CHAPITRE VIII

CE QU'EST LA VÉRITABLE CONTEMPLATION
 

  La Contemplation est une connaissance, une science exempte de mode (manière) ou borne toujours supérieure à la raison ; et qui elle-même ne peut descendre dans la raison ; comme la raison s'élever au-dessus d'elle.
 

  L'illumination sans borne est le miroir très pur, où brille la splendeur éternelle de Dieu. Ce qui est sans mode n'a pas de mesure ; et en cela même tous les actes de la raison défaillent. Cependant, ce sans mesure n'est pas Dieu, mais c'est la lumière par laquelle nous contemplons ceux qui évoluent dans ce (miroir) sans borne, dans cette lumière divine, aperçoivent en eux une immensité. Mais quoique cet incommensurable soit supérieur à la raison, il n'est pas en dehors de la raison, et contemple toutes ces choses mêmes sans admiration ; car l'admiration est au-dessous de lui ; et la Vie contemplative est exempte d'admiration. Cet incommensurable est la vision de quelque chose ; mais ce que c'est, il l'ignore ; puisque ce qu'il voit l'emporte sur toutes choses ; et que ce n'est ni ceci ni cela.
 

  Mais pour décrire les clartés de la contemplation, il faut me servir du rythme suave et doux. :

 

    " Que vois-je, DIEU d'amour ? nul ne saurait le dire !
    Les mots n'ont pas de sens qui peignent ta splendeur.
    Mon impuissante lyre,
    En épelant ton nom, se brise dans un pleur.

    Les chérubins ailés, dans 1eur forme subtile,
    Peuvent en traits de feu s'élancer jusqu'à toi :
    Pour te glorifier, leur langage docile
    Leur prête des accents et des actes de foi.

    Mais l'homme, ce fêtu de paille si fragile,
    Ne saurait t'exalter en ton immensité :
    S'il te trouve parfois, dans sa forme débile,
    Il se pâme d'amour en face ta beauté ".

CHAPITRE IX

QUE DOIT ÊTRE CELUI QUI VEUT EXPÉRIMENTER
EN SOI LA VRAIE CONTEMPLATION ;
ET DE QUELQUES BIENFAITS INSIGNES DE DIEU A NOTRE ÉGARD.
 

     Quiconque veut vivre lui-même la vie contemplative, doit, au-dessus de la vie sensible, pénétrer en lui-même, dans la partie suprême de son homme intérieur et, décoré de toutes les vertus dont nous avons déjà parlé, il doit sans cesse avoir pour Dieu un culte de louange, d'action de grâce, de respect et de vénération ; effaçant de son imagination, de sa mémoire nue et vide toutes les figures, toutes les formes des choses sensibles :

         " Pour que cette splendeur illumine son âme.
         Dieu seul doit la remplirde son amour de flamme,
         Puisque cette lumière elle-même est amour..."
        Il doit avoir l' intelligence ouverte à la vérité divine, en s'élevant vers elle par l'amour ; son Esprit doit être la démonstration, la révélation ou le miroir vivant de Dieu, dans lequel il reproduise l'éternelle ressemblance divine.

  Alors, se montre, se manifeste une lumière intellectuelle qui ne peut être saisie ni par le sens, ni par la raison, ni par la nature, ni par la réflexoin subtile. Mais cette même lumière nous donne la liberté et la confiance en Dieu ; et elle est plus excellente et plus sublime que toutes les choses naturelles créées par Dieu ; car elle est la perfection de la nature ; elle est au-dessus de la nature ; elle (est) le moyen (la voie) lumineuse entre Dieu et nous. Or notre esprit, nu et vide d'images, est le vivant miroir où resplendit cette lumière, qui exige de nous soit la ressemblance, soit l'unité avec Dieu. Et, dans ce miroir vivant denotre esprit, Dieu vit en nous avec sa grâce ; et nous, noirs vivons en Dieu, par les vertus et les bonnes oeuvres. Et, dans ce miroir vivant, nous obtenons aussi une ressernblance de notre exemplaire, qui est Dieu ; puisque notre vie est ressemblante et conforme à l'éternelle providence de Dieu ou à la prédestination. Mais cette lumière se manifeste (coule) au dehors par la similitude (divine) ; et entraîne, au dedans, dans l'unité ce que nous éprouvons, en vérité, au-dessus de la raison dans notre intelligence nue et intérieure (agissant au dedans), lorsque la vérité de Dieu parle dans notre esprit en cette manière : Regarde-moi comme je te regarde moi-même ; connais-moi comme je te connais moi-même, aime moi comme je t'aime ; jouis de moi comme je me délecte de toi ; et de même que je suis toute tienne, en mon intégrité et sans partage, je veux aussi que tu m'appartiennes absolu ment et à moi seule :

        " Regarde en ce miroir : c'est la vérité même
           Qu'il faut connaître pour l'aimer,
                      Ainsi qu'elle aime...
          Mais pour te conformer à sa beauté suprême,
          Dont l'éclat rayonnant fait l'âme se pâmer,
          Comme sans partage elle est tienne,
          Tu dois demeurer toute sienne. "
  Car, de toute éternité, avant que rien ne fût créé, je t'ai considérée en moi-même ; et je t'ai vue une avec moi et comme moi
même ; et ainsi je t'ai connue, aimée, appelée, élue ; et je t'ai créée à mon image (Genèse I.)et à ma ressemblance (Jean 1). J'ai pris ta nature, et j'y ai mis mon empreinte ; afin que tu sois un avec moi, sans milieu, dans la gloire du Père.

  J'ai créé mon âme avec ses facultés, et je l'ai remplie de tous les dons ( Jean 20.); afin de servir mon Père et le vôtre Dieu et le vôtre, dans notre commune nature, de toute ma puissance, jusqu'à la mort même et de la plénitude de ma grâce j'ai pénétré ton âme et tes facultés, afin que tu me sois semblable, et que tu puisses, par ma vertu et mes dons, servir Dieu et lui rendre grâce, sans fin éternellement. C'est ainsi que tous nous sommes un avec Dieu, dans son éternel exemplaire qui est la Sagesse de Dieu,qui a pris la nature de nous tous. Et, bien que tous nous soyons un avec Dieu, dans notre exemplaire, par la susception de notre nature, cependant il faut aussi que nouslui soyons semblables, en grâce et en vertu, si toutefois nous voulons, dans notre éternel exemplaire qui est Dieu lui-même, nous sentir et nous retrouver un avec Dieu. Et de cette manière, l'âme de Notre-Seigneur Jésus-Christ fut et est élevée, est un avec la Sagesse de Dieu ; et cette même âme, avec toutes ses facultés, fut et est encore comblée abondamment de la plénitude de tous les dons ; et lui-même (le Christ) est la source vive, de laquelle nous recevons tout ce dont nous avons besoin, tout ce qui nous est nécessaire ; et c'est lui-même qui dit :le Père m'a envoyé, Dieu et homme, pour que je vive en faveur de tous ceux qui me désirent. Mon ami, élu et aimé avant (que tu' m'aimes), considère je t'en supplie, et prends garde que je suis tout à toi (tien). J'ai vécu pour toi, je t'ai donné une doctrine, un modèle ; et pour toi j'ai souffert la mort. Je t'ai offert à mon Père par ma mort ; et, par l'effusion de mon sang très pur, j'ai payé ta dette. Je suis ressuscité, glorieux de corps et d'âme, afin que toi aussi tu puisses ressusciter glorieusement, de corps et d'âme, au dernier jour ; et sans fin contempler éternellement ma gloire et celle de mon Père. Je suis monté au ciel, au-dessus de tous les ordres des anges et des hommes, jusqu'à la droite du Père ; et j'ai préparé à chacun sa place, suivant sa dignité et l'excellence de ses vertus et de sa vie. Au dernier jour enfin je descendrai en ma gloire, avec mes anges et mes saints, pour juger tous les hommes, les bons et les mauvais, en raison des mérites, de l'équité et de la justice.
 

  Vois encore et considère, mon bien aimé, ce que je t'ai en outre donné : Je t'ai laissé et livré ma chair et mon sang vivant, en nourriture et en breuvage, pour te donner un avant-goût céleste et pénétrant, suivant toute mesure dont chacun puisse désirer goûter et sentir. J'ai nourri, dis-je, et rempli ton affection, ton désir et ta vie sensible, de mon corps crucifié et glorieux ; ton amour et ta vie raisonnable, de mon esprit, ainsi que de tous les dons et de tous les mérites qui font de moi les délices de mon Père ; enfin j'ai entretenu la contemplation et l'élévation de ton âme, de ma personne, de telle sorte que tu vives en moi, et moi en toi, Dieu et homme ; et cela, par la ressemblance des vertus et l'unité de jouissance. De plus, mon Père et moi nous avons  rempli la terre de notre Esprit, de nos dons, de nos grâces et de nos sacrements, pour satisfaire à tous les désirs, à toutes les nécessités, à toutes les indigences. Regarde, ô homme, qui je suis, comment j'ai vécu pour toi, de quelle manière je t'ai servi, ce que j'ai souffert pour toi, ce que je te promets ; et sois reconnaissant, rends-moi en retour pour tous ces dons, en raison de la puissance de tes facultés.
 
              " Contemple qui je suis... ce que j'ai fait pour toi..
                 N'est-ce donc pas assez pour t'imposer ma loi ?...
                 Ingrat, pour te servir, que me fallait-il faire.
                 Ou que n'ai-je pas fait ? Parle !... pourquoi te taire ?..."