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Le livre du Tabernacle spirituel
(2ème partie)


INTRODUCTION AU TOME 5



    La première partie du Tabernacle spirituel nous a menés jusqu'au milieu du cinquième degré, parmi les sept que Ruysbroeck a développés dans ce livre. Ce cinquième degré est de beaucoup le plus long, puisqu'il comprend à lui seul cent trente-quatre chapitres, où l'auteur a décrit minutieusement tous les objets qui se trouvaient dans le Saint, ou partie réservée aux prêtres. Il y a donné en outre tout ce qui regarde le sacerdoce antique et les sacrifices de l'ancienne loi. L'application spirituelle en est faite en relation avec le second stade de la course de l'amour, comme l'appelle Ruysbroeck, la vie intérieure.

    Nous faisons débuter notre seconde partie au chapitre LVII, avec la consécration d'Aaron et de ses fils comme prêtres de l'ancienne alliance. La fin du cinquième degré et le sixième tout entier nous conduiront jusqu'au chapitre CLVI, tandis que le septième degré, qui traite de la vie contemplative, tient en un seul chapitre, le dernier du traité.

    Le présent volume se termine par le Livre de la foi chrétienne, dont nous donnerons une introduction particulière.

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    La consécration d'Aaron et de ses fils pour le sacerdoce fut faite, selon l'ordre de Dieu, au moyen d'onctions d'huile mêlée d'aromates, où notre auteur aperçoit la figure prophétique de la grâce, dont le Christ a voulu nous oindre dans le Saint-Esprit. Les prêtres de la nouvelle alliance, tenus à une plus grande sainteté que les simples fidèles, reçoivent cette onction d'une façon toute spéciale.

    Après avoir exposé la manière mystérieuse dont le Christ a composé l'huile de l'onction, Ruysbroeck analyse les effets de cette onction sur les douze apôtres d'abord, au jour de la Pentecôte, puis sur les chrétiens en général, qui reçoivent les sacrements. Avec sa connaissance profonde de la vie mystique, il établit les différences d'action, sur les âmes, des sacrements figuratifs de l'ancienne loi d'une part, et de ceux de l'Église d'autre part, qui mettent en possession du Christ et donnent le sentiment de la richesse et de l'abondance avec lesquelles il a répandu ses grâces.

    Une image très expressive fait apprécier le progrès immense de l'économie nouvelle sur l'ancienne. Alors que dans la synagogue il fallait mettre les olives au pressoir, pour en extraire l'huile destinée aux onctions, aujourd'hui il nous suffit de toucher l'olivier pour qu'en découle une huile surabondante. L'olivier, c'est la nature humaine de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui nous recueillons l'huile de la grâce, par la contemplation de sa vie et surtout de sa Passion.

    À ce propos, l'auteur consacre d'admirables pages, en particulier au chapitre LXIX, sur la place suréminente qu'occupe le Christ dans la vie chrétienne et spirituelle. Sa Passion nous a mérité toute grâce et c'est de son humanité sainte que découle pour nous toute sainteté. Le sacrifice, qu'il a offert à son Père, lui a été si agréable, que le doux parfum en a pénétré le ciel et la terre, tandis que du baume précieux, qui coulait de ses blessures, est venu tout remède pour guérir le péché. Aussi devons-nous nous approcher de cette humanité sainte avec grand amour et y fixer notre demeure, comme les colombes le font dans les creux du rocher plus on y pénètre profondément, plus abondante est la grâce, qui de la divinité vient à nous par l'humanité du Seigneur.

    C'est dans cette même humanité que le Christ s'offre sans cesse à la complaisance de son Père, avec toutes ses œuvres et en union avec tous ceux qui lui appartiennent. Il veut aussi qu'éternellement nous offrions ce sacrifice avec lui et présentions au Père le Christ humble et obéissant, rempli de vertus, tel qu'il a vécu et qu'il est mort pour la gloire de son Père, et à cause de nous. Nous pouvons l'offrir comme notre propre trésor, qui nous a rachetés et délivrés, et le Christ nous offre comme le fruit qu'il s'est acquis par sa mort. De la sorte nous nous unissons, selon notre mode, à l'oblation que le Christ fait sans cesse de lui-même à Dieu, et dès lors la grâce qui jaillit de la divinité du Christ, à travers son humanité, nous oint de l'huile de sanctification, qui est le Saint-Esprit.

    Dans l'Ancien Testament il y avait une série de défauts corporels, qui excluaient du sacerdoce et rendaient inaptes aux fonctions sacrées même ceux qui, par naissance, étaient de race sacerdotale. Il y a aussi des péchés et des vices, figurés par ces défauts, qui empêchent aujourd'hui les hommes de recevoir l'onction du Saint-Esprit ; ils excluent du sacerdoce, et s'il s'agit de prêtres, ils les rendent indignes d'exercer leur ministère. À chacun des vices qu'il décrit, notre auteur oppose le remède capable de le guérir et les moyens à employer pour s'en défaire.


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    Les sacrifices de l'ancienne loi, inaugurés à l'occasion de la consécration sacerdotale d'Aaron et de ses fils, ont fourni à notre docteur mystique l'occasion d'exposer tout un code de vie ascétique et intérieure. Les prêtres d'abord, tenus à une sainteté particulière en raison de leur état, les fidèles ensuite, qui doivent se sanctifier par le ministère des prêtres, tous, en un mot, doivent trouver dans cet enseignement la lumière qui fait tendre à la sainteté, par l'union au Christ et à son Église. Comme les sacrifices anciens n'étaient que figures de celui du Christ, c'est en relation avec ce dernier que Ruysbroeck explique tous les divers rites de la liturgie mosaïque. Ce que les ablutions, onctions, aspersions opéraient pour la purification légale, la vertu unique du sang précieux du Christ l'accomplit intérieurement pour la sanctification des âmes. C'est toute la doctrine, exposée par saint Paul dans l'Épître aux Hébreux, qui se retrouve, sous des formes diverses et avec un grand luxe de détails, dans les pages consacrées par Ruysbroeck à l'explication des anciens sacrifices. Ce qu'il dit de l'holocauste du taureau, offert à frais communs par tout le peuple d'Israël, mérite d'être relevé. C'était la figure du sacrifice commun de la sainte Église, qui, bien que présenté à Dieu par les seuls prêtres, embrasse les offrandes de tous les fidèles, qui s'y unissent. C'est que ce sacrifice commun n'est autre que la Passion du Christ et sa mort précieuse, auxquelles le prêtre ramène nos propres offrandes, afin de les faire agréer du Père céleste et d'obtenir de lui en retour la richesse de ses dons et de ses grâces.

    Le juge sacrificium, ou sacrifice quotidien institué par Moïse, comme offrande perpétuelle à la gloire de Dieu, rejoignait aussi par avance la mort du Seigneur, dont les mérites donnent à nos sacrifices toute leur valeur.

    Aux divers sacrifices s'ajoutaient d'autres oblations symboliques, comme les pains de proposition, les dîmes de froment, l'agneau pascal surtout, avec le repas rituel qui en accompagnait l'immolation. C'est l'occasion pour notre auteur de tirer de tout cela un enseignement spirituel, relatif particulièrement aux dispositions que les chrétiens doivent apporter à la réception du sacrement d'Eucharistie.

    Les prescriptions mosaïques, touchant les aliments purs et impurs, sont aussi l'objet d'interprétations morales, qui s'appliquent aux œuvres bonnes à pratiquer et aux mauvaises à éviter. C'est à ce propos que Ruysbroeck a inséré, au chapitre CXXIII, une longue diatribe à l'adresse de certains clercs et religieux de son temps, dont les désordres et la vie relâchée l'avaient scandalisé. Nous avons dit comment le chartreux Gérard d'Hérinnes, choqué de l'âpreté des reproches contenus dans ce passage, en avait passé volontairement sous silence les détails peu édifiants. Notre traduction donne intégralement le texte de l'auteur, mais peut-être sera-t-il opportun d'avertir le lecteur que le tableau poussé au noir ne s'appliquait qu'à certains milieux relâchés, tels qu'il en existait hélas ! en trop grand nombre, à la fin du XIVe siècle.

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    Le sixième degré commence au chapitre CXLV et nous introduit dans le Saint des Saints, où étaient renfermées l'arche d'alliance avec la verge d'Aaron, les tables de la loi et l'urne d'or contenant la manne.

    L'interprétation de ces divers objets s'applique à ce que Ruysbroeck appelle ici vie ici plus intime, de même que le Saint des Saints était la partie la plus secrète, la plus parfaite et la plus noble du tabernacle.

    Et lorsque, par la docilité à la motion divine et l'accomplissement des préceptes, le tabernacle spirituel s'achève, Dieu y prend sa demeure, et c'est cette inhabitation mystérieuse, qui fait l'objet du septième degré. C'est un état d'union ferme et stable avec Dieu, de confirmation dans la vertu, et l'âme, qui y est élevée, dépasse désormais tout le créé et demeure sous la motion habituelle de l'Esprit-Saint. Sans cesse unie à Dieu selon son essence, elle est selon ses puissances toujours mue intérieurement par lui. Tantôt Dieu la mène au dehors pour l'accomplissement des vertus, tantôt il la retire tout entière en lui-même. C'est vraiment la demeure et le tabernacle que le Seigneur s'est choisis, et l'on pense tout naturellement au verset du psaume : « Sanctificavit tabernaculum suum Altissimus Deus in medio ejus, non commovebitur (1) »

   Il est un mot qui revient souvent dans les écrits de Ruysbroeck et qui caractérise si bien sa pensée, qu'il nous semble la résumer pleinement. C'est selon la très chère volonté de Dieu que l'on doit tendre toujours à vivre. La souplesse et la docilité entière à l'égard de cette volonté souveraine et uniquement aimée, ce sont là les éléments fonciers que notre auteur a voulu introduire dans la construction de son Tabernacle spirituel.

Abbaye Saint-Paul d'Oosterhout,
fête de la Conversion de saint Paul,
25 janvier 1930.


(1) Ps. XLV, 5 et 6.

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