CHAPITRE XIV

DES VEXATIONS DIABOLIQUES QU'IL EUT A ENDURER ;
ET COMMENT LE SEIGNEUR JÉSUS LUI APPARUT
AVEC SA MÈRE ET TOUS LES SAINTS.


Rusbroch tourmenté par Satan.
    Mais l'ennemi infernal, considérant l'admirable sainteté de l'homme, et combien, pour gagner des âmes à Dieu, il produisait des fruits de salut par la parole, les écrits, les exemples, les mérites et les prières, s'efforça de contrarier son oeuvre par les multiples  embûches de ses tentations ; de telle sorte que, lui apparaissant visiblement sous la forme de crapaud ou de n'importe quelle autre bête, il s'efforçait de le terroriser, ainsi que le saint homme le raconta lui-même parfois à ses familiers. Et comme les mêmes frères le questionnaient, pour savoir s'il redoutait la présence du terrible ennemi, il répondit, qu'il ne le craignait pas du tout, mais qu'il s'attristait parfois de ce que l'horrible bête, détestée de Dieu, s'avançait si près de lui. Il se munit toutefois des armes spirituelles contre lui, dans le pressentiment de sa venue.Surprise de la bonne foi de Rusbroch. Un jour, certains Frères d'une dévotion relâchée, contre la coutume observée jusque-là dans ce monastère, lui demandèrent instamment qu'on célébrât conjoitement et le même jour, certains offices des défunts qu'on avait l'habitude de faire séparément. Par hasard, trop occupé des choses divines, pour bien examiner et bien peser cette demande, l'homme pieux permit que ces offices fussent célébrés conjointement. Mais, parce que Dieu ne laisse rien impuni dans ses amis, il eut à supporter, de ce chef, beaucoup d'avanies et d'insultes de la part des démons, bien qu'il eût donné cette permission involontairement, et d'une manière un peu inconsidérée. Qu'ils considèrent maintenant combien ils sont justiciables de Dieu, ceux qui ne craignent pas de se rendre coupables de fautes beaucoup plus graves ; et qu'ils ne doutent pas que, si un innocent, un juste dut soutenir tant de vexations diaboliques pour une faute involontaire, pour une imperfection, ils auront eux-mêmes à supporter des peines beaucoup plus terribles pour des fautes volontaires.

    Mais, de même que le saint homme eut à endurer souvent, de cette manière, les vexations de l'esprit malin, néanmoins, il fut aussi favorisé de consolations et de visites fréquentes et divines, qui sont le privilège d'un petit nombre. Car notre Seigneur Jésus le visita fréquemment, et le combla des plus riches présents de sa grâce. Un jour spécialement, avec sa très sainte Mère et tous les saints, il vint le visiter familièrement ; et, en outre de l'ineffable joie et de la consolation de l'âme dont il l'inonda, il lui fit entendre ces paroles : Tu es mon fils bien aimé, (1) dans lequel je me suis complu. Et lui donnant une douce étreinte, il dit à sa Mère et aux saints qui
l'environnaient : Voici mon enfant d'élection. De ces faits, un esprit pieux peut inférer, combien grand auprès de Dieu, était le mérite de celui auquel Dieu même rendait un pareil témoignage. Mais quels sont les colloques qu'il eut avec le Seigneur Jésus, soit dans cette apparition, soit dans les autres semblables, quels mystères lui furent révélés, quels secrets il perçut, de combien de grâces et de dons des vertus il fut orné, chacun peut le comprendre aisément, de lui-même, bien que ses écrits, dans certaines parties, l'indiquent évidemment.

(1) Il faut entendre fils adoptif: selon les paroles de l'Ecriture : Il leur a donné la puissance de devenir des enfants de Dieu.