DES SEPT DEGRÉS DE L'AMOUR
CHAPITRE XIV
DU SEPTIÈME DEGRÉ DE L'AMOUR.
Qu'est la contemplation sublime, tant de la vie présente que de la vie future?
Procède de là le septième et dernier degré au-dessus duquel, ni dans le temps, ni dans l'éternité, il ne se peut obtenir rien de plus excellent et rien de plus sublime ; et c'est lorsque au-dessus de toute connaissance et de toute science, nous découvrons et nous sentons en nous, quelque chose d'infini, un abîme sans fond ; quand au-dessus de toutes les appellations et de tous les noms, que nous attribuons soit à Dieu soit aux créatures, nous passons outre dans la mort, et nous excédons dans l'éternité quelque chose d'incompréhensible et sans nom, en nous perdant dans ce même être ; et lorsque au-dessus de tous les exercices de vertu, nous entrevoyons et nous expérimentons en nous un certain repos éternel, dans lequel il n'est plus de labeur ; et au-dessus de tous les esprits bienheureux une
béatitude immense et infinie, dans laquelle nous tous nous sommes un ; et cette unité (autant qu'il est possible à la créature), qui est la béatitude même ; et lorsque nous voyons enfin tous les esprits bienheureux plongés et perdus essentiellement, (ayant laissé leur être dans la suprasubstantielle essence), dans un tout inconnu et sans borne. En outre nous devons contempler le Père, le Fils et le Saint-Esprit en trois personnes, en nature un seul Dieu véritable, créateur du ciel et de la terre et de toutes les choses créées ; et lui témoigner éternellement la louange, l'amour et l'action de grâces. Gén. 1-26. Car il nous a faits à son image et à sa ressemblance, ce qui procure une immense joie à tous les grands et purs esprits. Sa divinité n'agit pas, puisqu'elle est une simple et paisible essence ; et si nous possédions ce repos avec Dieu, nous serions alors avec lui le repos, et nous nous éléverions dans sa sublimité et au-dessus de tous les degrés et de toutes les échelles célestes ; nous serions avec lui-même par la grâce dans sa divinité, la paisible essence et l'éternelle béatitude, Mais les personnes divines, qui ne forment qu'un seul Dieu, dans la fécondité de leur nature, sont toujours opérantes ; et dans la simplicité de leur essence, sont la divinité et l'éternelle béatitude ; et ainsi Dieu dans les personnes est l'éternelle opération, mais dans l'essence et le perpétuel repos est l'éternelle paix. Comme l'amour est toujours agissant, et la jouissance toujours paisible. Or, entre l'action et le repos, vivent l'amour et la jouissance. L'amour veut agir sans cesse, car il est l'action éternelle avec Dieu. La jouissance est toujours en repos ; car elle est au-dessus du vouloir et du désir du bien-aimé dans le bien-aimé, dans l'ignorance de la forme et dans le simple amour, où le Père avec le Fils, embrasse ses bien-aimés dans l'unité abondante de son esprit, au-dessus de la fécondité de la nature ; et le même Père dit à chaque esprit avec une éternelle complaisance : Tu es à moi et je suis à toi : je suis tien et tu es mien, car je t'ai choisi de toute éternité.
Premier mode de jouissance et deuxième mode.
Lorsque la joie mutuelle et la complaisance entre Dieu et les esprits qui lui sont unis par la charité est si grande, que ces esprits défaillent, se fondent et se perdent en lui et deviennent un seul esprit avec Dieu, jouissant avec lui, l'Eternel, plongés dans l'infinie béatitude de son essence : C'est le premier mode de jouissance des hommes ardemment contemplatifs. En outre, il y a une autre manière d'aboutir à la jouissance de Dieu, pour les hommes intérieurs, voués à Dieu et parfaits en charité, par la gracieuse volonté de Dieu.
Sont ainsi ceux qui se méprisent eux-mêmes et se renoncent, ainsi qu'à toute créature qu'ils peuvent posséder avec délectation et amour, et à toutes les oeuvres de Dieu, en tant qu'elles peuvent devenir l'objet de quelque occupation ou de quelque empêchement, dans la vie intérieure par laquelle ils servent Dieu et sont portés et élevés vers lui ; et cela avec un intime amour du coeur, avec une âme ardente, avec un esprit élevé au-delà de tous les cieux, avec toutes les ardeurs brûlantes de l'amour, et avec une âme dégagée de tout fantôme et de toute imagination, lorsque la loi de charité est accomplie et toutes les vertus achevées ; et nous sommes dans le repos, et Dieu notre Père céleste demeure et habite en nous avec la plénitude de sa grâce, et nous en lui, vaquant à la jouissance (de Dieu) au-dessus de toutes nos actions ; lorsque également le Christ Jésus vit en nous et nous en lui ; et par sa vie, nous vainquons le monde et tout ce qui est péché ; et avec lui, nous sommes élevés par amour vers notre Père céleste. Quelle est la clameur du Saint Esprit. Enfin, le Saint-Esprit opère en nous tous nous actes bons, et nous avec lui ; et lui-même fait entendre en nous, sans l'éclat des paroles, cette sonore voix : Aimez l'amour éternellement aimant ! Mais sa clameur nous touche et nous émeut intérieurement, dans notre esprit. Et cette voix est plus terrible que le tonnerre, et les éclairs qui en jaillissent découvrent le ciel, nous font paraître la lumière et l'éternelle vérité. Son attouchement et les effluves de son amour sont si puissants, qu'ils peuvent nous brûler jusqu'au fond de nous-mêmes ; et cet instinct ou cet attrait nous crie sans cesse : Payez votre dette ! Aimez l'amour qui vous aime de toute éternité ! De là nait une grande impatience d'amour au dedans de nous, et des gestes sans règle. Car plus nous aimons, plus il nous est loisible d'aimer ; et plus nous nous acquittons de ce que veut l'amour, plus notre dette (envers l'amour) s'accroît. L'amour ne se tait jamais, mais il crie sans cesse : Aimez l'amour ! Ceux qui vivent extérieurement et sont livrés aux sens, ignorent entièrement ce combat de l'amour. Aimer et jouir qu'est-ce ? Aimer et jouir, c'est agir et souffrir. Mais Dieu par sa grâce vit en nous, il nous enseigne, nous conseille et nous ordonne d'aimer. Et nous, nous vivons en lui au-dessus de la grâce et au-dessus de nos actes, ou nous le souffrons et nous jouissons de lui. En nous vit l'amour, la connaissance, la contemplation, l'attrait, et au-dessus de tout cela, la jouissance.
Qu'est-ce qu'agir et souffrir? Quelle différence entre l'amour et la jouissance ?
Notre devoir, c'est d'aimer Dieu, notre jouissance, est de souffrir Dieu et d'être pénétrés de son amour. Il y a là même différence entre l'amour et la jouissance, qu'entre Dieu et la grâce de Dieu. Où nous nous unissons à Dieu par amour, là nous nous spiritualisons ; mais où lui-même nous entraîne dans l'élan de l'esprit et nous transforme par son esprit, là, pour ainsi parler, nous sommes la jouissance. Et l'esprit de Dieu lui-même nous pousse dehors, par son souffle, afin que nous aimions et que nous accomplissions les actes des vertus ; et de nouveau, il nous attire à lui, afin que nous vaquions au repos et à la jouissance ; et cela est la vie éternelle ; comme la vie de notre corps subsiste par l'aspiration et la respiration. Et bien que notre esprit défaille et soit privé de son action, dans la jouissance et la béatitude, toujours cependant il est renouvelé par la grâce, la charité et les vertus. Entrer donc dans la jouissance paisible, et en sortir pour les actes bons, et rester toujours uni à l'Esprit de Dieu, c'est ce qui fait l'objet de mon discours. Quelle est la vie très parfaite ? Dès qu'en effet nous ouvrons nos yeux sensibles pour voir, nous les fermons de nouveau rapidement ; ainsi, nous mourons en Dieu et nous vivons de Dieu, et nous demeurons toujours un avec Dieu. Nous devons donc, dans notre vie sensible, sortir dehors, et rentrer avec l'amour, nous unir à Dieu, et rester avec lui immobiles. Nous ne pouvons éprouver ni comprendre rien de plus excellent dans notre esprit ; et toutefois, nous devons toujours monter et descendre les degrés de notre échelle céleste ; et cela, soit par nos bonnes actions intérieures, soit par les extérieures, selon les préceptes de la loi divine et les constitutions de la Sainte Église, ainsi qu'il est dit plus haut. Mais par la ressemblance des bonnes oeuvres, nous sommes unis à Dieu dans la fécondité de sa nature, dans la Trinité des personnes toujours agissante, et qui accomplit tous biens dans l'unité de son esprit, où nous sommes morts aux vices et aux péchés, étant devenus un seul esprit avec Dieu, et où nous naissons de nouveau, en vertu du St-Esprit, pour devenir les fils de Dieu ; et dans la défaillance de notre esprit, le Père nous fait participants avec le Fils de l'amour et de la jouissance éternelle. Et cette oeuvre est toujours nouvelle, ensemble agissante et parfaite ; et là, nous sommes heureux, connaissant, aimant et jouissant avec Dieu. Par la jouissance, en effet, nous sommes dans le repos, Dieu seul étant l'artisan de cette joie, lorsqu'il élève toutes les âmes aimantes au-dessus d'elles-mêmes, les transforme et les consume dans l'unité de son esprit, où nous formons une seule flamme d'amour, plus immense que tout ce qui a jamais été créé par Dieu. Feu de l'amour. Chaque esprit est un charbon ardent, embrasé par Dieu au foyer de son infinie charité ; et nous tous, unis ensemble, nous formons un foyer ardent et qui ne doit jamais s'éteindre, avec le Père et le Fils dans l'unité du Saint-Esprit, où les divines personnes se surpassent elles-mêmes, pour ainsi parler, dans l'unité de leur essence, dans l'abîme infini et sans fond de la simple béatitude, où ne se trouve ni le Père, ni le Fils, ni le St-Esprit, ni aucune créature, mais seulement l'éternelle essence, qui est la substance des divines personnes, où nous tous nous sommes un et incréés (selon nos idées), et la jouissance dans la béatitude essentielle est
consommée et parfaite ; où aussi, Dieu dans son essence simple, est le repos éternel sans opération, sans borne, une existence sans nom, et pour ainsi dire la superessence de toutes les créatures, sa simple et son infinie béatitude et celle de tous les êtres créés. Or, dans la fécondité de la divine nature, le Père, en effet, est le Dieu tout puissant, le créateur et l'artisan du ciel de la terre et de toutes les choses créées. Mais lui-même de sa nature engendre son Fils, c'est-à-dire son éternelle sagesse, un avec lui en nature, mais autre (deuxième) personne, Dieu de Dieu, par qui tout a été fait. Jean 1. Et le Saint-Esprit, troisième personne divine, procède du Père et du Fils, un avec eux en nature, amour infini des deux, par lequel ils se complètent, en s'aimant et en jouissant dans une réciprocité éternelle ; et nous tous, nous sommes environnés d'eux de toute part, ne faisant qu'une seule vie, un seul amour, une seule jouissance. Dieu donc est Un par nature, Trois par sa fécondité, à savoir : trois personnes distinctes ; et les mêmes dans l'unité de nature, et dans leur propriété, par la fécondité de la nature divine, forment la Trinité. Trois propriétés, sont trois personnes, séparées de nom et de distinction, mais uniques par nature et opération. Et chaque personne a en soi toute la divine nature, et ainsi chacune est le Dieu Tout-Puissant, et cela par la vertu de la nature, non par la distinction de personne : ces trois personnes, dis-je, ont une indivise et inséparable nature divine, et ne sont qu'un seul Dieu en nature, non trois dieux dans la distinction des Personnes. Ainsi Dieu est trois de noms et de personnes, mais Un en nature, et Trinité dans la fécondité de nature. Comment nous devons rechercher et posséder Dieu. Et cette Trinité est la propriété des personnes, comme l'unité est la propriété de nature : notre Père céleste est le créateur tout puissant du ciel et de la terre et de toutes les choses créées, qui vit et règne en nous, unité dans la Trinité, et Trinité dans l'unité, Dieu puissant dans les hauteurs de notre essence créée, et nous devons le chercher, le découvrir et le posséder, munis de sa grâce et de l'aide du Christ Jésus, et cela dans la foi Catholique, avec une intention droite et une charité non feinte : Et par notre vie vertueuse et la grâce de Dieu, nous vivons dans ce Père qui est notre créateur, et lui en nous avec tous ses saints ; et ainsi, nous tous avec lui nous sommes une unité formée et cimentée par l'amour ; et le Père et le Fils dans l'unité du St-Esprit nous ont rassemblés, unis, transformés, et nous sommes avec les personnes divines un seul amour, une seule jouissance consommée dans l'essence sans borne de la divinité, où nous tous avec Dieu nous sommes la béatitude simple et essentielle, où il n'est ni Dieu ni créature, quant à la distinction des personnes, mais tous avec Dieu, sans distinction perceptible, nous sommes la simple et infinie béatitude, et tous nous avons laissé (notre personnalité) nous sommes confondus pour nous perdre dans un tout (un assemblage) mystérieux.
Le degré le plus sublime que l'on peut atteindre dans la vie éternelle.
C'est la chose la plus sublime qui puisse être obtenue dans l'éternelle béatitude, en vivant, en mourant, en aimant, en jouissant ; et quiconque enseigne le contraire se trompe certainement. Priez Dieu, pour celui qui a composé et écrit ces choses par la grâce de Dieu, et pour tous ceux qui doivent les écouter ou les lire, afin que Dieu se donne lui-même à nous éternellement. Ainsi soit-il.