AVANT-PROPOS



       C'est avec une joie et une émotion profondes, et en plein accord avec sa veuve, que nous publions ce recueil d’Essais de celui qui voulut bien nous honorer de son amitié.

       Né à Lyon le 16 juin 1877, doublement Docteur en Droit en 1902 et 1903, Antoine Rougier professa d'abord de 1908 à 1910 à l'Université de Caen, puis de 1910 à 1912 à l'Université d'Aix-Marseille, enfin de 1912 à 1927 à l'Université de Lausanne dont il fut doyen de la Faculté de Droit et Directeur de l'Ecole des Sciences sociales et politiques. Il est mort prématurément le 7 décembre 1927, épuisé par un labeur acharné.

       ... « A tous ceux qui ont eu le privilège de collaborer avec lui (1), il laissera le souvenir pénétrant d'un homme à l'esprit extraordinairement lucide, au caractère singu?lièrement égal et invariable, accomp1issant sans la moindre ostentation, mais avec une consécration entière, le travail qui lui était confié. Quand je dis avec une consécration entière, je pèse le mot ; je n'en trouve pas d'autre pour exprimer cette fidélité, cette obstination dans le devoir, en même temps que cette maîtrise de soi qui conféraient à sa parole une autorité dont il semblait être le seul à ne pas s'apercevoir. En effet, un des traits de la figure morale d'Antoine Rougier, c'était cette modestie, sans rapport aucun avec la timidité ou la crainte, mais pleine de dignité ou de réserve, et d'autant plus impressionnante que la parole de Rougier était claire, précise et pour ainsi dire infaillible, du moins si l'on considère la parfaite adaptation des mots à la Pensée qu'ils doivent exprimer. Rougier parlait peu à la Commission universitaire, il ne parlait que lorsqu'il devait le faire ou lorsqu'il était expressément invité à donner son avis. Cet avis était alors présenté avec une netteté et une sobriété surprenantes, puis Antoine Rougier s'enfermait de nouveau dans sa réserve. Mais sa parole avait jeté de la clarté dans le problème à résoudre et nous avait fait avancer à grands pas vers la solution. Lorsqu'un avis de Droit lui était demandé, il était vraiment Prestigieux : l'interprétation des textes, les considérants, les conclusions apparaissaient à leur place respective ; sa parole semblait créer l'ordre et la clarté, tandis que se dissipaient les hésitations et les doutes. L'action qu'il exerçait sur ses collègues
était d'autant plus forte qu'on le sentait plus désintéressé. Cette parole dépouillée, parée de sa seule limpidité, inspirée par le seul souci de l'objectivité, laquelle est sans doute la marque du grand juriste, du juriste né, tout cela conférait à ses brefs exposés non seulement l'autorité de la vérité, mais encore, bien que cela puisse étonner, comme j'en fus étonné moi-même, une autorité de beauté que, je l'avoue, je n'aurais pas attendue dans un pareil domaine. Enfin ce qui achevait de rendre Antoine Rougier particulièrement cher à ses collègues, c’est cette courtoisie que ni les divergences de vues, ni la fatigue ne parvenaient à altérer... »

         Telle fut sa carrière officielle que nous mentionnons seulement ici, laissant à de plus qualifiés dans ce domaine le soin de réunir ses nombreuses et éminentes œuvres juridiques. Cette carrière fut doublée d'une féconde activité sur le plan spirituel. Il connut Papus (a), le Docteur Rozier et surtout le Docteur Marc Haven (b), qu'il révérait comme son maître bien-aimé. Président actif de la Bibliothèque idéaliste lyonnaise jusqu'à sa fermeture à la suite de la guerre de 1914, il y donna de nombreuses conférences. Membre avec Papus et Marc Haven du Comité directeur de la Renaissance Universelle, prestigieuse, revue qui n'eut qu'unebrève existence, interrompue également par la première guerre mondiale, il collabora ensuite au Voile d'Isis et à l'excellente revue spiritualiste Psyché du bon père Beaudelot. Ce fut lui qui conçut et publia ce précieux recueil La Voix de la Sagesse, que nous avons eu la satisfaction de réimprimer l'année dernière. Les études que nous avons recueillies - et malheureusement nous n’avons pu les recueillir toutes - témoignent d'une vaste science philosophique et ésotérique et reflètent la pure sagesse, traditionnelle.

       Nous les avons groupées sous trois rubriques différentes, mais elles s’inspirent toutes d'un même esprit. Pour l'auteur, le devoir professionnel et le labeur spirituel étaient inséparables et s'interpénétraient étroitement. On en trouvera l'exemple concret en lisant Renaissance du Droit naturel, qui s'achève par une émouvante conclusion spiritualiste.

         Ces pages déjà anciennes de plusieurs lustres sont toujours actuelles en raison de leur haute spiritualité et nous pensons que dans notre époque troublée l'homme de désir y puisera lumière et réconfort, car il y trouvera l'écho de l'éternelle et irremplaçable sagesse. Tel est du moins le vœu que nous formons de tout cœur, heureux de prolonger l'action féconde de notre grand ami et aîné, a qui nous devons beaucoup et qui restera pour nous un inoubliable exemple de labeur désintéressé.

L ’Editeur.



1) Discours prononcé le 9 décembre 1927 à l'Université de Lausanne par Monsieur le Professeur G. Chamorel, Recteur.
a) Docteur Gérard Encausse.
b) Docteur Emmanuel Lalande.