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L'ORNEMENT DES NOCES SPIRITUELLES

LIVRE PREMIER


LA VIE ACTIVE

***


PROLOGUE


VOICI QUE VIENT L'ÉPOUX, SORTEZ À SA RENCONTRE.

     Voyez, l'Époux vient, sortez à sa rencontre. Ces paroles, qui nous sont rapportées par l'évangéliste saint Matthieu, ont été dites par le Christ à ses disciples ainsi qu'à tous les hommes, dans la parabole des vierges. Le Christ est l'Époux et la nature humaine l'Épouse, créée par Dieu à son image et ressemblance, et placée par lui, dès l'origine, au lieu le plus digne, le plus beau, le plus riche et le plus fertile de la terre, qui s'appelait le Paradis. Dieu avait soumis à cette nature humaine toutes les créatures, il l'avait parée de grâces, lui donnant un précepte qui, observé, devait lui assurer l'union à jamais stable et fidèle de son Époux, ainsi que l'affranchissement de toute peine, de toute souffrance et de toute faute.

     Alors vint un fourbe, l'ennemi infernal, qui, rempli de jalousie, prit la forme d'un serpent rusé et trompa la femme ; et à eux deux ils trompèrent l'homme, en qui était toute la nature humaine. Et ainsi l'ennemi, par ses faux conseils, ravit cette nature, l'Épouse de Dieu ; et elle fut exilée en une terre étrangère, devint pauvre et misérable, captive et opprimée sous le joug de ses ennemis, comme si elle ne devait plus jamais revoir sa patrie, ni recevoir de pardon.

     Mais lorsque Dieu vit le temps venu et que les souffrances de sa bien-aimée l'eurent rempli de pitié, il envoya son Fils unique sur la terre, en un riche palais et un temple glorieux, le sein de la Vierge Marie. Là le Fils épousa sa fiancée notre nature, et il l'unit à sa personne du sang très pur de la noble vierge (1). Le prêtre qui présida à ces noces fut le Saint-Esprit ; l'ange Gabriel en fit l'annonce, et la glorieuse Vierge donna le consentement. Ainsi le Christ, notre fidèle Époux, s'est uni à notre nature ; il nous a visités sur la terre d'exil, il nous a enseignés d'une manière céleste et avec une fidélité parfaite.

     Il a travaillé et combattu comme un valeureux champion contre notre ennemi ; il a brisé la prison et remporté la victoire, détruisant par sa mort notre mort même. Son sang nous a rachetés et l'eau du baptême nous affranchit. De ses sacrements et de ses dons il nous a fait une richesse, afin que, parés de toutes les vertus, nous puissions sortir, comme il dit, et le rencontrer dans le palais de sa gloire pour y jouir à jamais de lui durant l'éternité (2).

     Voici donc que le Christ, maître de toute vérité, nous dit : Voyez, l'Époux vient, sortez à sa rencontre. En ces paroles le Christ, qui nous aime, nous enseigne quatre choses. D'abord il nous donne un précepte en disant : Voyez. Ceux qui demeurent aveugles et négligent ce précepte sont tous condamnés. Par la seconde parole : l'Époux vient, il nous montre ce que nous devons voir, c'est-à-dire la venue de l'Époux. En troisième lieu il nous enseigne et nous prescrit ce que nous avons à faire, lorsqu'il dit : sortez. En quatrième lieu, en ajoutant : à sa rencontre, il nous montre quel profit et quelle utilité doit nous procurer tout le labeur de notre vie, si nous faisons la rencontre amoureuse de l'Époux.

     Ces paroles, nous allons les expliquer et les développer de trois manières : premièrement, selon le mode commun à la vie des commençants, qu'on appelle vie active, et qui est nécessaire à tous ceux qui veulent être sauvés ; deuxièmement, en les appliquant à une vie intérieure, élevée et affective, à laquelle beaucoup parviennent par le moyen des vertus et de la grâce de Dieu ; troisièmement enfin, nous pourrons les entendre d'une vie superessentielle et de contemplation divine, que peu d'hommes atteignent et peuvent goûter, à cause de la hauteur et de la noblesse de cette vie.


CHAPITRE PREMIER

DES TROIS CHOSES NÉCESSAIRES POUR QUE L'ON PUISSE
VOIR DANS LA VIE ACTIVE (3).

     Dès le principe, le Christ, Sagesse du Père, a fait entendre une parole, qu'il redit à chacun dans l'intime de l'âme, et cette parole est :   Voyez : car il est nécessaire de voir.
     Or, remarquez bien que pour voir, soit de corps, soit d'esprit, trois choses sont requises.

     Premièrement, pour voir corporellement, il faut que la lumière du ciel ou toute autre lumière matérielle illumine l'air, le milieu où se fait la vision (4). Deuxièmement, la volonté libre doit permettre aux yeux de saisir les images de ce qui est présenté à la vue. Troisièmement, les yeux doivent être sains et sans tache, afin que les objets matériels puissent s'y refléter d'une manière subtile. S'il manque à l'homme une de ces trois choses, il n'est plus capable de voir corporellement. Nous n'en dirons point davantage, passant aux conditions nécessaires pour voir spirituellement et d'une manière surnaturelle, ce en quoi consiste toute notre béatitude.

     Ces conditions requises sont au nombre de trois premièrement, la lumière de grâce ; deuxièmement, l'action de la volonté libre qui se tourne vers Dieu ; troisièmement, une conscience qui se purifie de tout péché mortel (5).

     Or, il faut savoir que Dieu est un bien commun à tous et que son amour immense se répand universellement (6). Aussi donne-t-il sa grâce de deux manières : la grâce prévenante et celle qui fait mériter la vie éternelle. La première est donnée communément à tous les hommes, païens et juifs, bons et méchants. En raison de son amour universel, Dieu a voulu que son nom et le salut donné par lui au genre humain fussent prêchés et manifestés jusqu'aux extrémités de la terre. Qui veut se tourner vers lui peut se convertir. Tous les sacrements, le baptême et les autres, sont à la disposition de tous les hommes qui veulent les recevoir, chacun selon ses besoins ; car Dieu veut les sauver tous sans en perdre aucun. C'est pourquoi au jour du jugement nul ne pourra se plaindre que l'on n'ait pas assez fait pour lui, s'il a voulu vraiment se convertir. Ainsi donc Dieu est une clarté et une lumière qui s'adressent à tous et qui illuminent chacun au ciel et sur la terre, selon ses besoins et sa dignité.

     Bien que Dieu soit pour tous et que le soleil donne sa lumière communément à tous les arbres, beaucoup de ceux-ci demeurent stériles, et d'autres portent des fruits sauvages qui sont de peu d'utilité pour les hommes. C'est pourquoi on taille ces arbres et on y greffe des rameaux fertiles, afin qu'ils donnent des fruits bons et savoureux.

     Le rameau fertile emprunté au paradis vivant du royaume éternel, c'est la lumière de la grâce divine. Aucune œuvre ne peut être ni savoureuse ni utile à l'homme, si elle n'en procède. Or, la grâce qui rend l'homme agréable à Dieu et lui fait mériter la vie éternelle est offerte à tous ; mais elle ne s'implante pas en tous ; car il en est qui se refusent à retrancher leurs rameaux sauvages, c'est-à-dire leur infidélité ou leur volonté perverse, contraire aux commandements divins.

     Pour que le rameau de la grâce divine soit inséré en notre âme, trois choses sont nécessaires la grâce prévenante de Dieu, une volonté qui s'incline librement, une conscience qui se purifie. La grâce prévenante est pour tous les hommes, car c'est un don de Dieu ; mais tous ne présentent pas une volonté docile, ni une conscience qui se purifie ; et c'est pourquoi ils sont privés de la grâce qui leur mériterait la vie éternelle.

     La grâce prévenante fait sentir sa motion soit à l'extérieur, soit à l'intérieur. Elle se présente extérieurement sous la forme de la maladie, de la perte des biens temporels, de l'abandon des amis ou des proches, des affronts publics. Ou bien cette motion se fait sentir à l'occasion de prédications, de bons exemples donnés par les saints et les hommes de bien, de paroles et d'actions qui nous sont rapportées d'eux, de sorte que l'homme est ainsi amené à la connaissance de lui-même. Telle est la motion extérieure de Dieu.

     Parfois aussi l'homme est touché intérieurement par la méditation des douleurs et des souffrances de Notre-Seigneur, ainsi que des bienfaits de Dieu à son égard et à l'égard de tous les hommes. La vue de ses propres péchés, de la brièveté de la vie ; la crainte de la mort, de l'enfer et des peines éternelles ; la pensée des joies célestes, de la patience avec laquelle Dieu l'a épargné malgré ses péchés et attend sa conversion ; la contemplation enfin des merveilles répandues au ciel, sur la terre et en tous les êtres : ce sont là autant d'œuvres de la grâce prévenante de Dieu qui touchent l'homme soit à l'extérieur, soit à l'intérieur, de mille manières. Il y a de plus chez lui une inclination naturelle profonde vers Dieu, qui vient de l'étincelle de l'âme (7) et de la raison supérieure, et qui souhaite toujours le bien et hait le mal.

     Sous ces diverses formes, Dieu meut chacun selon ses besoins et selon qu'il est nécessaire, et ainsi l'homme est parfois frappé si vivement qu'il se rend attentif, se maintient dans la crainte et fait considération sur lui-même. Tout ceci est encore grâce prévenante et non grâce du mérite. La grâce prévenante crée donc une disposition à recevoir l'autre grâce qui fait mériter la vie éternelle, dès que l'âme est affranchie de mauvaise volonté et d'œuvres perverses, et qu'avertie et saisie de crainte, elle se demande en elle-même ce qu'elle doit faire, tandis qu'elle porte ses regards sur elle-même, sur Dieu et sur ses propres œuvres mauvaises. De là naît une douleur naturelle du péché et une bonne volonté naturelle. C'est le sommet de la grâce prévenante.

     Lorsque l'homme fait ce qu'il peut et que sa propre faiblesse l'empêche d'aller plus avant, c'est à l'infinie miséricorde de Dieu de parfaire l'œuvre (8). Alors apparaît une lumière plus haute de grâce divine, semblable à un rayon de soleil qui entre dans l'âme, sans mérite de sa part et sans qu'elle puisse souhaiter rien d'aussi élevé ; car en cette lumière, c'est Dieu qui se donne, avec une toute gratuite bonté et libéralité, lui que nulle créature ne peut mériter avant de le posséder. Et c'est en l'âme, instantanément, une opération mystérieuse de Dieu, qui la meut tout entière, elle et toutes ses puissances. Ici il ne s'agit plus de grâce prévenante, mais de cette autre grâce qui est lumière surnaturelle.

     Cette lumière est le premier élément requis pour que l'on puisse voir surnaturellement, et de là naît le second élément, qui vient de l'âme. C'est en un instant, le libre retour de la volonté, qui alors donne naissance à la charité, le lien d'amour entre Dieu et l'âme. Ces deux éléments tiennent tellement l'un à l'autre qu'ils ne peuvent s'achever séparément. Lorsque Dieu et l'âme s'unissent dans l'unité d'amour, il y a Dieu qui, au-dessus du temps, répand sa lumière, et l'âme, qui, en un court moment, sous l'impulsion de la grâce, donne son libre retour : et du même coup, en cette âme naît la charité, à la fois de Dieu et de l'âme elle-même ; car la charité est un lien d'amour entre Dieu et l'âme aimante.

     De ces deux éléments, la grâce divine et le libre retour de la volonté éclairée par la grâce, procède la charité, l'amour divin. Enfin de cet amour naît le troisième élément, la purification de la conscience. Ces trois choses se tiennent si bien que l'une ne peut demeurer longtemps sans l'autre ; car celui qui possède l'amour de Dieu a par là même un regret absolu de ses péchés.

     Nous pouvons donc comprendre en quels rapports sont Dieu et la créature. Tandis que Dieu donne sa lumière, l'homme, sous l'influence de cette lumière, fait un retour volontaire et complet, et ainsi naît le parfait amour de Dieu. Puis de l'amour procèdent la contrition parfaite et la purification de la conscience. Car c'est parce qu'il aime Dieu, que l'homme, apercevant ses péchés et les souillures de son âme, en éprouve du mépris pour soi-même et pour ses propres œuvres.

     Voici comment alors se fait la conversion. La charité fait naître la contrition, douleur parfaite du mal qui a jamais été commis, ainsi qu'une volonté ardente de ne plus pécher à l'avenir et de toujours servir Dieu dans une humble obéissance ; puis c'est la confession sincère, sans réticences, sans duplicité ni feinte, et a satisfaction entière, selon l'avis d'un prêtre éclairé ; enfin l'on se met à pratiquer la vertu et les bonnes œuvres. Ces diverses conditions, comme vous venez de l'entendre, sont nécessaires pour voir divinement. Si vous les possédez, le Christ vous fait entendre cette parole : Voyez, et vous devenez réellement un voyant.

     Telle est la première des quatre paroles principales, où le Christ Notre-Seigneur dit : Voyez.


CHAPITRE II.

COMMENT NOUS POUVONS CONNAÎTRE LES TROIS MODES
SELON LESQUELS VIENT LE CHRIST.


     Le Christ nous montre ensuite ce que nous devons voir, en nous disant : l'Époux vient, et le mot latin venit qui est ici employé et s'entend d'ordinaire des deux temps passé et présent, s'applique aussi dans la circonstance au temps futur.

     Nous devons savoir, en effet, qu'il y a trois venues de Jésus-Christ, notre Époux. En la première il s'est fait homme, pour le bien de tous, par amour. La deuxième qui est quotidienne se renouvelle souvent et de mille manières en chaque cœur aimant, prenant la forme de grâces et de dons nouveaux, selon la capacité de chacun. La troisième se réalisera au jugement dernier, ou au jugement particulier, à l'heure de la mort. Or en ces diverses venues il faut considérer trois choses : la cause et le pourquoi, le mode intérieur et l'œuvre extérieure (9).
     Le pourquoi de la création des anges et des hommes se trouve en la bonté infinie de Dieu et en sa munificence, qui l'ont porté à révéler aux créatures raisonnables sa propre béatitude et souveraine richesse, afin qu'elles pussent le goûter dans le temps et jouir de lui dans l'éternité.

     Ensuite, s'il s'est fait homme, c'est en raison de son inconcevable amour et de la détresse du genre humain, où tout était perversion depuis la chute originelle sans espoir de mieux.

     Mais il y a plusieurs motifs, qui ont poussé le Christ, selon sa divinité et son humanité, à accomplir tant d'œuvres sur la terre : tout d'abord son amour divin, sans mesure ; puis l'amour créé ou charité qu'il possédait en son âme en vertu de son union au Verbe éternel et des dons parfaits que son Père lui avait départis ; la grande détresse de la nature humaine ; enfin la gloire du Père céleste. Telles sont les raisons de la venue du Christ, notre Époux, et des œuvres qu'il a accomplies tant à l'extérieur qu'à l'intérieur.

     Il faut ensuite considérer le mode selon lequel le Christ se conduisait intérieurement et accomplissait ses œuvres au dehors, afin que nous puissions imiter, selon notre pouvoir, ses vertus et ses actions vertueuses.

     Si l'on regarde sa divinité, le mode en est inaccessible et incompréhensible ; sans cesse le Verbe naît du Père, et c'est en lui et par lui que le Père connaît et crée, ordonne et régit toutes choses au ciel et sur la terre. Il est en effet la Sagesse du Père, et tous deux produisent un seul Esprit, un seul Amour qui est leur lien mutuel et celui de tous les saints et de tous les hommes justes, au ciel et sur la terre. De ce mode nous ne parlerons plus, pour nous arrêter à celui que le Christ possédait dans son humanité créée, par le fait des dons divins. Or, ce mode est multiple, et il y avait chez le Christ autant de modes intérieurs qu'il possédait de vertus, chacune ayant le sien propre. En son âme sainte, vertus et modes dépassaient tout ce qu'une créature peut concevoir ou comprendre. Nous retiendrons cependant trois de ces vertus, l'humilité, la charité et la patience dans les peines soit intérieures soit extérieures. Ce sont là d'ailleurs trois racines principales auxquelles se rattachent toutes les vertus et toute perfection.


CHAPITRE III.

DE DEUX SORTES D'HUMILITÉ DANS LE CHRIST (10).


     Il y eut dans le Christ, envisagé comme Dieu, une double humilité.

     De la première il donna la preuve en se faisant homme, et en prenant personnellement la nature humaine afin de se l'unir, malgré qu'elle fût bannie et engloutie jusqu'au fond de l'enfer ; de sorte que tout homme bon ou mauvais pût dire : le Christ, Fils de Dieu, est mon frère.

     La seconde sorte d'humilité chez le Christ fut de prendre pour sa mère, non une fille de roi, mais une pauvre vierge qui devint ainsi mère de Dieu et de celui qui est Seigneur du ciel, de la terre et de toute créature. On peut ajouter que toutes les œuvres d'humilité accomplies par le Christ l'ont été par Dieu même.

     Considérant ensuite l'humilité qui régnait dans le Christ, selon son humanité, sous l'influence de la grâce et des dons divins, nous voyons que son âme, avec toutes ses puissances, s'inclinait avec respect et vénération devant la haute puissance de son Père ; et un cœur qui s'incline de cette sorte est un cœur humble. Aussi le Christ accomplissait-il toutes ses œuvres en l'honneur et à la louange de son Père, ne cherchant en rien sa propre gloire humaine.

     Il obéit humblement à l'ancienne loi et à ses prescriptions, parfois même à de simples coutumes, quand cela était utile. Il fut circoncis, présenté au Temple, racheté selon l'usage, et il paya l'impôt à César comme les autres juifs. Il se soumit en toute humilité à sa mère et à saint Joseph, les servant avec une sincère déférence en tous leurs besoins. Il choisit pour compagnons de ses courses apostoliques des pauvres et des méprisés, afin de convertir le monde, et il en fit ses Apôtres. Au milieu d'eux il garda son attitude d'humble abaissement comme avec tous les hommes. Aussi était-il prêt à secourir quiconque était dans la détresse intérieure ou extérieure, se montrant le serviteur de tous.

     Voilà ce qui nous apparaît tout d'abord dans le Christ, notre Époux.


CHAPITRE IV.

DE LA CHARITÉ DANS LE CHRIST.


     La seconde vertu à considérer dans le Christ, c'est la charité, principe et source de toutes les autres. Elle maintenait les puissances supérieures de son âme dans un tranquille silence et les faisait jouir de la béatitude même dont il jouit maintenant. Sous l'action de cette charité, le Christ s'élevait sans cesse vers son Père en toute révérence et louange, avec amour et ardente intercession pour les besoins de tous les hommes, et il offrait toutes ses œuvres à l'honneur de son Père.

     Cette même charité l'inclinait encore avec une amoureuse fidélité et grande bonté vers toute nécessité humaine, corporelle ou spirituelle. Aussi donnait-il à tous, dans sa vie même, l'exemple qu'ils avaient à suivre. À tous les hommes bien disposés il dispensait l'aliment spirituel de la doctrine de vérité qui s'adresse à l'âme, et en même temps il donnait à leurs sens mêmes, au dehors, le spectacle de ses miracles et de ses prodiges. Parfois il leur procurait l'aliment matériel, qu'ils n'auraient pu trouver dans les déserts où ils l'avaient suivi. Il faisait entendre les sourds et marcher les boiteux, il rendait la vue aux aveugles et la parole aux muets, chassait les démons du corps des possédés et ressuscitait les morts, ce qui doit s'entendre tant du corps que de l'esprit. Avec une fidélité absolue il a pour nous porté le labeur de toutes façons. Qui pourrait aller jusqu'au fond de sa charité ? Elle jaillissait de la source insondable de l'Esprit-Saint, plus abondamment qu'en toute autre créature ; car il était Dieu et homme en une seule personne.

     Telle est la considération relative à la charité.


CHAPITRE V.

DE LA PATIENCE DANS LE CHRIST.


     La troisième vertu remarquable dans le Christ est sa patience dans les souffrances. Considérons-la avec soin, car elle fut la parure de notre Époux durant toute sa vie.

     La souffrance vint de bonne heure, car en naissant il eut déjà à supporter le dénuement et le froid. À la circoncision il versa son sang ; il dut fuir en terre d'exil, et fut le serviteur de sa mère et de saint Joseph ; il souffrit la faim et la soif, les opprobres et le mépris, les paroles et les traitements indignes des juifs. Il se livra au jeûne, aux veilles et voulut même être tenté par le démon. Soumis à tous, il allait de région en région, de ville en ville, prêchant l'Évangile avec grand labeur et zèle ardent.

     À la fin il fut pris par les Juifs, qui étaient ses ennemis, alors qu'il se montrait leur ami. Trahi, bafoué, injurié, flagellé et frappé, condamné sur de faux témoignages, il porta sa croix avec grande souffrance au lieu le plus élevé du monde. La honte, les tourments, le froid supportés pour tous, rien ne lui fut épargné. Il fut attaché au bois de la croix avec des clous grossiers, et on étira tous ses membres jusqu'à les lui déchirer. Puis la croix soulevée fut jetée violemment en terre, de sorte que toutes ses blessures se rouvrirent. Sa tête fut couronnée d'épines et ses oreilles perçurent les cris féroces de ses ennemis : « Crucifiez-le, crucifiez-le, » et mille autres injures. De ses yeux le Christ pouvait voir l'obstination et la malice des juifs, en même temps que l'affliction de sa mère ; et sa vue s'obscurcit sous l'amertume de la douleur et de la mort. Ses narines respiraient les affreux crachats que ses bourreaux lui jetaient à la face. Sa bouche et son palais furent abreuvés de vinaigre mêlé de fiel. Tout ce qui était sensible en lui fut meurtri par les verges.

     Voilà le Christ, notre Époux, frappé à mort, délaissé de Dieu et de toutes les créatures, mourant sur la croix, où il est suspendu comme une branche sèche dont nul n'a cure, sauf Marie, sa pauvre mère, qui ne peut le secourir.

     Mais il souffrait encore spirituellement en son âme, de l'endurcissement des juifs et de ceux qui le mettaient à mort ; car tous, malgré les prodiges et les miracles dont ils avaient été témoins, demeuraient dans leur malice ; et il s'affligeait de leur perte et de la vengeance qui serait tirée de sa mort, Dieu devant la leur faire expier dans l'âme et dans le corps. Le Christ portait aussi la douleur et l'affliction de sa mère et de ses disciples, qui étaient en grande tristesse. Il souffrait de ce que sa mort demeurerait inutile pour beaucoup, et il s'affligeait de l'ingratitude d'un grand nombre et des blasphèmes impies que tant d'hommes devaient proférer en maudissant et couvrant d'opprobres celui qui mourait par amour pour nous. Sa sensibilité et la partie inférieure de sa raison étaient dans la peine, parce que Dieu leur retirait l'effusion de ses dons et de ses consolations, et les laissait réduites à elles-mêmes dans une profonde détresse. Et il s'en plaignait à Dieu, disant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné (11). » Mais, plein d'amour pour nous, il faisait taire toutes ces douleurs et criait à son Père : « Pardonnez-leur, ô Père, car ils ne savent ce qu'ils font (12) » Et le Christ fut exaucé de son Père à cause de sa piété (13) ; car tous ceux qui avaient agi par ignorance purent se convertir dans la suite.

     Telles furent les vertus intérieures du Christ : humilité, charité et patience. Ces trois vertus ont été pratiquées par lui durant toute sa vie, et en sa mort, lorsqu'il paya notre dette envers la justice divine et répandit de son côté ouvert tous ses bienfaits. Des flots de délices en sortirent avec les sacrements du salut. Puis le Christ s'est élevé au ciel par sa propre puissance, et il y siège à la droite de son Père, partageant son règne pour l'éternité.

     C'est la première venue de notre Époux, qui est pleinement achevée.


CHAPITRE VI.

DE LA SECONDE VENUE DU CHRIST.


     La seconde venue a lieu quotidiennement chez les bons ; elle est source de grâces nombreuses et de dons nouveaux pour tous ceux qui s'y disposent selon leur pouvoir.

     Ici nous ne voulons point parler de la première conversion de l'homme, ni de cette grâce initiale qui lui est donnée lorsqu'il passe du péché aux vertus ; mais d'un accroissement de dons et de vertus qui se renouvellent chaque jour, et d'une venue plus immédiate par laquelle le Christ notre Époux se présente quotidiennement à notre âme.

     Voyons ici encore la cause et le pourquoi, le mode et l'effet de cette venue. La cause en est quadruple : la miséricorde de Dieu et notre misère, sa libéralité et la grandeur de nos désirs. Ce sont quatre causes de croissance en vertu et en dignité pour l'âme.

Comprenez bien ceci lorsque le soleil envoie ses rayons et sa clarté jusque dans une profonde vallée, située entre deux montagnes, tandis qu'il est au sommet du firmament, de façon à pouvoir éclairer le sol même et le fond de cette vallée, il se produit trois choses : la vallée s'éclaire de la lumière que lui renvoient les montagnes, elle s'échauffe ainsi davantage et devient plus fertile qu'une plaine. De la même façon, lorsqu'un homme juste se tient en sa petitesse, au plus bas de soi-même, et qu'il reconnaît n'avoir rien de soi, n'être rien et ne pouvoir rien, ni persévérer, ni progresser, et que souvent même il manque de vertus et de bonnes œuvres, alors il prend conscience de sa pauvreté et de sa détresse, et il creuse ainsi une vallée d'humilité. Et parce qu'il est humble et indigent, et qu'il connaît sa misère, il l'expose et en gémit devant la bonté et la miséricorde de Dieu. Ainsi peut-il reconnaître et la hauteur de Dieu et sa propre bassesse, et il devient une vallée profonde. Or, le Christ est un soleil de justice et aussi de miséricorde, qui se tient au plus haut du firmament, c'est-à-dire à la droite de son Père, et il brille jusqu'au fond des cours humbles ; car le Christ est toujours touché de la misère de l'homme qui en gémit et la découvre humblement. Alors s'élèvent là aussi deux montagnes formées d'un double désir, l'un de servir Dieu et de le louer dignement l'autre de pratiquer la vertu d'une façon excellente. Ces deux montagnes sont plus hautes que le ciel, car les désirs dont elles sont formées atteignent Dieu sans intermédiaire et attirent sa large libéralité. Dès lors cette libéralité ne peut plus se contenir, il faut qu'elle se répande ; car l'âme est devenue apte à recevoir des dons plus nombreux.

     Telles sont les causes d'une nouvelle venue du Christ, source de vertus nouvelles. La vallée, qui est le cœur humble, reçoit ainsi une illumination plus haute de la grâce, une ferveur plus grande de charité, une croissance de vertus parfaites et de bonnes œuvres. En cela consistent la cause, le mode et l'effet de cette venue.



CHAPITRE VII.

COMMENT L'ON PROGRESSE CHAQUE JOUR PAR LE MOYEN
DES SACREMENTS.

     Il y a encore un autre mode de venue du Christ notre Époux, qui se fait chaque jour par un accroissement de grâce et de nouveaux dons. C'est lorsque l'homme reçoit d'un cœur humble quelque sacrement, sans apporter d'obstacle à son efficacité. Il acquiert, en effet, ainsi de nouveaux dons et des grâces plus nombreuses, tant à cause de son humilité que de l'opération mystérieuse du Christ dans les sacrements. Ce qui met obstacle à leur efficacité, c'est pour le baptême le manque de foi, pour la confession l'absence de contrition, pour le sacrement de l'autel le péché mortel ou la volonté perverse, et ainsi de suite pour les autres sacrements. L'on n'y reçoit point alors de nouvelles grâces, mais les péchés augmentent.

     Telle est la seconde venue du Christ notre Époux, qui se fait pour nous quotidiennement. Nous devons y être attentifs avec un cœur plein de désirs, afin qu'elle soit efficace ; car elle nous est nécessaire si nous voulons persévérer et progresser pour la vie éternelle.



CHAPITRE VIII.

DE LA TROISIÈME VENUE DU CHRIST.

     La troisième venue, qui est encore future, se fera au jugement ou à l'heure de la mort (14), parce que Dieu s'est fixé un temps et qu'il est convenable que l'âme rende raison de ses actes devant un juste juge.

     Le temps opportun de cette venue est l'heure de la mort pour chacun et le dernier jugement pour tous. Lorsque Dieu a créé l'âme de rien et l'a unie à son corps, il lui a fixé un jour et une heure, connus de lui seul, où elle doit sortir du temps et comparaître en sa présence.

     La convenance de cette venue apparaît en ceci, que l'âme doit rendre raison et répondre devant l'éternelle vérité de toutes paroles et de tous actes posés par elle.

     La justice du juge ressort du fait que c'est au Christ qu'appartiennent le jugement et la sentence, car il est le Fils de l'homme (15) et la Sagesse du Père, à qui revient tout jugement, parce que tous les cours au ciel, sur la terre et dans les enfers lui sont clairement connus.

     C'est pour ce triple motif que le Christ viendra pour tous au dernier jour et pour chacun en particulier à l'heure de sa mort.



CHAPITRE IX.

COMMENT LE CHRIST SE COMPORTERA AU DERNIER JUGEMENT.

     Le mode selon lequel le Christ, notre Époux, doit nous juger est celui-ci : Il récompensera et punira en toute justice, rendant à chacun selon ses mérites. Aux bons il donnera, pour chaque bonne œuvre accomplie en vue de Dieu, la récompense sans mesure, qui est lui-même, et qui dépasse tout mérite de quelque créature que ce soit. Mais parce qu'il coopère aux bonnes œuvres des créatures, celles-ci ont le pouvoir, grâce à sa propre vertu, de mériter cette récompense. Et par un juste jugement, les damnés seront livrés à une peine et à un châtiment éternels, parce qu'ils auront méprisé et rejeté un bien sans fin pour un bonheur passager. Ils se sont librement détournés de Dieu, contre son honneur et sa volonté, pour se tourner vers les créatures. Aussi sont-ils justement damnés.

     Au jugement sont cités comme témoins les anges et la conscience de chacun. L'accusateur, c'est le démon d'enfer, et le juge, c'est le Christ que nul ne peut tromper.


CHAPITRE X.

DES CINQ CATÉGORIES DE PERSONNES QUI DOIVENT
COMPARAÎTRE AU JUGEMENT.

     Il y a cinq catégories de personnes qui doivent comparaître devant ce juge (16).

     La première et la pire de toutes se compose des chrétiens qui meurent en péché mortel, sans repentir ni pénitence ; car ils ont méprisé la mort du Christ et ses sacrements, ou bien ils ont reçu ceux-ci en vain et indignement. Ils n'ont point pratiqué les œuvres de miséricorde à l'égard de leur prochain dans la charité, selon les commandements de Dieu. Et c'est pourquoi ils sont damnés au plus profond de l'enfer.

     La seconde catégorie, ce sont les infidèles, païens ou juifs, qui doivent tous comparaître devant le Christ, quoique toute leur vie ils aient déjà été condamnés (17) ; car ils n'ont eu durant ce temps ni grâce, ni amour divin. C'est pourquoi ils sont pour toujours dans l'éternelle mort de la damnation ; mais ils auront moins de tourments à subir que les mauvais chrétiens, parce qu'ils n'ont pas reçu autant de dons de la part de Dieu et sont dès lors tenus à une fidélité moindre.

     La troisième catégorie se compose des bons chrétiens qui, tombés parfois dans le péché, se sont relevés avec contrition, en y joignant l'expiation de la pénitence ; mais ils n'ont pas achevé cette expiation conformément à la pleine justice, et ils appartiennent au purgatoire.

     La quatrième catégorie comprend ceux qui ont gardé les commandements de Dieu, ou qui, s'ils les ont enfreints, se sont retournés vers lui avec contrition et pénitence, accomplissant des œuvres de charité et de miséricorde, et qui ont si parfaitement expié que de leurs lèvres leur âme s'exhale pour aller au ciel sans passer par le purgatoire.

     La cinquième catégorie, ce sont ceux qui, dépassant les œuvres de charité extérieure, vivent au ciel, unis à Dieu et abîmés en lui et lui en eux, à tel point qu'il n'y a plus entre Dieu et eux-mêmes d'autre intermédiaire que le temps et l'état de mortalité. À peine délivrés des liens du corps, en un instant ils jouissent de leur éternelle béatitude, sans autre jugement ; mais au dernier jour, ils jugeront eux-mêmes avec le Christ le reste des hommes.

     Alors toute vie mortelle, ainsi que toute souffrance temporelle sur la terre et en purgatoire prendront fin. Mais tous les damnés seront engloutis dans le fond de l'enfer, dans une perdition et une éternelle horreur, sans fin, avec le démon et ses pareils, tandis que les bienheureux seront en un instant dans la gloire éternelle avec le Christ leur Époux, et ils contempleront, goûteront et savoureront le trésor insondable de la divine essence, éternellement et sans fin.

     Telle est la troisième venue que nous attendons tous et qui est future. La première a déjà eu lieu, lorsque Dieu s'est fait homme, a vécu humblement et a souffert la mort par amour pour nous ; nous devons y correspondre pr la pratique extérieure et parfaite des vertus, la charité intérieure et l'humilité sincère. La seconde est présente et se fait en chaque cour aimant par la grâce ; nous devons la souhaiter et l'implorer chaque jour, afin de persévérer et de croître en nouvelles vertus. La troisième enfin aura lieu au jugement dernier ou à l'heure de notre mort, et il nous faut l'attendre avec confiance et respect, souhaitant d'être délivrés de la misère présente et d'entrer dans les glorieux parvis.

     Cette triple venue constitue le second des quatre principaux enseignements, et elle est exprimée par ces mots du Christ : Sponsus venit, l'Époux vient.



CHAPITRE XI.

D'UNE SORTIE SPIRITUELLE PAR LA PRATIQUE DE TOUTES
LES VERTUS.

     Le Christ a dit tout d'abord: Voyez ; et pour l'accomplir, il faut la charité et une conscience pure, comme vous l'avez entendu dès le commencement. Ensuite il nous a montré ce que nous devions voir, c'est-à-dire ses trois venues. Il nous indique maintenant ce que nous avons à faire ensuite, et il dit : Sortez.

     Si vous possédez la première qualité qui consiste pour vous à voir par la grâce et par la charité ; si d'autre part vous avez bien considéré le Christ, votre modèle, en sa venue : alors, de la charité et de cette considération amoureuse de votre Époux, naît en vous une justice qui consiste à vouloir le suivre en vertus. Et le Christ vous dit dans l'intime : Sortez. Or cette sortie doit se faire de trois manières ; car il nous faut sortir vers Dieu, vers nous-mêmes et vers notre prochain, et cela se fait par la charité et la justice. La charité, en effet, tend toujours en haut, jusqu'au royaume de Dieu, qui est Dieu lui-même, comme vers la source d'où elle s'écoule sans intermédiaire et où elle demeure par l'union. La justice, qui naît de la charité, veut mener jusqu'à perfection toutes les œuvres bonnes et toutes les vertus qui conviennent au royaume de Dieu, c'est-à-dire à l'âme.

     Ces deux vertus, charité et justice, donnent un fondement au royaume de l'âme, où Dieu doit faire sa demeure, et ce fondement c'est l'humilité (18).

     À elles trois, ces vertus portent tout le poids et l'édifice de toutes les autres et de toute noblesse ; car la charité tient l'homme toujours en face de la bonté insondable de Dieu d'où elle s'écoule, afin qu'il puisse vivre tout à l'honneur de Dieu, se tienne ferme, et grandisse en toutes vertus et en vraie humilité. La justice, de son côté, le met devant la vérité éternelle de Dieu, afin qu'il soit à découvert devant elle, que par elle il soit illuminé et puisse mener à perfection toutes vertus sans crainte d'erreur. Mais l'humilité, à son tour, maintient sans cesse l'homme devant la haute souveraineté de Dieu, afin qu'il demeure toujours petit et humble, s'abandonne à Dieu et ne tienne plus à lui-même. C'est ainsi qu'il doit être devant Dieu, afin de croître toujours en nouvelles vertus.



CHAPITRE XII.

DE L'HUMILITÉ (19)

     Puisque nous avons donné l'humilité comme fondement des autres vertus, vous comprenez pourquoi nous voulons en parler dès le début.

     Humilité veut dire sentiment bas ou profond, et c'est une inclination ou prosternement intérieur du cœur et de l'âme devant la haute dignité de Dieu. La justice le demande et l'exige, et en raison de sa charité, le cour aimant ne peut s'en abstenir. Quand l'homme humble et aimant considère que Dieu l'a servi si humblement, si aimablement et fidèlement ; que, d'autre part, il est si haut, si puissant et si noble, et l'homme si pauvre, si petit et si chétif ; il sent naître en son cœur une immense révérence et haute estime de Dieu ; car procurer l'honneur de Dieu en toutes ses actions, c'est ce que l'humilité peut accomplir de plus doux et de meilleur, la charité de plus savoureux et la justice de plus convenable. Jamais le cœur humble et aimant ne peut, en effet, rendre assez d'honneur à Dieu et à sa noble humanité, ni s'abaisser suffisamment au gré de ses désirs. Aussi celui qui est humble ne croit-il jamais donner à Dieu ce qu'il lui doit en fait de révérence et d'humble service. Son humilité et son respect se manifestent envers la sainte Église et les sacrements, en même temps que sa modération paraît dans le boire et le manger, dans ses paroles et les réponses qu'il donne à chacun, dans son attitude, son vêtement et ses humbles emplois, dans tout son extérieur réservé, sans feinte ni recherche.

     Il est humble encore dans toute son attitude, devant Dieu et tous les hommes, de sorte que personne n'est scandalisé à cause de lui. Et c'est ainsi qu'il triomphe et se débarrasse de l'orgueil, cause et principe de tout péché. Par l'humilité sont rompus les liens du démon, du péché et du monde. L'homme est ordonné en lui-même et établi au lieu propre des vertus. Le ciel lui est ouvert, Dieu est prêt à écouter sa prière, et il est rempli de grâce. Le Christ, la pierre solide, est son fondement : celui qui y établit l'édifice des vertus en humilité ne peut se tromper.



CHAPITRE XIII.

DE L'OBÉISSANCE.

     De cette humilité vient l'obéissance, car nul ne peut être intérieurement obéissant s'il n'est humble.

     L'obéissance est le fait d'une âme humble, soumise et souple, et d'une volonté prête à tout bien. Elle soumet l'homme aux commandements, aux défenses et à la volonté de Dieu ; elle assujettit ses sens et ses puissances inférieures à la raison supérieure, de sorte qu'il puisse vivre selon qu'il est convenable et raisonnable. Elle le rend soumis et docile à la sainte Église et aux sacrements, aux prélats et à leurs enseignements, à leurs ordres et à leurs conseils, enfin à tous les bons usages auxquels on s'applique dans la sainte chrétienté. Elle l'incline aussi et le dispose à suivre les conseils, le rend souple à prêter ses services d'ordre temporel ou spirituel, selon les nécessités de chacun et en toute discrétion. Elle chasse la désobéissance qui est fille de l'orgueil et qui est plus à fuir que le venin ou le poison.

     L'obéissance de volonté et d'acte orne, étend et manifeste l'humilité de l'homme. Elle donne la paix aux communautés, et si le supérieur la possède selon le mode qui lui est propre, elle entraîne ceux qui lui sont soumis. Elle maintient la concorde et l'égalité d'âme entre frères, et celui qui la garde a l'affection de ses supérieurs, en même temps que Dieu l'élève et l'enrichit de dons éternels.



CHAPITRE XIV.

DE L'ABANDON DE LA VOLONTÉ PROPRE.

     L'obéissance engendre l'abandon de la volonté propre et de l'opinion personnelle, car nul ne peut soumettre sa volonté à celle d'un autre, en toutes choses, qu'en obéissant, bien qu'on puisse exécuter extérieurement les ordres et conserver cependant sa volonté propre.

     Lorsqu'on abandonne ainsi sa volonté, l'on vit sans préférence de ceci ou de cela, en toutes circonstances, et l'on ne fait point choix de choses bizarres ou en opposition avec l'enseignement et la vie des saints ; mais on se règle toujours selon la gloire de Dieu et ses commandements, la volonté des supérieurs et la bonne entente avec tous autour de soi, en observant une sage discrétion.

     Ce renoncement absolu enlève pleinement matière et occasion à l'orgueil et constitue le plus haut degré d'humilité. La volonté de Dieu devient dès lors maîtresse en toutes choses, et celle de l'homme lui est si unie, qu'il ne peut plus vouloir ni désirer autre chose. Celui-ci a dépouillé le vieil homme et revêtu le nouveau, qui est renouvelé et créé selon la très chère volonté de Dieu. C'est à lui que s'applique la parole du Christ : « Bienheureux les pauvres en esprit, c'est-à-dire ceux qui ont renoncé à leur propre volonté, car le royaume des cieux est à eux (20) »



CHAPITRE XV.

DE LA PATIENCE.

     Du renoncement à la volonté propre naît la patience, que nul ne peut posséder pleinement en toutes circonstances, s'il n'a remis sa propre volonté entre les mains de celle de Dieu, se soumettant à tous les hommes en ce qui est utile et convenable.

     La patience est le support tranquille de tout ce qui peut nous atteindre de la part de Dieu et de toutes les créatures. Il n'y a rien au monde qui puisse troubler l'homme patient, ni perte de biens terrestres, d'amis ou de parents, ni maladies, ni humiliations, ni vie, ni mort, ni purgatoire, ni diable, ni enfer ; car il s'est abandonné au bon vouloir de Dieu en toute charité. Parce qu'il ne se sent coupable d'aucun péché mortel, tout lui semble léger de ce que Dieu ordonne de lui pour le temps ou pour l'éternité. Armé de cette patience, l'homme possède un ornement et une sauvegarde contre la colère et la fureur soudaine, et contre le manque de support dans les souffrances, par quoi il est souvent troublé en son âme et exposé à mille tentations.



CHAPITRE XVI.

DE LA DOUCEUR.

     La patience donne naissance à la douceur, car nul ne peut être doux dans la mauvaise fortune s'il n'est tout d'abord patient.

     La douceur donne à l'homme paix et tranquillité au milieu de toutes choses. Il peut alors supporter paroles et gestes de menace, visage mauvais et méchants procédés, ou encore l'injustice sous toutes ses formes contre lui ou contre ses amis, et toujours demeurer en paix ; car douceur n'est autre chose que porter paisiblement.

     La douceur donne à la puissance irascible de demeurer stable et tranquille ; elle dirige vers la vertu la puissance concupiscible, et la raison qui s'en rend compte se réjouit ; enfin la conscience, qui goûte ceci, demeure en paix. De cette façon est expulsé le second péché capital, que l'on nomme colère, emportement ou fureur. L'Esprit de Dieu, en effet, repose en l'homme humble et doux, et le Christ dit : « Bienheureux les doux, car ils posséderont la terre (21) » c'est-à-dire leur propre nature et les choses terrestres dans la douceur, et ensuite la terre des vivants pour l'éternité.



CHAPITRE XVII.

DE LA BONTÉ.

     De ce même fonds de douceur naît la bonté, nul ne pouvant être bon que celui qui est doux de cœur. Cette bonté donne à l'homme un extérieur aimable et lui inspire de bonnes paroles et toute sorte de procédés généreux envers ceux qui sont irrités, s'il espère ainsi les amener à reconnaître leurs torts et à devenir meilleurs.

     Grâce à la clémence et à la bonté, la charité demeure vivante et féconde en l'homme ; car le cœur plein de bonté est semblable à une lampe remplie d'huile pure. Cette huile de bonté éclaire, en effet, en bons exemples le pécheur égaré ; elle répand l'onction de paroles et d'œuvres consolatrices et guérit ainsi ceux qui ont le cœur ulcéré, qui sont tristes ou irrités ; elle enflamme enfin et illumine du feu de la charité ceux qui sont déjà vertueux, et elle ne se laisse atteindre par aucun mauvais procédé ni défaveur quelconque.



CHAPITRE XVIII.

DE LA COMPASSION.

     La bonté fait naître la compassion, c'est-à-dire une commune sympathie pour tous les hommes ; car personne ne peut souffrir avec tous, sans être bon.

     La compassion est un mouvement intérieur du cœur ému de pitié à l'égard de quiconque, pour toute détresse corporelle ou spirituelle. C'est sous cet empire que l'on souffre avec le Christ en sa passion, lorsque l'on considère le pourquoi de ses souffrances, la manière dont il les a portées et la patience dont il y a fait preuve ; son amour, ses plaies, sa sensibilité si délicate ; ses douleurs et sa honte, sa noblesse et sa misère ; les ignominies, l'abjection, la couronne, les clous, sa bonté, son trépas et sa mort dans la patience. Devant ces peines inouïes et multiples du Christ, notre Sauveur et notre Époux, l'homme vraiment bon se sent ému de compassion et de pitié à son égard.

     Le même sentiment fait qu'il se considère soi-même et remarque ses fautes, ainsi que son incapacité à pratiquer la vertu et à procurer l'honneur de Dieu, sa tiédeur et sa paresse, ses défauts multiples, la perte de son temps, son imperfection actuelle dans les vertus et les habitudes saintes. Il se prend en pitié, et ému d'une semblable compassion, il gémit de l'aberration et de l'aveuglement des hommes, de l'oubli où ils sont de leur Dieu et de leur propre salut, de leur ingratitude vis-à-vis de tout le bien que Dieu leur a fait et de toutes les souffrances endurées pour eux ils sont étrangers à la vertu qu'ils ne connaissent ni ne pratiquent, rusés et habiles en toute malice et injustice, âpres au gain ou soucieux de la perte des choses terrestres, inattentifs et insouciants à l'endroit de Dieu, des choses éternelles et de leur propre salut. En constatant tout cela, l'homme vraiment bon se sent pris d'un grand désir du salut de tous.

     Son souci de miséricorde s'exerce encore sur les besoins temporels de son prochain et les souffrances multiples qu'il endure.

     Il le voit, en effet, supporter la faim, la soif, le froid, la nudité, la maladie, la pauvreté, le mépris, les mille fardeaux imposés aux pauvres, la tristesse que cause la perte des proches, des amis, des biens, de l'honneur, du repos, tout le poids enfin hors de mesure qui écrase la nature humaine. C'est de quoi émouvoir de compassion un cœur bon, et lui donner sympathie pour tous. Mais sa plus grande souffrance est de voir les hommes porter tout cela sans patience, perdre ainsi leur récompense et mériter souvent l'enfer. Telle est l'œuvre de la compassion et de la miséricorde.

     Cette œuvre de compassion et d'un amour commun à tous domine et expulse le troisième péché capital qui est la haine et l'envie ; car la compassion est une blessure du cœur qui fait aimer communément tous les hommes et qui ne peut guérir aussi longtemps qu'il y a quelque souffrance aperçue, Dieu lui ayant demandé de préférence à toutes les autres vertus de pleurer et de souffrir. C'est pourquoi le Christ dit : « Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés (22). Ils le seront, en effet, quand après avoir, par la compassion, semé dans la douleur, ils récolteront dans la joie.



CHAPITRE XIX.

DE LA LIBÉRALITÉ.

     La compassion est source de libéralité ; car pour posséder une libéralité surnaturelle, qui se marque par un dévouement commun à tous et pratiqué avec aisance, il faut d'abord savoir compatir ; encore que par inclination naturelle on puisse donner libéralement à certaines personnes, sans charité ni générosité surnaturelles.

     La libéralité est une large effusion du cœur ému de charité et de miséricorde. Quand l'homme considère avec compassion les peines et souffrances du Christ, il sent naître en son cœur une bienveillance par laquelle il lui offre, en retour de tant de peines et d'amour, louange et reconnaissance, honneur et révérence, en même temps que soumission joyeuse et humble d'âme et de corps, pour le temps et pour l'éternité. Puis lorsqu'il se regarde lui-même dans un sentiment de compassion et de profonde pitié ; lorsqu'il voit le bien que Dieu lui a fait et d'autre part ses propres manquements, il ne peut que s'abandonner à sa libéralité, à sa grâce et à sa fidélité, se réfugiant en lui, avec une libre et entière volonté de le servir à jamais. Voyant l'aberration, l'aveuglement et l'injustice des hommes, il souhaite et implore de Dieu avec une intime confiance l'effusion de ses dons divins et de sa libéralité sur tous, afin qu'ils le connaissent et se tournent vers la vérité. Il regarde aussi avec compassion les besoins matériels de tous les hommes, et il se dépense, donne et prête, consolant chacun selon qu'il est nécessaire et selon son pouvoir, en toute discrétion.

     Sous l'empire de ce sentiment l'on pratique d'ordinaire les sept œuvres de miséricorde, les riches par les services qu'ils rendent au moyen de leurs biens, les pauvres par leur bonne volonté et le désir véritable de faire la charité s'ils en avaient le pouvoir. De cette manière la vertu de libéralité est parfaite.

     Lorsqu'elle devient foncière, toutes les vertus grandissent et toutes les puissances de l'âme reçoivent leur ornement ; car sous son influence l'homme est toujours d'esprit joyeux, le cœur dépouillé de soucis, ardent en désirs et se donnant communément à tous en œuvres vertueuses. Si pauvre soit-il, en effet, s'il n'aime pas les choses terrestres, il ressemble à Dieu, son sentiment le plus intime étant de se répandre et de donner. Et de cette manière il met dehors le quatrième péché capital, qui est avarice et cupidité. Parlant de tels hommes le Christ dit : « Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde (23), » au jour où ils entendront cette voix  : «Venez, les bien-aimés de mon Père, posséder le royaume qui vous est préparé », à cause de votre miséricorde, « dès le commencement du monde (24) »



CHAPITRE XX.

DU ZÈLE.

     La libéralité à son tour fait naître le zèle surnaturel et une diligence pour toutes les vertus et pour tout ce qui est convenable (25). Nul ne peut éprouver ce zèle que celui qui se donne avec libéralité. C'est une poussée intérieure et pressante vers toutes les vertus et vers la ressemblance du Christ et de ses saints. Mû par ce zèle, l'homme désire appliquer à l'honneur et à la louange de Dieu son cœur et ses sens, son âme et son corps, tout ce qu'il est, tout ce qu'il a et tout ce qu'il peut avoir.

     Le même zèle lui donne la vigilance dans la raison et le discernement, et lui fait pratiquer les vertus d'âme et de corps, en toute droiture. Sous l'empire de ce zèle surnaturel toutes les puissances de l'âme sont ouvertes à Dieu et prêtes à toutes les vertus. La conscience se réjouit et la grâce de Dieu s'accroît, la vertu est pratiquée avec entrain et joie, et les œuvres extérieures reçoivent leur ornement.

     Celui qui a reçu de Dieu ce zèle vivant se voit délivrer du cinquième péché capital, qui est la paresse spirituelle et l'ennui à l'égard des vertus nécessaires au salut. Parfois ce même zèle fait disparaître aussi la lourdeur et h paresse de la nature corporelle.

     À ceux qui en sont doués le Christ dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés (26), » ce qui arrivera lorsque la gloire de Dieu sera manifestée et remplira chacun selon la mesure de son amour et de sa rectitude.



CHAPITRE XXI.

DE LA SOBRIÉTÉ.

     Le zèle dont il vient d'être parlé engendre la mesure et la sobriété tant à l'intérieur qu'à l'extérieur ; car nul ne peut être mesuré ni sobre, s'il n'est particulièrement diligent et zélé à garder son âme et son corps en toute rectitude. La sobriété met une barrière entre les puissances supérieures et les puissances animales, et elle préserve l'homme de l'intempérance et de tout excès. C'est encore la sobriété qui l'empêche de goûter et de connaître ce qui n'est point permis.

     La haute nature incompréhensible de Dieu dépasse toutes les créatures au ciel et sur la terre ; car tout ce que la créature peut saisir, c'est le créé, et Dieu est au-dessus de tout ce qui est créé ; il enveloppe à l'extérieur et à l'intérieur toutes les créatures, et toute compréhension créée est trop étroite pour l'embrasser. Mais pour que la créature puisse saisir et comprendre Dieu, elle doit être entraînée au-dessus d'elle-même jusqu'en Dieu et le saisir par lui-même. Celui donc qui voudrait savoir ce qu'est Dieu et s'appliquer à cette recherche ferait chose défendue ; il y perdrait la raison. C'est qu'en effet toute lumière créée défaille, lorsqu'il s'agit de savoir ce qu'est Dieu. Cela dépasse toute créature ; mais tout dans la nature, dans les Écritures et dans le créé, nous dit que Dieu est. L'on croira donc les articles de la foi, mais sans vouloir en posséder la science absolue ; car c'est chose impossible tant que nous sommes ici-bas.

     La doctrine cachée et mystérieuse des Écritures, dictées par l'Esprit-Saint, ne devra être expliquée et comprise qu'en accord avec la vie du Christ et de ses saints. De même l'homme ne scrutera les choses de la nature, les Écritures et tout ce qui est créé que pour en tirer son profit et pas davantage telle est la sobriété de l'esprit.

     Il y a une autre sobriété que l'on doit garder dans les sens, afin de dominer par la raison les puissances animales. De cette façon l'appétit grossier ne se donnera pas libre carrière en prenant satisfaction dans le boire et le manger ; mais l'homme prendra nourriture et breuvage comme un malade prend un remède pour son besoin, et seulement pour maintenir ses forces et pouvoir ainsi servir Dieu. C'est la sobriété du corps.

     L'homme doit être encore modéré et mesuré en ses paroles et en ses œuvres, en son silence et en son langage, en son boire et en son manger, en toute sa conduite et toujours selon la coutume de la sainte Église et l'exemple des saints.

     Ainsi par mesure et sobriété d'esprit à l'intérieur, l'on garde une foi ferme et solide, une intelligence nette et une raison tranquille pour comprendre la vérité, une disposition à pratiquer toutes les vertus selon la volonté de Dieu, un cœur paisible et une conscience sereine. De cette façon l'on possède une paix stable en Dieu et en soi-même.

     Puis, par cette mesure et sobriété de corps à l'extérieur, l'on conserve souvent santé et équilibre de ses forces corporelles, honnêteté de mœurs et intégrité de nom. De cette manière l'on a paix en soi-même et avec son prochain ; car l'on attire et l'on charme par mesure et sobriété tous ceux qui sont bien disposés. C'est aussi l'affranchissement du sixième péché capital, qui s'appelle intempérance, gourmandise et gloutonnerie. Alors s'applique la parole du Christ « Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés fils de Dieu (27). » Ils ressemblent en effet au Fils unique qui est auteur de paix pour toutes les créatures qui la désirent ; et ceux qui par mesure et sobriété font aussi la paix recevront de lui en partage l'héritage de son Père, qu'avec lui ils posséderont pour l'éternité.



CHAPITRE XXII.

DE LA PURETÉ.

     La sobriété donne la pureté d'âme et de corps, car nul ne peut être pleinement pur de corps et d'âme, s'il ne garde la sobriété de l'un et de l'autre.

     La pureté d'esprit consiste pour l'homme à ne s'attacher d'affection sensible à aucune créature, mais à se donner à Dieu seul ; car si l'on peut user des créatures, c'est en Dieu seul qu'on peut mettre sa jouissance. La pureté de l'esprit fait que l'on s'attache à Dieu en s'élevant au-des-sus de tout ce qui peut se comprendre ou se sentir et au-dessus de tous les dons que Dieu peut répandre dans l'âme : car tout ce que la créature est capable de percevoir dans son intelligence et dans son sentiment doit être dépassé, si l'on veut se reposer en Dieu. On ne doit s'approcher du sacrement de l'autel ni par goût, ni par dévotion sensible, ni par un désir de paix, de tranquillité ou de douceur, ni pour quelque motif autre que l'honneur de Dieu et la croissance en toutes vertus. Telle est la pureté d'esprit.

     La pureté de cœur consiste à se tourner vers Dieu en toute tentation des sens ou poussée de la nature, avec sa volonté libre, un abandon toujours renouvelé, sans hésitation, avec une nouvelle fidélité et le ferme propos de demeurer sans cesse avec Dieu. Car donner consentement au péché ou à la délectation que la nature sensible convoite comme une bête, c'est se séparer de Dieu.

     La pureté de corps veut que l'homme s'abstienne et se garde des œuvres impures sous quelque forme qu'elles se présentent, selon que sa conscience lui témoigne et l'avertit qu'il y a là impureté et que cela va contre le commandement, l'honneur et la volonté de Dieu.

     Ces trois sortes de pureté font disparaître le septième péché capital, qui est l'impureté. Ce vice est une tendance de l'esprit à chercher hors de Dieu sa jouissance en quelque chose de créé ; c'est aussi l'œuvre charnelle impure, en dehors de ce qui est permis par la sainte Église, et l'attachement sensible du cœur à prendre goût et délectation en quelque créature que ce soit. Je ne veux point parler des mouvements rapides de l'affection ou du désir, que nul ne peut éviter.

     Sachez donc que la pureté d'esprit tient l'homme en la ressemblance de Dieu, loin du souci des créatures, appliqué à Dieu et uni à lui.

     On compare la pureté du corps à la blancheur des lys et à la pureté des anges. En tant qu'elle porte le combat, elle ressemble à la pourpre des roses et à la noblesse des martyrs. Lorsqu'elle est embrasée par amour pour Dieu et en son honneur, elle est parfaite. Et ainsi peut-on la comparer à l'héliotrope, car elle constitue une des plus hautes noblesses de la nature.

     La pureté du cœur fait que la grâce de Dieu se renouvelle et grandit. En elle toutes les vertus naissent, sont pratiquées et se conservent. Elle guide et garde les sens extérieurs, elle domine et enchaîne les instincts grossiers au-dedans, et elle est un ornement de tout le domaine intérieur. Elle est pour le cœur une clôture qui le sépare de toutes choses terrestres et de toutes tromperies, et elle l'ouvre aux choses célestes et à toute vérité. C'est pourquoi le Christ dit : « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu (28) ; » et cette vue sera pour nous joie éternelle, toute récompense et entrée dans la béatitude. Aussi l'homme devra-t-il être sobre, mesuré en toutes choses, et se garder de toute conduite et de toute occasion qui pourraient souiller la pureté de l'âme ou du corps.



CHAPITRE XXIII.

DU RÔLE DE LA JUSTICE.

     Si nous voulons acquérir toutes les vertus dont il a été parlé et expulser les vices contraires, il nous faut posséder la justice, la pratiquer et la garder jusqu'à l'heure de notre mort, avec pureté de cœur ; car nous avons trois puissants adversaires, qui nous tentent et nous attaquent en tous temps, en tous lieux et en maintes manières. Faisons-nous la paix avec l'un des trois et marchons-nous à sa suite, nous sommes vaincus, car ils vont toujours ensemble pour causer tout désordre.

     Ces trois ennemis sont le démon, le monde et notre propre chair ; ce dernier plus proche que les autres, et souvent plus rusé et plus nuisible que tous ; car nos instincts grossiers constituent une arme dont se servent tous nos ennemis. La paresse et la lâcheté pour la vertu et l'honneur de Dieu sont cause et occasion de lutte. Mais la fragilité de la nature, le manque d'advertance et l'ignorance de la vérité sont comme le glaive au moyen duquel nos ennemis peuvent nous blesser et parfois même nous vaincre.

     C'est pourquoi nous devons faire en nous-mêmes le départ et la division nécessaires. Ce qui est inférieur chez nous et animal, ce qui s'oppose à la vertu et veut nous séparer de Dieu, nous devons le haïr et le poursuivre, l'affliger par des pénitences et par austérité de vie, de façon à le maintenir toujours sous le joug et à le soumettre à la raison. C'est ainsi que la justice, jointe à la pureté de cœur, aura toujours le dessus en toutes œuvres vertueuses. De même devons-nous supporter volontiers toute souffrance, peine ou persécution pour la justice, pour l'honneur de Dieu et par amour de la vertu, afin d'acquérir et de posséder la justice dans la pureté du cœur. Car le Christ dit : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux (29). »

     Lorsqu'en effet la justice est maintenue dans la souffrance et dans les œuvres vertueuses, c'est un denier qui dans la balance égale en poids le royaume de Dieu : avec cela l'on obtient la vie éternelle.

     Au moyen de ces vertus, l'homme sort pour aller vers Dieu, vers soi-même et son prochain, par une vie bonne, vertueuse et juste.



CHAPITRE XXIV.

DU ROYAUME DE L'ÂME.

     Quiconque veut acquérir et conserver ces vertus doit orner, posséder et gouverner son âme comme un royaume. Là c'est le libre arbitre qui est roi ; il est libre par nature, plus libre encore par grâce. Pour couronne il a la charité. Or cette couronne et ce royaume, on les reçoit et les possède de la main du souverain Seigneur, Dominateur et Roi des rois. En tant que roi lui-même, le libre arbitre a son trône dans la capitale du royaume, c'est-à-dire en la puissance appétitive de l'âme (30). Le manteau royal dont il est revêtu et paré se compose de deux parties. À droite, c'est le don divin de force, qui le rend apte à vaincre tout obstacle et lui ouvre le séjour des cieux, le palais du souverain Seigneur, où il peut incliner devant le Roi suprême sa tête ornée du diadème de la charité, dans un ardent abandon. C'est là l'œuvre propre de la charité, œuvre qui donne la couronne et son ornement, et fait conserver et posséder le royaume pour l'éternité. Le côté gauche du manteau est la vertu cardinale qui s'appelle la force morale. Elle donne au libre arbitre, qui est roi, l'empire sur tout ce qui est désordonné et lui permet d'accomplir toute vertu et de posséder puissamment son royaume jusqu'à la mort.

     Ce roi doit aussi choisir des conseillers en sa terre, les plus sages qu'il puisse trouver. Ce sont la science et la discrétion, dons divins perçus en la lumière de grâce divine. Elles doivent habiter près du roi en un palais qui s'appelle la puissance raisonnable de l'âme. Elles auront pour vêtement et ornement la vertu morale de tempérance, afin que le conseil préside toujours à tout ce que le roi doit faire. C'est la science qui aide à purifier la conscience de toutes fautes et à s'orner de vertus. La discrétion, de son côté, doit présider aux diverses actions, en toutes circonstances, que l'on doive se taire ou parler, jeûner ou manger, écouter ou répondre. De cette façon tout se fera avec science et discrétion, aidées de la vertu morale de tempérance.

     Il appartient encore à ce roi, qui est le libre arbitre, d'établir en son royaume un juge, la justice elle-même, qui, lorsqu'elle procède de la charité, constitue l'une des plus hautes vertus morales. L'habitation du juge sera le cœur, au centre même du royaume, en la puissance irascible. Son vêtement sera la vertu morale de prudence, sans laquelle il n'y a pas de justice parfaite. À ce juge, qui est la justice, il appartient de parcourir le royaume, avec une puissance et une autorité royales, avec la sagesse qu'il puise en ses conseillers et avec la prudence qui lui est propre. À lui de mettre en place et de déposer, de juger et de condamner, de mettre à mort ou de garder la vie, de retrancher un membre, d'aveugler ou de faire voir, d'élever ou d'abaisser, de disposer toutes choses selon le droit, de punir et de châtier, de supprimer tout ce qui est mal.

     Le menu peuple du royaume, ce sont toutes les puissances de l'âme, qui doivent être établies sur l'humilité et la crainte de Dieu, et lui être soumises en toutes vertus, chacune selon ce qui lui est propre.

     Celui qui a, de cette manière, disposé, ordonné et régi le royaume de son âme, est sorti par amour et par vertu, pour aller vers Dieu, vers soi-même et son prochain. Telle est la troisième considération des quatre principales.



CHAPITRE XXV.

D'UNE RENCONTRE SPIRITUELLE ENTRE DIEU
ET NOUS.

     Lorsque, par la grâce de Dieu, l'homme peut voir ; lorsqu'il a purifié sa conscience et s'est rendu attentif à la triple venue du Christ, notre Époux ; lorsqu'enfin il est sorti au-devant de lui en pratiquant les vertus, la rencontre doit suivre, et c'est le quatrième et dernier point à considérer. Il y a là, en effet, toute notre béatitude, ainsi que le principe et le couronnement de toute vertu, car tout acte vertueux suppose une rencontre de Dieu.

     Quiconque veut donc rencontrer le Christ, comme son Époux bien-aimé, et posséder en lui et avec lui la vie éternelle, doit, dès le temps présent, faire aussi sa rencontre de trois manières (31) : premièrement par la recherche de Dieu en tout ce qui peut faire gagner la vie éternelle ; deuxièmement, en ne poursuivant ni aimant rien plus que Dieu, ou autant que Dieu ; troisièmement enfin, en mettant toute son application à se reposer en lui, au-dessus de toutes créatures et de tous dons divins, de toutes œuvres vertueuses et de tous sentiments du cœur ou de l'âme.

     Or, qui veut rechercher Dieu dans son intention doit se le rendre présent sous une raison divine, c'est-à-dire le regarder lui seul, comme étant le Seigneur du ciel, de la terre et de toute créature, qui est mort pour nous et qui a pouvoir et volonté de nous donner le salut éternel. De quelque manière, d'ailleurs, ou sous quelque nom que l'on se représente Dieu comme maître de tout le créé, l'on est toujours dans le vrai. Qu'il s'agisse d'une des personnes divines envisagée selon la nature et sa fécondité, ou de Dieu considéré comme conservateur, rédempteur, créateur de toutes choses, ou en tant qu'autorité, béatitude, puissance, sagesse, vérité, bonté, tout cela avec le caractère infini qui convient à la nature divine, on est dans le vrai. Encore qu'il y ait beaucoup de noms que nous attribuons ainsi à Dieu, sa haute nature est un être simple et sans nom pour toute créature ; mais à cause de sa noblesse et de sa sublimité incompréhensibles, nous nous servons de tous ces noms, ne pouvant trouver ni une appellation, ni une manière de parler qui l'expriment pleinement.

     Tel est donc le mode de connaissance de Dieu qu'il nous faut avoir, si nous voulons nous le rendre présent dans l'intention, car poursuivre Dieu par l'intention, c'est le voir spirituellement. À cette intention appartiennent aussi l'amour et la dilection, car connaître Dieu sans l'aimer n'est d'aucun goût, d'aucun profit, ni d'aucune utilité. L'homme devra donc, par amour, en toutes ses œuvres, tendre toujours vers Dieu, qu'il poursuit et aime par dessus toutes choses. C'est là le rencontrer par l'intention et l'amour.

     Pour se convertir par une vraie pénitence, le pécheur doit rencontrer Dieu par la contrition et un libre retour vers lui avec l'intention droite de le servir désormais toujours et de ne plus commettre le péché (32). Il reçoit alors en cette rencontre, de la miséricorde divine, une confiance assurée de son salut éternel et du pardon de ses péchés, ainsi que le fondement de toutes les vertus, la foi, l'espérance et la charité, et la bonne volonté de les pratiquer.

     Pour progresser à la lumière de la foi et contempler toutes les œuvres du Christ et ses vertus, ses bienfaits et ses promesses ; pour le faire d'une façon utile au salut, l'homme doit de nouveau rencontrer le Christ et l'avoir présent devant lui en actions de grâces, louange et estime profonde de tous ses dons et de tout ce qu'il a fait et fera dans l'éternité. Alors la foi de cet homme se fortifie et il est porté plus intimement et plus fréquemment vers toutes les vertus.

     Pour faire de nouveaux progrès dans la vie vertueuse, il doit aussi rencontrer le Christ par l'abandon de soi-même, en n'ayant ni recherche de soi, ni souci d'un but étranger ; mais il lui faut la discrétion dans ses actes et poursuivre Dieu d'intention en toutes choses, pour sa louange et son honneur, cela jusqu'à la mort (33). Alors sa raison s'éclaire, sa charité grandit et il croît en dévotion et en promptitude pour toute vertu.

     On doit poursuivre Dieu d'intention en toutes bonnes œuvres quant aux mauvaises, il ne saurait en être de même. On ne peut avoir deux fins dans ses intentions, c'est-à-dire poursuivre Dieu et quelque chose d'étranger ; toute autre recherche doit prendre rang au-dessous de Dieu, non en contradiction avec lui, mais ordonnée comme un secours et une impulsion qui nous mènent vers lui, et ainsi l'on est dans le vrai.

     On doit enfin se reposer sur celui et en celui vers qui vont l'intention et l'amour, plutôt qu'en tous ses dons, qui sont comme ses messagers. De même l'âme doit-elle se reposer en Dieu, de préférence à toute parure ou tout présent qu'elle pourrait offrir elle-même par ses propres messagers. Et les messagers de l'âme ce sont l'intention, l'amour et le désir : ils portent vers Dieu toutes bonnes œuvres et tout acte vertueux. De plus, l'âme prendra son repos en son bien-aimé sans s'arrêter aux choses multiples.

     Tels sont le mode et le procédé par lesquels nous devons rencontrer le Christ en toute notre vie, toutes nos œuvres, toutes nos vertus, par intention droite, afin que nous puissions le rencontrer à l'heure de notre mort, dans la lumière de gloire.

     Ce mode et ce procédé, que je viens d'exposer, s'appellent une vie active. Elle est nécessaire à tous les hommes ou tout au moins ne faut-il pas qu'ils vivent en opposition avec quelque vertu, encore qu'ils ne les possèdent pas toutes en cette perfection. Car vivre en contradiction avec la vertu, c'est vivre dans le péché, puisque le Christ a dit : « Qui n'est pas avec moi est contre moi (34). » Celui qui n'est pas humble est nécessairement orgueilleux ; et lorsque l'on est orgueilleux et non pas humble, l'on n'est pas de Dieu. Il en va de même de tous les péchés et de toutes les vertus : il faut ou bien avoir la vertu et vivre en état de grâce, ou tout le contraire et être dans le péché. Que chacun s'examine et vive comme il est dit ici.



CHAPITRE XXVI.

DU DÉSIR DE CONNAÎTRE L'ÉPOUX EN LUI-MÊME (35)

     Lorsque l'homme atteint la perfection qui vient d'être décrite, consacrant toute sa vie et toutes ses œuvres à l'honneur et à la louange de Dieu, et le recherchant et l'aimant par dessus toutes choses, il est souvent saisi du désir de voir, de savoir et de connaître qui est cet Époux, le Christ, qui pour lui s'est fait homme et par amour a porté le labeur jusqu'à la mort ; qui a mis en déroute le péché et le diable, et qui s'est donné lui-même à nous, avec sa grâce et ses sacrements, nous promettant son royaume et lui-même en récompense éternelle, le soutien du corps, la consolation et la douceur intérieures, et d'innombrables dons, selon ce qui peut être utile à chacun.

     Considérant tout cela, l'homme ressent donc un désir extrême de voir le Christ, son Époux, et de le connaître tel qu'il est en lui-même ; car le connaître par ses œuvres ne lui suffit pas. Il doit alors faire comme le publicain Zachée, qui désirait connaître Jésus. Comme lui, il doit courir en avant de la foule, c'est-à-dire de la multiplicité des créatures, car celles-ci nous rendent petits et courts et nous empêchent de voir Dieu. Puis il lui faut monter sur l'arbre de la foi, qui croît de haut en bas, car ses racines sont dans la divinité. Cet arbre a douze branches, les douze articles de la foi, dont les derniers, qui sont plus à notre portée, parlent de l'humanité de Notre-Seigneur et de ce qui touche notre salut, au point de vue de l'âme et du corps. La partie supérieure de l'arbre dont nous parlons a trait à la divinité, à la Trinité des personnes et à l'unité de la nature divine. C'est sur cette unité que l'homme doit se tenir, comme sur la cime de l'arbre ; car de là il verra Jésus passer avec tous ses dons.

     Là, en effet, Jésus vient, il voit l'homme et il lui adresse la parole dans la lumière de la foi, lui disant que par sa divinité il est lui-même sans mesure et incompréhensible, inaccessible, insondable et hors d'atteinte de toute lumière créée et de toute compréhension finie. La plus haute connaissance de Dieu que l'homme puisse avoir dans la vie active, c'est, en effet, de comprendre, dans la lumière de la foi, que Dieu est hors de compréhension et de connaissance. Dans cette lumière, le Christ dit à l'homme plein de désirs : « Descends vite, car il faut que je demeure aujourd'hui dans ta maison. » Descendre vite, ainsi que Dieu l'y convie, ce n'est autre chose que descendre par le désir et par l'amour dans l'abîme de la divinité où nulle intelligence ne peut pénétrer par la lumière créée. Mais là où l'intelligence doit demeurer au dehors, le désir et l'amour peuvent entrer (36).

     Lors donc que l'âme s'incline ainsi par l'amour et l'intention vers Dieu, au-dessus de tout ce qu'elle comprend, elle trouve le repos et elle habite en Dieu et Dieu en elle. Lorsque par le désir, elle s'élève au-dessus de la multiplicité des créatures, au-dessus du travail des sens et de la lumière naturelle, elle rencontre le Christ dans la lumière de la foi, elle est éclairée et elle reconnaît que Dieu est au-dessus de connaissance et de compréhension. Lorsqu'elle s'incline par le désir vers ce Dieu incompréhensible, elle rencontre le Christ et elle est remplie de ses dons. Lorsqu'enfin elle met son amour et son repos au-dessus de tous dons, au-dessus de soi-même et de toutes les créatures, elle habite en Dieu et Dieu en elle.

     C'est ainsi que nous devons rencontrer le Christ au point culminant de la vie active. Si donc vous avez établi comme fondements la justice, la charité et l'humilité ; si vous avez ensuite construit là une habitation, c'est-à-dire les vertus qui ont été exposées ci-dessus, et si vous avez rencontré le Christ par la foi, l'intention et l'amour, alors vous habitez en Dieu et Dieu en vous, et vous êtes en possession d'une vie active c'est la première chose dont nous avons voulu parler.



(1) Cf. S. THOMAS, Sum. theol., lIla, quaest. XXX, art. I : « Congruum fuit B. Virgini annuntiari quod esset Christum conceptura... ut ostenderetur esse quoddam spirituale matrimonium inter Filium Dei et humanam naturam : et ideo per annuntiatonem expectabatur consensus Virginis loco totius humanae naturae. »
(2) Cf. Royaume des Amants de Dieu, ch. II.
(3) Tel est le titre dans la traduction latine de Jordaons, et il rend mieux que celui de David le contenu du chapitre.
(4) Ceci est en rapport avec la théorie d'Aristote sur la nature de la lumière. Cf. F. HEDDE, La Lumière d'après les anciens, Rev. Thom., 1912, p. 224-229.
(5) La traduction de Jordaens ajoute cette explication : « Ad supernaturalem visionem per quam justificatur impius et a qua vita activa incipit, tria sunt necessaria : scilicet luminis gratiae infusio : libera voluntatis ad Deum conversio, quod aliter dicitur motus liberi arbitrii in Deum : et conscientiae emundatio, quod aliter dicitur motus liberi arbitrii in peccatum. » C'est la doctrine traditionnelle de l'École sur la justification. Cf. S. THOMAS, Ia IIae, q. 113. Il faut remarquer cependant que le but de notre auteur est d'exposer, non la justification en général, mais la justification du pécheur après le Baptême, par le sacrement de Pénitence.
(6) Cf. S. THOMAS, III, q. 46, a. 2, ad 3 : « Deus est supremum et commune bonum totius universi. »
(7) Sur l'étincelle de l'âme, se rappeler ce qui a été dit au Royaume des Amants de Dieu, ch. XXV. Pierre Lombard attribue aussi à cette étincelle de l'âme la tendance naturelle au bien « Recto dicitur homo naturaliter velle bonum, quia in recta et bona voluntate conditus est. Superior enim scintilla rationis... bonum semper vult et malum odit. » (II Sentent., d.XXXIX, c. 3.)
(8) Cf. Royaume des Amants de Dieu, ch. XIII.
(9) Ruysbroeck semble s'inspirer ici du passage suivant de S. Bernard : « In bac igitur passione, fratres, tria specialiter convenit intueri : opus, modum, causam. Nam in opere quidem patientia, in modo humilitas, in causa charitas commendatur. (Sermo in fer. IV hebd. sanctae. Dans les trois chapitres qui suivent, notre auteur ne fera que développer les trois vertus indiquées ici par S. Bernard.
(10) Jordaens commence le chapitre par cette phrase : « Gemina in Christo, secundum geminam naturam, invenitur humilitas, scilicet dignatissima humilitas deitatis, et perfectissima humilitas humanitatis. »
(11) MARC, XV, 34.
(12) LUC, XXIII, 34.
(13) HEBR., V, 7.
(14) Jordaens intercale ici cette phrase : « Circa hunc adventum quinque consideranda sunt : scilicet causa, modus, testes, accusator et judex. Causa hujus adventus triplex est scilicet temporis congruitas, causae opportunitas, et judicis aequitas.
(15) Cf. JOA., V., 27.
(16) Ces catégories ne sont autres que celles dont parle saint Grégoire (Moral. 1. XXVI, c. 27, n. 50) et qui furent commentées par tous les docteurs du moyen âge, à la suite de Pierre Lombard (IV Sent., d. 47, c. 3).
(17) Cf. JOA., III, 18.
((18) Ruysbroeck, considérant l'humilité comme le fondement de toutes les autres vertus, va développer jusqu'au ch. XXII inclusivement tout ce qui se construit sur ce fondement. Cf. S. THOMAS, Ha IIae, q. 161, a. 5.
(19) Les vertus énumérées dans les chapitres qui suivent sont groupées d'après les dons du Saint-Esprit auxquels elles correspondent suivant la doctrine de Ruysbroeck. Cf. Royaume des Amants de Dieu, ch. XIV-XIX. Les trois premières, humilité, obéissance, abnégation, correspondent au don de crainte ; les cinq vertus suivantes, patience, douceur, bonté, compassion, libéralité, se rattachent au don de piété, entendu au sens que lui donnent Albert le Grand et S. Bonaventure ; enfin les trois dernières se rapportent au don de science.
(20) MATTH., V, 3.
(21) MATTH., V, 4.
(22) MATTH., V, 5.
(23) MATTH., V, 7.
(24) MATTH., XXV, 34.
(25) Cf. S. THOMAS, IIa IIae, q. 47, a. 9.
(26) MATTH., V, 6.
(27) MATTH., V, 9.
(28) MATTH., V, 8.
(29) MATTH., V, 10.
(30) Par puissance appétitive de l'âme il faut entendre ici la volonté.
(31) Jordaens ajoute ici cette explication : « Sicut in patria Deo tribus animae dotibus conjungemur, visione scilicet, dilectione et fruitione, ita in hujus vitae via, futurae beatitudinis gloriam per gratiam praelibantes, tribus modis, quasi trium virtutum theologicarum tribus animae dotibus respondentium efficientiis, secundum diversos tamen perfectionis gradus excellentius aut minus excellenter conjungimur. Et in via quidem vitae activae, tribus modis occurrimus : 1° recta intentione, fidei lumine illustrata ; 2° praecipua dilectione, caritatis igniculo inflammata ; 30 quieta adhaesione, spei anchora solidata. »
(32) La pénitence, comme vertu, ne peut exister, selon saint Thomas, que dans l'état de grâce sanctifiante. Cf. S. Th. IIIa, q. 86.
(33) Cf. Les Sept degrés d'amour spirituel, ch. X.
(34) Luc., XI, 23.
(35) Jordaens commence ainsi le chapitre « De supremo gradu vitae activae. Sicut in naturalibus entium genera hoc ordine concatenata sunt ut inferiorum suprema superiorum infimis sint conjuncta ; ita nimirum in moralibus gradus superior vitae inferioris infimum superioris attingit. Ut igitur spiritualis vitae novum ordiamur ornatum, supremum gradum vitae activae in fine tractatuli praemittamus. »
(36) HUGUES DE St-VICTOR, Expos. in Hierarch. caelest. S. Dionysii : « Intrat dilectio et appropinquat, ubi scientia foris est. » (MIGNE, P. L., t. 175, col. 1038. Jean de Scoonhoven, dans sa défense de Ruysbroeck se sert du même passage pour montrer que la doctrine de son maître est conforme à l'enseignement des grands docteurs. Le texte se retrouve également, avec une glose explicative, dans le De septem gradibus contemplationis, attribué à S. Bonaventure : « Praecurrente intelligentia, nec ingredi queunte, utpote per speculum videns, foris remanet. Affectio vero, quae nescia est speculi, intrans unitur. »

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