J. RUSBROCH

DES SEPT DEGRÉS DE L'AMOUR

CHAPITRE X

DE LA DOUBLE VOIE TRACÉE PAR LE CHRIST SOIT EN PAROLES, SOIT EN ACTIONS, A SAVOIR :
CELLE DES COMMANDEMENTS ET CELLE DES CONSEILS.


Quelle est la voie des conseils de Dieu.
     Le Christ Jésus, Fils du Dieu vivant, nous a enseigné, non seulement en paroles mais aussi en exemples, deux voies par lesquelles nous sommes conduits à la vie éternelle, si toutefois nous ne refusons pas de le suivre.

    La première voie est celle des commandements, l'autre celle des conseils. Car il dit lui-même : Math. 19-21 Si tu veux être parfait et  devenir mon disciple, abandonne tout ce que tu possèdes par amour, ton père, ta mère, tes soeurs, tes frères, tes enfants, ta maison, ton patrimoine, tout ce que le monde possède et qui peut te nuire dans les exercices intérieurs envers Dieu. Jean 20-2. Car il importe que tu laisses et que tu méprises tout cela, si tu veux m'imiter et suivre mon  exemple. Et de même que mon Père m'a envoyé, moi je t'envoie. Luc 9-3. Moi-même je n'ai pas eu de quoi reposer ma tête. Ainsi donc il ne te sera pas permis, à toi non plus, de conserver et de retenir ce que tu possèdes avec affection, délectation et amour ; mais tu dois renier et répudier toutes choses, si tu veux progresser dans la vie intérieure. 2 Cor. 6. Si tu peux le faire, tu es certainement mon disciple ; et pauvre d'esprit, tu es le roi et le seigneur du monde entier que tu as vaincu. Et bien que tu n'aies rien en propre, cependant tu possèdes tout en Dieu, de qui tu as reçu les forces et la faculté de vaincre. Et de nouveau le Christ parle : Abandonne tout ce que tu possèdes avec amour, viens et suis-moi ; c'est-à-dire, par cela même que tu as abandonné toutes choses, ne te complais pas en toi-même, mais attribue l'honneur à Dieu. Ainsi fit le Christ, comme en témoignent les paroles dans lesquelles il dit : Jean 8-50. Je ne cherche pas ma  gloire, mais j'honore mon Père. Si je me glorifie moi-même, ma gloire
n'est rien: Si ego glorifico meipsum, gloria mea nihil est. Celui qui agit ainsi, est semblable, pour cela même, au fils de Dieu qui donne la sagesse aux humbles. Or, le Christ dit : Celui qui veut venir après moi, qu'il se renonce soi-même, porte sa croix tous les jours, et  Me suive : Luc 9-23. Qui vult venire post me, abneget semetipsum, tollat crucem suam quotidie et sequatur me. Notre Seigneur Jésus-Christ fit cela lui-même, lorsque, se renonçant, il livra aux mains de ses ennemis son corps, pour qu'il subit la mort, et il résigna sa volonté entre les mains du Père. Et ensuite, après qu'il eut résigné tout ce qu'il était et tout ce qu'il pouvait, il s'écria d'une voix haute : Tout est consommé ! et ayant incliné la tête, il rendit l'esprit : Jean 19-30 Consummatum est, et inclinato capite emisit spiritum.

Ce que requiert la perfection de la charité et de la vie intérieure.
    C'est ce que nous devons faire nous aussi, si nous voulons être parfaits dans la charité et la vie intérieure. Il importe, en effet, que nous nous renoncions, que nous nous résignions à la gracieuse volonté de Dieu, et que nous soyons prêts à souffrir volontairement la mort, soit pour l'honneur de Dieu, soit pour la cause du prochain, si par là nous pouvons les conserver pour la vie éternelle.

    C'est ainsi, en effet, que nous avons une parfaite charité envers Dieu et le prochain, et que nous sommes semblables au Saint-Esprit, qui exerce tous les actes de l'amour, et les perfectionne en vue de la vie éternelle. Ces trois choses observées sans feinte devant Dieu, sont les conseils de Dieu, et les voies cachées qui conduisent vers lui, ne sont découvertes et explorées que par un petit nombre. Car, si la pauvreté extérieure est destituée des exercices intérieurs et des autres vertus, elle ne peut découvrir cette route. Au contraire, si quelqu'un use prudemment et religieusement des richesses, et les distribue libéralement aux pauvres pour l'honneur de Dieu, il peut trouver cette voie inexplorée et inconnue de ceux qui feignent, et qui sont pauvres malgré eux et contre leur volonté. Quelle est la voie des commandements. Mais la vie commune, qui nous conduit à Dieu, est le chemin des commandements de Dieu, desquels le Christ dit : Si tu veux rentrer dans la vie, observe mes commandements : Math. XIX 9-17 Si vis ad vitam ingredi serva mandata. Et de même : Si  vous observez mes commandements, vous resterez dans ma dilection, comme moi, j'ai observé les commandements de mon Père, et je reste dans sa dilection : Joan XV 10 Si praecepta mea servaveritis, manebitis in dilectione mea, sicut et ego praecepta Patris mei servavi et maneo in ejus dilectione. Math. XXII 37-39 Car la charité ou l'amour est le premier et le plus grand commandement. Mais celui-là seul peut aimer, qui a la foi chrétienne. Tout est possible au croyant, mais l'infidèle, l'incrédule, est un tison de l'enfer. Si donc tu
veux observer les préceptes de Dieu, il est nécessaire que tu croies et que tu te confies à Dieu. La foi seule ne suffit pas. Mais ne pense pas que ce soit assez, en outre, il faut que tu expurges ta conscience des péchés, selon le décret de la loi chrétienne, la règle et l'institution
de l'Eglise Catholique : pour cela, il faut que tu sois doué de bonne volonté, et que tu sois soumis et obéissant, non seulement à Dieu, mais à tes évêques dans toutes leurs institutions, leurs règles, et les exercices auxquels on vaque communément dans la sainte Eglise ; et cela, selon la faculté et le véritable discernement de tes forces, selon les usages et les coutumes des hommes justes avec lesquels tu vis, du pays et de la région où tu habites. Apprends les dix commandements, et conformes-y ta vie. Fuis et évite les sept péchés mortels, de peur qu'ayant offensé Dieu, tu mérites les peines de l'enfer. Observe le jeûne, sanctifie les jours de fêtes ; et montre-toi prompt et obéissant dans toutes les oeuvres bonnes. Sois fidèle à ton Dieu et à toi-même dans tous les actes bons, comme un bon serviteur à son maître, jusqu'à ce qu'il te reçoive, près de lui.

Premier et deuxième degrés de la vie active.
    C'est là, la vie des commandements de Dieu à laquelle nous sommes tous obligés. Et pour ce motif, tous les anges d'ordre inférieur nous servent, afin de nous conduire, immaculés et purs de tous vices, en la présence de Dieu notre Seigneur. Et c'est le premier degré et le mode inférieur dans la vie active par laquelle nous sommes semblables aux esprits inférieurs du ciel, qui sont appelés anges, c'est-à-dire envoyés. Suit un deuxième degré et une voie plus haute de la vie active, à savoir : la patience innocente. Car l'innocence est fille de la charité, et la patience est sa soeur; et par ces trois (vertus), avec la grâce de Dieu, se font toutes les oeuvres "bonnes ; car elles répriment et modèrent tous les penchants désordonnés de la nature. Toute distinction des vertus est simple dans la patience innocente. Celui qui est tout à la fois innocent et patient, vit dans la paix du Seigneur : si toutefois il est humble, doux, obéissant, bon, pieux, libéral, honnête de moeurs, simple, patient, facile et aisé dans toutes les bonnes oeuvres. Il n'est pas seulement docile, mais encore le disciple du Seigneur lui-même, recevant toujours de Dieu la discipline de la paix véritable. De cette manière, dès que tu seras établi et bien affermi dans les vertus, tu atteindras le deuxième degré, et tu seras semblable au deuxième ordre, celui des Archanges qui gouvernent et dominent les esprits inférieurs de la première hiérarchie. Et tu es alors élevé au-dessus de tous ceux qui sont placés dans l'ordre inférieur des bonnes
actions et des bonnes oeuvres, dans lequel on peut se sauver. Troisième degré dans la vie active. Suit un troisième degré, dans lequel toute la vie active agréable à Dieu est accomplie et consommée. Quel est celui qui plaît à Dieu. Lorsque donc l'homme simple et craignant Dieu observe la loi et les préceptes de Dieu, non par une habitude stérile, ni guidé par la crainte, mais parce que Dieu le veut et l'ordonne : alors il est bon et il plaît dans l'ordre inférieur de la bonne vie. Lequel lui plaît davantage. Ensuite, dès qu'il monte plus haut et qu'il est orné intérieurement de nombreuses vertus, afin de se rendre semblable à Dieu, aux esprits angéliques, aux saints et à tous les bienheureux ; et que pour des vertus, il expérimente la haine des vices, la vie éternelle, la paix de la conscience, la tranquillité et la joie qui se trouvent dans une vie non feinte : celui-là, est beaucoup plus agréable à Dieu, et lui plaît davantage, que les hommes vulgaires d'un ordre inférieur. Et tandis qu'ayant levé les yeux en haut, au-dessus de toutes les bonnes actions extérieures et de toutes les vertus intérieures, il considère et contemple fidèlement dans la foi chrétienne, son Dieu, le recherchant intentionnellement et amoureusement, audessus de toute chose ; et que, persévérant dans cette recherche il en fait sa préoccupation constante, alors il atteint le troisième degré, dans lequel toute vie active est consommée : et on le compare avec raison, au troisième choeur de la hiérarchie intérieure des anges. Quand les vertus sont parfaites. Alors, en effet, toutes les vertus sont parfaites, lorsque quelqu'un s'offre à Dieu par ce pacte, le contemplant et l'aimant plus que tous les autres biens. Ainsi nous avons une vie active, parfaite et absolue, de trois ordres, pour nous conduire à la vie éternelle, par des degrés toujours plus hauts, suivant que nous sommes plus méritants en grâce, et plus dignes devant Dieu. Si tu expérimentes en toi cette vie, et si tu désires t'y assujettir et t'y soumettre, il importe que tu sois libre et dégagé de toi-même et de toutes créatures, de toute sollicitude désordonnée et de tous soins, sans nulle complaisance propre ; et que tu considères Dieu, que tu le recherches amoureusement et intentionnellement, que tu le serves et que tu l'honores, et que tu désires sa gloire au-dessus de tout. De cette manière tu pourras te maintenir et demeurer stable et ferme en sa présence, avec une révérence et une vénération éternelle.