D'UN CERTAIN JEAN AFFLIGINIEN, CUISINIER
DU MONASTÈRE DE LA VALVERDE
Merveilleuse religion du cuisinier.
Nous croyons faire oeuvre utile, de dire ici quelques mots du très saint Jean Affliginien. Comme il était laïque, mais sans instruction, il suivit le vénérable Père D. Jean Rusbroch et ses compagnons à la Valverde, où sa sainteté de vie fut telle, que les choses très véritables qui sont écrites de lui paraissent presque incroyables. Dès les premiers temps de sa conversion et dans la suite, on dit qu'il poussa si loin l'austérité envers soi-même, qu'il surpassait de beaucoup les autres frères de son monastère, par la macération de la chair, les veilles nocturnes et les nombreuses abstinences. Il s'efforça d'être pour les autres, et même pour les étrangers de passage au monastère, plein de bonté ; en pourvoyant non seulement à leurs soins corporels, mais bien davantage, en leur faisant ouïr la parole du salut ; de telle sorte
que, pleins de componction, ils fussent pénétrés de l'amour divin ; et il arriva parfois qu'ils versèrent d'abondantes larmes, sous l'effusion de la grâce et par l'efficacité de ses paroles. Mais il était si sévère vis-à-vis de lui-même, qu'il se couvrait de vêtements grossiers et informes ; et rarement ou jamais, il ne voulut manger que les restes des autres frères ; à tel point que parfois les oeufs pourris que les autres ne voulaient pas, il les avalait, non sans un grand effort de la nature. Fruits de la méditation de la Passion du Seigneur. Il fit beaucoup d'autres choses plus dignes d'admiration que d'imitation, à moins que l'on reçoive une grâce pareille. Le peu de temps qu'il donnait au sommeil, c'était par fatigue et poussé par la crainte : il lui semblait que les heures consacrées au repos étaient du temps perdu. L'on raconte, qu'il se mit rarement au lit avant la récitation des matines, qui se fait la nuit. Bien qu'il fût accablé de multiples occupations extérieures, il garda toujours en elles une telle tranquillité, une si grande pureté d'esprit et de coeur, qu'il fut tout à la fois attentif à l'action et à la contemplation ; et que ses occupations extérieures ne l'empêchaient pas de se livrer à la méditation. Il avait obtenu cette grâce par la perpétuelle et profonde méditation de la passion du Seigneur. Car bien qu'il fût pénétré du parfum de toutes les vertus, il était surtout ému de compassion pour les plaies de Jésus-Christ, dont il s'efforçait avec tant de sollicitude de suivre les vestiges, qu'à son exemple, il s'offrait tout entier en holocauste à Dieu, corporellement et spirituellement. Par cette commémoration continue de la passion du Seigneur, il parvint à une telle abondance de la divine grâce, que souvent il s'élevait dans le ravissement divin au-dessus de lui-même ; et, il eut une si grande connaissance et un tel mépris pour sa personne, en comparant sa difformité (comme il le pensait) avec son exemplaire, qu'il se sentait au fond de l'âme bien inférieur à toutes les créatures. Il lui arriva en conséquence que, par une grâce d'épreuve, le Dieu tout puissant lui fit expérimenter sept peines ou détresses infernales, qui furent si cuisantes, que nul ne peut les comprendre, si ce n'est celui qui les a éprouvées. Mais nous ne pouvons en faire la peinture, pour ne pas tomber dans la prolixité.
Dieu daigna accomplir beaucoup d'autres merveilles dans cet élu de son coeur, que nous ne saurions aisément raconter ici. Mais il jouit auprès de Dieu d'une si douce amitié et d'une si grande familiarité, que bien des secrets lui furent divinement révélés ; et, quoiqu'il fût simple d'esprit et sans formation intellectuelle, il reçut une si pleine irradiation de la lumière divine, qu'il produisit plusieurs livres pleins de l'esprit de Dieu, dans lesquels, (celui qui, tout ravi en Dieu avait jugé de l'excellence de sa vie et de ses mérites), fait plusieurs fois mémoire du vénérable homme de Dieu J. Rusbroch, d'une manière si honorable, que nul autre ne l'a glorifié de la sorte. Vers les derniers temps de sa vie, au milieu de l'année, bien qu'il fût gravement malade, néanmoins, autant que ses forces le lui permettaient, il vaquait à son rôle de cuisinier, supportant patiemment, non seulement ses cruelles douleurs corporelles, mais encore les fatigues de sa charge. Enfin, averti divinement de sa fin prochaine, bien qu'il parût aux autres encore valide, il demanda que l'Onction sacrée lui fût administrée ; et au troisième jour qui suivit, il rendit à Dieu son bienheureux esprit, en l'an du Seigneur mille trois cent soixante-dix-sept, au jour même de Ste-Agathe Vierge et Martyre, pour régner désormais éternellement dans le ciel, avec Celui dont il s'efforça de réaliser sur la terre le type parfait. L'on pourrait écrire longuement sur son admirable sainteté, mais nous ne voulons pas retenir plus longtemps le lecteur sur ce sujet.