RUYSBROECK - TOME 4 : LE LIVRE DU TABERNACLE SPIRITUEL


CHAPITRE XL

DU RATIONAL DU GRAND PRÊTRE.

   Sur la poitrine du grand prêtre et couvrant l'ouverture de l'éphod, dont il a été parlé plus haut, était un ornement déforme carrée, large d'une palme, de double tissu aux quatre couleurs déjà nommées. Par cet ornement on entend la raison de l'homme, qui, éclairée de la lumière surnaturelle, est capable de juger toutes choses d'une façon droite et selon la vérité. C'est le nom que Dieu lui-même donna à l'ornement, en disant à Moïse : « Vous mettrez dans le rational jugement, Doctrine et Vérité. »

   La raison éclairée est comme un double tissu, car elle porte son regard à l'intérieur vers l'unité et à l'extérieur vers toutes vertus. Et ainsi doit-elle faire pour remplir l'ouverture de l'éphod qui représente l'unité de l'esprit. De là sa forme et sa Largeur, composée qu'elle est d'une double opération qui consiste à regarder au dehors et à regarder au dedans, en demeurant toujours fixée dans l'unité. Enfin par ses quatre couleurs elle donne l'ordre et la beauté à toutes les vertus.
   Ce rational de la raison éclairée convient à tout prélat et à tout docteur, qui doit le porter toujours devant lui en son regard intérieur, comme le pontife des juifs le portait sur sa poitrine dans tous les sacrifices.

   Le rational du grand prêtre était orné de douze pierres, enchâssées dans l'or, sur quatre rangs, trois sur chaque rang. Et sur ces douze pierres se trouvaient les noms des douze patriarches, qui étaient les chefs du peuple d'Israël, un nom sur chaque pierre. En plus Dieu fit mettre trois autres noms : Jugement, Doctrine, Vérité.

   Par les douze pierres du rational on entend les douze articles de notre foi, ornement et lumière de notre raison, et qui font dépasser la raison, ce qui est l'ornement suprême. Sur ces pierres apparaissent les noms des douze apôtres de Notre-Seigneur, car c'est dans leur doctrine que sont manifestées leur vie et leur foi, qui sont leurs vrais noms. On n'y voit que jugement, Doctrine et Vérité.


CHAPITRE XLI

DE LA PREMIÈRE PIERRE ET DU PREMIER ARTICLE
DE NOTRE FOI.

   La première pierre du rational d'Aaron, le grand prêtre, s'appelle sardoine et elle portait gravé le nom de Ruben, fils aîné du patriarche Jacob. Cette pierre de sardoine est rouge sang et elle est, parmi toutes les pierres précieuses, la plus commune. On y voit la figure du premier article de notre foi. Car lorsque, par foi et charité, nous sommes unis à la noble pierre rouge qui est Jésus-Christ, nous sommes par lui élevés jusqu'à la connaissance surnaturelle de son Père, principe de toute notre foi. Personne, en effet, ne vient au Père que par la connaissance du Fils ; et c'est ce que nous voyons bien en saint Pierre, qui a établi comme fondement de notre foi le premier article.

   Car, Ruben, le premier fils de Jacob, était une figure de saint Pierre et son nom signifie un fils de la vision, ou celui qui voit le fils, ou encore celui qui voit dans l'intermédiaire ou par l'intermédiaire. Or tout cela nous l'entendons de saint Pierre, le prince des apôtres, appelé et choisi dès le commencement. Par la révélation du Père il devint un fils de la vision. Et c'est pourquoi il voyait dans l'esprit le Fils uni à notre humanité et il dit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Il voyait aussi dans l'intermédiaire, c'est-à-dire entre le Père et le Saint-Esprit, la personne intermédiaire, le même Fils dans l'unité de la nature divine. Enfin il voyait encore par ce même intermédiaire qui est le Fils, le Père éternel qui est principe éternel dans la sainte Trinité.

   C'est de là que saint Pierre fit partir la foi chrétienne en disant : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. » Ainsi ressemblait-il à Ruben, dont le nom veut dire : fils de la vision ; et c'est pourquoi le Christ lui dit en toute vérité : « Tu es Pierre », ce qui veut dire : celui qui connaît la vérité, qui découvre l'affection, qui délie la conscience et qui est connu de Dieu.

   Il ressembla vraiment bien par son enseignement et par sa vie, et aussi par sa mort, à cette pierre de vil prix qu'on nomme sardoine, lui que les juifs rejetèrent et méprisèrent comme le dernier des hommes, le livrant à la mort. Mais du coup leur synagogue en fut détruite, tandis que sur cette pierre était fondée la sainte Église avec l'unité de notre foi. Là tous les hommes peuvent s'assembler, dans la même foi et le même amour, d'où qu'ils viennent.

   Par le premier article de notre foi la raison est éclairée du Père, et elle est. élevée au-dessus d'elle-même par le Fils jusqu'à la connaissance du Père, qui est principe éternel dans la sainte Trinité comme de toute notre foi.


CHAPITRE XLII

DU SECOND ARTICLE DE NOTRE FOI.

   La seconde pierre du rational est appelée topaze et elle portait gravé le nom de Siméon, second fils du patriarche Jacob. Pour nous cette topaze signifie le second article de la foi, et Siméon, saint André, l'apôtre de Notre-Seigneur. Car Siméon veut dire en langue thioise : celui qui entend, ou qui est capable d'entendre. Or c'est ce que nous apercevons en saint André qui entendit de saint Jean-Baptiste : « Voici l'Agneau de Dieu. » Et de cet Agneau divin lui-même, alors qu'il était sur la mer avec saint Pierre son frère : « Venez, suivez-moi, je ferai de vous des pêcheurs d'hommes. »

   Parce qu'il était capable d'entendre, il reconnut le témoignage intérieur et le langage secret du Père. Aussi quitta-t-il toutes choses pour suivre le Christ, répondant à la parole du Père par une volonté entière et à l'appel du Fils par des œuvres parfaites à l'extérieur. Car André veut dire : qui répond aux mets, ou à la nourriture. Il répondit en effet à la parole de Dieu, qui est, de toutes manières, un mets et une nourriture éternelle pour tous les justes ; et sa réponse s'accomplit en paroles et en actes. C'est pourquoi il suit de près son frère saint Pierre, en disant : « Je crois en Jésus-Christ, le Fils unique du Père, Notre-Seigneur. » Dans cet article Jésus-Christ est comparé à la topaze, parce que son amour éternel le rend couleur d'or, comme la noble topaze. Et de même que cette pierre possède la couleur de toutes les autres, de même le Christ, Fils de Dieu, a-t-il la noblesse et la beauté de tous les saints, ainsi que toutes les vertus, au delà de toute mesure : car tout ce que possèdent les saints et ce qu'ils sont vient de lui.

   Sous les rayons du soleil la topaze dépasse en clarté toutes pierreries : de même l'humanité du Christ surpasse-t-elle en clarté et en noblesse tous les saints et tous les anges, parce qu'elle est unie au Verbe éternel : et dans cette union le reflet du soleil divin est si clair et si glorieux, que les regards de tous les saints et de tous les anges sont attirés par cette clarté et reçoivent l'impression profonde d'une vue simple, de même que ceux de tous les justes à qui est révélée la même clarté. C'est de même aussi que la topaze attire tous les regards et s'imprime en eux, à cause de sa grande clarté. Mais si on la taille elle devient obscure, tandis qu'elle demeure toute brillante si on lui laisse sa forme naturelle. De même si l'on veut creuser et pénétrer la clarté du Verbe éternel, pour l'expérimenter, la clarté devient obscure et disparaît. Mais, si on la laisse telle qu'elle est, pour la suivre d'un regard simple, dans le renoncement à soi-même, elle donne toute clarté.

   La topaze est appréciée des rois et des princes au-dessus de toute richesse : de même ceux qui choisissent le Christ, qui l'aiment et l'estiment au-dessus de toutes choses sont des rois et des princes et nul autre. Et c'est ce que faisait André. Car ce nom veut dire viril, ou qui est de l'homme, c'est-à-dire du Christ ; et André suivait en effet le Christ par des œuvres viriles jusqu'à la mort. Et André signifie encore : beau dans sa prestance, car il se tint deux jours debout sur la croix, prêchant au peuple Notre-Seigneur ; et le Christ, la glorieuse topaze, donna à saint André, au moment de sa fin, une si grande clarté qu'elle ne pouvait être fixée par un œil humain. Et c'est dans cette clarté qu'il rendit son esprit à. la clarté éternelle.

   Avec ce second article de notre foi, la raison est, dans un regard simple, tout impressionnée de lumière divine, et elle rend l'homme docile, à l'extérieur et à l'intérieur, aux vertus et à la vérité.


CHAPITRE XLIII

DU TROISIÈME ARTICLE DE NOTRE FOI.

   La troisième gemme s'appelle émeraude, et le nom de Lévi, troisième fils de Jacob, y était gravé. Pour nous, cette pierre, c'est le troisième article de notre foi, et Lévi figure saint Jacques, fils de Zébédée, l'apôtre du Seigneur. Le nom de Lévi signifie en effet attaché ou uni ; et saint Jacques, dans l'article susdit : « Je crois que le Fils du Père est conçu du Saint-Esprit, né de la vierge Marie », nous enseigne comment notre nature est attachée au Verbe éternel et le même Verbe uni à notre nature ; ce qui s'est fait en Marie par sa vertu et par l'opération du Saint-Esprit.

   Dans cet article le Fils de Dieu nous apparaît comme semblable à la pierre gracieuse d'émeraude, dont le vert est si beau que rien parmi les feuilles ou les herbes ne peut lui être comparé. Le regard qui s'y porte en est tout rempli et rassasié. Or, que le Verbe éternel du Père se soit fait homme, c'est là un spectacle de couleur si sereine que jamais n'en fut vu de pareil. L'union qui en résulte, est comme une couleur verte, belle et joyeuse, incomparable. Aussi le regard qui. peut intimement s'y attacher en est tout ravi et restauré.

   Lorsqu'on taille ou que l'on grave l'émeraude, il n'y a chose aussi agréable et aussi réjouissante peur l'œil ; comme en un miroir, on y peut apercevoir et contempler tout objet qui est à l'opposé. De même si nous scrutons attentivement qui est celui qui, par amour et à cause de nous, a adopté notre nature, nous ne pouvons qu'admirer, incapables que nous sommes de louer parfaitement sublimité si haute. Et si nous considérons la manière dont il s'est fait homme, nous sommes remplis de confusion, ne sachant comment nous humilier devant tant d'humilité. Si enfin nous regardons pourquoi il s'est fait homme, alors nous pouvons nous réjouir, et nous n'aurons jamais assez d'amour pour l'aimer de retour.

   C'est selon ces trois modes que nous devons contempler, pénétrer et scruter amoureusement cette belle émeraude qui est le Christ : rien n'est alors plus agréable ni plus attrayant pour l'œil de la raison ; car nous le trouvons imprimé en nous et nous en lui, par le moyen de sa grâce et d'une vie vertueuse. Et c'est pourquoi nous devons nous détourner des choses du temps et porter sans cesse ce miroir devant nous. C'est ce que pratiquait saint Jacques, l'apôtre du Seigneur, car le nom de Jacques signifie : celui qui foule aux pieds toutes choses. Il était fils de Zébédée, et Zébédée veut dire : donné ou doué, et nous voyons là encore une figure du Christ, à la naissance de qui la sainte Église chante : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné. » De même le Christ était-il richement doué, puisqu'il est lui-même la plénitude de tous les dons et que c'est par lui que nous possédons et posséderons toutes choses. Soyons donc comme Jacques, des vainqueurs, des fils de Zébédée, comme le Christ qui nous a conquis et régénérés, par sa mort, pour la vie éternelle.


CHAPITRE XLIV

DU QUATRIÈME ARTICLE DE NOTRE FOI.

   La quatrième pierre s'appelle escarboucle et elle portait gravé le nom de Juda, le quatrième fils de Jacob. Par cette escarboucle nous entendons le quatrième article de notre foi, et par Juda, saint Jean, l'apôtre de Notre-Seigneur. Car Juda veut dire en langue thioise : confessant ou glorifiant ; et c'est bien ce que fait saint Jean au commence-ment de son Évangile, où il confesse et glorifie la naissance éternelle du Fils du Père, et sa naissance temporelle dans la chair. Il dit aussi au début de son épître (1), au nom de tous les apôtres, qu'ils ont entendu, vu, contemplé et touché de leurs mains le Christ, le Verbe de vie. De nouveau, au quatrième article de notre foi, il confesse le même Fils de Dieu et il dit : « Je crois qu'il a souffert sous Ponce Pilate, qu'il a été crucifié, qu'il est mort et a été enseveli. »

   Dans cet article le Christ apparaît comme semblable à l'escarboucle, car cette pierre est rouge feu comme, un charbon ardent et l'obscurité de la nuit ne peut faire pâlir l'éclat de sa clarté. Elle jette comme des flammes brillantes aux yeux de ceux qui la regardent.

   De même le Christ, notre escarboucle, avait-il durant sa vie, et surtout dans sa passion et son crucifiement, cette couleur rouge feu qui le faisait ressembler à un charbon ardent. Par sa mort il devint si resplendissant, que toutes ténèbres des péchés durent céder devant sa clarté ; et par les mérites de cette mort il répand de lui-même comme des flammes ardentes, qui sont le Saint-Esprit et illuminent tous ceux que l'amour lui rend présents.

   C'est pourquoi il nous faut porter l'ornement des vertus et. nous tourner par amour vers sa digne mort, où notre vie éternelle trouve son principe. C'est ce que pratiquait saint Jean, car il aimait tout particulièrement et à cause de cela il était aimé d'un tout spécial amour ; aussi son nom est-il Johannes, qui veut dire : grâce de Dieu, ou celui en qui habite la grâce de Dieu.


CHAPITRE XLV

DU CINQUIÈME ARTICLE DE NOTRE FOI.

   La cinquième pierre s'appelle saphir, et en elle était gravé le nom de Dan, le cinquième fils de Jacob le patriarche. Elle nous représente le cinquième article de notre foi, et Dan saint Thomas. Car Dan signifie jugement, et jugement c'est rendre justice. C'est ce que fit saint Thomas lorsqu'il répondit au Christ, en disant : « Mon Seigneur et mon Dieu. » Ainsi prononça-t-il un juste jugement. Et parce qu'auparavant il avait douté de la résurrection du Seigneur, il nous a donné maintenant le cinquième article de notre foi : « Je crois qu'il est descendu aux enfers et est ressuscité des morts le troisième jour. »

   Dans cet article l'on peut comparer le Christ au précieux saphir, qui est de deux sortes. La première a une couleur jaune aux reflets de pourpre et paraît comme mêlée de poudre d'or. La seconde est bleu ciel et, exposée aux rayons du soleil, elle émet une lumière brûlante, mais le regard ne peut la traverser. C'est tout cela que nous apercevons dans Notre-Seigneur, en ce cinquième article. Car, lorsque sa sainte âme descendait aux enfers, son corps gisait dans le sépulcre, tout jauni par la privation de l'âme, dans la pourpre de ses blessures sanglantes, mais aussi dans la poussière d'or de la divinité qui lui demeurait unie. Et dans sa descente aux enfers son âme avait la clarté du bleu ciel, afin de réjouir tous ses amis et les remplir de bonheur par sa lumière. Dans sa résurrection d'entre les morts, la clarté devient si grande et sI puissante en l'âme et le corps, sous l'illumination du soleil de la divinité, qu'il émet des rayons lumineux et brûlants, enflammant ainsi l'amour de quiconque approche de lui.

   Enfin ce noble saphir, qui est le Christ, ne peut être traversé par le regard, parce que, quant à sa divinité, il est insondable : aussi est-ce saint Thomas qui l'a enchâssé, car Thomas veut dire abîme.


CHAPITRE XLVI

DU SIXIÈME ARTICLE DE NOTRE FOI.

   La sixième gemme s'appelle jaspe, et on y avait gravé le nom de Nephtali, le sixième fils de Jacob. Par cette pierre nous entendons le sixième article de notre foi et par Nephtali saint Jacques le Mineur, l'apôtre de Notre-Seigneur. Car Nephtali, en langue thoise, veut dire : un voyage, ou une égalité, ou encore : celui qui les convertit, ou son étendue. Or c'est tout cela que nous enseigne saint Jacques dans cet article : « Je crois qu'il est monté au ciel et qu'il est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant. » Par le voyage, que signifie le nom de Nephtali, on entend l'ascension de Notre-Seigneur. Par l'égalité, nous contemplons sa session à la droite de son Père ; et de là vinrent pour les apôtres leur définitive conversion et leur éloignement de toutes les choses du temps, alors que par amour ils le suivaient dans le ciel. C'est pourquoi ils s'étendirent jusqu'aux extrémités de la terre, pour aller enseigner les peuples.

   Dans ce même article nous comparons le Christ à la précieuse pierre de jaspe, qui est de couleur verte, fort agréable à la vue, et qui se rapproche le plus près du vert de l'émeraude. C'est pourquoi nous y trouvons une ressemblance avec l'ascension de Notre-Seigneur, vision si sereine, si gracieuse et si douce aux yeux des apôtres, qu'ils ne purent jamais plus l'oublier de leur vie. C'est le sentiment que nous devons justement éprouver nous-mêmes, si nous contemplons comment cette belle émeraude, qu'est le Verbe éternel, a voulu descendre pour nous jusqu'en notre nature, avec une surabondante douceur ; ce dont nous devons nous réjouir par-dessus tout, car c'est là une vision pleine de grâce. Puis nous considérerons comment la gemme glorieuse de jaspe, c'est-à-dire le Christ Jésus, est monté au ciel revêtu de notre nature, s'est assis à la droite de son Père et nous a préparé une place de gloire, objet de nos désirs les plus chers ; ce qui nous aidera à triompher de tout ce qui peut nous être contraire.

   C'est bien ce que nous pouvons remarquer en saint Jacques le Mineur, fils d'Alphée ; car Jacques veut dire : celui qui foule aux pieds l'empressé, c'est-à-dire l'ennemi, le monde et notre propre chair. Tout se presse en effet pour nous perdre ; et nous devons le fouler aux pieds, si nous voulons être Jacques, fils d'Alphée. Car Alphée signifie : enseignement, ou celui qui est enseigné, ou le millième. Et c'est pour nous la figure de Jésus-Christ, qui, selon sa divinité, est l'enseignement du Père et selon son humanité est enseigné par le Père. De même est-il le millième, car en lui sont contenus tous les nombres, et par lui, en vertu de ses mérites, le nombre parfait des élus est rempli.


CHAPITRE XLVII

DU SEPTIÈME ARTICLE DE LA FOI.

   La septième pierre s'appelle ligurius et elle portait le nom de Gad, le septième fils de Jacob. Par cette pierre nous entendons le septième article de notre foi, et par le nom de Gad saint Philippe. Car Gad veut dire en thiois béatitude, ou heureusement ; et c'est ce que nous enseigne saint Philippe dans le septième article, où il parle du dernier jugement de tous les hommes, chose qui peut heureusement s'appeler béatitude pour les bons ; car ils recevront alors bienheureusement la béatitude pour le corps et pour l'âme, parce qu'ils en sont dignes, ainsi qu'en témoignera le jugement de Dieu. C'est pourquoi saint Philippe a dit « Je crois qu'il viendra juger les vivants et les morts », c'est-à-dire les bons et les méchants. À ce dernier jugement le Christ nous apparaît semblable à la pierre qu'on appelle ligurius. Cette pierre est rouge vif et elle attire à elle par sa vertu particulière les objets secs et légers qui lui sont présentés.

   Par là nous entendons que le Christ, au dernier jugement, montrera le rouge vif de ses blessures et par l'ardeur de son amour répandra de lui-même une vertu capable d'attirer tout ce qui sera sec et léger, c'est-à-dire délivré du poids des péchés et embrasé de charité. Ceux qui seront ainsi lui seront présentés et il les attirera à lui. Quant aux méchants, ils s'efforcent de couvrir cette pierre glorieuse, pour ne voir que les choses terrestres et détourner leur regard du Christ et de son jugement, car ils le redoutent et se soucient fort peu du salut.

   C'est à juste titre que saint Philippe nous a enseigné cet article de foi, car Philippe veut dire : bouche de la main, ou bouche de la lampe : car au jour du jugement, les mains, c'est-à-dire les bonnes œuvres, parleront pour la bouche ; et la lampe ardente de la charité et de la miséricorde parlera elle aussi pour ceux qui les auront pratiquées.


CHAPITRE XLVIII

DU HUITIÈME ARTICLE DE NOTRE FOI.

   La huitième pierre s'appelle agate et en elle se trouvait gravé le nom d'Aser, le huitième fils du patriarche Jacob. Par cette pierre nous entendons le huitième article de notre foi et par le nom d'Aser, saint Barthélemi, l'apôtre de Notre-Seigneur. Aser veut dire : un temple, ou richesse, ou béatitude, ou ils seront heureux. Or c'est ce que saint Barthélemi nous enseigne dans cet article : « Je crois au Saint-Esprit. » Celui en effet qui croit au Saint-Esprit et a ferme confiance en lui, c'est-à-dire en l'amour de Dieu, le Saint-Esprit est son temple où il prie. Il est sa richesse pleinement suffisante. Il est sa béatitude, où est son espérance et sa pleine confiance. Et tous ceux qui, dans la foi, se confient en le Saint-Esprit seront bienheureux.

   Cette foi au Saint-Esprit, nous pouvons la comparer à la précieuse gemme d'agate, qui est de couleur brune et porte en son milieu des veines variées de couleur noire et blanche. On dit que cette pierre rend celui qui la porte agréable et aimable pour tous les hommes avec qui il vit. De même la foi au Saint-Esprit donne-t-elle à. l'homme cette couleur brune qui est l'humilité foncière, cette pureté d'intention et ces exercices humbles qui sont marqués par les veines blanches et noires. Tout cela uni et multiplié autant que possible, car c'est ce qui rend l'homme aimable et plein de grâce vis-à-vis de Dieu, et de ceux qui sont à lui.

   Saint Barthélemi nous apprend encore ces choses par son nom, qui veut dire : celui qui est suspendu pour moi, ou le fils de celui qui est suspendu au-dessus des eaux. Voyez en effet comment entrer dans le Saint-Esprit c'est être suspendu au-dessus de soi-même. Et l'on reçoit alors une parole intérieure du Saint-Esprit, qui nous reconnaît pour fils de celui qui est suspendu. Et l'on répond à son tour intérieurement à l'Esprit divin en protestant que l'on veut. être fils pour participer aux eaux de ses dons précieux qui, nous mettant au-dessus de nous-mêmes, nous maintiennent dans notre condition de fils.


CHAPITRE XLIX

DU NEUVIÈME ARTICLE DE LA FOI.

   La neuvième pierre s'appelle améthyste et on y trouvait le nom d'Issachar, le neuvième fils de Jacob. Par cette pierre nous entendons le neuvième article de notre foi et par Issachar, saint Matthieu, l'apôtre de Notre-Seigneur. Car Issachar veut dire : celui qui réfléchit, ou : se souvenant du Seigneur, ou encore : un homme de salaire, ou : il est mon salaire.

   C'est ce que nous trouvons en réalité en saint Matthieu ; car il réfléchit bien, lorsqu'il renonça au péché et au monde ; il se souvint du Seigneur, lorsqu'il reçut le Christ dans sa maison, devint son apôtre et marcha à sa suite par ses vertus. Il était aussi un homme de salaire, c'est-à-dire digne de récompense, lorsqu'il écrivit l'Évangile du Christ, l'enseigna et y conforma sa propre vie, et aussi lorsqu'il composa le neuvième article de la foi : « Je crois en la sainte Église catholique. » Ainsi peut-il bien dire maintenant que Dieu est son salaire, pour ses bonnes œuvres. -

   C'est à juste titre que l'on compare cet article à l'améthyste, qui a une couleur pourpre mêlée de violet et qui jette des flammes gracieuses et brillantes comme des roses rouges. Elle peut être taillée facilement et on la trouve dans les Indes.

   Toutes ces qualités nous les retrouvons dans la sainte Église, ornée de la pourpre qui est le sang de Notre-Seigneur, des apôtres et des martyrs, et mêlée du violet des différentes sortes de vertus. Des flammes éclatantes y brillent gracieusement, et c'est l'amour intérieur qui se pratique dans la sainte Église et éclate en grandes œuvres. Cette améthyste, qui est la sainte Église, est facile à tailler, car pour l'homme vraiment croyant toutes bonnes œuvres peuvent être aisément commencées et achevées.

   L'améthyste vient des Indes, là où le soleil se lève. Or le mot Indes veut dire : signe de la douceur, ou : avance lumineuse ; et c'est ainsi que la sainte Église tire sa naissance et sa croissance là où se lève le soleil éternel. Le signe de la douceur, sous lequel elle grandit, ce sont les sacrements, signes sous lesquels se cache grande douceur. L'avance lumineuse est marquée par les exemples des saints et des justes.

   Nous trouvons dans le nom même de saint Matthieu un témoignage de tout cela ; car Matthieu signifie : un donneur de conseils, ou : un don de promptitude, et son exemple, ainsi que celui des autres saints, nous servent de conseillers pour mener notre vie. Quant au don de promptitude, c'est la grâce de Dieu, qui, en un seul instant, accomplit tout ce qui nous permet de nous joindre et unir à la communion de la sainte Église, une dans tout l'univers et commune, avec tous ses mérites, à tous les hommes croyants.



(1) 1 JOA., I, I.


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