L'ECOLE DE LA NATURE




    Ami que je ne connais pas, toi que le jeu des attractions harmoniques attire dans l'orbe de cette Revue parce que tu es altéré de vérité et de paix, souviens-toi de l'enseignement de nos vénérables ancêtres, les maîtres très doctes, très expérimentés et très prudents de l'antique Tradition. Quel conseil initial donnent-ils au chercheur dont l'esprit s'égare dans le labyrinthe des connaissances, dont le cœur souffre d'incertitude et les nerfs d'angoisse ? Voici ce qu'ils te disent, à des siècles de distance : Fais table rase des illusions et des rêves dont le monde a pu te leurrer, - prends pour base de ton développement spirituel la connaissance du réel et la recherche du vrai, - fuis l'atmosphère de conventions et d'artifices que créent les sociétés humaines, - reviens à l'Ecole de la Nature.

    L'Ecole de la Nature... C'est le titre gravé sous l'une des planches de l'album hiéroglyphique de l’Amphitheatrum de Kunrath. Peut-être, au dire des érudits, la gravure est-elle de la main d'un élève plutôt que de celle du maître : il importe peu, tant sa signification est lumineuse.

    Regarde l'image. Entre deux montagnes coule un large fleuve qui féconde les campagnes et au bord duquel les hommes accomplissent joyeusement les devoirs que leur impose l'activité sociale, labourant la terre, creusant les mines, travaillant les métaux, scrutant les secrets de la vie minérale, végétale et animale. Du sein de cette foule de travailleurs se sont détachés quatre ascètes qui méditent sur les bords du fleuve et qui s'exercent par la solitude, le jeûne, la prière et l'extase à sublimer au feu de l'esprit le trésor des connaissances qu'ils ont acquises à l'Ecole de la Nature. Les règles et les dangers de leur ascèse sont indiqués en deux mots par le prudent théosophe : - Ne t’écarte du monde, écrit-il, que sous l’impulsion de l'Esprit Saint ; - Qu'Un seul soit alors avec toi, mais prends garde d'être tout seul... Celui qui triomphe de l'épreuve entre dans le groupe des initiés que l'on aperçoit gravissant la montagne de droite où s'élève l'Amphithéâtre de la Sagesse Eternelle. Eclairant et guidant leur course, un rayon tombe du ciel et fait resplendir cette parole : Cum numine lumen et in lumine numen (la lumière accompagne l’Esprit divin et l'Esprit divin est dans la lumière).

    Partir de la réalité matérielle pour s'élever vers la réalité spirituelle qui lui est intimement unie, pressentir le divin à travers ce qui est humain, chercher Dieu dans la lumière de la raison qui éclaire tout homme au monde, telle est la méthode que conseille le discret peintre de symboles.

    Le premier degré que doit franchir le disciple est de s'efforcer à la connaissance des lois naturelles dans le visible et dans l'invisible, de celles qui régissent la matière comme de celles qui gouvernent les destinées des peuples. C'est l’œuvre de science qu'accomplit l'étude patiente, l'observation, le juste raisonnement, mais aussi, et surtout, la puissance de l'amour.

    Aime les plantes, les bêtes et les hommes penche-toi sur leur destin pour voir éclater en eux la puissance magnifique de la vie universelle et divine ; adresse des hymnes d'actions de grâces comme faisait ; Saint François d'Assise, à notre sœur l'eau, à notre frère le feu et à la limpidité des cieux et à la puissance sombre de la montagne. Bientôt, tu communieras délicieusement avec les choses et avec les êtres : Ceux que tu aimes t'aimeront, ils te donneront une part de leur puissance, ils te révéleront leurs secrets. Tu connaîtras la paix du cœur et les joies de l'intelligence, soit que tu frémisses d’un bonheur inouï en regardant l'aurore éveiller la forêt, parce que ton cœur multiplie sa joie des chants d'allégresse de l'oiseau et de l'élan des fleurs vers la lumière, soit que tu découvres, dans la sérénité des méditations, les ressorts cachés qui font mouvoir le monde. Sois simple, pur, confiant et bon comme un disciple de Pythagore ; comprends la nature pour t'efforcer de la suivre ou de l'imiter selon le conseil des alchimistes ; marche vers la vérité comme un enfant vers sa mère, sans t'embarrasser de systèmes préconçus, de préjugés et de fausses croyances. Tu trouveras à cette école le bonheur d'abord et l'équilibre de tes facultés, ensuite la connaissance de l'Unité du monde, seule base solide de toute spéculation philosophique. Le Créateur a voulu que l'Univers réalisât le mariage de la Substance et de l'Intelligence ; il l'a construit avec le Nombre, le Poids et la Mesure, comme le rapporte la Tradition, ce qui signifie qu'il a donné une forme concrète à toute pensée et placé l'Esprit au cœur même de la matière, non au dehors, en l'obligeant à se manifester et à comprendre à travers la matière et par son entremise nécessaire. Le Ciel se trouve ainsi enfermé à l'intérieur de la Terre. Si bien que l’obscure matière est le vêtement des splendeurs flamboyantes de l'esprit, sa racine et son aliment tout ensemble, et que les sciences les arts et les actions des hommes apparaissent comme autant de poèmes symboliques où les courbes du réel retracent le jeu des rayons de l'éternité. Poésie signifie création c’est dans l’œuvre des sept jours que jaillit la source vive de l'éternelle poésie.

    Si tu sais ne point séparer la poésie de la science et si tu interroges les êtres créés autant avec l’amour de ton cœur qu'avec l'intelligence de ton cerveau, alors tu saisiras comment les vérités naturelles ont été déformées par le matérialisme et par le fanatisme. Celui-là cherche l'explication de la vie dans l'inertie de la mort. Celui-ci croit honorer l'esprit en méprisant la création pour peupler l'espace de la vanité de ses songes. L'un et l'autre s’égarent en ce qu'ils déchirent l'unité essentielle du monde, en ce qu'ils opposent l'un à l'autre la matière et l'esprit qui ne sont pas des principes contraires, mais des aspects et des degrés différents dans la manifestation de l'Etre unique. Rien de ces systèmes imaginaires ne rappelle l'ordre de la nature où la pensée, la substance et la vie apparaissent toujours indissolublement unies.

    Pourquoi les vieux maîtres prisaient-ils l'Alchimie et y voyaient-ils une science particulièrement excellente? Ce n'était point que le pouvoir de faire de l'or tentât leur cupidité, ainsi que le disent les ignorants. Leurs préoccupations étaient plus hautes et, s'ils jugeaient l'Art Royal admirable, c'est parce que celui-ci leur découvrait l'union intime du monde physique avec le métaphysique. L'adepte savait ramener les aspects innombrables de la matière à une forme unique et il percevait que cette substance première du monde n'était elle-même qu'un voile de la réalité, une apparence trompeuse, comme la Maya des sages de l'Inde qui pouvait s'analyser en une forme de l'Energie universelle. C'est à ce point précis qu'arrivent les physiciens modernes qui décomposent l'atome en éons et qui se demandent si la matière n'est pas simplement un tourbillon de forces électriques. Cependant, le regard profond de l'hermétiste pénétrait plus loin encore dans les ténèbres du grand Tout : il voyait sous cette énergie le principe organisateur des choses, l'esprit créateur souffle de Dieu et flamme jumelle de son propre esprit : in lumine numen. Qu'il fût donné à l'adepte d'agir sur cette puissance de l'être et, à sa voix, les forces pouvaient s'orienter, les atomes se grouper et la matière se transmuer : cum numine lumen. L'Ecole de la Nature lui avait fait découvrir l'esprit au centre de la lumière astrale ; il imitait la Nature en agissant sur la lumière par la puissance de l'esprit : la science joignait l'initiation spirituelle, et le travail se complétait par la prière...

    Kunrath éclate en transports d'enthousiasme en parlant de la méthode de travail que suivent les vrais sages : « L'étonnante sagesse de Jéhovah, s'écrie-t-il, est découverte dans le grand livre universel de la Nature, écrit par la main de Dieu au moyen du Ciel, des Astres de la Terre, de la Mer, des Eaux, des Végétaux, des Animaux, des Minéraux et des Métaux... Tous les enfants fidèles de notre doctrine, mages, sages ou philosophes, à qui le Monde sert de livre, la Création d'écrit et les productions du Cosmos de caractères, se sont instruits en scrutant le livre de la Nature dans sa longueur, sa largeur et sa profondeur... Ils obtiennent une connaissance solide et parfaite, même pour ce qui est du monde matériel, bien loin d'emprunter le secours d'une fausse physique, parce qu'ils s'abreuvent à la fontaine limpide de la philosophie, travaillant et priant tour à tour... Nous-même, si nous n'accroissons pas le trésor de la divine lumière dans la nature, nous ne pouvons pas raisonner d'une manière juste et orthodoxe du monde physique et philosophique, ni bien vivre, ni bien mourir... »

    ... Si nous ne raisonnons point d'une manière Juste, nous ne pouvons ni bien vivre ni bien mourir... Parole profonde qui découvre l'unité de la pensée et de la vie, de la théorie et de la pratique et qui étend l'empire de la méthode naturelle bien au delà de la physico-chimie, à tous les arts, à toutes les connaissances humaines... L'homme s'égare seulement parce qu'il forge des systèmes sans base, des abstractions creuses, des morales illusoires et qu'il devient esclave de ses logomachies ou de ses rêves orgueilleux. Cependant, la vérité est gravée en lettres d'or sur son front comme sur le moindre grain de sable, offerte à qui sait lire ; le bon sens est à la base des connaissances les plus transcendantes et les simples en esprit savent le sentier qui conduit au Royaume secret où l'homme-esprit dirige et gouverne l'homme-animal. De la rectitude des vies individuelles découlent la vertu et l'affection dans les familles ; sur la sainteté de la famille repose l'ordre social et la paix des peuples...

    Ami lointain, souviens-toi encore des paroles d'un frère aîné, qui est très simple et qui est très bon : « Il t'a dit que si jamais tu t'égares dans le palais des illusions, le salut sera pour toi dans le retour à la Terre, à la Terre qui est ta mère, à la Terre qui te nourrit et qui te porte comme un fruit dont les acides mûrissent lentement sous la chaude caresse du soleil divin » (1)

Octobre 1922.

1) Dr Marc HAVEN, Le Retour à la Terre, Psyché, mai 1913.