CHAPITRE XLIII
 
QUE LA NATURE INCITE AU VICE. PAR QUOI LE VICE EST COMBATTU.
C'EST LA GRACE QUI LE DONNE.
 
La Nature corrompue entraîne aux vices. Mais la Loi antique avait coutume d'ordonner l'effusion du sang, pour (l'expiation) des péchés. Or, la prière intérieure et dévote, la contrition et la douleur véritable, une grande confiance en Dieu et son amour repoussent le péché, demandent et obtiennent la grâce, et font que l'homme peut toujours être uni à Dieu ; et cela la nature, les figures qui chez les Juifs précédèrent la réalité; et surtout l'Écriture tout entière nous l'enseignent.

Mais, comment la Nature nous incite au vice, on peut s'en rendre compte aisément, lorsque le Soleil entre avec Vénus dans le signe du Taureau. Le taureau est un animal immonde et naturellement plein d'audace.

Lorsque ces trois constellations s'unissent et règnent, ce qui a lieu en Avril, la température est chaude et humide ; et toutes les créatures se réjouissent de la venue prochaine de l'été ; la terre se couvre de verdure et de plantes multiples, les arbres, les fleurs et les feuilles s'épanouissent, les poissons nagent avec délices dans les ondes transparentes, les oiseaux voltigent dans l'air en chantant : toute la nature est dans la jubilation à l'avènement de l'été. Alors les hommes doués d'une bonne complexion, d'un tempérament chaud et plein de sève, sont aisément portés et enclins au vice.

C'est pourquoi Dieu ordonne aux Juifs, pour leurs péchés, de mettre à mort, de brûler et d'immoler à Dieu des taureaux ou des boeufs des boucs et des béliers, qui sont des animaux immondes.

Et la Sainte Église, qui tient la place de Dieu, nous ordonne de faire pénitence, à certaines époques de l'année, de jeûner, de veiller, de prier pendant quarante jours pour nos péchés passés, présents, et ceux que nous pourrons, hélas ! commettre dans l'avenir.
 (3 Reg 17.) Certes, Moïse jeûna pendant quarante jours sur la montagne du Sinaï, sans prendre aucun aliment, afin de se rendre digne de recevoir le Code divin.
 (4 Reg 1.) De même le prophète Elie jeûna autant de jours ; et, dans la suite il fut enlevé sur un char de feu, et transporté dans le paradis terrestre.

(Math 4. Luc. 4.) Enfin, notre Seigneur Jésus-Christ lui-même demeura à jeun dans le désert, pendant quarante jours et quarante nuits, pour nos péchés ; ensuite il choisit ses disciples ; et soit par son exemple, soit par sa parole, il les enseigna à s'adonner au jeune, à la prière et aux veilles ; à aimer la pauvreté, la sobriété, la chasteté.

Et après son ascension dans le ciel, c'est ainsi que vivaient et qu'enseignaient ses disciples et l'Église primitive ; et de même tous les ordres monastiques et religieux à leur origine.

Mais maintenant, le jour de grâce s'est éclipsé ; car ceux qui font profession dans tous les ordres monastiques et religieux, usent volontiers des mets et des breuvages les plus exquis et les plus coûteux ; et portent des vêtements de laine et de couleurs comme les séculiers, s'ils peuvent les obtenir ; et bien qu'ils affichent extérieurement des habitudes religieuses, bien rares sont ceux qui suivent la règle des Apôtres.

C'est pourquoi, la loi Évangélique ne rend nullement témoignage que (de pareils disciples) doivent suivre les Apôtres dans la gloire de l'éternelle béatitude.

En outre, la nature des cieux nous enseigne que l'étoile de Vénus, en même temps que le Soleil, hante le signe de la Balance, en Septembre.

Et à cette époque de l'année, le monde est opulent, riche de froment, de vin et de tous les fruits nécessaires à l'entretien de notre nature.

C'est l'amour de Dieu qui en est cause : Il mesure toutes choses et donne des biens infinis à ses serviteurs.  

CHAPITRE XLIV

DE LA QUADRUPLE BALANCE (OU MESURE) DE LA CHARITÉ DE DIEU, ET SPÉCIALEMENT DE LA PREMIÈRE.



La parfaite mesure même de la divine charité a quatre modes distincts, en lesquels le Dieu tout Puissant l'a partagée, sanctifiée, ordonnée, bénie pour sa gloire et notre salut.

Le premier mode ou la première mesure d'amour qui ait jamais été exercé et manifesté, nous enseigne comment Dieu nous a créés de rien, et s'est donné lui-même à nous avec tout ce qu'il avait fait.

(1 Jean. 4.) Cette charité, qui est Dieu lui-même, est commune à nous tous, et se donne spécialement tout entière à chacun de ses amants ; et elle-même est une, au-dessus et en dehors de tout nombre ; éternelle, au-dessus et en dehors du temps ; sans et en dehors de toute mesure ; elle est esprit très pur sans espace. Dieu nous a donné cette parfaite mesure de charité ; et en même temps tout ce qui est en sa puissance.

C'est pourquoi, il importe que nous abandonnions et que nous quittions toutes choses ; si nous voulons vaquer à cette mesure de l'amour suprême.

Car la charité est un fleuve abondant plus excellent que toutes les vertus ; c'est un incendie qui embrase tout ce qu'il touche.

Sa nature est de toujours donner et toujours recevoir ; mais elle-même, en elle-même, est l'essence oisive.

Donner et recevoir, dans l'exercice ou la manifestation de l'amour, sont éternellement distincts ; et c'est la suprême mesure de l'amour, que nul étranger ne peut ni connaître, ni sentir, ni imaginer.

 
CHAPITRE XLV

DE LA SECONDE MESURE DE LA CHARITÉ.
 

La seconde balance de la Charité pèse également toutes choses, et attribue à chacun ce qui lui est dû.

La charité de Dieu nous attribue la grâce, les vertus et le temps, et chacune de ces choses également partagée en deux parties. Que le lecteur examine comment la chose se passe :

La charité de Dieu se donne elle-même à nous avec sa grâce, et en retour elle exige nous-mêmes de nous, la vérité, ainsi que les vertus jointes à la rectitude d'intention et à la charité. Et lorsque nous correspondons avec lui de cette manière, il s'établit entre nous une certaine égalité de balance (mesure).

Car la Charité, dans son plateau, se met elle-même avec la grâce ; et nous, dans notre plateau, nous nous plaçons nous-mêmes avec nos vertus, jointes à la droiture d'intention et à l'amour ; et c'est ainsi que s'établit un certain équilibre.

Mais dans la même proportion que nos vertus et notre charité croissent (augmentent) dans le plateau que nous offrons à Dieu, également la grâce et la charité, que Dieu nous octroie, augmentent dans son plateau. De cette manière nos plateaux restent égaux et nous gardons toujours notre union avec Dieu dans la charité, ainsi que notre ressemblance avec lui par les vertus et la grâce.

La divine grâce nous divise également le temps en deux parties :

Car le soleil monte au milieu de l'hiver, et toujours s'élève de plus en plus dans les régions supérieures jusqu'au milieu de l'été qui est le milieu de l'année, époque où les jours augmentent et croissent, et les nuits diminuent sans cesse ; puis, de nouveau, le Soleil redescend jusque vers le milieu de l'hiver, dans le même signe où commence son ascension ; et c'est ainsi qu'évolue tout le cours de l'année.

De la même manière, l'homme pécheur vit toujours au milieu de l'hiver, à cause de sa méchanceté, de sa froideur, de sa sécheresse ; et parce qu'il ne produit aucun fruit de vertus.

Mais lorsqu'il se connaît, se repent, se soumet et s'humilie, croit et espère, cherche et attend la grâce et le pardon : alors le soleil de Justice se lève dans son coeur et l'embrase ; et c'est là, dans le temps, le premier jour de grâce. Et s'il s'élève avec le soleil de la grâce ; et s'il le suit dans la voie des vertus et des saints exercices : il arrivera bientôt au milieu de l'été ; c'est-à-dire, au point (suprême) où il adhérera à Dieu par amour sans crainte, et où il se libérera et se détachera de lui-même et de toutes les créatures : ce qui est le degré suprême dans l'ascension de la divine grâce.

Lorsque, par le Soleil de la grâce, dans une humble résignation de soi-même il en sera venu à la parfaite endurance ; et que tout ce que Dieu veut faire par lui ou les autres créatures lui paraîtra également bon étant préparé et résigné à tout, il trouvera en lui-même un fonds d'humilité et de mansuétude tel, que nulle douleur, nulle souffrance, qui est le lot de cette vie, ne pourra l'opprimer ou l'abattre : C'est alors (l'équilibre parfait de la balance), le juste milieu entre l'été et l'hiver : un tel homme jouit de la paix et de la quiétude du coeur et de la conscience ; et le Saint-Esprit habite et repose en lui, dans le fonds même de son humble résignation ; et lui-même en retour, par une amoureuse adhésion, dans le libre exercice de son culte et de son adoration, repose et habite dans le Saint-Esprit ; et de cette manière, s'établit un certain équilibre d'amour entre Dieu et lui-même.
 
  

CHAPITRE XLVI
DE LA TROISIÈME MESURE (BALANCE) DE CHARITÉ ; ET DE L'IMMENSE AMOUR DE DIEU ENVERS NOUS.


Suit la troisième balance d'amour, qui distribue toutes choses en trois parts, à savoir, le Temps, la Vie et la Substance, par quoi nous sommes (vivons) dans le temps.

Où il faut remarquer attentivement que Dieu nous a servis par lui-même dans le temps ; nous a aimés et honorés de trois manières.

Au commencement des temps, il a fait l'homme à son image et à sa ressemblance. Certes, si le service était grand, l'honneur l'était davantage, et la charité se montrait sans mesure.

Au milieu du temps, il est descendu lui-même du ciel dans notre nature ; il nous a servis et il a vécu pour nous ; il nous a instruits et aimés jusqu'à la mort de la croix ; il est mort par amour et sa mort a aboli notre mort du péché ; il est ressuscité dans sa gloire ; puis est monté vers son père, et il a envoyé son Saint-Esprit, qui vit et demeure en nous, et dans lequel nous sommes réformés et rénovés dans le temps de grâce : il nous a donné aussi et nous a laissé sa chair et son sang, comme nourriture et breuvage ; et si vraiment nous le servons, nous l'honorons, nous l'aimons, nous pourrons le goûter.

Il nous a promis enfin, selon la foi véritable, qu'il reviendra au dernier jour à la fin des siècles avec ses anges, dans une grande majesté ; et qu'il ressuscitera nos corps, qui doivent avec l'âme jouir d'une gloire éternelle ; qu'il nous conduira avec lui vers son Père ; et que là, avec le Père et le Fils, dans l'unité du Saint-Esprit, nous serons dans la jubilation, et nous régnerons pour l'éternité.

C'est la mesure de charité que nous avons reçue de Dieu, et que nous lui devons en retour selon l'étendue de nos forces.

Il nous a donné lui-même ce que nous sommes, ce que nous avons, ce que nous pouvons ; et également ce qu'il est lui-même, ce qu'il a, ce qu'il peut ; il nous a servis et honorés, et nous poursuit de son amour éternel ; et c'est la mesure de la charité qu'il nous a témoignée ; et il exige en retour, de nous, l'égalité (l'équivalent) de mesure, pourvu que notre vie lui soit agréable.

Et de même que le temps de l'année, qui produit pour nous les choses dont notre vie sensible est entretenue, il l'a partagé en trois parties ; de même sa grâce, par laquelle il nous rend puissants, nous enseigne, nous dirige et nous montre comment nous devons vivre dans la vertu : il nous la distribue de trois manières, comme notre vie vertueuse a trois modes par lesquels nous nous perfectionnons dans la vertu et la charité, et nous nous avançons vers la vie éternelle et bienheureuse. 


 
CHAPITRE XLVII

COMMENT, MÊME APRÈS LE PÉCHÉ, NOUS POUVONS RENTRER EN GRACE AVEC DIEU;
ET DE LA VIE INTÉRIEURE ET CONTEMPLATIVE.




Comment ces choses se passent, nous le montrerons par des exemples manifestes.

Au milieu de l'hiver, le soleil se réfléchissant vers les régions supérieures, le temps est froid, sec, stérile et infructueux.

Il en est ainsi de l'homme pécheur, qui vivant dans la froideur et l'aridité, ne porte pas des fruits de vertu. Que s'il finit ses jours sans la grâce, dans cet hiver rigoureux du péché, il sera puni des éternels supplices des damnés.

Etre l'esclave du péché, n'est pas seulement perdre le temps, mais c'est répudier la vie et embrasser la mort.

C'est pourquoi nous devons librement combattre le vice; et, aidés du secours divin, traverser l'hiver glacial du péché ; et de la sorte, dans l'été chaud (et vivifiant) de la divine grâce, nous pourrons produire, mûrir et porter des fruits de vie éternelle : ce que le cours du soleil et les diverses époques de l'année nous enseignent.

Lorsque en effet nous perdons, par le péché, la grâce qui nous a été octroyée dans le baptême, nous sommes alors menteurs et infidèles à Dieu.

Mais Dieu ne nous abandonne pas complètement, pourvu que nous recherchions et que nous souhaitions le pardon.

Car, au milieu de l'hiver de nos péchés, le temps de grâce commence de nouveau à courir, comme au milieu de l'hiver le Soleil revient vers les régions supérieures ; et quatre mois se passent jusqu'en Avril, avant qu'il puisse repousser et chasser complètement le froid de l'hiver ; ce qui signifie que nous devons aussi, avec le secours de la divine grâce, lutter et combattre contre le péché et les occasions du péché, les mauvaises habitudes et tout amour désordonné, la chair et le sang, les mauvais esprits, leurs tentations et leurs attaques.

Car tout ce qui est né de Dieu, comme dit St-Jean, vainc le monde : Quod natum ex Deo vincit mundum (1 jean. 5.) ; et non seulement le monde, mais tout ce qu'il contient, à savoir, la prospérité et l'adversité, et tout ce qui peut entraver la libre ascension intérieure et affectueuse vers Dieu, ou lui nuire en lui opposant de vaines images.

Car l'amour affectueux qui s'élève vers Dieu et (embrasse) toutes les vertus, peut aisément se comparer à l'ascension du Soleil, en Avril. De même, en effet, qu'alors le Soleil fait reverdir et fleurir toutes les plantes, et qu'il réjouit l'univers, en préparant toutes les créatures inférieures à produire chacune suivant sa nature, à la saison chaude qui va suivre, les fruits qui lui sont propres ainsi pareillement, si le sentiment affectueux est libre et noble, délivré et débarrassé de toutes créatures, fermé au monde et ouvert à Dieu et à ses dons, quand le Soleil de la grâce rayonne sur ce coeur ouvert et avide, dont les soupirs et les désirs se portent vers Dieu et toutes les vertus : alors toutes les facultés de l'âme s'épanouissent devant un nouvel attouchement de la divine grâce.

Car Dieu se montre lui-même à l'âme qui s'élève (vers lui), comme il est en sa nature, c'est-à-dire simple, exempt de forme et de manière, sans mesure, sans fond ; et ainsi il est l'objet de l'affection élevée de l'âme oisive, c'est-à-dire dégagée de tout lien terrestre.

Et, bien qu'il soit au-dessus de tous les noms, et qu'il soit sans nom et innommable selon sa nature : cependant un coeur qui aime ainsi, l'appelle de toutes sortes de noms, selon ses manifestations et ses oeuvres.

Car Dieu est à l'âme tout ce qu'elle désire, et beaucoup plus qu'elle ne peut désirer ; puisqu'il est pour tous et pour chacun, tout ce qu'ils désirent et tout ce qu'ils peuvent désirer.

Et enfin, il se montre à tous ceux qui le désirent lui-même, dans l'abondance de tous les dons.

Mais le coeur dévot et intérieur, élevé vers Dieu, est tout à la fois avare et libéral ; car il peut toujours donner et recevoir toutes choses :

En donnant, en effet, il atteint Dieu lui-même ; mais en recevant, c'est Dieu qui l'atteint ; et ces deux choses doivent augmenter et croître sans cesse, car elles constituent la vie intérieure studieuse des vertus ou douée de vertu.

Ce mutuel attouchement, ce contact de l'un et de l'autre fait la jubilation. Mais la jubilation se manifeste dans le coeur qui perçoit les dons de Dieu. Et de cette manière, tandis que l'affection libre et libérale rapporte toutes choses à Dieu, c'est là, certes une vie délicate et délicieuse quiconque l'éprouve et l'expérimente en soi, la comprend bien.

Ces deux choses, à savoir, ce don et cette acceptation mutuelle entre Dieu et nous, croissent en même temps dans la vie éternelle. Mais ceux qui ne servent Dieu que dans la seule nature, pour leur commodité et leur avantage personnel, ne peuvent rien connaître et rien goûter de Dieu ; car ils sont avares et rapaces, ils veulent toujours recevoir et acquérir de Dieu tout ce qui est désirable ; mais en retour, ils ne savent rien donner et rendre à Dieu.

Et cependant, nous voyons le Soleil prodiguer la chaleur et la lumière corporelle ; et la terre, manifester la vie et porter des fruits : Et c'est en cela-que consiste la vie naturelle.

Ainsi Dieu nous prodigue sa grâce, et nous, en retour, nous lui rendons tout ce que nous pouvons d'honneur, d'adoration, de vertu et de bonnes oeuvres : Et c'est en quoi consiste toute notre vie spirituelle.

Or, ce n'est pas là notre vie la plus sublime et la plus haute; et cela peut se comprendre aisément :

Lorsqu'en effet le Soleil tend vers les régions supérieures, avant qu'il parvienne au signe du Cancer, tous les fruits de la terre croissent et progressent ; mais cependant ils ne sont pas encore mûrs, ou parvenus au point de bonté où ils peuvent être utile aux usages des hommes. Mais tandis que le Soleil commence à rétrograder vers les cercles inférieurs, et pénètre dans le signe du Lion, il est beaucoup plus ardent ; et tous les fruits mûrissent et parviennent à l'état de perfection, qui les rend utiles aux usages de toutes les créatures.

De la même manière, lorsque quelqu'un s'est dégagé et délivré de toutes les créatures ; et que, avec toute la liberté de son affection, il s'élève très haut vers Dieu alors, le Soleil de la grâce envoie ses rayons et sa splendeur sur son affection libre et sublime ; et toutes les facultés de l'âme sont poussées et incitées par un certain attouchement, à faire cas de la grâce de Dieu, que perçoit l'amour.

De là provient l'impatience inapaisée et turbulente de l'amour ; de telle sorte que, tout ce qu'il donne ou reçoit de Dieu lui paraît peu de chose ; parce que, entre lui et Dieu, il sent un milieu et une différence ; à savoir, la grâce de Dieu sur laquelle il ne peut l'emporter.

Car, il s'aime avec Dieu ; et c'est pourquoi, son amour s'impatiente et s'embrase ; car il lui manque, soit dans le don, soit dans l'acceptation, ce qu'il désire.

Il dit donc avec l'Apôtre : Je veux me dissoudre et être avec le Christ : Cupio dissolvi et esse cum Christo. (Phil, 1. )

Alors, il parvient dans le signe du Cancer, c'est-à-dire le point suprême où, avec le Soleil de la divine grâce, on puisse atteindre dans ce degré.

Et, parce que entre soi et Dieu, il trouve une différence, mais qu'il aime et désire l'unité ou l'union (avec lui) : il est alors dans la justice, digne du sublime honneur, et de la grâce de Dieu dont il est doué.

Cependant il ne perçoit pas ce qu'il y a de suprême et de principal dans l'amour ; parce que, même encore, quelque chose de la volonté propre vit en lui.

Or, lorsque par la grâce il ne peut monter plus haut, il descend et dit avec le Christ : Seigneur que votre volonté non la mienne se fasse : Domine, non mea sed tua voluntas fiat (Mat. 26.) ; et c'est le point suprême de sa vie : de là, il rentre en lui-même et vaque avec la grâce de Dieu à ses exercices, comme il avait coutume de faire.

Mais, s'il laisse refroidir (son zèle), quant aux exercices (spirituels), il perd la grâce de Dieu, et tout ce qu'il pouvait obtenir par la grâce et les vertus.

D'ailleurs, si nous voulons percevoir ce que l'amour a de plus sublime, il faut que, par la grâce et l'affection, nous nous élevions avec toutes nos facultés aussi haut que nous le pouvons, c'est-à-dire jusqu'au signe du Cancer, où toutes nos facultés, à cause de l'ardeur et de l'impatience d'amour, sont défaillantes ; et que là, notre résignation et notre abnégation soient absolues, pour que le souverain esprit de charité progresse en nous ; et que nous disions avec le Christ notre Père céleste : Seigneur, je remets mon âme entre vos mains: Domine, in manus tuas commendo spiritum meum (Psau. 30. ) ; et alors, nous confiant à la puissance divine, à laquelle rien n'est impossible, c'est ainsi que nous parviendrons dans le signe du Lion, qui est le roi et le prince des fauves, et dont les dents sont si aiguisées qu'il dévore les os en même temps que la chair : c'est pourquoi on peut le comparer justement à l'amour divin qui absorbe, consume et brûle tous ceux qui parviennent en lui.

Or, tandis que, par la liberté de notre esprit, nous sommes élevés en Dieu au-delà de toutes les créatures, le Saint-Esprit envoie son éternelle splendeur, qui est lumière et feu : et notre esprit est comme l'huile bouillante et vitale, dans le foyer de la divine charité qui embrase et vivifie.

Mais tant que l'huile écume, pétille et bouillonne, il lui reste encore quelque dissimilitude. Et quand le feu a fait disparaître, par la cuisson et la crémation, toute dissemblance : alors l'huile est pure et plus que chaude, tranquille et immobile comme le feu.

Il en est ainsi de notre esprit que nous disons semblable au feu : on peut l'expérimenter aisément.

Quand, en effet, nous sommes élevés au-dessus de l'impatience de l'amour et de l'exercice des vertus, dans la pureté de notre esprit ou notre pur esprit : là, nous sommes libres de toute action ; et le Saint-Esprit répand son éternelle splendeur dans notre pur esprit; et là, nous sommes actifs et passifs ; car le Saint-Esprit est un feu consumant ( Heb. 15. ), qui absorbe en lui tout ce qu'il touche. Or, la chaleur est vive, où notre esprit s'embrase et subit (l'action) de la charité de Dieu ; et bien plus ardente dans la conflagration, lorsqu'il subit la transformation divine. Mais lorsque la conflagration est accomplie, et qu'il ne forme qu'un esprit avec Dieu : là, lui-même à sa manière propre est la charité oisive et essentielle ; et c'est la plus haute et la plus sublime mesure d'amour, que je puisse saisir dans les choses présentes.

 
CHAPITRE XLVIII
DES BIENS TEMPORAIRES QUI NOUS SONT ACCORDÉS PAR DIEU.
COMMENT NOUS DEVONS EN USER.

  En outre, Dieu nous a servis et honorés par les choses extérieures et les biens temporaires, qu'il nous a attribués et desquels nous vivons. Il les a divisés en trois espèces, à savoir, les fruits et les animaux de la terre, les variétés infinies de poissons dans les eaux, et les multiples espèces d'oiseaux dans les airs.

Et nous devons en retour le servir en raison de tous ces biens, et l'honorer de trois manières. D'abord nous offrirons sur son autel les décimes, les prémisses et les plus excellentes de nos facultés ; et cela, avec révérence et une extrême allégresse, pour l'usage des temples saints, leur ornementation, les vases sacrés qui servent au culte ; et aussi pour l'entretien des prêtres saints, qui portent nos péchés et servent d'intermédiaires entre Dieu et nous, par la sainteté de leur vie et leurs dévotes prières : C'est l'usage depuis le commencement du monde.

Quant à l'autre portion de la substance ou de nos facultés, nous en userons avec une grande crainte ; en observant la tempérance, la modération, la sobriété dans le boire et le manger, la modestie dans le vêtement et tout ce qui est nécessaire au corps.

Enfin nous distribuerons la troisième partie de nos biens, qui est celle des pauvres ; et nous le ferons librement et d'une âme gaie et libérale, selon le discernement de la droite raison. Car les pauvres sont les membres du Christ ; et c'est à ceux qui les auront servis, qu'au dernier jour s'adresseront ces paroles : Venez les bénis de mon Père, posséder le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Car ce que vous avez fait en mon nom au moindre de mes frères, vous l'avez fait à moi-même.

(Matth. 25.) Venite benedicti Patris me!, possidete paratum vobis regnum a constitutione mundi. Quod enim uni ex his fratribus meis minimis (in meo nomme) fecistis, mihi fecistis.
 
 

CHAPITRE XLIX

DE LA QUATRIÈME MESURE DE LA CHARITÉ.
COMMENT DIEU DISTRIBUE SA GRACE DE QUATRE MANIÈRES,
ET NOUS-MÈMES NOUS LE SERVONS PAR QUATRE MODES DE VERTUS.
CE QUE DOIT POSSÉDER LE PÉCHEUR POUR ENTRER EN GRACE AVEC DIEU.

Suit maintenant la quatrième mesure de la charité, qui est celle des préceptes divins, que nous ne pouvons ne pas observer, si nous voulons nous sauver. Dieu lui a donné quatre modes distincts, qui ensemble constituent la vie vertueuse, agréable à sa Majesté.

En effet, la nature des cieux subdivise le temps de l'année, que nous vivons, en quatre saisons distinctes, qui sont le Printemps, l'Été, l'Automne et l'Hiver, qui depuis le commencement du monde jusqu'au dernier jour se succèdent et se succéderont sans fin.

De même Dieu distribue sa grâce, au-dessus du temps et de la nature, de quatre manières, par lesquelles nous vivons en lui, et nous le servons jusqu'au jour de notre éternité.

Et nous enfin nous le servons par quatre modes de vertus qui ne doivent jamais cesser.

Mais cette servitude (de l'homme vis-à-vis de Dieu) nul ne peut s'y assujettir si ce n'est celui qui est humble et soumis.

Car les superbes et les désobéissants sont rejetés du ciel, du paradis et de la Sainte Eglise.

D'ailleurs, si l'orgueilleux ou l'insoumis veut rentrer en grâce avec Dieu, et obtenir miséricorde il faut qu'il soit doué de ces quatre dons (naturels) :

Le premier est la crainte naturelle de la justice de Dieu.

Le second est le mépris du péché et le désir de la vertu ; et celui de découvrir ses péchés à la vérité même qui est Dieu, et au prêtre qui tient la place de Dieu, selon l'institution de la Sainte Église.

Le troisième, la recherche et le désir avec avec l'humilité du coeur, devant la bonté éternelle de Dieu, du pardon et de la grâce.

Le quatrième, la confiance sans hésitation ni défiance, sans crainte servile ni une trop grande sollicitude, à l'inépuisable charité d'un Dieu très miséricordieux.

S'il éprouve ces sentiments, déjà l'hiver du péché fait place au printemps de la grâce ; et il lui sera permis d'exercer et de mettre en pratique le premier mode de vertu.

Ce premier mode consiste à aimer Dieu par dessus toutes choses, et soi-même pour Dieu, afin de le servir et de vivre en lui ; le prochain comme soi-même en vue du service de Dieu ; et cela de toutes manières véritablement et sans aucune dissimulation.

C'est là, le premier précepte et le premier mode d'obéissance que nous devons à Dieu ; c'est aussi, la première mesure d'amour qui puisse nous rendre heureux ; car, en ce précepte, se trouve toute la loi et les prophètes.

C'est pourquoi, c'est la première partie de l'année dans la nature, dans la grâce et dans les vertus. Car alors le Soleil, au milieu de l'hiver, commence à gagner les cercles supérieurs; et nous recevons alors le Soleil de la divine grâce, qui nous illumine et nous féconde pour que nous progressions en vertus.

Le soleil, en effet, ne peut jamais se reposer, mais lorsque finit l'hiver, une autre saison de l'année commence, qui est le printemps, pendant lequel tous les éléments sont fécondés ; et c'est en vérité le temps le plus doux et le plus agréable de l'année, également chaud, humide et bienfaisant, où les oiseaux chantent chacun à leur manière.

De même aussi la divine grâce est belle et délicieuse; et Dieu veut que nous lui soyons obéissants et soumis, principalement à cette époque printanière en laquelle (béni soit Dieu), le Christ Jésus, Notre Seigneur, a souffert la mort à cause de nos péchés, afin de nous en purifier.

Il nous a, en effet, rachetés par son sang très saint, et il veut nous garder en sa protection. Et c'est pourquoi, nous devons nous purger de tous les vices pour son honneur et ensuite, mener une vie vouée à la pénitence, aux jeûnes, aux veilles, à la répartition des aumônes; nous devons confesser et accuser nos péchés, nous conduire suivant le conseil du prêtre, obéir toujours à la Sainte Eglise en ce qui concerne les vertus et les bonnes oeuvres ; et ainsi il nous sera permis de recevoir le Sacrement adorable, et de marcher dans la voie de la sainteté.

La troisième saison de l'année est l'Eté. Lorsque le Soleil s'élève à son plus haut point, c'est-à-dire au milieu de l'Eté, qui est aussi le milieu de l'année : alors le temps est serein, lucide, chaud et sec. Les fruits croissent et arrivent à leur maturité.

L'Eté se compose de douze semaines dans sa première moitié le soleil tend à monter ; dans la seconde moitié il redescend vers les régions inférieures. Pendant son ascension, les fruits mûrissent et arrivent à leur perfection (en Orient) au soleil levant ; mais lorsqu'il s'incline vers les parties occidentales du monde que nous cultivons, les fruits acquièrent leur juste maturité :

Examinons le sens mystique qui se dégage pour nous de toutes ces figures.

Dans le troisième mode de la grâce et de la vie spirituelle, Dieu nous enseigne d'obéir à notre raison et à notre conscience.

Dès qu'en effet, par la grâce et notre vie vertueuse, nous nous sommes élevés aussi haut que le permettent nos facultés, dans la louange, l'action de grâce, l'amour et l'adoration : alors toutes nos forces ne peuvent plus ni augmenter ni progresser.

Car la mémoire s'est élevée dans la simplicité exempte de formes et d'images ; l'intelligence a été entraînée dans la divine vérité ; la volonté où la puissance amoureuse, par l'amour simple et essentiel, s'est inclinée et précipitée en Dieu.

Par la simplicité exempte d'images, nous sommes semblables aux Trônes qui l'emportent sur tout, par la splendeur nous ressemblons aux Chérubins qui ont reçu la lumineuse irradiation de Dieu ; par la charité essentielle qui se porte et s'incline vers Dieu, nous avons une ressemblance avec les Séraphins, qui sont unis à Dieu par l'amour simple (nu).

Et c'est le mode de la divine grâce et de la vie sainte, dans les exercices qui tendent vers les sommets ; et là, tous les fruits des vertus atteignent leur maturité et leur perfection, en Orient, c'est-à-dire quand s'élèvent l'adoration et le respect en présence de Dieu.

Car, le Soleil de la grâce et notre raison illuminée commandent à notre esprit, qu'à l'instar du Soleil, nous tendions en haut avec toutes nos puissances, toutes nos facultés, pour la gloire éternelle de Dieu, de telle sorte que, à tous les instants de la vie, à cause de l'ardeur de nos désirs par lesquels nous voulons nous unir à Dieu amoureusement, nos forces nous trahissent.

La même grâce et notre raison exigent et ordonnent que, comme le Soleil, nous descendions en nous-mêmes ; et que nous nous confiions et résignions à la libre volonté de Dieu, en supportant avec longanimité, sans choix ni préférence, qu'il vienne ou se retire, qu'il nous donne ou nous prive, et qu'il fasse avec nous, dans le temps et l'éternité, tout ce qui lui plaît.

Car dans l'ascension de l'amour, on peut s'arrêter à sa propre nature ; mais dans l'inclinaison contraire (mouvement descendant) nous nous résignons dans notre renoncement, en vue de la très libre volonté de Dieu ; et là, tout fruit de l'exercice d'amour atteint sa perfection et sa maturité ; et la balance entre nous et Dieu a ses deux plateaux égaux ; et nous, par ce double mouvement ascendant et descendant dans la véritable charité, nous découvrons la paix en Dieu et Dieu en nous.

Vient ensuite la quatrième saison de l'année, l'automne, qui tient le milieu entre l'été et l'hiver. Il est d'une nature assez tempérée, modérément chaud et froid, humide et sec ; il abonde en toutes sortes de fruits ; et il est envers toutes les créatures, à savoir, les hommes, les oiseaux et tout ce qui vit sur la terre, libéral, généreux et bon ; et de la même manière qu'il lui a été donné à lui-même par Dieu, les Planètes le Soleil et la Lune, lui-même distribue et prodigue en commun aux riches et aux pauvres et à tous ceux qui ont besoin.

Mais les riches avares usurpent plus qu'il ne faut pour soi des biens communs à tous.

II a été dit plus haut, dans la troisième mesure d'amour, comment les biens temporels doivent être distribués en trois parts.

Nous poursuivons ici les autres règles des vertus.