RUYSBROECK - TOME 6 : LE LIVRE DES DOUZE BÉGUINES

CHAPITRE LX

DU CONSEIL ET VŒU DE CHASTETÉ ; ET COMMENT DOIVENT
LE GARDER LES HOMMES, PRINCIPALEMENT LES JEUNES
GENS, MAIS AUSSI TOUS LES AUTRES.


   Le second point de la règle susdite consiste dans la pureté de l'âme et du corps. Quiconque est lié à la loi du mariage, ou appartient à quelque état de religion, doit garder le lien qu'il a contracté ou les vœux qu'il a émis, et demeurer fidèle : c'est justice et commandé par Dieu. Jésus le Fils de Dieu et de Marie, la toute pure Vierge, Dieu et homme, les deux par nature, était au-dessus de toute loi et de tout état de religion ; il était pur et innocent au dehors comme au-dedans, et il ne pouvait commettre de péché, ni véniel ni mortel. Car il était libre et affranchi de liens quelconques, étant né par l'opération du Saint-Esprit. Cependant il mortifiait son âme et son corps, et tout ce qu'il avait reçu de sa mère dans notre nature. Il marchait selon son esprit, et il méprisait sa vie sensible et les inclinations d'une nature, exempte cependant de péché. Et c'est pourquoi il disait : « Celui qui fait la volonté de mon Père, il est ma mère, ma sœur et mon frère (1) » Et dans une autre circonstance : « Les renards ont leur tanière ; les oiseaux ont leur nid ; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête (2). » Il supportait la faim et la soif, la chaleur et le froid, et il endurait toutes choses avec la douceur et l'humilité d'un agneau, pour nos péchés et la gloire de son Père.

  Ceux qui, dès leur jeune âge, promettent à Dieu de garder la pureté, soit dans un ordre de religion, soit en dehors, doivent faire compagnie des hommes purs. Ils doivent jeûner, pratiquer veilles et prières, et se contenter de ce qui leur est nécessaire ; lire volontiers et écouter la parole de Dieu ; aimer la solitude, et ne chercher ni désirer en Dieu ni en aucune créature jouissance et plaisir ; mais porter imprimé dans leur cœur Jésus torturé, crucifié par amour, mort pour tous les pécheurs, pour ceux qui le servent, l'aiment et désirent sa grâce. Ceux qui demeurent ainsi, seront vainqueurs de la chair et du sang, de l'ennemi et du monde, et de toutes les tentations de l'âme et du corps. C'est ce que nous a enseigné le Christ lui-même car lorsqu'il voulut former et établir sa loi, il vint vers saint Jean Baptiste et se fit baptiser ; son Esprit le mena au désert loin de tous les hommes, et là il pratiqua jeûnes, veilles et prières. Il voulut aussi subir de l'ennemi des tentations d'avidité, d'orgueil spirituel et d'avarice ; mais il chassa l'ennemi par sa propre force, se servant des paroles de Dieu et de la sainte Écriture, pour la gloire de son Père. Et les anges vinrent le servir, parce que lui-même servait Dieu seul et tous les hommes, pour la gloire de Dieu.

   Puis marchant sur les bords de la mer de Galilée, il choisit ses disciples parmi tout le peuple d'Israël. Ceux-ci entendirent sa voix, abandonnèrent toutes choses et allèrent à sa suite dans la pauvreté et la pureté. Mais leur esprit n'était pas soumis au sien et leur charité imparfaite demeurait opposée et contraire à sa volonté. Car il voulait souffrir, pâtir et mourir pour les péchés du monde et ainsi monter au ciel ; tandis qu'ils voulaient vivre sans mourir, s'attacher à lui par désir et affection de cœur, et demeurer avec lui ici-bas, si possible, jusqu'au dernier jour.

   Il était descendu du ciel, prenant la forme d'un esclave, et s'abaissait lui-même en obéissance jusqu'à la mort sur la croix, pour la gloire de son Père et notre salut. Et il disait à ses disciples que le Fils de l'homme serait livré aux princes des prêtres et aux scribes ; qu'on le condamnerait à la mort et qu'on le livrerait aux païens ; qu'on se moquerait de lui, qu'on le flagellerait, couvrirait de crachats, qu'on le crucifierait et le mettrait à mort, et que le troisième jour il ressusciterait. Mais les apôtres n'en voulaient rien entendre ou comprendre, et saint Pierre disait « Seigneur, que cela soit loin de vous (3). » Mais Jésus lui répondit : « Retirez-vous de moi, Satan, vous m'êtes un scandale ; vous ne comprenez pas les choses de Dieu (4). » Et c'est ce qu'il est facile de constater : la nuit même, alors que Notre-Seigneur Jésus-Christ fut saisi, tous prirent la fuite ; et Pierre, le plus courageux de tous, qui voulait aller avec lui en prison et à la mort, fut si effrayé de la voix d'une femme, qu'il renia son Seigneur et jura qu'il ne le connaissait pas. Quelque grand que fût son péché, il n'était pas irrémissible, car c'était un péché de faiblesse et non de malice. Les autres apôtres firent de même. Car l'anxiété et la crainte de la mort glaçaient, troublaient et remplissaient leur cœur de si terribles images, qu'ils oubliaient l'amour qu'ils avaient pour Jésus. Mais Jésus ne les oubliait pas : au milieu de ses affreuses souffrances il se retourna et regarda Pierre avec grande miséricorde ; et Pierre lui rendit son regard en grande amertume de cœur. Et de ce regard mutuel grandit entre eux l'amour plus qu'il n'était auparavant. Car la grâce et l'amoureuse contrition intérieure, la grande confiance, la honte et la douleur remplissaient son cœur et tout son intérieur ; et son âme se fondait comme la neige devant le soleil et comme la cire devant un feu ardent. Et de son âme coulaient des larmes amères et douces, amères à cause de ses péchés, douces et pleines de joie pour la confiance qu'il avait dans le Christ ; et ainsi était-il rempli tout à la fois de tristesse et de joie. Comment cela se peut faire, nul ne le sait s'il ne l'a ressenti. Les autres apôtres se conduisaient de même, novices qu'ils étaient dans la règle du Christ, avant d'avoir reçu le Saint-Esprit ; remplis de la crainte des juifs mais aussi d'espérance et de confiance en la grâce divine. Alors ils n'étaient pas encore parfaits en leur esprit par l'effet de cette sublime charité qui expulse toute crainte temporelle et étrangère : aussi demeuraient-ils ensemble derrière les portes fermées, par crainte de la mort.

   Toutes les choses ont leur temps. Dieu a fait le ciel et la terre et toutes les créatures au moment convenable, selon qu'il l'avait prévu de toute éternité ; et le Verbe s'est fait homme dans la plénitude des temps. Et lorsque vint son heure, il voulut mourir pour les péchés du monde entier ; et alors il sentit la tristesse et tous ses disciples avec lui ; le ciel, la terre et tous les éléments furent plongés dans la tristesse lorsqu'il mourut ; mais les juifs qui le crucifiaient, se réjouirent. Il en est encore ainsi de par le monde : les pécheurs crucifient le Seigneur par leurs péchés, comme le faisaient les juifs et les païens de leurs mains. Les bons pleurent et prient pour leurs propres péchés, et pour les péchés du monde entier. Ceux qui cherchent auprès de Dieu la grâce et qui la désirent, sont toujours exaucés. Le Christ dit lui-même : « Bienheureux ceux qui pleurent et sont dans la tristesse, car ils seront consolés (5). », et ils obtiennent ce qu'ils désirent. Et ainsi en fut-il pour les apôtres : de la grande tristesse ils eurent consolation et joie immense. Car le troisième jour le Christ envoya les anges, ses ambassadeurs, leur dire qu'il était vraiment ressuscité et pleinement guéri de ses blessures. Et il vint lui-même, et il se montra à saint Pierre et aux autres apôtres, et il s'entretint avec eux tout intimement ; et il demeura avec eux durant quarante jours, allant et venant, en maintes apparitions, toujours avec nouvelle consolation : allant et venant selon son humanité, demeurant et habitant toujours avec eux selon sa divinité.

   Durant quarante heures ils furent dans l'affliction causée par sa mort ; et pendant quarante jours ils furent pleinement réjouis et consolés par sa résurrection. Néanmoins ils gardaient toujours la crainte et la peur de la mort. Car ils ne s'étaient pas encore parfaitement renoncés dans l'amour. Ils vivaient plus de la chair que de l'esprit. Ils aimaient plus Jésus comme étant né de sa Mère dans le temps, que comme étant né de son Père dès l'éternité. Leur puissance raisonnable n'était pas illuminée de la lumière divine ; et leur puissance aimante n'était pas remplie des dons de la sagesse divine ; et leur esprit n'était pas pénétré de la saveur éternelle du parfait amour de Dieu. Et c'est pourquoi leur vie et leur amour étaient plus du temps que de l'éternité : car ils désiraient que le Christ demeurât avec eux et ne remontât pas vers son Père. Aussi leur disait-il sous forme de reproche

   « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez parce que je vais vers mon Père, car le Père est plus grand que moi (6). » Il disait encore : « Il est nécessaire pour vous que je m'en aille vers lui. Si je ne m'en vais pas du milieu de vous, le Consolateur, le Saint-Esprit ne viendra pas vers vous. Si je m'en vais loin de vous, alors je vous enverrai l'Esprit de vérité, et il vous enseignera toute vérité (7). »

   Lorsque furent accomplis les quarante jours, après lesquels Jésus voulait monter au ciel, il se manifesta à ses disciples pendant qu'ils étaient ensemble assis à table, et il leur reprocha la lenteur de leur foi et la dureté de leur cœur à entendre la vérité ; ensuite il les conduisit hors de Jérusalem, sur le mont des Oliviers, et il leur ordonna d'aller dans le monde entier prêcher l'Évangile à toutes les créatures : « Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné (8). » Et il leva ses mains bénies, et alors une nuée brillante apparut. Par sa propre puissance il s'éleva sur la nue ; et sous les yeux de Marie, de ses disciples, et de tous ceux qui étaient présents, il monta au ciel, entouré d'une grande multitude d'anges et d'âmes qui l'avaient servi depuis le commencement du monde. Et il est assis à la droite de la majesté divine ; et ainsi il viendra au dernier jour juger les vivants et les morts, les méchants et les bons. Les anges en rendirent témoignage aux apôtres et à tous ceux qui étaient là. Les apôtres s'en retournèrent alors dans la ville ainsi que le Christ le leur avait ordonné. Ils jeûnèrent, veillèrent et prièrent jour et nuit avec grande ferveur ; et ils attendaient le Saint-Esprit que devaient leur envoyer le Christ Jésus et son Père céleste.

   Dix jours plus tard le temps était accompli où le Christ voulait que ses disciples fissent profession dans son ordre et selon sa règle ; car jusqu'alors ils étaient encore novices et imparfaits dans la charité ; ils craignaient la mort, et ils se tenaient renfermés dans leurs maisons, par peur des juifs. À la troisième heure du jour on entendit un vent violent qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Et des langues de feu descendirent et reposèrent sur la tête de chacun. Intérieurement ils furent remplis du Saint-Esprit et ils furent élevés au-dessus de la raison jusqu'à la pureté de leur esprit : là ils furent enseignés de Dieu et reçurent sous la forme de langues de feu, un vif amour en leur cœur pour louer et aimer Dieu, et enseigner à tous les hommes la vérité en toute charité. Le Christ ne leur donna pas d'autre signe extérieur de vêtements, que celui qu'il avait porté toute sa vie, à savoir : une vie innocente et humble, des mœurs honnêtes, douces et clémentes, le mépris du monde, l'amour du labeur et de la peine, la fidélité envers tous les hommes ; la disposition à servir, à mourir, à enseigner par leur vie, et à être dévoué à tous, par obéissance à son Père céleste et à nous tous jusqu'à la mort.

   Tel était l'habit extérieur dont il revêtit ses disciples. Mais pour ceux qui maintenant en religion portent un habit religieux et vivent en opposition avec ces points, ce leur sera une confusion et une honte, aussi bien ici-bas que dans l'éternité. Le Christ donna à ses disciples l'habit intérieur, dont il était revêtu et orné au-dessus de toutes les créatures, et que son humanité avait reçu de son Père céleste. C'était la libre souveraineté et la puissance sur toutes les créatures au ciel et sur la terre, pour baptiser, enseigner, pardonner les péchés en son nom, convertir les hommes dignes de l'enfer et ouvrir le ciel moyennant la foi chrétienne. Il leur donna aussi son esprit et sa vie intérieure, la pauvreté en esprit, capable de leur faire mépriser d'un cœur joyeux richesses, honneurs et avantages du monde avec tout ce qu'il peut procurer. Il les délivra de l'anxiété et de la crainte, de l'inquiétude et du souci à l'égard des démons et des hommes, et de toutes les créatures qui les pouvaient opprimer, contrister, mettre à mort, ou jeter dans l'épouvante. Et il leur donna une humeur constante et égale, soumise à la très chère volonté de Dieu, afin qu'ils pussent porter tout ce qu'il voudrait leur imposer dans le temps et dans l'éternité.

   Tel est le premier habit que Jésus-Christ donne à ses disciples, qui méprisent le monde et qui suivent son conseil et sa vie dans une vie spirituelle. Le Christ donne un autre habit à ses disciples qui renoncent à eux-mêmes, dominent leur nature sensible et suivent son invitation et son conseil dans une vie spirituelle intérieure. Et cet habit est tissé de trois couleurs réunies. Il s'appelle pureté d'âme, de corps et d'esprit : pureté dans le corps, limpidité dans le cœur, netteté dans l'esprit.

Voulez-vous au-dessus des préceptes de Dieu vivre selon ses conseils,
alors vous devez mépriser en vous chair et sang.
Voulez-vous être trouvé pur,
alors vous devez fuir et éviter occasion de péché.
Voulez-vous suivre le Christ en innocence,
alors vous devez avec sa grâce gagner le roc de la pureté.
Voulez-vous avec la grâce de Dieu vaincre chair et sang,
vous devez combattre par l'esprit les plaisirs et désirs des sens.
Il vous faut aimer et haïr avec Dieu,
si vous voulez garder la charité ;
et fixer entre l'esprit et la chair la division ;
ainsi la pureté peut-elle en vous grandir.

   Et ne préférez personne d'une façon particulière par complaisance propre, mais aimez tous les hommes d'un commun amour, pour la louange et la gloire de Dieu. Et ne jugez ni ne méprisez personne ; haïssez le péché et aimez les pécheurs, car vous ne savez pas qui sont élus et qui sont rejetés de Dieu. Et ne cherchez à complaire à personne pour quelque chose qui passe. N'attirez personne à vous et ne vous laissez attirer par personne par affection désordonnée, que ce soit pour son genre de vie ou apparence de sainteté, autrement vous perdez votre pureté. Aimez ceux qui sont purs d'âme et de corps, qui désirent et poursuivent l'honneur de Dieu en vous et en tous les hommes. Mais détestez et fuyez les manières affectueuses, quelque saintes qu'elles paraissent. Écoutez volontiers parler de Dieu et parlez en vous-même en paroles brèves, et qui vous soient utiles à vous et aux autres. Aimez toujours à vous taire plutôt que de parler beaucoup sans utilité, ni nécessité. Gardez vos yeux et vos oreilles de la curiosité, de peur d'être entraîné par désir et plaisir vers les choses illicites. Soyez sobre et mesuré en nourriture et breuvage, selon que votre nature peut le porter. Car la gourmandise et la recherche dans les vêtements sont pour beaucoup une occasion et une cause de maint autre péché. Soyez pur de bouche et gardez votre langue de paroles vaines, inutiles et sans fruit. Plaisanteries et railleries sont perte de temps et grand dommage pour les gens de bien. Mais mentir, détracter par envie, dire de faux témoignages, jurer, maudire, blasphémer le nom de Dieu, ce sont là péchés maudits d'enfer.

Voulez-vous être trouvé pur,
gardez-vous avec soin de ces péchés.

   Demeurez volontiers seul, recueillez-vous en vous-même et cherchez la grâce de Dieu, dans une intention pure. Jeûnez, veillez et priez, soyez constant et fidèle, et mettez toute votre consolation en Dieu : ainsi vous obtiendrez et conserverez la pureté du corps par la grâce divine.

   À la pureté du corps doit s'ajouter une disposition intérieure de l'esprit : c'est la pureté du cœur élevé par la grâce divine, en des désirs et des vœux, jusqu'au Christ et son Père céleste. La pureté du cœur ressemble à une lampe remplie d'huile qui brûle et dont la flamme monte vers le ciel. C'est ce que fait le cœur pur qui en bas est fermé au monde et par en haut ouvert pour recevoir la grâce divine. Cette grâce donne au cœur pur la bonne volonté et les bonnes œuvres : et c'est là l'huile de la lampe. Le Christ confère le feu de sa charité à l'huile des bonnes œuvres, afin que la lampe puisse brûler toujours : et ainsi la lampe est nourrie de la grâce, du désir et des bonnes œuvres entre nous et Dieu, et toujours davantage.

   Mais lorsqu'on n'entretient pas par la pratique le désir des bonnes œuvres, celui-ci se refroidit et l'on perd le goût et le plaisir des vertus, et la pureté du cœur diminue de plus en plus. Car la pureté du cœur et celle de la vie sont souillées ou même entièrement perdues de trois manières, sous l'influence de l'ennemi, du monde ou de la paresse de la nature. L'ennemi d'enfer tente l'homme pur en lui suggérant des pensées inutiles, des images impures, des imaginations étranges et maintes idées sottes, par quoi l'homme oublie Dieu et perd son temps. Le monde tente aussi l'homme pur au moyen de joie et de tristesse, de soucis et de sollicitudes pour les parents et les amis, de mainte occupation de choses terrestres, qui alourdissent le cœur, le remplissent d'images et le souillent de maintes façons. La lourdeur de la nature réclame la satisfaction du manger et du boire, le sommeil, les aises et commodités, la consolation des créatures et tout ce que l'on croit avoir raison de faire sans péché.

   Voyez, ce sont là les choses qui souillent la pureté du cœur ou la font perdre et l'enlèvent complètement. Aussi devons-nous lutter contre tous nos ennemis pour, avoir le triomphe de la victoire. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'esprit est esprit : ces deux sont mutuellement opposés. Si donc nous vivons selon la chair, nous mourons dans le péché ; mais si nous sommes nés de Dieu selon l'esprit, par la grâce, ayant confiance et foi en Dieu, nous pouvons soumettre la nature à la raison, à la loi et à la volonté divine : mais la nature restera toujours la nature, tant que nous vivons dans le temps. C'est pourquoi nous devons prendre les armes de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lesquelles il nous a délivrés de tous nos ennemis et de la mort éternelle. En cela nous devons justement nous réjouir, et nous devons porter son nom et sa vie dans la mémoire et dans le cœur, avec désir et amour ; nous souvenant de sa naissance éternelle du sein du Père, de sa naissance tempo-relle de Marie sa mère ; de sa vie bénie d'Homme-Dieu ; de sa doctrine sainte, de son humble service jusqu'à la mort, de sa passion, de son sang versé, de sa mort, de sa résurrection glorieuse, de son ascension merveilleuse au-dessus de tous les cieux : là nous devons le suivre et fléchir intérieurement nos genoux avec un respect infini devant lui et devant son Père céleste. De cette manière nous triomphons des imaginations étrangères, des pensées inutiles et des images impures.

   Si nous portons dans le cœur l'image du Christ, Dieu et homme, crucifié, martyrisé, vivant et mourant par amour à cause de nous, il vit en nous et nous en lui et ainsi nous triomphons de la chair et du sang, du monde, de l'ennemi et de toutes ses tentations. Au-dessus de cette pratique et au-dessus des images sensibles du Christ, nous devons être élevés par la pureté de l'esprit, jusqu'à une vie spirituelle intérieure, et jusqu'aux images intellectuelles, pour connaître la sagesse, la vérité et toutes les vertus, qui ornent et éclairent l'esprit en face de la présence divine. Au-dessus de tout cela nous devons avoir un regard pur sans images, dans la lumière divine, sur la vérité éternelle qui est le Christ : là est pureté de cœur et pureté d'esprit pleinement achevées. Là nous verrons Dieu et le Christ nous revêtira de l'habit de pureté qu'il est lui-même.

   La vie pure fait ressembler aux anges c'est le con-seil de Dieu et le deuxième précepte pour tous les états religieux. Celui qui y croit et l'observe bien dans un ordre ou en dehors, il se revêt du Christ. La vie du Christ est son habit intérieur : s'il demeure pur au dehors et au-dedans jusqu'à la mort, il est heureux éternellement et sans fin.


CHAPITRE LXI

DU CONSEIL ET DU VŒU D'OBÉISSANCE VOLONTAIRE.

   Vient ensuite le dernier ornement, perfection de toutes les vertus, que le Christ a apporté du ciel et dont il était revêtu dans le temps lorsqu'il vivait, mourait, ressuscitait et montait au ciel ; dont il a revêtu tous ses anges et tous ses saints, et la sainte Église, et en particulier ceux qui le suivent et vivent selon ses conseils. Cet habit est l'humble obéissance et l'abandon volontaire à la très chère volonté de Dieu. Ce manteau orne et recouvre toutes les vertus et les rend agréables à Dieu. Celui qui est revêtu de ce manteau voit le ciel s'ouvrir pour lui et il reçoit connaissance de la gloire de Dieu. Quiconque, dans la sainte Église, est privé de cet habit nuptial, est nu et dépouillé ; s'il meurt ainsi, les mains et les pieds lui sont liés pour la mort éternelle. Et c'est pourquoi la vie sainte authentique, sans défaillance, consiste-t-elle dans l'obéissance à Dieu, à la sainte Église, aux prélats et à tous les hommes en vraie discrétion. C'est là un habit que tous doivent avoir également pour être sauvés.

   Il y a beaucoup d'hommes dans les ordres ou divers états religieux qui ont promis de vivre selon les conseils de Dieu, et qui n'observent ni les conseils ni les préceptes. Ils ont voué la pauvreté et le dépouillement de toute propriété ; la pureté et l'obéissance à Dieu, et à leurs supérieurs jusqu'à la mort. C'était là l'habit intérieur, dont le Christ était revêtu. Il l'a transmis à ses disciples et à ceux qui voudraient les suivre et vivre des revenus acquis par sa mort bénie. Ces revenus on les prend volontiers ; mais l'habit intérieur est absolument méprisé et foulé aux pieds. Quant à l'habit extérieur il ressemble aussi à ceux du monde, autant que possible, par la couleur et la variété en toute manière propre à charmer les yeux du monde. L'habit intérieur de la vertu a presque complètement disparu : le démon a vaincu le monde, qui lui est soumis. Il a pris les armes contre le clergé et contre tous ceux qui criminellement vivent de biens ecclésiastiques. Il a revêtu sa famille, ceux qui le servent, de son habit infernal, c'est-à-dire de dureté, d'impureté et de désobéissance. C'est par là que se perd tout état de religion. Bien qu'ils aient des yeux, ils ne voient pas, des oreilles, ils n'entendent pas, des pieds, ils ne marchent pas, des mains, ils ne travaillent pas. Toute vie fidèle leur est en dégoût. Car ils sont entièrement tournés au dehors vers les choses terrestres, et peu ou point du tout vers la vie intérieure.

   Au début de la religion ceux qui la professaient étaient pleins de charité, recueillis et dévots, unanimes, humbles, d'un seul vouloir dans le service du Seigneur, cherchant et aimant Dieu sincèrement, fidèles entre eux, miséricordieux et pleins de pitié, sages et prudents, et bien établis dans les vertus et dans toutes les bonnes œuvres. Maintenant la charité envers Dieu et envers le prochain s'est bien refroidie. Alors tous les biens étaient en commun, et de ce bien commun on donnait à chacun selon ses besoins et tous avaient le suffisant. Maintenant chacun possède les propres revenus qu'il a pu acquérir ; dans les monastères et les communautés il y a des riches et des pauvres comme dans le monde. Les riches mangent et boivent ce qu'ils aiment ; ils sont bien habillés ; ils accumulent les richesses et donnent peu ou rien. Si même ceux qui sont auprès d'eux ont faim et soif et sont dans une grande misère, ils n'y font point attention.

   Certains prélats dépouillent leur communauté du bien commun pour l'avantage de leur prélature, comme si ce bien leur appartenait en propre et qu'ils l'aient reçu en héritage de leurs ancêtres. Ce ne sont pas de vrais pasteurs, mais des loups dévorants qui n'épargnent personne et qui usent du bien divin commun pour le mal. Tous ceux qui servent la chair et le monde et qui méprisent le service de Dieu, en quelque état ou ordre qu'ils soient et quelque habit qu'ils portent, sont incapables de plaire à Dieu. Dignité, religion, sacerdoce ou rang, tout cela n'est en soi ni saint ni bienheureux, car les mauvais et les bons le reçoivent également : mais ceux qui l'ont reçu et n'y conforment pas leur vie, seront condamnés davantage. Ceux qui veulent plaire aux hommes par leur habit, qui recherchent la gloire et l'honneur du monde, sont préparés pour l'enfer, ou, s'ils se repentent, pour un sérieux purgatoire.


CHAPITRE LXII

DE TROIS PÉCHÉS QUI RÈGNENT PARTOUT DANS LE MONDE.

   Trois péchés règnent partout dans le monde, aussi bien dans le clergé, que dans tous les états de religion, chez ceux qui vivent du bien de la sainte Église, depuis les supérieurs jusqu'aux plus humbles, quelques-uns seulement exceptés. Ce sont :
Paresse, gourmandise et vie impure :
Ce par quoi la vraie sainteté disparaît.

   La paresse c'est l'ennui et le dégoût pour Dieu et son service ; l'inattention pour sa doctrine, sa grâce et sa gloire ; l'absence de crainte de la justice et de confiance dans la miséricorde de Dieu ; ne pas être mort aux péchés et ne plus s'appliquer à la passion du Seigneur ; lire, chanter, prier, dire ou entendre la messe sans recueillement, sans dévotion ni attention intérieure, sans goût ni consolation de Dieu et sans le sentiment intime de sa grâce ; c'est avoir le cœur inconstant, rempli d'images des choses terrestres, inattentif, loin du labeur des bonnes œuvres extérieures ; l'on recherche et l'on désire l'aise et le bien-être pour le corps en toutes choses ; l'on veut des habits moelleux, un bon lit et un long sommeil. Les gens de cette espèce ne peuvent pas avoir de goût pour la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

   De ce vice détestable de la paresse naît un autre péché qui est la gourmandise. C'est elle qui a fait sortir du paradis Adam, notre premier père, lorsqu'il désobéit au commandement de Dieu en mangeant la pomme ; et il fut jeté dehors dans cet exil et nous tous avec lui. On ne reconnaît pas ce péché comme tel et on le juge sans importance, et pourtant c'est le plus répandu parmi tous les hommes. Il règne sur le monde entier : dans les cloîtres et les ermitages, dans les ordres et dans tous les états de religion. C'est le cas de tous ceux qui sont esclaves de leur gosier, désordonnés dans leurs désirs pour la nourriture et la boisson ; et ils méprisent la mesure et la sobriété que le Christ lui-même montrait dans sa vie et son enseignement. Car après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il permit à la faim de se faire sentir dans sa nature humaine. Et bien qu'il fût tenté de la faim et par l'ennemi, il ne voulut point manger. Et lorsque fatigué de la chaleur, il s'était assis à Sichar, au puits de Jacob, ayant grand soif, il s'abstint néanmoins de boire. Mais lorsqu'il allait mourir et qu'il souffrait vivement de la soif, il fit sa nourriture et son breuvage de vinaigre mêlé de fiel. Voilà comment il nous a servis dans la sobrieté jusqu'à la mort. Et c'est ainsi que vivaient les anciens pères dans le désert ils buvaient de l'eau avec mesure et mangeaient leur pain au poids voulu.

   Le Christ, dans l'Évangile, nous a enseigné à ce propos la parabole du mauvais riche, qui était vêtu de pourpre et de fin lin, et menait une vie de plaisir et de joie, dans l'abondance de tout ce qu'il aimait. Devant sa porte gisait un homme pauvre et malade, qui aurait volontiers mangé des restes de la table. Mais le riche était avare et ladre, gourmand et sans pitié ; et il ne lui donna rien. Le riche meurt, le démon l'enfouit dans l'enfer. À son tour meurt le pauvre, les anges l'emportent dans le sein d'Abraham. Le riche souhaitait de recevoir une goutte d'eau sur sa langue brûlante, mais elle ne pouvait lui être donnée. Maintenant choisissez votre sépulture, avec le riche ou avec le pauvre ; il vous sera donné selon vos œuvres. Tous ceux qui sont esclaves du gosier, se complaisant en la gourmandise, ne peuvent point goûter Dieu ni sa grâce. L'ivresse, le désordre et la mauvaise conduite sont leur partage ; injurier, blasphémer, jurer, combattre, lutter, vivre en luxure : telles sont les œuvres de la chair ; et ceux qui s'y adonnent ne peuvent posséder le royaume de Dieu. On trouve de ces gens aussi bien dans les ordres et parmi les personnes ecclésiastiques que dans le monde.

   L'on rencontre encore dans les ordres et dans tous les états de religion, où il y a réunion d'hommes, un péché diabolique ; et c'est la division des cœurs, des âmes et des biens terrestres. Il y a là, vis-à-vis du bien commun, des pauvres et des riches, des maîtres et des serviteurs. Les maîtres, c'est-à-dire les prélats, restent longtemps couchés ; ils en prennent à leur aise ; ils se tiennent dans leurs chambres avec leur suite ; ils ont de nombreux services et le meilleur vin qu'on peut trouver. Ceux qui remplissent l'office du chœur et vont au réfectoire, n'ont que des herbes et du pain, avec un œuf ou deux ; il paraît aux maîtres que cela suffit. Que l'on murmure de cette inégalité, les prélats n'en ont cure. Ceux qui possèdent beaucoup en propre ou du bien commun, peuvent beaucoup dépenser ou bien amasser, mettre de côté et se réserver. Les riches dans le monde sont fidèles et miséricordieux envers les malades et les pauvres. Mais les riches dans les cloîtres, qui régulièrement ne possèdent rien en propre, laissent leurs sœurs et leurs frères à côté d'eux dans la maladie, la faim et la soif, périr de pauvreté. Orgueil, infidélité, avarice, arrogance, colère, aversion, haine et envie : les ordres et les cloîtres en sont pleins. Cela se rencontre non seulement chez ceux qui vivent de biens communs, mais aussi dans les ordres mendiants qui vivent d'aumônes quotidiennes.

   Actuellement on ne connaît plus le Christ ; sa vie, sa doctrine, ses œuvres ne sont point aimées de tous ceux qui sont au service du péché, et qui font leur propre volonté.


CHAPITRE LXIII

D'UN CERTAIN HABIT DU SEIGNEUR JÉSUS, DONT IL A
REVÊTU SES DISCIPLES ET SES FIDÈLES.

   Notre-Seigneur Jésus-Christ a revêtu ses disciples d'un habit, dont lui-même est revêtu dans la vie éternelle, et dont il était revêtu ici-bas dans le temps en figure prophétique de la vie éternelle. Lorsque le temps était accompli où le Christ voulait mourir pour nos péchés, il fut saisi par les juifs et livré à Pilate pour qu'il le mît à mort. Il fut alors flagellé et frappé, jusqu'à ce que tout son corps fût couvert de son sang précieux. Ensuite on lui mit un manteau de couleur pourpre, teint de rouge écarlate et doublé à l'intérieur du rouge feu du vermillon. Et par dérision on l'adorait comme roi des juifs. C'était là une figure prophétique, symbole de la vérité de la vie éternelle.

   En ce temps-là le Christ était jeune et fort, vivant et plein de santé, le plus noble, le plus beau, le meilleur du monde entier ; et il était plénitude de toutes grâces, de tous dons et de toutes vertus. Et il était très aimé de ses parents et de ses amis, des pauvres et des riches, et par-dessus tout de son Père céleste. Il était excellent de nature, comme le poisson dans l'eau ; et son corps était son manteau de fête. Car à ce grand jour de fête, où les juifs immolèrent le noble poisson, le beau manteau de son corps fut de pourpre couleur de sang, et rouge feu tout ensanglanté. De ce manteau il est revêtu et nous avec lui dans sa gloire, si nous portons notre croix et sommes ses disciples dans la foi chrétienne. Ce manteau était à l'extérieur de pourpre couleur de sang et à l'intérieur teint du rouge feu de vermillon. Par là nous entendons l'unité intérieure que l'âme raisonnable du Christ avait avec Dieu en volonté et en amour : c'était là le manteau dont il était revêtu et que portent tous ses disciples qui sont un avec lui en volonté et en amour. L'unité avec Dieu en amour ne réclame de notre esprit rien d'autre qu'un amour affranchi, dépouillé et constant : de sorte que nous ne possédons rien par amour déréglé ni au dehors, ni au dedans, pas plus que nous-mêmes.

   Mais nous devons être libres de nous-mêmes et de toutes choses ; informés par Dieu et transformés en amour essentiel. C'est là ce qu'il y a de plus noble et de plus haut que nous puissions posséder, goûter ou ressentir en cette vie. Ainsi notre esprit est-il uni à Dieu en amour essentiel.


CHAPITRE LXIV

COMMENT ON OBTIENT L'UNITÉ D'AMOUR AVEC DIEU EN
ESPRIT.

   Apprenez maintenant en quoi consiste la vraie réalité de cette vie. Voulez-vous, en votre esprit, découvrir et posséder l'unité avec Dieu en amour, votre âme raisonnable et toutes vos puissances intérieures doivent alors être unies à sa volonté, pour vivre selon sa loi et ses commandements, car le Christ dit à nous tous : « Si vous observez mes commandements, vous resterez et vous demeurerez en mon amour, comme moi j'ai observé les commandements de mon Père, et demeure en son amour (9). » Car une haute vie ne peut pas exister sans une humble obéissance de vertu. C'est pour cela que l'apôtre saint Paul nous dit à tous : « Appréciez en vous-mêmes comme le Christ l'a fait en lui. Car il était le Fils de Dieu et il s'est humilié lui-même, prenant la forme d'un esclave, et il a obéi jusqu'à la mort sur la croix. C'est pourquoi son nom a été exalté au-dessus de tout nom, et en son nom tous les genoux fléchissent, au ciel, sur la terre et dans les enfers (10). » Et le Père céleste dit par le prophète : « Vous êtes mon Fils ; je vous ai engendré aujourd'hui (11). », c'est-à-dire dans l'éternité. Et encore : « Voici mon Fils bien-aimé, en qui je mets toutes mes complaisances et qui me plaît beaucoup : écoutez-le (12). » Et le Père dit encore à son Fils : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je mette tous vos ennemis comme escabeau sous vos pieds. Tous les rois le confesseront, et tous les anges l'adoreront (13). » Mais le Christ lui-même dit par le prophète : « Je suis un ver de terre et non un homme, objet d'opprobre pour les hommes et rejeté de la foule (14).

   Dieu a exalté notre humanité dans le Christ, il l'a ornée et anoblie au-dessus tout ce qu'il a fait au ciel et sur la terre. Et le Christ s'est humilié dans notre humanité au-dessous de toutes les créatures, en se comparant à un ver qui grandit et vit du limon de la terre ; il s'est renoncé lui-même dans sa nature humaine et il a immolé sa propre volonté pour la volonté de son Père. Ainsi est-il une seule volonté avec Dieu ; il a mortifié aussi, renouvelé et brûlé dans l'amour son esprit créé, et ainsi est-il un seul esprit avec l'Esprit de Dieu. Voyez tel est notre noble ver, qui de la terre de la très pure vierge Marie a pris toute sa croissance. Et il a mortifié et consumé dans l'amour sa volonté créée ; et ainsi a-t-il trouvé la liberté en Dieu. Il est mi avec la volonté de Dieu et avec l'amour de Dieu. C'est là le manteau d'une double couleur rouge feu, dont il est revêtu, ainsi que tous ceux qui lui sont unis en amour.


CHAPITRE LXV

DE LA TUNIQUE SANS COUTURE DU SEIGNEUR JÉSUS,
ET DE SA SIGNIFICATION MYSTIQUE.

   Le Christ est encore orné et revêtu d'une tunique entièrement tissée sans couture. Cette tunique n'appartient de nature qu'à lui seul, de par son Père et sa Mère ; et elle n'est à nous que par grâce : si nous sommes ses disciples et si nous lui sommes unis dans la foi chrétienne et dans la charité, en y persévérant jusqu'à la mort, alors nous sommes vêtus comme lui. Car on ne peut ni déchirer ni diviser cette noble tunique ; mais nous sommes tous ses membres vivants et lui est notre tête. Et sa tunique est devenue notre lot avec la sainte chrétienté ; et ainsi sommes-nous tous revêtus d'une même tunique qui est le Christ.

Alors nous pouvons voir et connaître, aimer, goûter et sentir d'un esprit joyeux l'éternelle charité et le commerce glorieux qui est entre Dieu et l'âme très noble de Notre-Seigneur Jésus-Christ : c'est là l'ornement de la tunique dont nous sommes revêtus pour la gloire éternelle de Dieu. C'est de cette joie et de ce bonheur ineffable qu'écrit l'apôtre saint Paul en disant : « Qu'est-ce qui peut nous séparer de la charité de Dieu, qui vit dans le Christ Jésus (15) ? » Par là il entend dire que tout ce qui est créature et inférieur à Dieu ne saurait nous séparer de l'amour qui est pratiqué entre Dieu et Jésus-Christ, notre bien-aimé Seigneur, lequel est notre vie éternelle si nous demeurons fixés avec lui dans l'amour constant.


CHAPITRE LXVI

DES QUATRE FLEUVES QUI ÉMANENT DE LA SOURCE
DU SAINT-ESPRIT.

   La source vivante du Saint-Esprit s'écoule en quatre fleuves, comme je vous ai dit plus haut. Le premier fleuve de grâces et de vertus coule vers l'orient, c'est-à-dire vers le principe de notre vie, et meut notre puissance aimante, conviant notre esprit à suivre le Christ en Dieu et à posséder avec lui l'unité d'amour.

   Et ainsi nous vivons en Dieu et Dieu en nous. Là nous possédons la liberté d'esprit sans attache, immuable, inoccupée, sans entrave, et qui est élevée au-dessus de toutes créatures.

   Le deuxième fleuve de grâces découle d'en haut et descend vers l'occident, qui représente notre vie sensible, et il éclaire notre raison et meut notre désir, et il nous invite à dominer et à vaincre la chair et le sang, à obéir à Dieu et à la sainte Église, et à gouverner et ordonner tous nos sens et nos œuvres extérieures en juste discrétion selon la très chère volonté de Dieu. Et ainsi notre nature demeure-t-elle toujours en paix, sans sollicitude, sans souci, simple et sans complication, dans la vraie tranquillité.

   Le troisième fleuve des grâces divines coule du côté nord de notre vie, et il meut notre cœur et notre âme, et il nous invite et presse à être patients, doux et humbles de cœur, soumis et morts à toutes les créatures, de sorte que nous puissions porter et subir tout ce que Dieu permet que nous souffrions de la part de l'ennemi et des pécheurs. Ainsi sommes-nous les fils de Dieu et possédons-nous notre âme et notre vie intérieure en repos et en patience, et dans une paix tranquille et sans contradiction de la volonté.

   Le quatrième fleuve de la grâce divine s'écoule du Saint-Esprit il est chaud et clair, et coule au midi de notre vie spirituelle, c'est-à-dire dans notre intime, dans notre âme et dans toutes nos puissances, et il nous meut et remplit de grâces et il exige de nous une charité sincère envers Dieu et envers tous les hommes, particulièrement envers nos frères dans la foi chrétienne, baptisés comme nous dans la mort du Seigneur, et qui ont reçu le nom du Christ dans la foi chrétienne : nous leur devons la charité selon tout notre pouvoir, en conformité aveu ce qui est ordonné par Dieu.

   Ceux qui sont nés de Dieu, vivent de Dieu et pour Dieu, ils vivent en Dieu et Dieu en eux. Ils poursuivent, aiment et possèdent Dieu au-dessus d'eux-mêmes et au-dessus de tout ce qu'il a créé. Ils vivent avec Dieu au ciel et le fruit de leurs labeurs est pour l'éternité. Ils haïssent et méprisent la volonté propre qui est née de la chair, ainsi que tout désir et amour désordonné qui les séparerait de Dieu. Ils détestent et fuient tout ce qui pourrait donner à leur cœur des impressions de joie ou de tristesse, et empêcher et gêner leur pur retour intérieur vers la vérité qui est Dieu. Ils recourent à Dieu pour les pécheurs avec de grands désirs, un cœur humble, des prières ferventes, afin qu'il épargne les pécheurs, leur pardonne leurs crimes et garde tout ce qu'il a appelé et élu pour sa gloire éternelle.

   Dieu veut être entièrement nôtre avec tout ce qu'il est, et il invite l'intime de notre âme à lui répondre et à être à lui avec tout nous-mêmes, avec tout ce que nous sommes et ce que nous pouvons, de sorte que nous le servions lui seul, avec toutes les créatures en son nom. De nous-mêmes et avec toutes les créatures nous avons une dette qui consiste à vivre pour Dieu et à être de fidèles et loyaux serviteurs. Ainsi nous servent toutes les créatures, mauvaises et bonnes, pour notre béatitude éternelle. Et c'est pourquoi nous devons nous servir mutuellement en bonnes œuvres et en toutes les vertus : c'est la justice selon Dieu. Les anges glorieux servent Dieu et nous servent : c'est leur béatitude éternelle.

   Le Christ, le Fils de Dieu, nous a été envoyé pour nous servir en vraie humilité. Et de fait il s'est voué à notre service et à celui de son Père céleste jusqu'à la mort en vraie obéissance. Et son nom a été exalté au-dessus de tout nom pour la gloire éternelle. Et il nous a rachetés par sa mort afin que nous vivions pour lui en liberté éternelle. Nous vivons pour lui et il vit pour nous. Nous vivons en lui et il vit en nous. Il nous aime et nous l'aimons de retour : et il est un en nous par amour, et nous sommes un avec lui et avec tous ses bien-aimés dans la grâce et la gloire. Et ainsi sommes-nous réunis en une seule sainte Église, en grâce et en amour, et en une seule sainte chrétienté, au ciel et sur la terre.

   Le Christ nous a choisis et aimés en son Esprit avec tous les saints et tous les hommes. Et il nous a fait monter avec lui-même, comme sa famille bien-aimée, jusque devant son Père céleste : là nous nous tenons, unis à lui et à tous les siens, dans un même esprit d'amour en action de grâces, en louange, en révérence, en amour, en gloire éternelle. C'est là l'exercice du Christ et de ses bien-aimés en la présence divine. Là nous nous sentons un avec Dieu par amour dans le Saint-Esprit. Et cette unité est la source et le principe de tous les dons, de toutes les vertus, de toute sainteté, et de toutes les bonnes œuvres. Elle répand toujours des grâces et en chacun selon sa fonction, selon qu'il en est digne et conformément à la façon dont il sert Dieu. Elle attire dans l'unité d'amour tout ce qu'elle a doté de diversité de grâces et de vertus ; et l'unité en amour demeure toujours intérieurement immobile, comme un abîme sans fond de jouissance et de joie.

   Tel est le chemin le plus proche que je connaisse pour vivre selon la vertu et la vérité.


CHAPITRE LXVII

DES DEUX ROYAUMES EN VENTE DEPUIS LE COMMENCEMENT DU MONDE ;
DES MARCHANDS PRUDENTS ET IMPRUDENTS ; ET AUSSI DE NOS ENNEMIS.


   Deux royaumes sont en vente depuis le commencement du monde : le premier est le royaume des cieux avec toute sa gloire et Dieu qui y réside. Le Christ l'a acheté par sa mort pour tous ceux qui croient en lui et le servent jusqu'à la mort. Il a donné le royaume de la terre et tout ce que la nature y possède communément aux mauvais et aux bons, aux insensés et aux sages ; et ils sont tous des marchands, ceux qui sont nés de Dieu. Ils sont sages les marchands qui méprisent la richesse du monde, les plaisirs désordonnés de la nature et tout ce qu'ils pourraient posséder avec affection dans le temps. Ainsi achètent-ils et choisissent le royaume de Dieu, la grâce et la gloire, la vie éternelle et le Christ pour leur maître.

   Le Christ est la perle précieuse : celui qui le cherche et le trouve, vend tout ce qu'il a et achète cette pierre précieuse, qui ne peut être comparée à rien de ce qui est créé. Dans le champ de la vie spirituelle se trouve, caché pour le monde, le trésor de la richesse ; mais le sage marchand qui a trouvé le trésor, vend avec grande joie tout ce qu'il a et tout ce qu'il peut posséder dans le temps, et il achète le champ de la vie spirituelle où est caché le trésor de la richesse divine, qui lui a été montré dans son esprit. Les marchands insensés sont contraires aux sages en toutes manières car ils sont dans une banque d'escompte, où ils peuvent gagner un grand bien et la vie éternelle, et ils s'y perdent eux-mêmes ; et en tout ce qu'ils semblent avoir, ils se trompent. Car tout ce qu'ils ont amassé demeure ici-bas ; et ils n'ont et ils ne trouveront que châtiment d'enfer et feu éternel.

   Ce sont des banquiers insensés, ceux qui méprisent le Christ et Dieu, la grâce et la gloire et l'éternelle vie bienheureuse, et qui préfèrent, contrairement à la volonté de Dieu et à sa gloire, servir le monde, le péché et le démon et lui plaire comme à leur père et maître. Il les récompensera de ce que lui-même a reçu pour ses péchés, la peine infernale sans consolation ni espoir, complètement oublié de Dieu, méprisé dans la misère éternelle. Ceci est la vérité, comme nous le garantit la justice divine : toutes les vertus doivent être récompensées et tous les péchés punis, ce que nous apprend notre raison naturelle, ainsi que les exemples et les Écritures, depuis le commencement du monde, et le Christ lui-même, sa vie et son Évangile, les apôtres et leur vie, et la foi chrétienne qu'ils ont écrite : c'est que les justes vont à la vie éternelle et les pécheurs au feu de l'enfer.

   Les bons anges et les mauvais se combattaient au ciel, mais les bons qui aimaient et servaient Dieu, gagnèrent la lutte et remportèrent la victoire par la grâce de Dieu ; les mauvais furent vaincus et jetés dehors dans la peine de l'enfer, damnés pour l'éternité. L'Esprit du Seigneur a doté ses disciples qui le servent de sept dons et de toutes les vertus. Et le démon a mis ses disciples en la possession de sept démons et de toutes les espèces de péché. Et ainsi les mauvais combattent contre les bons ici dans le temps ; ceux qui persévèrent dans la vertu gagnent la lutte ; ils suivent le conseil de Dieu et ainsi sont-ils bénis.

   Nous avons encore un ennemi qui nous est tout proche, que nous devons vêtir et nourrir, qui avec notre esprit ne fait qu'une personne dans la nature humaine : c'est notre vie sensible qui s'oppose à notre vie spirituelle. Car sa naissance est d'en bas, de la chair, et la naissance de notre esprit est d'en haut, de Dieu : aussi devons-nous combattre par notre esprit et avec la grâce de Dieu notre propre chair et sa nature. Nous devons la détester, l'opprimer et la mépriser, non pas la tuer, mais la rendre utile pour le service de Dieu. De cette manière nous pouvons vaincre, vivre, croître et grandir en grâces et en vertus, toujours à la gloire de Dieu. Mais vivons-nous selon la chair, selon la satisfaction de la nature et l'inclination du corps, alors nous mourrons dans le péché et dans la damnation éternelle.

   La sagesse du monde et la sagesse infuse de Dieu sont contraires et se combattent mutuellement : grâce et nature, vertus et péchés, bons et mauvais, insensés et sages : ce sont tous des marchands. Ceux qui méprisent le monde et tout ce qui passe, et qui font choix de Dieu, le servent et l'aiment, trouvent tout ce qui est salutaire et durable ; et ce sont des marchands sages. Mais ceux qui méprisent Dieu, son royaume et la béatitude éternelle pour préférer le monde, la richesse et l'honneur et tout ce qui est périssable, sont des marchands insensés. Ils suivent Lucifer leur maître : celui-ci était beau et riche, noble de nature ; mais il était orgueilleux, il se complaisait en lui-même et méprisait son Dieu, sa gloire et son service. Et saint Michel et ses anges eurent la sagesse et la force de Dieu ; car ils aimaient et servaient Dieu. Ainsi se combattaient-ils mutuellement, les mauvais contre les bons ; mais les bons triomphèrent, et Lucifer avec son parti furent jetés hors du ciel dans la peine de l'enfer, misérables et damnés pour toujours. Ainsi vous pouvez le remarquer : c'est par la lutte que l'on triomphe de la nature.

   Adam, notre premier père, fut vaincu par l'ennemi sans lutte. Il était noble et riche, beau et sage, et de beaucoup au-dessus de tous les hommes qui jamais sont nés dans la nature humaine. Mais il était un marchand insensé. Car il abandonna Dieu et sa louange, la vie éternelle et le paradis terrestre, pour un morceau de pomme. Le Christ au contraire, le Fils de Dieu et de Marie, était un marchand prudent et un lutteur puissant dans le combat. Il l'emporta sur tous nos ennemis, afin que personne ne pût nous nuire contre notre volonté et sans notre consentement. Il vainquit le monde et l'ennemi, qui avait le monde en sa possession ; il brisa les portes infernales ; il rompit les verrous de fer et délivra ses amis élus de la prison du démon. Il triompha de la faim et de la soif, de la chaleur et du froid, et nous enseigna la sobriété et à ne pas vivre selon le plaisir et les désirs des sens. Il domina sa volonté affective et sa vie sensible, s'abandonnant en obéissance aux mains de son Père et à la volonté de ses ennemis, pour la mort amère sur la croix. Par là il nous a appris à nous renoncer nous-mêmes vis-à-vis de toutes les créatures et à nous abandonner sans préférence à la libre volonté divine. Ainsi trouvons-nous le Christ vivant en nous et sa paix qui peut toujours demeurer.

   Le Christ est un marchand prudent : il nous a acheté la vie éternelle par sa mort soufferte dans le temps. Il a donné l'aimable pour le préférable, la souffrance passagère pour le bonheur éternel. Il nous a servis par amour, afin qu'avec lui nous puissions devenir maîtres. Il a été pauvre pour nous rendre riches. Il nous a donné sa chair et son sang en nourriture et en breuvage, afin qu'il demeurât en nous et nous en lui : et là tout combat est gagné.

   Les planètes se contrarient dans leur action et se combattent mutuellement. Car les unes sont mauvaises, cruelles et impitoyables ; et d'autres sont douces, ont une influence bienfaisante et ont bon effet sur toutes choses. Et il en est d'autres qui triomphent des méchants et affermissent les bons, et établissent la concorde en toutes choses. Telle est la nature des planètes ; et chacune garde la nature que Dieu lui a donnée. De même en est-il des hommes qui vivent selon la simple nature. Chacun suit la planète sous laquelle il est né, et qui règne sur lui selon la nature. Ces planètes régissent et gouvernent la vie sensible dans les bêtes et dans les hommes, mais elles n'ont aucun pouvoir sur la raison, car la raison domine tout ce qui est des sens et règle tout ce qui est désordonné dans notre nature. Les éléments eux aussi sont en opposition les uns aux autres, mais ils ne se combattent pas, car chacun garde la place et les propriétés naturelles que Dieu lui a données. Mais les corps des hommes et des animaux qui sont composés des quatre éléments, et qui reçoivent de Dieu et de l'influence des planètes leur vie naturelle, sentent en cette vie la lutte et la mort de la nature. Car il y a réunion dans une vie naturelle de chaud et de froid, de sec et d'humide. Ces quatre réunis en nous forment une vie mortelle, que nous possédons comme les animaux, que nous avons reçue et qui est régie par le cours du ciel et des planètes. Lorsque les éléments en nous sont d'accord avec les planètes et en pleine harmonie, alors nous sommes en santé dans la nature. Mais s'il y a entre ces éléments désaccord et contrariété, par trop de chaleur ou trop de froid, trop de sécheresse ou trop d'humidité, alors c'est pour nous la maladie. Et si l'un de quatre est complètement évincé par un autre et vient à manquer dans la nature, alors il nous faut mourir.

   Mais nous possédons encore dans notre âme vivante une vie raisonnable, que Dieu nous a donnée, qui est éternelle et qui ne peut mourir, ni dans le bien, ni dans le mal, par où nous ressemblons aux anges. Notre vie mortelle est sous l'influence du cours des cieux et des planètes : ils agissent sur notre nature par le moyen de la vertu divine, que Dieu leur a communiquée. Tous nous sommes enfants des planètes selon notre nature mortelle ; et nous sommes tous enfants de Dieu selon notre nature spirituelle qui ne peut pas périr. Ces deux sont contraires comme le temps et l'éternité, la mort et la vie éternelle.


CHAPITRE LXVIII

SUITE DE CE QUI A ÉTÉ DIT PLUS HAUT SUR LES PLANÈTES.

   Nous qui sommes nés sous les planètes, nous sommes tous des marchands par nature. Acheter et vendre, c'est faire l'échange, donner ce qu'on aime pour ce qu'on aime davantage.

   Mercure, la sixième planète, est le maître des marchands dans la nature. Il est d'accord avec toutes les planètes : mauvais avec les mauvaises, et bon avec les bonnes, car il s'harmonise avec toutes. Son cours est toujours proche du soleil ; et c'est pourquoi il est blanc, brillant et clair à cause de la proximité et de la clarté du soleil, de sorte qu'il n'est guère visible en raison de cette proximité même. Il paraît toujours à la fin de mai et à la fin d'août, les époques les plus joyeuses et les plus riches de l'année. Car tout croît en mai et en août tout mûrit. Et Mercure est par nature chaud et frais ; et ainsi ses enfants, ceux qui sont nés sous son influence, lui ressemblent : chauds et frais, sanguins et d'heureuse complexion, bienveillants et joyeux de nature, comme les enfants nés sous le signe du Soleil. Ces deux astres, en effet, sont proches l'un de l'autre et leurs enfants se ressemblent sous beaucoup de rapports.

   Les fils de Mercure sont par nature prudents, rusés et habiles : ils peuvent bien s'entendre avec bons et mauvais, avec riches et pauvres. Ils peuvent enseigner avec sagesse et bien parler comme de bons conseillers, faire la paix, acheter et vendre, régler des affaires, mentir et tromper autant qu'ils peuvent, et pour faire plaisir. Ils sont habiles, prudents et adroits en paroles et en actes, dans leurs procédés, leurs manières de faire, et en tout ce qu'ils entreprennent. Et c'est pourquoi ils sont souvent élevés en dignité, ils sont connus et aimés des grands et ils obtiennent un rang supérieur, richesses et honneurs selon le monde. Mais bien que ceux qui sont sous le signe de Mercure et qu'on appelle ses fils soient par nature prudents, rusés et habiles, cependant sans la grâce divine ils ne peuvent pas voir le règne de Dieu, ni le trouver ou le posséder, car la nature ne peut pas agir au-dessus d'elle-même.

   Chaque planète donne à ses enfants, qui sont nés sous son signe, la nature qu'elle-même a reçue de Dieu : de là cette différence entre les hommes quant à la nature, la complexion, les manières et les mœurs, bien qu'ils aient tous une même nature humaine. C'est que selon la naissance corporelle chacun suit naturellement la planète sous laquelle il est né. Tout ce qui est de la race d'Adam, né sous le cours des cieux, des étoiles et des planètes, est chair et sang, sensible et mortel par nature. Les planètes n'ont ni volonté, ni connaissance, ni vie ni quelque pouvoir que ce soit d'elles-mêmes : mais au moyen de la vertu divine qui vit en elles, elles donnent à toutes les créatures, au-dessous du firmament, jusqu'au fond de la mer la vie et la croissance ; elles causent les multiples différences de nature et de genre sur la terre, dans les eaux et dans le ciel, dont Dieu a orné le monde dès le commencement pour sa gloire et pour nos besoins.

   Or, nous avons besoin de nous connaître nous-mêmes, de vénérer Dieu et de l'aimer. Tous nous sommes nés de la chair et mortels de nature, et donc nous sommes tous enfants des planètes, qui nous régissent et règnent sur nous dans cette vie de notre nature mortelle. Mais si nous sommes élevés au-dessus de la nature et de nouveau nés de l'Esprit de Dieu, alors nous sommes les fils de Dieu par la grâce, et c'est lui qui règne dans notre esprit par son Esprit, en nous communiquant ses sept dons, qui nous régissent et ordonnent selon tous les modes de vertu, et nous donnent une claire connaissance, l'élévation par amour au-dessus de la nature, et l'union à Dieu dans la vie éternelle.

   Dieu a mis l'âme raisonnable entre la vie naturelle et la vie de la grâce ; elle est sensible dans sa partie inférieure, raisonnable en elle-même et spirituelle dans la partie supérieure. Et par nature ces trois ne forment qu'une seule vie dans l'homme. À cette âme raisonnable Dieu a donné en mains la balance où il s'est mis lui-même avec tout ce qu'il a créé ; et il souhaite et ordonne que notre raison et notre puissance aimante estiment à leur poids exact ces deux choses et choisissent ensuite ce qui est le meilleur, c'est-à-dire Dieu lui-même. La raison naturelle nous avertit que nous devons agir ainsi, car par nature nous sommes inclinés vers ce qui nous paraît le mieux.


CHAPITRE LXIX

POURQUOI DIEU NOUS A CRÉÉS, ET DE SON IMAGE ET
RESSEMBLANCE EN NOUS.

   Ayez maintenant grande attention et apprenez ce que nous devons tous savoir. De toute éternité Dieu nous a vus et connus dans sa sagesse, et il veut que nous ouvrions les yeux intérieurs et le regardions en toute simplicité et sincérité. De toute éternité aussi il nous a appelés et il veut que nous tendions l'oreille intérieure pour écouter les inspirations de sa miséricorde ; de toute éternité il nous a élus, et il veut que nous le choisissions au-dessus de tout le créé. Il nous aime et il nous a aimés éternellement ; il nous ordonne maintenant de l'aimer en retour pour l'éternité, et c'est justice. L'union de ceux qui aiment met la balance en équilibre.

   L'amour n'a pas de fin : il commence en Dieu, touche notre esprit et exige que nous lui répondions : ainsi l'amour exercé entre Dieu et nous ressemble à un anneau d'or qui n'a ni commencement ni fin. Notre amour commence en Dieu et c'est en lui qu'il se consomme. Lorsque Dieu se donne lui-même à notre esprit, et que nous nous donnons en retour à lui en son esprit, alors la balance de l'amour s'arrête. Alors aussi nous portons l'image de Dieu en notre esprit, et nous vivons de Dieu, pour Dieu et en Dieu, un avec lui. Nous sommes alors des marchands sages, parce que nous avons donné notre tout pour son tout, et qu'en son tout nous avons et possédons en même temps notre tout. Alors aussi nous sommes fils, portant en notre esprit l'image de Dieu, selon laquelle nous sommes créés. Cette vie est au-dessus de la nature, au-dessus de la raison et au-dessus des sens : nous y sommes un avec Dieu, sans perte ni gain. Pourtant faut-il remarquer que nous ne sommes pas seulement créés à l'image de Dieu, pour être un avec lui, mais qu'aussi nous avons été faits à la ressemblance divine. Être semblables à Dieu c'est. être ordonnés dans l'amour, la dilection et la charité, et dans toutes les vertus.

   La charité ne se cherche pas elle-même ; mais sa plus grande joie est de vivre selon la très chère volonté de Dieu. Aussi devons-nous nous mortifier nous-mêmes avec notre propre volonté dans l'abandon et la patience, sans résistance de la volonté et sans préférence pour autre chose. Dieu a créé notre volonté, non pas pour qu'elle nous appartienne en propre, mais pour qu'elle soit à celui qui l'a créée. Par conséquent celui qui la garde pour lui-même est un voleur et un meurtrier, car il dérobe ce qui appartient de droit à Dieu et à Dieu seul, tandis qu'il se met au service de lui-même par le péché ; et ainsi est-il esclave du péché. Mais s'il est esclave du péché, il l'est aussi du diable. Or, celui qui sert le démon se tue lui-même et il perd le libre retour vers Dieu en amour. C'est donc le diable qui lui donnera son salaire, comme il a coutume de récompenser ses serviteurs par les peines sans fin de l'enfer, s'il meurt à son service.

   Tous ceux qui vivent en grâce et dans la gloire n'ont qu'une même volonté, et c'est la très chère volonté de Dieu : car ils sont tellement unis à la libre volonté divine qu'ils ne sont plus capables de vouloir autre chose que ce que Dieu veut. Ils sont tous une même vie avec Dieu, un en son vouloir, et Dieu vit en eux tous par sa grâce et des dons multiples : de cette façon ils lui ressemblent, chacun à sa manière, par les multiples modes de vertus.

   La volonté propre veut aller de l'avant et elle souhaite que Dieu la suive, et qu'il fasse selon qu'elle veut et non pas comme Dieu veut. La volonté propre est orgueilleuse et désobéissante : elle se détourne de Dieu, et est source de tout mal. La volonté propre veut être maîtresse au-dessus de Dieu et au-dessus de tous les hommes, si cela lui était possible. Elle est réfractaire et désordonnée en toutes choses, et n'est jamais longtemps d'accord avec quelqu'un. Dans le ciel elle ne peut pas entrer ; sur la terre elle n'a pas de repos ; dans l'enfer elle est ensevelie : la mauvaise volonté envieuse lui sert de tombeau.

   Notre propre volonté est nôtre par nature ; elle ne peut rien de bon par elle-même, comme de son fonds propre, car tout ce que nous pouvons vient de Dieu. C'est pourquoi Dieu nous commande de renoncer à nous-mêmes et à toute volonté propre ; et de nous livrer à son libre vouloir : et ainsi nous pouvons toutes choses avec lui, parce que nous sommes une même liberté avec lui. Il nous ordonne de le poursuivre et de l'aimer au-dessus de nous-mêmes et au-dessus de toute créature, sans recherche de récompense : car l'amour lui-même est la récompense et la vie éternelle. Il faut aimer sans regarder en arrière et sans se retourner. Car aimer, pour être aimé, c'est de la nature et propension naturelle désordonnée dans l'amour. Si nous sommes un avec son libre vouloir, nous vivons sans préoccupations et sans soucis. Nous devons avec lui donner et prendre, agir et omettre, aimer et haïr : alors nous sommes unis avec lui en liberté et nous sommes d'un seul vouloir avec lui. Nous devons préférer croire en lui, espérer et mettre en lui notre confiance, que d'avoir la certitude de la vie éternelle. Librement nous devons choisir de le servir éternellement, de lui rendre grâces et de le louer, comme font les anges et les saints. C'est la vie éternelle. Mais nous devons aussi être dépouillés de nous-mêmes, et trépasser de notre volonté propre en son libre vouloir, quoi qu'il veuille faire de nous dans le temps et dans l'éternité, et ce sera notre plus grande joie. Il nous ordonne de l'aimer sans fin, mais il ne nous dit pas de choisir notre récompense. Ceux qui ne veulent pas être là où Dieu veut, mais là où ils veulent, ont encore vivantes en eux la nature et la volonté propre : ils ne sont pas consommés en amour. Celui qui en enfer pourrait trépasser de sa propre volonté en le libre vouloir de Dieu, ne brûlerait point. Celui qui même au ciel garderait sa volonté propre, contre la volonté divine, n'aurait pas la béatitude.

   La justice de Dieu veut damner les méchants, et sa miséricorde veut sauver les bons. Maintenant certains hommes prétendent qu'ils ne veulent pas être damnés, même si Dieu le voulait ; et ils veulent être sauvés, que Dieu le veuille ou non. Ces gens-là ressemblent bien au démon et aux hommes damnés, qui s'opposent à Dieu de toutes les façons : ils ne veulent pas être damnés bien que Dieu le veuille ; ils seraient volontiers bienheureux contre la volonté de Dieu ; ce sont là péchés mortels, qui demeurent éternellement dans tous les esprits damnés et dans tous les hommes mauvais qui vivent en opposition avec Dieu et meurent en cet état. Dieu peut tout ce qui est selon l'ordre, mais il ne peut pas que ceux qui l'aiment, comme saint Pierre et les autres saints, soient damnés ; ni que ceux qui ne l'aiment pas, comme judas, Pilate et autres hommes méchants, soient sauvés. Les bons préfèrent la volonté divine à leur propre vouloir. Et c'est pourquoi ils préféreraient être en enfer conformément à la volonté de Dieu qu'au ciel contre sa volonté. Les pécheurs sont en contradiction avec Dieu : car ils veulent être bienheureux sans aimer Dieu ; ce qui est chose impossible et désordonnée, et c'est vivre en péché mortel.

   Celui qui n'aime pas Dieu, même s'il était au ciel, serait néanmoins malheureux et damné. Et celui qui aime Dieu, alors même qu'il serait en enfer, serait néanmoins bienheureux et béni de Dieu. Les bons veulent être là où Dieu veut. Car ils sont une seule volonté avec Dieu ; et pour cela ils jouissent d'une paix sans fin. Voulez-vous être sauvé, méprisez votre volonté propre, puisqu'elle est contraire à Dieu, et choisissez et accomplissez la volonté de Dieu : alors vous lui serez uni dans sa gloire et la vie bienheureuse de l'éternité. C'est pourquoi, si vous voulez vivre pour Dieu et lui ressembler, vous devez avec lui haïr et aimer sans volonté propre. Vous devez haïr ce que Dieu hait, c'est-à-dire le péché et l'occasion du péché, les inclinations déréglées, l'amour de tout plaisir corporel et le désir désordonné des sens. Vous devez porter votre croix et suivre le Christ ; mépriser votre volonté propre, la bonne opinion de vous-même, et la pensée que vous êtes plus sage et meilleur que d'autres. Si vous combattez ces tendances et en triomphez, votre volonté est bonne, elle concorde avec celle de Dieu, car vous haïssez ce que Lui déteste. La volonté de Dieu c'est que nous soyons tellement morts à nous-mêmes dans son vouloir, que nous puissions dire en notre prière ce que lui-même disait lorsqu'il allait à la mort : « Père, non pas ma volonté, mais que la vôtre se fasse (16). »

   De plus Dieu veut que nous aimions avec lui tout ce qu'il aime. Dieu a créé le ciel et la terre et tous les êtres ; et par là il s'est mis au service de notre vie mortelle ; et il veut que par l'âme et le corps et par toutes les créatures dont nous usons pour notre besoin, nous lui donnions ac-tions de grâces, louanges et service pour sa gloire éternelle : et c'est là chose juste et équitable. Il nous a tant aimés qu'il nous a donné son Fils unique pour être homme avec nous tous. Celui-ci s'est humilié jusqu'à la mort et il nous a élevés jusqu'à la vie éternelle. C'est ainsi que le voulait son Père céleste, et sa raison ne pouvait pas vou-loir autrement que Dieu. Et tous ceux qui veulent avec lui tout ce qu'il veut, sont nés de Dieu et disciples du Christ. Or Dieu veut sauver tous les hommes pour la vie éternelle ; mais ceux qui méprisent sa doctrine et son précepte, en vivant en opposition avec lui par leurs péchés, sont nés du conseil du diable.

   La bonne volonté est la base de toutes les vertus ; l'unité de volonté avec Dieu est au-dessus de toutes les vertus. L'homme de bonne volonté qui se renonce lui-même et mortifie sa propre volonté, et qui s'abandonne au libre vouloir divin, a une bonne volonté parfaite : il vit sans crainte et sans préoccupation de lui-même : il a foulé aux pieds sa vie mortelle et tout ce qui est périssable, et il se sent assuré de la vie éternelle. Il veut avec Dieu tout ce que Dieu veut, et sa paix avec Dieu et en Dieu ne peut être troublée par personne : il est né de Dieu, doux et humble, et le Christ vit en lui avec tous ses dons : et il en fera de même pour nous tous, si nous renonçons à nous-mêmes et vivons pour lui seul. Il nous enseigne ses voies communes et ses sentiers intérieurs et secrets, c'est-à-dire ses préceptes et ses conseils célestes. Il nous montre que par amour il est descendu vers nous, qu'il nous a enseignés et qu'il a vécu pour nous, et que par amour il est mort à cause de nous ; il nous fait voir aussi sa résurrection glorieuse, qui vit en nous, et son ascension admirable. Il prépare pour nous la cité glorieuse ; il nous communique son amour et son Esprit-Saint ; il nous promet de revenir le dernier jour pour juger le monde entier, nous avec lui et lui avec nous. Si en cela nous mettons notre joie et notre espérance en tout temps, nous vivons en lui et lui en nous.

   C'est là notre foi et la règle commune de la sainte chrétienté, de toute éternité prévue et écrite dans le livre de vie qui est la Sagesse divine. Le Christ a apporté cette règle, l'a vécue et enseignée, et les apôtres et les saints l'ont expliquée et éclairée. Cette même règle avait été manifestée au commencement du monde aux patriarches et aux prophètes, dans la loi naturelle et dans celle des Écritures. Elle fut pratiquée en paraboles et comparaisons de mainte façon. Mais depuis, le Christ a apporté la loi évangélique et la règle de la sainte chrétienté an monde, pour la vivre et l'enseigner à ses disciples, c'est-à-dire, à tous ceux qui le suivent. Mais ceux qui le méprisent, lui et sa règle, et meurent ainsi, ils sont tous damnés, car la vie et la règle du Seigneur sont le fondement de tout ordre, de tout état religieux, de toutes les manières de sainte vie, de toute pratique de la sainte Église, du sacrifice, des sacrements et de tout ce dont on peut vivre spirituellement.

   La foi chrétienne est fondée sur le Christ et sur sa vie ; la vie du Christ est sa règle, et en dehors de cette règle personne ne peut être sauvé. La règle de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous ordonne à tous d'observer tous les commandements divins par une vraie obéissance, et de porter avec une humble patience la très chère volonté de Dieu, en tout ce qu'il nous impose. C'est là la loi des préceptes et des Évangiles, que le Christ a vécue et qu'il a enseignée à tous ceux qui désirent être sauvés. Le Christ nous apprend de plus que si nous voulons lui ressembler et suivre ses conseils, comme il les a pratiqués et enseignés, nous devons mépriser le monde, renoncer à nous-mêmes et à notre propre volonté pour suivre sa libre volonté, et nous détacher de tout ce que nous pouvons posséder par amour. Ainsi affranchis, devons-nous le suivre dans la pureté de l'esprit, jusqu'à son Père céleste.

   L'exercice qui se rapporte à ceci consiste à poursuivre et à aimer la vérité éternelle, qui est Dieu, à bénir, remercier et louer, honorer, prier et adorer en esprit et pour l'éternité. C'est la règle de tous les hommes qui veulent être parfaits selon le conseil de Dieu et la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La règle de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous ordonne d'obéir, de combattre notre propre volonté et les inclinations de la nature, et de suivre le Christ dans les commandements qu'il pratiquait et enseignait lui-même ; et ainsi pouvons-nous plaire à Dieu et posséder avec lui la vie éternelle. Au-dessus des préceptes le Christ et sa règle nous conseillent, si nous voulons accomplir parfaitement cette règle, de mépriser le monde, de renoncer à nous-mêmes et à notre personnalité propre dans la liberté divine, pour suivre ainsi le Christ par l'amour simple et la pureté de l'esprit. De cette manière nous pouvons avec lui et avec tous les saints trouver et posséder en Dieu la paix et la toute silencieuse béatitude. Là se trouve la consommation des préceptes et des conseils, et là on possède l'unité d'amour avec Dieu dans la plus haute noblesse.


QUATRIÈME PARTIE


CHAPITRE LXX

DES TROIS FÊTES PRINCIPALES DE LA VIE PRÉSENTE
ET DE LA QUATRIÈME QUI SERA CÉLÉBRÉE LE DERNIER JOUR.

   L'ordonnance de notre règle comprend trois fêtes principales, qui se renouvellent aux temps opportuns et avec la joie nouvelle de nombreuses pratiques dans la sainte Église.

   La première fête tombe en hiver, la deuxième au printemps, la troisième en été.

   La première fête qui vient en hiver, est le commencement de la vie éternelle et du salut de tous ; le Père y donna son Fils, conçu dans notre nature et né de la Vierge Marie, Dieu et homme, pour être avec nous.

   La deuxième fête se célèbre au printemps elle nous apprend que le Christ, le Fils de Dieu, se donna à nous dans le Sacrement, et se livra à la volonté de son Père et aux mains des juifs féroces, afin de mourir pour tous ceux qui doivent croire en lui et en son honneur mourir au péché ; car tous ceux-là ressusciteront avec lui pour la gloire de Dieu. C'est la fête de Pâques, qui réjouit tous les fidèles d'une joie toute spéciale de vie éternelle.

   La troisième fête est en été: le Père et le Fils y donnèrent aux apôtres, le jour de la Pentecôte, leur Esprit qui a rempli le ciel et la terre ; et tous ceux qui croient en lui, espèrent en lui et l'aiment, sont pleins de joie et de bonheur sans fin.
Une quatrième fête est encore à venir : nous l'attendons et la désirons par la foi et nos vœux, c'est le dernier jour du monde. Alors le Christ descendra du ciel ici-bas, avec grande puissance et majesté, accompagné des anges et des saints, pour juger les bons et les méchants. Ce jour-là toutes les fêtes et toutes les solennités du temps seront consommées en une seule fête et un jour de gloire, qui durera toute l'éternité. Et le Christ bénira les siens, qui auront servi lui et son Père céleste, et il les conduira dans sa gloire, préparée pour eux dès le commencement du monde. Mais le Christ condamnera ceux qui le méprisent ici-bas, lui et ses préceptes, et il les enverra justement avec les démons au feu d'enfer qui ne s'éteindra plus jamais. C'est là l'ordonnance de la sainte Église dans la foi chrétienne : celui qui n'y croit pas sera condamné.

   Il y a encore d'autres fêtes au cours de l'année, de Notre-Seigneur et de ses saints, qui sont entourés dans la sainte Église d'une vénération et d'un culte universels ; d'autres ont un culte seulement dans les pays où ils ont demeuré, vécu et sont morts pour la gloire de Dieu. Mais toutes ces fêtes finiront et seront consommées au dernier jour dans une seule gloire de Dieu, qui sera commune à tous et particulière à chacun selon ses mérites. C'est là le royaume de Dieu et de sa famille.


CHAPITRE LXXI

QUE NOTRE-SEIGNEUR EST NOTRE LIVRE D'HEURES ET POUR
QUELLE FIN TOUS LES ORDRES MONASTIQUES ONT ÉTÉ
INSTITUÉS.

   Le Christ lui-même est notre règle. Sa vie et sa doctrine constituent notre livre canonique et notre bréviaire par tout le monde. Nous devons les porter avec nous, où que nous soyons : garder sa passion et sa mort dans notre mémoire, sans les oublier ; posséder son amour et sa fidélité dans notre cœur par le désir et l'amour ; sa vie glorieuse demeurant dans notre âme aimante, comme une nourriture dont nous pouvons toujours user. Tel est le livre d'heures commun aux laïcs et aux clercs. Ceux qui y conforment leur vie et en disent les heures, pourront au jugement divin répondre au Christ et dire en toute franchise : « Seigneur, nous avons désiré vous plaire, et vivre pour vous et vous servir éternellement. »

   C'est pourquoi nombre de saints ont fondé des ordres et des états de vie religieuse, différents quant à l'habit, la règle, la manière de vivre, les pratiques et les offices, selon lesquels ils louaient et servaient Dieu ; et chacun d'eux souhaitait et désirait vivre et mourir de la manière qu'il s'était proposé, selon la très chère volonté de Dieu. Aussi tous les ordres et états de religion sont-ils unis et établis sur un fondement unique qui est le Christ jésus. Il est commencement et fin de tout bien. Par lui et en son nom toutes choses sont parfaites et bien ordonnées au ciel et sur la terre, ainsi que chez tous les gens de bien qui le servent. C'est pourquoi la sainte Église a, en son nom, et pour la gloire du Père, et par la vertu de l'Esprit-Saint, ordonné un grand nombre de manières de le servir, en sacrifices, offrandes, exercices intérieurs, bonnes œuvres extérieures messes, pénitences et abstinences pour les péchés, pratique des sept sacrements, et observance des sept heures canoniales, toutes choses auxquelles tous les hommes sont obligés par la foi chrétienne, chacun selon la manière qu'il souhaite et selon son désir de vivre pour Dieu, afin de lui plaire.



(1) MATTH., XII, 50.
(2) ID., VIII, 20.
(3) MATTH., XVI, 22.
(4) ID., XVI, 23.
(5) MATTH., V, 5.
(6) JOA., XIV, 28.
(7) ID., XVI, 7, 13.
(8) MARC, XVI, 16.
(9) JOA., XV, 10.
(10) PHIL., II, 5-10.
(11) Ps. II. 7.
(12) MATTH., III, 17.
(13) PS., CIX, 1 ; PS., CXXXVII, 4 Ps. XCVI, 8.
(14) Ps., XXI, 7.
(15) ROM., VIII, 35-39.
(16) MATTH., XXVI, 39.



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