RUYSBROECK - TOME 4 : LE LIVRE DU TABERNACLE SPIRITUEL

CHAPITRE VI


DE L'HUILE DES LAMPES.

   Moïse commanda ensuite, de la part du Seigneur, aux enfants d'Israël, d'apporter de l'huile extraite d'olives bien broyées, pour que les lampes pussent brûler devant le Seigneur jusqu'à l'aurore. C'est de même que le Christ, Dieu et Homme, nous a commandé à nous tous qui sommes rachetés de son sang d'apporter de l'huile pure, c'est-à-dire compassion, amour mutuel et charité les uns pour les autres, en toute nécessité. Ainsi nos lampes pourront-elles luire et brûler, car la nuit des figures est passée, où l'on devait brûler de l'huile d'olive, et l'aurore s'est levée, et nous nous tenons maintenant devant le Seigneur.

   Si nous accomplissons les œuvres de charité et de miséricorde, nous avons en nous la lampe et la lumière signifiées par la figure. Car le Christ avec les siens disposera et réglera cette lumière jusqu'au jour du jugement. Et alors il bénira et rendra bienheureux tous ceux qui maintenant luisent et brûlent pour leur prochain par des œuvres de miséricorde. Et il maudira tous ceux qui ne se seront pas exercés dans les vertus morales et les œuvres de charité, qu'il a lui-même pratiquées et enseignées auparavant et avec lesquelles nous devrons être trouvés, pour passer à la vie éternelle.

   Tel est le deuxième point parmi les sept principaux que nous empruntons à la figure. Ainsi sommes-nous instruits de la façon dont nous devons nous dépenser au service du prochain en œuvres charitables, à condition toutefois qu'auparavant, en conformité avec le premier point, nous ayons été délivrés et rachetés de tous nos péchés par la mort du Seigneur.


CHAPITRE VII

DU TROISIÈME DEGRÉ.

   Il nous faut maintenant pénétrer plus avant dans notre sujet à l'aide de la figure, puis expliquer cette figure quant au troisième point, dont j'ai parlé au début.

   Le Seigneur dit encore à Moïse : « Vous ferez un autel de bois de sétim : il aura cinq mesures en longueur et autant en largeur, étant ainsi de forme carrée, et trois mesures en hauteur. Il sera pourvu de quatre cornes, une à chaque angle: et vous couvrirez l'autel complètement d'airain. Pour le service de cet autel, vous ferez des vases d'airain destinés à recueillir les cendres, des tisonniers et des crochets, et des brasiers pour recevoir le feu. Tous ces ustensiles seront d'airain. Vous construirez aussi un gril en forme de filet, et sous ce gril, au centre de l'autel, un foyer. Aux quatre cornes seront fixés quatre anneaux de métal, plus bas que le foyer de l'autel, et le gril s'étendra jusqu'au milieu de l'autel. Vous ferez encore deux barres de bois de sétim, que vous recouvrirez de lames d'airain: et vous les passerez à travers les anneaux, de chaque côté de l'autel, afin qu'on puisse le porter. Cet autel ne sera pas massif, mais vous le ferez évidé et creux à l'intérieur, comme il vous a été montré sur la montagne (1)

   Il vous faut maintenant pénétrer plus avant dans la vérité que nous enseigne cette figure, et voir comment nous devons rentrer en nous-mêmes par le recueillement des sens, dans une pratique d'ordre affectif. Car de même que, par les vertus morales, nous devons nous tourner à. l'extérieur vers le prochain, de même, par l'amour affectif, devons-nous nous recueillir et nous tourner vers le Seigneur. De cette façon nous érigerons un autel des sacrifices en bois de sétim.

   Par cet autel nous devons entendre l'unité sensible de notre cœur. Et dans cette unité devront être recueillies toutes les puissances affectives de l'homme, d'une façon sensible. L'autel sera de bois de sétim, bois léger par lui-même, qui ne peut ni se corrompre, ni brûler. Par là nous entendons la liberté; car elle est légère et mène l'homme spirituel où il veut. C'est pourquoi nous devons laisser de côté toutes occupations désordonnées de la partie sensible, et nous recueillir librement dans l'unité sensible. Et cette liberté est constante et affranchie d'entraves, pourvu que nous consentions à l'exercer dans la vertu. Dans le feu de l'amour elle ne peut ni périr, ni se consumer, mais elle y est purifiée de tout ce qui est désordonné.

   Setim veut dire noyau ou premier germe de tout fruit. De même le libre retour de l'amour vers Dieu est germe et principe de toutes vertus. C'est pourquoi c'est la matière avec laquelle on fait l'autel, où sans cesse il faut offrir à Dieu avec amour tout service corporel et l'activité extérieure.

   La longueur de l'autel est de cinq mesures. Cela veut dire que nous devons vaincre toute multiplicité du cœur et rassembler nos sens dans l'unité. La largeur est également de cinq mesures c'est-à-dire que nous ferons rentrer dans cette unité nos désirs sensibles, méprisant tout ce qui les flatte, sauf le cas de nécessité. Ainsi serons-nous assurés, fermes, inébranlables contre tout ce qui peut nous nuire de l'extérieur.

   La hauteur doit être de trois mesures : ce-qui signifie qu'il nous faut reconnaître l'unité en nous, y aspirer et nous y établir par l'expérience, au-dessus de toute chose temporelle. Lorsque l'homme est   introduit dans cette unité sensible, ses aspirations montent vers le ciel et ses yeux souvent s'y élèvent. Ce qu'il éprouve à l'intérieur et ce qu'il manifeste au dehors est étrange : et tout ce qui est du temps, devient pour lui sans attrait, car il a recouvert son autel, ou l'unité de son cœur, à l'extérieur et à l'intérieur, d'airain ou d'amour affectif pour Dieu.

   Nous ferons aussi pour notre autel quatre cornes d'airain, une à chaque angle. Par là nous entendons les quatre vertus morales, car elles sont pour notre unité un ornement de choix et se manifestent à l'extérieur en œuvres vertueuses. Et elles nous donnent une force invin--cible, si, par elles, nous rentrons dans l'unité pour nous y établir.

   Nous devons encore consacrer au service de notre autel, c'est-à-dire de l'unité de notre cœur, divers ustensiles et instruments d'airain. Il y aura tout d'abord ce qui doit servir à. recueillir les cendres : c'est un souvenir fréquent et humble de la mort que le Seigneur a endurée par amour, des souffrances des saints, et de tout ce qui nous manque en fait de vertus. Ce sont là comme des cendres et des restes du feu de l'amour, que nous devons sans cesse recueillir par une méditation dévote, humble et amoureuse, et pleine de compassion.

   Ensuite, voici les instruments d'airain, qui figurent la façon dont les péchés sont écartés et l'amour excité et renouvelé: des tisonniers pour attiser le feu, ce qui signifie, dans toutes les œuvres vertueuses accomplies pour Dieu, un sentiment intérieur de non-satisfaction, et dans tout ce que Dieu nous donne en retour, la conscience de n'être ni assouvi ni apaisé. C'est par là que s'attise le feu de l'amour. Les crochets d'airain, ce sont les sens intérieurs tout pénétrés d'un goût savoureux; ils doivent porter leur attention vers l'extérieur et nous faire rentrer à l'intérieur, tournant et retournant, les offrandes des vertus dans le feu de l'amour. Les brasiers pour recevoir le feu, ce sont des désirs inassouvis que rien ne peut satisfaire, sinon aimer.

   Il nous faut encore avoir pour l'autel de notre unité un petit gril d'airain, portant des treillis comme un filet. Par là nous entendons le désir spontané et ardent qui embrasse toutes choses pour les employer au service de Dieu, et qui n'est retenu par aucune créature. Ce désir ressemble à un filet, car sous lui, dans l'unité du cœur, brûle le feu d'un amour affectif pour Dieu. Et la flamme de ce feu, c'est-à-dire la ferveur dans laquelle toutes les œuvres vertueuses brûlent et sont offertes à Dieu, passe tout à travers. Toutes les faveurs qui s'écoulent de Dieu dans l'unité du cœur et tout ce que la ferveur fait remonter de cette unité vers le ciel, tout cela traverse le désir sans qu'il puisse rien retenir, car il est comme ce gril en forme de filet, sur lequel sont placées toutes choses pour être offertes à Dieu dans le feu de l'amour.

   Le gril, qui représente ce désir, est suspendu au milieu de l'autel, c'est-à-dire au milieu de l'unité de notre cœur, et il est fixé aux quatre cornes d'airain dont j'ai parlé plus haut; car toutes nos œuvres vertueuses doivent sortir de notre unité sensible et y rentrer, selon les quatre modes des vertus morales. Et, dans le retour à l'intérieur, nous trouvons le désir comme tenu en suspens au milieu de l'amour affectif. Sortir de l'unité et s'élever au-dessus de lui-même, il ne le peut. D'autre part il est incapable de se maintenir dans le fond de l'unité sensible: c'est pourquoi il demeure suspendu au milieu de l'autel, où le feu de l'amour doit brûler sans fin.

   Sous le gril, qui est le désir, au milieu de l'autel, il y aura un foyer d'airain, figurant l'esprit intérieur, le fond et le sol où nous devons brûler et attiser sans cesse tout le feu de notre amour affectif.

   Aux quatre cornes de ce foyer il y aura quatre anneaux de fonte d'airain et deux barres en bois de sétim recouvert de lames d'airain, que l'on doit passer à travers les anneaux de chaque côté de l'autel; et c'est ainsi que nous porterons l'autel de notre unité sensible partout où nous voudrons, et que nous le maintiendrons stable en toute sa beauté.

   Le premier anneau en nous, c'est que nous considérions amoureusement l'amour éternel de Dieu, dans lequel nous avons été vus d'avance et élus de toute éternité. Le deuxième anneau consiste pour nous à considérer que de toute éternité, par amour, il a plu à Dieu d'envoyer son Fils unique en notre nature, pour qu'il nous donnât son enseignement en paroles et en œuvres, et qu'il souffrît la mort amère à cause de nous. Ce sont là deux anneaux d'éternité, fixés aux deux cornes d'un des côtés de l'autel de notre unité.

   À travers ces deux anneaux chacun pourra passer une barre, qui ne saurait être détruite que par notre faute. C'est la ferme confiance, au cœur de chacun, qu'il est élu et aimé de Dieu dès l'éternité, et que, pour son amour, Dieu s'est fait homme et a souffert la mort. Cette confiance jointe à un entier abandon devra être gardée jusqu'à la mort : ainsi le côté droit de l'unité est-il bien gardé, et la barre reste dans son anneau pour toujours.

   Le troisième anneau sera de nous faire considérer l'amour actuel de Dieu pour nous et de nous rappeler qu'il nous donne chaque jour et veut nous donner à chaque heure tant de grâces et de bienfaits, et en outre que par cela nous pouvons mériter de vivre éternellement avec lui. Le quatrième anneau pour nous sera de considerer que, par amour, Dieu veut se donner lui-même à nous en récompense, afin que nous puissions jouir de lui éternellement, avec tout ce qu'il a mérité dans son humanité, selon que nous en sommes capables, tout comme si nous l'avions accompli et mérité nous-mêmes. Ces deux anneaux seront fixés sur l'autre côté de l'autel, de façon à ce que nous puissions toujours les avoir tous les quatre présents à l'esprit et à l'imagination.

   Il y aura aussi de ce côté une barre, capable d'être passée dans les anneaux et de les réunir solidement. Cela signifie qu'il nous faut aimer Dieu avec un cœur libre, au-dessus de toutes choses et, par un humble service, obéir toujours à. ses commandements et à ceux de la sainte Église, et y persévérer jusqu'à la mort. Tant que ces barres demeurent fixées dans leurs anneaux, notre vie est assurée et à l'abri de tout ce qui pourrait nous faire obstacle. Car du moment que ces deux barres sont en bois de sétim, ce par quoi nous entendons la liberté, nous pouvons porter l'autel de notre unité sensible partout où nous voulons. Les barres sont recouvertes de lames d'airain, par où nous entendons l'amour affectif et c'est pourquoi nous pouvons faire à Dieu des offrandes, en tous lieux, où que nous soyons.

   L'autel sera creux et vide entre les quatre côtés. De même l'unité de notre cœur sera vide de toutes choses capables de préoccuper notre esprit, et de toute attache désordonnée et ainsi rentrer en nous-mêmes par affection, ou sortir par des œuvres vertueuses nous sera également facile. Cet autel, c'est-à-dire l'unité de notre cœur, sera toujours ouvert en haut, du côté du ciel, par la ferveur et un service plein de révérence.

   Notre autel sera muni encore du côté du soleil levant d'une petite ouverture, signifiant que nous devons humblement désirer et demander la grâce et le secours de Dieu. Chaque fois que nous nous en servons et qu'ainsi nous donnons accès aux libéralités divines, Dieu est prêt à attiser et renouveler le feu de son amour dans notre unité sensible.

   L'autel de notre unité doit être placé à droite du tabernacle, du côté de la lumière, c'est-à-dire au plus intime de notre cœur et de notre sensibilité, droit devant l'entrée de la partie raisonnable : de façon à ce que, en toutes nos œuvres et en toutes les offrandes que nous faisons à Dieu, nous puissions regarder à l'intérieur du tabernacle qui représente notre partie raisonnable. Nous serons ainsi bien ordonnés en toutes nos pratiques, et notre offrande sera parfaitement agréable à Dieu.

   Nous terminons ainsi ce qui regarde le troisième point des sept principaux, où nous apprenons comment nous devons nous exercer dans l'amour affectif pour Dieu à condition que nous vivions déjà dans une vraie pénitence, et qne nous soyons bien ordonnés en vertus morales, envers nous-mêmes et envers le prochain.


CHAPITRE VIII

DU QUATRIÈME DEGRÉ.

   Poursuivons maintenant aussi clairement que possible l'explication de notre allégorie, afin d'apprendre par la connaissance de la vérité et l'amour divin comment nous pouvons acquérir et posséder l'état de perfection, c'est-à-dire de rectitude dans la partie raisonnable. C'est ce que va nous apprendre le quatrième point de notre sujet, dont je vais maintenant vous entretenir.

   Vous devez savoir que le Seigneur parla à Moïse en ces termes : « Il y aura dix rideaux de fin lin retors, de couleur d'hyacinthe, de pourpre et d'écarlate teinte deux fois : ils seront brodés et ouvrés en ornements variés. La longueur de chaque rideau sera de vingt-huit coudées, et la largeur de quatre. Tous ces rideaux seront de même mesure. Cinq d'entre eux seront joints l'un à l'autre, et les cinq autres seront unis de même façon. Des cordons d'hyacinthe seront placés de chaque côté et au sommet des rideaux, afin qu'ils puissent être joints ensemble. Chacun aura cinquante cordons de chaque côté, placés de telle sorte que les cordons de l'un répondent à ceux de l'autre, et qu'on les puisse attacher ensemble. Puis il y aura cinquante anneaux d'or, qui serviront à joindre ensemble les deux voiles formés par les rideaux, afin qu'il ne s'en fasse qu'un seul tabernacle.

   » Vous ferez encore onze toiles de poil de chèvre, pour couvrir le dessus du tabernacle. La longueur de chacune sera de trente coudées, et la largeur de quatre. Toutes seront de même mesure; cinq seront jointes ensemble par le bas, et les six autres se tiendront aussi l'une à l'autre, de façon à ce que la sixième soit repliée en deux en avant du tabernacle. Il y aura cinquante cordons au bord d'une de ces toiles, et cinquante au bord de l'autre, afin qu'on les puisse joindre ensemble. Cinquante agrafes d'airain serviront . unir les cordons, afin que de tous ces rideaux il ne se fasse qu'une seule couverture.

   » Quant à la onzième toile qui est en surplus, d'une de ses moitiés vous couvrirez le fond du tabernacle, de façon à ce qu'elle déborde d'une coudée, et de l'autre moitié vous couvrirez le devant du tabernacle. Vous ferez encore pour le toit de ce tabernacle une autre-couverture de peau de bélier, teinte en rouge, et par-dessus une autre encore de peau teinte en couleur d'hyacinthe.

   » Vous construirez en bois de sétim des ais qui se tiendront debout, et chacun aura dix coudées de long, et une coudée et demie en largeur. Et les côtés de chaque ais seront entaillés de telle façon que l'un puisse s'emboîter dans l'autre; et tous les ais seront disposés de cette manière. Il y en aura vingt du côté du midi vers le sud. Vous ferez fondre pour ces ais quarante bases d'argent, de telle façon qu'il y en ait deux pour chaque ais dans les deux angles. De l'autre côté du tabernacle, il y aura aussi vingt ais et quarante bases d'argent, deux sous chaque ais. À l'ouest du tabernacle, vers l'occident, vous ferez six ais, et encore deux autres qui seront dressés aux angles du fond du tabernacle. De cette façon ils seront joints ensemble de haut en bas et un seul assemblage les unira tous. Les deux ais qui seront mis aux angles recevront le même assemblage que les autres : de façon à ce qu'il y ait huit ais et seize bases d'argent, deux pour chacun.

   » Vous ferez aussi cinq barres en bois de sétim, pour retenir les ais d'un côté du tabernacle et cinq autres de l'autre côté, et autant à l'extrémité vers l'occident. Ces barres seront appliquées contre les ais, du premier jusqu'au dernier. Ces ais vous les recouvrirez d'or, et vous y ferez des anneaux d'or, pour y passer les barres qui tiendront ensemble tous les ais. Ces barres seront couvertes de lames d'or. Et vous dresserez le tabernacle, selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne.

   » Vous ferez encore un rideau de couleur d'hyacinthe, de pourpre, d'écarlate teinte deux fois et de fin lin retors, avec des broderies variées. Ce rideau sera pendu devant quatre colonnes en bois de sétim, recouvertes d'or. Et les chapiteaux seront entièrement en or: mais les bases seront d'argent. Et le rideau sera fixé aux colonnes par des anneaux d'or.

   » A l'intérieur du voile vous mettrez l'arche du témoignage, et par ce voile seront séparés le Saint du Saint des saints. Et au-dessus de l'arche du témoignage, dans le Saint des saints, vous placerez le propitiatoire. Quant à la table, vous la mettrez en dehors du voile, auprès de la paroi septentrionale; et vis-à-vis de la table, de l'autre côté, vers le midi, le chandelier d'or.

   » Vous ferez de plus à l'entrée du tabernacle un rideau de couleur d'hyacinthe, de pourpre, d'écarlate teinte deux fois et de fin lin retors, tout orné d'ouvrages de broderie. Et vous revêtirez d'or les cinq colonnes en bois de sétim; et les chapiteaux seront tout en or et les bases en airain. Et en avant vous pendrez le rideau (2) . »


CHAPITRE IX

CE QUE SIGNIFIENT MOISE ET LE TABERNACLE.

   Tel est le tabernacle figuratif que Dieu ordonna à Moïse de construire.

   Moïse, sous la loi, était chef et guide de son peuple, et médiateur de paix entre Dieu et ce peuple. Et c'est pourquoi il fut chargé par Dieu d'établir la loi et de faire construire le tabernacle, où devait s'accomplir le culte divin et où le Seigneur voulait habiter au milieu de son peuple, jusqu'au temps où toutes les figures feraient place à la vérité signifiée par elles.

   Par Moïse, comme je l'ai dit auparavant, nous entendons le Christ, qui est notre chef et notre guide dans la loi chrétienne et notre fidèle médiateur. Il a accompli toutes les figures et leur a substitué la vérité qui demeure pour toujours. Il a obtenu pour nous la faveur de son Père, pour tout ce que nous lui demandons avec amour et confiance. Et par le commandement et la volonté de son Père, il a construit un tabernacle spirituel, la sainte Église, qui, après le temps de la grâce, demeurera éternellement dans la gloire. Cette sainte Église, ce sont tous les justes unis à Dieu, appelés tous ensemble les uns avec les autres, dans l'unité d'une même loi, d'un même baptême, d'une même foi, dans la concorde d'un même amour, d'œuvres communes et de la charité éternelle de Dieu qui les tient tous embrassés. De sorte que chacun est une pierre vivante bien taillée du tabernacle de Dieu. Et selon la mesure où la vie et la conduite de chacun sont nobles et élevées, ainsi orne-t-il davantage le tabernacle de Dieu qui est la sainte Église.


CHAPITRE X

CE QUE SIGNIFIENT LES NOMS DE BESELEEL ET OLIAB,
HURl ET HUR, AARON ET ITHAMAR.

   Poursuivons notre sujet et voyons comment tout homme raisonnable doit construire pour Dieu un tabernacle spirituel, où il devra vivre toujours, uni à Dieu.

   Afin de l'apprendre comme il faut, nous devons remarquer trois choses : la première, c'est que Dieu a choisi principalement Beseleel et Oliab pour construire son tabernacle. La deuxième, c'est que Dieu voulait qu'il fût construit avec les offrandes volontaires de tout le peuple d'Israël. La troisième, c'est que Ithamar, le fils du grand prêtre Aaron, recevait toutes les offrandes et les confiait ensuite aux ouvriers, qui travaillaient au tabernacle du Seigneur, chacun selon ce qui lui appartenait.

   Nous en trouvons la preuve dans ces paroles que le Seigneur adressa à Moïse: « Voici que j'ai choisi nommément Beseleel, fils de Huri, fils de Hur, de la tribu de Juda, et je l'ai rempli de l'Esprit de Dieu, de sagesse, d'intelligence et de science, pour toute sorte d'ouvrage, afin qu'il pût concevoir tout ce qui peut se faire avec l'or, l'argent, l'airain, le marbre et les gemmes, et les bois de toutes essences. Je lui ai donné pour compagnon Oliab, fils d'Achisamech, de la tribu de Dan, et j'ai mis la sagesse dans le cœur de ces deux hommes habiles, pour qu'ils puissent faire toutes les choses que je vous ai commandées : le tabernacle de l'alliance, l'arche du témoignage, le propitiatoire qui est au-dessus de l'arche, avec tous les ustensiles du tabernacle; la table avec ses ustensiles; le chandelier d'or avec ce qui en dépend; l'autel des parfums et celui de l'holocauste, avec tout ce qui leur appartient; le bassin avec ses bases, les vêtements sacrés avec lesquels Aaron le grand prêtre et ses fils doivent exercer leurs fonctions saintes; l'huile dc l'onction, les aromates et les parfums, dans le sanctuaire. Et toutes les choses que je vous ai ordonnées, ils les accompliront (3) »

   Vous remarquerez ici et vous considérerez que Dieu appela et choisit, parmi tout le peuple d'Israël, Beseleel et Olìab, pour être les chefs de tous les artisans, tant en habileté qu'en intelligence, dans la construction du tabernacle de Dieu et de tous ses ornements. Et c'est pourquoi, si nous voulons construire pour Dieu en nous-mêmes un tabernacle éternel, nous devons être Beseleel et Oliab, qui représentent notre libre arbitre et notre intelligence. C'est par ces deux facultés que nous devons obéir à. l'Esprit de Dieu, et alors nous serons remplis de tous les dons divins, pour construire un tabernacle éternel à Dieu en nous-mêmes, avec les ornements des vertus; de même que, selon la figure, Beseleel et Oliab étaient remplis de toute sorte de vertus et de dons, pour construire un tabernacle matériel destiné au service du Seigneur.

   Si nous voulons commencer l'œuvre et la mener à bonne fin, il nous faut contempler et noter de qui sont nés Beseleel et Oliab. Comme Dieu lui-même nous l'apprend, nous remarquerons les noms de leurs aïeux et ce que ces noms signifient. Le grand-père de Beseleel s'appelait Hur et son père Huri. Hur veut dire feu: par là nous entendons le feu de l'amour éternel de Dieu, où toute naissance, qui se fait selon la grâce, prend son origine. Et de Hur, c'est-à-dire de l'amour éternel de Dieu, est né Huri, par qui nous entendons la grâce dc Dieu. Car Huri signifie ma mesure ou celui qui m'éclaire. Par là nous pouvons remarquer que la grâce de Dieu est la mesure de l'homme qui aime. Car aussi longtemps et aussi loin que la grâce le mène et le guide, l'homme peut s'avancer, mais pas au delà. De même encore le rayonnement, dans l'âme, de la grâce divine est la lumière qui éclaire l'homme, car il illumine les yeux intérieurs, il apprend le chemin de la vérité sans erreur et, au terme, il montre la vie où est caché tout bien.

   Pourtant il y a grande distance et différence entre la grâce qu'avaient les Juifs et celle dont nous jouissons maintenant. Car quelque grâces et vertus qu'ils eussent, ils devaient tous attendre aux enfers le plein jour de la grâce, où nous devions tous naître. C'est pourquoi ils criaient, se lamentaient, gémissaient et pleuraient, parce qu'ils étaient nés de Hur, car l'H n'est autre chose qu'une ouverture de la bouche, un cri de la voix, ou une aspiration violente; et il y avait là un intermédiaire entre eux et Dieu, aussi bien pour naître à la grâce que pour renaître à la gloire. Mais maintenant, au plein jour de la grâce, l'H a été effacée par le sang de Notre-Seigneur, et c'est pourquoi nous avons pour ancêtre Ur et pour père Un. Ces deux noms sont sans H, parce que nous sommes entièrement réconciliés aussi quand nus parlerons de notre naissance spirituelle, ce sera toujours Ur et Un sans H.

   Ur sans H veut dire lumière, ou feu, ou embrasement, ou encore ouverture. Par ces quatre termes nous entendons quatre appellations ou propriétés que nous trouvons en Dieu, et qui sont cause et principe de notre naissance spirituelle et de toutes nos vertus.

   Et d'abord Dieu est une lumière dans laquelle vivent toutes« choses, et par cette lumière toutes choses sont créées et ordonnées diversement, selon leur essence naturelle. Et si notre esprit se tourne pleinement vers cette lumière, toutes choses en nous atteignent leur perfection et sont ramenées à leur principe, et ainsi nous sommes unis à la lumière et recevons d'elle une nouvelle naissance, au-dessus de la nature, dans la grâce. Et dans cette régénération toutes choses deviennent nôtres, car nous avons bien ordonné toutes choses et les avons ramenées à leur principe.

   En ce principe nous trouvons née en nous une lumière éternelle qui est le Fils de Dieu. De cette lumière nous tenons quatre espèces de lumières.

   La première est la lumière du ciel, qui nous est donnée en commun avec les animaux, et qui éclaire nos yeux de chair. C'est la plus belle parure de l'univers. Les damnés en seront privés à jamais; leur demeure sera dans les ténèbres, parce qu'ils se seront servis de cette lumière du monde en vain et non pour le service du Seigneur.

   La deuxième lumière, c'est la clarté du ciel supérieur, que Dieu a créée pour nos yeux glorifiés : et là sera l'habitation des corps glorieux. C'est en clarté que nous contemplerons d'une façon sensible, avec grande joie, la grande clarté du corps du Seigneur, ainsi que du nôtre et de ceux de tous les saints. Et nous verrons clairement, les signes d'amour qu'ils portent en leur chair et qu'ils ont mérités les uns par le martyre, les autres par toutes sortes de pénitences, le tout enduré pour le service de Dieu, selon la mesure de chacun.

   La troisième lumière est spirituelle. C'est l'intelligence naturelle des anges et des hommes. En cette lumière nous pouvons reconnaître, au-dessus de l'opération des sens et sans eux, par notre raison, bien et mal, mensonge et vérité. Là commence le premier ornement de la nature raisonnable.

   La quatrième lumière, c'est la grâce de Dieu, par laquelle nous devenons agréables à Dieu et en retour prenons en lui, par-dessus tout, notre complaisance. Cette lumière arrivera chez chacun à sa perfection, lorsque l'état de grâce fera place à la gloire : et le degré de la gloire pour chacun correspondra à son degré de grâce.

   Telles sont les quatre espèces de lumières que nous recevons de la lumière éternelle, c'est-à-dire de la sagesse de Dieu, qui est la source et la norme première de toute vérité et de toute créature.

   Vient maintenant la deuxième propriété qui fait donner à Dieu le nom de feu, c'est-à-dire le feu de l'amour qui unit le Père et le Fils et qui brûle éternellement. Ce feu s'appelle le Saint-Esprit, le vivant amour de Dieu, qui, avec la lumière éternelle, est cause de ce que nous sommes créés et faits selon la nature, et recréés dans la grâce, et appelés et invités à la gloire.

   La troisième propriété que nous apercevons en Dieu s'appelle l'embrasement. Par là nous entendons l'unité de la nature divine, qui, en raison de sa fécondité et en tant que principe de son opération éternelle, porte le nom de Père, car toute opération des personnes prend son origine en cette unité; et cette même unité, parce qu'elle est toute aimable et en raison de sa propre perfection, attire en elle-même et consume et engloutit en elle-même toute opération d'amour, avec la distinction des personnes qui s'y manifeste. Car cette unité est fondement et lien d'amour, qui attire tout ce qui aime et le revêt de ce qu'elle est elle-même; par lui-même cet embrasement va toujours consumant et engloutissant toutes choses dans l'unité et il ne peut souffrir en soi aucune distinction. Néanmoins chaque propriété en Dieu conserve son activité propre qui ne saurait disparaître, comme nous l'avons dit déjà.

   La quatrième propriété que nous apercevons en Dieu est de s'ouvrir un passage jusqu'à nous. Elle s'est réalisée par l'union du Verbe éternel avec notre nature, union qui tient ouvert pour nous le royaume de Dieu. Cette ouverture était éternellement présente è. Dieu, et elle nous a été rendue accessible au temps voulu. En cette union le Père, par amour, nous a donné son Fils, et le Fils à. son tour s'est donné lui-même à son Père et nous avec lui, par le moyen de sa mort précieuse et par amour. Et le Père et le Fils nous ont donné par amour leur amour mutuel, qui est le Saint-Esprit. Ainsi l'union est-elle renouvelée pour nous de triple façon; car Dieu veut demeurer en nous et y habiter, pourvu que nous lui consacrions notre vie par la pratique des vertus.

   Telles sont les quatre propriétés que nous trouvons en Dieu, principe et but universels de toute vie, aussi bien dans la nature que dans la grâce : et c'est ce que nous apprend la signification du nom d'Ur.


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   Vous devez savoir maintenant qu'Ur avait un fils qui était appelé Un. Et de la même façon, pouvons-nous dire qu'Uri naît en nous, parce que la plénitude de la grâce naît des quatre propriétés que nous trouvons en Dieu; car Un doit se traduire en langue vulgaire par: ma lumière, mon feu, mon embrasement, ou ce qui s'ouvre devant moi. Et chacune de ces quatre particularités comprend la plénitude de la grace de Dieu, et c'est pourquoi elles sont inséparables l'une de l'autre : elles naissent de Dieu en nous et nous font ressembler à lui par quatre dons correspondant aux quatre propriétés divines qui les ont engendrées. Et quand nous les recevons, nous devenons les fils de prédilection de Dieu, grâce à ces quatre dons que nous a mérités par sa mort précieuse son Fils par nature Jésus-Christ, notre frère, qui remplit toute âme aimante de grâces particulières et d'autant plus nombreuses qu'elle en est plus digne par l'amour et qu'elle s'est plus approchée par la connaissance.

   C'est pourquoi quiconque aime peut dire, en son nom propre, sous l'action de la plénitude de grâces qu'il a reçues: ma lumière, dans le fond de ma puissance intelligente; mon feu, dans le fond de ma puissance aimante; mon embrasement, dans le fond de l'unité de mon esprit; ce qui s'ouvre devant moi, dans le transport de ma pensée.

   La lumière de la grâce de Dieu, dans le fond de l'intelligence, nous rend témoignage de toute vérité et de toute sagesse; car elle naît en nous sans interruption de l’éternelle vérité et sagesse de Dieu. C'est pourquoi cette lumière est toute spirituelle et échappe à l'imagination, et elle demeure, au-dessus de la mémoire, dans le fond de l'intelligence. Ainsi enseigne-t-elle la vérité d'une façon simple, sans le secours d'exemples ni d'un maître extérieur; et étant au-dessus de la sensibilité, cette lumière subsiste perpétuellement. C'est par elle qu'est cultivée et régie, et connue sans erreur, toute la pratique des vertus. Tel est le don de clarté qui nous vient de Dieu, et c'est par là que nous portons en nous la ressemblance de la première propriété que nous avons trouvée en lui.

   De nouveau celui qui aime, poussé par ce qu'il éprouve et par la plénitude de ses grâces, dit: « mon feu, dans le fond de ma puissance aimante, qui, par le Saint-Esprit, brûle sans intermédiaire ni relâche ». Et ce feu de l'amour est, au plus intime de l'âme, le point de départ et le premier don, ainsi que la racine de toutes les vertus. Encore que lumière et feu nous soient donnés par Dieu ensemble, nous ressentons plus tôt le feu, car ce sont des dons de grâce et non de nature, que nous recevons de la libéralité de Dieu par le Saint Esprit. C'est pourquoi le feu de l'amour est premièrement perçu; et c'est par ce feu de notre amour qu'est entretenue en nous une claire connaissance.

   Ces deux propriétés, lumière et feu, nous apprennent à accomplir toutes vertus.

   Mais celui qui aime dit encore d'une façon plus profonde et plus intime : « mon embrasement, dans le fond de l'unité de mon esprit ». Cet embrasement naît de la haute unité de Dieu et se renouvelle sans cesse; il m'attire et il veut à toute heure que je m'anéantisse en moi-même, pour être un avec Dieu par l'amour. Cette action attirante de Dieu est une touche intime venant de l'unité superessentielle de Dieu, où tous ceux qui aiment sont fondus sous l'unique étreinte d'un même amour. De là naît en nous un embrasement, chaleur mystérieuse, qui envahit l'unité de nos puissances supérieures. Et cette chaleur consume en nous toute espèce d'intermédiaires ou d'images, et cet embrasement est la plus haute perfection de toutes les vertus : car c'est là que l'esprit vient défaillir en amour, pour se tenir passif. Il est embrasé et consumé dans l'étreinte incompréhensible de l'unité de Dieu, qui, avec une faim éternelle et une avidité inassouvie, saisit, dévore et engloutit en sa propre unité tout ce qui aime. Et de cette même unité naît sans cesse un nouvel embrasement, où l'esprit offre son sacrifice le plus sublime, car il brûle, se consume et s'offre jusque dans sa plus haute béatitude.

   Celui qui aime d'une façon sublime dit encore en face du vide et de la clarté qu'il aperçoit en son fond: «l'horizon qui s'ouvre devant moi dans le transport de ma pensée toute simplifiée, m'a dépouillé et vidé de moi-même et de toutes choses, m'a élargi et m'a montré la vie éternelle ». C'est là une révélation qui naît de la vie cachée que nous possédons avec le Christ en Dieu, et elle crée en nous hauteur et profondeur, longueur et largeur, car elle nous unit à la vie infinie qui embrasse tontes choses; et c'est pourquoi il est impossible de définir comment cette révélation est en elle-même; car on ne peut la démontrer ni l'enseigner par paroles, ni par exemples, ni par aucune comparaison; mais elle découle de Dieu et se révèle elle-même au sommet de l'intelligence. Et dès que l'esprit veut y porter son regard, il devient sans modes et un avec la lumière, et il perd toute distinction et toute considération de la raison, dans le large horizon de la révélation divine. Là, il est illuminé et tout pénétré de lumière divine et uni à Dieu, vérité première de qui vient la revelation et qui nous enseigne toute vérité et nous ramène à sa source, où toute vraie vie a son principe et son terme. Voyez, ces deux dernières propriétés, c'est-à-dire embrasement et ouverture, nous unissent à Dieu.


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    Nous avons donc expliqué comment Un veut dire plénitude des grâces de Dieu, moyennant quatre dons. D'Uri était né Beseleel, que Dieu choisit spécialement pour construire son tabernacle sous la loi ancienne. De la même façon, de la plénitude des grâces divines naît en nous une volonté docile que Dieu choisit, afin de lui faire mener une vie vertueuse, où Dieu veut régner, ici-bas et dans l'éternité.

   Nous pouvons en outre remarquer que ces quatre propriétés, avec tous les dons de Dieu, se ramènent à deux points: aimer toute justice et connaître toute vérité. Car quiconque fait l'expérience en soi d'une justice parfaite, ressent le feu de son amour qui l'excite à toute vertu et, dans le même feu, il sent un embrasement qui l'offre et l'unit à Dieu : et c'est pourquoi, au sens spirituel, il est Un, et de lui naît Beseleel, c'est-à-dire une volonté librement docile. De même celui qui possède en soi la connaissance de toute vérité, ressent la lumière qui ordonne en lui l'amour et toutes ses œuvres, et il voit ce qui s'ouvre devant lui et vers quoi l'embrasement de son esprit est toujours penché avec une avidité insatiable. Et par là il est vraiment Achisamech, et de lui naît Oliab, c'est-à-dire une claire intelligence, le compagnon de Beseleel, en qui nous avons reconnu une volonté docile. Ainsi donc aimer toute justice et connaître toute vérité, c'est là Un et Achisamech. Ces deux sont nés de Dieu et ils sont inséparables, car ils sont comme deux frères nés d'un même père, ou comme deux rivières alimentées par une même source: et c'est bien ce que nous apprend le nom d'Achisamech, car Achisamech veut dire : je suis celui qui fortifie mon frère, ou bien, je suis la force de mon frère. Et c'est pourquoi dans la lumière de la vérité, le feu de l'amour est toujours fortifié, et quand l'horizon s'ouvre devant la pensée, l'esprit est entièrement consumé et uni à Dieu.

   Maintenant il est bon de considérer Oliab, fils d'Achisamech, et Beseleel, fils d'Un. C'étaient deux compagnons que Dieu choisit pour construire son tabernacle.

   O iab veut dire : celui qui affaiblit son père, ou celui qui protège son père; car quand Oliab, c'est-à-dire l'intelligence claire, s'abaisse par la considération vers la multiplicité des vertus et des bonnes œuvres, alors la pensée élevée est entravée et affaiblie dans la claire contemplation de la vérité toute simple, où se trouve une volupté céleste. Le second sens selon lequel Oliab, c'est-à-dire la claire intelligence, est protection de son père, se réalise dans cette vision intérieure où la sensibilité est impuissante à nuire. Là toute vérité est apprise, protégée et retenue en elle-même. Voyez, la double opération signifiée par les deux sens du nom d'Oliab, opération qui consiste à regarder vers le dehors ou à pratiquer la vision intérieure, c'est ce qui doit être toujours propre à notre intelligence, aussi longtemps que nous vivons ici-bas : et alors nous serons Oliab, nés de la pensée élevée qui contemple toute vérité.

   Or cet Oliab était maître en menuiserie, et c'est pourquoi il taillait et joignait ensemble en bon ordre les ais du tabernacle. Il était également maître en ouvrages de broderie, et c'est pourquoi il joignait ensemble les rideaux qui devaient couvrir le tabernacle et il y brodait toutes sortes d'ornements imaginables. De plus il était habile et maitre dans l'art de discerner les différentes couleurs, et ainsi ordonnait-il toutes choses aussi richement et décemment que possible pour le tabernacle de Dieu. Enfin il était de la tribu de Dan. De même façon notre entendement doit-il être maître et observer soigneusement tout notre intérieur, et examiner avec prudence tout ce que nous devons décider intérieurement pour nous conduire: et cela il nous faudra l'adapter, le mesurer et l'établir, selon un ordre parfait pour l'honneur de Dieu. Ensuite nous revêtirons et couvrirons cette décision d'actes spirituels intérieurs que nous joindrons ensemble par l'intention droite. De plus nous y introduirons, comme un ornement et une broderie, tous les exercices intérieurs et toute la dignité cachée que Beseleel, c'est-à-dire la volonté docile, et Oliab, c'est-à-dire l'intelligence claire, peuvent imaginer. Nous veillerons encore à discerner nos vertus, comme des couleurs que l'on dispose chacune en leur lieu propre, selon que l'esprit en sera mieux orne. Et ainsi sommes-nous Oliab de la tribu de Dan, par qui nous entendons jugement et sentence, car nous possédons alors le tabernacle de notre vie en rectitude parfaite de jugement et de sentence.

   Il nous faut encore ressembler à Beseleel, fils d'Un, par qui nous comprenons une volonté docile, née à chaque instant de l'amour de la justice. Et c'est bien ce que signifie son nom; car Beseleel veut dire : ombre de Dieu, ou ombrage divin. L'ombre est une image et une ressemblance de tout objet qui la cause, pourvu que cet objet soit un intermédiaire exact entre l'ombre qu'il produit, et une claire lumière; pourvu aussi que ce qui est opposé à. la lumière soit opaque et immobile, et non transparent; car clans l'air, dans le feu, ou dans une eau agitée l'ombre ne peut ni se fixer ni se laisser bien saisir. Ainsi toute ombre est-elle causée par trois choses : la lumière, le corps intermédiaire et l'objet opposé à la lumière.

   Maintenant vous devez savoir que la lumière qui produit l'ombre de Dieu, c'est le Christ dans sa divinité; l'intermédiaire selon lequel cette ombre est formée, c'est sa très digne humanité, par la plénitude de ses grâces et de ses mérites; l'objet opposé à la lumière, et qui devient l'ombre même, c'est notre propre volonté, pourvu qu'elle ne se laisse pas pénétrer, comme l'air, par l'orgueil; qu'elle ne brûle pas comme le feu, pari amour désordonné; qu'elle ne soit pas fluide et agitée comme l'eau, paries plaisirs de la chair. Mais si notre propre volonté est tournée d'une façon ferme et inébranlable vers la lumière, avec une parfaite docilité, alors elle devient Beseleel, l'ombre de Dieu. Car, au moment même où la volonté se retourne ainsi, Dieu envoie sa lumière éternelle dans le secret de l'esprit; et l'esprit est uni à cette lumière dans le secret de Dieu; et de cette unité naît la plénitude des grâces dans l'unité des puissances supérieures; et de la plénitude des grâces naît une volonté docile qui est Beseleel, l'ombre de Dieu.

   Et tout ceci doit se faire par l'intermédiaire des mérites très dignes de Notre-Seigneur Jésus-Christ; et alors nous sommes Ur par notre union avec Dieu, et Un par la plénitude des grâces, et Beselcel, l'ombre de Dieu, par la docilité et la soumission de notre volonté.

   Vous savez que l'ombre se meut toujours avec l'objet qui la produit, et elle le suit partout où il va; si donc nous sommes l'ombre de Dieu par la docilité de notre volonté, nous devons suivre l'esprit de Dieu et tous les mouvements qu'il produit au dedans de nous, et nous devons imiter l'humanité du Seigneur et observer sa doctrine qui nous vient du dehors, aussi bien quant aux conseils que quant aux commandements. Et alors nous possédons la première propriété qui est signifiée par le nom de Beseleel.

   La seconde propriété, par laquelle Beseleel est ombrage divin, apparaît quand la volonté docile se livre pleinement à la libre volonté de Dieu et goûte, en se livrant ainsi, la liberté et l'unité que Dieu lui-même possède. Elle obtient cela en se renonçant et en se livrant librement elle-même. Là elle devient un ombrage pour Dieu et Dieu pour elle, car Dieu repose et habite en elle, et elle en Dieu, de sorte qu'il y a embrassement mutuel dans une fruition éternelle. Ceci se passe dans l'unité de Dieu, où toute activité et toute naissance, aussi bien dans la nature que dans la grâce, trouvent toujours leur principe et leur terme.

   C'est pourquoi Beseleel est de la tribu de Juda, qui veut dire celui qui confesse ou glorifie; car la volonté docile doit toujours confesser Dieu et le glorifier en toutes ses œuvres, étant née de Dieu et avec toute son activité tendant toujours vers Dieu. Ainsi le libre vouloir est-il un maître ouvrier, choisi par Dieu pour construire son tabernacle.

   Quiconque était exercé en cet art recevait de Dieu la sagesse qui le rendait apte à travailler au tabernacle. De la même façon toute puissance en l'homme, qui est soumise à la très noble obéissance, est enseignée de Dieu et a reçu de lui sagesse pour faire des œuvres éternelles au tabernacle divin. Voyez, vous connaissez maintenant les noms et ce que signifient les noms de ceux qui construisent le tabernacle du Seigneur, aussi bien dans la figure que dans la réalité.


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   Maintenant nous parlerons d'Ithamar, fils du grand prêtre Aaron, qui recueillait les offrandes de tout le people d'Israël et les distribuait ensuite aux ouvriers: et avec ces offrandes volontaires il construisait le tabernacle du Seigneur.

   Aaron veut dire montagne de la puissance. Par là nous entendons la partie supérieure de l'esprit où Dieu règne, comme dit le prophète Isaïe : « Venez, rendons-nous à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob (4) », c'est-à-dire de celui qui est vainqueur, car celui qui arrive dans cette maison, sur la montagne de la puissance, l'emporte sur toutes choses. Et le prophète ajoute : « Et cette maison nous enseignera ses voies, c'est-à-dire les commandements, et nous marcherons, en ses sentiers, c'est-à-dire suivant ses conseils célestes. Car c'est de, cette montagne de Sion, miroir de toute vérité et où l'on contemple toute justice, que sortiront la loi et la parole du Seigneur, de Jérusalem, qui est montagne et vision de la paix. » Tel est Aaron, la montagne invincible de la puissance.

   De lui est né Ithamar, par qui nous entendons la liberté surnaturelle. Son nom signifie: palmier de l'île: et le mot latin palma désigne aussi bien l'arbre que son fruit, ou bien encore la victoire, ou la paume de la main. La cime de notre esprit, uni à l'Esprit de Dieu, est comme une montagne ou une île baignée par l'océan de la divinité, et où se réunissent les fleuves de l'humanité de Notre-Seigneur avec tous ceux qui sont à lui. Là, en cette île, naît Ithamar, la liberté, le palmier vert qui conserve toujours sa verdure, grâce à sa naissance sur les cimes, où les foudres du ciel et les tempêtes de la superbe ne peuvent lui nuire, où la froideur de la terre et des eaux, l'aigreur, l'infidélité, la haine et l'envie, et l'inconstance des créatures ne peuvent entamer la verdure de la liberté surnaturelle. En cela cette liberté ressemble au palmier, et elle porte un fruit hâtif, comme le fait le palmier qui croît en Syrie ou en Égypte. Sync signifie autel ou élévation; Égypte, ténèbres ou tristesses Quand nous nous livrons nous-mêmes à Dieu avec une généreuse liberté et que nous nous offrons sur l'autel du bon plaisir de Dieu, de toutes les cimes la plus haute, alors notre liberté croit-en Syrie et elle porte un fruit hâtif qui plaît beaucoup à Dieu, tel qu'un fruit de palme ou un raisin qui nous enivre et nous fait goûter Dieu au-dessus de toutes choses.

   Mais quand nous nous renonçons nous-mêmes et que nous nous abandonnons librement à Dieu, en toutes choses qui nous contrarient et qui nous sont pénibles soit à l'esprit, soit à la nature sensible, alors le palmier de la liberté croît en Égypte et porte son fruit hâtivement mûri devant Dieu; et ce sont ces fruits qui donnent l'égalité d'âme et le calme, et nous rendent semblables à Dieu, et nous font goûter par-dessus tout le fond des vertus. Voilà comment nous sommes Ithamar, c'est-à-dire liberté, semblables au palmier et à son fruit.

   Grâce à cette liberté nous remportons la victoire sur nos péchés et sur tous nos ennemis, et nous goûtons en elle le fruit de toutes nos vertus, sans aucune crainte. Et notre liberté recueille en elle-même d'en bas toutes nos vertus, tandis qu'elle reçoit tous les dons que Dieu nous envoie d'en haut; et elle-même elle est un fruit unique, où tout notre bien mesuré est rassemblé: alors que dans son fond, où elle est enracinée dans la libre unité de Dieu, elle est sans mesure. Et, grâce à la richesse et à l'énergie de notre liberté, toutes nos puissances sont capables d'accomplir des œuvres de vertu, parce qu'elle les rend libres, car sans liberté il n'y a pas d'œuvre méritoire.

   C'est pourquoi notre liberté est comme Ithamar, le fils d'Aaron, car elle rassemble en elle-même tous les trésors spirituels avec lesquels on doit construire le tabernacle de Dieu.

   La liberté ressemble encore à la paume de la main, c'est-à-dire à une main ouverte qui donne toujours et ne retient jamais. Car elle naît de la riche liberté de Dieu; et c'est pourquoi Dieu l'a établie trésorière, afin qu'elle fournisse à chaque puissance qui travaille au tabernacle ce dont elle a besoin pour accomplir toute vertu.

   Aussi devons-nous imiter le Christ et nous élever en liberté, et nous abandonner complètement en la libre unité de Dieu. Par là nous mourons à chaque instant à nous-mêmes et nous possédons une éternelle vie de liberté en Dieu. Et c'est ce qu'a fait le Christ dans son humanité, depuis le premier instant où son âme fut créée, et c'est ce qu'il fera durant toute l'éternité; car là se trouvent sa félicité et celle de toutes les créatures unies à Dieu.

   De même nous devons nous abaisser librement et nous renoncer nous-mêmes dans toutes les contrariétés qui nous arrivent, et ainsi nous portons notre croix et mourons à la nature, et nous suivons de nouveau le Christ, qui, pour notre amour, s'est abaissé vers toute misère jusqu'à la mort de la croix. Et c'est par ces deux actes de s'élever et de s'abaisser librement qu'il nous a acquis liberté en Dieu, et c'est de cette même manière que nous pouvons les acquérir et les posséder, et pas autrement.

   Voyez, ainsi nous sommes Ur par l'unité avec Dieu, Un nés de Dieu par la plénitude des grâces, Beseleel et Oliab par une volonté docile et une claire intelligence, nées toutes deux de la plénitude des grâces divines; enfin nous sommes Ithamar fils d'Aaron par notre liberté d'âme; et c'est en liberté que nous devons offrir à. Dieu toutes nos œuvres vertueuses ici-bas et que nous recevons toutes les grâces que Dieu nous envoie d'en haut. Et moyennant une obéissance docile et une prudence éclairée, nous construisons en nous-mêmes un tabernacle éternel, à. l'aide des offrandes spontanées de nos vertus et des riches dons de Dieu; et c'est ce que le Christ nous ordonne de faire en tous les genres de parures des vertus, selon le modèle du tabernacle extérieur, que Moïse, de la part de Dieu, avait ordonné de construire en ouvrages variés, ainsi que nous allons l'expliquer.


(1) Ex., XXVII, I-8.
(2) Ex., XXVI.
(3) Ex., XXXI, I-II.
(4) Is., II, 3.


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