LES « TESTS » DE L'INTELLIGENCE




    Notre époque de science exacte qui se pique de tout peser, compter et mesurer, pour mieux connaître ce monde que Dieu a fait avec le poids, le nombre et la mesure, s’est avisée que les phénomènes de l'intelligence eux-mêmes pouvaient d'une certaine manière tomber sous le contrôle de l'expérience. C'est l'objet d'une branche nouvelle de la psychologie que l'on nomme du terme barbare de « technopsychologie » et qui consiste à déterminer un certain nombre d'expériences bien choisies, pour mettre en évidence chez l'enfant ou chez l'adulte les qualités de logique, de coup d’œil, d'intuition, de réflexion, de perspicacité que la nature lui a départies. Car, remarquons-le immédiatement, l'intelligence peut se développer et s'épanouir par l'exercice, mais aucune méthode ne permet de la créer là où elle n'existe pas : à sa naissance, l'homme est intelligent, médiocre ou sot, comme il est sanguin ou lymphatique, basse ou ténor. Ces épreuves sont ce qu'on appelle les tests de l'intelligence et des aptitudes individuelles : l'utilité pratique de la méthode est de deviner dès l'enfance quelle est la carrière qui conviendra le mieux aux dons naturels de l'individu et de dire si celui-ci aura plus de chances de succès comme peintre que comme aviateur ou comme mathématicien. Elle donne déjà des résultats extrêmement curieux et dignes d'intérêt (1).

    Parmi ces épreuves, les unes portent sur l'acuité des sens de la vision, de l'audition, etc... (Distinction des couleurs, analyse des odeurs). D’autres établissent les rapports encore peu connus qui existent entre le développement des sens et certaines facultés psychologiques. L'expérience montre, paraît-il, que la surdi-mutité empêche le vertige, mais fait perdre la notion de la ligne verticale : le sourd-muet peut faire un excellent alpiniste et risque de se noyer en se baignant, faute de distinguer quand il plonge ou émerge. Enfin, les plus délicates éprouvent le mécanisme de l'association des idées, la rapidité de la mémoire, le coup d’œil intellectuel. Dans une figure géométrique, le sujet devra distinguer combien il existe de lignes et d'angles ; on lui fera reproduire un modèle de pliage en papier, comme la célèbre cocotte chère aux écoliers ; on lui posera brusquement des questions simples, mais dont la solution exige du bon sens. Par exemple : de deux poulies de diamètre inégal, reliées par une courroie de transmission, laquelle tourne le plus vite ? Si dans une cuve d'eau pesant un kilog, je place un poisson de cent grammes, comment se fait-il que le poids de la cuve augmente puisque la bête flotte sur le liquide ? Ou bien, le mettant en présence d'une machine de lui inconnue, on lui demandera d'en comprendre le secret et d'en montrer la pièce essentielle. Les épreuves de ce genre peuvent être variées à infini. En les distribuant méthodiquement et en appréciant le résultat de chacune par une note, on peut arriver à dresser une sorte de tableau schématique des aptitudes et des inaptitudes du sujet : on a une mesure moyenne de ses facultés psychologiques et de son intelligence. La méthode est manifestement supérieure â celle des examens dont use et abuse dame Université, parce que l'examen met en jeu la mémoire et le « psittacisme » autant que l'intelligence, et parce que l'examen est préparé et non pas improvisé.

    La lecture de ces trouvailles récentes de la psychologie nous montre que rien n’est nouveau sous le soleil, si ce n'est les étiquettes que nous collons sur  les objets et il est amusant de voir naître cette méthode des tests à l'époque même où nos contemporains professent le plus grand mépris pour les  « tests » anciens, simples et familiers dans leur allure mais fort efficaces cependant dont se divertissaient  nos pères sous le nom de « jeux d'esprit ». Les jeunes gens d'il y a trente ans se passionnaient encore pour les charades, les logogriphes et les énigmes, cependant que leurs parents se piquaient d'exceller dans le noble jeu des échecs qui ouvre à l'esprit humain  une source de combinaisons pour ainsi dire infinies. N'a-t-on point remarqué que la plupart des grands généraux et des grands mathématiciens furent de  remarquables joueurs d'échecs ? Cela est un test qui en vaut bien un autre. Vous me direz, sans doute,  que rien n'est plus futile et plus puéril que ces amusements réserves aux oisifs qui ont le temps de savourer la quatrième page de leur journal. Est-ce bien sûr ? Un  diplomate qui fut longtemps attaché au service du « chiffre » au ministère des Affaires étrangères me disait un jour qu'aucun  système de cryptographie n'est proprement indéchiffrable pour un chercheur patient et exercé, mais  que l'intuition personnelle doit compléter ce que la recherche méthodique a d'insuffisant et que les plus étonnants déchiffreurs qu'il vit fonctionner dans son service étaient des hommes rompus dès leur jeunesse à résoudre les mots carrés et les devinettes des quatrièmes pages de journaux. Ce sont des individus dont le clavier cérébral possède quelques touches particulièrement sensibles. A l'appui de cette observation, je citerai un merveilleux déchiffreur de cryptogrammes de ma connaissance qui est en même temps un interprète capable de traduire quatorze langues différentes. Il a même accompli ce tour de force de déchiffrer des cryptogrammes écrits en une langue étrangère, sans savoir d'avance quelle était cette langue.

    Remontons plus haut encore dans le passé, car ce sujet enfantin et frivole incite aux réflexions profondes. Les sages et les prêtres des religions anciennes se plaisaient à écrire par allégories, symboles et hiéroglyphes, à la fois pour n'être pas compris des profanes et pour être sûrs que ceux-là seuls dont l'intelligence était assez aiguë pour retrouver la clef de leur langage mystérieux recevraient le dépôt sacré des vérités initiatiques. C'est pourquoi la préparation aux mystères demandait de longues études d'un caractère formaliste, fastidieux, sans utilité apparente. Celui qui voulait, en Israël, pénétrer les mystères de la science divine devait pâlir sur ces étranges et minutieuses combinaisons de lettres et de chiffres dont l'ensemble est appelé la Cabbale. L'hermétiste du moyen âge qui rêvait de connaître les mystères de la composition de la matière exerçait d'abord son esprit sur les énigmes abstruses, les symboles bizarres, les signes amphibologiques dont les maîtres parsemaient leurs écrits et qu'ils complétaient en ajoutant : « Que celui qui a l'intelligence comprenne ».

    N'est-ce pas une méthode admirable en vérité que cette méthode hiéroglyphique des Anciens qui, dans un même écrit, mettaient l'enseignement et le « test » permettant de choisir l'élève, digne de succéder au maître, à qui l'enseignement serait donné ? Et si cette prudence était contraire à la diffusion de l'instruction, de combien de dangers, dont nous éprouvons aujourd'hui la gravité, ne protégeait-elle pas la société ? Il n'y avait pas à redouter que la science, détournée de son but, devînt meurtrière. Il n'y avait pas à craindre que des ignorants frottés d'une apparence de science ne vinssent empoisonner l'esprit public par leurs sottises et leur vanité cupide...

    Les grands savants furent de grands déchiffreurs d'hiéroglyphes, qui auraient certainement obtenu des notes excellentes dans un laboratoire de technopsychologie : qu'on songe ici à Champollion et aux pionniers de la mystérieuse science du langage, aux Max Muller et autres...

    Les grands penseurs parmi les rénovateurs ou les dévoileurs de l'antique occultisme furent des déchiffreurs d'hiéroglyphes ; qu'on pense à Eliphas Lévi, à Saint-Yves, à Stanislas de Guaïta et au Dr Marc Haven...

    Je voudrais citer en modèle aux chercheurs curieux de vérité une petite plaquette parue en 1905 et intitulée : « Deux ex-libris maçonniques et cabalistiques » dont les auteurs sont M. Quenaidit et le Dr Marc Haven (2). Le déchiffrage d'un certain incompréhensible ex-libris, qui fut celui du baron de Hund, par le Dr Marc Haven, est une pure merveille de sagacité et d'ingéniosité intellectuelle.

    Croyons aux tests de l'intelligence. Et puisse venir un jour où la méthode généralisée permettra de discerner les vraies valeurs des nullités encombrantes et prétentieuses dont le verbiage emplit aujourd'hui le monde. Rêvons d'une société future où chacun serait à la place où il mérite d'être et où le respect de la loi de hiérarchie universelle ferait naître cette harmonie sociale dont le défaut nous est une si cruelle souffrance.

janvier 1924.

1) La méthode technopsychologique est notamment appliquée par deux psychologues distingués, MM. CLARAPÈDE et BOVET, à l’institut Rousseau, à Genève.

2) Saffroy, éditeur, le Pré-Saint-Gervais, extrait de la revue Le Vieux Papier, mars 1905.