dit à Nicodème : "Si l'on ne renaît dans l'eau et dans le Saint-Esprit, on ne peut entrer dans le règne de Dieu". Il voulait parler du baptême par lequel l'homme, après être né à la vie présente, renaît à la grâce et se place dans la voie de la vie éternelle. Étant chrétien, il doit suivre les exemples de Nôtre-Seigneur, imitant ses vertus, et, dans cette imitation, il va croissant de vertu en vertu, multipliant les bonnes _uvres et s'élevant ainsi vers le ciel.
Si chaque chrétien doit agir ainsi, à plus forte raison celui qui embrasse la vie religieuse, prenant la résolution d'observer non seulement les Commandements de la Loi, mais encore les conseils que Nôtre-Seigneur donne à ceux qui veulent le suivre de plus près dans la vie parfaite.
Nous rappelons ces choses avant de raconter une vision que Rita eut à peine avait-elle fait la profession solennelle par laquelle elle se consacra irrévocablement à Dieu et fut inscrite au nombre des religieuses Augustines.
Quelle fut alors sa félicité ! Il est impossible de l'exprimer dans un langage humain. Il faudrait connaître pleinement le très haut degré de perfection qu'elle avait déjà atteint en ce temps-là et qu'elle était son union intime avec Dieu. Ce qu'il y a de certain, c'est que la nuit qui suivit sa profession, pendant qu'elle était dans une douce contemplation, remerciant le Seigneur de la grâce reçue, elle vit une échelle qui de la terre montait jusqu'au ciel et à l'extrémité de laquelle était assis Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Illuminée par la lumière divine, elle entendit que Jésus l'invitait à la gravir généreusement. Et comme l'on n'arrive à la gloire qu'à travers l'humiliation et le presque anéantissement total de soi-même, elle, qui dès ses plus tendres années avait profondément aimé Jésus Crucifié et avait désiré souffrir, il est certain que de ce moment-là elle le désira encore plus.
Un autre jour, pendant qu'elle assistait à la sainte messe, en écoutant la lecture de l'évangile, les paroles de Nôtre-Seigneur : "Je suis la voie, la vérité, la vie", la pénétrèrent si profondément qu'elle en ressentit comme un embrasement d'amour de Dieu.
Ainsi le Seigneur favorisait sa fidèle servante et lui faisait gravir l'échelle mystique dont elle avait eu la vision. L'humble Soeur cherchait à cacher les faveurs du ciel, mais tout d'abord les Soeurs, et ensuite la population de Cascia, apprirent sa sainteté et le pouvoir qu'elle avait sur le coeur de Dieu.
Les grilles des monastères ne peuvent pas être fermées au point de ne laisser pénétrer les nouvelles du monde au détriment, quelquefois, du recueillement et de la piété.
Le parloir où parents et amis viennent visiter les religieuses ne plaisait certainement pas à sainte Thérèse de Jésus, la grande réformatrice du Carmel. Mais le cas n'est pas rare où, de ce lieu, partent de saints exemples, de salutaires exhortations et de lumineux conseils. C'est du parloir que la grande sainte Thérèse réussit à ramener à Dieu un prêtre égaré, et nous savons que, tout particulièrement au XVIIe siècle, on vit accourir aux parloirs de la Visitation des princes et hommes d'État, des princesses et des reines, des prêtres et des évêques qui venaient se recommander aux prières des pieuses religieuses et demander leurs conseils dans les difficultés les plus grandes de la vie.
Rita, si aimante de la pauvreté jusqu'à choisir pour elle les vêtements les plus déchirés et les plus rapiécés, si sobre dans la nourriture qu'elle ne s'alimentait que pour soutenir ses forces et accomplir son devoir; Rita, si obéissante qu'on aurait pu la croire insensible ou sotte, et si aimante de la pénitence jusqu'à ne désirer que de souffrir avec le Christ et pour le Christ; Rita, tellement unie à Dieu qu'elle en était toute illuminée des perfections divines que seules peuvent connaître les âmes consumées par l'amour de Dieu, fit bientôt l'admiration, non seulement de ses Soeurs, mais de la cité entière.
La suave odeur du Christ se propageait à l'immense avantage de la communauté, faisant refleurir l'esprit religieux, et ses prières obtenaient des miracles de conversions et des guérisons merveilleuses.
La lampe avait voulu se cacher sous le boisseau, mais Dieu ne tarda pas à la faire resplendir de la lumière de la sainteté.

 CHAPITRE  XV

 LE JUBILE DE NICOLAS V

Le 29 février 1447, après avoir cherché par différents moyens de donner la paix à l'Église et de ramener dans son sein les schismatiques orientaux, en particulier les Grecs, le pape Eugène IV rendait son âme à Dieu, assisté de saint Antonin, archevêque de Florence.
Le cardinal Thomas Parentucelli de Sarzana lui succéda sur le trône pontifical sous le nom de Nicolas V.
Homme de fort génie et de grand coeur, il se mit sans retard à réparer les ruines que les partis avaient accumulées à Rome, spécialement pendant le séjour des Pontifes en Avignon. Les illustres architectes Léon-Baptiste Alberti, et le Bramante apportèrent leur oeuvre lumineuse et l'on appela à Rome le Beato Angelico, l'inégalable peintre des Madones et des Anges qu'il voyait sans doute dans la contemplation, avant de les reproduire sur la toile.
Mais les ruines morales étaient beaucoup plus profondes que les ruines matérielles et plus difficiles à réparer, et le pontife songea à ouvrir l'indéfectible trésor des indulgences, promulguant le jubilé de l'Année Sainte 1450. La nouvelle apporta une joie immense et un sentiment de soulagement et d'espérance dans tous les coeurs.
Qu'il nous soit permis de reporter ici, d'après Nediani, une page de Gregorovius dans son "Histoire de Rome", qui écrit à ce sujet : « Comme la paix régnait en Italie en l'an de grâce 1450, Nicolas, plus heureux que presque tous ses prédécesseurs, put célébrer l'année jubilaire et signifier au monde que la papauté, dont on avait combattu l'autorité avec tant de véhémence, continuait à être le centre de la république chrétienne et que le pape en était le Chef universel. L'affluence des pèlerins fut si grande qu'un témoin oculaire les compare à un essaim d'étourneaux et à un grouillement de fourmis. Un jour, la cohue fut si grande sur le pont Saint-Ange que deux cents personnes périrent, certaines écrasées et d'autres précipitées dans le Tibre. C'est pourquoi, afin d'empêcher que de telles catastrophes se renouvellent, le pape fit abattre des maisons et ouvrir une place devant l'église de Saint-Celse.
Rome fut envahie par une nuée immense de prêtres, de moines, de religieux, vêtus de toute manière, aux vêtements les plus divers, aux tuniques variées et disparates, aux frocs les plus pittoresques, et l'ensemble excita à une grande piété et à la pénitence. Les religieuses spécialement, car il n'existait pas encore la clôture rigide du Concile de Trente, se firent un devoir de se rendre à Rome pour gagner les saintes indulgences, donnant ainsi un spectacle merveilleux de piété, fier et émouvant.
Une foule aussi dense représentait certainement une somme énorme de sacrifices et démontrait combien le monde sentait le besoin d'être pardonné et de vivre en paix. Pour arriver à la ville sainte, la plus grande partie des pèlerins devait affronter de mauvaises routes et escalader une infinité de montagnes et de cols. La route appelée la Voie Romaine, celle que prenaient les pèlerins du Nord, passait par Ferrare, Ravenne, Rimini, puis tournait vers Foligno, Spoleto, Rieti.
Celui qui la parcourt aujourd'hui, commodément installé dans un wagon de chemin de fer, jouit énormément de cette fuite de collines verdoyantes, de ces villes, de ces châteaux, de ces bourgs perchés sur les hauteurs, voyant tour à tour les eaux de la Nera, de l'Aniene et du Tibre, que l'on traverse souvent sur des ponts hardis. Mais, en l'année 1450, la majeure partie des pèlerins faisait le long voyage à pied, grimpant avec beaucoup de peine par les sentiers de chèvre, cherchant le gué des fleuves et aux prises avec les intempéries des saisons. Il fallait une grande foi et une grande piété pour affronter de telles fatigues, et certains y laissaient leur vie.
Comme on peut se l'imaginer, la nouvelle du jubilé mit en émoi les religieuses Augustines de Cascia, et plusieurs d'entre elles manifestèrent un vif désir de se rendre à Rome. C'était une splendide occasion pour gagner les indulgences, et peut-être, pourquoi ne pas le dire, de voir Rome, le pape, les majestueuses basiliques, les catacombes et les lieux sanctifiés par le sang des martyrs. Rome, le désir non seulement des poètes, des archéologues, des historiens, mais encore celui des artistes et des saints, musée immense qui nous parle de trois civilisations qui se succédèrent laissant des vestiges ineffaçables.
Rita ne fut certainement pas la dernière à demander la permission de se rendre à la ville éternelle. Non pas qu'elle désirât poser ses regards sur les ruines de la Rome païenne, _ elle était accoutumée à contempler le ciel et à voir les choses avec les yeux de la foi, _ mais c'était pour se purifier de plus en plus, pour avoir la bénédiction pontificale et tout spécialement pour vénérer les insignes reliques de la Passion du Christ.
Il y avait cependant une grosse difficulté. La pauvre Soeur était réduite, comme Job, à vivre retirée pour ne pas empester la maison et pour ne pas causer de dégoût avec la plaie de son front, plaie fétide et repoussante
C'était certainement un miracle de pouvoir vivre ainsi, mais de ces miracles que personne ne désire contempler. Et quand, avec humilité, elle demanda à la supérieure la permission, ou, comme l'on dit en style monacal, l'obédience de se rendre à Rome, il lui fut répondu que, avec une telle plaie au front, il n'était pas possible de la laisser aller. La sainte ne se découragea pas, mais avec cette foi qui transporte les montagnes et avec cette filiale confiance qui ne doute de rien, elle demanda à Jésus cette grâce, humainement impossible, de faire disparaître la plaie jusqu'à son retour de Rome, tout en en conservant la douleur. La plaie disparut, et Rita partit avec plusieurs autres de ses Soeurs.

 CHAPITRE  XVI

 VOYAGE ET DOCUMENTS SPIRITUELS

Les pieuses pèlerines, appuyées sur leur bâton fidèle, s'acheminèrent vers Ruscio pour arriver à Rome par la voie, alors plus fréquentée, qui descend vers Rieti, traversant le fleuve Carno puis la vallée de la Nera, et puis, toujours ondulée et à cause de cela incommode, continue vers Rome.
Nous pouvons facilement nous imaginer la vie de ces pauvres Soeurs pendant ce voyage. Marcher jusqu'à ce qu'elles tombent de fatigue, passer leur temps en prières ou en conversations pieuses, loger la nuit dans quelque village, accueillies par charité par quelques bonnes personnes. Le désir d'arriver dans la ville éternelle soutenait leurs forces et les incitait à marcher. Mais, par-dessus tout, l'exemple de Soeur Rita, la plus âgée (elle avait alors soixante ans), les encourageait, car elle était la plus prompte à la fatigue et au sacrifice.
La supérieure avait donné quelque argent à chaque religieuse, en vue de leurs besoins éventuels. Mais Soeur Rita ne pouvait sentir cet argent sur elle; il lui paraissait d'un poids insupportable, il lui semblait qu'elle avait quelque chose de profane, d'inconvenant, elle qui avait fait voeu de pauvreté. Et un jour où une des Soeurs manifestait la crainte que l'argent qu'elles avaient ne suffît pas à leurs besoins, pendant qu'elles traversaient un torrent sur une poutre placée au travers, Rita jeta son argent dédaigneusement dans l'eau. Les autres religieuses furent stupéfaites de cet acte apparemment insensé, mais Rita sut les apaiser se référant à l'Evangile et se remettant entre les mains de la divine Providence. Evidemment ce n'était pas la prudence humaine, mais l'Esprit de Nôtre-Seigneur qui la guidait.


Rita joignait l'exhortation à l'exemple : Pensez, mes Soeurs, si le monde nous voyait pourvues d'argent, quelle conception il aurait de nous ? Mais si nous savons dédaigner les richesses et nous montrer vraiment filles de la pauvreté, il nous tiendra en grande estime. Etre pauvre, ne pas avoir trop soin de son corps et même le traiter sans égards, sert beaucoup à comprimer la sensualité. Et elle n'était pas de celles qui prêchent bien et agissent mal : elle se montrait modèle parfait de toutes les vertus.
Bien qu'illettrée, elle avait été chargée par la supérieure de la direction du petit groupe et, ajoute l'auteur Cavallucci, elle leur parlait de l'amour de la clôture, de la solitude, du recueillement spirituel; elle les exhortait à être prudentes dans leur parler, modestes dans leurs regards, à ne pas engager de conversations soit avec l'un, soit avec l'autre pour ne pas s'exposer au péril de graves péchés et de faire perdre ainsi l'estime du monastère. Quant à elle, elle pratiquait bien ce qu'elle enseignait, car son ardent esprit de mortification le démontre.
N'oublions pas la douleur continuelle de l'épine qui lui avait transpercé l'os du front. La méditation continuelle du Crucifix avait si profondément pénétré le coeur de Rita qu'elle avait une inextinguible soif de souffrances. Et elle supportait ces souffrances, non seulement pour se rendre semblable au divin Sauveur, mais pour le même motif pour lequel il avait souffert, c'est-à-dire la réparation des outrages que reçoit continuellement la divine Majesté, et pour la conversion des hérétiques, des schismatiques, des infidèles et des pécheurs.
Ayant profondément pénétré le merveilleux dogme de la Communion des saints, elle savait que ses prières et ses mortifications servaient à la conversion des vivants et au soulagement des défunts. En considérant le nombre des égarés et des âmes du purgatoire, il lui semblait toujours faire peu et que ses souffrances n'étaient qu'une goutte d'eau sur un immense brasier.
C'est à cette lumière seulement que nous comprenons l'inextinguible soif d'expiation de la généreuse femme.

CHAPITRE  XVII

A ROME

De quelque côté que l'on arrive aujourd'hui dans la Ville éternelle, l'oeil, habitué aux ondulations des collines qui l'entourent ou de la campagne romaine qui aujourd'hui perd rapidement son séculaire aspect de désolation, reste frappé par l'énorme coupole que le génie de Michel-Ange jeta sur la basilique de Saint-Pierre. Elle domine comme une reine la cité qui fut et est la reine du monde, et c'est comme un immense baldaquin qui recouvre les restes mortels de l'humble pêcheur de Galilée à qui le Christ confia le gouvernement spirituel des âmes.
Mais quand Rita et ses compagnes arrivèrent à Rome par la voie Flaminia et qu'elles entrèrent par la Porte du Peuple, celte coupole n'existait pas encore, bien que fût né déjà celui qui devait la concevoir et la construire avec une hardiesse romaine.
La majestueuse basilique à cinq nefs, consacrée le 18 novembre 326 par le pape Sylvestre, bien que décrépie et branlante, était encore debout.
Nos dévotes pèlerines s'y dirigèrent donc pour commencer les visites jubilaires de la tombe de saint Pierre. Mêlées à la foule énorme, on pense avec quels sentiments elles se prosternèrent sur cette pierre qui leur rappelait les paroles indéfectibles du Christ : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle.
Durant le Jubilé, on expose à Saint-Pierre deux reliques insignes de la Passion du Sauveur : c'est la lance avec laquelle Longin ouvrit le coeur de Jésus, et l'Image que Jésus lui-même laissa sur le voile que lui présenta une sainte femme pendant qu'il gravissait le Calvaire. Cette femme eut, d'après la tradition, le nom de Véronique. Tandis que Véronique est justement cette image et signifie Vraie Image.
Il est probable que Dante, le plus grand des poètes italiens, participa au Jubilé donné par le pape Boniface VIII en l'année 1300 et, dans le chant 31 du Paradis, il écrit au sujet de la Véronique :

Quale è colui che forse di Croazia
Viene a veder la Veronica nostra
Che per l'antica fama non si sazia,
Ma dice nel pensier, fin che si mostra
« Signor mio Gesù Cristo, Dio verace
Or fu si fatta la sembianza vostra ? »

c'est-à-dire :

Comme cet homme qui, venu peut-être de la Croatie
Pour voir notre Véronique, ne se lasse
Pas de l'admirer, à cause de son antique
Réputation, et dit en lui-même,
Tant qu'on laisse l'image sous ses yeux
« O mon Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu,
Voilà donc votre véritable visage »
 

Et maintenant, qui pourra imaginer les sentiments de Rita en contemplant cette figure, ce visage si douloureux, gonflé par les soufflets et par les plaies et tout arrosé de sang ?
Ceci n'est pas un fait improbable, et nous pouvons supposer que dans les monastères on lisait alors, plus que de nos jours, la Sainte Ecriture, et que Rita se rappela la prophétie d'Isaïe :
Il (le Christ) n'a ni beauté ni splendeur, et nous l'avons vu, et il n'était pas beau à voir, méprisé et l'infime des hommes, homme des douleurs et qui connaît la souffrance, et son visage était presque caché, et il était vilipendé. Il a pris sur lui nos langueurs et il a porté nos douleurs. Il a souffert pour toutes nos iniquités et a été brisé pour toutes nos impiétés, par ses meurtrissures nous avons été guéris (Is., LIII, 2-5).
La vue de la lance qui ouvrit le côté du Sauveur, si largement que l'on pouvait passer la main, ne dut pas faire une moindre impression chez Rita. On se rappelle les paroles de saint Thomas, l'apôtre incrédule : « Si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai pas », et la réponse de Jésus : « Mets là ton doigt et regarde mes mains, approche aussi ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus infidèle, mais croyant. » Cette lance faisait revivre dans l'imagination de Rita la douloureuse Passion du Christ et lui révélait les trésors d'amour infini du C_ur de Jésus.
Non moins précieuses sont les autres reliques de la Passion de Jésus-Christ conservées dans la basilique de Sainte-Croix de Jérusalem : trois morceaux assez grands de la vraie croix, un des clous de la crucifixion, deux épines de la couronne douloureuse qui transperça la tête divine; la tablette que Pilate fit clouer portant l'inscription en caractères hébraïques, grecs et latins : « Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. »
Et puis « la Scala Santa » du Prétoire de Pilate, par laquelle passa Jésus perdant son sang après la flagellation, et que l'on ne monte qu'à genoux. Celui qui écrit la monta plusieurs fois, ému jusqu'aux larmes, attendant que se meuvent les personnes qui étaient devant, poussé par celles qui étaient derrière, parce que, spécialement à l'occasion des jubilés, la foule se renouvelle incessamment. Et ce grand crucifix que l'on voit au haut du long escalier nous semble dire : Celui qui veut venir après moi, qu'il prenne sa croix sur son épaule et qu'il me suive.
Rome, principalement au temps de sainte Rita, où tant de merveilles de l'antique cité étaient dispersées et où la Renaissance n'était pas encore venue lui donner de nouvelles magnificences, n'était qu'un ample monastère, avec ses basiliques vétustes, ses souvenirs antiques et récents des saints qui l'avaient illustrée, ses catacombes et les insignes reliques des martyrs à Saint-Laurent, au camp Vérano, à Sainte-Prassede, à Sainte-Agnès, à Saint-Sébastien et en tant d'autres lieux, où les dévots se rendent encore maintenant en pèlerinage. Et enfin quels souvenirs au Colisée, où il semble qu'à la prière des pieux pèlerins bouillonne le sang des chrétiens qui y ont été martyrisés.
Nous écrivons ces choses, non pas avec la prétention, qui serait folie, de décrire les merveilles de la Rome chrétienne, mais pour donner au lecteur une idée de l'intensité de vie spirituelle vécue en ces jours bénis par Rita et ses compagnes.
A tout cela l'on ajoute la vue du Souverain Pontife et ses pieuses exhortations, et la rencontre dans la cité universelle de tant d'âmes saintes qui, bien que ne se connaissant pas, s'édifiaient réciproquement.
Sainte Françoise Romaine était morte peu d'années avant, mais il y avait saint Diego de Cadice, sainte Catherine de Bologne, saint Jean de Capistrano et saint Jean della Marca, que Rita connaissait depuis qu'elle en avait été si profondément émue par son sermon sur la Passion du Christ.
L'humble religieuse de Cascia, entrant dans la basilique de Saint-Pierre, se sera prosternée pour baiser le seuil de la Porte Sainte qui s'ouvre seulement pendant les années jubilaires. Qui se serait imaginé que cette pauvre femme, vieillie, émaciée, pauvrement vêtue, perdue au milieu de la foule, aurait été un jour, dans cette même basilique renouvelée, élevée à l'honneur des autels ?
Pendant l'année jubilaire, le Souverain Pontife Nicolas fit solennellement la canonisation de saint Bernardin de Sienne. Nos pèlerines n'auront certainement pas manqué cette cérémonie qui attire toujours une grande affluence de peuple.
Quatre cents ans après, la même cérémonie et avec une non moins grande pompe, était célébrée pour l'humble Soeur qui portait sur son front le sceau du Christ.

CHAPITRE  XVIII

VERS  LA  CONSOMMATION DE  LA  VICTIME
 

Ayant accompli les visites pour la grande indulgence et visité les lieux sacrés de Rome, les pieuses pèlerines se décidèrent au retour, avec ce regret qu'on éprouve lorsqu'on est arraché à la vision d'un spectacle qui nous a ravi dans les sens et dans l'esprit.
Les choses vues, les choses entendues les avaient enflammées d'un saint enthousiasme, et elles ne pouvaient laisser la Cité sainte sans regrets, sans se retourner de temps en temps en arrière tant qu'elles l'eurent en vue. Elles échangeaient leurs impressions personnelles et, dans les maisons où elles recevaient la nuit l'hospitalité, elles parlaient des grandes choses de Rome. Et à leur arrivée au monastère, pendant les premiers jours, de quelle autre chose auraient-elles bien pu parler ?
Nous pensons que Rita, pareillement émue par les impressions rapportées de Rome, désirait ardemment la solitude pour se maintenir dans le recueillement intérieur, en intime union avec Dieu, qui ne tarda pas à l'exaucer, permettant que la plaie de son front se rouvrit à nouveau.
La patiente, nouvelle Job, fut donc à nouveau reléguée dans une chambre éloignée où une religieuse lui portait le nécessaire, la laissant ensuite seule avec Dieu. Rita, aimant éperdument la douleur, était ravie de ses souffrances, pensant que ces tourments soufferts avec Jésus et pour Jésus contribuaient, en vertu de la communion des saints, à conduire à Dieu des quantités d'âmes. Quelquefois, écrit l'auteur Cavallucci, elle resta même quinze jours de suite sans compagnie, absorbée dans les pensées du ciel.
Mais bientôt la renommée de sa sainteté commença à se répandre à Cascia, aux alentours et même dans les pays lointains, et les gens accoururent pour se recommander à ses prières, pour demander des grâces, et ce fut alors que l'on vit combien Dieu aimait sa fidèle servante.
Une femme de Cascia recourut à elle, lui recommandant de prier pour une de ses filles gravement infirme. Rentrée à la maison, elle la trouva parfaitement guérie. Il lui fut recommandée une femme possédée du démon. Rita pria et le démon fut obligé de quitter cette femme.
La nouvelle de ces grâces fit accourir au couvent de sainte Rita une foule de gens ayant besoin de conseils, de prières, de soutien, et personne ne la quittait sans être profondément édifié et aidé.
Jésus avait dit : Lorsque je serai relevé de terre, j'attirerai tout à moi. Il permet, lorsqu'une âme se rend semblable à lui dans le sacrifice héroïque, que la foule courre à elle par une puissante et mystérieuse force d'attraction. On y voit les abords du ciel, un intermédiaire puissant entre l'homme et Dieu, un reflet de Dieu. Comme Jésus _ splendor patris _ est une image visible de Dieu invisible, ainsi les saints sont une image des vertus du Christ, un miroir qui reflète la lumière divine.
L'âge, les douleurs, les jeûnes et les pénitences ne tardèrent pas à consumer les forces de la pieuse femme, qui fut obligée de rester couchée sur son pauvre et dur grabat. Son estomac était dans un tel état, et ne pouvait tolérer que si peu de nourriture, que la Soeur qui l'assistait était persuadée que, seule, la communion eucharistique la soutenait.
Il n'est pas rare de trouver un cas semblable dans la vie des saints. L'amour de la croix, l'union avec Dieu par le moyen de la grâce et de l'oraison purifient les âmes comme l'or dans le creuset. Et, comme celui qui ne vit que par la chair finit par matérialiser, si cela fut possible, l'esprit, qui ne sait plus penser et vouloir que pour la jouissance des sens, les âmes de Dieu finissent par spiritualiser, en un certain sens, le corps, qui est réduit à un fil tenu qui empêche l'esprit de voler à Dieu.
Soixante-dix ans avant que Rita soit réduite à l'extrême faiblesse, soutenue presque exclusivement par la sainte communion, mourait à Sienne sainte Catherine. Après un acte héroïque de charité envers une femme atteinte par un horrible cancer, elle ne vécut plus que de la sainte communion. Son estomac ne pouvait plus soutenir aucun aliment matériel.
Un tel état, aussi nouveau, parut incroyable. Ses parents et parfois ses amis disaient que c'était là une tentation et un tour de l'esprit malin. Son confesseur était de la même opinion, et un jour il lui ordonna de manger quelque chose. Elle obéit, mais se trouva si malade qu'elle manqua en mourir.
Le fait se répète aujourd'hui chez Thérèse Neumann, la stigmatisée de Konnersreuth, en Allemagne, qui, depuis longtemps, vit de la seule Eucharistie ; et bien que très souvent elle perde beaucoup de sang par les plaies qui s'ouvrent lorsqu'elle médite, en extase, la Passion de Nôtre-Seigneur, elle revient, cependant, en quelques heures, à son poids normal, si bien que sa vie est un continuel miracle, contrôlé par les médecins et par des personnes d'une indiscutable compétence et autorité.
La vraie maladie de Rita commença vers la fin de 1453 et dura jusqu'à sa mort, survenue quatre ans après.
Ce fut pour la sainte des années de langueurs et de douleurs ineffables, mais qui finirent d'élever son âme et de la rendre semblable à celle d'Adam innocent, plus encore, à celle de Nôtre-Seigneur.
Les historiens nous ont transmis un gentil épisode que nous ne voulons pas omettre, parce qu'il est merveilleux de simplicité et de confiance.
Au coeur de l'hiver, pendant que toute la campagne semblait morte et ensevelie sous une épaisse couche de neige, une parente de Rita vint la voir de Rocca-Porena pour la saluer et s'entretenir avec elle. Avant de la quitter elle lui demanda si elle ne désirait pas quelque chose. Oui, répondit l'infirme, je voudrais que tu me portes cette magnifique rose qui est dans mon ancien jardin. A ces paroles la visiteuse pâlit, pensant que Rita divaguait; mais pour ne pas la contrister elle promit. Et, refaisant le rude sentier qui va à Rocca-Porena, elle pensait : Rita n'en a plus pour longtemps : elle a perdu l'esprit ! Sommes-nous au temps des roses ?...
Mais quelle ne fut pas sa stupeur lorsque, entrant dans le jardin de Rita, sur le petit buisson au feuillage contracté par la gelée, elle vit resplendir une rose magnifique. Elle la cueillit, refit le voyage de Cascia et porta le don à la mourante qui s'en réjouit et rendit grâces à Dieu pour avoir été aussi bon avec elle.
Sentant croître sa filiale confiance, elle dit à sa parente : Puisque tu as été si aimable de me porter la rose, je voudrais que tu me portes maintenant ces deux figues fraîches qui sont sur le figuier de mon jardin... La femme, cette fois-ci, ne douta pas et elle trouva dans le jardin de Rita les deux figues mûres à point, et elle les lui porta dès que cela lui fut possible.
Est-ce que ce fut un caprice de Rita ? Certainement non. Mais il est beau de voir comment Dieu agit avec les âmes qui lui sont plus chères quand il les voit arriver à la simplicité de l'enfance.
Il nous plaît ici de rapprocher cet épisode de celui de saint François d'Assise, lequel, lorsqu'il allait à Rome, habitait chez la pieuse dame Jacopa di Settesoli, qui lui préparait une tarte, sachant qu'il aimait cette friandise.
Alors que saint François était à ses derniers moments, dans une cabane, près de la Portioncule, arriva de Rome Frère Jacopa, ainsi l'appelait le saint, portant une tunique neuve qu'elle avait préparée pour lui, de l'encens et des cierges pour sa sépulture. Elle trouva François encore vivant et voulut lui confectionner la tarte préférée. Le saint ne pouvait plus prendre aucun aliment; il voulut cependant goûter un tout petit morceau de cette tarte.
Nous verrons plus tard quelques autres circonstances caractéristiques qui rapprochent les deux saints marqués par le Christ du signe des prédestinés : les alouettes et les abeilles. Les alouettes qui réjouirent les derniers instants de saint François, les abeilles qui parurent à la mort de sainte Rita. Il est certain que l'homme innocent était le roi de la création, et tous les animaux le respectaient et le servaient.
Quand l'homme se révolta contre Dieu, les créatures inférieures se rebellèrent contre l'homme. Mais si une âme, dominant les instincts du corps, arrive à un tel degré de sainteté qu'elle est parfaitement unie à Dieu, de même les animaux et les choses inférieures lui obéissent comme ils obéiraient à Dieu lui-même. Et c'est pour cela, pour ne parler que de Rita, que les démons, la maladie obéirent à sa volonté, la rose s'épanouit et les figues mûrirent en une saison rude et impossible. Mais Rita est la sainte des impossibles. On aurait pu lui appliquer les paroles de saint Paul : Je puis tout en Celui qui est ma force.

 CHAPITRE XIX

 BIENHEUREUX  TREPAS  DE   SAINTE   RITA

L'âme de celui qui vit attaché aux choses de ce monde voit avec terreur approcher la mort qui l'arrachera à ses plus chères affections et le mettra en présence du Juge éternel. On ne laisse pas sans douleur ce que l'on tient avec amour. Même les âmes privilégiées tremblent à la pensée du Tribunal de Dieu. Fais-toi courage, se disait à lui-même saint Hilarion, pourquoi crains-tu, ô mon âme ? Voilà soixante-dix ans que tu sers le bon Dieu et tu as peur !
L'âme de Rita n'éprouva pas ces terreurs. Les forces du corps s'en allaient avec l'âge, la maladie, les douleurs cruelles, mais l'âme était absorbée doucement en Dieu. Dieu avait été son premier, son plus fort amour, même son amour unique, parce que les créatures, elle les avait aimées en lui et pour lui, pour son amour. Elle avait souffert tant de douleurs; à lui elle avait sacrifié toute sa vie, et maintenant le moment approchait d'aller à lui, de s'abîmer dans l'océan de sa lumière et de son amour. Et Dieu voulut lui donner un avant-goût de la gloire céleste.
Un des derniers jours de sa vie, voici qu'une brillante lumière illumina sa pauvre cellule et Jésus lui apparut, accompagné de sa sainte Mère : Tous deux souriaient doucement. Rita, ravie en extase, dit : Quand donc, ô Jésus, pourrai-je vous posséder pour toujours ? Quand pourrai-je venir en votre présence ? _ Bientôt, lui répondit Jésus, mats pas encore. _ Et quand ? répliqua Rita. _ Dans trois jours tu seras avec moi au Ciel.
Pendant que les soixante-dix années de sa vie et ses si longues peines paraissaient à Rita un simple moment, combien ces trois jours durent lui sembler éternels ! Se trouver sur le seuil du paradis et ne pouvoir entrer, se sentir brûler de la soif de posséder Dieu et devoir attendre ! C'était une douce peine, mais néanmoins une peine. Elle pouvait répéter avec le psalmiste : Comme le cerf altéré désire la fontaine, ainsi mon âme te désire, ô mon Dieu !
Elle voulut recevoir le saint Viatique et l'Extrême-Onction pour être forte et combattre la lutte décisive avec le démon. Elle serrait sur sa poitrine le Crucifix qu'elle avait tant aimé pendant sa vie, lui adressait d'affectueuses invocations et, si elle parlait, elle ne savait parler que de lui, car la langue dit ce qu'éprouvé le coeur.
Nous voyons souvent le Crucifix entre les mains d'un moribond qui ne l'a jamais aimé ni invoqué. Que peut bien dire Jésus à cette âme ?
Nous le voyons aussi dans les mains de celui qui est mort sans avoir reçu les sacrements, ou après les avoir reçus à toute extrémité, quand il ne pouvait plus comprendre l'importance de l'acte qu'il faisait, ni adresser à Dieu un acte de foi, de contrition. C'est une chose qui peut, à la rigueur, illusionner les vivants, mais qui ne sert certainement pas aux défunts.
Le mois de mai était avancé, les roses resplendissaient de toutes leurs couleurs, les collines étaient dans toute la splendeur de leur vert manteau, mais Rita alors ne demanda pas une rose, parce qu'elle était sur le point de détacher le dernier fil qui l'attachait à la terre.
Et le 22 mai 1457 sa belle âme quittait ce monde et prenait son essor vers le ciel. Dans le procès de béatification on lit que plusieurs personnes la virent monter dans la gloire. « Laqueus contritus est et nos libérati sumus : Le lacet s'est brisé et l'esprit prisonnier a acquis la liberté. »
A peine la sainte eut exhalé le dernier soupir que Dieu voulut, par des prodiges répétés, manifester au monde à quel haut degré de perfection elle était arrivée.
La cloche qui, par la main des anges, avait annoncé son départ de ce monde dut, sans aucun doute, remplir d'étonnement les religieuses et les femmes attachées au service du monastère, qui, laissant toute autre besogne, accoururent à la pauvre cellule où, jusqu'à maintenant, elles n'entraient que rarement et seulement pour porter à la patiente les choses nécessaires et pour l'assister dans sa dernière maladie. Elles pensaient en frissonnant à l'odeur fétide de la plaie, mais quel ne fut pas leur étonnement quand elles s'aperçurent, en approchant, qu'un parfum de paradis émanait de la dépouille de leur Soeur ! Elles virent la plaie cicatrisée, et le visage de Rita était beau et souriant.
Une d'elles, Soeur Catherine Mancini, qui avait un bras paralysé, voulut l'embrasser, et elle y réussit parfaitement, parce que la sainte l'avait guérie.
Revenues de leur étonnement, les bonnes religieuses revêtirent le corps de la défunte de l'habit de leur Ordre et la transportèrent dans la chapelle intérieure du monastère.
Mais le peuple de Cascia se pressait à la porte, il voulait voir, une fois encore, sa chère bienfaitrice, la sainte pour laquelle il avait tant de vénération et que, par un instinct divin, il estimait digne de la gloire des autels. Il fut donc nécessaire de la transporter dans un oratoire public.

 

 TROISIÈME  PARTIE

 DANS   LA   GLOIRE
 
 

 CHAPITRE XX

 GLORIFICATION

A mesure qu'une âme s'humilie Dieu l'exalte, et Rita, qui s'était abaissée à l'extrême, eut, à peine expirée, le commencement de son exaltation sur la terre.
L'empreinte que la mort laisse sur la face d'un cadavre éveille la frayeur. Le corps de Rita, consumé par la longue et douloureuse maladie, avec cette plaie fétide au front, aurait dû effrayer encore davantage; mais Dieu ne le permit pas. Son visage prit un air de douceur et de beauté ineffables. De la plaie du front, le suintement infectieux disparut, elle se rétrécit, se cicatrisa et devint semblable à une gemme éclatante.
Au moment où Rita expira, écrivent les Bollandistes, on entendit la cloche du monastère, sans que personne ne la toucha, sonner trois fois et, comme il est permis de le croire, par la main des anges. Une lumière inattendue resplendit dans la chambre, et dans tout le monastère il se répandit l'odeur d'un parfum céleste. Ce parfum, que non pas en ce seul instant seulement l'on sentit autour de cette dépouille bénie, fut une compensation que Dieu accorda à sa fidèle servante pour l'infection qu'elle avait supportée et fait supporter pendant tant d'années, et la preuve que cette âme élue était déjà entrée dans la gloire.
Le transport du corps dans l'église fut un vrai triomphe ; toutes les autorités y participèrent ainsi qu'une foule immense.
Ce ne fut pas une cérémonie funèbre, mais un cortège triomphal. Et quand les fidèles purent contempler ce visage qui avait été pâle, émacié, répugnant à cause de la plaie du front, rajeuni comme en ses plus belles années, si éclatant qu'il paraissait plus vivant que jamais; quand ils virent l'horrible plaie changée, pour ainsi dire, en un rubis; quand, pendant un certain temps, il se répandit le céleste parfum qui avait rempli la cellule de la sainte, tous se persuadèrent qu'elle était au ciel et très puissante auprès de Dieu. Elle fut, précédant les décrets de l'Église, canonisée par la voix du peuple.
Le P. Vanutelli écrit que les faits extraordinaires qui se produisirent après la mort de Rita furent si nombreux que les autorités, aussi bien ecclésiastiques que civiles, décidèrent de ne pas donner de sépulture au saint corps de Rita, aussi bien conservé, et qui répandait une odeur suave dans toute l'église, et voulurent qu'il restât à la vénération publique en un lieu convenable. Alors on fit faire un cercueil de cyprès, pas trop haut et sans couvercle, on le recouvrit intérieurement d'une étoffe rouge qui sortait extérieurement comme un drap mortuaire pour tenir le corps de la sainte soulevé au-dessus du cercueil. Il fut ainsi placé dans l'oratoire intérieur du monastère, sous la table d'un autel portatif. Il resta là, à la vénération publique, jusqu'à son transfert à l'église en l'année 1595. C'est ainsi qu'on le représente dans le tableau que l'on voit actuellement à Sainte-Rita, à Cascia, sur l'autel dédié à Notre-Dame du Bon-Conseil.
Dans le petit oratoire où la sainte avait si souvent profondément médité et contemplé la Passion du Christ, devant l'image de ce Crucifix d'où avait jailli l'épine qui lui avait transpercé le front, le corps de Rita reposa donc pendant de longues années. Et ce lieu devint un véritable sanctuaire où les gens affluaient pour parler avec elle comme si elle était en vie, assurés que son esprit du haut du ciel les écoutait et que celle qui avait connu la douleur aurait compassion de leurs infirmités.
La sainte continue encore à exaucer les âmes qui recourent à elle avec foi en sa puissante intercession. Nous rappelons ci-après un fait arrivé en l'année 1933 et recueilli dans l'Osservatore Romano.
« Une famille de Ceylan reçoit le baptême dans le sanctuaire de Sainte-Rita.
« Par l'intercession de sainte Rita une famille de l'île indienne de Ceylan est passée au catholicisme. Trois années avant le fait (en 1930), Mme Anne de Livera parcourut la "Vie de sainte Rita", et subitement il naquit dans son coeur un vif désir d'abandonner la secte protestante et d'embrasser la vraie foi. Quand elle fit part de son projet, son père lui supprima immédiatement les subsides qu'il lui donnait pour son entretien et pour élever ses deux enfants et une fille adoptive. Elle plaça alors les enfants dans une école catholique, et elle entreprit elle-même l'étude de la vraie foi.
« Combien émouvante est la lettre qu'elle envoya à la supérieure des Augustines de Cascia, lui annonçant son intention d'être baptisée dans le sanctuaire de Sainte-Rita.
« Chère Mère,
« Je suis une pauvre femme avec deux enfants, un garçon et une fille, et, de plus, une orpheline que j'ai adoptée. Nous fûmes élevés dans l'Église anglicane. Depuis des années nous supportons de cruelles peines que l'on ne peut décrire. Mais Dieu eut pitié de nous et nous envoya sainte Rita pour sauver nos âmes.
 «Pendant longtemps je fus sans argent, sans amis, sans maison; Dieu seulement prit soin de nous. Sainte Rita nous accorda une grâce après l'autre. Elle m'a obtenu actuellement l'argent nécessaire pour venir à Cascia accomplir mon voeu d'être baptisée, confirmée et pouvoir communier dans la maison qu'elle a habité. Je n'ai pas beaucoup, mais suffisamment cependant pour satisfaire mon vif désir.
« J'avais désiré, étant enfant, me rendre en Angleterre, mais depuis que je connais sainte Rita mon unique et ardent désir est de venir à Cascia, dans la maison où vécut la sainte. Je désire marcher où elle-même a marché, dans la maison où elle s'agenouillait pour la prière, je désire m'agenouiller avec les enfants et adorer avec sainte Rita le Roi des rois; je désire voir la chambre où est son autel et dormir où elle dormait; et si cela n'est pas possible, je désire y rester en prières nuit et jour.
« Je n'ai qu'une espérance et qu'un désir actuellement : c'est de servir Dieu dans le couvent de Cascia, où sainte Rita le servit pendant quarante ans. Par amour de sainte Rita, voudriez-vous avoir pitié de nous, et me laisser venir à vous avec mes enfants et l'orpheline ?
« Nous désirons ardemment aimer, servir Dieu et lui obéir, comme à fait, pendant de longues années, sainte Rita. »
Aucun commentaire à ces simples mais combien sublimes paroles !... En effet, après vingt-cinq jours de voyage, la famille indienne est venue à Cascia, où elle à complété sa longue et soigneuse préparation par l'acte solennel, la faisant passer des ténèbres à la lumière.
C'est le P. Louis Campelli, Augustin et recteur du sanctuaire de Sainte-Rita qui coopéra à cette oeuvre ultime. C'est dans le recueillement de l'église de Sainte-Rita, à l'autel contenant le corps odoriférant de la sainte, que s'accomplit cet acte solennel. S. Exc. Mgr Péroni, venu expressément de Norcia, reçut l'abjuration du protestantisme et donna le baptême sous condition ; il leur administra la confirmation ; ensuite il célébra la messe, distribuant la sainte communion aux nouveaux catholiques. Dans un discours approprié, il expliqua la signification de la cérémonie et il invita tout le monde à rendre les plus vives actions de grâces au Dieu Tout-Puissant qui, par l'intermédiaire de ses saints, opère de si éclatants prodiges.
Et comme couronnement et pour compléter la joie de leurs coeurs, il parvint aux heureux protégés de sainte Rita la bénédiction du Saint-Père.
En parlant de la glorification de sainte Rita nous ne pouvons ici passer sous silence un phénomène qui apparut après sa mort et qui dure encore.
Rappelons-nous qu'autour du berceau de Rita enfant apparut un essaim d'abeilles blanches ! Les abeilles réapparaissent après sa mort, mais elles sont noires. Elles sont un peu plus grandes que les abeilles communes; elles portent sur le dos comme un velouté d'un rouge sombre et elles n'ont ni dards ni antennes.
L'auteur Tardi, duquel nous prenons ces renseignements, ajoute que ces abeilles sont singulières par leur antiquité, puisque  n'étant pas prolifiques, elles remontent au temps de la sainte.
Elles sont singulières par leurs habitudes, car elles restent renfermées pendant onze mois environ; elles avancent ou retardent leur sortie selon l'avance ou le retard de la semaine de la Passion et se retirent toujours dans l'octave de la fête de la sainte.
Singulières enfin par la stabilité de leur demeure, parce que, généralement, les autres abeilles essaiment facilement changeant d'habitation; celles-ci, depuis tant de siècles, ne se sont jamais éloignées du vieux mur de l'antique monastère. Aux pèlerins qui visitent le sanctuaire de Cascia, on montre, dans les murs qui entourent la petite cour du monastère, les trous qui abritent ces petites gentilles amies de sainte Rita.
On rappelle à ce sujet que l'une de ces abeilles, renfermée dans un petit vase de cristal, fui expédiée au Souverain Pontife Urbain VIII, qui était désireux de les voir. Après avoir entouré le corps de l'abeille d'un petit fil de soie, le Pontife la laissa libre et, de Rome, l'abeille retourna à son poste au monastère de Caseia.

 CHAPITRE XXI

 LE CULTE DE SAINTE RITA

Nous avons déjà vu comment Rita fut en odeur de sainteté, spécialement dans les dernières année de sa vie. Retirée du monde comme ses compagnes, elle devait encore s'isoler de celles-ci, à cause de l'horrible plaie qu'elle portait au front, marquée du sceau de son Dieu crucifié, son unique amour, son unique espérance.
Mais le peuple chrétien, plus qu'à l'infection de la plaie, faisait attention au suave parfum de sa vertu, et quand sa belle âme, purifiée et élevée par la douleur, fut dans les splendeurs divines; quand son corps, martyrisé et déformé par la souffrance et la longue maladie, apparut rajeuni; quand l'horrible plaie du front se changea en un ardent rubis; quand, au lieu de l'odeur cadavérique, son corps inanimé répandit un parfum de paradis, aucune force humaine ne put retenir le torrent de fidèles accouru pour la vénérer.
Sainte Rita, par un privilège singulier, ne fut jamais ensevelie, et jusqu'à présent ne s'est pas effectuée pour elle la sentence qui frappe tous les fils d'Adam : Tu es poussière et tu retourneras en poussière.
Nous avons dit plus haut que la dépouille de Rita fut placée dans une bière de cyprès et déposée sous l'autel de l'oratoire du monastère; cette bière, peu d'années après, brûla, et, s'il faut l'en croire, par une chandelle allumée qui tomba dessus. Cependant, la dépouille de la sainte resta prodigieusement intacte. Il lui fut alors préparé un nouveau cercueil plus convenable, dont Corrado Ricci donne la description ci-après :
Le sarcophage est en bois de peuplier recouvert de noyer. Il fut confectionné par un menuisier de Cascia, Cesco Barbari, dévot de la sainte, et qui par son intercession avait été guéri d'une maladie grave. Les peintures sont attribuées à Antoine de Norcia. On voit, de profil, les figures de la Madeleine, le Christ mort et de Rita en costume de religieuse Augustine, avec la plaie au front et l'épine sur la main droite relevée. Sur le couvercle, il y a, à nouveau, la figure de Rita, mais non pas en entier, comme dans beaucoup de tombeaux en marbre du temps, et le corps repose sur un coussin d'étoffe fleurie, comme l'on voit parfois pour les funérailles avec, à côté, une longue inscription en vers se rapportant à sa vie, à sa plaie et à sa mort. Les mains sont jointes et reposent sur son sein, les pieds sont nus et sur le front rayonne la plaie comme une gemme enchâssée. Dans la bière est peinte une figurine (nue dans le haut) pour exprimer, selon l'iconographie ancienne, l'âme de Rita montant au ciel sur un voile blanc tenu par deux anges.
Rita fut donc canonisée par le peuple avant de recevoir cet honneur de l'Église. L'évêque de Spoleto, suivant l'usage d'alors, remontant aux temps apostoliques et qui dura plus ou moins jusqu'au pape Urbain VIII, permit que l'on rendit à Rita un culte public et privé, et la dévotion à la sainte des impossibles ne tarda pas à se répandre et à prendre de grandioses proportions. Dieu même prit soin de ratifier ce culte par les merveilleux miracles qu'il opéra à l'intercession de la sainte. Nous en indiquerons quelques-uns.
Nous avons dit plus haut que le corps de Rita ne fut jamais enseveli et que, jusqu'à présent, il n'a pas connu la corruption. Il faut noter encore qu'il ne s'est pas momifié et qu'il n'a pas noirci comme celui des autres saints, mais il est comme le corps d'une personne venant à peine de mourir. Au contraire, après la mort disparut l'aspect souffrant et cadavérique qu'il avait dans les derniers temps de la maladie.
A la reconnaissance du corps, faite à l'occasion de la béatification, c'est-à-dire environ deux cents ans après la mort, les délégués délivrèrent la déclaration suivante que nous donnons traduite du latin :
" Dans la bière il y a le corps de la servante du Seigneur précitée, vêtue de l'habit monacal de l'Ordre de Saint-Augustin, lequel paraît aussi intact que si ladite servante de Dieu fût morte récemment. Nous voyons parfaitement la chair blanche, en aucune partie corrompue, et il y a le front, les yeux avec les paupières, le nez, la bouche, le menton et toute la face aussi bien disposée et entière comme une personne morte ce même jour. On voit également les mains de ladite servante de Dieu blanches et intactes, et l'on peut parfaitement compter les doigts avec les ongles, et semblables à ceux des personnes à peine mortes. De même pour les pieds. »
Or, un cadavre qui pendant des siècles se conserve à l'abri de la corruption, bien qu'on n'en ait pas retiré les viscères et sans qu'il ait été embaumé, est une chose que la science, malgré tous les progrès dont elle peut se vanter, n'a pu, jusqu'à maintenant, expliquer.
Et de même, elle ne pourra expliquer comment la plaie du front ait pu se cicatriser instantanément, immédiatement après la mort, tandis que, naturellement, il devait en advenir le contraire.
Et de même encore, le parfum suave qui, de temps en temps, s'exhale de la dépouille bénie, inanimée, ne provient certainement pas d'une cause naturelle, comme des personnes sérieuses et dignes de la plus grande estime ont pu le constater à diverses reprises au cours des siècles, et ont affirmé que le fait ne provenait d'aucune mystification.
Mais le fait le plus merveilleux du corps de sainte Rita, c'est que, de temps en temps, il se meut de diverses manières. Les actes authentiques de la béatification et de la canonisation l'attestent, d'après les témoignages répétés et sérieux depuis l'année 1626 jusqu'en 1893, sans compter ceux plus récents, recueillis pour sa canonisation, faite par Léon XIII en 1900.
Les témoins dignes de foi jurent d'avoir vu la sainte ouvrir les yeux, tourner la tête vers le peuple, se soulever jusqu'au couvercle du cercueil se mouvant avec tout le corps, remuant également les mains et les pieds. Ces mouvements furent observés spécialement pendant les visites faites par les évêques et les supérieurs de l'Ordre; quelquefois pendant l'élévation de la messe, ou pendant les calamités publiques.
Il est à noter, parmi les autres faits, que la sainte ouvrit les yeux le 16 juillet 1628 pour apaiser un tumulte pendant que Cascia et Rome célébraient la fête de sa béatification. Le procès régulier de ce fait est conservé dans les archives de l'archevêché de Spoleto.
Les faits exposés ci-dessus sont un miracle continuel par lequel Dieu se complaît à glorifier sa fidèle servante.
La religion catholique n'a certainement pas besoin de ces faits inexplicables à la science pour démontrer son origine divine; ce sont des attestations humaines, mais, pour les nier, il faudrait anéantir l'histoire, laquelle narre les faits humainement certifiés et ne les discute pas. Mais comme pour les narrer il faut des preuves certaines, _ et dans notre cas ces preuves existent, _ ainsi, pour nier il ne suffit pas de dire : ce sont des choses impossibles ! Parce que, justement, puisque cela est, c'est possible; sinon aux hommes, à Dieu. Nous voulons des preuves physiques, certes, et non de subtils sophismes.
Mais continuons notre récit, parce que celui qui s'est mis en tête de ne pas croire à ce qui ne lui plaît pas finit par douter même de sa propre existence, et la raison humaine arrive à un point tel qu'elle rejette orgueilleusement la lumière de la révélation divine.
Les grâces accordées par Dieu par l'intercession de sainte Rita sont innombrables et on peut dire continuelles. Nous en rapporterons une seule, accordée en 1450 et narrée par les Bollandistes.
Un enfant de onze ans était mort à Cascia : il s'appelait Biagio et était fils d'Antoine Massei.
La mère de l'enfant le prit dans ses bras, le porta devant la bienheureuse Rita, et l'enfant ressuscita.
Ainsi Dieu glorifiait sa fidèle servante.
L'Église, après de minutieuses recherches et l'examen attentif des faits miraculeux, approuva solennellement, selon la règle prescrite par le pape Urbain VIII, le culte que l'on rendait déjà à la sainte et accorda la messe propre en son honneur.
Sa vie fut narrée, à différentes reprises, par des auteurs italiens, espagnols et belges, et sa dévotion se répandit en très peu de temps dans l'Ancien et le Nouveau Monde.

 CHAPITRE XXII

 DIFFUSION DU  CULTE  DE  SAINTE  RITA

Le nom des impies qui ont fait beaucoup de bruit en ce monde, ainsi qu'il est effacé du livre de vie au ciel, s'évanouit aussi de la terre comme le son qui se dissipe. Mais celui qui vécut seulement pour Dieu et chercha l'humilité de l'effacement, comme le saint qui, pendant sa vie, était peu connu et abandonné, perdu, pour ainsi dire, dans la multitude, à peine a-t-il pris son envol vers le ciel que Dieu pense à le glorifier sur la terre, maintenant sa grande promesse : Celui qui s'humilie sera exalté.
La vie de notre sainte avait été des plus humbles et cachée; vie vécue dans un petit bourg accroché sur les monts, puis clôturée dans les grilles d'un monastère, enfin reléguée en une cellule lointaine, en dehors même de la société des autres Soeurs. Qui pouvait s'occuper de Rita ? Et cependant à peine la sainte a-t-elle expiré qu'elle resplendit de gloire, et son nom, franchissant les monts et les mers, se répandit petit à petit sur toute la terre.
Son culte, commencé immédiatement après sa mort, brilla d'une nouvelle splendeur lorsque le pape Urbain VIII en approuva la messe propre, et il atteignit son apogée lors de la canonisation de la sainte, qui fut faite, comme nous l'avons déjà dit, en l'année 1900.
Après l'Italie, l'Espagne et le Portugal la connurent et en diffusèrent la dévotion dans leur patrie et dans leurs nombreuses colonies, l'Amérique latine et les Philippines. Son nom fut donné à de nouveaux pays créés par des émigrants, et dernièrement plusieurs églises furent érigées à son nom même dans les Etats-Unis du Nord.
Ce qu'il faut faire remarquer, c'est l'impulsion de charité chrétienne que sainte Rita, si aimante des pauvres, suscita dans les âmes généreuses en Espagne, et, en ces dernières années, en Italie même, qui fut toujours si riche d'institutions charitables.
Peu après la canonisation de sainte Rita, c'est-à-dire en 1901, le P. Sauveur-Font, de l'Ordre des Augustins, instituait la Société des _uvres de charité de Sainte-Rita, qui comprend des dames, même de la haute aristocratie, qui recueillent des offrandes et confectionnent de leurs mains des vêtements pour les pauvres. Cette pieuse société se développe en France et en Italie et s'inspire des exemples de sainte Rita, qui, si elle fut pauvre des biens de ce monde, fut riche par le coeur et par la vertu, à tel point qu'elle se privait presque du nécessaire pour secourir l'indigence des malheureux.
D'autres saintes furent également de grandes bienfaitrices, mais on voit que l'exemple de sainte Rita produit une impression plus profonde parce que, chez elle, sa bonté ne pouvait être séparée du sacrifice qui, uni aux douleurs aiguës qu'elle a toujours éprouvées dans son corps et dans son esprit, l'auréolent d'une considération toute particulière.
Les dames inscrites à l'Action catholique ont un devoir tout particulier d'imiter sainte Rita dans cette branche de l'apostolat que l'on appelle « Action sociale »; secourir, prendre soin des malheureux, procurer des places honnêtes aux jeunes servantes, les surveiller, les conseiller et les aider de toute manière.
La question sociale qui, depuis plusieurs années, travaille les peuples et menace de mettre tout en ruine ne peut se résoudre par la lutte violente des classes, mais par le retour à l'esprit de l'Evangile qui est l'esprit de foi, de justice et de charité.
Pendant que les démagogues, avec des paroles retentissantes et de folles promesses, allument dans le coeur des ouvriers la soif des richesses et la lutte des classes, les femmes qui vivent l'Evangile doivent s'adonner, comme Rita, à éteindre le feu de haine, à défendre les principes chrétiens par la parole, par les _uvres, par l'exemple constant et patient au sein de leurs familles et dans leurs paroisses. Si, en agissant ainsi, elles vont au-devant des luttes et des peines, à l'exemple de sainte Rita qu'elles méditent leur Crucifix. En lui seul est l'espérance de paix et de salut.
 

 CHAPITRE XXIII

 PIEUSES ET AIMABLES  COUTUMES
 

Sainte Rita ne survit pas seulement dans les _uvres de charité. La dévotion envers elle se manifeste également dans le culte que l'on a pour sa mémoire.
Nous avons parlé de la vie miraculeusement épanouie, en vertus d'héroïque et persévérante obéissance, d'un rameau sec et stérile que Rita arrosa pendant un très grand laps de temps. La supérieure du monastère de Sainte-Rita nous écrit à la date du 21 novembre 1932 : « La vigne prodigieuse de sainte Rita subsiste, robuste, dans le jardin du monastère, portant chaque année des raisins très doux. La vigne merveilleuse n'a jamais été renouvelée, et c'est le même rameau desséché qui germa miraculeusement après avoir été arrosé pendant une année par sainte Rita, par obéissance. Ses feuilles séchées se réduisent en poudre pour les distribuer aux infirmes.
Ainsi Dieu se complaît à glorifier celle qui lui fut semblable dans la douleur, dans la patience et dans la charité, en communiquant aux feuilles mêmes de la vigne miraculeuse une vertu surnaturelle.
Rappelons-nous également la rose que la sainte se fit apporter au coeur de l'hiver de son jardinet de Rocca-Porena. Cette plante fut déracinée et portée au monastère de Cascia; elle s'élargit en un magnifique buisson; elle se conserve encore, et les feuilles de ses roses sont distribuées comme de précieuses reliques.
Enfin, le 22 mai, si l'on se trouvait à Cascia, dans l'église intitulée autrefois Sainte-Marie-Madeleine, et appelée actuellement Sainte-Rita, on assisterait à un gentil spectacle.
La foule accourt dans l'église, portant en main des bottes de roses de toutes couleurs que le prêtre bénit solennellement. La même cérémonie à lieu, le 22 mai, fête de la sainte, dans presque toutes les églises et chapelles où existe le culte de sainte Rita.
Ces roses sont ensuite portées aux malades, soit chez eux, soit dans les hôpitaux, et traversent même les océans, obtenant de Dieu, par l'intercession de sainte Rita, des guérisons inespérées.
 

 CONCLUSION

Notre récit est terminé; ce fut un travail de recherches diligentes pour donner des renseignements certains, avec l'unique souci de vérité, sans ce langage enthousiaste propre du panégyrique, qu'une telle vie aurait pu cependant mériter. Mais nous espérons que, comme nous, qui, lisant et écrivant, avons appris non seulement à connaître, mais encore à aimer, à vénérer et à invoquer l'humble, douce et suave figure de la belle créature bien-aimée du Seigneur, celui qui lit apprenne à la connaître et à l'invoquer.
Combien y a-t-il ici-bas de misères pour lesquelles nous ne voyons pas de remède ! Combien de moments de découragement et même de désespoir ! Sainte Rita nous apprend à espérer contre toute espérance en ce Dieu qui peut tout et qui nous a fait les plus grandes promesses.
Dieu ne nous abandonne pas; c'est notre foi qui diminue; nous nous préoccupons davantage, et souvent exclusivement, des choses de cette vie, qui cependant doit finir, oubliant les droits de Dieu et les avantages de notre âme qui ne mourra jamais; nous cherchons, en priant, à amener Dieu à faire notre volonté et nous ne songeons pas à faire la sienne.
N'oublions pas la sentence du divin Maître, que nous donnons comme conclusions de notre humble travail : "Cherchez avant tout le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera,
donné par surcroît " !
La route qui conduit à l'éternelle gloire et à la félicité est dure parce qu'elle exige le sacrifice de soi-même par amour de Celui qui s'est donné entièrement à nous; mais l'exemple des saints démontre que la chose est possible, si à la grâce du bon Dieu, qui ne manque jamais à celui qui la cherche sincèrement et qui dévotement l'implore, s'ajoute de notre part la bonne volonté.
Les âmes qui sont arrivées à comprendre que l'essence de la perfection chrétienne est la charité, et que la charité est de suivre avec la plus grande perfection possible la loi divine en suivant les exemples de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, ont cherché et aimé le renoncement et le sacrifice d'elles-mêmes.
"Aime à vivre caché", dit le livre de "l'Imitation de Jésus-Christ" , "et à être compté pour rien". Elles ont compris la force de la parole divine.
"Celui qui veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix sur ses épaules et qu'il me suive". Le pur et parfait amour ne pense pas à la récompense promise et au châtiment qui le menace, il sert Dieu parce qu'il mérite tout notre amour. Toutefois, nous croyons, et il est humain de le penser, que même les saints, ou tout au moins la majeure partie d'entre eux, n'ont pas perdu de vue leur propre personnalité et l'aspiration à la parfaite félicité qui consiste dans la vision béatifique, et même qu'ils n'aient éprouvé aussi un désir implicite de voir, à la fin, triompher la justice.
Nous en avons une preuve dans le livre de l'Apocalypse, dans lequel l'apôtre Jean décrit les saints martyrs qui invoquent la justice pour leur sang versé injustement. La justice doit être faite, et Nôtre-Seigneur la fera en son temps, lui qui a été constitué, par le divin Père, Juge des vivants et des morts. Ce sera alors le triomphe de Dieu, de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ et des saints qui vécurent pour lui, et l'extrême confusion des méchants, des rebelles, des jouisseurs, des pécheurs obstinés.
Dans le grand jour, le jour grandement amer du jugement, dit le Saint-Esprit (Livre de la Sagesse, ch. v), les justes, avec une grande constance, se tiendront devant ceux qui les affligèrent et les accablèrent de peines. Et ceux-là, à cette vue, seront agités d'une peur horrible et demeureront stupéfaits à la vue soudaine et inattendue de la gloire de ceux-ci. Et, touchés de repentir et soupirant douloureusement, ils diront en eux-mêmes :
"Ceux-ci sont ceux que nous regardions, autrefois, comme un objet de dérision et de mépris. Insensés, nous considérions leur vie comme ridiculement stoïque et leur fin misérable. Et voici que maintenant ils sont comptés parmi les enfants de Dieu et au nombre des saints. Donc, nous avons perdu la voie de la vérité, et la lumière de la justice ne brille pas pour nous, et le soleil de l'intelligence ne se lève pas pour nous. Nous nous sommes fatigués dans la voie de l'iniquité et de la perdition, suivant les mauvaises routes et nous ne connaissâmes pas la voie du Seigneur.
A quoi nous servit l'orgueil ? Et quel profit nous a donné l'ostentation des richesses ?
Toutes ces choses se fondirent comme une ombre et comme un messager qui passe. Ou comme une nef qui vogue sur les ondes agitées dont on ne peut trouver trace quand elle est passée, ni le sillon ouvert par sa carène sur les flots; ou comme l'oiseau qui, volant dans l'air, ne laisse aucun signe de ses mouvements, mais seulement la secousse des ailes avec lesquelles il fend l'air léger et rompt avec force l'atmosphère qui est son chemin; il bat de l'aile et s'envole, et il ne laisse derrière lui aucun signe de son voyage; ou comme une flèche lancée à un point déterminé : l'air traversé rapidement se replie sur lui-même, et on ne connaît même pas le passage de la flèche.
Ainsi, venus au monde, à peine nés, nous cessâmes bientôt de vivre et nous ne montrâmes aucun signe de vertu et nous nous sommes consumés dans notre méchanceté."
C'est ainsi que raisonnent dans l'enfer ceux qui ont péché !
Parce que l'espérance de l'impie est comme un flocon de laine emporté par le vent; et comme la légère écume qui est dissipée par la tempête; et comme la fumée qui est dispersée par le vent; et comme le souvenir d'un étranger qui passe, qui ne s'arrête qu'un jour.
Mais les justes vivront éternellement, et leur récompense est entre les mains du Seigneur, et ils ont toute la sollicitude du Très-Haut. A cause de cela ils remporteront la couronne et un beau diadème du Seigneur, parce que Il les recouvrira de sa droite et avec son bras saint il les défendra.
Nous devons considérer la vie présente comme un voyage vers l'éternité ; les malheurs et les douleurs comme un moyen d'expiation pour nos péchés et pour la purification de notre âme qui se perfectionne dans la douleur comme l'or se purifie dans le creuset, en réparation des offenses que Dieu notre bon Père reçoit de tant de fils méconnaissants et ingrats, et comme le principal moyen pour nous rendre semblables à Jésus Crucifié. Dieu recevra pour élus dans le ciel ceux qu'il trouvera semblables à l'image de son divin Fils.
Si nous ne regardons pas ainsi, avec les yeux de la foi, les événements de ce monde, ils nous paraîtront un n_ud inextricable; les voies mystérieuses de la divine Providence ne nous paraîtront que paradoxes et contradictions et nous courrons le péril de perdre non seulement la paix du coeur, mais encore la foi, le plus grand, le plus nécessaire des trésors que Dieu nous a donné et qui est la base de notre sanctification.
 

FIN

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