LES ARCANES MAJEURS DU TAROT



    L'objet de la présente étude est d'attirer l'attention du lecteur sur quelques ressemblances singulières qu’on peut relever entre les arcanes majeurs du Tarot et les symboles de l'Astrologie, tels que nous les connaissons sous le voile des mythes gréco-latins.

    Il ne s'agit point d'un essai d'interprétation des arcanes majeurs ; l'incertitude règne encore sur les origines du Tarot, sur les traits essentiels de ce monument, sur la signification de ses allégories et ce triple problème est trop ardu pour que nous osions en proposer une solution. Mais nous formons le vœu qu'il attire davantage l'attention des érudits et des archéologues. Les patients travaux de ceux-ci pourraient délimiter peu à peu les contours de la question, en préciser les termes et projeter quelques rayons de lumière à travers les nuages qui l'enveloppent.

I

    Les exemplaires du Tarot que nous connaissons remontent au XVe siècle environ ; les personnages qu'ils représentent portent des costumes Renaissance. Un document positif prouve que ce jeu était connu en France dès 1392 : c'est un compte de l'argentier Poupart qui mentionne trois jeux de Tarots enluminés par jacquemin Gringonneur pour le divertissement du roi Charles VI (1). Merlin croit que ces images étaient imitées d'un modèle antérieur, probablement italien. Toujours est-il qu'on ne peut retrouver aucune trace certaine de l'existence des tarots antérieurement aux figures naïves que dessinaient les imagiers du moyen âge (2).

    Les allégories figurées sur ces cartes remontent elles à une plus haute antiquité et d'où peuvent-elles venir ? Si l'on en croit l'opinion commune, elles auraient une lointaine origine ; mais les hypothèses formées à l'appui de cette idée diffèrent sensiblement entre elles et reposent sur des raisonnements par induction trop peu démonstratifs pour que l'une d'entre elles paraisse nettement préférable aux autres.

    Le célèbre érudit Court de Gébelin déclare sans hésiter que le Tarot est égyptien. Les vingt-deux cartes, dit-il, se ramènent à vingt-et-une, puisque « le Fou » compte dans le jeu pour zéro. Or, vingt-et-un est un multiple de sept et nous savons que les Egyptiens vénéraient particulièrement le nombre sept. L'argument n'est point de ceux qui emportent la conviction et le lecteur demeure sceptique également lorsque Court de Gébelin déclare reconnaître dans les arcanes majeurs Isis et Osiris, Typhon, le grand hiérophante et autres symboles égyptiens. La conviction du savant Court de Gébelin paraît plus intuitive que raisonnée ; elle repose au fond sur l'idée que le Tarot devant être un livre initiatique et devant renfermer de profonds enseignements, seul un peuple de sages et d'initiés comme celui d'Egypte a pu le concevoir (3).

    Le tireur de cartes Etteila, qui vivait au XVIIIe siècle, a renchéri sur l'idée de Court de Gébelin en appelant le Tarot « le livre de Thoth » et cette dénomination eut quelque succès.

    Eliphas Lévi, le rénovateur de l'occultisme, affirme non moins catégoriquement que le Tarot est d'origine hébraïque. Les prêtres hébreux avaient coutume de consulter le sort ou la divinité au moyen de lames gravées de caractères symboliques qu'on appelait les Teraphim. Lorsque le souverain sacerdoce cessa en Israël, un sage, désireux de conserver ces mystères tout en les dérobant aux profanes, aurait gravé sur des cartes des allégories correspondant aux symboles des Teraphim(4).

    Entre ces opinions extrêmes se placent les doctrines plus éclectiques de Papus et du Docteur Fugairon.
    Papus enseigne que le Tarot vient de l'Inde, qu'il a été apporté dans l'Europe occidentale par les Bohémiens qui ne seraient qu'une tribu, dissidente émigrée ou expulsée de l'Inde. L'Inde aurait reçu elle-même ce monument de l'Egypte, ce qui nous ramène à la théorie de Court de Gébelin. D'autre part, les analogies du Tarot avec la Kabbale que signale E.Lévi s'expliqueraient par les origines égyptiennes de la Kabbale (5). La plupart des occultistes modernes ont adopté l'explication de Papus.

    Pour le Docteur Fugairon, le Tarot serait un livre initiatique persan et les mages de Perse en auraient trouvé les symboles dans les doctrines de la Chaldée combinées avec celles de l'Egypte. Transmis par les Mages aux Hébreux, le Tarot aurait reçu en Palestine des influences de la Kabbale, puis il aurait été surchargé d'allégories gréco-latins par les juifs d'Alexandrie avant de pénétrer en France, en Italie et en Espagne (6).

    Nous mentionnerons enfin l'opinion d’un auteur moderne qui étudia pendant plus de vingt ans la symbolique en général et celle du Tarot plus spécialement. Oswald Wirth déclare qu'il est impossible de remonter avec quelque précision dans l'histoire du Tarot au delà des documents du XIVe siècle, que les origines égyptiennes ou orientales de ce monument ne sont rien moins que prouvées et enfin que, si le Tarot offre une valeur symbolique, c'est le résultat d'une lente adaptation des types créés par les imagiers du moyen âge, d'une sorte de divination due à l'âme collective des foules (7).

    Il est fort probable que les imagiers du moyen âge se sont inspirés de modèles plus anciens, mais en les adaptant à leur époque de telle sorte que rien ne permet d'en déceler l'origine. Certaines cartes du Tarot expriment des idées nettement chrétiennes, comme «le Pape » et « la Résurrection des morts ». Peut-être est-ce la figure nouvelle d'un symbole païen, mais on ne peut dire duquel a priori. Les costumes sont de l'époque Renaissance et nous croyons que les interprètes qui ont voulu reconnaître un ibis dans l'oiseau grossièrement dessiné sur, la carte 17 (les Etoiles) pour conclure à l’origine égyptienne du Tarot, ont été victimes de leur imagination.

    Le rapprochement du Tarot avec d'autres monuments de l'antiquité pourrait nous éclairer si nous possédions des éléments de comparaison, mais il semble bien que ceux-ci soient rares ou fassent défaut. Suivant Court de Gébelin (8), il existerait un Tarot chinois. Vaillant (9) et Papus (10) en ont également parlé, mais sans le décrire. Ce Tarot se compose non de figures allégoriques, mais de caractères gravés sur des lames. Que signifient ces caractères ? Il serait intéressant de le savoir. Quant au nombre des lames, il est de 77, alors que nos Tarots occidentaux comptent 22 arcanes majeurs et 56 mineurs, soit 78 lames.

    Le Dictionnaire de l'Art et de la Curiosité(11) reproduit onze figures d'un Tarot persan dont les lames en ivoire portent gravés des turbans, des sabres des casques, des couronnes et des cartouches avec des inscriptions. Le Tarot compterait cinquante cartes. Il ne paraît pas avoir fait l'objet d'études des spécialistes.

    L'étymologie du mot «Tarot » n'a pas fourni aux chercheurs un fil d'Ariane qui leur permît de sortir du labyrinthe. Court de Gébelin la trouve dans deux racines égyptiennes qui seraient Tar, chemin et Ro ou Ros, royal : le chemin royal. Vaillant rapproche le mot de l'Astaroth hébreu ou de l'Ottara indien, qui désigne la Grande Ourse.

    Eliphpas Lévi lit « kabbalistiquement » Tarot dans le monogramme du Christ formé d'un X et d'un P grecs enlacés entre l’A et l'O. D'autres auteurs prétendent qu'on appelait autrefois tares les points gravés sur les cartes (12).

II

    La figure du monument que nous examinons est-elle au moins bien définie ? Il semble que oui. Nous connaissons les différences plus ou moins grandes qui séparent le Tarot de Court de Gébelin, le Tarot de Marseille, les Tarots italiens et les Tarots allemands.

    Elles ne portent ni sur le nombre des cartes, ni sur leur dessin essentiel. Ces différents Tarots sont évidemment des copies d'un modèle primitif.

    Mais quel est ce modèle primitif et quel degré d'authenticité peut-on lui accorder ? Les recherches faites par Merlin sur les jeux italiens qui auraient inspiré les imagiers français donnent un singulier intérêt à cette question, parce que le nombre et les symboles des cartes italiennes ne coïncident pas avec ceux des cartes du Tarot classique (13).

    Dans le Tarotchino de Bologne, on compte 62 cartes dont 22 arcanes majeurs ou Tarots qui correspondent a ceux que nous connaissons.

    Le jeu vénitien a 78 cartes, y compris les 22 Tarots classiques. Mais les Minchiate de Florence comptent 97 cartes dont 41 Tarots. Ceux-ci reproduisent les 22 symboles connus, avec quelques variantes, en y ajoutant les 4 vertus théologales, les 4 éléments et les 12 signes du Zodiaque. Enfin le jeu dit « jeu philosophique de Mantegna » ou. « cartes de Baldini » compte 50 Tarots rangés en cinq séries de 10 et se rapportant respectivement aux états de la vie, aux Muses et aux arts, aux sciences, aux vertus et au système du monde.

    Il semble que les imagiers primitifs aient choisi lentement parmi les allégories multiples celles qui pouvaient le mieux convenir au Tarot, soit qu'on envisageât celui-ci comme un jeu de cartes, soit qu'on en fît un instrument de divination, et qu'ils aient déterminé le type actuel par une série de tâtonnements et de retouches.

    Ces tâtonnements ont produit des variations du dessin parfois considérables. Eliphas Lévi cite des Tarots, qu'à la vérité nous ne connaissons pas, dans lesquels la carte 19, au lieu de figurer un soleil et deux enfants, représenterait soit une fileuse, soit un enfant monté sur un cheval blanc et déployant un étendard écarlate. Dans des limites plus restreintes, les modifications apportées aux détails d'une figure peuvent en modifier le sens allégorique. Nous prendrons comme exemple la carte 12, dite le « Pendu ».

    Le Tarot de Marseille orne la tête du pendu d'une chevelure rayonnante, qui fait penser aussitôt à Apollon, et appuie sa potence sur deux arbres ayant chacun six branches coupées. Cela peut signifier le soleil au solstice d'hiver, au douzième mois de l'année. La même figure devient l'image d'un supplicié quelconque dans les Tarots italiens, parce que la chevelure est lissée et que les arbres sont remplacés par des poteaux droits.

    A ces variantes qui paraissent résulter simplement d'un, travail peu soigneux du copiste, viennent s’ajouter les variantes voulues et systématiques de certains interprètes ; ici nous entrons dans le domaine de la fantaisie. Rappelons comment Court de Gébelin se trouvant embarrassé pour expliquer «le Pendu », n'imagina rien de plus simple que de retourner la carte, et de remettre le pendu sur ses pieds, ou plutôt sur un pied, l'autre demeurant en l'air. Cet artifice innocent lui permit de déclarer que «l'homme pendu par le pied » était en réalité « l'homme au pied suspendu », homo pede suspenso, symbole de la prudence.

    Oswald Wirth a dessiné un Tarot remarquable comme exécution, mais corrigé de manière à illustrer les interprétations d'Eliphas Lévi. Par exemple, le Bateleur de la carte I doit avoir en main la baguette magique, et, sur la table, des deniers, une coupe et une épée, pour satisfaire au symbolisme du Tétragramme. Aucun de ces accessoires ne figure sur les Tarots classiques qui représentent au contraire très nettement un matériel de jongleur et d'escamoteur : dés, gobelets, noix, couteaux, etc... Le chapeau du Bateleur, qui est un chapeau quelconque, est contourné de manière à dessiner le signe algébrique 8 (horizontale) qui représente l'infini. Ce signe était-il connu au XIVe siècle avec cette signification ?

    Papus est allé plus loin dans le domaine de l'imagination en dessinant un Tarot égyptien, avec des croix ansées, des scarabées des éperviers, des coiffures à cornes, etc., qui aurait fait le bonheur de Court de Gébelin. On doit lui reconnaître comme mérite artistique que certains corps de femme, notamment à la carte 17, sont d'un joli dessin.

    Il existe aussi un Tarot d'Etteila, un Tarot de Mlle Lenormand, etc.
    A côté des points d'interrogation que soulève le dessin des cartes, il en est d'autres qui ont trait à leur numérotage et à la légende qui les accompagne.

    Le numérotage des cartes est-il invariable ? Court de Gébelin s'est demandé déjà s'il ne fallait pas renverser l'ordre numéral habituel. Les anciens Tarots de Bologne ou Venise placent « le Fou » avant le Bateleur, avec le numéro 0, tandis que nous lui assignons d'ordinaire le vingt et unième rang. Le Tarotchino de Bologne bouleverse l'ordre réputé classique en mettant la Tempérance au n° 8, la justice au n° 9, la Force au n° 10, la Roue de Fortune au n° 11, le Vieillard au n° 12, le Pendu au n° 13 la Mort au n° 14, le Monde au n° 20, et la Résurrection au n° 21.

    Personne ne sait pourquoi les cartes sont numérotées dans un ordre plutôt que dans un autre, si cet ordre est arbitraire ou s'il constitue une série. Il ne se rapporte en tout cas ni aux règles du jeu de cartes, ni à la divination par le Tarot.

    Les légendes des cartes varient peu. On voit cepandant apparaître dans les Minchiate de Florence l'empereur d'Orient et l'Empereur d'Occident à la place de l'Empereur et de l’impératrice (n°s 3 et 4). Le Monde (n° 22) devient la Renommée. La légende si incompréhensibe de la Maison-Dieu (n° 16) est remplacée par la Foudre dans le Tarotchino, de Bologne.

    Toutes les légendes paraissent modernes ; A supposer que les dessins allégoriques du Tarot aient une origine lointaine, les imagiers les ont habillés de vocables ainsi que de costumes empruntés à leur époque. Le Bateleur et le Fou de Cour sont des personnages Renaissance. Le Pape et le Diable, le Jugement et l'Ermite supposent des croyances catholiques. Mais ces vocables ne sont que des traductions. Court de Gébelin rappelle quelques appellations traditionnelles des cartes qui ont une physionomie nettement orientale : le Mat pour le Fou ou le Pagad pour le Bateleur. Les autres sont vraisemblablement perdues.

III

    Quelle est la symbolique du Tarot ? Ses allégories ont-elles des sens divers, sans cohésion ni suite, ou se rapportent-elles toutes à un même ordre de vérités, contiennent-elles un enseignement, forment-elles un livre secret aux feuillets mobiles ? Court de Gébelin et Etteila ont interprété ces symboles au hasard de leur imagination, sans aucune préoccupation systématique. Mais à partir d'Eliphas Lévi prévalut une autre conception qui eut un succès énorme et devint classique chez tous les occultistes modernes. Les 22 lames du Tarot seraient la représentation symbolique du sens secret des 22 lettres de l'alphabet hébreu. On retrouverait dans le livre de Thot les mystères de l'hiéroglyphisme primitif et, en combinant suivant des règles fixes les 22 lames, on développerait tous les arcanes de la science kabbalistique.

    Une fois admis le système d'interprétation d'Eliphas Lévi, tous les auteurs se sont bornés à des développements et des commentaires de l'idée essentielle. Certains établissent des correspondances avec les dix Sephiroth. Barlet met en parallèle le Tarot et le Nuctéméron et s'en sert pour décrire les phases de l'initiation (14). Papus enfin s'efforce de trouver la clef même de ce symbolisme dans le fameux tétragramme qui contient les lois du mouvement quaternaire, de la génération des nombres, des idées et des formes et il construit un édifice aux proportions rigoureuses, aux perspectives géométriques où l'application d'une seule loi arithmétique donnerait la clef de tous les arcanes du Tarot, tant majeurs que mineurs.

    Nous ne saurions entreprendre ici ni la critique, ni même l'examen détaillé de ce système d'interprétation qui nous a valu des travaux remarquables dus à des penseurs de haute valeur. Cela exigerait un long et minutieux travail, travail qui n'a jamais été fait. L'idée d'Eliphas Lévi a paru si simple et si belle aux chercheurs qu'ils l'ont adoptée d'enthousiasme sans songer à exiger des preuves solides de ses assertions. Or, il est facile, dans les études de symbolique, de forcer et de déformer le sens d'une allégorie ou d’un hiéroglyphe au point de se laisser guider inconsciemment par une idée préconçue.

    Nous nous bornons ici à prétendre que l’interprétation classique du Tarot n’est point une chose dont l'exactitude soit certaine. Elle peut être vraie, elle peut être fausse, elle peut être erronée pour partie. Encore vaudrait-il la peine que la question fût étudiée de près et que les disciples ne se bornassent point à invoquer l’autorité du maître pour lever tous les doutes.

    Le point délicat de toute la théorie est de déterminer exactement le sens hiéroglyphique des vingt-deux lettres de l'alphabet hébreu pour savoir si les images du Tarot sont en rapport avec elles. Nous craignons fort que beaucoup des partisans du système que nous examinons n'aient attribué aux vingt-deux lettres un sens purement fictif et imaginatif, choisi de telle sorte qu'il coïncidât avec le dessin correspondant.

    Où trouver l'autorité qui déterminera ce sens hiéroglyphique ? On songe tout de suite au livre fondamental de la Kabbale qui traite du mystère des vingt-deux lettres, au Sepher Jesirah. De ce côté, la déception est complète. Il n'y a aucun rapport possible entre les correspondances que le Sepher Jesirah donne aux lettres hébraïques et les figures mystérieuses du Tarot. Par exemple la lettre Aleph symbolise l'atmosphère ou la poitrine de l'homme : la carte correspondante serait le Bateleur. La lettre Vau symbolise la tête, l'ouïe et la surdité : la carte correspondante serait l'Amoureux, etc...

    Eliphas Lévi déclare donner le sens des lettres hébraïques tel que l'ont établi divers kabbalistes, mais sans dire lesquels. A chaque lettre correspondent, dans son travail, non pas une, mais six ou sept idées dérivées, parfois extrêmement dissemblables. Ainsi Aleph signifierait tout ensemble «l'Etre, l'esprit, l'homme ou Dieu, l'objet compréhensible, l'unité mère des nombres et la substance première». La lettre Quoph signifierait « les mixtes, la tête, le sommet, le prince du ciel ». On saisit à la vérité malaisément comment la carte dite le Soleil peut bien illustrer cet assemblage d'idées : l'analogie n'apparaît pas à l'esprit.

    Papus détermine l'hiéroglyphisme des 22 lettres d'après Fabre d'Olivet qui est un savant dont l’opinion peut faire autorité. Mais il prend soin, presque toujours, d'ajouter au sens indiqué par Fabre d'Olivet un second ou un troisième sens dérivés dont celui-ci ne fait aucune mention et qui lui permettent d'arriver au sens de la lame qu'il examine. Donnons quelques exemples de cette méthode.

    Lettre Beth, Fabre d'Olivet : « La bouche de l'homme, son habitation, son intérieur. » Papus : « La bouche, organe de la parole. Toute production émanée d'une retraite, enseignement, loi, gnose, kabbale. » Carte La Papesse.
    Lettre Dzaïn Fabre d'Olivet : « Javelot, trait, flèche. » Papus « Flèche, arme, instrument pour dominer et vaincre, victoire.» Carte Le Chariot.
    Lettre Heth, Fabre d'Olivet : « Champ, travail, effort. » Papus ajoute : «Pouvoir équilibrant, équilibre, justice. » Carte La Justice.
    Lettre Lamed, Fabre d'Olivet : « Le bras de l'homme, l’aile de l’oiseau, tout ce qui s'étend et se déploie. » Papus : « Expansion ; l'expansion divine dans l’hurannité se fait par la loi révélée. La loi entraîne le châtiment, d'où châtiment. » Carte Le Pendu.
    Lettre Mem, Fabre d'Olivet : « La Femme. Tout ce qui est fécond et formateur. » Papus ajoute que toute création nécessitant une destruction, le Mem peut symboliser la Mort. Carte La Mort.
    Lettre Quoph, Favre d'Olivet : « Arme tranchante. » Papus en tire l'idée d'existence matérielle et de Vie universelle. Carte Le Soleil.
    Lettre Schin, Fabre d'Olivet : « La partie de l'arc d'où s’élance la flèche ; c'est aussi le signe de la durée relative. » Papus rattache à ce sens celui « des satisfactions de la chair. » Carte Le Fou.

    Nous croyons que ce bref aperçu suffira pour nous justifier auprès du lecteur d'avoir émis quelques doutes sur la valeur des concordances du Tarot avec l'alphabet hébreu. N'est-ce pas suivre la fantaisie de l'imagination que de considérer l'image de la Mort comme le symbole de la fécondité ou d'établir un Approchement entre le Soleil et une arme tranchante ? La vérité est que certains rapprochements de lames et de lettres sont plausibles : Aleph, qui désigne l'homme, peut se rapporter au Bateleur ; Caph, qui désigne la main qui serre, peut se rapporter à la Force, tandis qu'entre d'autres lettres et d'autres lames on ne saurait découvrir aucun rapport, même lointain et indirect.

    Une autre considération encore mériterait d'attirer l'attention des chercheurs. On sait que la tradition des devins donne un certain sens à chaque carte du Tarot pour en déduire des oracles lorsqu’on combine les lames selon les règles de l'art. Ce sens a des chances d'être fort ancien, si le Tarot est vraiment un monument que l'antiquité nous a légué. Il se pourrait que ce sens fût, le sens véritable du dessin auquel il se rapporte. Or, il est intéressant de constater que la signification « divinatoire » des lames du Tarot diffère souvent de la signification classique et prétendue kabbalistique. Nous signalerons particulièrement le sens des lames suivantes (15) : Le Bateleur : Habileté, diplomatie, ruse. - L'Impératrice : Fécondité, génération. - L'Amoureux : Amour. - La Roue de fortune: Elévation. - La Tempérance : Métamorphose. - Le Diable : Force majeure.

IV

    En dehors de l'interprétation kabbalistique, on pouvait imaginer d'autres explications systématiques du Tarot. Une de celles qui devaient se présenter à l'esprit le plus naturellement en appréciant un monument réputé très ancien était l'interprétation astronomique, astrologique ou mythologique. Certains auteurs ont pensé que le Tarot pourrait être une espèce de calendrier, mais sans retrouver la clef de sa construction.

    Papus, dans la première édition de son ouvrage, signale l'analogie possible des arcanes Majeurs et du Zodiaque (16).
    Le Docteur Fugairon, dans une étude très nourrie et pleine d'érudition, s'efforce de retrouver sous les 22 arcanes les symboles des planètes et des signes du Zodiaque (17). Malheureusement, au lieu de se laisser guider dans cette recherche par l'analogie, le Docteur Fugairon part de l'idée préconçue de l'interprétation kabbalistique et veut s’appuyer sur elle. Il divise donc les 22 lettres en trois groupes : les 3 mères, les 7 doubles et les 12 simples. Les premières, dont il semble un peu embarrassé, auront un sens général ou philosophique. Les secondes représenteront les 7 planètes ; les troisièmes les 12 signes du Zodiaque. En établissant les correspondances des cartes et des lettres, on arrive à établir les significations suivantes :
   La Sagesse, la Lune ; l’impératrice, Vénus ; l'Empereur, Jupiter ; la Force, Mars ; le Jugement, Saturne ; les Etoiles, Mercure ; le Monde, le Soleil ; le Pape, le Bélier ; l'Amoureux, le Taureau ; le Chariot, les Gémeaux ; la Justice, le Cancer ; l'Ermite, le Lion ; la Roue de Fortune, la Vierge ; le Pendu, la Balance ; la tempérance, le Scorpion ; la Maison-Dieu, le Sagittaire ; le Diable, le Capricorne ; la Lune, le Verseau ; le Soleil, les Poissons.

    A part deux ou trois coïncidences frappantes (Empereur = Jupiter ; Diable = Capricorne), le tableau dressé par le Docteur Fugairon est entièrement arbitraire et il ne pouvait en être autrement puisqu'il part d'une base a priori. Pour rechercher si le Tarot possède un sens astrologique, il faut laisser de côté l'hypothèse kabbalistique et se laisser guider par la signification directe des figures.

V

    En jetant les yeux sur les vingt-deux arcanes du Tarot, après avoir fait abstraction du numérotage et des correspondances hiéroglyphiques habituellement admis, nous avons été frappés de constater que presque toutes les cartes offraient une analogie sensible et parfois extrêmement forte avec des symboles zodiacaux ou planétaires. Exposons ces ressemblances en commençant par les plus marquées.

    Deux cartes attirent d'abord l'attention : le Soleil et la Lune. La première représente très exactement le Soleil dans le signe des Gémeaux. Un soleil radieux surplombe et éclaire de ses rayons un groupe de deux jeunes enfants, nus, enlacés, de même taille et se ressemblant.

    La seconde désigne, non moins précisément, la Lune dans le signe du Cancer. Au bas du dessin se détache une écrevisse (ou Cancer), au milieu d'un ruisseau. Au-dessus figurent deux tours : symbole par lequel les Anciens désignaient les solstices, qui sont comme des bornes limitant la course du soleil (on sait que le signe du Cancer marque le solstice d'été). Près des tours, deux chiens. Court de Gébelin prétend que les Egyptiens symbolisaient les tropiques par des chiens ; à supposer vraie l'explication, ce serait un redoublement de l'idée exprimée par les tours. Au ciel brille la Lune, la Lune dont le domicile astrologique est précisément le signe du Cancer.

    Pour ces deux premières figures, le sens astrologique apparaît évident et il fournit une explication autrement nette que les correspondances des lettres hébraïques.

    Viennent ensuite sept cartes portant toutes un symbole zodiacal, qui constitue le détail, l'accessoire et non l'élément principal de la composition. Le signe est visible et reconnaissable, mais il n'est pas mis en évidence au premier plan. Ce sont :
    La Force, où figure un Lion dont une jeune fille ferme la mâchoire.
    Le Monde, représentant une Vierge nue qui court dans le cercle à quatre pôles de l'année (le signe de la Vierge marque le 6e mois ou le milieu de l'année).
    La justice, portant au poing une Balance.
    Le Feu du Ciel, qui correspondrait au Scorpion. Remarquons que le trait de foudre qui frappe la tour offre la forme du dard crochu qui termine et caractérise le signe du Scorpion. Remarquons aussi que le Scorpion, domicile de Mars nocturne, est un signe fatal qui signifie ruine et démolition. On peut même se demander si la carte ne déguiserait pas un jeu de mots, les Anciens appelant Scorpion certaines machines employées pour démolir les fortifications.
    L'Amoureux, représentant Cupidon sous les traits d'un Sagittaire qui s'apprête à fixer d'une flèche le cœur de l'amoureux.
    Le Diable, portant des cornes et orné de pieds de bouc qui représente exactement le Capricorne. Il tend deux chaînes, avec le concours de deux diablotins, pour marquer le Solstice d'hiver, comme les Tours de la Lune marquaient celui d'été.
    L'Etoile, qui représente une déesse couronnée d'étoiles épanchant sur la terre fleurie le contenu de son urne. On reconnaît en elle l'allégorie classique du Verseau qui répand sur terre les fluides de la vie et ranime la nature endormie.

    Trois cartes encore peuvent s'interpréter comme figurant des signes zodiacaux, mais l'analogie devient indirecte et vague.
    La Tempérance offre une ressemblance certaine avec le signe des Poissons. Ce dernier est figuré sur les zodiaques par deux poissons rapprochés, dont un lien réunit les têtes. Le signe astrologique n'est que l'hiéroglyphe de ce dessin. Les deux vases semblables et allongés que réunit un jet de liquide, tels que le dessinateur du Tarot les a placés dans les mains de l'Ange de la Tempérance, reproduisent un schéma semblable à celui des Poissons zodiacaux.

   La Roue de Fortune nous paraît désigner le Bélier, ou, mieux encore, l'équinoxe du printemps.
   Une roue est en équilibre sous l'action de deux êtres fantastiques dont l'un monte tandis que l'autre descend, symboles de la vie qui apparaît et de la vie qui disparaît, de la force créatrice et de la force destructrice ; c'est le point d'équilibre entre l'été et l'hiver, le moment de l'égalité des jours et des nuits. La roue symbolise l'année ou l'écliptique : elle a six rayons divisés chacun en deux parties. Un animal couronné, sceptre en main, occupe au sommet de la roue le point équilibré. Il est difficile de dire quel est cet animal dont la figure est grossière. Etteila à voulu Y voir un singe et E. Lévi un sphinx. On pourrait aussi bien, si ce n'est mieux, y voir un Bélier.

   Le Chariot serait le Taureau. Deux raisons militent en faveur de cette, interprétation. L'une est que des fleurs poussent sous le chariot du triomphateur, ce qui paraît indiquer qu'il s'agit d'un symbole du printemps (le Taureau correspond à Avril-Mai et est le domicile astrologique de Vénus).
    L'autre est que le jeune triomphateur porte dans son équipement un détail insolite et caractéristique, à savoir un croissant de lune sur chaque épaule : or, en astrologie, le signe du Taureau est le lieu d'exaltation de la Lune. Nous ferons a propos des animaux qui traînent le char, la même remarque que pour le Bélier : ils sont naïvement dessinés et ressemblent au moins autant à des bovidés qu'à des chevaux ; rien ne s'oppose à ce que ce soient des taureaux. Sur le devant du char figure un écusson que la plupart des interprètes du Tarot remplacent par un linghuam. Si cette version est fondée, elle renforce notre interprétation, le linghuam signe d'amour et de fécondation, étant un symbole de la Vénus terrestre qui a son domicile dans le signe du Taureau.

    Admettons pour un instant que les hypothèses que nous venons de formuler soient justes et que nous ayons retiré du Tarot douze cartes portant des symboles zodiacaux. Il nous reste dix cartes. Que peuvent-elles signifier ?

    Ces dix cartes offrent certaines analogies qui permettent, de les grouper deux par deux, en cinq paires, savoir :
    Le Pape et 1'Empereur. - La Papesse et l'Impératrice. Le Bateleur et le Fou. - L'Ermite et le Pendu. La Mort et la Résurrection.

    Rappelons-nous que deux des sept planètes, les deux luminaires, le Soleil et la Lune, sont déjà figurées dans les douze cartes zodiacales. Rappelons-nous également qu'en Astrologie, chacune des cinq autres planètes a deux domiciles, le diurne et le nocturne, et que l'influence de la planète diurne n'a pas les mêmes qualités que celles de la planète nocturne.

    L'idée se présente alors naturellement à l'esprit de chercher s'il existe un rapport entre les cinq planètes dans leurs dix domiciles et les dix cartes qui nous restent.

    Le Bateleur est un symbole de Mercure diurne, dieu de l'habileté, de la ruse, du commerce, de l'éloquence et protecteur des charlatans.
    Le Fou exprime l'influence mauvaise de Mercure nocturne qui fausse la raison et le cœur, qui fait les voleurs, les fous, les excentriques, les névrosés, etc.
    La Papesse représente la Vénus diurne ou Vénus-Uranie, déesse de la Science, de la Sagesse, de l'Amour idéal.
    L'Impératrice correspond à la Vénus nocturne ou Aphrodite, reine des hommes et des dieux par la puissance de l'Amour, créatrice des formes végétales et animales.
    La Résurrection et la Mort sont les deux aspects de Mars diurne et nocturne, animateur et destructeur. Astrologiquement, Mars est un feu. Ce feu vital descend sur terre au printemps (Bélier) et réveille toute vie endormie, fait sortir les morts de leurs tombeaux. A l’automne (scorpion), le feu vital retourne au ciel en détruisant violemment les formes créées : c’est la mort de la nature. Remarquons que les mains et les têtes fauchées par la Mort sur la carte 13 du Tarot semblent pousser hors de terre, ce qui peut indiquer qu'il s'agit de productions végétales.
    Le Pape et 1'Empereur, sont deux allégories de Jupiter diurne et de Jupiter nocturne, c'est-à-dire de la royauté spirituelle et de la royauté temporelle. La dernière ressemblance est si frappante que tous les interprètes du Tarot l'ont admise, de même que celle de Vénus-Uranie et celle de la Papesse.
    L'Ermite exprime les qualités habituellement reconnues à l'influence de Saturne diurne : la sagesse, la prudence, la religiosité, l'isolement. Peut-être même faut-il voir dans le manteau et la lanterne du saint homme une allusion au fait que Saturne diurne correspond au Verseau, sort au mois de janvier, où il fait froid et où les jours sont courts.
    Quant au Pendu, c'est une victime de Saturne nocturne, le grand maléfique qui menace les humains de catastrophes de mort, de supplices, de reversement des situations sociales. Mourir pendu est une fin saturnienne et mourir pendu la tête en bas est, si l’on peut dire, une fin deux fois saturnienne. Mais en outre du sens mythologique, l'allégorie du pendu a un sens astronomique fort précis. Qu’on veuille bien se rappeler que la maison nocturne de Saturne est le Capricorne qui correspond au solstice d'hiver, on saisira de suite que la principale victime de Saturne est le Soleil lui-même, arrivé sous son règne au point le plus bas de sa course, en quelque sorte renversé la tête en bas. Et on comprendra pourquoi le dessinateur du Tarot a donné au pendu la chevelure rayonnante de Phoebus et entouré son gibet de douze branches coupées.

VII

     Nous nous garderons de tirer une conclusion hâtive des rapprochements que nous avons signalés et qu'aucun auteur, à notre connaissance, n’avait encore relevés. Pour les discuter utilement et pour en faire la base d'un système d'interprétation, il faudrait élargir le problème en recherchant quelle est l'origine et la signification du symbolisme zodiacal et planétaire, question délicate et ardue qui a lassé déjà les efforts de grands penseurs. Ce n'est qu'en retrouvant la clef du symbolisme astrologique qu'on pourrait confronter utilement le Zodiaque et le Tarot, et si la confrontation aboutissait à dégager des rapports certains, alors seulement pourrait-on s’attaquer à cet autre problème : Existe-t-il des rapports entre les arcanes mineurs du Tarot et le calendrier ?

1920.

1) Voir Dictionnaire de l'Art et de la Curiosité, Paris, Didot. 1883, et O.WIRTH, Les Origines du Tarot, Voile d'Isis, 1912, P. 37. - Grande Encyclopédie, v. cartes.
2) MERLIN, Origine des cartes à jouer, Paris, 1869.
3) COURT DE GÉBELIN, Le Monde primitif, Paris, 1773-1783.
4) ELIPHAS LÉVI, Rituel de haute Magie, chap. XXII, Paris, 1861.
5) PAPUS, Le Tarot des Bohémiens, Paris, Ière édition, 1889 ; 2ème édition, s.d. (1912). On trouvera dans la Grande Encyclopédie, à l'article «Cartes » des arguments en faveur de l'origine hindoue du tarot.
6) Dr FUGAIRON, Interprétation des vingt-deux arcanes majeurs du Tarot, Initiation, 1894, vol. XXII, P. 30 ; et 1893, vol. XX,
P. 123.
7) Oswald WIRTH, Les Origines du Tarot, le Voile d'Isis, 1912, P. 37. Citons ici quelques lignes de cet article : Lorsque, quelques années avant la Révolution, Court de Gébelin crut découvrir dans un jeu de cartes un livre égyptien dont nul avant lui n'avait soupçonné l'illustre origine, il sacrifia inconsidérément à l'opinion alors courante selon laquelle tout ce qui présentait un caractère mystérieux ou symbolique était attribué sans hésitation aux anciens Sages de la vallée du Nil.
    «  Depuis, la haute antiquité du Tarot est devenue en quelque sorte un dogme parmi les occultistes, alors cependant que l'archéologie a fait assez de progrès pour que toute illusion à cet égard soit désormais interdite aux investigateurs sérieux... En réalité, les Tarots du moyen âge, dont les originaux sont conservés à la Bibliothèque Nationale, représentent ce que nous possédons de plus ancien en ce genre ».
8) Op. cit.
9) VAILLANT, Les Rômes. Histoire des Bohémiens (vers 1853).
10) Op. cit.
11) Loc. cit.
12) MARCUS DE VEZE, A propos d'un Tarot persan; Initiation, 1889, P. 264. - Grande Encyclopédie, Loc. cit.
13) Ces recherches sont reproduites dans l'ouvrage de PAPUS. La Grande Encyclopédie (au mot Cartes) contient aussi des documents très intéressants sur ce point.
14) BARLET. Initiation, l'Initiation, 1888, vol. I, p. i, et Le Tarot des Bohémiens, l'initiation, 1889, Vol. IV, P. 222.
15) Nous empruntons le sens divinatoire des lames à l'ouvrage de M. BOURGEAT, Le Tarot, Paris, 1913, tout en remarquant que M.Bourgeat est lui-même un partisan de la théorie. classique et qu'il cherche à baser toute l'interprétation du Tarot sur le système d'E.Lévi.
16) Op. cit., P. 253.
17) Op. cit., Initiation, Vol. XX, P. 123.